T-1292-84
Julie Dalton (demanderesse)
c.
Commission canadienne des droits de la personne,
Canadian Pacific Airlines Limited, Brotherhood
of Railway and Airline Clerks, System Board of
Adjustment No. 435 et Bianca Perruzza (défende-
resses)
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 21 septembre 1984; Vancouver, 18 octo-
bre 1984.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Droits de la personne — La Commission
canadienne des droits de la personne a approuvé, en vertu de
l'art. 38 de la Loi, un accord par lequel le syndicat, la
compagnie et la défenderesse Perruzza ont accepté la modifi
cation de la liste d'ancienneté — Des tierces parties touchées
par le réajustement de la liste d'ancienneté n'ont été avisées ni
de la plainte ni des modalités de l'accord ni de l'approbation
de la Commission — La compagnie et le syndicat ne peuvent
modifier rétroactivement les listes d'ancienneté sans que les
employés y participent — Si la clause relative à l'ancienneté
de la convention collective est nulle, il est logique de décrire ce
qui s'est passé par la suite comme l'adoption par la compagnie
et le syndicat d'une pratique qui consiste à attribuer l'ancien-
neté à partir des règles préexistantes — L'art. 46 de la Loi fait
de l'inobservation d'un accord approuvé par la Commission
une infraction criminelle — La participation de la Commission
fait de la procédure de négociation et de règlement sous sa
tutelle quelque chose de qualitativement différent des négocia-
tions normales entre un employeur et un syndicat — La
Commission dispose d'une procédure flexible — On doit con-
cevoir un mécanisme permettant aux tierces parties touchées
par une décision de faire valoir leurs droits communs — Il
sera rendu une ordonnance interdisant à la compagnie et au
syndicat de donner suite à la liste d'ancienneté révisée en vertu
de l'accord approuvé par la C.C.D.P. — L'accord est déclaré
nul parce qu'il a été conclu sans tenir compte des règles de
justice naturelle — Loi canadienne sur les droits de la per-
sonne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 38, 46.
Lois — Interprétation — Application rétrospective de la Loi
canadienne sur les droits de la personne — La Commission
canadienne des droits de la personne a conclu que les listes
d'ancienneté de CP Air constituaient un acte discriminatoire
fondé sur l'âge, et elle a approuvé un accord modifiant les
listes d'ancienneté établies antérieurement à l'actuelle conven
tion collective — Présomption réfutable du caractère non
rétrospectif des lois — Une loi rétrospective omet en cause une
opération consommée et modifie ses conséquences, bien que la
modification n'ait d'effet que pour l'aveniro — En l'espèce,
l'acte discriminatoire n'est pas consommé dans le passé — Le
recours constant à une liste d'ancienneté qui, en soi, a un
caractère discriminatoire équivaut à une succession ou à une
répétition d'actes discriminatoires — Cela diffère des effets
continus d'un acte discriminatoire isolé car le demandeur subit
à chaque occasion différents types de préjudice — La conduite
reprochée constitue un acte discriminatoire interdit par la Loi
— La mesure prise par la Commission pour redresser la
situation ne constitue pas une application rétrospective de la
Loi.
Droits de la personne — Compétence de la Commission
canadienne des droits de la personne — Application rétrospec-
tive de la Loi canadienne sur les droits de la personne — La
présomption du caractère non rétrospectif des lois s'applique à
toutes les lois à moins qu'elle ne soit réfutée — La Commis
sion a conclu que les listes d'ancienneté de CP Air consti-
tuaient un acte discriminatoire, et elle a approuvé un accord
modifiant le classement selon l'ancienneté sur la base d'une
application rétro-active de la nouvelle convention collective —
Une loi rétrospective »met en cause une opération consommée
et modifie ses conséquences, bien que la modification n'ait
d'effet que pour l'avenir» — La situation en l'espèce n'est pas
un acte discriminatoire consommé dans le passé — Le recours
constant à une liste d'ancienneté qui, en soi, a un caractère
discriminatoire équivaut à une succession ou à une répétition
d'actes discriminatoires — La conduite reprochée constitue un
acte discriminatoire interdit par la Loi — La mesure prise par
la Commission pour redresser la situation ne constitue pas une
application rétrospective de la Loi — Loi canadienne sur les
droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3, 7b),
9(1)c), 10, 35, 38.
Droits de la personne — Compétence de la Commission
canadienne des droits de la personne — Immixtion dans les
droits acquis — La Commission a approuvé un accord modi-
fiant des listes d'ancienneté — La présomption de non-immix-
tion dans les droits acquis ne s'applique que lorsque la loi est
ambiguë — La Loi n'est pas ambiguë quant au pouvoir de la
Commission d'ordonner le réajustement des listes d'ancienneté
— L'inclusion des art. 16, 32(7), 42(2), 48 et 65 interdisant
expressément de porter atteinte à certains types de droits
acquis révèle l'intention du législateur d'accorder à la Com
mission un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les
autres droits qui ne bénéficient pas d'exemption — Loi cana-
dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33,
art. 16, 32(7), 42(2), 48, 65.
Droits de la personne — La Commission canadienne des
droits de la personne a approuvé une liste d'ancienneté révisée
— Le texte de l'accord n'autorise pas le réajustement de
l'ancienneté, ainsi qu'il ressort de la liste d'ancienneté révisée
— L'accord exige »une liste d'ancienneté révisée fondée sur
l'application rétroactive de l'article 7.08 de la convention n°
22» — L'article 7.08 exige qu'on se serve de l'âge pour établir
l'ancienneté des employés engagés avant la date d'entrée en
vigueur de la convention et que, par la suite, on procède par
sélection au hasard — Si l'on interprète littéralement l'accord,
il est sans effet — La demanderesse n'a pas invoqué cet
argument, mais la Cour est tenue de l'examiner puisque, en
vertu de l'art. 46, l'inobservation des conditions d'un accord
qu'a approuvé la Commission constitue une infraction crimi-
nelle — Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap 33, art. 46.
L'ancienneté des employés qui avaient été embauchés le
même jour par CP Air dépendait, en vertu d'une clause négo-
ciée de la convention collective, de leur date de naissance. En
octobre 1982, cette clause a changé, ce qui fait que l'ancienneté
reposait sur une sélection au hasard. La défenderesse Perruzza
a déposé une plainte portant que la détermination de l'ancien-
neté constituait un acte de distinction illicite fondé sur l'âge. A
la suite d'une enquête faite par la Commission, l'employée, le
syndicat et la compagnie ont conclu un accord portant modifi
cation des listes d'ancienneté. En vertu de l'article 38 de la Loi
canadienne sur les droits de la personne, la Commission a
approuvé l'accord. Ni la demanderesse ni les autres employés
dont les droits d'ancienneté se trouveraient touchés par le
réajustement de la liste d'ancienneté n'ont été avisés de la
plainte, de l'accord et de l'approbation de la Commission. La
demanderesse, dont l'ancienneté a été modifiée par le réajuste-
ment de la liste, sollicite un jugement déclarant que l'approba-
tion par la Commission du réajustement des listes d'ancienneté
est sans effet, et une injonction interdisant au syndicat et à la
compagnie d'adopter la liste révisée. La demanderesse fait
valoir que la Commission ne peut approuver les accords qui
nécessitent le réajustement des listes d'ancienneté établies avant
l'entrée en vigueur des dispositions applicables de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne. Agir ainsi revient à
appliquer la loi de façon rétrospective. La demanderesse sou-
tient également que les droits d'ancienneté sont des droits
acquis qui ne peuvent être écartés par de nouvelles dispositions
législatives, à moins d'une disposition expresse du Parlement. Il
est allégué en dernier lieu que la Commission ne saurait
approuver un accord sans aviser les tierces parties dont les
intérêts seraient touchés ni leur donner l'occasion de se faire
entendre.
