T-190-85
Brink's Canada Limited (requérante)
c.
Conseil canadien des relations du travail et Gene
ral Teamsters Local Union 979 (intimés)
Division de première instance, juge Strayer—Win-
nipeg, 5 février; Ottawa, 25 février 1985.
Compétence — Cour fédérale — Division de première ins
tance — Demande tendant à interdire au Conseil d'examiner
la demande d'accréditation — Le syndicat, accrédité en vertu
d'une loi provinciale, demande à être accrédité, en vertu de la
loi fédérale, à titre d'agent négociateur d'un groupe d'em-
ployés de la requérante — L'art. 122 du Code prévoit que les
décisions du Conseil ne peuvent être révisées, sauf par la Cour
d'appel fédérale conformément à l'art. 28(1)a) de la Loi sur la
Cour fédérale — L'art. 28(1)a) ne s'applique pas parce qu'au-
cune «décision, n'a encore été prise — Demande rejetée
L'art. 122 interdit à la Division de première instance d'exami-
ner la question de compétence suivante: l'entreprise de la
requérante est-elle une entreprise, une affaire ou un ouvrage
de compétence fédérale? — Le législateur n'a attribué à la
Division de première instance aucun rôle dans l'«exécution» du
Code — Examen de l'incidence de l'arrêt Conseil canadien des
relations du travail et autre c. Paul l'Anglais Inc. et autre,
/1983J 1 R.C.S. 147 — Le résultat est absurde parce qu'aucun
contrôle judiciaire n'est possible devant la Cour fédérale alors
que les cours supérieures des provinces peuvent simultanément
être saisies de demandes — Évolution du droit relatif au
contrôle judiciaire pour la protection du système fédéral —
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 122
(mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18, 28 — Loi
constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
/S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5/ (mod. par la Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1), art. 91, 92, 101 — Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 52.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Compé-
tence du Conseil canadien des relations du travail — S'agit-il
d'une entreprise, d'une affaire ou d'un ouvrage de compétence
fédérale? — La Division de première instance de la Cour
fédérale n'a pas compétence pour connaître d'une question
constitutionnelle — L'arrêt Paul l'Anglais n'établit pas le
principe selon lequel le contrôle judiciaire sur les procédures
du Conseil doit être possible lorsqu'il s'agit du partage des
pouvoirs — Compétence enchâssée des cours supérieures des
provinces qui est à l'abri de la législation fédérale et provin-
ciale — La Cour fédérale doit appliquer la Constitution pour
assurer l'exécution des lois du Canada — L'aptitude de la
Cour à s'acquitter de son obligation est limitée par le Code
canadien du travail — Nous arrivons à un résultat absurde en
disant que la garantie fondamentale d'un contrôle judiciaire
dans la Constitution est possible devant les cours prévues à
l'art. 96 — D'après la jurisprudence, une législature ne peut,
par une loi refusant un moyen de contester la validité de
celle-ci, faire comme si cette loi était valide — Interprétation
restrictive de la Loi constitutionnelle de 1867, art. 101 — Sens
de l'expression «nonobstant toute disposition de la présente
loi» — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art.
122 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43) — Loi constitu-
tionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) IS.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 96, 101.
Relations du travail — Compétence du Conseil canadien des
relations du travail — Le syndicat intimé demande à être
accrédité en vertu de la loi fédérale — La requérante fait
valoir que le Conseil ne peut se donner compétence en con-
cluant â tort que l'entreprise de la requérante constitue une
entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale
— En vertu de l'art. 122, la Division de première instance de la
Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître de la
demande — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1,
art. 122 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43).
Il est demandé un bref de prohibition interdisant au Conseil
d'examiner davantage une demande d'accréditation, et un juge-
ment déclarant que le Conseil n'a pas observé les principes de
justice naturelle et qu'il ne peut se donner compétence en
concluant à tort que l'entreprise de la requérante constitue une
entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale.
