T-2696-80
Smith, Kline & French Laboratories Limited,
Smith, Kline & French Canada Ltd., Graham
John Durant, John Colin Emmett et Charon
Robin Ganellin (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
Division de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
23, 25, 26, 27 septembre; 18 novembre 1985.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — L'art. 41(4)
de la Loi sur les brevets prévoit la délivrance de licences
obligatoires en ce qui concerne les brevets de procédé couvrant
des médicaments — L'objet de la loi est de réduire le prix des
médicaments au moyen de la concurrence et de ce fait, de
limiter les droits monopolistiques des titulaires de brevets —
L'art. 41(4) n'outrepasse pas la compétence du législateur
fédéral car il s'agit d'une disposition législative qui concerne
les «brevets d'invention et de découverte» — Pouvoir du légis-
lateur fédéral de restreindre le droit de propriété acquis en
vertu de l'art. 41(4) — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap.
P-4, art. 41(4) — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91(2),(22), 92(13).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'art. 41(4) de la Loi sur les brevets prévoit un
système d'attribution de licences obligatoires en ce qui con-
cerne les brevets couvrant des médicaments — On allègue
qu'une loi établissant une distinction entre les titulaires de
brevets couvrant des médicaments et les autres titulaires de
brevets est discriminatoire — Il faut appliquer un critère qui
comporte deux volets: la fin recherchée est-elle légitime et les
moyens utilisés se rapportent-ils, d'une manière rationnelle, à
la réalisation de cette fin? — La loi n'a pas des effets trop
marqués ni une portée trop restreinte parce qu'elle ne vise que
les médicaments d'ordonnance — Loi sur les brevets, S.R.C.
1970, chap. P-4, art. 41(4) — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 1, 15(1).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — L'art. 41(4) de la Loi sur les brevets prévoit la
délivrance de licences obligatoires en ce qui concerne les
brevets couvrant des médicaments — Les concepts de vie,
liberté et sécurité de la personne se rapportent au bien-être
physique d'une personne physique — Ils ne s'appliquent pas à
des intérêts économiques — Rejet de l'argument suivant lequel
les droits de propriété sont implicitement garantis par l'art. 7
— Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4) —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Déclaration des droits — Jouissance des biens — L'art.
41(4) de la Loi sur les brevets refuse-t-il la jouissance de biens
aux détenteurs de brevets couvrant des médicaments? — La
décision d'accorder des licences obligatoires équivaut à la
«privation» d'un bien — Le droit de propriété acquis en vertu
de l'art. 41(4) peut être brisé — L'expression «application
régulière de la loi» porte-t-elle sur le fond et sur la procé-
dure? — Il ne faut pas considérer inopérantes les dispositions
de fond de l'art. 41(4) pour le motif qu'elles sont injustes sur
le plan économique à l'égard des titulaires de brevets couvrant
des médicaments — Le concept de «l'application régulière de
la loi» est plus large que celui d'une «audition impartiale» —
L'application régulière de la loi prévoit un moyen de rappro-
cher, d'une manière rationnelle, les faits de l'affaire des critè-
res prescrits par le Parlement — Aucun déni de l'application
régulière de la loi — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap.
P-4, art. 41(4) — Déclaration canadienne des droits, S.C.
1960, chap. 44, art. lb), 2e).
Déclaration des droits — Égalité devant la loi — L'art.
41(4) de la Loi sur les brevets restreint les droits monopolisti-
ques des titulaires de brevets couvrant des médicaments —
Aucune violation de l'art. lb) car la disposition législative
adoptée vise un objectif fédéral régulier — Loi sur les brevets,
S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4) — Déclaration canadienne
des droits, S.C. 1960, chap. 44, art. lb).
Brevets — Action visant à obtenir un jugement déclaratoire
portant que les demandeurs ont droit de retirer les bénéfices de
leurs inventions, francs de toute licence obligatoire — L'art.
41(4) de la Loi prévoit un système d'attribution de licences
obligatoires en ce qui concerne les brevets couvrant des médi-
caments — L'art. 41(4) n'outrepasse pas la compétence du
législateur fédéral — Aucun déni du droit à l'application
régulière de la loi ou à l'égalité devant la loi — Les intérêts
économiques sont exclus de la protection garantie par l'art. 7
de la Charte — Objectif gouvernemental légitime: réduire le
prix des médicaments pour le public grâce à la concurrence —
La procédure prévue à l'art. 41(4) se rapporte d'une manière
rationnelle à la réalisation de cet objectif — Répercussions de
l'art. 15(1) de la Charte sur l'art. 41(4) — Action rejetée —
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 12, 41(3),(4),
(11), 66, 67, 68.
La présente action vise à obtenir un jugement déclaratoire
portant que les demandeurs ont droit de retirer les bénéfices qui
leur reviennent d'inventions couvrant des médicaments, francs
de toute licence obligatoire prévue au paragraphe 41(4) de la
Loi sur les brevets. Les demandeurs allèguent que ledit para-
graphe (1) est inconstitutionnel, (2) qu'il est incompatible avec
les alinéas la) et b) de la Déclaration canadienne des droits, et
(3) qu'il porte atteinte aux droits qui leur sont garantis par
l'article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte.
Les faits ainsi que l'examen des éléments de preuve présentés
ont été résumés dans la note de l'arrêtiste qui suit le présent
sommaire.
Jugement: l'action est rejetée.
(1) Partage des pouvoirs
Les demandeurs soutiennent que, étant donné que le but du
paragraphe 41(4) est la réglementation des prix, cette disposi
tion législative constitue une règle de droit qui se rapporte à «la
propriété et [aux] droits civils», une matière attribuée aux
provinces, et non aux «brevets d'invention et de découverte»,
une matière attribuée au législateur fédéral. Pour trancher
cette question, il a été nécessaire d'examiner d'abord l'objet de
la disposition législative et ensuite, son effet.
Cette disposition législative a pour objet d'éviter la création
d'un monopole pour ainsi favoriser la concurrence et réduire le
prix des médicaments. Les tribunaux ont statué qu'elle est
constitutionnelle si on l'interprète de la sorte.
Il a fallu ensuite examiner si, en l'espèce, la preuve permet-
tait une conclusion différente. La Cour a conclu que les titulai-
res de brevets couvrant des médicaments se voient privés de
profits en comparaison de ceux qu'ils auraient pu s'attendre à
réaliser au Canada s'ils avaient obtenu leurs brevets en vertu
d'une loi conférant une période d'exclusivité pendant 17 ans.
On ne peut toutefois affirmer qu'en amenant un tel résultat, le
législateur fédéral a empiété sur la compétence des provinces.
Rien n'empêche le législateur fédéral de créer ou de régle-
menter le droit de propriété dans l'exercice de ses pouvoirs
énumérés. Son pouvoir sur les «brevets d'invention et de décou-
verte» l'habilite donc à créer un monopole en faveur d'une
partie et à interdire aux autres parties d'utiliser, de fabriquer,
de vendre ou d'importer des produits qui font l'objet d'un
brevet. S'il existe quelque objection à cette distinction, c'est
l'article 15 de la Charte qui en sera le fondement.
Il n'existe aucun droit à un brevet en vertu de la common
law. Ce droit est créé par le législateur fédéral et, en l'espèce,
ce dernier a restreint l'étendue du monopole accordé aux
titulaires de brevets couvrant des médicaments. Rien dans la
Constitution ne prescrit que la période d'exclusivité doit être de
17 ans en l'absence d'abus tel que défini dans la loi.
Le principe suivant lequel le législateur fédéral ne peut, dans
l'exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe 91(2) de la
Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui a trait à «la réglementa-
tion des échanges et du commerce», réglementer les contrats
d'une entreprise ou d'un commerce particuliers dans une pro
vince n'est pas pertinent en l'espèce. Le Parlement exerce dans
la présente affaire son pouvoir en matière de brevets et ce
faisant, il peut très bien viser ce genre de contrats tant que la
loi est par ailleurs une loi qui relève bien du domaine des
brevets. De plus, le paragraphe 41(4) ne constitue pas une
disposition législative relative aux prix même si l'un de ses
objectifs est d'entraîner une réduction des prix. L'exercice d'un
pouvoir fédéral n'est pas invalide parce qu'il a un effet sur les
prix. La question de savoir si les répercussions économiques du
paragraphe 41(4) sur les brevetés sont justes ou non n'est pas
pertinente à l'égard de la question du partage des pouvoirs et
n'est pas non plus une question qu'il incombe à la Cour de
trancher.
(2) Déclaration canadienne des droits, alinéa la)
Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 41(4) est
incompatible avec l'alinéa la) en ce qu'il a pour effet de leur
refuser la jouissance d'un bien autrement que par l'application
régulière de la loi.
Le terme «individu» qui figure à l'alinéa la) ne comprend pas
les personnes morales. Par conséquent, les sociétés demanderes-
ses n'ont aucun droit d'action en vertu de cet alinéa. Par contre,
les particuliers demandeurs ont l'intérêt nécessaire pour deman-
der un jugement déclaratoire concernant les répercussions de la
Déclaration des droits sur le paragraphe 41(4). Ils sont toujours
des inventeurs en puissance et la valeur de leurs services, passés
et à venir, sera touchée par cette loi.
Pour ce qui est des brevets couvrant des médicaments, la Loi
sur les brevets confère, depuis 1923, un monopole de 17 ans qui
peut toutefois être brisé, c'est-à-dire qu'il reste assujetti aux
décisions du commissaire et des requérants en ce qui a trait à
l'obtention et à l'octroi de licences obligatoires. La Cour rejette
cependant l'argument du défendeur suivant lequel la délivrance
d'une licence n'est pas la «privation» d'un bien. Le fait pour le
commissaire de décider que les conditions prescrites par le
paragraphe 41(4) pour la délivrance d'une licence obligatoire
ont été satisfaites a pour conséquence de permettre l'affaiblisse-
nient du monopole initial conféré au breveté. Si on veut donner
une interprétation libérale à la Déclaration des droits, il faut
considérer que cette décision entraîne la «privation d'un bien».
Si on adoptait l'interprétation plus étroite du terme «privé» ainsi
qu'il figure à l'alinéa la), cela signifierait que tout avantage
auquel un fonctionnaire peut, à sa discrétion, mettre fin ne
pourrait se traduire par une privation faisant intervenir les
garanties prévues à l'alinéa la) de la Déclaration des droits ou
à l'article 7 de la Charte.
Les demandeurs prétendent qu'il y a refus de l'application
régulière de la loi quant au fond parce que le paragraphe 41(4)
empêche une compensation adéquate, et de l'application régu-
lière de la loi quant à la procédure car le commissaire est
autorisé à décider de sa propre procédure.
La Cour ne pouvait accepter l'argument suivant lequel toute
loi qui réduit la rentabilité d'un secteur d'une industrie tout en
augmentant celle d'un autre secteur est en soi contraire à
«l'application régulière de la loi». La jurisprudence canadienne
contient très peu d'éléments qui permettent de croire que
l'alinéa la) autorise un tribunal à considérer inopérantes les
dispositions de fond du paragraphe 41(4) pour le motif qu'elles
sont injustes sur le plan économique à l'égard des titulaires de
brevets couvrant des médicaments.
Pour ce qui est de la question de savoir si le paragraphe
41(4) porte atteinte à «l'application régulière de la loi» au sens
procédural, la Cour d'appel fédérale a clairement jugé que ce
paragraphe n'est pas incompatible avec l'alinéa 2e) de la Décla-
ration des droits qui prévoit la tenue d'une audition impartiale
«selon les principes de justice fondamentale». La Cour a consi-
déré que le concept de «l'application régulière de la loi» quant à
la procédure est plus large que celui d'une «audition impar-
tiale». L'application régulière de la loi exige, outre une audition
impartiale, un processus complet prévoyant, pour la prise d'une
décision autorisée par la loi, un moyen qui permette de rappro-
cher, d'une manière rationnelle, les faits de l'affaire des critères
prescrits par la loi, en l'occurrence par le Parlement. On
s'attend à ce que le commissaire fasse appel à ses propres
connaissances ainsi qu'à celles acquises au cours des procédures
de la cause et il doit jouir d'un vaste pouvoir discrétionnaire à
l'égard duquel les tribunaux n'interviendront pas à moins que
sa décision ne soit manifestement erronée. Etant donné la
nature de la procédure prescrite par le paragraphe 41(4), il est
impossible d'affirmer que cette procédure est illogique ou
impropre à l'établissement du lien nécessaire entre les faits
pertinents et les conclusions fondées sur ces faits.
(3) Déclaration canadienne des droits, alinéa lb)
Les demandeurs allèguent qu'on leur refuse «l'égalité devant
la loi» pour le motif que les titulaires de brevets couvrant des
médicaments ne jouissent pas de l'exclusivité de leurs inventions
pendant 17 ans comme c'est le cas des autres brevetés. Il est
bien établi qu'une loi qui crée des distinctions entre les indivi-
dus ne contrevient pas à l'alinéa lb) si elle a été adoptée en
cherchant l'accomplissement d'un «objectif fédéral régulier». La
Cour est convaincue que le paragraphe 41(4) vise un objectif
fédéral régulier.
(4) Charte, article 7
Les personnes morales demanderesses et les particuliers
demandeurs ont potentiellement droit à la protection de l'article
7 étant donné qu'il s'applique à «chacun». Toutefois, le paragra-
phe 41(4) ne vise ni la «liberté» ni la «sécurité de [la] personne»
de l'un ou l'autre des demandeurs. Le fait d'associer les con
cepts de «vie ... liberté et ... sécurité de sa personne» en colore
le sens et ceux-ci se rapportent au bien-être physique d'une
personne physique. Comme tels, ils ne permettent pas de
.décrire les droits d'une société ni de décrire les intérêts pure-
ment économiques d'une personne physique. Les termes
«liberté» et «sécurité de sa personne» visent le droit à la liberté à
l'encontre des arrestations ou détentions arbitraires. La
manière dont la Cour a qualifié les termes «vie . liberté et ...
sécurité de sa personne» exclut l'argument selon lequel les
droits de propriété sont implicitement garantis par l'article 7.
(5) Charte, paragraphe 15(1)
Les sociétés demanderesses n'ont pas qualité pour soulever la
question de l'article 15 puisqu'il ne s'applique qu'à «every,
individual». Seuls les particuliers demandeurs possèdent, à titre
d'inventeurs du médicament, un intérêt suffisant pour invoquer
l'article 15 vu que, de la façon dont il s'applique ou s'appliquera
à leur égard, et de la façon dont il est appliqué à d'autres
inventeurs, le paragraphe 41(4) peut être incompatible avec
l'article 15 de la Charte.