Jugement: il sera rendu une ordonnance interdisant la mise
en application de la liste d'ancienneté révisée. Il sera également
rendu un jugement déclarant que les termes de l'accord n'auto-
risent pas le réajustement de l'ancienneté, ainsi qu'il ressort de
la liste d'ancienneté révisée, et que l'accord est nul parce qu'il a
été conclu sans tenir compte des règles de justice naturelle.
Une loi rétrospective est celle qui «met en cause une opéra-
tion consommée et modifie ses conséquences, bien que la modi
fication n'ait d'effet que pour l'avenir». Le fait qu'un réajuste-
ment de la liste n'a d'effet que pour l'avenir ne signifie pas qu'il
n'y a pas application rétrospective de la loi. En l'espèce, il
n'existe pas d'acte discriminatoire qui a été consommé dans le
passé. Chaque fois qu'une décision en matière d'emploi est prise
sur la base de l'ancienneté, il y a discrimination fondée sur
l'âge. Il existe une succession ou répétition d'actes discrimina-
toires qui constitue une pratique discriminatoire interdite par la
Loi. La mesure prise par la Commission pour redresser la
situation ne saurait être considérée comme une application
rétrospective de la Loi.
La présomption de non-immixtion dans les droits acquis
n'entre en jeu que lorsque la loi est ambiguë. Les droits
d'ancienneté ressemblent suffisamment à des droits acquis pour
être visés par ce principe de l'interprétation législative. Toute-
fois, la Loi n'est pas si ambiguë à ce sujet au point de permettre
l'application de ce principe. L'inclusion des articles 16, 32(7),
42(2), 48 et 65 interdisant expressément de porter atteinte à
certains types de droits acquis révèle l'intention de législateur
d'accorder à la Commission un pouvoir discrétionnaire en ce
qui concerne les autres droits qui ne bénéficient pas
d'exemption.
Si la clause dans la convention collective relative aux droits
d'ancienneté est nulle parce que contraire à l'ordre public, le
réajustement de la liste d'ancienneté constituait l'adoption par
la compagnie et le syndicat d'une pratique qui consiste à
attribuer l'ancienneté à partir des règles préexistantes. Donc, il
n'y a pas eu de vide permettant à la compagnie et au syndicat
de conclure un accord réajustant la liste d'ancienneté sans
aviser la demanderesse et sans son consentement. Bien que,
dans certaines circonstances, les syndicats puissent signer, au
nom de leurs membres, des ententes relatives à des actions en
justice, ou modifier une convention collective au moyen d'une
lettre d'entente, il est exagéré d'affirmer que la compagnie et le
syndicat à l'instance pouvaient modifier rétroactivement les
listes d'ancienneté sans que les employés y participent. L'ab-
sence d'une condition écrite dans les statuts du syndicat ne
signifie pas qu'un vote de ratification n'est pas nécessaire avant
qu'une convention collective ne devienne exécutoire. La partici
pation de la Commission, qui, en approuvant les accords, les a
transformés en actes instrumentaires, la violation de ceux-ci
constituant une infraction criminelle, dans le processus de
négociation et de règlement change la nature de ce qui pourrait
être, sans cela, strictement un processus de négociation. La
Commission dispose d'une procédure flexible. Bien qu'il ne soit
pas nécessaire d'entendre chaque personne séparément, on doit
concevoir un mécanisme permettant aux tierces parties dont les
intérêts seraient touchés de faire valoir leurs droits.
L'accord exige «une liste d'ancienneté révisée fondée sur
l'application rétroactive de l'article 7.08 de la convention n°
22». L'article 7.08 exige qu'on se serve de l'âge pour établir
l'ancienneté des employés engagés avant la date d'entrée en
vigueur (31 octobre 1982). L'application rétroactive de cet
article ne change rien, puisque l'âge était utilisé avant le 31
octobre 1982. L'accord n'exige nullement le réajustement de la
liste d'ancienneté. Il faut tenir compte de ce moyen de défense
fondamental même si les parties ne l'ont pas invoqué. En vertu
de l'article 46 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, l'inobservation des conditions d'un accord qu'a
approuvé la Commission constitue une infraction criminelle.
Cela exige une formulation précise de l'accord, et il faut s'en
tenir strictement au texte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Steel v. Union of Post Office Workers, [1978] 1
W.L.R. 64 (Employment Appeal Tribunal); Province of
Manitoba v. Manitoba Human Rights Commission, et al.
(1983), 25 Man. R. (2d) 117 (C.A.); B.C. Distillery Co.
Ltd. and Group of Seagrams Employees and Distillery,
Brewery, Winery, Soft Drink and Allied Workers Union,
Local 604, [1978] 1 Canadian LRBR 375 (B.C.L.R.B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Latif c. La Commission canadienne des droits de la
personne et autre, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.); Quarles v.
Philip Morris, Inc., 279 F. Supp. 505 (E.D. Va., 1968);
Local 189, United Papermakers and Paperworkers,
AFL-CIO, CLC v. U.S., 416 F. 2d 980 (5th Cir., 1969);
Labelle et autre c. Air Canada (1982), 4 C.H.R.R.
D/1311, Décision 266, (C.C.D.P.); Commission onta-
rienne des droits de la personne et autres c. Municipalité
d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; Re Bakery and Con
fectionery Workers' Int'l Union, Local 322, and Canada
Bread Co. Ltd. (1970), 22 L.A.C. 98 (Ont. L.R.B.);
Hawkesbury & District Genera! Hospital and CUPE,
Locals 1967 and 2474; Re Renee Guerin et al.; Re
CUPE; Re Nicole Drouin et al., [1984] OLRB Rep.
February 259; Magold et al. and Intl Brotherhood of
Boilermakers, Iron Ship Builders, Blacksmiths, Forgers
and Helpers et al., [1976] 1 Canadian LRBR 392;
McGavin Toastmaster Ltd. c. Ainscough, [1976] 1
R.C.S. 718.
DÉCISIONS CITÉES:
Franks v. Bowman Transportation Co., 424 U.S. 747
(5th Cir., 1976); Starey v. Graham, [1899] 1 Q.B. 406;
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; McCar-
thy c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F.
309 (C.A.).
AVOCATS:
George A. Lane pour la demanderesse.
Russell G. Juriansz pour la Commission
canadienne des droits de la personne, défende-
resse.
K. F. Braid pour Canadian Pacific Airlines,
défenderesse.
Personne n'a comparu pour le compte de la
défenderesse Brotherhood of Railway and
Airline Clerks, System Board of Adjustment
No. 435, et de la défenderesse Bianca
Perruzza.
PROCUREURS:
Keyser, Mason, Coleman, McTavish &
Lewis, Mississauga, pour la demanderesse.
Russell G. Juriansz, avocat général, Commis
sion canadienne des droits de la personne,
Ottawa, pour la Commission canadienne des
droits de la personne, défenderesse.
K. F. Braid, conseiller régional intérimaire,
contentieux de Canadian Pacific, Toronto,
pour Canadian Pacific Airlines, défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: Au début, on a pensé que cette
affaire portait uniquement sur deux questions: (1)
la compétence de la Commission canadienne des
droits de la personne pour approuver les accords
portant modification du classement selon l'ancien-
neté des employés pour le motif que l'entente en
vigueur constitue un acte discriminatoire en raison
de l'âge; (2) la question de savoir si, en pareils cas,
la Commission est tenue d'aviser les personnes
dont le classement selon l'ancienneté se trouverait
touché par une telle ordonnance, et d'accorder à
celles-ci la possibilité de se faire entendre. Une
troisième question, qui était pertinente, s'est déga-
gée au cours du débat: l'interprétation appropriée
de l'accord en question en l'espèce.