Le syndicat a saisi le Conseil d'une requête en accréditation, en
vertu de la loi fédérale, en qualité d'agent négociateur d'un
groupe d'employés de la requérante. Celle-ci a contesté la
compétence du Conseil, alléguant que son entreprise ne relève
pas de la compétence fédérale sous le régime du Code canadien
du travail. Les intimés prétendent que, compte tenu de l'article
122 du Code, la Division de première instance n'a pas compé-
tence pour réviser les décisions du Conseil. L'article 122 prévoit
que les décisions du Conseil ne peuvent être révisées par un
tribunal si ce n'est par la Cour d'appel fédérale conformément
à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. L'alinéa
28(1)a) ne s'applique pas parce qu'aucune «décision» au sens de
l'article 28 n'a encore été prise. Il y a à déterminer si l'article
122 empêche la Division de première instance d'examiner la
question de compétence suivante: l'entreprise de la requérante
est-elle une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compé-
tence fédérale?
Jugement: la demande doit être rejetée.
Dans l'arrêt Conseil canadien des relations du travail et
autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147, la
Cour suprême du Canada a jugé que, malgré l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale et l'article 122 du Code, les cours
supérieures des provinces ont la compétence inhérente de déter-
miner si l'application d'une loi fédérale est telle qu'il y aurait
empiétement sur la compétence provinciale.
Le rôle de la Cour fédérale dépend de la façon dont le
Parlement attribue, en vertu de l'article 101 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867, certaines responsabilités «pour assurer la
meilleure exécution des lois du Canada». La Cour fédérale ne
saurait procéder à de telles instructions à moins que le législa-
teur ne lui ait confié ce rôle dans une situation particulière qui
concerne l'«exécution des lois du Canada». En vertu de l'article
122, la Division de première instance de la Cour fédérale se
trouve exclue, et le rôle de la Cour d'appel fédérale est limité.
Ne jouant aucun rôle dans l'»exécution» du Code, la Division de
première instance ne saurait déterminer si, dans la présente
situation, le Code peut constitutionnellement s'appliquer à l'en-
treprise de la requérante.
Le résultat est absurde. Certes, aucun contrôle judiciaire
n'est possible devant la Cour fédérale; mais les cours supérieu-
res des provinces peuvent exercer un contrôle judiciaire sur la
base de l'applicabilité constitutionnelle du Code à l'entreprise
de la requérante. Les cours supérieures de plusieurs provinces
peuvent simultanément être saisies de demandes lorsque les
activités du Conseil se rapportent à un employeur qui exploite
une entreprise interprovinciale. La garantie d'un contrôle judi-
ciaire pour la protection du système fédéral a été reconnue dans
les arrêts B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Co., [1962]
R.C.S. 642 et Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de
la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576, où il a été dit qu'une
législature ne pouvait, au moyen d'une loi refusant un moyen de
contester la validité de celle-ci, faire comme si cette loi était
valide. Bien que ce principe implique la nécessité d'un contrôle
judiciaire, il n'exige pas qu'un contrôle ait lieu devant une cour
particulière à un moment donné. Les articles 91 et 101 permet-
taient de réglementer le moment, la procédure et le lieu du
contrôle judiciaire pourvu qu'un contrôle judiciaire soit en fin
de compte possible dans des affaires constitutionnelles, mais
telle n'est pas la façon dont la loi a évolué.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul
l'Anglais Inc. et autre, [ 1983] 1 R.C.S. 147.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Co., [1962]
R.C.S. 642; Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement
de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; Reference as
to the Legislative Competence of the Parliament of
Canada to Enact Bill No. 9 of the Fourth Session,
Eighteenth Parliament of Canada, Entitled .An Act to
Amend the Supreme Court Act, [1940] R.S.C. 49.
