A-188-83
Edward Fat Law (demandeur) (appelant)
c.
Solliciteur général du Canada et ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration (défendeurs) (intimés)
Cour d'appel, juges Ryan, Hugessen et Stone—
Toronto, 5 avril; Ottawa, 18 mai 1984.
Immigration — Compétence de la Commission d'appel de
l'immigration — La Commission a-t-elle compétence exclu
sive, en vertu de l'art. 59 de la Loi sur l'immigration de 1976,
pour statuer sur des questions relatives à la validité des
attestations délivrées sous le régime de l'art. 83 l'obligeant à
rejeter l'appel pour des motifs d'intérêt national, et les dispo
sitions privatives de l'art. 59 écartent-elles la compétence de la
Division de première instance? — Puisque l'attestation diffère
d'une ordonnance de renvoi, le pouvoir de la Commission de
statuer sur l'attestation fondée sur l'art. 83 ne découle pas du
seul art. 59; en conséquence, la compétence n'est pas exclusive
et n'est pas visée par les dispositions privatives de cet article
— Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art.
59, 72, 83, 84 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2'
Supp.), chap. 10, art. 18(1) — Loi sur la Commission d'appel
de l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-3, art. 21.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits prévus
par la loi — Immigration — L'attestation délivrée en vertu de
l'art. 83 de la Loi sur l'immigration de 1976 obligeant la
Commission d'appel de l'immigration à rejeter l'appel pour
des motifs d'intérêt national va-t-elle à l'encontre de l'art. 7
de la Charte? — L'arrêt Praia c. Ministre de la Main-d'œuvre
et de l'Immigration rendu par la Cour suprême du Canada
avant la promulgation de la Charte ne tranche pas, de façon
concluante, l'argument selon lequel l'art. 83 de la Loi sur
l'immigration va à l'encontre de la Charte — Cette question
devrait être examinée par la Commission à l'audition de
l'appel — L'allégation selon laquelle il y a eu déni de l'obliga-
tion d'agir équitablement à l'égard de l'appelant soulève la
question de savoir si ces droits ont été subsumés par l'art. 7 de
la Charte — La Commission devrait être saisie de la question
— Si la Charte est inapplicable, un recours est possible en
vertu de l'art. 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale; si elle est
applicable, appel peut être interjeté sous le régime de l'art. 84
de la Loi sur l'immigration — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 1, 7, 24, 52(1).
Au cours d'un appel, interjeté sous le régime de l'alinéa
72(1)b) de la Loi sur l'immigration de 1976, d'une ordonnance
de renvoi rendue contre l'appelant, les intimés ont déposé, en
vertu de l'article 83 de la Loi, une attestation obligeant,
essentiellement, la Commission à rejeter l'appel pour des motifs
d'intérêt national. L'appelant a cherché à contester l'attestation
devant la Division de première instance, alléguant, essentielle-
ment, que, en déposant cette attestation, les intimés avaient
violé l'obligation d'agir équitablement à l'égard du demandeur
et que l'article 83 de la Loi va à l'encontre de la Charte.
Appel est interjeté du jugement par lequel la Division de
première instance a radié la déclaration du demandeur et a
rejeté l'action. Le juge de première instance a décidé que le
paragraphe 59(1) de la Loi conférait à la Commission d'appel
de l'immigration une compétence exclusive pour statuer sur
toutes les questions de droit relatives à l'ordonnance de renvoi
dont appel, et qu'il n'avait donc pas compétence pour connaître
de l'action. La principale question de droit est de savoir si, étant
donné l'adoption de la Charte et l'interprétation judiciaire de
l'obligation d'agir équitablement, l'arrêt Prata rendu par la
Cour suprême du Canada avant l'adoption de la Charte, où des
questions semblables à celles soulevées par l'appelant ont été
tranchées, s'applique encore.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli, les paragraphes perti-
nents de la déclaration radiés et l'action du demandeur suspen-
due en attendant la décision de la Commission dans l'appel.
Le juge Stone (le juge Ryan y souscrit): Puisque la question
de savoir si l'attestation n'a pas été valablement délivrée en
vertu de l'article 83 de la Loi n'est pas, en tant que telle,
relative à la confection d'une ordonnance de renvoi, les disposi
tions privatives de l'article 59 conférant à la Commission une
compétence exclusive ne s'appliquent pas.
Toutefois, la Commission a effectivement compétence pour
décider si l'article 83 va à l'encontre de l'article 7 de la Charte
et si l'attestation fondée sur l'article 83 est donc sans effet.