Voici les faits: de 1960 jusqu'à l'entrée en
vigueur, le 31 octobre 1982, de la convention
collective n° 22, l'ancienneté des employés qui
avaient été embauchés le même jour par CP Air
dépendait de leur date de naissance. (Il était
d'usage d'embaucher, le même jour, un certain
nombre d'employés pour faciliter le fonctionne-
ment des programmes de formation des nouveaux
employés.) L'utilisation de la date de naissance a
été adoptée en vertu d'une clause des conventions
collectives négociées par la défenderesse Brother
hood of Railway and Airline Clerks, System Board
of Adjustment No. 435 (BRAC) et la défenderesse
CP Air. La première convention de ce genre a été
négociée en 1959-1960 (convention n° 11), et la
clause pertinente prévoyait:
[TRADUCTION] Au cas où plus d'un employé appartenant au
même groupe d'ancienneté auraient la même date d'ancienneté,
l'employé le plus ancien figurera le premier sur la liste d'an-
cienneté; advenant un nombre égal d'années de service, l'em-
ployé le plus âgé figurera le premier sur la liste d'ancienneté.
Cette clause a été en grande partie reprise dans
toutes les conventions ultérieures jusqu'à la con
vention n° 22 d'octobre 1982. L'article 7.08 de
cette convention est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Au cas où plus d'un employé appartenant à la
même classification d'ancienneté auraient la même date d'an-
cienneté, l'employé ayant travaillé le plus longtemps sera consi-
déré comme le plus ancien; advenant un nombre égal d'années
de service, l'employé le plus âgé sera considéré comme le plus
ancien.
La détermination du classement selon l'ancienneté des
employés qui sont engagés après la signature de la convention
22, qui appartiennent à la même classification d'ancienneté et
qui ont le même nombre d'années de service sera faite selon le
processus de sélection au hasard.
L'ancienneté sert à déterminer plusieurs aspects
de l'emploi: la possibilité de faire des heures sup-
plémentaires, l'endroit de travail, le travail par
roulement, les dates de congés payés, l'ordre selon
lequel s'effectuent les mises à pied.
La défenderesse Bianca Perruzza a été engagée
le 4 mai 1981. Étant la plus jeune du groupe
engagée le même jour, elle a été classée dernière
sur la liste d'ancienneté. Sa mise à pied était
prévue pour le mois de novembre 1982, avant les
autres employés embauchés le même jour, mais
qui étaient plus âgés qu'elle. (En fait, elle n'a été
mise à pied qu'en janvier 1983, parce qu'elle a
choisi de quitter Toronto pour travailler à Vancou-
ver et de «supplanter» un employé moins ancien qui
y travaillait, au lieu d'être mise à pied au mois de
novembre.) Le 10 février 1983, elle a saisi la
Commission des droits de la personne d'une plainte
portant que la détermination de l'ancienneté et la
mise à pied qui en découle constituaient un motif
de distinction illicite fondé sur l'âge. Le paragra-
phe 3(1) et l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur
les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2 et
3) prévoient:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de
distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe,
l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne
graciée ou la déficience.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
L'alinéa 9(1)c) (mod., idem, art. 4) et l'article 10
(mod., idem, art. 5) sont également pertinents:
9. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa-
tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à
l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une conven
tion collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'associa-
tion, des restrictions, des différences ou des catégories ou de
prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement,
ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou,
d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
La Commission a enquêté sur la plainte en vertu
de l'article 35 de la Loi canadienne sur les droits
de la personne, et il en est résulté un accord auquel
ont souscrit les trois défenderesses CP Air, BRAC
et Bianca Perruzza. L'accord stipulait:
[TRADUCTION] 1. En consultation avec le bureau régional de
l'Ouest de la Commission canadienne des droits de la personne,
BRAC établira une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'appli-
cation rétroactive de l'article 7.08 de la convention n° 22, et
présentera ladite liste à CP Air pour que celle-ci l'adopte.
2. CP Air adoptera la liste d'ancienneté révisée mentionnée au
paragraphe 1) ci-dessus.
3. Au cas od la révision indiquée aux paragraphes 1) et 2)
ci-dessus attribuerait à Bianca Perruzza un rang d'ancienneté
plus élevé que celui qu'elle occupe actuellement, CP Air et
BRAC partageront le remboursement du salaire qu'elle a perdu
en raison de son ancienneté antérieure inférieure.
Le 4 avril 1984, la Commission a approuvé cet
accord en vertu de l'article 38 de la Loi canadienne
sur les droits de la personne. La Commission, le
syndicat et la compagnie conviennent tous que
l'accord exige un réajustement de la liste d'ancien-
neté, non seulement en ce qui a trait à la défende-
resse Bianca Perruzza (c.-à-d. un reclassement par
tirage au sort entre les personnes engagées le
même jour qu'elle, soit le 4 mai 1984) mais aussi
pour ce qui est de l'ancienneté de toutes les person-
nes engagées au cours des années, lorsqu'on se
fonde sur l'âge pour déterminer l'ancienneté des
personnes engagées le même jour.
Ni la demanderesse ni les autres employés dont
l'ancienneté se trouverait touchée par le réajuste-
ment de la liste d'anciennété n'ont été avisés de la
plainte déposée par Bianca Perruzza, des modali-
tés de l'accord auquel le syndicat et la compagnie
ont souscrit et de l'approbation de la Commission.
La demanderesse a été mise au courant de l'accord
en lisant un article publié dans le journal du
syndicat et intitulé «Seniority Sweepstakes».
La demanderesse Julie Dalton a été engagée le
20 mai 1980. À l'époque, elle était classée
deuxième, sur le plan de l'ancienneté déterminée
selon l'âge, dans le groupe des onze employés
engagés ce jour. À la suite du réajustement, elle
sera classée cinquième pour ce qui est de l'ancien-
neté. Elle sollicite un jugement déclarant que la
décision par laquelle la Commission canadienne
des droits de la personne a approuvé le réajuste-
ment de la liste d'ancienneté est sans effet, et une
injonction interdisant au syndicat et à la compa-
gnie d'adopter la liste d'ancienneté établie en vertu
de cette décision.
Bien qu'une seule personne soit nommée comme
demanderesse dans la présente action, il s'agit d'un
cas type qui va déterminer également les droits de
tous les autres employés dont l'ancienneté est alté-
rée par la décision de la Commission.
Révision de la liste d'ancienneté—Application
rétrospective de la Loi canadienne sur les droits de
la personne?
La demanderesse fait valoir que la Commission
canadienne des droits de la personne ne peut
exiger, par voie de consultation et de négociation,
ni approuver les accords qui nécessitent le réajuste-
ment des listes d'ancienneté établies avant le 1 °r
mars 1978 (la date d'entrée en vigueur des disposi
tions applicables de la Loi sur les droits de la
personne). Elle allègue qu'agir ainsi revient à
appliquer la loi de façon rétrospective et à porter
atteinte aux droits acquis.
Dans l'arrêt Latif c. La commission canadienne
des droits de la personne et autre, [1980] 1 C.F.
687, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la
question de l'application rétrospective de la Loi
canadienne sur les droits de la personne. Il est dit
ceci aux pages 702 705:
L'avocat du requérant se fonde sur l'esprit de la loi en cause
aussi bien que sur certaines de ses dispositions pour soutenir
dans son plaidoyer que la Loi s'applique rétroactivement aux
actes discriminatoires consommés avant son entrée en vigueur.
Il ne me convainc pas qu'il faille y voir une intention aussi
claire et sans équivoque du législateur ... Le fait que la loi vise
un but dans l'ensemble louable ou souhaitable ne suffit pas à
anéantir la règle de non-rétroactivité ... En l'espèce, la Loi n'a
pas les mêmes effets [que la Loi portant réforme du droit de la
famille 1978 de l'Ontario] ... Son application n'est pas fonc-
tion d'un état juridique ... mais vise un comportement que la
loi stigmatise, avec pour résultat de faire obstacle ou de faire
échec à ce qui constituait auparavant l'exercice légitime de la
liberté de contracter.