Les demandeurs soutiennent qu'ils font l'objet dans la loi de
distinctions discriminatoires en ce que les titulaires de brevets
couvrant des médicaments sont traités de façon moins favorable
que les autres titulaires de brevets.
La question de savoir si la disposition législative contestée
contrevient, à première vue, au paragraphe 15(1) de la Charte
a été tranchée sur le fondement d'un critère comportant deux
volets et dégagé par le juge McIntyre dans l'arrêt MacKay c.
La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370: d'une part, la fin recherchée
doit faire partie de celles qu'il est, d'une façon générale,
légitime pour un gouvernement de rechercher et, d'autre part,
les moyens utilisés doivent se rapporter, d'une manière ration-
nelle, à la réalisation de cette fin. La Cour a statué que la fin
recherchée au paragraphe 41(4), c'est-à-dire la réduction du
prix des médicaments, constitue un objectif gouvernemental
légitime. Pour ce qui est du deuxième volet du critère, il
incombait aux demandeurs de prouver que les moyens utilisés
n'étaient pas appropriés. Le rôle de la Cour est d'examiner si
les moyens choisis sont manifestement inappropriés eu égard à
la fin recherchée et, au cas contraire, le choix du Parlement
devrait être respecté.
Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 41(4) ne
constitue pas un mécanisme rationnel parce qu'il a des effets
trop marqués sur les titulaires de brevets et une portée trop
restreinte dans la mesure où il ne vise que les médicaments
d'ordonnance. Ils n'ont pas été en mesure de présenter des
éléments de preuve clairs en ce qui a trait à l'effet du paragra-
phe 41(4) sur les titulaires de brevets. Ils ont démontré que la
recherche et le développement sont des activités coûteuses et
que les coûts ne sont probablement récupérés que plusieurs
années après la mise sur le marché du médicament. Cependant,
cela ne démontre pas que la délivrance de licences obligatoires
est par trop oppressive et démesurément à l'avantage du public.
Un des aspects de la plainte est que, depuis 1969, la rede-
vance a toujours été fixée à 4 %. Les tribunaux ont générale-
ment confirmé ces rémunérations et ont, en fait, approuvé une
redevance empirique de 4 %. Le commissaire n'a jamais limité
son pouvoir discrétionnaire de fixer, dans un cas approprié, une
redevance à un taux différent. Il ne serait pas opportun pour la
Cour de déclarer que toutes les décisions antérieures ne sont
pas valides du seul fait qu'elles sont toutes arrivées à la même
conclusion. Le montant de la redevance demeure sujet à contes-
tation chaque fois qu'un cas se présente. Les demandeurs ne se
sont pas déchargés du fardeau qui leur incombait d'établir que
cette disposition législative est si oppressive à leur égard et à
l'égard de ceux qui sont placés dans une situation semblable
qu'elle ne peut être considérée comme un moyen présentant une
commune mesure avec un objectif gouvernemental légitime.
L'argument des demandeurs suivant lequel le paragraphe
41(4) a une portée trop restreinte parce qu'il ne réglemente que
les médicaments d'ordonnance ne peut être retenu. Ledit para-
graphe est rédigé en des termes suffisamment généraux pour
couvrir tout brevet relatif à des «médicaments». Le problème
auquel le législateur fédéral cherchait à s'attaquer était celui du
prix élevé des médicaments. On a conclu que l'une des principa-
les cause du prix élevé des médicaments était la protection dont
jouissaient ceux-ci en vertu des brevets. On ne peut considérer
que le choix de la large catégorie «médicaments» visée au
paragraphe 41(4) est arbitraire.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Hoffmann -LaRoche Ltd. v. Bell -Craig Pharmaceuticals
Division of L. D. Craig Ltd., [1965] 2 R.C.É. 266,
confirmée par [1966] R.C.S. 313; Lilly c. S & U Chemi
cals Ltd. (1973), 9 C.P.R. (2d) 17 (C.F. Appel); Ministre
de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2
R.C.S. 575; American Home Products Corporation c.
Commissaire des brevets et autre (1983), 71 C.P.R. (2d)
9 (C.F. Appel); Merck & Co. c. S. & U. Chemicals Ltd.,
[1974] R.C.S. 839; (1972), 4 C.P.R. (2d) 193, infirmant
(1971), 65 C.P.R. 99 (C. de l'É.); Balderstone v. R.;
Play -All Ltd. v. A.G. Man., [1983] 1 W.W.R. 72 (B.R.
Man.), confirmée par [1983] 6 W.W.R. 438 (C.A.
Man.); R. c. Operation Dismantle Inc., [1983] 1 C.F. 745
(C.A.); MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
DÉCISION APPLIQUÉE:
American Home Products Corp. v. Commissioner of
Patents (1970), 62 C.P.R. 155 (C.A. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Ontario Film and Video Appreciation Society and
Ontario Board of Censors (1983), 41 O.R. (2d) 583
(H.C.J. C. div.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The King v. Irving Air Chute, [1949] R.C.S. 613; Singh
et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 1 R.C.S. 177; Eli Lilly and Co. c. S. & U.
Chemicals Ltd., [1977] 1 R.C.S. 536; Hoffmann-La
Roche Ltd. v. Frank W. Horner Ltd., Attorney -General
of Canada, Intervenant (1970), 64 C.P.R. 93 (C. de l'E.);
Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Pfizer (Charles) &
Co. Inc. v. Novopharm Ltd. (1970), 65 C.P.R. 132 (C. de
l'E.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1
R.C.S. 295; 58 N.R. 81; Parke, Davis & Co. v. Fine
Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.S. 219.
DÉCISIONS CITÉES:
American Home Products Corporation c. ICN Canada
Limited, jugement en date du 3 juillet 1985, Cour fédé-
rale, Division d'appel, A-888-83, non encore publié;
Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktien-
gesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964]
R.C.S. 49; (1963), 25 Fox Pat. C. 99; Latham c. Sollici-
teur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R.
(4th) 393 (1 reinst.); Staples c'. Commission nationale des
libérations conditionnelles, [1985] 2 C.F. 438 (1 reinst.);
R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; Praia c. Ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S.
376; Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S.
183; Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 1 C.F. 914 (C.A.); Board of Regents of State
Colleges v. Roth, 408 U.S. 564 (1972); Meyer v. State of
Nebraska, 262 U.S. 390 (1923); Le groupe des éleveurs
de volailles de l'est de l'Ontario c. Office canadien de
commercialisation des poulets, [1985] 1 C.F. 280;
(1984), 14 D.L.R. (4th) 151 (1re inst.); Alliance de la
Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984] 2 C.F.
562; 11 D.L.R. (4th) 337 (1" inst.), confirmée par [1984]
2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.); Re Becker and
The Queen in right of Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d)
539 (C.A. Alb.).
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r., Robert M. Nelson
et Emma C. Hill pour les demandeurs.
Derek Aylen, c.r., Bruce Russell et Paul
Lordon pour le défendeur.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: La présente action vise à
obtenir un jugement déclaratoire portant que les
demandeurs ont droit de retirer les bénéfices qui
leur reviennent respectivement des inventions
décrites dans les brevets canadiens portant les
numéros 1 045 142 et 949 967, francs de toute
licence obligatoire prévue au paragraphe 41(4) de
la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4. Ils
soutiennent à cette fin que ledit paragraphe est
inconstitutionnel, qu'il est inopérant parce qu'il est
incompatible avec les dispositions de la Déclara-
tion canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44, et
qu'il est nul et non avenu parce qu'il contrevient à
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B] adoptée par la Loi de 1982 sur le
Canada (R.-U., chap. 11). Les particuliers faisant
partie des demandeurs en l'espèce sont les inven-
teurs des deux inventions visées par les brevets en
cause. Ils ont cédé tous leurs droits sur lesdites
inventions à leur employeur, la demanderesse
Smith, Kline & French Laboratories Limited, une
compagnie du Royaume-Uni. Cette compagnie est
propriétaire des brevets canadiens en litige. Smith,
Kline & French Canada Ltd. est une société cana-
dienne. Elle vend, en qualité de preneur de licence,
le médicament couvert par le brevet et dont le nom
générique est Cimetidine; elle le vend toutefois
sous le nom de Tagamet, un médicament d'ordon-
nance utilisé dans le traitement des ulcères gastri-
ques. Ces deux compagnies font [TRADUCTION]
«partie du groupe de compagnies que possède
Smith Kline partout dans le monde» et sont toutes
les deux des filiales à cent pour cent d'une compa-
gnie américaine qui, de son côté, est la filiale de
Smith Kline Beckman Corporation, une autre
compagnie américaine. Le médicament Cimetidine
fait présentement l'objet au Canada de plusieurs
licences obligatoires délivrées conformément au
paragraphe 41(4).
Points en litig z e
Afin de bien comprendre la pertinence de cer-
tains faits que j'énoncerai plus loin, il est tout
d'abord nécessaire d'examiner les principaux
points en litige dans la présente action. Il faut,
pour ce faire, rappeler les dispositions du paragra-
phe 41(4) de la Loi sur les brevets dont voici le
texte:
41....
(4) Si, lorsqu'il s'agit d'un brevet couvrant une invention
destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc
tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles
fins, une personne présente une demande pour obtenir une
licence en vue de faire l'une ou plusieurs des choses suivantes
comme le spécifie la demande, savoir:
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven-
tion pour la préparation ou la production de médicaments,
importer tout médicament dans la préparation ou la produc
tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica-
ment dans la préparation ou la production duquel l'invention
a été utilisée, ou
b) lorsque l'invention consiste en autre chose qu'un procédé,
importer, fabriquer, utiliser ou vendre l'invention pour des
médicaments ou pour la préparation ou la production de
médicaments,
le commissaire doit accorder au demandeur une licence pour
faire les choses spécifiées dans la demande à l'exception de
celles, s'il en est, pour lesquelles il a de bonnes raisons de ne pas
accorder une telle licence; et, en arrêtant les conditions de la
licence et en fixant le montant de la redevance ou autre
considération à payer, le commissaire doit tenir compte de
l'opportunité de rendre les médicaments accessibles au public
au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste
rémunération pour les recherches qui ont conduit à l'invention
et pour les autres facteurs qui peuvent être prescrits.
La validité et l'applicabilité de ce paragraphe sont
contestées pour les motifs suivants.
Partage des pouvoirs—Les demandeurs soutien-
nent que ce paragraphe constitue, dans son essence
et sa substance, une règle de droit qui se rapporte
à «la propriété et [aux] droits civils», c'est-à-dire
une matière attribuée aux provinces par la rubri-
que 13 de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de
1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [[S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)], et non aux
«brevets d'invention et de découverte» qui relèvent
du législateur fédéral en vertu de la rubrique 22 de
l'article 91 de ladite Loi. Ils allèguent essentielle-
ment que le but et l'effet de cette disposition
législative est la réglementation du prix des médi-
caments vendus au Canada et que la réglementa-
tion des prix est une matière provinciale.
Déclaration canadienne des droits—On allègue
que le paragraphe 41(4) est incompatible avec l'un
ou l'autre des alinéas l a) et l b) de la Déclaration
canadienne des droits, ou les deux, qui portent:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la
personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne
s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
On affirme que le paragraphe 41(4) retire un
«bien» au propriétaire d'un brevet portant sur des
médicaments en conférant les bénéfices essentiels
de ce brevet à un preneur de licence obligatoire;
qu'il n'y a pas eu «application régulière de la loi»
parce que la procédure suivie ne respecte pas
l'équité et que, pour l'essentiel, son, résultat a
l'effet d'une confiscation parce qu'aucune indem-
nité adéquate n'est accordée au breveté. On sou-
tient que les titulaires de brevets couvrant des
médicaments sont privés de «l'égalité devant la loi»
parce qu'ils sont traités différemment des autres
titulaires de brevets étant donné qu'on leur refuse
l'exclusivité de leur invention, ce dont jouissent les
autres titulaires de brevets pendant dix-sept ans.
Charte canadienne des droits et libertés—On
prétend qu'il est porté atteinte aux droits garantis
aux demandeurs par l'article 7 et le paragraphe
15(1) de la Charte qui sont ainsi rédigés:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
Pour ce qui est de l'article 7, on fait valoir qu'on a
porté atteinte, sans tenir compte des principes de
la justice fondamentale, à la «liberté» ou à la
«sécurité de la personne» des demandeurs, droits
qui incluent, affirme-t-on, les libertés d'ordre éco-
nomique, telle la liberté de contracter. On affirme
que ces négations de l'application de la justice
fondamentale quant au fond et à la procédure sont
de la même nature que celles dont il est question
quand on allègue qu'il n'y a pas eu application
régulière de la loi en ce qui concerne l'alinéa 1 a)
de la Déclaration canadienne des droits. La discri
mination dont on se plaint en vertu du paragraphe
15(1) est semblable à celle dont on se plaint en
vertu de l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne
des droits même si, bien sûr, le libellé de la Charte
a une portée beaucoup plus large et peut proscrire
des distinctions d'origine législative autrefois
jugées valides en vertu de la Déclaration cana-
dienne des droits.
Le défendeur rejette, de manière générale, cha-
cune des prétentions susmentionnées. Il soutient
notamment que les sociétés demanderesses n'ont
pas droit à la protection garantie par ces disposi
tions de la Déclaration canadienne des droits et de
la Charte canadienne des droits et libertés. Il
prétend que les alinéas la) et b) de la Déclaration
canadienne des droits et que le paragraphe 15(1)
de la Charte ne protègent pas les sociétés étant
donné que ces dispositions ne s'appliquent expres-
sément qu'aux «individuals» seulement. Pour ce
qui est de l'article 7 de la Charte, le défendeur fait
valoir que même si cet article s'applique à
«chacun», terme qui pourrait potentiellement
inclure une personne morale, les droits «à la vie, à
la liberté et à la sécurité de sa personne» ne sont
pas par leur nature des droits qui appartiennent à
une société.