DÉCISIONS CITÉES:
Paul l'Anglais Inc. c. Le Conseil canadien des relations
du travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.); C.J.M.S. Radio
Montréal (Québec) Ltée c. Le Conseil canadien des rela
tions du travail, [1979] I C.F. 501 (Irc inst.); Re Crosbie
Offshore Services Ltd. et Conseil canadien des relations
du travail (1983), 3 D.L.R. (4th) 694 (C.F. 1'° inst.);
Président de la Chambre des communes c. Conseil cana-
dien des relations du travail et autres, ordonnance en
date du 29 mai 1984, Cour fédérale, Division de première
instance, T-751-84, encore inédite; Procureur général du
Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2
R.C.S. 307; Crevier c. Procureur général du Québec et
autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Attorney -General for
Ontario and Others v. Attorney -General for Canada and
Others and Attorney -General for Quebec, [1947] A.C.
127 (P.C.).
AVOCATS:
Sydney Green, c.r. pour la requérante.
Dianne Pothier et Francine Lamy pour l'in-
timé, le Conseil canadien des relations du
travail.
David Shrom pour l'intimé General Team
sters Local Union 979.
PROCUREURS:
Sydney Green, c.r., Winnipeg, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé, le Conseil canadien des relations du
travail.
Simkin, Gallagher, Winnipeg, pour l'intimé
General Teamsters Local Union 979.
Ce gui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le 5 février 1985, j'ai rejeté
la présente demande pour défaut de compétence,
et j'ai promis de donner les présents motifs plus
tard.
Il appert que le syndicat intimé, qui, pendant
quelque trente-deux années, a été accrédité, sous le
régime de la loi du Manitoba, à titre d'agent
négociateur d'un groupe d'employés de la requé-
rante, a, à l'automne 1984, saisi le Conseil cana-
dien des relations du travail d'une requête en
accréditation, en vertu de la loi fédérale, en qualité
d'agent négociateur d'un groupe un peu plus nom-
breux d'employés de la requérante. Il y a eu
échange d'une abondante correspondance. La
requérante a contesté la compétence du Conseil
fédéral, alléguant que son entreprise ne relève pas
de la compétence fédérale sous le régime du Code
canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1], et
s'est opposée à l'inclusion de certains employés et à
la procédure suivie par le Conseil. Celui-ci attend
présentement le résultat d'un scrutin de représen-
tation, après quoi, il va probablement rendre une
décision quant à l'accréditation.
Entretemps, la présente demande a été intro-
duite pour obtenir un bref de prohibition interdi-
sant au Conseil d'examiner davantage la demande
d'accréditation, et pour obtenir un jugement décla-
rant que ledit Conseil n'a pas observé les principes
de justice naturelle et qu'il ne peut intervenir en
concluant à tort que l'entreprise de la requérante
constitue une entreprise, une affaire ou un ouvrage
de compétence fédérale.
Les intimés s'appuient principalement sur l'arti-
cle 122 du Code canadien du travail [mod. par
S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43] qui est ainsi
rédigé:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure où le paragraphe (1) le permet,
aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou
prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des dispositions
de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou
restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribunal
soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo
warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la
juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil
a outrepassé ou perdu sa juridiction.
Ils prétendent que la Division de première instance
n'a pas compétence pour réviser les décisions ou
procédures prises ou engagées jusqu'à ce jour par
le Conseil. Les parties reconnaissent que, à ce
stade, la requérante ne pouvait s'adresser à la
Cour d'appel fédérale pour obtenir un redresse-
ment sous le régime de l'alinéa 28(1)a) [Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10]—le seul recours qui lui soit ouvert en vertu de
la clause privative, l'article 122 du Code canadien
du travail—parce qu'aucune «décision» au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale n'avait
encore été prise: voir p. ex. Paul L'Anglais Inc. c.
Le Conseil canadien des relations du travail,
[1979] 2 C.F. 444 (C.A.).
J'ai statué en premier lieu que, en général,
l'article 122 a pour effet d'interdire tout contrôle
judiciaire devant la Division de première instance.