L'arrêt Prata rendu par la Cour suprême du Canada ne saurait
être considéré comme tranchant, de façon concluante, la ques
tion. Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la question, il y a lieu de
surseoir à l'action.
L'allégation de déni d'équité soulève la question de savoir si
les droits découlant de l'application de la doctrine d'équité ont
été subsumés par l'article 7 de la Charte, et l'appelant devrait
avoir la possibilité de faire valoir cet argument devant la
Commission. Selon les décisions de la Commission sur les
questions susmentionnées, des recours seront possibles devant la
Division de première instance sous le régime du paragraphe
18(1) de la Loi sur la Cour fédérale ou devant la Cour en vertu
de l'article 84 de la Loi sur l'immigration de 1976.
Le juge Hugessen: Il existe suffisamment de différences entre
la situation de l'arrêt Prata et celle de l'espèce pour écarter la
radiation de la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle
aucune cause soutenable.
Quant à la question de compétence, l'arrêt Pringle et autre c.
Fraser rendu par la Cour suprême du Canada établit que la
compétence exclusive de la Commission s'étend aux questions
concernant l'étendue de sa propre compétence. A ce sujet, on
peut distinguer l'arrêt Prata de l'espèce. Le fait que la Com
mission ait également compétence pour déclarer l'attestation
invalide (mais non pour faire une déclaration formelle d'invali-
dité), découle de sa compétence d'appel sous le régime de
l'article 72 de la Loi. Toutefois, puisque les questions relatives à
la validité, à la portée et à l'effet d'une attestation fondée sur
l'article 83 ne sont pas des questions relatives à la confection
d'une ordonnance de renvoi, alors le pouvoir de statuer sur ces
questions ne découle pas du seul article 59. En conséquence,
cette- compétence n'est pas exclusive et n'est pas visée par les
dispositions privatives de cet article de manière à écarter la
compétence de la Division de première instance. Puisque la
décision de l'instance inférieure reposait uniquement sur la
conclusion que la compétence de la Commission était exclusive,
il s'ensuit que l'appel doit être accueilli et la décision infirmée.
Toutefois, il y a lieu de surseoir à l'action jusqu'à ce que la
Commission ait statué sur l'appel dont elle est saisie.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Prata c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigra-
tion, [1976] 1 R.C.S. 376.
DÉCISIONS CITÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Pringle et
autre c. Fraser, [1972] R.C.S. 821.
AVOCATS:
Paul D. Copeland pour le demandeur
(appelant).
Brian R. Evernden pour les défendeurs
(intimés).
PROCUREURS:
Copeland, Liss, Toronto, pour le demandeur
(appelant).
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est formé d'un juge-
ment de la Division de première instance [ [ 1983] 2
C.F. 181 ] radiant la déclaration du demandeur et
rejetant l'action avec dépens.
Par son action, le demandeur avait sollicité un
jugement déclaratoire qui aurait, essentiellement,
annulé les conséquences d'une attestation délivrée
par les ministres intimés et déposée auprès de la
Commission d'appel de l'immigration en vertu de
l'article 83 de la Loi sur l'immigration de 1976
[S.C. 1976-77, chap. 52]. Cette attestation oblige
la Commission à rejeter l'appel que le demandeur
avait formé sous le régime de l'article 72 de la Loi.
En bref, à l'appui de son action, le demandeur
avait invoqué les motifs que, en délivrant l'attesta-
tion, les intimés avaient violé l'obligation d'agir
équitablement à son égard et que, en tout état de
cause, l'article 83 va à l'encontre de l'article 7 de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)].
Les questions soulevées par l'action du deman-
deur ressemblent beaucoup à celles qui ont été
tranchées par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376. Elles ne sont
toutefois pas identiques car à l'époque où l'arrêt
Prata a été rendu, l'évolution jurisprudentielle de
l'obligation de l'administration d'agir équitable-
ment était encore à ses débuts au Canada et, bien
entendu, la Charte des droits n'existait même pas.
C'est pour cette raison que le juge de première
instance a refusé de radier la déclaration au motif
que l'arrêt Prata vouait l'action à l'échec. Il dit
ceci [aux pages 186 et 187]:
Refuser sommairement au demandeur la possibilité d'un réexa-
men judiciaire de l'arrêt Prata à la lumière de la Charte serait
un exercice abusif du pouvoir discrétionnaire. Au surplus,
compte tenu de l'évolution rapide du droit, il peut y avoir
d'autres raisons qui militent en faveur d'un tel réexamen. Il n'y
a pas lieu de rejeter cette action pour le motif que la déclara-
tion ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Certes, je ne voudrais pas qu'on croie que je
souscris à la proposition que- tout demandeur qui
souhaite remettre en question un point déjà tran-
ché de façon décisive par la Cour suprême devrait
être autorisé à le faire. Mais je conviendrais qu'il
existe suffisamment de différences entre la situa
tion de l'arrêt Prata et celle de l'espèce pour
écarter la radiation de la déclaration pour le motif
qu'elle ne révèle aucune cause soutenable.