Il s'ensuit qu'à mon avis, on ne saurait dire que le législateur
avait l'intention de donner à cette Loi une application rétroac-
tive aux actes discriminatoires consommés avant son entrée en
vigueur.
Dans l'affaire Latif, un employé a prétendu
avoir été renvoyé de son travail en partie en raison
de sa religion et de son origine nationale. La
Commission a refusé de connaître de la plainte,
parce que le renvoi avait eu lieu avant l'entrée en
vigueur de la Loi.
J'aimerais tout d'abord faire quelques commen-
taires au sujet de l'argument de la Commission
selon lequel un réajustement de la liste d'ancien-
neté n'a pas d'effet rétroactif, parce qu'il ne vise
pas à annuler toutes les décisions antérieures en
matière d'emploi qui concernent la liste d'ancien-
neté. Cela est sans doute vrai, mais le point liti-
gieux n'est pas abordé; il s'agit de savoir si le
réajustement des listes constitue une application
rétrospective et non rétroactive de la Loi sur les
droits de la personne. (Voir Driedger, Construc
tion of Statutes, 2e éd., pages 185 et s. pour une
explication de la différence entre l'application
rétroactive et rétrospective des lois.) De même, le
fait qu'un réajustement de la liste n'a d'effet que
pour l'avenir ne signifie pas qu'il n'y a pas applica
tion rétrospective de la loi. Dans l'ouvrage de
Driedger susmentionné, à la page 186, une loi
rétrospective est celle qui [TRADUCTION] «met en
cause une opération consommée et modifie ses
conséquences, bien que la modification n'ait d'effet
que pour l'avenir». Certes, on invoque un argument
solide en disant que tel est l'effet du réajustement
de la liste en l'espèce.
La Commission soutient toutefois que, en l'es-
pèce, exiger que la liste d'ancienneté soit réajustée
pour l'avenir ne saurait équivaloir à une applica
tion rétrospective de la Loi canadienne sur les
droits de la personne, parce que la situation qu'elle
vise à redresser n'est pas un acte discriminatoire
consommé dans le passé. Selon elle, chaque fois
qu'une décision en matière d'emploi est prise sur la
base de la liste d'ancienneté (travail par roule-
ment, dates de vacances, possibilité de faire des
heures supplémentaires), il y a discrimination
fondée sur l'âge. Cela constitue, allègue-t-on, un
acte discriminatoire interdit par Loi. Cet argument
a beaucoup de poids.
On a cité deux décisions américaines pour
étayer l'idée que l'application d'une loi aux inci
dents discriminatoires actuels n'est pas une appli
cation rétrospective de la loi. Il est vrai que les
deux décisions en question, Quarles v. Philip
Morris, Inc., 279 F. Supp. 505 (E.D. Va., 1968),
et Local 189, United Papermakers and Paperwor-
kers, AFL-CIO, CLC v. U.S., 416 F. 2d 980 (5th
Cir., 1969), sont d'une utilité incertaine dans le
contexte canadien. Elles portent toutes deux sur
des actes discriminatoires fondés sur la race qui se
sont produits avant la Civil Rights Act of 1964 [78
Stat. 241]. Dans ces affaires, il s'agissait d'inter-
préter la loi américaine de 1964, intitulée Civil
Rights Act of 1964. Cette loi a été conçue pour
remédier à des situations passées; elle devait avoir
un effet rétrospectif; elle ne régularisait que les
systèmes d'ancienneté authentiques (c'est-à-dire
ceux qui reposent sur la nécessité commerciale).
De plus, ces deux décisions portaient sur l'ancien-
neté de département et non sur l'ancienneté d'en-
treprise. Toutefois, la façon de régler le problème
adoptée par les tribunaux américains dans ces
affaires-là est utile pour le raisonnement sur lequel
on se fonde.
Avant la promulgation de la Civil Rights Act of
1964, les sociétés défenderesses dans les deux
affaires citées ci-dessus avaient l'habitude de divi-
ser leur personnel en créant des départements de
Blancs et des départements de Noirs. Après l'en-
trée en vigueur de cette loi, cette pratique était
défendue, mais il était toujours interdit aux Noirs
de postuler, sur un pied d'égalité, les emplois
autrefois destinés aux Blancs et ce, en raison des
règles du privilège de l'ancienneté de département
qui ont été reprises. Dans les deux cas, il s'agissait,
d'après les tribunaux, d'une discrimination
actuelle. Voici le raisonnement adopté par la Cour
dans l'affaire Local 189 susmentionnée, à la page
988:
[TRADUCTION] Par conséquent, rien ne permet de conclure
qu'un système d'ancienneté peut à première vue sembler neutre
si l'effet inévitable de lier le système au passé est de porter
atteinte au droit actuel des employés de ne pas faire l'objet de
discrimination fondée sur la race ...
Et à la page 994:
[TRADUCTION] Lorsqu'un employeur adopte un système qui
reporte nécessairement les incidents discriminatoires au pré-
sent, il s'agit là d'une discrimination continue, à moins que ces
incidents ne répondent à un besoin de sécurité et d'efficacité.
Une autre décision américaine qu'on peut citer est
Franks v. Bowman Transportation Co., 424 U.S.
747 (5th Cir., 1976).
La décision Steel v. Union of Post Office Wor
kers, [1978] 1 W.L.R. 64, est peut-être plus
importante. La loi examinée dans cette affaire
était la Sex Discrimination Act 1975 du
Royaume-Uni, Stats. U.K. 1975, chap. 65. Avant
le mois de septembre 1975, les postières n'étaient
pas autorisées à obtenir un statut permanent; elles
ne pouvaient travailler qu'à titre d'employées tem-
poraires. On a par la suite supprimé cette incapa-
cité. En mars 1976, la demanderesse Steel a solli-
cité un itinéraire vacant. Sa demande a été rejetée
parce qu'elle n'avait pas l'ancienneté nécessaire
pour le poste. On a offert le poste à un employé
moins ancien, mais qui a acquis le statut perma
nent avant elle. (La demanderesse a été une
employée temporaire de novembre 1961 à septem-
bre 1975.) Le tribunal d'appel [en matière d'em-
ploi] saisi de l'affaire a dit à la page 67:
[TRADUCTION] Il est certain que la Sex Discrimination Act
1975 n'a pas d'effet rétroactif; mais certains actes discrimina-
toires peuvent revêtir un caractère continu et, à notre avis, c'est
respecter l'esprit de la Loi que de lui conférer une portée aussi
grande que possible pour écarter les effets permanents d'une
discrimination passée.
L'arrêt Province of Manitoba v. Manitoba
Human Rights Commission, et al. (1983), 25
Man. R. (2d) 117, rendu par la Cour d'appel du
Manitoba, est également d'une certaine utilité.
Cette décision portait sur The Human Rights Act
of Manitoba, S.M. 1974, chap. 65 et sur le concept
de [TRADUCTION] «l'infraction continue» qu'on y
trouve (paragraphe 19(1)). Le plaignant alléguait
que sa retraite obligatoire à l'âge de 65 ans consti-
tuait une infraction continue parce que cette loi
continuait à l'empêcher de trouver un emploi en
raison de son âge. La Cour a jugé qu'une retraite
obligatoire à une date précise ne constituait pas
une [TRADUCTION] «infraction continue». Voici ce
qu'elle entend par infraction continue, à la page
121:
[TRADUCTION] Il découle de la jurisprudence qu'une viola
tion continue (ou un grief, un acte discriminatoire, une infrac
tion ou une cause d'action continus) est celle qui provient d'une
succession (ou d'une répétition) de violations séparées (ou
d'actes, d'omissions, de cas de discrimination, d'infractions ou
d'actions séparés) ayant le même caractère (ou du même
genre). Ce raisonnement devrait, à mon avis, s'appliquer à la
notion d'«infraction continue» sous le régime de la loi. Pour
qu'il y ait «infraction continue», il doit y avoir une succession ou
une répétition d'actes discriminatoires distincts ayant le même
caractère. Il doit exister des actes discriminatoires actuels qu'on
pourrait considérer comme des violations distinctes de la loi, et
non simplement un acte discriminatoire isolé qui peut avoir des
effets ou conséquences continus.