Cette Cour a interprété cet article dans ce sens
dans plusieurs affaires telles que C.J.M.S. Radio
Montréal (Québec) Liée c. Le Conseil canadien
des relations du travail, [1979] 1 C.F. 501 (1"°
inst.); Re Crosbie Offshore Services Ltd. et Con-
seil canadien des relations du travail (1983), 3
D.L.R. (4th) 694 (C.F. 1" inst.) et Président de la
Chambre des communes c. Conseil canadien des
relations du travail et autres, ordonnance en date
du 29 mai 1984, Division de première instance de
la Cour fédérale, T-751-84, encore inédite. Cela
veut dire que je ne peux examiner une plainte
fondée sur un déni de justice naturelle, ni même
une question de compétence qui ne s'appuie pas
sur des motifs d'ordre constitutionnel.
J'ai toutefois examiné avec soin la question de
savoir si l'article 122 interdit à la Division de
première instance de statuer sur la question de
compétence suivante: le Code canadien du travail
peut-il, du point de vue constitutionnel, s'appliquer
à l'entreprise de la requérante? Cela revient à
déterminer si celle-ci est une entreprise, une
affaire ou un ouvrage de compétence fédérale
selon les critères constitutionnels reconnus. J'es-
time qu'il est nécessaire d'examiner ce point étant
donné l'arrêt de la Cour suprême du Canada Con-
seil canadien des relations du travail et autre c.
Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147.
Dans cette affaire où il s'agissait d'une situation
semblable, la Cour suprême a statué que, malgré
la clause privative (article 122 du Code canadien
du travail), la Cour supérieure du Québec pouvait,
par un bref d'évocation, examiner la question de
savoir si l'entreprise en question de l'employeur
relevait de la compétence fédérale. S'appuyant sur
des décisions telles que Procureur général du
Canada c. Law Society of British Columbia,
[1982] 2 R.C.S. 307, le juge Chouinard a, au nom
de la Cour, décidé que, malgré l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale qui a pour effet d'attri-
buer une compétence exclusive à la Division de
première instance de la Cour fédérale pour ce qui
est des formes de contrôle exercées sur les tribu-
naux fédéraux et nonobstant l'article 122 du Code
canadien du travail, qui a également pour effet
d'écarter l'examen par la Cour d'appel fédérale à
ce stade, les cours supérieures des provinces ont la
compétence inhérente de déterminer si l'applica-
tion d'une loi fédérale est telle qu'il y aurait empié-
tement sur la compétence provinciale. J'ai examiné
cette affaire pour déterminer si on pouvait en
dégager un principe fondamental selon lequel le
contrôle judiciaire sur les procédures du Conseil
doit toujours être possible lorsqu'il s'agit du par-
tage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces,
ce qui m'obligerait à ne pas tenir compte de l'arti-
cle 122 du Code.
Je ne peux dégager ce principe de la décision.
On parle plutôt d'une compétence enchâssée des
cours supérieures des provinces qui apparemment
est à l'abri de la législation provinciale (voir Cre-
vier c. Procureur général du Québec et autres,
[1981] 2 R.C.S. 220) ou fédérale.
Comme il a été souligné dans les arrêts Paul
L'Anglais et B.C. Law Society, le rôle de la Cour
fédérale dépend de la façon dont le Parlement
attribue, en vertu de l'article 101 de la Loi consti-
tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [R.S.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)], certaines responsabilités «pour assu-
rer la meilleure exécution des lois du Canada».
Il est évident, je pense, que, dans le cadre de
cette «exécution», il incombe à cette cour comme à
toute cour, y compris les cours des provinces non
prévues à l'article 96, de tenir compte des exigen-
ces de la Constitution dans l'interprétation et dans
l'application des lois. Cela a toujours été évident,
compte tenu des textes constitutionnels de base tels
que la Colonial Laws Validity Act, 1865, 28 & 29
Vict., chap. 63, art. 2 (R.-U.), et l'idée se trouve
maintenant fermement enchâssée dans la Constitu
tion canadienne, à l'article 52 de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), qui porte:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du
Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de
toute autre règle de droit.