Il faut aborder ces points litigieux en reconnais-
sant que le paragraphe 41(4), comme on le souli-
gnera plus loin, est en vigueur sous sa forme
actuelle depuis 1969, soit depuis seize ans et que
son libellé antérieur, remontant à 1923, soulevait
la plupart des mêmes questions litigieuses. Tant
dans sa forme actuelle que dans sa forme anté-
rieure, il a fait l'objet de nombreux litiges portant
sur son interprétation et même sur sa constitution-
nalité. Des tribunaux d'appel ont expressément
reconnu, au moins à trois reprises, que ce paragra-
phe relevait de la compétence du législateur fédé-
ral. Même si l'adoption de la Charte et la récente
entrée en vigueur, en avril 1985, de son article 15
constituent un élément nouveau, et même si on a
produit en l'espèce de nombreux éléments de
preuve quant au but et à l'effet du paragraphe,
éléments qui, semble-t-il, n'étaient pas à la disposi
tion des tribunaux dans les affaires antérieures, je
dois souligner qu'il ne m'est pas possible de faire
abstraction de ce qui existait auparavant.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
En arrêtant son choix sur le présent jugement
de 82 pages pour fins de publication, l'arrêtiste a
jugé bon de condenser la partie des motifs qui
expose les faits, soit quelque 25 pages. Voici
donc un résumé de l'examen de la preuve fait par
Sa Seigneurie.
Les dispositions législatives canadiennes pré-
voyant l'attribution de licences obligatoires dans
le cas des brevets de procédé visant des médica-
ments ont été adoptées pour la première fois en
1923. La disposition législative pertinente, le
paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets, avait
pour but d'assurer que les médicaments devien-
draient «accessibles au public au plus bas prix
possible tout en accordant au breveté une juste
rémunération pour les recherches qui ont conduit
à l'invention». Lorsque le procédé de production
faisait l'objet d'un brevet octroyé au Canada, il
n'était possible d'obtenir des licences obligatoires
que pour la fabrication de médicaments au
Canada et non en vue de leur importation.
Au cours des années soixante, la législation
relative à l'attribution de licences obligatoires a
été examinée par diverses commissions dont les
recommandations allaient du maintien du système
d'attribution de licences obligatoires à la suppres
sion des brevets couvrant des médicaments en
passant par l'extension du système à l'importa-
tion. La Loi a été modifiée en 1969 afin de
permettre la délivrance de licences obligatoires
en vue de l'importation de médicaments brevetés
au Canada. Cette modification a eu un effet consi-
dérable sur l'utilisation du système de licences
obligatoires: alors que de 1923 1963, seulement
23 demandes de licences ont été présentées,
près de 700 licences ont été accordées depuis
1969.
On a présenté des éléments de preuve indi-
quant que peu de demandes de licences sont
refusées. Depuis 1969, la redevance totale a
toujours été fixée à 4 %.
Des procédures interlocutoires ont été enga
gées au cours du présent litige. Dans une ordon-
nance rendue le 6 juillet 1982, le juge Addy a
statué que la manière dont une loi était appliquée
ne pouvait être pertinente pour déterminer si elle
était rendue inopérante par la Déclaration cana-
dienne des droits. Il a également statué qu'il est
possible de présenter des éléments de preuve
pour montrer le sens et l'effet de la loi afin d'en
déterminer la constitutionnalité. L'historique de la
loi était recevable à cette fin mais non les opi
nions de ministres, d'hommes politiques ou de
fonctionnaires. Il a ajouté que la preuve relative à
la manière dont une loi est appliquée était admis
sible pour en montrer l'effet. Cette décision est
publiée dans (1982), 29 C.P.C. 117.
Dans une ordonnance datée du 26 juillet 1984,
le juge Strayer a statué que des éléments de
preuve ne pourraient être recevables qu'en ce qui
a trait à la constitutionnalité du paragraphe 41(4).
Étant donné que les demandeurs n'avaient pas
soutenu que ce paragraphe était nul quand on
l'appliquait à leur cas, il a fallu considérer qu'ils
alléguaient, dans leurs plaidoiries écrites, que l'ef-
fet général dudit paragraphe excédait la compé-
tence du législateur fédéral. Cela étant, la preuve
concernant son effet sur l'industrie dans son
ensemble serait recevable alors que la preuve
relative à ses effets sur des compagnies particu-
lières, bien que recevable, n'aurait qu'une «perti-
nence marginale». Cette décision a été publiée
dans (1984), 1 C.P.R. (3d) 268. La Cour d'appel
fédérale a modifié cette ordonnance sans toute-
fois toucher au fond du raisonnement (A-957-84,
jugement en date du 11 janvier 1985, encore
inédit).
Dans un jugement récent portant sur la Loi sur
le dimanche, R. c. Big M Drug Mart Ltd. et
autres, [ 1985] 1 R.C.S. 295; 58 N. R. 81, le juge
Dickson (tel était alors son titre) a statué que le
premier critère à appliquer dans la détermination
de la constitutionnalité était celui de l'objet de la
loi et que les effets de celle-ci ne devaient être
examinés qu'une fois que la loi avait satisfait à ce
critère. Même dans le cas où une loi a satisfait au
critère de l'objet, il serait possible à un plaideur
de tirer argument de ses effets pour la faire
déclarer inapplicable, voire même invalide. Les
effets ne pourraient jamais être invoqués pour
sauver une loi dont l'objet n'est pas valable. Dans
l'arrêt Big M, la Cour a statué qu'étant donné que
la Loi sur le dimanche faisait appel à des critères
religieux qui portaient atteinte à la liberté de cons
cience et de religion garantie par la Charte, son
«objet» était invalide et qu'il était inutile de se
demander si son effet revêtait un caractère lait
plutôt que religieux. Par conséquent, il est possi
ble que la lacune de la loi soit si évidente que la
preuve concernant son effet n'ait pas de
pertinence.
La preuve a amplement démontré que l'effet
envisagé et l'effet réel de la loi contestée étaient
de réduire les prix des médicaments par le biais
de l'encouragement de la concurrence. En 1967,
un comité parlementaire a indiqué dans un rap
port que les profits des sociétés pharmaceutiques
au Canada étaient environ deux fois supérieurs à
ceux de l'industrie manufacturière dans son
ensemble et que les prix des médicaments au
Canada [TRADUCTION] «se classaient parmi les
plus élevés comparativement à ceux de certains
pays donnés». Tel était le contexte des disposi
tions législatives en question. Lorsque l'amende-
ment qu'on voulait apporter à celles-ci a été
débattu en Chambre, le ministre de la Consom-
mation et des Corporations a fourni des tableaux
comparatifs des prix des médicaments qui ont été
insérés dans le compte rendu officiel des débats
de la Chambre. Il était évident que ces écarts de
prix furent à l'origine des dispositions législatives.
Même si les avocats ont attiré l'attention de la
Cour sur la jurisprudence citée dans l'ordonnance
du juge Addy pour contester la recevabilité des
déclarations des ministres, ces documents étaient
recevables relativement à l'effet de la loi plutôt
qu'à son objet. Certains des éléments de preuve
avaient peu de pertinence et n'avaient aucune
force probante en raison de leur caractère sub-
jectif possible. Mais dans la mesure où ces docu
ments renfermaient des éléments dont la Cour
pouvait prendre connaissance d'office, ils étaient
recevables en preuve pour déterminer l'effet envi-
sagé de la loi et peut-être même son effet réel.
Un grande partie des éléments de preuve
n'avait qu'une force probante limitée relativement
aux effets de la loi sur des sociétés pharmaceuti-
ques particulières plutôt qu'à son effet général.
Cette preuve laissait entendre que la loi a eu un
effet négatif sur les revenus des créateurs de
médicaments d'ordonnance, mais qu'elle s'est
avérée avantageuse pour les sociétés exploitant
des licences obligatoires.
Il se fait peu de recherche et de développe-
ment au Canada en matière de médicaments et le
recouvrement des coûts engagés dépend d'en-
tentes entre sociétés conclues par les compa-
gnies pharmaceutiques multinationales. La preuve
n'a pas divulgué ces ententes. Même si les
demandeurs ont affirmé dans leurs témoignages
qu'il est impossible de calculer les dépenses de
recherche et de développement pour tout médi-
cament donné, un témoin expert a déclaré qu'un
créateur d'un produit dépensait en moyenne vingt
et un millions de dollars U.S. (en dollars de 1976)
pour un produit commercialisable. Cette moyenne
incluait les sommes perdues dans des projets
infructueux. L'investissement dans un produit
moyen ne devenait aussi rentable qu'un investis-
sement équivalent dans des obligations de com-
pagnies qu'au cours de la vingt-quatrième année
suivant le début des activités de recherche et de
développement. Un autre témoin expert a évalué
à cent millions de dollars U.S. les coûts moyens
nécessaires en 1985 pour lancer un nouveau
médicament sur le marché.
On a soumis des éléments de preuve quant à la
perte de volume et à la chute de prix subies par
les créateurs lorsque des produits génériques
deviennent disponibles par suite de la délivrance
de licences obligatoires. On a avancé des chiffres
indiquant une perte de volume de 48 % et une
chute de prix de 40 %. Le défendeur n'a pas
contesté que les propriétaires de brevets qui sont
assujettis à des licences obligatoires ont souvent
vu baisser leur part du marché et leurs prix.
Afin d'évaluer les répercussions du système sur
les titulaires de brevets, il était important de con-
naître la durée de la période d'exclusivité dont
jouissent ces derniers avant qu'un produit généri-
que ne soit mis en vente. Le meilleur témoignage
sur cette question était celui d'un fonctionnaire du
ministère de la Santé et du Bien-être social sui-
vant lequel la période moyenne d'exclusivité était
de 6,8 ans. En vertu de la Loi sur les brevets, les
titulaires de brevets bénéficient habituellement de
l'exclusivité pendant une période de 17 ans.
Bien que l'attribution de licences obligatoires ait
eu un effet préjudiciable sur les ventes et les
revenus des titulaires de brevets, on ne pouvait
conclure que ledit effet était prohibitif en ce sens
qu'il rendait non rentable la vente au Canada de
médicaments brevetés. La Commission Eastman,
qui a été constituée pour faire enquête sur la
situation actuelle de l'industrie pharmaceutique au
Canada, a indiqué dans son rapport présenté en
février 1985 que la «rentabilité globale des socié-
tés de l'industrie pharmaceutique au Canada,
évaluée de 1968 à 1982, selon leurs profits après
impôt sur le capital, est plus stable que celle de la
plupart des industries au Canada; elle a même
augmenté au cours des dernières années de
cette période». On y concluait que «l'obligation
d'obtenir une licence obligatoire n'a pas eu d'effet
concret sur la rentabilité de l'industrie pharma-
ceutique dans notre pays». L'attribution de licen
ces obligatoires n'a pas non plus eu d'effet néga-
tif sur la croissance de l'industrie pharmaceutique
canadienne dans son ensemble. L'industrie phar-
maceutique multinationale ne constituait pas, en
réalité, une entreprise à risques élévés. Même si
le risque était lié au développement de médica-
ments particuliers, il y avait suffisamment de «pro-
duits gagnants» pour que l'entreprise dans son
ensemble s'avère très rentable. Smith, Kline &
French, l'un des demandeurs en l'espèce, a con-
sidérablement augmenté sa part du marché entre
1977 et 1982 malgré l'attribution de licences obli-
gatoires. En 1982, aucune des sociétés détentri-
ces de licences obligatoires ne se classait parmi
les vingt premières au chapitre des ventes
totales.
Vu le manque d'éléments de preuve concer-
nant les dépenses de recherche et de développe-
ment, les coûts de production et les autres fac-
teurs importants, comme le pourcentage des
dépenses de recherche et de développement
engagées au niveau international qui devrait être
supporté par les ventes au Canada, il était impos
sible de déterminer si la redevance de 4 % versée
pour les licences obligatoires constituait une
indemnité.
Conclusions
Partage des pouvoirs—Les demandeurs préten-
dent que le paragraphe 41(4) de la Loi sur les
brevets est une disposition législative qui concerne
la propriété et les droits civils dans la province et
qui outrepasse donc les pouvoirs du parlement
canadien puisqu'il s'agit d'une matière attribuée
aux provinces par la rubrique 13 de l'article 92 de
la Loi constitutionnelle de 1867. Si j'ai bien com-
pris, cet argument comporte deux volets. On
affirme d'abord que cette règle de droit vise essen-
tiellement à réglementer le prix des médicaments
d'ordonnance et que toute réglementation des prix
relève en principe des provinces. On soutient
qu'elle se rapporte à une entreprise ou un com
merce particuliers et excède, par conséquent, le
pouvoir du législateur fédéral: elle porte atteinte à
la liberté de contracter en habilitant le commis-
saire à dicter un contrat au titulaire d'un brevet et
au preneur de licence, sans le consentement du
premier tout au moins. On fait valoir aussi qu'elle
retire son droit de propriété au titulaire d'un
brevet: par sa nature même, un brevet, une fois
qu'il a été octroyé, confère un monopole à son
titulaire pour la durée dudit brevet. On a invoqué
des précédents pour montrer la nature du soi-
disant [TRADUCTION] «marché» qui intervient
entre l'État et l'inventeur, et par lequel ce dernier
consent à divulguer les détails de son invention
pour la mettre au service du public et pour l'ex-
ploiter s'il y a lieu, en échange de l'attribution du
monopole de l'exploitation de son invention pour la
durée du brevet. On affirme que le législateur
fédéral peut soumettre la délivrance du brevet à
certaines conditions comme celles dont il est ques
tion aux articles 66 et 67 de la Loi sur les brevets
et que si l'on viole ces conditions en abusant du
brevet, certains bénéfices peuvent être refusés.
Mais, selon les demandeurs, le paragraphe 41(4)
se distingue des conditions véritables en ce qu'il
retire au titulaire du brevet, sans qu'il soit néces-
saire de prouver qu'il y a eu abus, ses droits
exclusifs (qui lui sont déjà acquis) d'exploiter le
brevet pendant dix-sept ans et confère un droit
identique à tout preneur de licence désireux d'ex-
ploiter ledit brevet. Cela a pour effet de réduire
considérablement la valeur des droits du titulaire
du brevet puisque ce dernier se voit obligé d'entrer
en concurrence avec d'autres personnes utilisant
son invention. Dans les faits, le titulaire du brevet
se voit retirer une part du marché restreint des
médicaments d'ordonnance sans son consentement
et sans une indemnisation adéquate. On soutient
qu'il n'est même pas possible de dire qu'on s'em-
pare d'un bien privé dans l'intérêt public puisqu'en
l'espèce le bien privé est transféré à un autre
particulier ou à une compagnie qui bénéficie ainsi
d'une aubaine (ayant peu de dépenses de recher-
che, de développement et de promotion à l'égard
du médicament) au détriment du titulaire de
brevet.