À mon avis, le recours constant, à une liste
d'ancienneté qui, en soi, a un caractère discrimina-
toire pour rendre des décisions en matière d'em-
ploi, équivaut à une succession ou à une répétition
d'actes discriminatoires. Cela diffère des effets
continus d'un acte discriminatoire isolé (par exem-
ple la retraite obligatoire à une date précise) car le
demandeur subit à chaque occasion différents
types de «préjudice» (le travail par équipes dans
des conditions moins favorables, l'inscription anti-
cipée sur la liste de mise à pied temporaire). De
plus, on doit se rappeler que la Loi canadienne sur
les droits de la personne interdit «les actes discri-
minatoires». (Ce n'est pas le concept d'infraction
continue qu'on trouve dans la loi manitobaine qui
doit être interprété.) La version condensée du
Oxford English Dictionary, éd. de 1971, définit le
mot «practice» (pratique) comme étant [TRADUC-
TION] «la manière habituelle de faire quelque
chose ou l'accomplissement de quelque chose»,
«une façon habituelle d'agir», «le fait de faire
quelque chose continuellement ou à maintes repri
ses». J'estime que la conduite reprochée en l'espèce
est visée par le concept d'acte discriminatoire, et la
mesure prise par la Commission pour redresser la
situation ne saurait donc être considérée comme
une application rétrospective de la Loi.
Révision de la liste d'ancienneté—Atteinte aux
droits acquis?
La demanderesse fait valoir en second lieu que
les droits d'ancienneté sont des droits acquis ou
établis qui ne peuvent être écartés par de nouvelles
dispositions législatives, à moins d'une disposition
expresse du Parlement.
Tout d'abord, il convient de faire remarquer que
la présomption selon laquelle une loi n'a pas d'effet
rétrospectif ne revient pas à présumer qu'elle n'a
pas pour effet de porter atteinte aux droits acquis:
voir Driedger (précité) surtout aux pages 187 et
196. De plus, la présomption de non-immixtion
dans les droits acquis n'entre en jeu que lorsque la
loi est ambiguë, alors que la présomption du carac-
tère non rétrospectif des lois est une présomption
applicable à toutes les lois, à moins qu'elle ne soit
réfutée.
La Commission soutient que les droits d'ancien-
neté en question ne sont pas des droits acquis, mais
que leur existence à un moment donné dépend de
la clause alors en vigueur dans la convention col-
lective; elle allègue que les droits d'ancienneté ne
sont pas déterminés par la convention collective en
vigueur au moment de l'engagement de l'employé.
À l'appui de cet argument, elle invoque particuliè-
rement le texte de l'article 7.08 de la convention n°
22 (précité). Il y est dit que l'âge sera le facteur
déterminant pour les employés engagés avant l'en-
trée en vigueur de la convention n° 22, mais que
par la suite on procédera par sélection au hasard.
Il est allégué que si la convention collective ne
devait que déterminer l'ancienneté des employés
engagés pendant la durée de la convention, il
n'aurait pas alors été nécessaire de faire mention,
dans la convention n° 22, de la détermination de
l'ancienneté selon l'âge des employés engagés
avant cette convention.
Il ne s'agit pas nécessairement d'une preuve que
les droits ne sont pas des droits acquis ou établis
selon le concept utilisé dans les règles d'interpréta-
tion législative. Il est admis que les listes d'ancien-
neté établies avant 1960, année où on a utilisé pour
la première fois l'âge comme critère, n'ont pas été
révisées conformément à la convention n° 11 de
1960, même si la clause d'ancienneté y figurant ne
faisait pas état du maintien de la liste établie sous
les régimes antérieurs. Il va sans dire que la com-
pagnie et le syndicat ont conservé la liste établie à
ce moment-là.
De plus, le fait que les clauses de la convention
collective puissent être modifiées dans l'avenir ne
change nullement le caractère établi (ou acquis)
des droits. L'avocat de la Commission a soutenu
que le classement selon l'ancienneté de tous les
employés pourrait être modifié par voie de négo-
ciation entre la compagnie et le syndicat sans le
consentement des employés. J'aborderai cet argu
ment d'une façon plus détaillée puisqu'il se rap-
porte également à la question de l'avis. Mais il
suffit de dire que je ne suis pas du tout persuadée
qu'une telle modification puisse se faire sans que le
syndicat ait au moins obtenu un vote de ratifica
tion de ses membres. La preuve et l'argumentation
relatives au pouvoir du syndicat étaient moins que
satisfaisantes. Le syndicat a choisi de ne pas com-
paraître, bien qu'il ait été désigné comme partie
défenderesse.
C'est un lieu commun de dire que ce qui consti-
tue un droit acquis (appelé parfois droit existant)
est difficile à définir. Je remarque que, dans l'ou-
vrage Craies on Statute Law (7e éd., 1971) la
page 399, on trouve la définition suivante tirée de
l'arrêt Starey v. Graham, [1899] 1 Q.B. 406, la
page 411:
[TRADUCTION] ... un droit particulier qu'un individu a
acquis, d'une façon ou d'une autre, et que certaines personnes
possèdent, alors que d'autres n'en ont pas.
Pour ce qui est de la nature des droits d'ancien-
neté, la Commission des relations de travail de la
Colombie-Britannique s'est penchée sur cette ques
tion dans l'affaire B.C. Distillery Co. Ltd. and
Group of Seagrams Employees and Distillery,
Brewery, Winery, Soft Drink and Allied Workers
Union, Local 604, [1978] 1 Canadian LRBR 375,
aux pages 381 et 382:
[TRADUCTION] Le principe de l'ancienneté vise à établir une
norme simple, précise et objective pour la sélection des
employés postulant le même emploi, et donc à réduire le
contrôle arbitraire et le favoritisme personnel dans ces prises de
décisions, ainsi que les effets néfastes possibles sur le moral des
employés ... Ces questions font que les syndicats et les
employeurs négocient prudemment, et, lorsqu'il s'agit de rela
tions ouvrières complexes, les clauses d'ancienneté peuvent
occuper plusieurs pages dans une convention collective. Juridi-
quement parlant, les droits d'ancienneté des employés reposent
sur le contrat que le syndicat a négocié. En cas d'annulation de
la convention, ces droits prendraient fin. C'est pour cette raison
qu'un syndicat peut revendiquer le même pouvoir étendu de
modifier le texte de la disposition portant sur l'ancienneté,
comme lorsqu'il négocie l'ensemble des avantages économiques.
Mais cette revendication repose sur un point de vue superfi-
ciel concernant la nature de l'ancienneté en tant qu'institution
sociale. Cela revient à dire que les clauses d'ancienneté en
vigueur ont un caractère beaucoup plus contraignant que les
autres clauses contractuelles. Cela explique bien les raisons
pour lesquelles:
... L'ancienneté permet à un employé d'acquérir, par son
travail, des droits précieux, de capitaliser son travail et
d'obtenir plus qu'un salaire journalier pour sa production
continue. Lorsque l'ancienneté détermine le droit à l'avance-
ment, elle permet à l'employé de réclamer de meilleurs postes
lorsque ceux-ci sont disponibles; lorsque l'ancienneté déter-
mine l'ordre dans lequel doivent s'effectuer les mises à pied,
elle protège l'employé contre le chômage. L'ancienneté ne
garantit pas que les postes vacants plus élevés seront comblés
ni qu'un poste sera disponible; mais en donnant la priorité à
l'employé le plus ancien lorsqu'il faudra choisir qui sera
promu et qui conservera son emploi, l'ancienneté confère à
un employé un droit d'une valeur pratique importante.