La décision du juge de première instance de
radier la déclaration repose sur l'opinion que les
questions soulevées par le demandeur relèvent de
la compétence exclusive de la Commission d'appel
de l'immigration. Se fondant sur l'article 59 de la
Loi sur l'immigration de 1976, il a jugé que la
Commission avait compétence pour trancher la
question de l'obligation d'être équitable. Il a égale-
ment décidé que la Commission est un «tribunal
compétent» au sens de l'article 24 de la Charte,
aux fins de statuer sur I'argument fondé sur l'arti-
cle 7 de la Charte. Logiquement, cette dernière
conclusion n'est que le corollaire de la première, et
la question fondamentale est de savoir si la Com
mission a compétence pour trancher les questions
relatives à la validité d'une attestation fondée sur
l'article 83.
La Commission d'appel de l'immigration est une
cour d'archives. L'article 59 de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 lui confère une:
59. (1) ... compétence exclusive ... pour entendre et juger
sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de
compétence, relatives à la confection d'une ordonnance de
renvoi ...
Bien qu'il puisse être tentant de dire que la compé-
tence exclusive de la Commission ne saurait s'éten-
dre aux questions concernant l'étendue de sa
propre compétence, puisque c'est là uniquement
l'attribut d'une cour supérieure, le faire serait aller
contre l'arrêt de la Cour suprême Pringle et autre
c. Fraser, [1972] R.C.S. 821. Dans cette affaire, le
juge Laskin [tel était alors son titre], qui rendait
l'arrêt de la Cour, a décidé [à la page 826] que les
termes identiques à ceux qu'on trouve maintenant
dans l'article 59
... suffisent non seulement à revêtir la Commission de l'auto-
rité déclarée mais encore à empêcher toute autre cour ou tout
autre tribunal d'être saisis de tout genre de procédures, que ce
soit par voie de certiorari ou autrement, relativement aux
matières ainsi réservées exclusivement à la Commission.
En cherchant à restreindre la portée de l'article
59, selon l'interprétation donnée dans l'affaire
Pringle, l'appelant souligne l'extrait suivant des
motifs du juge Martland, qui a rédigé les motifs de
la Cour dans l'arrêt Prata [à la page 382]:
Je voudrais de plus signaler qu'en l'espèce, la Commission
n'avait pas d'autre choix, sur production d'un certificat, que de
décider, vu le texte de l'art. 21, qu'elle ne pouvait traiter la
demande de l'appelant en vue d'un redressement en vertu de
l'art. 15 de la façon dont elle l'a fait. Je ne vois pas comment
une commission statutaire, possédant une compétence détermi-
née, aurait le pouvoir de déclarer invalide le certificat qui a été
produit auprès d'elle. Le contrôle de l'exercice des pouvoirs
administratifs, lorsqu'il existe, n'est pas dévolu à une commis
sion statutaire à moins qu'une disposition législative expresse ne
le lui confère. [C'est moi qui souligne.]
Avec déférence, il me semble que ce passage
doive être interprété dans son contexte et, en parti-
culier, à la lumière du libellé de l'ancien article 21
de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration (S.R.C. 1970, chap. I-3 [abrogée par S.C.
1976-77, chap. 52, art. 128]). Cet article, bien que
semblable à l'article 83 actuel, a été formulé en
termes qui n'attribuent manifestement pas compé-
tence à la Commission:
... la Commission ne doit pas ... surseoir ...
Par contre, l'article 83 affirme le pouvoir d'agir de
la Commission, mais d'une façon particulière:
... la Commission doit rejeter ...
Avant d'agir ainsi, la Commission doit nécessaire-
ment conclure qu'elle est devant une attestation
valide. Si elle peut déclarer l'attestation valide, elle
doit avoir également le pouvoir de la déclarer
invalide. Son pouvoir à cet égard découle nécessai-
rement de sa compétence d'appel sous le régime de
l'article 72 de la Loi. Cela ne veut pas dire que la
Commission pourrait faire une déclaration for-
melle d'invalidité (ce que, en tout état de cause,
l'action, telle qu'elle a été intentée, recherche uni-
quement par implication). Toutefois, elle a effecti-
vement le pouvoir de statuer sur les motifs invo-
qués pour étayer l'action.
