A-1457-83
John C. Doyle (requérant)
c.
Commission sur les pratiques restrictives du com
merce et F. H. Sparling et Canadian Javelin
Ltée/Javelin International Ltée (intimés)
Cour d'appel, juges Pratte, Ryan et Marceau—
Ottawa, 24 et 25 avril et 3 juin 1985.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Corporations
— Demande fondée sur l'art. 28 tendant à l'annulation d'un
rapport préparé par la Commission sur les pratiques restricti-
ves du commerce conformément à l'art. 114 de la Loi sur les
corporations canadiennes — Au terme d'un examen, des
audiences ont eu lieu relativement à des allégations d'utilisa-
tion frauduleuse de Canadian Javelin Ltée par le requérant —
Dépôt par la Commission d'un rapport confirmant la conduite
frauduleuse — Le requérant soutient que deux des trois
commissaires ayant signé le rapport n'ont pas assisté à toutes
les audiences — Deux commissaires se sont absentés en des
occasions différentes des audiences, parfois temporairement,
parfois complètement et ce, pour un total de six jours — Les
notes sténographiques des audiences étaient disponibles — La
Loi fixe le quorum à deux membres — Le requérant invoque
la règle «nul ne peut juger sans avoir entendu la cause» — Il
échet d'examiner si l'irrégularité a entraîné la nullité du
rapport — La règle est fondée sur la volonté présumée du
législateur — Elle ne s'applique pas lorsque le législateur en a
expressément écarté l'application ou lorsque celle-ci ne
découle pas implicitement des dispositions de la loi — La
règle exige que les commissaires entendent la preuve et les
représentations en conformité de la Loi — Le fait que le
requérant n'ait pas comparu lors des audiences ne le prive pas
du droit de contester la validité du rapport — La Loi exige
que les commissaires assistent aux audiences afin de prendre
connaissance de la preuve — Il échet d'examiner si la règle ne
s'applique qu'aux organismes judiciaires ou quasi judiciaires
chargés de prononcer des décisions affectant directement les
droits des parties — La Commission ne fait que formuler des
recommandations — Même si le rapport ne crée pas de droits
ou d'obligations dans le patrimoine d'individus, il n'est pas
pour autant dénué d'effet juridique puisqu'il confère au
Ministre le pouvoir d'engager des procédures au nom de la
compagnie — Le défaut de se conformer aux exigences de la
Loi concernant la présence des commissaires suffit à vicier le
rapport de la même façon que s'il s'agissait d'une décision
judiciaire ou quasi judiciaire — Loi sur les corporations
canadiennes, S.R.C. 1970, chap. C-32, art. 114 (mod. par
S.R.C. 1970 (1 er Supp.), chap. 10, art. 12) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28.
Le requérant demande l'annulation, en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale, du rapport préparé par la
Commission sur les pratiques restrictives du commerce confor-
mément à l'article 114 de la Loi sur les corporations canadien-
nes. Au terme d'un examen mené par l'inspecteur de la Com
mission au sujet de Canadian Javelin Ltée, des audiences se
sont déroulées afin d'examiner les allégations suivant lesquelles
le requérant aurait utilisé la compagnie pour s'enrichir fraudu-
leusement aux dépens des autres actionnaires. Du 26 avril 1982
au mois de juin 1983, la Commission a siégé pendant 32 jours.
Le requérant n'a pas assisté aux audiences, mais il a été
représenté par un avocat jusqu'au 21 juillet 1982. A diverses
reprises, deux des trois commissaires se sont absentés temporai-
rement ou complètement des audiences, le tout pour un total de
six jours. Les commissaires avaient à leur disposition la trans
cription des audiences afin de prendre connaissance de ce qui
s'était passé en leur absence. En septembre 1983, la Commis
sion a déposé son rapport, signé par les trois commissaires, dans
lequel elle déclarait que la plupart des allégations de fraude
formulées par l'inspecteur étaient fondées et faisait les recom-
mandations qu'elle trouvait appropriées. Il semble que deux des
trois commissaires n'ont pas été présents en tout temps pour
prendre connaissance de la preuve. Invoquant la maxime «nul
ne peut juger sans avoir entendu la cause», le requérant soutient
que les absences des commissaires entraînent la nullité du
rapport puisqu'un seul des membres avait le pouvoir de le
signer. L'intimée soutient que la maxime ne s'applique pas
puisque la Commission ne fait que formuler des recommanda-
tions et ne prend pas de décisions affectant les droits des
parties. Au surplus, l'absence du requérant aux audiences
l'empêche de soulever cette irrégularité.
Arrêt (le juge Marceau dissident): la demande devrait être
accueillie et le rapport contesté devait être annulé.
Le juge Pratte: Ce qui importe, c'est de savoir s'il y a lieu
d'appliquer en l'espèce la maxime «nul ne peut juger sans avoir
entendu la cause». La règle établit que seuls les membres du
tribunal qui ont entendu la preuve peuvent participer à la
décision. La règle est plus qu'une conséquence de la maxime
audi alteram partem en ce qu'elle touche véritablement à la
compétence du juge. Sa violation peut être invoquée même par
le requérant qui, par son absence des procédures, a renoncé à
son droit de se faire entendre. Le choix du requérant de ne pas
participer aux audiences ne le prive pas du droit d'être jugé par
les membres d'un tribunal présents pendant toute la durée des
audiences. La règle «nul ne peut juger sans avoir entendu la
cause» est fondée sur la volonté présumée du législateur. Lors-
que la règle s'applique à un tribunal, elle exige que tous les
membres de ce tribunal qui participent à la décision entendent
la preuve et les représentations des parties de la façon qu'exige
la loi. Même si les commissaires absents ont profité des notes
sténographiques, il importe toujours de savoir si la preuve a été
reçue conformément à la loi.