Comme le professeur Aaron l'a souligné, «plus que toute
autre disposition de la convention collective ... l'ancienneté
touche la sécurité matérielle de l'individu, objet de la conven
tion», et, naturellement, on l'a considérée comme l'un des
biens le plus précieux de l'employé. L'ancienneté peut être
l'atout le plus important d'un employé qui compte de lon-
gues années de service.
Summers and Love, «Work Sharing as an Alternative to
Layoffs by Seniority, (1976), 124 U. of Pa. L.R. 893, la p.
902.
Les employés de l'entreprise connaissent leur rang sur la liste
d'ancienneté. Ils croient qu'ils ont accédé à ce rang en raison de
leurs longues années de service. Ils espèrent fermement que ce
rang restera tel quel. Supposons alors que le syndicat et l'em-
ployeur négocient une modification à cette clause, modification
qui a pour effet d'intervertir les rangs sur la liste d'ancienneté.
Quelle sera la réaction normale de l'employé touché par cette
modification apportée à la convention? Il estime que les parties
l'ont simplement privé d'un bien précieux pour le donner à un
autre employé ...
C'est pour ces raisons pragmatiques qu'on ne saurait prétendre,
du point de vue du droit, que parce que le syndicat et l'em-
ployeur ont librement négocié les clauses d'ancienneté initiales,
ils sont également en mesure de modifier à volonté cette clause
en vigueur.
À mon avis, les droits d'ancienneté ressemblent
suffisamment à des droits acquis pour être visés
par le principe de l'interprétation législative selon
lequel lorsqu'une loi est ambiguë quant à son effet
voulu, elle doit être interprétée de manière à ne pas
écarter ces droits.
La Commission elle-même a, à plusieurs repri
ses, reconnu que le fait de modifier le classement
selon l'ancienneté pour faire droit à une plainte
peut porter atteinte aux droits des tierces parties.
Dans l'affaire Labelle et autre c. Air Canada
(1982), 4 C.H.R.R. D/1311, Décision 266, le Tri
bunal des droits de la personne a refusé d'accorder
aux plaignants le rang d'ancienneté auquel ils se
seraient classés s'il n'y avait pas eu discrimination.
Les demandeurs se sont plaints à la Commission,
alléguant qu'on avait refusé de les embaucher en
raison d'un handicap physique qui n'était pas une
exigence professionnelle normale. Le Tribunal des
droits de la personne a jugé la plainte fondée, a
ordonné le paiement d'une indemnité aux plai-
gnants pour pertes de salaire, mais voici ce qu'il a
dit au sujet de l'ancienneté [à la page D/1313]:
Le tribunal reconnaît le bien-fondé d'émettre une ordon-
nance qui a l'effet de placer le plaignant dans la position où il
se trouverait, n'eût été de l'acte discriminatoire. L'ordonnance
toutefois doit affecter le plaignant et le mis-en-cause et non des
tierces personnes non impliquées. Nous acceptons donc les
soumissions de M° Marchand et ne faisons pas d'ordonnance
quant à l'ancienneté.
En l'espèce, le rapport des enquêteurs a égale-
ment mentionné la décision de la Commission
concernant deux autres plaintes (goberge et
Bennie), semblables à celle de la défenderesse
Bianca Perruzza. Ce rapport dit notamment:
[TRADUCTION] Point de vue de la compagnie
La Commission a approuvé le règlement d'une plainte anté-
rieure semblable («Roberge c. Canadian Pacific Air« [sic]) où
on n'a pas révisé rétroactivement la liste d'ancienneté
applicable.
Conclusions du rapport d'enquête
La plainte de Roberge ne devrait pas être interprétée comme
limitant la portée du règlement en l'espèce. En fait, l'affaire
Roberge a établi le principe important selon lequel la Commis
sion voulait intervenir pour réviser l'ancienneté (l'ancienneté de
Roberge par rapport à d'autres employés engagés le même jour
a été révisée, bien que ce ne fût pas selon la formule du choix
fait au hasard) en vue d'obtenir un règlement équitable.
Il convient de souligner que la Commission a décidé qu'une
plainte antérieure semblable à l'espèce (Bennie c. Canadian
Pacific Air [sic] et Bennie c. B.R.A.C.—décision rendue en
septembre 1983) était fondée et qu'elle y a fait droit, même si
les mesures de redressement prises par les intimés ne compor-
taient pas une révision rétroactive de l'ancienneté de la plai-
gnante ou des autres employés figurant sur la liste ... Il
convient de faire remarquer que dans l'affaire Bennie on a cité,
comme motif additionnel à l'appui de sa recommandation, la
décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Labelle et Cla-
veau c. Air Canada. Le Tribunal a envisagé d'ordonner une
révision rétroactive de l'ancienneté, qui constitue l'un des
redressements qu'il pouvait accorder pour remédier aux actes
discriminatoires dont sont coupables les parties en cause, mais
il n'a pas retenu cette solution parce qu'une telle ordonnance
toucherait «les tierces parties étrangères au litige. Il est allégué
que l'espèce présente diffère de l'affaire soumise au Tribunal,
dans la mesure où l'ancienneté n'était pas en soi le point en
litige soulevé dans l'affaire Labelle et Claveau. En l'espèce,
l'ancienneté est au centre du litige. Il ne s'agit pas d'un remède
accessoire.
Le fait que la Commission ait, dans des cas
antérieurs semblables, refusé d'ordonner le réajus-
tement des listes d'ancienneté ne signifie pas
qu'elle n'en a pas le pouvoir. Après lecture de la
Loi canadienne sur les droits de la personne, je ne
saurais conclure qu'elle est ambiguë à ce sujet au
point de permettre l'application du principe d'in-
terprétation législative qui interdit de porter
atteinte aux droits acquis. Il ressort clairement de
la loi que la Commission doit avoir ce pouvoir.
Le paragraphe 42(2) de la Loi prévoit que le
Tribunal des droits de la personne ne peut, lors-
qu'il tente de débouter ou d'indemniser une per-
sonne se plaignant d'un acte discriminatoire,
rendre une ordonnance exigeant
42. (2) ...
a) le retrait d'un employé d'un poste qu'il a accepté de bonne
foi; ou
b) l'expulsion de l'occupant de bonne foi de locaux, moyens
d'hébergement ou logements.
L'article 16 prévoit:
16. Les dispositions des caisses ou régimes de pension, des
régimes d'assurance et des fonds d'assurance protégeant les
droits acquis avant l'entrée en vigueur de la présente Partie ou
maintenant le droit aux prestations de pension ou autres accu-
mulées avant cette date ne peuvent servir de fondement à une
plainte, déposée en vertu de la Partie III, portant qu'un
employeur a commis des actes discriminatoires.
Voir également les articles 32(7), 48 et 65. L'in-
clusion de ces articles interdisant expressément de
porter atteinte à certains types de droits acquis
révèle l'intention du législateur d'accorder à la
Commission des droits de la personne un pouvoir
discrétionnaire en ce qui concerne les autres droits
qui ne bénéficient pas d'exemption.
Il est intéressant de souligner que le Human
Rights Code de la Colombie-Britannique,
R.S.B.C. 1979, chap. 186, paragraphe 8(3), exclut
expressément de son champ d'application les régi-
mes fondés sur l'ancienneté. Aucune exclusion
expresse de ce genre ne se trouve dans la Loi
fédérale.