À mon avis, la question la plus importante qui se
pose en l'espèce n'est pas de savoir si la Commis
sion d'appel de l'immigration a compétence pour
trancher les questions soulevées dans la présente
action, mais plutôt de savoir si une telle compé-
tence est exclusive. Je reviens de nouveau à l'arti-
cle 59. La compétence exclusive de la Commission
s'étend aux questions
... relatives à la confection d'une ordonnance de renvoi ...
Les questions relatives à la validité, à la portée et à
l'effet d'une attestation fondée sur l'article 83 ne
sont pas des questions relatives à la confection
d'une ordonnance de renvoi. En fait, l'attestation
elle-même n'a rien à voir avec l'ordonnance de
renvoi. Elle est postérieure à celle-ci et n'influe pas
sur l'ordonnance elle-même, mais sur la façon dont
la Commission doit statuer sur un appel dont elle
est saisie.
Il s'ensuit, à mon avis, que le pouvoir de la
Commission de statuer sur l'attestation fondée sur
l'article 83 ne découle pas du seul article 59. En
conséquence, une telle compétence n'est pas exclu
sive et n'est pas visée par les dispositions privatives
de cet article de manière à écarter la compétence
de la Division de première instance.
Puisque le juge de première instance a fondé sa
décision uniquement sur sa conclusion que la com-
pétence de la Commission était exclusive, il s'en-
suit que l'appel doit être accueilli et la décision
infirmée. Il ne s'ensuit toutefois pas qu'on devrait
permettre à l'action de suivre son cours. Ainsi que
le juge de première instance l'a dit avec justesse,
les circonstances sont telles qu'il est dans l'intérêt
de la justice de surseoir à l'action puisque la
Commission est déjà saisie de l'appel de l'appelant,
qu'elle a le pouvoir de statuer sur les questions
soulevées ici, et que toute décision rendue peut
faire l'objet d'un appel devant cette Cour sur des
questions de droit ou de compétence.
De toute façon, les avocats ont convenu à l'audi-
tion de radier les paragraphes 11 et 12c) de la
déclaration.
J'accueillerais l'appel et je remplacerais l'ordon-
nance de la Division de première instance par une
ordonnance portant radiation des paragraphes 11
et 12c) de la déclaration et suspension de l'action.
Le demandeur a droit à ses dépens en appel, les
défendeurs aux leurs dans la requête en suspension
introduite devant la Division de première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: J'ai pris connaissance des
motifs de jugement proposés par le juge Hugessen
et je conviendrais que le présent appel doit être
accueilli, et l'action suspendue.
Au paragraphe 8 de sa déclaration déposée le 14
décembre 1982 devant la Division de première
instance, l'appelant fait cette allégation:
[TRADUCTION] 8. Le 20 juillet et le 3 août 1982, conformé-
ment à l'article 83 de la Loi sur l'immigration de 1976, le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur général
du Canada ont respectivement signé une attestation portant
qu'à leur avis, compte tenu des rapports secrets en matière de
criminalité qu'ils ont examinés, la Commission d'appel de
l'immigration irait à l'encontre de l'intérêt national si, dans
l'exercice du pouvoir que lui confèrent les paragraphes 75(1) et
76(3) de la Loi, elle ne rejetait pas l'appel formé par le
demandeur en vertu de l'alinéa 72(1)b).
L'appelant soutient au paragraphe 12b) de la
déclaration que l'article 83 de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 enfreint la Charte canadienne des
droits et libertés. Au débat tant en appel que
devant la Division de première instance, l'appelant
s'appuie expressément sur l'article 7 de la Charte,
lequel est ainsi conçu:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
À mon avis, l'arrêt Prata c. Ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration' que la Cour
suprême du Canada a rendu avant la promulgation
de la Charte ne saurait être considéré comme
tranchant, de façon concluante, la question soule-
vée au paragraphe 12b) de la déclaration. Avec
respect, je serais de l'avis du juge de première
instance [aux pages 186 et 187] que «Refuser
sommairement au demandeur la possibilité d'un
réexamen judiciaire de l'arrêt Prata à la lumière
de la Charte serait un exercice abusif du pouvoir
discrétionnaire.» Il incombe toutefois à la Commis
sion de statuer sur l'appel. A mon avis, il serait
tout à fait approprié que, en déterminant s'il faut
se conformer à l'injonction de la Loi, la Commis
sion doive examiner la question de savoir si elle
doit rejeter l'appel malgré l'article 7 de la Charte.