Une abondante jurisprudence affirme que la règle ne s'appli-
que qu'aux organismes judiciaires ou quasi judiciaires chargés
de prononcer des décisions affectant directement les droits des
parties. Bien que, conformément à l'article 114 de la Loi, la
Commission ne fasse que formuler des recommandations, il est
quand même nécessaire d'examiner les dispositions législatives
régissant la Commission. Les recommandations que contient le
rapport ne sont pas dépourvues d'effets juridiques puisqu'elles
habilitent le Ministre à engager, continuer ou régler des procé-
dures au nom de la compagnie qui fait l'objet de l'examen. Il
est manifeste que le législateur a voulu que la Commission
tienne des audiences au cours desquelles les parties intéressées
pourraient se faire entendre et que seuls les commissaires
présents lors des audiences puissent légalement signer le rap
port en découlant. A la lumière de ces dispositions, les absences
de deux des commissaires ayant signé leur rapport entraînent la
nullité de celui-ci de la même façon que s'il s'agissait d'une
décision judiciaire ou quasi judiciaire. Par conséquent, le rap
port contesté devrait être annulé.
Le juge Marceau (dissident): Il ressort clairement des dispo
sitions législatives régissant la Commission qu'un rapport ne
peut être préparé et soumis au Ministre sans que les intéressés
aient eu l'opportunité de s'exprimer. Cependant, on ne peut voir
dans la Loi la condition avancée par le requérant suivant
laquelle tout commissaire qui s'absenterait le moindrement
durant les audiences ne pourrait participer à la préparation du
rapport. L'article 114 ne révèle aucune intention présumée du
Parlement d'imposer le respect de la règle «nul ne peut juger
sans avoir entendu la cause». Au surplus, le comité doit mainte-
nir un quorum de deux membres pour agir dans la légalité. II
importe de souligner qu'à toutes les étapes du processus, c'est la
Commission qui agit et non ses membres. Dans le cas qui nous
intéresse, la preuve semble établir qu'un seul commissaire s'est
réellement absenté à un nombre limité de reprises des
audiences.
Comme la source de la règle ne se trouve pas dans la Loi
elle-même et qu'elle ne découle pas implicitement d'une inten
tion présumée, la seule autre source possible serait qu'elle est la
contrepartie de la maxime audi alteram partem. Si tel était le
cas, le requérant aurait, par son absence, renoncé à son droit
d'invoquer la règle. Toutefois, une obligation de cette nature et
de cette importance ne peut être considérée comme une simple
contrepartie du droit des parties de se faire entendre. Qui plus
est, il n'est pas possible en l'espèce, de lier l'existence de la règle
invoquée aux principes de justice naturelle car la Commission
n'est pas un tribunal rendant des décisions affectant les droits
des individus.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Conseil de section du Barreau de Québec c. E. et autre,
[1953] R.L. 257 (B.R. Qué.); CRTC c. CTV Television
Network Ltd. et autres, [1982] I R.C.S. 530; Lipkovits c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, [1983] 2 C.F. 321; 45 N.R. 383 (C.A.);
Reg. v. Race Relations Board, Ex parte Selvarajan,
[1975] 1 W.L.R. 1686 (C.A. Angl.); Foster v. City of
Halifax, [1926] 1 D.L.R. 125 (C.S.N.-E.); Rex v. Hun-
tingdon Confirming Authority. Ex parte George and
Stamford Hotels, Ld., [1929] 1 K.B. 698 (C.A.); Mehr v.
Law Society of Upper Canada, [1955] R.C.S. 344; Re
Ramm (1957), 7 D.L.R. (2d) 378 (C.A. Ont.); Hughes v.
Seafarers' International Union of North America, Cana-
dian District & Heinekey (1961), 31 D.L.R. (2d) 441
(C.S.C.-B.); R. v. Committee on Works of Halifax City
Council, Ex p. Johnston (1962), 34 D.L.R. (2d) 45
(C.S.N.-E.); Re Rosenfeld and College of Physicians and
Surgeons (1969), II D.L.R. (3d) 148 (H.C. Ont.); R. v.
Broker -Dealers' Association of Ontario, Ex parte Saman
Investment Corporation Ltd., [1971] 1 O.R. 355 (H.C.);
Re Rogers: Rogers v. Prince Edward Island Land Use
Commission (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 484
(C.S.l.-P.-E.); Murray v. Rockyview No. 44 (1980), 12
Alta. L.R. (2d) 342; 21 A.R. 512 (C.A.); Hayes v. Sask.
Housing Corp., [1982] 3 W.W.R. 468 (B.R. Sask.).
AVOCATS:
Robert Décary et Serge Laurin pour le
requérant.
J. Mabbutt pour l'intimée, la Commission sur
les pratiques restrictives du commerce.
François Garneau pour l'intimé F. H.
Sparling.