Conformément à ce qu'a dit le juge Dickson [tel
était alors son titre] dans l'arrêt Big M [R. c. Big
M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295;
58 N.R. 81], j'ai d'abord examiné l'objet de la loi
et ensuite, ses répercussions. Selon moi, l'objet de
la loi peut être déterminé en examinant le texte
même de la disposition législative ainsi que la
preuve relative au contexte factuel susceptible
d'expliquer l'objet ou l'effet appréhendé. Dans
l'évaluation des répercussions de la loi, il est possi
ble de se référer à des éléments de preuve extrinsè-
ques quant à son effet réel.
Pour ce qui est de l'objet déclaré de la disposi
tion législative, il me semble ressortir du paragra-
phe lui-même que l'objet visé par le législateur
fédéral était de refuser un monopole à l'égard
d'invention de médicaments ou de procédés de
préparation ou de production de médicaments dans
les cas où un requérant consentant sollicite une
licence en vue de fabriquer, d'importer ou de
vendre, au Canada, les mêmes médicaments. Ce
paragraphe prévoit que, dans de telles circons-
tances, le commissaire «doit» accorder une licence
à moins qu'«il a[it] de bonnes raisons de ne pas
accorder une telle licence». Une présomption est
donc créée en faveur de l'attribution d'une licence.
Les dispositions de ce paragraphe relatives aux
conditions de la licence qui doivent être arrêtées
par le commissaire viennent préciser davantage son
objet. Le commissaire doit «tenir compte de l'op-
portunité de rendre les médicaments accessibles au
public au plus bas prix possible tout en accordant
au breveté une juste rémunération pour les recher-
ches qui ont conduit à l'invention et pour les autres
facteurs qui peuvent être prescrits». (Apparem-
ment, aucun autre facteur n'a été prescrit.) En
résumé, l'objet apparent de cette disposition légis-
lative est donc de faciliter l'obtention de telles
licences obligatoires, à des conditions qui insistent
sur la nécessité de réduire le prix du médicament,
tout en ne prévoyant une indemnité pour le breveté
qu'en ce qui a trait seulement aux recherches qui
ont conduit à l'invention en question.
Je suis d'avis, et les avocats des demandeurs
n'en ont pas disconvenu, qu'aux fins du partage
des pouvoirs, il n'y a pas de différence importante
entre le paragraphe 41(4), adopté sous sa forme
actuelle en 1969, et le paragraphe 41(3), adopté
pour l'essentiel en 1923. La principale différence
entre ces deux paragraphes est que le paragraphe
41(4) permet l'attribution de licences pour l'im-
portation de médicaments alors que le paragraphe
41(3) autorise l'attribution de licences obligatoires
pour les procédés brevetés destinés à la préparation
ou à la production d'aliments, ces licences ne
devant permettre que la préparation ou la produc
tion d'aliments et non leur importation. La pré-
somption en faveur de la délivrance de la licence et
les facteurs dont le commissaire doit tenir compte
pour en arrêter les conditions sont identiques dans
les deux paragraphes.
L'objet du paragraphe 41(3), tel qu'il ressort de
son libellé, a été énoncé plusieurs reprises d'une
manière définitive. Par exemple, dans l'affaire
Hoffmann -LaRoche Ltd. v. Bell -Craig Pharma
ceuticals Division of L. D. Craig Ltd., [1965] 2
R.C.E. 266, le président Jackett a dit à la page
282:
[TRADUCTION] À mon avis, l'objet de cette disposition est
d'amener la concurrence. Tout compte fait, le Parlement consi-
dère que, dans la plupart des domaines, la concurrence est dans
l'intérêt du public car elle réglemente les prix à l'avantage de ce
dernier et elle a tendance à entraîner une plus grande efficacité,
un meilleur service et des recherches plus poussées. Le mono-
pole accordé à l'inventeur constitue une exception à ce principe
général de notre droit. Le paragraphe 41(3) a été adopté parce
qu'on a jugé que, dans le domaine où il s'applique, «l'intérêt du
public dans la libre concurrence» était plus important que le
maintien des droits monopolistes du titulaire du brevet.
En appel de cette décision, voici en quels termes a
statué le juge Abbott au nom de la Cour suprême
du Canada, dans [1966] R.C.S. 313, la page
319:
[TRADUCTION] À mon avis, le but du par. 41 (3) est clair. Il
se résume à ceci: on ne peut obtenir le monopole absolu d'un
procédé de fabrication d'un produit alimentaire ou médicinal.
Au contraire, l'intention du Parlement est de maintenir, dans
l'intérêt du public, la concurrence dans la production et le
commerce de ces produits préparés selon un procédé breveté, de
sorte qu'ils puissent, ainsi que le paragraphe l'indique, être
«accessibles au public au plus bas prix possible tout en accor-
dant à l'inventeur une juste rémunération pour les recherches
qui ont conduit à l'invention».
De même, à la page 545 de l'arrêt Eli Lilly and
Co. c. S. & U. Chemicals Ltd., [1977] 1 R.C.S.
536, qui portait sur le paragraphe 41(4), le juge
Pigeon, qui a rédigé le jugement de la majorité, a
évoqué
... les fins que poursuit le législateur en matière d'octroi de
licences obligatoires, c'est-à-dire éviter tout monopole de fait de
la fabrication des drogues par procédés brevetés et encourager
la concurrence.
Il ressort donc de la lecture de cette disposition
législative, ainsi que l'ont interprétée les tribunaux,
qu'elle a clairement pour objet d'éviter la création
d'un monopole dans la vente des médicaments
pour ainsi favoriser la concurrence qui, pré-
voyait-on, entraînerait une réduction du prix de ces
produits.
Plusieurs tribunaux ont statué que cette disposi
tion législative est constitutionnelle si on l'inter-
prète de la sorte. Dans l'affaire American Home
Products Corp. v. Commissioner of Patents
(1970), 62 C.P.R. 155, aux pages 160 et 161, la
Cour suprême de l'Ontario et la Cour d'appel de
l'Ontario ont statué que le paragraphe 41(4) était
valide parce qu'il constituait une règle de droit qui
portait sur les brevets et non sur la propriété et les
droits civils. Peu de temps après, la Cour d'appel
fédérale, dans l'arrêt Lilly c. S & U Chemicals
Ltd. (1973), 9 C.P.R. (2d) 17, a elle aussi conclu à
la validité du pagraphe 41(4), affirmant, à la page
18:
... la Cour est convaincue que cette disposition fait partie
intégrante d'une loi qui est une «règle de droit» relative aux
«brevets d'invention et de découverte» et que, par conséquent, le
législateur fédéral a exercé conformément à la loi le pouvoir
législatif qui lui est conféré par le par. 91(21) [sic] de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867.
La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel inter-
jeté à l'encontre de cette décision, bien que la
question constitutionnelle n'y ait pas été débattue:
voir [ 1977] 1 R.C.S. 536. C'est cette position
qu'ont retenue les tribunaux jusqu'ici. Très récem-
ment, dans l'affaire American Home Products
Corporation c. ICN Canada Limited (A-888-83, 3
juillet 1985, encore inédite), la Cour d'appel fédé-
rale a refusé d'entendre des arguments selon les-
quels le paragraphe 41(4) serait inconstitutionnel,
étant d'avis que les deux affaires mentionnées plus
haut avaient tranché cette question.
Je retiens néanmoins l'argument des avocats des
demandeurs suivant lequel il pourrait être loisible
à la Cour d'établir une distinction avec ces déci-
sions antérieures si la preuve en l'espèce révélait
un objet ou un effet qui n'étaient pas évidents au
moment où ces autres décisions ont été rendues. Il
semble qu'aucune preuve extrinsèque n'a été pré-
sentée dans ces affaires quant à l'objet ou à l'effet
de la Loi. Je dois donc examiner si, en l'espèce, la
preuve permet une conclusion différente cette fois.
Il est vrai que la preuve indique que les titulaires
de brevets couvrant des médicaments doivent habi-
tuellement supporter des dépenses très importantes
aux chapitres de la recherche, du développement et
des préparatifs à la commercialisation de ces médi-
caments. Elle révèle aussi que le marché, en parti-
culier dans le domaine des médicaments d'ordon-
nance, suit une courbe inélastique et que lorsque
des preneurs de licences obligatoires, qui n'ont que
des frais minimes de préparation à engager, lan-
cent des produits génériques sur le marché, les
sociétés détentrices de brevets perdent ordinairè-
ment une part importante de leur marché au profit
des sociétés de produits génériques. Il m'apparaît
impossible de dire si cette perte de marché ainsi
que la chute de prix qui se produit rendent absolu-
ment non rentables pour le titulaire d'un brevet le
développement et l'introduction du médicament. Il
n'en reste pas moins que le titulaire du brevet se
voit privé des profits qu'il aurait pu s'attendre à
réaliser au Canada s'il avait obtenu son brevet en
vertu d'une loi prévoyant une période normale
d'exclusivité de dix-sept ans s'il n'y a pas abus du
brevet. Voilà qui est clair. Mais cela signifie-t-il
qu'en amenant un tel résultat, le législateur fédéral
s'est trouvé à excéder le pouvoir que lui confère la
rubrique 22 de l'article 91 sur «les brevets d'inven-
tion et de découverte» et à empiéter sur la compé-
tence dont jouissent les provinces sur «la propriété
et les droits civils» en vertu de la rubrique 13 de
l'article 92? Je ne le crois pas.
Il me semble que, en vertu de son pouvoir sur les
brevets d'invention et de découverte, le législateur
fédéral est habilité à réglementer les brevets de
diverses manières. Essentiellement, ce pouvoir
l'habilite à créer un monopole en faveur d'une
partie et à interdire aux autres parties d'utiliser, de
fabriquer, de vendre ou d'importer des produits qui
font l'objet d'un brevet. Suivant la jurisprudence,
l'attribution d'un tel brevet confère un droit de
propriété incorporel au titulaire du brevet. Il est
probablement vrai que si cette compétence sur les
«brevets» n'avait pas été expressément conférée au
législateur fédéral, ceux-ci auraient relevé de la
compétence des provinces en matière de propriété
et de droits civils. Mais rien n'empêche le législa-
teur fédéral de créer ou de réglementer la pro-
priété dans l'exercice de ses pouvoirs énumérés. Et
je n'arrive pas à trouver d'impératif d'ordre consti-
tutionnel qui obligerait le législateur fédéral à
exercer d'une seule manière son pouvoir sur les
brevets d'invention et de découverte, c'est-à-dire en
attribuant au titulaire d'un brevet couvrant quel-
que produit que ce soit, la période d'exclusivité
typique ou conventionnelle. Je ne vois aucune
raison pour laquelle le pouvoir que détient le légis-
lateur fédéral en vertu de la rubrique 22 de l'arti-
cle 91 ne lui permettrait pas d'attribuer aux titu-
laires de brevets couvrant un certain type de
produit les pleins droits s'attachant ordinairement
à un brevet tout en restreignant les droits de brevet
conférés aux titulaires de brevets couvrant un
autre type de produit. S'il existe quelque objection
à ces distinctions, c'est l'article 15 de la Charte
canadienne des droits et libertés qui en sera le
fondement.
Il n'existe aucun droit à un brevet en vertu de la
common law: Commissioner of Patents v. Farb-
werke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meis-
ter Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; (1963),
25 Fox Pat. C. 99, à la page 57 R.C.S.; 107 Fox
Pat. C. Ce droit est créé par le législateur fédéral.
Ce qu'a fait le législateur en l'espèce, c'est de
restreindre l'étendue du monopole accordé aux
titulaires de brevets couvrant des médicaments. Le
juge Thurlow [tel était alors son titre] l'a expliqué
ainsi dans Hoffmann-La Roche Ltd. v. Frank W.
Horner Ltd., Attorney -General of Canada, Inter-
venant (1970), 64 C.P.R. 93 (C. de l'É.), à la page
107:
[TRADUCTION] Donc, dès l'émission de son brevet, le breveté
ne dispose plus d'un monopole complet et inattaquable. Son
brevet lui confère en fait un monopole sur son invention, mais
c'est un monopole qui, de par l'art. 41, est soumis au droit de
quiconque peut se conformer à l'article et obtenir le droit
d'utiliser l'invention, en dépit du brevet. Un tel monopole ne
peut donc permettre à une grande entreprise commerciale, qui
ne peut d'elle-même être monopolistique, de s'édifier sous sa
protection.
La rubrique 22 de l'article 91 confère au Parle-
ment le pouvoir de création des monopoles au
moyen des brevets et permet ainsi d'empêcher la
concurrence pendant une certaine période. Il me
semble que rien dans la Constitution ne prescrit
que la période d'exclusivité doit être de 17 ans en
l'absence d'abus tel que défini par la loi. Je ne
conviens pas que le pouvoir accordé au Parlement
du Canada en matière de brevets ne puisse être
exercé que de la manière dont l'exerce le Parle-
ment du Royaume-Uni: en fait, il est évident que
depuis le premier Acte concernant les Brevets
d'Invention adopté par le Dominion du Canada
après la Confédération, en 1869 [S.C. 1869, chap.
11], la loi canadienne diffère, à de nombreux
égards, de la loi britannique: voir, par. ex., Fox,
The Canadian Law and Practice Relating to Let
ters Patent for Inventions (4 e éd., 1969), aux pages
4 et 5, 541.
Par conséquent, j'arrive à la conclusion qu'en
assujettissant la délivrance d'un brevet couvrant
des médicaments à l'octroi obligatoire de licence,
ce paragraphe ne fait que restreindre l'étendue du
droit de propriété, en l'occurrence le monopole,
que le législateur a le pouvoir mais non l'obligation
d'accorder.
Je ne crois pas non plus qu'on puisse par ailleurs
dire, de quelque manière que ce soit, qu'il consti-
tue, de par son caractère véritable, une disposition
législative relative aux droits civils et à la pro-
priété. Il est vrai que l'attribution d'une licence
obligatoire influe de façon accessoire, bien qu'im-
portante, sur le droit de contracter et le droit de
propriété du breveté et du preneur de licence.
Toutefois, le paragraphe 41(4) ne constitue pas,
comme le soutiennent les demandeurs, une disposi
tion législative relative aux «prix». Il n'a pas pour
but de fixer les prix. L'un de ces principaux objec-
tifs est, de toute évidence, d'entraîner une réduc-
tion des prix par le biais de la concurrence, mais
les prix doivent être fixés par les vendeurs de
médicaments. L'exercice d'un pouvoir fédéral n'est
pas invalide simplement parce qu'il a un effet sur
les prix. Par exemple, l'exercice du pouvoir de
taxation fédéral en matière de taxes d'accise ou de
tarifs influe d'une manière beaucoup plus précise
sur les prix payés par les Canadiens pour de
nombreuses marchandises. L'exercice de la compé-
tence fédérale sur «l'intérêt de l'argent» et «les
banques» a un effet sur le loyer de l'argent. Les
exemples ne manquent pas.