En vertu du paragraphe 52(1) de la Charte, la
Constitution du Canada, dont la Charte fait
partie,
52. (1) . .. est la loi suprême du Canada; elle rend inopéran-
tes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Donc, à mon avis, la Commission pouvait décider,
dans l'appel en cours, si l'article 83 de la Loi va, en
fait, à l'encontre de l'article 7 de la Charte. Si elle
concluait à l'affirmative, le paragraphe 52(1) de la
Charte rendrait alors «inopérantes» les dispositions
incompatibles de l'article 83. En conséquence, l'at-
testation délivrée en vertu de ses dispositions serait
probablement sans effet et la Commission ne sau-
rait y donner suite. En arrivant à une telle conclu
sion, la Commission aurait à examiner l'incidence
possible sur la question des autres dispositions de
la Charte, notamment la question de savoir si
l'article 83 doit être considéré comme constituant
une limite raisonnable, au sens de l'article 1, des
droits et libertés par ailleurs garantis.
Je conviens que la question de savoir si l'attesta-
tion a été valablement délivrée en vertu de l'article
83 de la Loi n'est pas, en tant que telle, «relative
[...] à la confection d'une ordonnance de renvoi».
L'ordonnance de renvoi avait déjà été rendue et la
question que la Commission devait trancher dans
l'appel était de savoir s'il y avait lieu de surseoir à
son exécution. En fait, la suspension d'exécution
était en vigueur aux dates de signature de l'attesta-
tion. Les dispositions privatives qu'on trouve dans
1 [1976] 1 R.C.S. 376.
l'article 59 de la Loi par lesquelles la Commission
est dotée d'une compétence «exclusive» à l'égard de
certaines questions ne s'appliquent pas. Un appel
est maintenant en cours devant la Commission. A
mon avis, en décidant si elle doit rejeter cet appel,
la Commission peut examiner l'argument que la
Charte a rendu inopérant l'article 83 dans la
mesure où cet article serait incompatible avec
l'article 7, et elle peut, si elle en est persuadée,
faire droit à cet argument. Jusqu'à ce qu'il ait été
statué sur cette question, j'estime qu'il y a lieu de
surseoir à la présente action.
Le redressement demandé dans la déclaration
n'est pas limité à un recours fondé sur la Charte.
Au paragraphe 12a) de la déclaration, l'appelant
réclame:
[TRADUCTION] 12. ...
a) Un jugement déclaratoire portant que les défendeurs sont
tenus d'informer le demandeur des allégations générales
portées contre lui et de lui permettre de faire des observa
tions avant que ne soit établie à son sujet une attestation
visée par l'article 83.
Au débat tenu devant la Cour, il est devenu clair
que cette demande particulière repose sur l'alléga-
tion qu'il y a eu, de la part des ministres en cause,
omission, lors de la délivrance de l'attestation, de
respecter la doctrine d'«équité» énoncée par la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Board of Commis
sioners of Police 2 . Cela soulève la question de
savoir si les droits découlant de l'application de
cette doctrine ont été subsumés par l'article 7 de la
Charte qui assure, entre autres, qu'il ne peut être
porté atteinte au droit de l'appelante garanti par
cet article «qu'en conformité avec les principes de
justice fondamentale». La jurisprudence aura
encore à trancher cette question, et il n'est pas
nécessaire de statuer sur celle-ci dans le présent
appel. À mon avis, l'appelant devrait avoir la
possibilité de faire valoir cet argument devant la
Commission. Si, d'autre part, on déclarait que ce
redressement ne relève pas de la Charte, j'estime
que la Commission ne pourrait, pour reprendre
l'expression utilisée par le juge Martland dans
l'arrêt Prata [à la page 382], «déclarer invalide le
certificat». Un tel redressement serait possible sous
le régime du paragraphe 18(1) de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10],
qui confère à la Division de première instance le
2 [1979] 1 R.C.S. 311.
pouvoir d'entendre la demande formulée au para-
graphe 12a) et d'accorder le genre de redressement
sollicité.
En conséquence, je suis d'accord avec l'ordon-
nance proposée par le juge Hugessen. Je ne pense
pas qu'une suspension de l'action porte préjudice à
l'appelant. Au cas où il ne serait pas satisfait d'une
décision rendue par la Commission, il peut, en
vertu de l'article 84 de la Loi, en faire appel
devant cette cour. Si, au lieu de cela, la Charte
était déclarée inapplicable, il lui serait loisible de
poursuivre son action devant la Division de pre-
mière instance.
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.