PROCUREURS:
Noël, Décary, Aubry & Associés, Hull, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Desjardins, Ducharme, Desjardins & Bour-
que pour l'intimé F. H. Sparling.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Le requérant demande l'an-
nulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10],
d'un rapport fait par la Commission intimée en
vertu du paragraphe 114(25) de la Loi sur les
corporations canadiennes [S.R.C. 1970, chap.
C-32 (mod. par S.R.C. 1970 (1ef Supp.), chap. 10,
art. 12)]'.
Au soutien de son pourvoi, le requérant a fait
valoir plusieurs moyens. Un seul, cependant,
mérite qu'on s'y arrête, savoir que la décision
attaquée devrait être annulée parce que deux des
trois commissaires qui l'ont rendue n'auraient pas
assisté à toutes les audiences au cours desquelles la
Commission a recueilli les preuves sur lesquelles
elle devait fonder son rapport. D'ailleurs, lors de
l'audition de cette affaire, nous n'avons pas cru
nécessaire d'entendre les avocats des intimés sur
d'autres points que celui-là.
L'article 114 de la Loi sur les corporations
canadiennes prévoit que la Commission sur les
pratiques restrictives du commerce puisse, lorsqu'il
existe des motifs raisonnables de croire qu'existe
l'une ou l'autre des situations prévues au paragra-
phe 114(2), ordonner qu'une compagnie fasse l'ob-
jet d'un examen et nommer un inspecteur à cette
fin. Cet examen se fait en deux temps. L'inspec-
' Cette Cour a déjà jugé, le 20 janvier 1984, que ce rapport
était une «décision» au sens de l'article 28.
teur fait d'abord enquête et, s'il est d'avis que son
enquête a révélé l'existence d'une des situations
que la Loi veut réprimer, il doit transmettre à la
Commission un exposé des preuves qu'il a recueil-
lies. La Commission doit ensuite, comme le pres-
crit le paragraphe 114(24), tenir des audiences «où
les preuves et les arguments à l'appui de l'exposé
peuvent être présentés par l'inspecteur ou en son
nom et où les personnes contre lesquelles une
allégation a été faite dans l'exposé doivent avoir la
possibilité de se faire entendre en personne ou par
procureur». Ces audiences terminées, la Commis
sion fait rapport au Ministre.
Le 17 mai 1977, la Commission ordonnait, en
vertu de l'article 114, qu'un examen ait lieu des
affaires de la société Javelin International Ltée. Le
26 janvier 1982, l'inspecteur nommé pour procéder
à cet examen remettait à la Commission un exposé
des preuves qu'il avait recueillies. Dans ce docu
ment, l'inspecteur affirmait, entre autres, avoir
découvert que le requérant Doyle avait utilisé
Javelin pour s'enrichir frauduleusement aux
dépens des autres actionnaires de la compagnie.
Peu après, la Commission prévenait l'inspecteur, le
requérant et les autres intéressés qu'elle tiendrait
des audiences publiques à compter du 26 avril
1982. Depuis cette date jusqu'au mois de juin
1983, la Commission siégea ainsi pendant trente-
deux jours. Le requérant, qui demeure hors du
pays, ne se présenta pas aux audiences. Il y fut
cependant représenté par un avocat jusqu'au 21
juillet 1982; ce moment-là, celui-ci se retira des
audiences pour protester contre la façon dont la
Commission menait l'enquête; il n'y devait pas
revenir. Le 26 septembre 1983, la Commission
déposait son rapport auprès du ministre de la
Consommation et des Corporations; elle y con-
cluait que la plupart des allégations de fraude
formulées par l'inspecteur à l'encontre du requé-
rant étaient fondées et faisait les recommandations
qu'elle jugeait appropriées. C'est contre ce rapport
que le pourvoi du requérant est dirigé.
Le rapport de la Commission est signé par trois
membres de la Commission: le président, monsieur
Stoner, et deux commissaires, messieurs MacLel-
lan et Roseman. Il est constant que monsieur
Stoner a assisté à toutes les audiences qui ont
précédé le dépôt du rapport. Monsieur MacLellan,
lui, n'aurait pas été présent aux audiences des 24,
25 et 26 janvier 1983 2 ; il aurait été absent, aussi,
au début des séances des 28 et 29 mars 1983;
enfin, il se serait absenté pendant quelques minu
tes pendant la matinée du 30 mars et l'après-midi
du 5 avril 1983. Quant à monsieur Roseman, il se
serait absenté pendant une partie de la matinée et
tout l'après-midi le 29 juin ou le 21 juillet 1982. Il
n'est pas contesté que la Commission bénéficiait de
services de sténographie et de transcription qui
permettaient aux commissaires de prendre con-
naissance de ce qui s'était passé pendant leur
absence.
Ainsi, deux des trois signataires du rapport n'au-
raient pas entendu toute la preuve. C'est cette
irrégularité dont fait état l'avocat du requérant. Il
invoque la maxime «he who decides must hear» et
conclut qu'un seul des trois signataires du rapport
avait le pouvoir de le signer. Le rapport serait donc
nul pour deux raisons: premièrement, parce qu'il
aurait été signé valablement par une seule per-
sonne alors que la Loi fixe à deux le quorum de la
Commission 3 ; deuxièmement, parce qu'il suffit,
pour vicier une décision rendue par plusieurs per-
sonnes, qu'une seule d'entre elles ne possède pas le
pouvoir d'y participer.