Je conclus que l'argument de la demanderesse
sur ce point ne saurait être accueilli.
Avis aux tierces parties dont les droits seraient
touchés?
Il se pose la question de savoir si la Commission
peut approuver un accord tel que celui examiné en
l'espèce sans que les tierces parties dont les droits
d'ancienneté seraient touchés par un tel réajuste-
ment en reçoivent avis ou aient la possibilité de se
faire entendre. Il convient de souligner que, une
fois un accord approuvé par la Commission, qui-
conque ne se conforme pas aux conditions de
l'accord est coupable, en vertu de l'article 46 de la
Loi, d'une infraction criminelle:
46. (1) Est coupable d'une infraction quiconque:
a) ne se conforme pas aux conditions approuvées et certifiées
par la Commission en vertu de l'article 38;
Je ne comprends pas pourquoi l'avocat a fait
valoir que la Commission n'était pas soumise aux
règles ordinaires de la justice naturelle et à l'obli-
gation d'agir équitablement en matière administra
tive énoncées dans des décisions telles que Nichol-
son c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311.
L'arrêt de la Cour d'appel fédérale McCarthy c.
Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F.
309, qui est d'une importance particulière, a
décidé qu'un employé avait droit à un avis et à la
possibilité de se faire entendre avant la radiation
de son nom de la «liste d'admissibilité» à l'avance-
ment. Si je comprends bien, les défenderesses sou-
tiennent toutefois qu'il suffisait en l'espèce de
donner avis au syndicat et de le faire participer
aux négociations. Elles allèguent que la compagnie
et le syndicat auraient pu parvenir à l'accord
portant réajustement de la liste d'ancienneté sans
le concours de la Commission et auraient ainsi pu
modifier les droits de la demanderesse sans l'aviser
et sans obtenir son consentement.
Cet argument se fonde sur la prémisse que
l'article 7.08 de la convention collective n° 22 est
nul parce que contraire à l'ordre public. On a cité
l'arrêt de la Cour suprême Commission ontarienne
des droits de la personne et autres c. Municipalité
d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202. La Cour y a
jugé qu'une clause d'une convention collective pré-
voyant la retraite obligatoire est nulle parce que
contraire à l'ordre public (à la page 213). Cette
clause va à l'encontre de The Ontario Human
Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318. Je souligne
que The Ontario Human Rights Code diffère de la
Loi canadienne sur les droits de la personne car il
crée des infractions absolues, alors que la Loi
fédérale n'en crée pas. Je ne veux pas dire par là
que, étant donné cette différence, les contrats
soumis à la Loi fédérale sont, dans une moindre
mesure, nuls parce que contraires à l'ordre public.
Toutefois, si la clause en question est nulle, je crois
qu'il est logique de décrire ce qui s'est effective-
ment passé par la suite comme l'adoption par la
compagnie et le syndicat d'une pratique (même si
ce n'était pas en vertu d'une condition valable de la
convention collective) qui consiste à attribuer l'an-
cienneté à partir des règles préexistantes. Il ne
suffit donc pas de dire, comme la Commission
semble le prétendre, qu'il y a eu un vide après
l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les
droits de la personne, et que les listes d'ancienneté
devaient, à partir de ce moment-là, être considé-
rées comme inexistantes.
On s'est appuyé sur la décision Re Bakery and
Confectionery Workers' Int'l Union, Local 322,
and Canada Bread Co. Ltd. (1970), 22 L.A.C. 98
(Ont. L.R.B.), pour avancer l'idée qu'une société
et un syndicat peuvent modifier une convention
collective au moyen de lettres d'entente échangées
au cours de la convention (les lettres ont servi dans
ce cas à clarifier une disposition ambiguë de la
convention). On s'est fondé sur la décision rendue
par la Commission des relations de travail de
l'Ontario dans l'affaire Hawkesbury & District
General Hospital and CUPE, Locals 1967 and
2474; Re Renee Guerin et al.; Re CUPE; Re
Nicole Drouin et al., [ 1984] OLRB Rep. February
259 pour prétendre qu'un syndicat peut régler un
procès et lier par le fait même ses membres. Je ne
doute pas que, dans certaines circonstances, les
syndicats puissent signer, au nom de leurs mem-
bres, des ententes relatives à des actions en justice.
Je ne doute pas non plus qu'une lettre d'entente
entre un syndicat et une société puisse clarifier une
disposition ambiguë d'une convention collective et
être qualifiée de modification à une convention
collective. Mais, à mon avis, il est exagéré d'affir-
mer qu'une application de ces principes permet de
conclure que la compagnie et le syndicat à l'ins-
tance pouvaient modifier rétroactivement les listes
d'ancienneté sans que les employés y participent.
On a invoqué la décision rendue par la Commis
sion des relations de travail de l'Ontario dans
Magold et al. and Int'l Brotherhood of Boilerma-
kers, Iron Ship Builders, Blacksmiths, Forgers
and Helpers et al., [1976] 1 Canadian LRBR 392,
pour dire que la ratification officielle d'une con
vention collective n'est pas nécessaire pour que
celle-ci lie ses membres. On a fait mention de
l'arrêt de la Cour suprême McGavin Toastmaster
Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718 pour
affirmer qu'un employé assujetti à une convention
collective n'a plus le droit de négocier individuelle-
ment ni de conclure un contrat d'engagement avec
son employeur.
Pour répondre à la Commission qui a cité ces
décisions, l'avocat de la demanderesse a fait valoir
que quelle que soit la situation existante dans ces
cas, le syndicat défendeur à l'instance n'avait nul-
lement le pouvoir de signer un accord pour modi
fier les droits d'ancienneté des employés sans qu'il
y ait au moins un vote de ratification. Il a prétendu
que le syndicat avait toujours l'habitude de sou-
mettre les conventions collectives éventuelles à la
ratification des membres—ce fait n'a pas été men-
tionné dans l'exposé conjoint des faits déposé par
les parties. L'avocat de la Commission s'est appuyé
d'autre part sur le fait que les statuts du syndicat
ne contiennent aucune condition expresse exigeant
la tenue d'un vote de ratification avant qu'une
convention collective ne devienne exécutoire. J'ai
du mal à apprécier ces arguments. Ainsi qu'il a été
souligné, le syndicat a choisi de ne pas se faire
représenter dans les présentes procédures, et on a
laissé à la Commission le soin de faire valoir les
droits et obligations du syndicat. En tout état de
cause, je ne suis pas disposée à conclure, sur la
seule base de l'absence d'une condition écrite dans
les statuts du syndicat, qu'un vote de ratification
n'était pas nécessaire. Compte tenu des faits de
l'espèce, il s'agit d'une preuve trop peu convain-
cante.
Même si le syndicat pouvait assujettir ses mem-
bres à un tel accord, je ne suis toutefois pas
persuadée qu'il s'agit là d'une réponse à la ques
tion de savoir si la Commission est tenue d'aviser
les tierces parties. (Je ferai remarquer en passant
que la Commission a avancé le curieux argument
selon lequel les droits de la demanderesse Julie
Dalton n'ont pas été touchés en l'espèce, en ajou-
tant que l'accord a modifié uniquement les droits
de la défenderesse Bianca Perruzza.) À mon avis,
le fait pour la Commission d'avoir participé au
processus de négociation et de règlement en utili-
sant ses pouvoirs de persuasion modifie complète-
ment la nature de ce qui pourrait être strictement
un processus de négociation entre la compagnie et
le syndicat. Je ferai remarquer qu'un réajustement
de la liste d'ancienneté de tous les employés figu-
rait à l'ordre du jour pour que la compagnie et le
syndicat en discutent dans les négociations qui ont
conduit à la convention collective d'octobre 1982.
On n'y a pas souscrit.