Si l'on adopte l'attitude des demandeurs, on
peut également soutenir que la Loi sur les brevets
est entièrement invalide puisque la délivrance d'un
brevet et la création d'un monopole en faveur du
breveté ont normalement pour effet de donner
presque carte blanche à ce dernier en ce qui a trait
au prix étant donné qu'il est protégé contre toute
concurrence pendant 17 ans. Cette attitude est
clairement indéfendable. De même, on ne peut
soutenir qu'en limitant le monopole du breveté en
vertu du paragraphe 41(4), pour ainsi créer de la
concurrence et obliger le titulaire de brevet à
partager le marché, le législateur fédéral a adopté
une loi relative à la propriété. Sans doute la valeur
du brevet du titulaire est-elle inférieure à ce qu'elle
serait s'il jouissait de la période d'exclusivité nor-
male de 17 ans, mais le droit de propriété qu'il
acquiert à l'obtention d'un brevet relatif à des
médicaments constitue un monopole restreint qui
peut en tout temps par la suite être assujetti à
l'octroi obligatoire d'une licence. Le breveté ne
bénéficie pas d'une délivrance absolue qui est
ensuite partiellement révoquée, la délivrance origi-
nale a en effet un caractère limité.
De plus, on a soutenu à plusieurs reprises que le
paragraphe 41(4) est une mesure législative rela
tive aux [TRADUCTION] «contrats d'une entreprise
ou d'un commerce particuliers» dans une province
et qu'elle outrepasse donc la compétence du Parle-
ment. Plusieurs affaires ont statué que le législa-
teur ne peut, dans l'exercice du pouvoir que lui
confère la rubrique 2 de l'article 91 de la Loi
constitutionnelle de 1867 en ce qui a trait à «la
réglementation des échanges et du commerce»,
réglementer les contrats d'une entreprise ou d'un
commerce particuliers dans une province. Bien que
l'utilité de ce principe soit de toute manière quel-
que peu limitée par le fait qu'il ouvre la voie à une
évaluation purement subjective de ce qui constitue
une «entreprise ou un commerce particuliers», il
n'est pas pertinent en l'espèce. Dans la présente
affaire, le Parlement n'exerce pas son pouvoir sur
la réglementation des échanges et du commerce
mais plutôt un autre pouvoir énuméré, soit son
pouvoir en matière de brevets et ce faisant, il peut
très bien viser les contrats d'une entreprise ou d'un
commerce particuliers tant que la loi est par ail-
leurs une loi qui relève bien du domaine des bre-
vets. À nouveau, rappelons que de nombreux pou-
voirs énumérés du Parlement ne pourraient être
exercés si ce dernier ne pouvait, à aucun moment,
réglementer les contrats d'une entreprise ou d'un
commerce particuliers: citons par exemple ses pou-
voirs sur les banques, l'intérêt de l'argent, les
travaux déclarés être à l'avantage général du
Canada, etc.
Enfin, on a prétendu que le paragraphe 41(4)
est, d'une certaine manière, rendu invalide en
raison de son incompatibilité avec d'autres parties
de la Loi sur les brevets. On a soutenu par exem-
ple, que comme les articles 67 et 68 de la Loi
prévoient l'octroi d'une licence obligatoire après
que le brevet a été en vigueur pendant trois ans ou
plus, dans les cas où il y a eu abus de la manière
décrite à l'article 67, cela sous-entend qu'il ne peut
y avoir d'autres situations où une licence obliga-
toire est susceptible d'être accordée. Je ne vois
aucun principe constitutionnel qui obligerait le
Parlement à n'adopter que des modifications à
tous égards compatibles ou en harmonie avec la loi
existante. De plus, je ne vois pas ce sur quoi on
pourrait s'appuyer pour conclure que la notion de
«brevet d'invention et de découverte», à l'égard de
laquelle le Parlement peut adopter des lois, est
celle que l'on trouvait dans la Loi sur les brevets
avant la modification de 1969 ou celle de 1923 où
ont été introduites pour la première fois les licen
ces obligatoires en ce qui a trait aux aliments et
aux médicaments.
Par conséquent, j'arrive à la conclusion qu'il est
loisible au Parlement, dans l'exercice de son pou-
voir en vertu de la rubrique 22 de l'article 91, de
restreindre ainsi certains droits afférents à un
brevet de manière à reporter les répercussions
économiques sur les brevetés comme l'a démontré
la preuve en l'espèce. La question de savoir si le
résultat est juste ou non, judicieux ou non, n'est
pas pertinente à l'égard d'une question de partage
des pouvoirs et n'est pas non plus une question
qu'il incombe à la Cour de trancher.
Je conclus donc que le paragraphe 41(4) de la
Loi sur les brevets relève de la compétence du
Parlement du Canada.
Déclaration canadienne des droits, alinéa la)—
Cet alinéa reconnaît et déclare les droits suivants:
1....
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la
personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne
s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
Les demandeurs soutiennent que le paragraphe
41(4) de la Loi sur les brevets est incompatible
avec l'alinéa a) en ce qu'il a pour effet de refuser à
des individus la jouissance d'un bien autrement
que par l'application régulière de la loi. Cela sou-
lève trois questions distinctes: les demandeurs sont-
ils des «individus»? Est-il porté atteinte à la jouis-
sance d'un bien? Et le paragraphe 41(4) permet-il
de refuser l'application régulière de la loi?
Il convient tout d'abord de souligner encore une
fois que le juge Addy, dans l'ordonnance interlocu-
toire qu'il a rendue en l'espèce, a jugé que la
manière dont une loi est appliquée ne peut être
pertinente pour déterminer si elle a été rendue
inopérante pour la Déclaration des droits vu qu'il
s'agit d'une simple question de droit qui est tran-
chée par l'interprétation des textes de la Loi sur
les brevets et de la Déclaration canadienne des
droits. Voir (1982), 29 C.P.C. 117, la page 120.
Il est évident que le terme «individu» ne com-
prend pas les personnes morales. Par conséquent,
les sociétés demanderesses n'ont aucun droit d'ac-
tion en vertu de l'alinéa l a) de la Déclaration
canadienne des droits. Les trois demandeurs qui
sont des «individus» sont Graham John Durant,
John Colin Emmett et Charon Robin Ganellin, les
inventeurs du Cimetidine. Bien que la preuve ait
révélé qu'aucun d'eux ne possède plus maintenant
d'intérêt direct dans ces brevets, la cession de leurs
droits à leur employeur Smith, Kline & French
Laboratories Limited ayant été prévue dans leurs
conditions d'emploi, ils sont toujours des inven-
teurs en puissance et la valeur de leurs services,
passés et à venir, sera touchée par cette loi. Eu
égard à la décision de la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Ministre de la Justice du Canada et
autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575 selon
laquelle le demandeur dans cette affaire avait
l'intérêt nécessaire pour solliciter un jugement
déclaratoire relativement au présumé conflit qui
existait entre le Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34] et la Déclaration canadienne des droits, il
appert que les particuliers demandeurs en l'espèce
ont l'intérêt nécessaire pour demander un juge-
ment déclaratoire en ce qui a trait au présumé
conflit entre la Loi sur les brevets et la Déclara-
tion canadienne des droits. En effet, rien dans
l'arrêt Borowski ne suggérait que M. Borowski
avait été ou pourrait un jour être personnellement
visé par les articles sur l'avortement du Code
criminel. En l'espèce, je suis d'avis que l'intérêt
qu'ont les trois individus demandeurs à obtenir un
jugement déclaratoire relativement à l'effet de la
Déclaration canadienne des droits sur le paragra-
phe 41(4) de la Loi sur les brevets est beaucoup
plus direct. Dans la mesure où l'arrêt Borowski et
les arrêts précédents de la Cour suprême du
Canada sur lesquels il a été fondé posent comme
condition qu'il soit peu probable qu'une question
constitutionnelle ou quasi constitutionnelle puisse
autrement être soulevée si le demandeur n'est pas
autorisé à demander un jugement déclaratoire,
cette condition est, à mon avis, satisfaite en l'es-
pèce. Étant donné que seuls les droits des individus
sont protégés par les alinéas la) et b) de la Décla-
ration canadienne des droits, il m'apparaît peu
probable que l'on trouve des individus, inventeurs
de médicaments, qui posséderaient un intérêt plus
direct pour contester le paragraphe 41(4) que ceux
qui sont à l'emploi d'une entreprise multinationale
de produits pharmaceutiques comme les individus
demandeurs en l'espèce.
Se pose alors une autre question, soit celle de
savoir si le paragraphe 41(4) équivaut à la priva
tion d'un «bien» (property). Pour les motifs expli-
qués plus haut relativement à la question du par-
tage des pouvoirs, je ne crois pas que le paragraphe
41(4) a pour effet d'enlever au breveté un droit
acquis absolu à un monopole d'une durée de 17
ans. Nul n'a, en vertu de la common law, un droit
automatique à un brevet assorti d'un monopole de
17 ans: voir l'arrêt Hoechst précité. Pour ce qui est
des brevets portant sur des médicaments, la Loi
sur les brevets confère, depuis 1923, un monopole
de 17 ans qui peut toutefois être brisé. Le fait de
délivrer une licence obligatoire n'équivaut pas à
briser un monopole car le monopole créé par le
brevet a toujours été limité, étant assujetti aux
décisions des requérants et du commissaire en ce
qui a trait à l'obtention et à l'octroi d'une licence
obligatoire. À cet égard, les droits de propriété
accordés par un brevet visant des médicaments
correspondent plutôt à un titre sur un terrain
détenu en propriété absolue qui serait assujetti au
droit de passage d'un voisin sur ce terrain. Si le
voisin n'utilise pas le droit de passage pendant cinq
ans et qu'à un certain moment il commence à le
faire, cet usage n'équivaut pas à s'emparer du bien
de celui qui en a la propriété absolue: le droit du
propriétaire a toujours été exposé aux inconvé-
nients que pourrait causer l'utilisation du droit de
passage par suite d'une décision unilatérale du
voisin.
Le défendeur soutient que, comme le monopole
accordé en vertu de l'article 41 peut être brisé, la
délivrance d'une licence n'est pas la «privation»
d'un bien dont fait mention l'alinéa la) de la
Déclaration des droits. Toutefois, je suis arrivé à la
conclusion que le processus de délivrance d'une
licence obligatoire et le fait d'en arrêter les condi
tions ont pour effet de déterminer à quel moment
et à quelles conditions doit prendre fin la période
d'exclusivité accordée au départ par un brevet
couvrant des médicaments. Cela touche la défini-
tion ou l'étendue de l'un des nombreux droits que
met en jeu la délivrance d'un brevet et constitue,
par conséquent, une décision concernant des droits
de propriété. Le fait de décider que les conditions
prescrites par le paragraphe 41(4) pour la déli-
vrance d'une licence obligatoire ont été satisfaites
a donc pour conséquence de permettre l'affaiblisse-
ment du monopole initial. Afin de donner à la
Déclaration canadienne des droits l'interprétation
libérale que proposent les demandeurs et qui, selon
moi, est bien fondée, il convient de considérer cet
affaiblissement comme une [TRADUCTION] «priva-
tion de bien». Si l'on devait adopter l'interprétation
plus étroite du terme «privé» ainsi qu'il apparaît à
l'alinéa 1 a) cela signifierait que tout avantage
auquel un fonctionnaire peut, à sa discrétion,
mettre fin ne peut se traduire par une privation
faisant intervenir les garanties prévues à l'alinéa
la) de la Déclaration des droits ou à l'article 7 de
la Charte. Cela signifierait, par exemple, que
comme une libération conditionnelle est un privi-
lège révocable par la Commission des libérations
conditionnelles, la décision de la refuser ou de la
révoquer ne constitue pas une privation de la
«liberté» et pourrait être prise sans tenir compte de
ces dispositions. J'ai rejeté cette proposition dans
d'autres affaires: voir Latham c. Solliciteur géné-
ral du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R. (4th)
393 (lre inst.); Staples c. Commission nationale
des libérations conditionnelles, [1985] 2 C.F.
438' (lre inst.).
Reste maintenant la question de savoir si le
paragraphe 41(4) est conforme à «l'application
régulière de la loi». Les demandeurs soutiennent
que «l'application régulière de la loi» porte sur le
fond et la procédure. Ils prétendent en outre que
l'application régulière de la loi quant au fond est
refusée parce que le paragraphe 41(4) a pour effet
de conférer les avantages du bien de A à B sans
indemnisation adéquate. On dit que le paragraphe
41(4), de par sa structure même, fait obstacle à
une indemnisation adéquate en ce qu'il ordonne au
commissaire de tenir compte de l'opportunité de
rendre le médicament accessible «au plus bas prix
possible tout en accordant au breveté une juste
rémunération pour les recherches qui ont conduit à
l'invention» (c'est moi qui souligne). On affirme
qu'en tenant compte seulement des recherches qui
ont conduit à l'invention, le commissaire ne peut
ordonner le versement d'une redevance qui soit
compensatoire parce que cela exclut les coûts de
toutes les recherches qui ont conduit à des inven
tions infructueuses, lesquels doivent être payés au
moyen des bénéfices tirés des inventions fructueu-
ses, ainsi que les coûts postérieurs aux recherches
qui ont forcément été engagés pour atteindre
l'étape de la commercialisation. En outre, les
demandeurs soutiennent que le paragraphe 41(4),
ainsi qu'il a été interprété par les tribunaux, refuse
l'application régulière de la loi quant à la procé-
dure car il permet au commissaire de décider de sa
propre procédure, qui est arbitraire, et de fixer les
redevances sans tenir compte de renseignements
pertinents.
Cet argument soulève la délicate question de
savoir si «l'application régulière de la loi» visée à
l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des
droits s'attache au fond. Les tribunaux supérieurs
n'ont jamais répondu de façon claire et détermi-
nante à cette question, mais la jurisprudence qui
existe n'est pas favorable à l'interprétation selon
laquelle «l'application régulière de la loi» s'attache
au fond.