À cela, les avocats des intimés ont répliqué:
que la règle relative au quorum avait été respec-
tée puisque la décision attaquée avait été signée
par trois membres de la Commission et puisque
deux d'entre eux avaient été toujours présents
pendant toute la durée des audiences;
que la règle «he who decides must hear» ne
s'appliquait pas en l'espèce parce que la Com
mission était chargée de formuler des recom-
mandations et non pas de prononcer une déci-
sion définissant les droits des parties en cause;
2 Les notes sténographiques prises lors des audiences indi-
quaient le nom des commissaires présents au début de chaque
audience. Suivant ces notes, monsieur MacLellan n'aurait pas
été présent au début des audiences des 24, 25 et 26 janvier et
des 28 et 29 mars 1983. Le 24 janvier, l'absence de monsieur
MacLellan fut remarquée et le président expliqua: «He has a
touch of flu and it is rather serious for the moment.» (Trans-
cription, vol. 17, p. 2278.) On peut donc présumer que mon
sieur MacLellan fut absent durant toutes les séances des 24, 25
et 26 janvier.
3 Voir: Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 16(8) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap.
76, art. 5).
que, de toute façon, le requérant, ayant renoncé
au droit de se faire entendre, ne peut être admis
à invoquer l'irrégularité dont il se plaint;
enfin, qu'il n'est pas établi que cette irrégularité
ait causé préjudice au requérant et que le rap
port de la Commission aurait été différent si
tous les commissaires avaient assisté à toutes les
audiences.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire à la décision
de cette affaire de déterminer si la règle qui fixe à
deux personnes le quorum de la Commission a été
respectée. Ce qui importe, c'est de savoir s'il y a
lieu d'appliquer ici la maxime «he who decides
must hear» qu'invoque le requérant.
Cette maxime exprime une règle bien connue
suivant laquelle, lorsque la loi charge un tribunal
d'entendre et décider une affaire, seuls les mem-
bres du tribunal qui ont entendu l'affaire peuvent
participer à la décision. On a parfois dit que cette
règle exprimait une conséquence de la règle audi
alteram partem 4 . Cela est vrai dans la mesure où
un justiciable n'est vraiment «entendu» que s'il est
entendu par celui qui décidera sa cause. Mais, à
mon avis, la règle exprime plus que cela; c'est une
règle qui touche véritablement à la compétence du
juge. A cause de cela, sa violation pourra être
invoquée même par le justiciable qui a renoncé à
se faire entendre par le tribunal qui l'a condamné.
Ainsi, le défendeur qui refuse volontairement de se
présenter à l'audience renonce par là au droit de se
faire entendre; il ne renonce pas, cependant, au
droit d'être jugé par un juge qui a pris connais-
sance de la preuve. Ceci dit, il faut voir que la
règle «he who decides must hear», si importante
qu'elle soit, est fondée sur la volonté présumée du
législateur. Elle ne s'applique donc pas lorsque le
législateur en a expressément écarté l'applications;
elle ne s'applique pas non plus lorsque l'étude de
l'ensemble des dispositions régissant l'activité d'un
tribunal conduit à croire que le législateur n'a pas
dû vouloir qu'elle s'y applique 6 . Enfin, lorsque la
4 Voir: Conseil de section du Barreau de Québec c. E. et
autre, [1953] R.L. 257 (B.R. Qué.), à la p. 265.
5 Voir: CRTC c. CTV Television Network Ltd. et autres,
[1982] 1 R.C.S. 530; Lipkovits c. Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes, [1983] 2 C.F. 321; 45
N.R. 383 (C.A.).
6 Voir: Reg. v. Race Relations Board, Ex parte Selvarajan,
[1975] 1 W.L.R. 1686 (C.A. Angl.).
règle s'applique à un tribunal, elle exige que tous
les membres de ce tribunal qui participent à une
décision aient entendu la preuve et les représenta-
tions des parties de la façon que la loi veut qu'elles
soient entendues. On ne pourra donc prétendre que
les exigences de la loi soient satisfaites du seul fait
que les membres du tribunal qui ont rendu une
décision avaient pris connaissance des preuves et
plaidoiries; la règle veut qu'ils en prennent con-
naissance de la façon qu'exige la loi.
Ces observations générales ne fournissent pas
une solution à ce litige. Elles permettent, du moins,
de rejeter certains arguments des intimés et de
cerner de plus près le problème à résoudre. Con-
trairement à ce qu'ont affirmé les avocats des
intimés, le seul fait que le requérant ait décidé de
ne pas se faire entendre par la Commission ne le
prive pas du droit de se plaindre de ce que tous les
commissaires qui ont signé le rapport n'aient pas
entendu toute la preuve; contrairement à ce qu'ils
ont aussi affirmé, le fait que les commissaires aient
pu, malgré leur absence des audiences, prendre
connaissance de la preuve ne s'oppose pas à ce que
la demande du requérant soit accueillie puisque ce
qui importe c'est de savoir si les trois commissaires
ont pris connaissance de la preuve de la façon
qu'exige la loi.