Pour assurer l'«exécution» des lois du Canada, la
Cour fédérale doit certainement appliquer la Cons
titution en tant que «loi suprême du Canada», tout
comme elle doit dans de nombreux cas tenir
compte de la loi des provinces. Il faut alors tran-
cher la question de savoir si une loi du Canada
peut être constitutionnellement applicable ou s'il
est possible de lui donner effet en raison d'un
conflit avec la «loi suprême du Canada».
Néanmoins, la Cour fédérale ne saurait procé-
der à de telles instructions à moins que le législa-
teur ne lui ait confié ce rôle dans une situation
particulière qui concerne l'«exécution des lois du
Canada». En vertu de l'article 122 du Code cana-
dien du travail, il est clair que la Division de
première instance se trouve exclue et que le rôle de
la Cour d'appel fédérale est considérablement
limité, dans les situations prévues par cet article.
Ne jouant aucun rôle dans l'«exécution» du Code
canadien du travail dans le présent contexte, la
Division de première instance ne saurait détermi-
ner si, dans la situation visée par la présente
demande, le Code peut constitutionnellement s'ap-
pliquer à l'entreprise de la requérante à l'instance.
Le résultat de ma décision est quelque peu
absurde parce que, à ce stade, aucun contrôle
judiciaire n'est possible devant la Cour fédérale,
mais les cours supérieures des provinces peuvent,
en principe, exercer un contrôle judiciaire sur la
base de l'applicabilité constitutionnelle du Code
canadien du travail à l'entreprise de la requérante.
Cela signifie que, dans de nombreux cas de ce
genre, les cours supérieures de plusieurs provinces
peuvent simultanément être saisies de demandes
lorsque les activités du Conseil se rapportent à un
employeur qui exploite une entreprise interprovin-
ciale. Les ordonnances de chaque cour supérieure
n'ont d'effet que dans sa propre province. La déci-
sion de chacune d'elles peut faire l'objet d'un appel
devant la cour d'appel de la province concernée, et
toutes les décisions de cette cour peuvent faire
l'objet d'un pourvoi devant la Cour suprême du
Canada. À un stade ultérieur, plusieurs des mêmes
questions peuvent être déférées à la Cour d'appel
fédérale dont la décision peut être portée en pour-
voi devant cette même Cour suprême du Canada.
Avec égards, il me semble que nous soyons
arrivés à ce résultat en disant que la garantie
fondamentale d'un contrôle judiciaire dans la
Constitution est telle que ce contrôle est possible
devant les cours prévues à l'article 96. Mais la
Cour suprême du Canada a reconnu la garantie
fondamentale d'un contrôle judiciaire pour la pro
tection du système fédéral dans des décisions telles
que B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Co.,
[1962] R.C.S. 642 et Amax Potash Ltd. et autres
c. Gouvernement de la Saskatchewan, [ 1977] 2
R.C.S. 576, où il a été dit qu'une législature ne
pouvait, au moyen d'une loi refusant un moyen de
contester la validité de celle-ci, faire comme si
cette loi était valide. Bien que ce principe implique
la nécessité d'un contrôle judiciaire, il n'exige pas
logiquement qu'un tel contrôle ait lieu devant une
cour particulière ou à un moment donné. Ce prin-
cipe, appliqué à la présente situation, signifie pro-
bablement que, une fois que le Conseil a pris une
décision, les exigences constitutionnelles fonda-
mentales seraient respectées par la possibilité d'un
contrôle judiciaire, à l'égard d'une question de
compétence devant la Cour d'appel fédérale (dont
les arrêts peuvent bien entendu faire l'objet d'un
pourvoi devant la Cour suprême du Canada). La
nécessité d'un contrôle judiciaire qui est possible
devant les cours supérieures pour des questions de
compétence, malgré les dispositions de la Loi sur
la Cour fédérale, découle plutôt d'une interpréta-
tion restrictive de l'article 101 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867. Cet article prévoit toutefois:
101. Nonobstant toute disposition de la présente loi, le
Parlement du Canada pourra, de temps à autre, prévoir la
constitution, le maintien et l'organisation d'une cour générale
d'appel pour le Canada, ainsi que l'établissement d'autres
tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du
Canada. [C'est moi qui souligne.]