La Cour suprême du Canada a longuement
examiné cette question dans l'arrêt Curr c. La
Reine, [1972] R.C.S. 889 où on a prétendu que les
analyses obligatoires d'échantillon d'haleine pres-
crites par le Code criminel à l'égard des personnes
soupçonnées de conduite en état d'ébriété ou avec
les facultés affaiblies avaient pour effet de nier le
droit à «l'application régulière de la loi» prévue à la
Déclaration canadienne des droits. La Cour
suprême du Canada a rejeté cette prétention. Le
juge Laskin [tel était alors son titre], qui a rédigé
le jugement de la majorité, a, tout en évoquant la
possibilité que l'on voit un jour dans «l'application
régulière de la loi» une disposition de fond, donné
dans son raisonnement de nombreuses indications
qu'une telle mesure serait hautement discutable.
En particulier, il a mis l'accent sur le fait que la
Déclaration canadienne des droits ne constitue
seulement qu'un guide statutaire pour l'interpréta-
tion des mesures législatives fédérales et non une
directive constitutionnelle. Il a également fait res-
sortir les difficultés que rencontreraient, en l'ab-
sence de critères déterminés relativement à l'appli-
cation régulière de la loi quant au fond, les
tribunaux appelés à rendre jugement sur le carac-
tère approprié des mesures législatives. Aux pages
899 et 900, il a dit:
A supposer que grâce à la disposition »ne s'en voir privé que par
l'application régulière de la loi», il est possible de contrôler le
fond de la législation fédérale—question qui n'a pas directe-
ment été soulevée dans l'affaire Regina c. Drybones—il fau-
drait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit
fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi
(par opposition à une compétence conférée par la constitution)
pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment
adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la
constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe
du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de
l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique. Ces raisons doivent se rapporter à des
normes objectives et faciles à appliquer, qui doivent guider les
tribunaux, si on veut que l'application régulière dont il est
question à l'alinéa (a) de l'art. 1, permette d'annuler une loi
fédérale par ailleurs valide. En l'espèce, aucune raison ni
aucune norme fondamentale n'ont été énoncées. Quant à moi,
je ne suis pas disposé à faire des conjectures à ce sujet.
Et, aux pages 902 et 903, il a dit:
En l'espèce, pour décider que l'art. 223 enfreint le droit de
l'appelant de ne se voir privé de la sécurité de sa personne que
par l'application régulière de la loi, il faut certainement qu'il y
ait plus qu'une substitution d'un jugement personnel au juge-
ment du Parlement. Rien au dossier, que ce soit une preuve ou
une matière extrinsèque recevable, ne peut étayer pareille
décision. De plus, je suis d'avis que les tribunaux peuvent
reconnaître judiciairement que le Parlement a agi dans un
domaine d'une grande importance sociale, soit le coût, en vie
[sic] humaines et en argent, des accidents de la route dus à la
conduite d'un véhicule par une personne en état d'ébriété,
lorsqu'il a adopté l'art. 223 et les dispositions connexes du Code
criminel. Cette Cour sait que même lorsqu'on lui demande de
statuer sur la constitutionnalité d'une loi, elle doit se garder de
faire de la sagesse de la loi contestée le critère de sa constitu-
tionnalité. A fortiori, il en est ainsi lorsqu'elle évalue une loi en
partant d'une norme statutaire, pareille évaluation pouvant
rendre inopérantes des mesures législatives fédérales.
Bien qu'une décision plus récente de trois juges de
la Cour suprême (voir Singh et autres c. Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S.
177, la page 224) semble attribuer un certain
caractère constitutionnel à la Déclaration cana-
dienne des droits, l'absence dans la Déclaration de
toute norme permettant à un tribunal de se pro-
noncer sur le caractère approprié du fond d'un
texte législatif comme l'a mentionné le juge Laskin
demeure toujours très pertinente. A vrai dire, j'ai
conclu que le paragraphe 41(4) réduit la rentabi-
lité au Canada des titulaires de brevets couvrant
des médicaments lorsqu'ils doivent faire face à la
concurrence des preneurs de licence obligatoire.
Toutefois, je ne peux accepter l'argument voulant
que toute loi qui réduit la rentabilité d'un secteur
d'une industrie tout en augmentant celle d'un
autre secteur est en soi contraire à «l'application
régulière de la loi». Il est concevable de croire
qu'on pourrait par exemple soutenir qu'une loi
interdisant la poursuite d'une entreprise par ail-
leurs légale porterait atteinte à «l'application régu-
lière de la loi» quant au fond. Même si c'était le
cas, et je n'ose pas conclure que ce l'est, la preuve
ne démontre pas que le paragraphe 41(4) a cet
effet. Quels autres critères devrais-je appliquer
pour décider, comme les demandeurs m'invitent à
le faire, que le législateur fédéral a porté atteinte à
l'application régulière de la loi lorsqu'il a adopté le
paragraphe 41(4)? Comme le juge Laskin l'a sou-
ligné, les tribunaux américains ont, dans une large
mesure, abandonné la norme de «l'application
régulière de la loi en matière d'économie» précisé-
ment parce que les jugements tenus d'appliquer un
tel concept sont essentiellement des décisions arbi-
traires dans le domaine social et économique qui
relèvent normalement de la compétence des assem
blées législatives élues.
On a également soutenu, sur le fondement de la
décision Re Ontario Film and Video Appreciation
Society and Ontario Board of Censors (1983), 41
O.R. (2d) 583 (H.C.J. C. div.) que, étant donné
que le paragraphe 41(4) ne prévoit aucun critère
adéquat pour refuser l'exclusivité des droits affé-
rents à un brevet, il porte atteinte à l'application
régulière de la loi. Il convient de souligner que la
décision citée traitait de la question de savoir ce
qui constitue, à l'article 1 de la Charte, une
«limite» imposée par «une règle de droit» et non ce
qu'est «l'application régulière de la loi» prévue
dans la Déclaration. En outre, la mesure législative
contestée ne prescrivait aucun critère en matière
de censure. En l'espèce, le paragraphe 41(4) attire
l'attention du commissaire sur des questions relati
ves au prix du médicament et au coût des
recherches.
Bien que les avocats m'aient considérablement
aidé en examinant la Magna Carta et certains
arrêts des tribunaux d'Irlande, je dois, en dernière
analyse, interpréter la Déclaration canadienne des
droits à la lumière de la jurisprudence canadienne.
Cette jurisprudence contient très peu d'éléments
qui me portent à croire que l'alinéa la) autorise un
tribunal à considérer inopérantes les dispositions
de fond du paragraphe 41(4) de la Loi sur les
brevets pour le motif qu'elles sont injustes sur le
plan économique à l'égard des titulaires de brevets
couvrant des médicaments.
Toutefois, il reste à examiner si le paragraphe
41(4) porte atteinte à «l'application régulière de la
loi» au sens procédural. Il importe de souligner que
la Cour d'appel fédérale a clairement jugé que ce
paragraphe n'est pas incompatible avec l'alinéa 2e)
de la Déclaration canadienne des droits qui précise
que nulle loi ne doit s'interpréter ni s'appliquer
comme
2....
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
Dans l'arrêt American Home Products Corpora
tion c. Commissaire des brevets et autre (1983),
71 C.P.R. (2d) 9, bien qu'acceptant apparemment,
qu'une décision prise par le commissaire en vertu
du paragraphe 41(4) constitue une décision à
l'égard de «droits et obligations», la Cour d'appel a
statué que cette décision respectait les exigences de
l'alinéa 2e). La Cour a dit que le commissaire peut
rendre une décision suivant un processus quasi
judiciaire, mais que cela n'exigeait pas que le
titulaire de brevet ait le droit de contre-interroger
le requérant sur son affidavit ou à une audition
orale devant le commissaire. Il suffisait, comme le
prévoient les Règles, que le titulaire de brevet soit
en mesure de présenter un contre-mémoire en
opposition à la demande.
Monsieur Henderson a soutenu, pour le compte
des demandeurs en l'espèce, que la reconnaissance
du droit de ne pas être privé de ses biens sauf «par
l'application régulière de la loi» prévue à l'alinéa
la) de la Déclaration canadienne des droits doit
avoir un sens plus vaste ou encore différent de
l'exigence de l'alinéa 2e) relativement à une «audi-
tion impartiale», sinon ces exigences n'auraient pas
été insérées toutes les deux dans la Déclaration des
droits. Je suis prêt à admettre que le concept de
«l'application régulière de la loi» quant à la procé-
dure est plus large que celui d'une «audition
impartiale» et que, par conséquent, il reste à déter-
miner s'il y a des aspects de l'application du
paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets qui
n'ont pas été soumis à la Cour d'appel fédérale
dans l'arrêt American Home Products, précité, et
qui peuvent donner lieu à des questions relatives à
«l'application régulière de la loi».
À cette fin, il est nécessaire de passer briève-
ment en revue la jurisprudence qui interprète le
paragraphe 41(4). Comme il a été souligné précé-
demment, le dossier a suivi son cours à la lumière
de la décision du juge Addy selon laquelle, pour
déterminer si le paragraphe est inopérant à cause
de la Déclaration des droits, il faut se borner à
l'examen des textes des deux lois. Cet examen
comprend nécessairement les interprétations juri-
diques des deux articles.
Étant donné que le paragraphe 41(4) est, à
toutes fins pertinentes à l'égard de l'application
régulière de la loi, identique à l'ancien paragraphe
41(3), on peut également examiner la jurispru
dence antérieure à 1969 concernant l'interpréta-
tion qu'il fallait donner à ce paragraphe.
Dans l'arrêt Parke, Davis & Co. v. Fine Chemi
cals of Canada Ltd., [1959] R.C.S. 219, la page
228, la Cour suprême du Canada a dit, relative-
ment à la redevance qui doit être fixée en vertu du
paragraphe 41(3), qu'elle devrait [TRADUCTION]
«permettre de soutenir l'encouragement de la
recherche et être proportionnelle à l'importance du
procédé et du produit». Dans l'affaire Hoffmann -
LaRoche Ltd. v. Bell -Craig Pharmaceuticals
Division of L. D. Craig Ltd., [1965] 2 R.C.É 266,
aux pages 289 et 290, le président Jackett a dit
que la redevance devrait être quelque peu infé-
rieure au prix qui serait payé pour une telle licence
dans un marché libre par un preneur de licence
consentant à un donneur de licence consentant
(critère adopté par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt The King v. Irving Air Chute, [1949]
R.C.S. 613 pour fixer, en vertu de l'article 19 de la
Loi sur les brevets, les redevances payables par la
Couronne relativement aux licences obligatoires
qu'elle a prises), mais au moins égale à celle qui
serait exigée en vertu du critère établi dans l'arrêt
Parke, Davis précité. Il a jugé notamment que
l'inventeur ou le breveté n'avait pas le droit d'insis-
ter pour que l'on fixe la redevance au pourcentage
que représentaient pour le titulaire du brevet ses
dépenses courantes de recherche et de développe-
ment sur ses ventes courantes totales. Cette der-
nière proposition a également été rejetée par le
juge Thurlow dans l'affaire Hoffmann-La Roche
Ltd. v. Frank W. Horner Ltd., Attorney -General
of Canada, Intervenant (1970), 64 C.P.R. 93 (C.
de l'E.) en ce qui a trait à la redevance payable en
vertu du paragraphe 41(4). Il a en outre été
déclaré dans cette affaire que le commissaire pou-
vait examiner tous les éléments de preuve portés à
sa connaissance et faire appel également à ses
propres connaissances générales. On a conclu, à la
page 107, que la rémunération qui doit être fixée
en vertu du paragraphe 41(4) ne représente pas les
dommages pour contrefaçon ni les bénéfices que
l'utilisation de l'invention peut procurer au déten-
teur de la licence. Elle n'équivaut pas non plus à
une indemnisation pour ingérence dans les affaires
du breveté. À la page 114, on a établi une distinc
tion entre les dispositions législatives du Canada et
du Royaume-Uni en matière de licence obligatoire:
on a dit que la rémunération payable en vertu de
ces dernières visait davantage à se rapprocher des
dommages auxquels pourraient donner droit une
action en contrefaçon.
Il appert que déjà, en 1970, on avait vu poindre
une norme de 4 % pour ce qui est de la redevance
fixée en vertu du paragraphe 41(4). Dans une
autre décision rendue cette même année, le juge
Thurlow, dans Pfizer (Charles) & Co. Inc. v.
Novopharm Ltd. (1970), 65 C.P.R. 132 (C. de
la page 146, a jugé valide une telle pratique
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Ce qui, dans la discussion, m'a beaucoup
plus impressionné, c'est le fait que nonobstant les différences
manifestes qui existaient entre les affaires, comme par exemple
les différences entre les médicaments que concernaient les
inventions et entre les brevets au sujet desquels les licences
étaient sollicitées, ainsi que les différences entre les catégories
de médicaments auxquels s'appliquaient les inventions et les
différences entre le niveau des prix et entre celui des prix
proposés pour ceux-ci, le commissaire est arrivé dans tous les
cas au résultat de 4 p. 100 du prix de vente sous forme
posologique définitive. Ceci m'incite à penser qu'en fait le
commissaire, après être arrivé à une conclusion sommaire et
hâtive quant au pourcentage équitable du prix de vente sous
forme posologique définitive représentant une redevance appro-
priée dans la première affaire dont il s'est occupé en vertu de
l'article modifié, a adopté ce pourcentage et cette formule
comme point de départ applicable aux autres affaires, sauf dans
les cas où les faits qu'on lui présenterait le persuaderaient
d'augmenter ou de réduire le pourcentage. Bien qu'il incombe à
mon avis au commissaire de traiter chaque cas selon les faits
qui lui sont propres, je ne pense pas que l'on puisse faire
d'objections sérieuses à sa façon d'aborder un problème de cette
nature, dont la solution dépend dans une large mesure de
l'application de principes «taillés à coups de hache», en appli-
quant d'abord ce procédé approximatif, pourvu qu'ensuite, il
examine suffisamment dans quelle mesure les faits particuliers
à l'affaire justifient une modification du pourcentage suggéré
par ce procédé approximatif. On a, à mon avis, assez souvent
recours à cette méthode pour évaluer plusieurs sortes de pro-
priété et elle sert fréquemment de guide pour parvenir à une
conclusion raisonnable. Dans le cas présent, je ne vois rien dans
les documents soumis au commissaire qui aurait pu modifier le
résultat que ce procédé approximatif lui-même suggérait.