L'argument principal des avocats des intimés est
que la maxime «he who decides must hear» ne
s'applique qu'aux organismes judiciaires et quasi
judiciaires qui sont chargés de rendre des décisions
affectant directement les droits des parties; elle ne
s'appliquerait pas à la Commission qui, suivant
l'article 114, ne peut que formuler des recomman-
dations'.
7 n est vrai que la Cour a déjà décidé que le rapport que la
Commission a fait en l'espèce était une décision au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Mais la Cour en est
arrivée à cette conclusion pour le motif principal qu'un rapport
de la Commission qui contient une des recommandations dont
parle le paragraphe 114(27) n'est pas dépourvu d'effet juridi-
que puisqu'il a pour effet d'habiliter le Ministre à engager,
continuer ou régler des procédures au nom de la compagnie en
cause. Il reste, donc, qu'un rapport fait par la Commission
conformément aux paragraphes 114(25) et (27), malgré son
effet juridique, n'est pas une décision qui affecte directement
les droits des personnes contre qui il est fait.
Cet argument est d'importance. Dans l'abon-
dante jurisprudence citée par l'avocat du requé-
rant, je n'ai trouvé aucune décision où l'on avait
appliqué la maxime invoquée à un organisme
chargé de formuler de simples recommandations.
Dans toutes ces causes, il s'agissait d'organismes
judiciaires ou quasi judiciaires chargés de pronon-
cer des décisions affectant directement les droits
des parties 8 .
Mais il ne suffit pas, pour déterminer comment
la Commission devait recevoir les preuves qui lui
étaient soumises, de s'arrêter à la nature de la
décision qu'elle devait prononcer. Il faut aussi
prendre en considération l'ensemble des disposi
tions législatives qui régissent la Commission. Or,
il ressort des paragraphes 114(24), (25), (26) et
(29) que le législateur a voulu que la Commission
recueille les preuves et renseignements devant
servir à la confection de son rapport au cours
d'audiences auxquelles toutes les parties intéres-
sées seraient convoquées et auraient droit de se
faire entendre, en personne, ou par procureur; en
d'autres mots, il semble que le législateur ait atta
ché tant d'importance au rapport de la Commis
sion qu'il ait voulu que celle-ci tienne des audien
ces et que les auteurs du rapport prennent
connaissance de la preuve en assistant à ces
audiences. Il me semble donc ressortir de l'article
114 que les commissaires qui signent un rapport en
vertu du paragraphe 114(25) doivent être ceux qui
étaient présents lors des audiences tenues confor-
mément au paragraphe 114(24). Le fait que, en
l'espèce, deux des trois signataires du rapport
8 Voir: Foster v. City of Halifax, [1926] l D.L.R. 125
(C.S.N.-E.); Rex v. Huntingdon Confirming Authority. Ex
parte George and Stamford Hotels, Ld., [1929] l K.B. 698
(C.A.); Conseil de section du Barreau de Québec c. E. et autre,
[1953] R.L. 257 (B.R. Qué.); Mehr v. Law Society of Upper
Canada, [1955] R.C.S. 344; Re Ramm (1957), 7 D.L.R. (2d)
378 (C.A. Ont.); Hughes v. Seafarers' International Union of
North America, Canadian District & Heinekey (1961), 31
D.L.R. (2d) 441 (C.S.C.-B.); R. v. Committee on Works of
Halifax City Council, Ex p. Johnston (1962), 34 D.L.R. (2d)
45 (C.S.N.-E.); Re Rosenfeld and College of Physicians and
Surgeons (1969), II D.L.R. (3d) 148 (H.C. Ont.); R. v.
Broker -Dealers' Association of Ontario, Ex parte Saman
Investment Corporation Ltd., [1971] I O.R. 355 (H.C.); Re
Rogers: Rogers v. Prince Edward Island Land Use Commis
sion (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 484 (C.S.I.-P.-E.); Murray v.
Rockyview No. 44 (1980), 12 Alta. L.R. (2d) 342; 21 A.R. 512
(C.A.); Hayes v. Sask. Housing Corp., [1982] 3 W.W.R. 468
(B.R. Sask.).
n'aient pas assisté à toutes les audiences suffit à
vicier ce rapport de la même façon que s'il s'agis-
sait d'une décision judiciaire ou quasi judiciaire.
Je ferais donc droit à la demande et je casserais
le rapport attaqué.
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Mon collègue,
monsieur le juge Pratte, est d'avis que la Cour doit
donner effet à cette demande d'annulation faite en
vertu de l'article 28 et j'ai pu prendre connaissance
des motifs qu'il faisait valoir au soutien de sa
conclusion. Je le regrette, mais je n'arrive pas à me
convaincre de la justesse de sa façon de voir et je
n'ai d'autre choix que de m'en dissocier.