Dans Reference as to the Legislative Competence
of the Parliament of Canada to Enact Bill No. 9
of the Fourth Session, Eighteenth Parliament of
Canada, Entitled `An Act to Amend the Supreme
Court Act", [1940] R.C.S. 49, aux pages 63 et 64,
feu le juge en chef Duff a analysé l'expression
«nonobstant toute disposition de la présente loi» en
traitant du pouvoir du Parlement, sous le régime
de l'article 101, d'abolir les appels devant le
Comité judiciaire du Conseil privé. (Il est intéres-
sant de souligner que l'article 101 est la disposition
permettant de créer tant la Cour suprême du
Canada que la Cour fédérale du Canada: en fait,
la Cour de l'Échiquier du Canada, qui est devenue
la Cour fédérale, a été créée par la même Loi que
la Cour suprême en 1875). A l'égard du pouvoir
conféré par l'article 101, le juge en chef a fait
remarquer que:
[TRADUCTION] (a) Puisque ce pouvoir législatif peut être
exercé au Canada «nonobstant toute disposition de la présente
loi», on ne peut supposer une restriction de pouvoir en raison
d'une quelconque disposition prévue à l'article 92. En admet-
tant même que l'article 92 donne quelque pouvoir aux législatu-
res en ce qui concerne les appels au Conseil privé, ce ne peut
être au détriment du pouvoir que le Parlement tient de l'article
101. Les droits accordés par les termes de cet article, interprété
et appliqué avec l'intention première d'investir le Parlement
d'une autorité lui permettant de mettre en ouvre des objectifs
politiques élevés en ce qui concerne le gouvernement du Domi
nion en matière judiciaire (article 3 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique), doivent être retenus et exercés comme une
autorité pleine et entière à ce titre, avec tous les pouvoirs
accessoires nécessaires au Parlement pour lui permettre d'at-
teindre pleinement et complètement ses objectifs.
Lord Jowitt, L.C. a, au nom du Comité judiciaire
du Conseil privé, cité avec approbation ce passage
dans Attorney -General for Ontario and Others v.
Attorney -General for Canada and Others and
Attorney -General for Quebec, [1947] A.C. 127, à
la page 152.
On peut également noter que l'article 91, sous le
régime duquel l'article 122 du Code canadien du
travail a probablement été adopté, comprend dans
son début le membre de phrase «nonobstant toute
disposition de la présente loi» avant d'énumérer les
rubriques relatives à la compétence du Parlement.
La création des cours supérieures des provinces
et leur compétence découlent de l'article 92, rubri-
que 14 de la Loi constitutionnelle de 1867. On
aurait alors pu penser que les articles 91 et 101
permettaient dans une certaine mesure de régle-
menter le moment, la procédure et le lieu du
contrôle judiciaire, pourvu qu'un tel contrôle soit
en fin de compte possible dans des affaires consti-
tutionnelles, ou, autrement dit, qu'un contrôle
judiciaire par la Cour d'appel fédérale à un stade
avancé des procédures, sous réserve d'un pourvoi
devant la Cour suprême du Canada, aurait pu
suffire en l'espèce.
Toutefois, telle n'est pas la façon dont la loi a
évolué, et la Cour se trouve devant la présente
situation où elle doit rejeter la demande pour
laisser à la requérante, si tel est son désir, le soin
d'obtenir un redressement à ce stade devant la
Cour du Banc de la Reine du Manitoba ou la Cour
suprême de l'Ontario (l'accréditation projetée se
rapporte, prétend-t-on, à une entreprise exploitée
dans les deux provinces).
La demande est donc rejetée. Dans les circons-
tances, je n'adjuge aucun dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.