Bien qu'il existe un droit d'appel en ce qui a
trait aux décisions prises en vertu de l'article 41 à
l'égard des licences obligatoires (à l'exception de la
délivrance de licences provisoires), il est bien établi
dans la jurisprudence que la décision relève exclu-
sivement de la compétence du commissaire et
qu'elle ne devrait pas être annulée à moins de
reposer sur un mauvais principe ou d'être manifes-
tement erronée (c.-à-d., tellement erronée qu'elle
ne peut avoir été fondée sur la preuve ou sur le
droit). Si un tel défaut devait être découvert, la
Cour devrait alors annuler la décision et renvoyer
la question devant le commissaire pour qu'il l'exa-
mine de nouveau. Voir, par exemple, Merck & Co.
c. S. & U. Chemicals Ltd., [1974] R.C.S. 839;
(1972), 4 C.P.R. (2d) 193 (relativement à la fixa
tion des redevances). La même règle s'applique à
l'égard d'une décision du commissaire relativement
à la question de savoir s'il existe de «bonnes rai-
sons» de ne pas délivrer la licence: voir l'arrêt
Parke, Davis, précité. L'arrêt Merck & Co., dans
lequel la requérante avait proposé de payer une
redevance s'élevant à 15 % de la valeur nette à
l'importation du médicament importé en vrac,
illustre bien la déférence témoignée à l'endroit de
la décision du commissaire à l'égard des redevan-
ces. Le breveté s'est opposé à la licence et a refusé
la redevance. La requérante a alors fait une nou-
velle offre de 4 % du prix net au détail du médica-
ment sous sa forme posologique définitive. Le com-
missaire a fixé la redevance à 4 % du prix net de
vente. En appel de cette décision devant la Cour de
l'Échiquier [(1971), 65 C.P.R. 99], le juge Thur -
low a renvoyé la question de la redevance au
commissaire, principalement pour le motif que rien
dans les documents soumis ne permettait de con-
clure que la redevance inférieure devait être préfé-
rée à celle qui avait été offerte en premier par la
requérante. En appel devant la Cour suprême,
cette dernière a infirmé la décision du juge Thur-
low et a confirmé la décision du commissaire pour
les motifs que rien dans le dossier qui lui avait été
soumis n'indiquait que le commissaire n'avait pas
rempli son devoir, qu'il s'était fondé sur un mau-
vais principe ou que sa décision était manifeste-
ment erronée. En d'autres termes, en l'absence de
certaines indications quant au fondement de la
décision, il fallait présumer qu'elle était fondée.
Est-ce que, suivant cette interprétation, le para-
graphe nie le droit à l'application régulière de la
loi quant à la procédure dans quelque sens autre
que l'exigence d'une audition impartiale (exigence
que la Cour d'appel, comme il a été mentionné
plus haut, a déjà jugé satisfaite par le paragra-
phe)? À mon avis, l'application régulière de la loi
exige, outre une audition impartiale, un processus
complet prévoyant, pour la prise d'une décision
autorisée par la loi, un moyen qui permette de
rapprocher, d'une manière rationnelle, les faits de
l'affaire des critères prescrits par la loi, en l'occur-
rence par le Parlement. La fidélité du lien, qui doit
exister entre ces deux éléments, dépendra de la
précision avec laquelle le législateur prescrit les
critères et de l'étendue du pouvoir discrétionnaire
qu'il laisse à l'instance décisionnelle afin de déter-
miner si le résultat B devrait nécessairement
découler du fait A.
Il ressort clairement des interprétations jurispru-
dentielles et doctrinales dont j'ai fait mention que
pour arrêter les conditions des licences obligatoi-
res, lorsque le commissaire est obligé par la loi de
tenir compte
... de l'opportunité de rendre les médicaments accessibles au
public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté
une juste rémunération pour les recherches qui ont conduit à
l'invention ...
il est tenu de garder la redevance à un niveau
inférieur au taux qui serait négocié librement.
Toutefois, lorsqu'il tient compte de la «juste rému-
nération pour les recherches» il ne se voit pas
contraint par le Parlement de vérifier les coûts
précis des recherches menées à l'égard du médica-
ment en question. Il ressort également des inter-
prétations judiciaires qu'on s'attend à ce qu'il fasse
appel à ses propres connaissances ainsi qu'à celles
acquises au cours des procédures de la cause et
qu'il doit jouir d'un vaste pouvoir discrétionnaire à
l'égard duquel les tribunaux n'interviendront pas, à
moins qu'il n'applique clairement un mauvais prin-
cipe. La Cour suprême, qui examinait alors la
fonction analogue exercée par le commissaire en
vertu de l'article 19 de la Loi en ce qui a trait à la
fixation des indemnités pour les brevets utilisés par
le gouvernement du Canada, après avoir considéré
que le droit d'en appeler de cette décision à cette
Cour est semblable au droit d'appel prévu au
paragraphe 41(11), a jugé que la fonction du
commissaire était celle d'un arbitre et a, pour ce
motif, limité de façon radicale les motifs pour
lesquels la Cour peut toucher à sa décision. Voir
l'arrêt Irving Air Chute, précité, à la page 621. On
peut en déduire que le Parlement a conféré un
vaste pouvoir discrétionnaire au commissaire et
qu'il est possible qu'en tant qu'arbitre, ses déci-
sions soient quelque peu arbitraires. Tant qu'elles
demeurent dans le cadre assez large autorisé par le
paragraphe, elles ne peuvent être contestées.
Étant donné la nature de la procédure prescrite
par le paragraphe 41(4), suivant l'interprétation
qu'en ont donnée un certain nombre de décisions
par lesquelles je suis lié, il m'est impossible d'affir-
mer que la procédure autorisée par cette disposi
tion est illogique ou impropre à l'établissement du
lien nécessaire entre les faits pertinents et les
conclusions fondées sur ces faits. Par conséquent,
je conclus que le paragraphe 41(4), tel qu'il a été
rédigé et interprété, ne dénie pas l'application
régulière de la loi.
Il est ressorti de la preuve que depuis la modifi
cation de 1969, pratiquement toutes les demandes
n'ayant pas fait l'objet d'un retrait subséquent ont
été accordées et que dans pratiquement tous les
cas, la redevance a été fixée à 4 %. Le fait que
toutes les demandes aient été accordées n'est peut-
être pas très étonnant dans la mesure où le para-
graphe prévoit que lorsqu'une telle demande est
présentée, le commissaire «doit accorder ... une
licence pour faire les choses spécifiées dans la
demande à l'exception de celles, s'il en est, pour
lesquelles il a de bonnes raisons de ne pas accorder
une telle licence». La Cour suprême, relativement
au langage semblable utilisé au paragraphe 41(3),
a dit qu'une décision du commissaire sur les
«bonnes raisons» était finale à moins qu'on puisse
dire qu'elle était fondée sur un principe erroné:
voir l'arrêt Parke, Davis, précité. Ce qui est plus
surprenant c'est que la redevance ait toujours été
de 4 %. Il est difficile de croire que les circons-
tances n'aient pas donné lieu à un taux quelque
peu différent parmi plusieurs centaines de licences
qui ont été accordées depuis 1969. Toutefois, il
m'est interdit d'examiner cette question sous l'an-
gle de la conformité avec la Déclaration cana-
dienne des droits vu la décision du juge Addy,
mentionnée plus haut, selon laquelle la question de
l'incompatibilité possible avec la Déclaration
canadienne des droits constitue une simple ques
tion de droit à l'égard de laquelle les faits relatifs à
la manière dont la loi est appliquée ne peuvent être
pertinents. Comme il n'a pas été interjeté appel de
cette décision, je suis lié par celle-ci dans ma
décision car tout le processus de communication de
la preuve ainsi que l'instruction se sont déroulés à
la lumière de cette décision.
Déclaration canadienne des droits, alinéa lb)—
Cet alinéa reconnaît et déclare les droits suivants:
1....
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
En ce qui a trait à l'argument des demandeurs
selon lequel le paragraphe 41(4) est incompatible
avec le droit de l'individu à l'égalité devant la loi
prévu à l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne
des droits, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en
traiter en détail. La Cour suprême du Canada a
jugé, dans un certain nombre d'arrêts, qu'une loi
qui crée des distinctions entre les individus ne
contrevient pas à l'alinéa b) de la Déclaration
canadienne des droits si elle a été adoptée en
cherchant l'accomplissement d'un «objectif fédéral
régulier»: voir R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S.
693; Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration, [ 1976] 1 R.C.S. 376; Bliss c. Pro-
cureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183; et
MacKay c. La Reine, [ 1980] 2 R.C.S. 370. Ce
principe a récemment été appliqué par la Cour
d'appel fédérale dans l'arrêt Brar c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 C.F. 914
(C.A.). Dans l'arrêt MacKay, le juge McIntyre,
écrivant alors pour lui-même et pour le juge Dick-
son [tel était alors son titre], a examiné ce principe
en détail à la page 406:
La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si
l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie
particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou
superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en
tant que dérogation nécessaire au principe général de l'applica-
tion universelle de la loi pour faire face à des conditions
particulières et atteindre un objectif social nécessaire et
souhaitable.
Pour les motifs qui ont été examinés relativement à
la question du partage des pouvoirs, je suis con-
vaincu que le paragraphe 41(4) vise un objectif
fédéral régulier. Même si, en l'espèce, je suis
obligé de déduire cet objectif du texte de la mesure
législative elle-même et non d'éléments de preuve
extrinsèques, il ressort clairement des termes du
paragraphe que l'objectif est de limiter les droits
de monopole à l'égard des médicaments en vue
d'assurer des prix plus bas au moyen de la concur
rence. Le fait de créer un monopole grâce aux
droits afférents à un brevet en vue de restreindre la
concurrence pour ainsi avantager les brevetés cons-
titue un objectif fédéral régulier: constitue égale-
ment un objectif fédéral régulier le fait de limiter,
à l'égard d'une certaine catégorie de titulaires de
brevets, le monopole accordé et de réduire ainsi ses
effets négatifs sur la concurrence de manière à
avantager les membres du public qui doivent ache-
ter des médicaments. Ces deux types de mesures
législatives mettent en jeu ce qu'on estime être la
recherche de l'intérêt public même si elles départa-
gent différemment les droits des titulaires de
brevet et ceux des consommateurs. D'après le texte
de la loi, je ne suis pas en mesure de dire que, soit
quant au fond soit quant à la procédure, elle n'est
pas véritablement conçue à cette fin. Encore une
fois, en l'absence de preuve à cet effet je ne vois
rien qui me permette de conclure que la conviction
apparente du Parlement que les consommateurs
avaient besoin d'une protection spéciale dans le
domaine des médicaments n'était pas une convic
tion légitime.
Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que si les
demandeurs disposent de quelque recours légal à
l'encontre d'actes discriminatoires, il est préférable
de les fonder, comme en l'espèce, sur l'article 15 de
la Charte canadienne des droits et libertés: les
formes d'égalité garanties par cet article sont plus
étendues que la simple «égalité devant la loi»
garantie par la Déclaration canadienne des droits;
et, comme l'article 15 est une disposition constitu-
tionnelle, des éléments de preuve extrinsèques sur
l'administration de la Loi sur les brevets seront
pertinents et admissibles dans l'application de cet
article. Par conséquent, je reviendrai sur cette
question en rapport avec l'article 15.
Charte canadienne des droits et libertés, article
7—Voici ce que prévoit cet article:
7. Chacun à droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Les demandeurs soutiennent que le paragraphe
41(4) porte atteinte à leur «liberté» ou à «la sécu-
rité de [leur] personne» d'une manière qui n'est pas
conforme avec les principes de la justice fonda-
mentale.
Je conviens que tant les personnes morales
demanderesses que les particuliers demandeurs ont
potentiellement droit à la protection de l'article 7
étant donné qu'il s'applique à «chacun». Il a été
jugé, dans Balderstone v. R.; Play -All Ltd. v. A.G.
Man., [1983] 1 W.W.R. 72 (B.R. Man., confirmé
pour d'autres motifs par la C.A. Man. [[1983] 6
W.W.R. 438]) que le mot «chacun» dans cet arti
cle comprend une société. Je souscris respectueuse-
ment à cette décision.
Toutefois, je ne conviens pas que le paragraphe
41(4) de la Loi sur les brevets vise la «liberté» ou
«la sécurité de [la] personne» de l'un ou de la
totalité des demandeurs en l'espèce. À mon avis, le
fait d'associer les concepts de «vie ... liberté et .. .
sécurité de sa personne» en colore le sens et ils se
rapportent au bien-être physique d'une personne
physique. Comme tels ils ne permettent pas de
décrire les droits d'une société ni de décrire les
intérêts purement économiques d'une personne
physique. On ne m'a cité aucune décision ou
ouvrage de doctrine qui m'obligerait à conclure
autrement.
Il est vrai que dans l'arrêt Singh et autres c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985]
1 R.C.S. 177, la page 205, le juge Wilson, avec
l'appui du juge en chef Dickson et du juge Lamer,
a dit:
... les concepts du droit à la vie, du droit à la liberté et du droit
à la sécurité de sa personne peuvent avoir plusieurs acceptions.
Elle mentionne ensuite le Quatorzième Amende-
ment de la Constitution des Etats-Unis qui prévoit
qu'aucun État ne doit [TRADUCTION] «porter
atteinte à la vie, à la liberté ou à la propriété d'une
personne sans l'application régulière de la loi». Elle
cite une déclaration du juge Stewart dans l'arrêt
Board of Regents of State Colleges v. Roth, 408
U.S. 564 (1972), la page 572, qui, en fait, citait
le passage tiré d'une décision datant de 1923, de la
Cour suprême des États-Unis dans Meyer v. State
of Nebraska, 262 U.S. 390 (1923). Dans cet arrêt
de 1923, on a dit [à la page 399] que le terme
«liberté»
[TRADUCTION] ... s'entend sans aucun doute non seulement de
l'absence de contrainte physique mais également du droit des
particuliers de contracter, de vaquer aux occupations ordinaires
de la vie, d'acquérir des connaissances utiles, de se marier, de
fonder un foyer et d'élever des enfants ...