Rappelons brièvement ce dont il s'agit. Le 9 mai
1977, le ministre de la Consommation et des Cor
porations demandait à la Commission intimée de
procéder, sous l'autorité des dispositions de l'arti-
cle 114 de la Loi sur les corporations canadiennes
(S.R.C. 1970, chap. C-32 telle qu'amendée par
S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 10, art. 12, ci-après
la Loi) à un «examen», au sens ou l'entend la Loi,
des affaires de la compagnie Canadian Javelin
Ltée/Javelin International Ltée. Ayant jugé à
propos d'acquiescer, la Commission, comme elle
est requise de le faire, chargea d'abord un inspec-
teur de faire enquête et de lui soumettre un
«exposé des preuves recueillies», si ces preuves
paraissaient confirmer l'existence de l'un des faits
soupçonnés par le Ministre et invoqués au soutien
de sa demande d'examen. Sept mois plus tard,
dans un «exposé des preuves» qui comprenait quel-
que 292 exhibits et auquel étaient joints pas moins
de 27 volumes de transcription de témoignages,
l'inspecteur, confirmant les soupçons du Ministre,
formulait un certain nombre d'allégations de con-
duite frauduleuse à l'adresse de certaines person-
nes, dont le requérant. Une fois cet «exposé des
preuves» déposé et communiqué à tous les intéres-
sés, comme prescrit par la Loi (paragraphe
114(23)), la Commission organisa des séances
d'auditions au cours desquelles, toujours comme le
veut la Loi (paragraphe 114(24)), «les preuves et
les arguments à l'appui de l'exposé [furent] pré-
sentés par l'inspecteur ou en son nom» et «les
personnes contre lesquelles une allégation [avait]
été faite dans l'exposé» eurent «la possibilité de se
faire entendre en personne ou par procureur».
Trente-trois séances ou jours complets d'audition,
répartis sur une période de plus d'un an, devaient
s'avérer nécessaires. Le 26 septembre 1983, la
Commission remettait enfin au Ministre un rap
port de son examen où elle réitérait les assertions
de l'inspecteur, et exprimait en conséquence,
comme c'est son rôle, les recommandations qui lui
paraissaient appropriées.
C'est, on le sait, ce rapport que la demande
attaque et cherche à faire annuler. Les conséquen-
ces pratiques d'une telle annulation ne sont pas
claires, mais elles sont certes très sérieuses. Sans
doute, il ne s'agit pas d'un rapport qui ait pu créer
quelque droit ou obligation dans le patrimoine
d'individus ni avoir quelque portée sur la prise ou
la poursuite de procédures criminelles; mais son
dépôt serait, au terme du sous-paragraphe 114(27)
de la Loi, une condition préliminaire à l'exercice
des pouvoirs donnés au ministre «d'engager, de
continuer ou de régler des procédures au nom de la
compagnie dont les affaires et la gestion ont fait
l'objet de l'examen»». Et, de toute façon, une telle
annulation placera inévitablement la Commission
devant un dilemme extrêmement embarrassant et
fort onéreux: celui de laisser sans suite des dépen-
ses et efforts considérables encourus au nom de
l'intérêt public ou d'assumer les coûts additionnels
requis pour reprendre les auditions et préparer un
nouveau rapport. Aussi cette demande me paraît-
elle, par delà la question de principe, extrêmement
lourde de conséquences pratiques; et j'imagine mal
qu'elle puisse être accordée autrement que sur la
base d'un motif péremptoire tiré d'un état de fait
clairement établi.
Le requérant et ceux qui, avec lui, étaient impli-
qués par l'inspecteur ont déjà recouru à tous les
moyens procéduraux imaginables pour contrer les
travaux de la Commission: vingt-cinq demandes
intentées dans diverses juridictions ont déjà
échouées. Il se présente, aujourd'hui, avec une
requête sous l'article 28, qui, au milieu de motifs
9 C'est ce que cette Cour a considéré pour attribuer au
rapport le caractère d'une «décision» au sens de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale (décision du 20 janvier 1984 débou-
tant les intimés de leur requête en rejet).
de contestation sur lesquels la Cour n'a même pas
jugé à propos de s'arrêter—et qui, au reste, avaient
été invoqués ailleurs plus d'une fois sans succès—
fait valoir un moyen de dernière heure encore
inédit. Le requérant soutient que deux des trois
commissaires qui ont signé le rapport—qui sont, je
le rappelle, le président Stoner, le commissaire
MacLellan et le commissaire Roseman—n'ont pas
été présents à toutes les audiences, et qu'il s'agit là
d'une irrégularité qui, en droit, vicie irrémédiable-
ment la «décision» attaquée et la rend totalement
nulle.
Les détails relatifs aux absences dont la requête
fait état n'ont pas en eux-mêmes d'importance, en
définitive, mais il convient de connaître sur quoi
s'accroche la prétention et dans quel contexte de
faits se situe l'argument que l'on tente ici de faire
valoir.
Pour établir que les trois commissaires n'avaient
pas assisté à toutes les séances, le requérant a
d'abord produit l'affidavit de J.A. Silcoff, l'avocat
de l'une des personnes impliquées, qui contenait les
affirmations que voici:
[TRADUCTION] 4. Certains jours d'audience, il est arrivé que le
commissaire R.S. MacLellan ou le commissaire F. Roseman
s'absente de la salle d'audience durant toute la journée ou
durant une partie seulement de l'audience.
5. De façon plus précise, à ma connaissance, le commissaire
MacLellan s'est absenté de la salle d'audience, notamment, le
24 janvier 1983 durant toute la journée, le 30 mars 1983 durant
une brève période au cours de la matinée et, le 5 avril 1983,
durant une brève période au cours de l'après-midi.
6. De plus, à ma connaissance, le commissaire Roseman a été
absent de la salle d'audience le 15 décembre 1982 durant toute
la journée.
Puis, plus tard, il pensa ajouter l'affidavit de 1. L.