À mon sens, la participation de la Commission
qui, en approuvant les accords, les a transformés
en actes instrumentaires, la violation de ceux-ci
constituant une infraction criminelle, fait de la
procédure de négociation et de règlement sous sa
tutelle quelque chose de qualitativement différent
des négociations normales qui se déroulent à la
table de négociation entre un employeur et un
syndicat. Je ne pense pas qu'il suffise alors de
chercher dans les rapports entre la compagnie, le
syndicat et les employés la réponse à la question de
l'obligation de la Commission de donner avis aux
tierces parties concernées.
Si la prétention de la Commission est fondée, un
membre du syndicat, celui qui dépose une plainte
(en l'espèce, c'est Bianca Perruzza), est alors en
droit de faire des observations relatives à ses droits
non pas sous le couvert du syndicat, mais les autres
membres du syndicat (en l'espèce, c'est la deman-
deresse Julie Dalton), dont les droits sont égale-
ment touchés par une décision de la Commission,
n'ont pas droit de le faire. Il s'agit d'une consé-
quence étrange pour ne pas dire plus.
La Commission des droits de la personne dispose
d'une procédure flexible. Fournir aux tierces par
ties touchées par une décision comme en l'espèce
l'occasion de se faire entendre ne signifie pas qu'il
y a obligation d'entendre chaque employé séparé-
ment. Mais on doit concevoir un mécanisme leur
permettant de faire valoir leurs droits communs.
Texte de l'accord approuvé par la Commission
Toutes les parties présument que l'accord
approuvé par la Commission exige au moins un
réajustement de toutes les listes d'ancienneté
datant de 1960, de sorte que, parmi les employés à
temps plein engagés le même jour, l'ancienneté est
attribuée selon le processus de sélection au hasard.
La liste réajustée, qui est en preuve et que la
demanderesse conteste, va même plus loin, et la
Commission admet que, à certains égards, elle ne
relève pas de sa compétence. La Commission fait
remarquer que la liste est une liste provisoire; les
consultations avec ladite Commission concernant
son contenu obligatoire n'étaient pas terminées
lorsque la demanderesse a intenté son action.
La liste réajustée remonte à 1950. La Commis
sion admet qu'il s'agit là d'une erreur et que la
liste devrait être révisée de manière à ne pas
remonter avant 1960. Antérieurement à 1960, des
facteurs autres que l'âge ont été utilisés pour
déterminer l'ancienneté de personnes engagées le
même jour: l'heure du jour où ils ont commencé à
travailler; les notes qui leur ont été attribuées dans
les tests passés à la fin de leurs programmes de
formation.
La liste a également été réajustée dans la
mesure où elle se rapporte à l'ancienneté de quel-
ques employés qui ont obtenu un emploi à temps
plein chez CP Air en débutant comme employés à
temps partiel. La compagnie a comme politique
d'offrir des possibilités d'emploi à temps plein aux
employés à temps partiel avant de recourir à des
candidats venant de l'extérieur pour combler les
postes vacants. Ces postes étaient offerts aux
employés à temps partiel selon l'ordre de leur
ancienneté. Ainsi donc, parmi les employés à
temps partiel engagés le même jour, on embau-
chait la personne la plus âgée.
Un employé à temps partiel qui acceptait un
emploi à temps plein figurait sur la liste d'ancien-
neté des employés à temps plein à partir d'une date
choisie arbitrairement. Il n'est pas nécessaire de
décrire la méthode de calcul utilisée. Il suffit de
dire que, entre deux employés à temps partiel
engagés le même jour, l'un finissait par avoir
l'ancienneté d'un employé à temps plein avant
l'autre simplement parce qu'il était choisi plus tôt
pour travailler à temps plein en raison de son âge.
La Commission a fait valoir devant la Cour que
l'accord n'exigeait pas ce réajustement de la liste
d'ancienneté, qu'il s'agissait d'une application
rétrospective de la loi, ce que la Commission
n'était pas autorisée à faire. Elle a indiqué qu'on
procéderait à une révision de la liste provisoire de
manière à maintenir l'ancienneté initiale des ex-
employés à temps partiel.
Puisque la Commission voulait faire une telle
concession, la demanderesse a demandé que toute
ordonnance que je pourrais rendre élimine au
moins cet aspect de la liste. Étant donné ma
conclusion sur la question de l'avis, la totalité de la
liste sera, bien entendu, déclarée nulle, mais je ne
saurais m'empêcher de dire que j'ai bien du mal à
comprendre le point de vue de la Commission. Je
constate qu'il y a peu de différence entre la situa
tion des employés à temps plein et celle des ex-
employés à temps partiel. Dans les deux cas, un
employé obtient la priorité sur la liste d'ancienneté
en raison de son âge. Dans les deux cas, ce privi-
lège une fois accordé fait que les employés conti-
nuent à bénéficier d'avantages au cours de leur
emploi actuel. La seule différence est que dans un
cas, les employés ont tous été engagés le même
jour à titre d'employés à temps plein, alors que
dans l'autre, les employés ont tous été embauchés
le même jour en tant qu'employés à temps partiel.
Dans le cas des employés à temps partiel, il est vrai
que les dates arbitraires à partir desquelles ils
obtiennent le statut d'employés à temps plein
seront vraisemblablement différentes, alors que
dans le cas des employés à temps plein, la date sera
la même. Mais je ne crois pas qu'il s'agisse là
d'une différence importante puisque, en fin de
compte, c'est le classement selon l'ancienneté qui
importe, et non la date à partir de laquelle il prend
effet, que cette date soit attribuée arbitrairement
ou non.
En tout cas, le texte de l'accord convenu me
pose un problème plus fondamental. Il exige
[TRADUCTION] ... une liste d'ancienneté révisée fondée sur
l'application rétroactive de l'article 7.08 de la convention n° 22
L'article 7.08 exige qu'on se serve de l'âge pour
établir l'ancienneté des employés engagés avant la
date d'entrée en vigueur de la convention n° 22 (31
octobre 1982) et que, par la suite, on procède par
sélection au hasard. Ainsi donc, l'application
rétroactive de cet article ne change rien puisque,
en tout cas, l'âge était utilisé avant le 31 octobre
1982. De toute évidence, ce n'était pas là l'inten-
tion des parties à l'accord, mais c'est ce qui résulte
d'une interprétation littérale du texte. L'accord
n'exige nullement le réajustement de la liste d'an-
cienneté qui se fait actuellement.
Cet argument ne faisait pas partie de la preuve
présentée par la demanderesse, et j'ai donc exa-
miné dans quelle mesure je devrais interpréter
l'accord conformément à l'intention des parties,
même si la formulation stricte ne révèle pas cette
intention. Je suis particulièrement consciente du
fait que si l'on interprète littéralement le texte de
l'accord, il est totalement sans effet—en fait il n'a
pas de sens. Il me semble néanmoins qu'il faille
s'en tenir au texte même ou tenir compte de ce
moyen de défense fondamental même si les parties
ne l'ont pas invoqué. En vertu de l'article 46 de la
Loi canadienne sur les droits de la personne,
l'inobservation des conditions d'un accord qu'a
approuvé la Commission constitue une infraction
criminelle. À mon sens, cela exige une formulation
précise de l'accord, et il faut s'en tenir strictement
au texte.
En conséquence, je rends une ordonnance inter-
disant à la compagnie et au syndicat de donner
suite à la liste d'ancienneté révisée dans la mesure
où cette disposition est prise en vertu de l'accord
approuvé par la Commission des droits de la
personne.
Je rends également un jugement déclarant que
les termes de l'accord n'autorisent pas le réajuste-
ment de la liste d'ancienneté, ainsi qu'il ressort de
la liste d'ancienneté révisée, et que dans la mesure
où l'accord devait modifier les droits d'ancienneté
de la demanderesse Julie Dalton, il est nul parce
qu'il a été conclu sans tenir compte des règles de
justice naturelle.
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