Golomb, un avocat américain qui avait été appelé
à témoigner, lequel deuxième affidavit disait ceci:
[TRADUCTION] 3. J'ai assisté à l'audience du 21 juillet 1982 à
Ottawa et j'y ai témoigné. J'ai donc une connaissance person-
nelle des faits énoncés ci-après.
4. De mémoire, le commissaire Roseman a posé plusieurs
questions dans la matinée et s'est ensuite retiré. Il n'est pas
revenu dans la matinée, ni dans l'après-midi et je ne l'ai pas
revu bien que je sois resté à la barre des témoins jusqu'à
l'ajournement ce jour-là.
Il faut dire tout de suite, relativement à ces deux
affidavits, que la séance du 15 décembre dont fait
état l'affidavit Silcoff au sujet du commissaire
Roseman n'était pas une séance d'audition mais
une simple rencontre avec procureurs pour régler
un certain nombre de questions d'administration et
de procédure. Il faut dire aussi que le contre-inter-
rogatoire auquel l'avocat Golomb a été soumis a
fait ressortir la fragilité de sa mémoire et que son
affirmation quant à l'absence du commissaire
Roseman le 21 juillet semblait clairement contre-
dite par ce que révélait la transcription des notes
d'audience des sténographes officiels pour ce
jour-là.
Et, à part ces deux affidavits, le requérant référa
à des extraits de transcription d'audience faisant
valoir ce qui suit (paragraphe 29 de son mémoire):
29. Tel qu'il appert des extraits des transcriptions, les sténogra-
phes indiquaient, en première page des transcriptions de chaque
journée d'audience, quels commissaires étaient présents à l'ou-
verture de chaque audience. Il ressort de ces extraits que le
commissaire Roseman était absent, au début de l'audience du
15 décembre 1982 (vol. 16) et que le commissaire MacLellan
était absent, au début des audiences des 24, 25 et 26 janvier
1983 (vol. 17, 18 et 19) et des audiences des 28 et 29 mars 1984
(vol. 24 et 25);
Là se trouve toute la preuve au dossier établis-
sant les absences de l'un ou de l'autre des commis-
saires aux quelque trente-trois jours pleins que
requéra l'audition devant la Commission. La
nature exceptionnelle de cette demande quant à ce
qu'elle met en jeu ne permet pas, je le soumets
avec respect, qu'on puisse se fier à des suppositions
ou des présomptions quant aux faits sur lesquels
elle prétend se fonder, et je considère que les seules
absences clairement établies, sur lesquelles le
requérant peut faire valoir sa prétention de droit,
sont celles du commissaire MacLellan telles qu'at-
testées par l'affidavit Silcoff, soit: le 24 janvier
pour la journée, le 30 mars pour une «brève
période» («brief period») durant la séance du matin
et le 5 avril, pour une «brève période» encore
durant la séance de l'après-midi. Je n'oublie pas les
indications aux transcriptions à l'effet que le com-
missaire MacLellan n'était pas présent à l'ouver-
ture des séances des 25 et 26 janvier ainsi que de
celles des 28 et 29 mars, mais je les interprète
comme indiquant de simples retards sans impor
tance, car s'il en était autrement l'affidavit Silcoff
en aurait sans doute vite fait mention. Voilà donc
le contexte factuel dans lequel doit s'apprécier
l'argument que le requérant fait valoir en droit.
La position du requérant sur le plan du droit est
que la Commission avait l'obligation de respecter
ce qu'il appelle «son droit d'être jugé par des
membres d'un tribunal qui ont été présents tout au
long des audiences». Elle avait cette obligation,
d'après lui, par application de la règle jurispruden-
tielle «nul ne peut juger sans avoir entendu la
cause», «he who decides must hear», et le moindre
défaut de sa part de respecter intégralement cette
obligation, dit-il, défaut qui peut être invoqué au
titre de déni de justice ou d'excès de compétence,
emporte nullité de ses procédés et partant nullité
de la «décision» attaquée.
Ce moyen de droit du requérant, mon collègue,
monsieur le juge Pratte, croit devoir le retenir. Il
rejette l'idée avancée par les intimés à l'effet que
l'application de la règle invoquée serait rattachée à
la question de savoir si le quorum de deux commis-
saires, requis pour que la Commission puisse agir
légalement, a été respecté. Il n'admet pas non plus
que le fait que le requérant ait décidé de ne pas se
faire entendre par la Commission puisse affecter
sa position car, à son avis, la règle invoquée ne
serait pas une simple application de la maxime
audi alteram partem, mais elle se rapporterait
véritablement à la compétence du juge. Il concède
qu'il ne semble exister dans la jurisprudence aucun
cas où cette règle «he who decides must hear»
aurait été appliquée à un organisme, comme la
Commission, chargé de formuler de simples
recommandations. Mais il se dit d'avis qu'il s'agit
d'une règle fondée sur la volonté présumée du
législateur et il lui semble, à la lecture des para-
graphes 114(24), (25), (26) et (29), que le législa-
teur ici a attaché tant d'importance au rapport de
la Commission qu'il doit avoir voulu que seuls les
commissaires présents à toutes et chacune des
audiences puissent le signer.
Ma réaction devant les prétentions de droit du
requérant est toute autre. D'abord, je ne parviens
pas à déceler dans la Loi une intention présumée
du législateur d'imposer le respect de la règle
invoquée. On y voit bien que le Parlement, sensible
aux répercussions que les dires de la Commission
pourraient avoir sur la réputation d'individus,
même si leur objet ne devait être que d'exprimer
des opinions et formuler des recommandations, n'a
pas voulu qu'un rapport d'«examen» soit préparé et
soumis sans que tous les intéressés aient eu l'op-
portunité de s'exprimer. On y voit bien aussi que le
Parlement, tenant compte de ce qu'une opportu-
nité de s'exprimer peut être plus ou moins élabo-
rée, a tenu à prévoir expressément que les intéres-
sés devraient avoir la possibilité de comparaître
personnellement ou par procureur et la pleine
liberté de soumettre des preuves. Mais on ne sau-
rait, il me semble, faire dire à la Loi plus que cela
et voir à travers ses dispositions une intention
présumée quelconque. Bien plus, si on ne regarde
que les textes, on est conduit, je le suggère, à une
conclusion inverse de celle qui conduirait à l'appli-
cation de la règle invoquée. Relisons les textes en
cause:
114....
(23) A tout stade d'un examen
a) l'inspecteur peut, s'il est d'avis que les preuves recueillies
révèlent un fait allégué comme l'indique le paragraphe (2),
ou
b) l'inspecteur doit, si le Ministre l'exige,
préparer un exposé des preuves recueillies au cours de l'examen,
qui doit être soumis à la Commission et à chaque personne
contre laquelle une allégation y est faite.
(24) Au reçu de l'exposé, la Commission doit fixer les temps
et lieu où les preuves et les arguments à l'appui de l'exposé
peuvent être présentés par l'inspecteur ou en son nom et où les
personnes contre lesquelles une allégation a été faite dans
l'exposé doivent avoir la possibilité de se faire entendre en
personne ou par procureur.
(25) La Commission examinera l'exposé soumis par l'inspec-
teur en vertu du paragraphe (23) ainsi que les autres preuves ou
pièces présentées à la Commission et elle devra aussitôt que
possible en faire rapport au Ministre.
Il n'est question dans ces textes, on l'a noté une
fois de plus, que de la Commission, non de mem-
bres. C'est la Commission qui reçoit le rapport de
l'inspecteur, c'est la Commission qui tient les
audiences, et c'est la Commission qui fait rapport
après avoir examiné «l'exposé des preuves» et les
autres preuves ou pièces qui lui ont été présentées
au cours des séances d'audition. Partout c'est la
Commission qui agit et la Commission a unique-
ment besoin de deux membres pour agir.
Il ne me paraît donc pas possible, je le dis avec
pleins égards pour ceux qui sont d'avis contraire,
que cette obligation stricte et rigide qu'invoque le
requérant au soutien de sa thèse—l'obligation, je
le répète, d'éviter qu'un commissaire qui s'absente-
rait le moindrement des audiences tenues par elle
en vue de la préparation d'un rapport sous l'article
114 participe à la préparation de ce rapport—
puisse être vue comme ayant sa source dans la Loi.
Il ne me paraît pas possible non plus de lier de
quelque façon l'existence d'une telle obligation à la
tradition juridique touchant les exigences de l'ad-
ministration de la justice (à quoi se rattache
d'abord, je pense, cette maxime proprement de
droit anglais à laquelle il est fait appel «he who
decides must hear», du moins dans le sens où la
jurisprudence l'applique), car la Commission n'est
pas un tribunal judiciaire, elle n'a aucun rôle
d'adjudication, aucun pouvoir de détermination
des droits d'individus.
Il ne reste, je le soumets, qu'une seule autre
source possible. Si l'obligation qu'invoque le requé-
rant existe, ce ne peut être que parce qu'elle est la
contrepartie du droit que la Loi donne à tout
intéressé de se faire entendre devant la Commis
sion. Et seulement réaliser qu'il en est ainsi est, à
mon sens, décisif. Il s'agirait alors, en effet, de
l'obligation de fournir à l'intéressé l'opportunité de
comparaître et de se faire entendre oralement,
pendant toute la durée de chacune des 33 séances,
par les mêmes deux membres de la Commission
formant quorum, et cette obligation aurait été
remplie puisque la preuve, comme je le faisais
valoir plus haut, ne permet de contester l'assiduité
absolue que d'un seul des trois signataires du
rapport. Au surplus, en refusant de comparaître,
même par procureur, à la grande majorité des
audiences, le requérant aurait évidemment renoncé
à son droit de se faire entendre et ne pourrait pas
se plaindre qu'on ne l'ait pas respecté. Mais de
toute façon, je ne crois pas qu'une obligation aussi
stricte et rigoureuse que celle invoquée par le
requérant puisse être vue comme une simple con-
trepartie du droit donné ici aux intéressés de se
faire entendre. Pourrait-on soutenir sérieusement
qu'en permettant qu'un commissaire sur les trois
chargés de l'examen s'absente pour un temps rela-
tivement aussi minime, alors que tout ce qui se
passe pendant son absence est enregistré et lui est
fidèlement rapporté, la Commission transgresse le
droit accordé par la Loi aux intéressés de compa-
raître devant elle pour lui soumettre leurs preuves
et faire valoir leur point de vue.
Cette demande ne me paraît pas avoir de mérite
et je la rejetterais.
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