Je n'estime pas que cette proposition fait mainte-
nant partie du droit canadien. Il m'apparaît que le
juge Wilson, écrivant alors pour elle-même et pour
deux autres juges, ne faisait que signaler qu'un
mot comme «liberté» peut avoir un sens large. Cela
ne fait aucun doute. Toutefois, elle n'en vient pas à
la conclusion que, de l'opinion réfléchie de trois
juges de la Cour suprême du Canada, ce mot a un
tel sens large dans le contexte de l'article 7 de la
Charte. Elle n'avait évidemment pas à le faire dans
l'arrêt Singh qui mettait en jeu le droit à la liberté
à l'encontre des détentions et des expulsions. Le
renvoi à l'arrêt de 1923 de la Cour suprême des
États-Unis sur la question de la «liberté» doit
également être considéré avec prudence. Le con
cept de «liberté de contracter», fondé à l'origine sur
le Quatorzième Amendement, a survécu avec peine
à la grande dépression aux États-Unis: voir Tribe,
American Constitutional Law (1978), aux pages
427 455. Il est vrai que la notion de liberté
économique a plus récemment connu un léger gain
de popularité dans les affaires portant sur le Qua-
torzième Amendement. Toutefois, il faut se rappe-
ler que tant l'historique que le contexte socio-éco-
nomique du Quatorzième Amendement sont
typiquement américains. En outre, il convient de
souligner que dans le Quatorzième Amendement le
mot «liberté» est associé au mot «propriété» qui en
colore le sens en introduisant des valeurs tant
économiques que personnelles. Ce n'est pas le cas
dans l'article 7 de la Charte canadienne des droits
et libertés.
En interprétant ainsi les termes «liberté» et
«sécurité de sa personne», je fais mienne l'opinion
exprimée par le juge Pratte dans R. c. Operation
Dismantle Inc., [1983] 1 C.F. 745 (C.A.), à la
page 752, selon laquelle ces termes visent le droit à
la liberté à l'encontre des arrestations ou déten-
tions arbitraires, opinion que j'ai également adop-
tée dans ma décision dans l'affaire Le groupe des
éleveurs de volailles de l'est de l'Ontario c. Office
canadien de commercialisation des poulets,
[1985] 1 C.F. 280; (1984), 14 D.L.R. (4th) 151
(1" inst.), à la page 323 C.F.; 181 D.L.R. Voir
également au même effet, l'affaire Alliance de la
Fonction publique du Canada c. La Reine, [1984]
2 C.F. 562; 11 D.L.R. (4th) 337 (1" inst.) (confir-
mée par [1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387
(C.A.) sans mention de ce point); Re Becker and
The Queen in right of Alberta (1983), 148 D.L.R.
(3d) 539 (C.A. Alb.), aux pages 544 et 545.
En ce qui a trait à l'argument selon lequel les
droits de propriété sont implicitement garantis par
l'article 7, cette possibilité est également exclue
étant donné la manière dont j'ai qualifié les termes
«vie ... liberté et ... sécurité de sa personne». Bien
qu'il puisse y avoir certaines situations dans . les-
quelles l'article 7 pourrait protéger de façon acces-
soire le droit de propriété d'un particulier, je ne
vois pas de quelle manière on pourrait prétendre
que les droits de brevet d'un inventeur ou d'une
société multinationale titulaire de brevet pour-
raient entrer en jeu de façon accessoire dans la
protection de l'intégrité physique d'une personne.
En outre, il est notoire qu'une modification qui
visait précisément à inclure le terme «propriété»
dans les droits protégés par l'article 7 a été retirée
au cours de l'examen de la Charte par le Comité
mixte parlementaire sur la Constitution. Cela nous
indique qu'à l'origine tout au moins l'article 7
n'était pas censé assurer la protection du droit de
propriété.
Comme j'en suis venu à la conclusion qu'aucun
intérêt protégé par l'article 7 n'est pertinent à la
réclamation des demandeurs en l'espèce, il n'est
pas nécessaire que j'examine s'il y a eu atteinte
aux principes de la justice fondamentale.
Paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des
droits et libertés—Le paragraphe 15(1) prévoit:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
Pour les mêmes motifs énoncés plus haut en
rapport avec l'alinéa l a) de la Déclaration cana-
dienne des droits, les sociétés demanderesses ne
sont pas susceptibles d'être visées par la protection
de l'article 15 puisque celle-ci ne s'applique qu'à
«every individual». Pour d'autres motifs, également
mentionnés plus haut, j'estime cependant que les
particuliers demandeurs possèdent, à titre d'inven-
teurs du Cimetidine, un intérêt suffisant pour invo-
quer l'article 15 et contester le paragraphe 41(4)
de la Loi sur les brevets au motif que, de la façon
dont il s'applique ou s'appliquera à leur égard, et
de la façon dont il est appliqué à d'autres inven-
teurs, il est incompatible avec l'article 15 de la
Charte. Je ne retiens pas l'argument des deman-
deurs selon lequel, en vertu de la décision de la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Big M
Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; 58
N.R. 81, aux pages 313 et 314 R.C.S.; 95 N.R.,
les sociétés demanderesses ont qualité pour soule-
ver la question de l'article 15 dans une action
déclaratoire. Il est possible de distinguer l'arrêt
Big M, car dans cette affaire, la société était
poursuivie et il ne faisait pas de doute qu'elle avait
qualité, en tant qu'accusée, pour soulever tout
moyen de défense à sa disposition y compris l'inva-
lidité de la Loi sur le dimanche [S.R.C. 1970,
chap. L-13] en vertu de laquelle elle était accusée
et ce, même si on en contestait la validité pour le
motif qu'elle portait atteinte, de façon illicite, à la
liberté de conscience des particuliers. En l'espèce,
le redressement sollicité est un jugement déclara-
toire et les sociétés qui plaident l'invalidité sont des
demanderesses ayant l'obligation d'établir leur
qualité pour solliciter le redressement en question.
La politique des tribunaux de s'opposer à la recon
naissance d'une qualité d'agir illimitée pour soule-
ver des questions constitutionnelles repose en
partie sur la crainte de se voir inonder de litiges
non pertinents par des personnes n'ayant aucun
véritable grief direct à formuler et en partie, sur
leurs préoccupations relativement à l'absence d'un
contexte factuel précis, auquel cas le demandeur
éventuel n'est pas réellement dans une position
pour se plaindre d'une atteinte précise à ses droits.
Même si cette dernière préoccupation n'est pas
réellement pertinente dans une situation comme
celle qui nous intéresse et qu'elle pourrait justifier
un tribunal d'exercer son pouvoir discrétionnaire
pour reconnaître aux sociétés demanderesses la
qualité d'agir lorsqu'il n'existe aucune autre possi-
bilité de contrôle judiciaire, il m'apparaît en l'es-
pèce que la meilleure attitude serait de reconnaître
qualité pour agir aux particuliers demandeurs
étant donné qu'ils sont les seuls dont des droits ont
pu être violés au sens de l'article 15. Étant donné
qu'il s'agit là d'un moyen de contrôle judiciaire au
sens constitutionnel, point n'est besoin de me
demander si je devrais exercer mon pouvoir discré-
tionnaire en faveur des sociétés demanderesses de
manière à assurer le contrôle judiciaire, comme on
l'a fait dans l'arrêt Borowski, précité.
Si j'ai bien compris, ce dont se plaignent essen-
tiellement les demandeurs, c'est de la violation de
leurs droits à l'égalité devant la loi et à la protec
tion égale de la loi, au motif que les inventeurs de
médicaments et les titulaires de brevets couvrant
ces produits sont traités de façon moins favorable,
en vertu du paragraphe 41(4), que les autres
inventeurs et titulaires de brevets.
Il s'agit évidemment d'une allégation de discri
mination qui ne repose sur aucune des formes de
discrimination expressément mentionnées au para-
graphe 15 (1) de la Charte. Le défendeur n'a pas
soulevé d'objection sur ce point et d'ailleurs je ne
crois pas qu'il soit possible de le faire. Il semble
que ce paragraphe a une portée suffisamment
grande pour couvrir toutes les formes de discrimi
nation, qu'elles soient ou non fondées sur l'un des
motifs expressément mentionnés dans le paragra-
phe, comme la race, l'origine nationale ou ethni-
que, la couleur, etc.
Le défendeur n'a pas non plus soulevé d'objec-
tion quant au fait que l'article 15 de la Charte
n'était pas en vigueur au moment où cette action a
été intentée. Je suis convaincu que les plaintes des
demandeurs contre le paragraphe 41(4) sont de
nature continue puisqu'elles se rapportent à des
licences obligatoires concernant le Cimetidine qui
sont de nature continue. Par conséquent, rien
n'empêche d'appliquer l'article 15 de la Charte de
manière à influer sur quelque droit découlant des
licences obligatoires délivrées après le 17 avril
1985, date de l'entrée en vigueur de l'article 15.
Un problème que pose, au départ, l'application
du paragraphe 15(1) consiste à vérifier son rapport
avec l'article 1 de la Charte. Voici le texte de
l'article 1:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
Si on juge qu'une disposition législative contestée
ne contrevient pas aux exigences du paragraphe
15(1), alors la question de l'application de l'article
1 ne se pose pas. Par contre, si on conclut qu'une
disposition législative contrevient, à première vue,
au paragraphe 15(1), il incombe alors au gouver-
nement ou à quiconque tentant de préserver la
disposition législative en invoquant l'article 1 de
démontrer que la limite en question est raisonna-
ble, qu'elle constitue clairement une règle de droit
et qu'elle est une limite «dont la justification puisse
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique». Il peut donc s'avérer très important
de savoir si la disposition législative contestée est, à
première vue, incompatible avec le paragraphe
15(1). S'il n'y a pas d'incompatibilité, l'affaire
s'arrête là. Toutefois, s'il y a incompatibilité, et si,
comme en l'espèce, le défendeur qui cherche à
préserver la disposition législative n'invoque pas
l'article 1 par voie de preuve ou dans son argumen
tation, la disposition législative doit alors être
jugée invalide. Voilà ce qui rend très importante
l'ampleur des interdictions prévues par l'article 15
à l'encontre de toute disposition législative créant
des distinctions entre les citoyens.
Il me semble que, par ses renvois exprès à
certaines formes de discrimination, c'est-à-dire «la
race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la
religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales
ou physiques», le paragraphe 15(1) est clairement
conçu afin d'interdire toutes distinctions fondées
sur ces motifs. Dans le cas où de telles distinctions
doivent être défendues, elles doivent être justifiées
en vertu de l'article 1. Il se peut que des distinc
tions fondées sur certains motifs, tel l'âge, soient
plus faciles à justifier en vertu de l'article 1, mais
même là, le fardeau de la preuve doit incomber à
ceux qui préconisent une telle distinction.
En ce qui a trait aux autres types de distinctions
qui peuvent être créées par la législation, il ne me
semble pas qu'il existe une telle présomption de
discrimination et qu'il soit nécessaire d'analyser
ces distinctions de manière plus approfondie afin
de déterminer si elles peuvent être considérées
comme étant incompatibles avec le paragraphe
15(1). Je ne crois pas qu'on ait pu vouloir que
toute distinction que crée une mesure législative
entre des citoyens ou des catégories de citoyens
doive automatiquement être considérée comme de
la «discrimination» au sens du paragraphe 15(1) et
donc, qu'il y ait immédiatement renversement du
fardeau de la preuve sur les épaules de celui qui
préconise la mesure législative afin qu'il la justifie
en vertu de l'article 1. C'est le rôle des assemblées
législatives d'établir des distinctions et ce, pour
quantité de raisons, et il est inconcevable que
chacune d'entre elles puisse faire reporter sur le
gouvernement ou sur quiconque s'appuyant sur
une mesure législative de ce genre, le fardeau d'en
démontrer «la justification ... dans le cadre d'une
société libre et démocratique». Cela aurait pour
effet de confier aux tribunaux un pouvoir décision-
nel ainsi qu'un fardeau qui seraient inacceptables
tant pour eux que pour les assemblées législatives.
Il faut donc chercher des critères qui permettent
de déterminer si une distinction d'origine législa-
tive crée une inégalité qui est discriminatoire, en
considérant que le terme «discrimination» désigne
le genre de distinction prohibée par le paragraphe
15(1). D'après moi, il ne serait pas approprié de se
fonder uniquement sur les critères qui sont habi-
tuellement utilisés pour interpréter l'alinéa lb) de
la Déclaration canadienne des droits, compte tenu
de la portée plus restreinte de cette disposition et
de la nature législative du texte dans lequel il se
trouvait. Toutefois, avec égards, je ferais miens les
propos du juge McIntyre, auxquels a souscrit le
juge Dickson dans l'arrêt MacKay c. La Reine,
précité, à la page 406 (également précité [aux
pages 311 et 312]):
La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si
l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie
particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou
superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en
tant que dérogation nécessaire au principe général de l'applica-
tion universelle de la loi pour faire face à des conditions
particulières et atteindre un objectif social nécessaire et
souhaitable.
Je ferais respectueusement remarquer que, selon
moi, le concept de «catégorie» n'a rien de magique:
il n'est pas défini, il ne prévoit aucune norme et
n'est qu'un simple concept subjectif. Par consé-
quent, il ne permet pas, par lui-même, de conclure,
lorsqu'une «catégorie» est créée ou divisée de quel-
que manière que ce soit par une mesure législative,
qu'il y a discrimination. Il m'apparaît que ce
n'était pas dans ce sens que le juge McIntyre a fait
mention d'une «catégorie particulière» et, selon
moi, il ne fait que dire que si un certain nombre de
personnes dans la société sont traitées différem-
ment, il devrait y avoir un fondement rationnel
pour établir une distinction entre ces personnes et
le reste de la société.
On remarquera que ce critère comporte deux
volets: d'une part, la fin recherchée doit faire
partie de celles qu'il est, d'une façon générale,
légitime pour un gouvernement de rechercher et,
d'autre part, les moyens utilisés doivent se rappor-
ter, d'une manière rationnelle, à la réalisation de
cette fin. Il est possible, à mon avis, que le critère
approprié pour décider du caractère légitime de la
fin recherchée n'exige pas autre chose que la
preuve que le but fondamental de la disposition
législative n'est pas de désavantager une personne
ou un groupe de personnes en particulier, même si
elle peut avoir cette conséquence. En l'espèce, on
n'a pas vraiment contesté que la fin recherchée au
moyen de la disposition législative contestée est la
réduction du prix d'un certain nombre de médica-
ments jugés importants pour le bien-être du public.
J'ai déjà conclu que cela relevait de la compétence
du Parlement sur le plan du partage des pouvoirs
et je peux facilement conclure qu'il s'agit d'un
objectif gouvernemental légitime. Il reste alors la
question de savoir si les moyens se rapportent
d'une manière rationnelle à la réalisation de cet
objectif.
Avant de trancher cette question, deux observa
tions s'imposent. Comme l'article 1 de la Charte
n'est pas en litige dans le présent cas, la présomp-
tion de validité de la disposition législative conti
nue de s'appliquer, ce qui signifie qu'il incombe
aux demandeurs de démontrer que les moyens
utilisés ne sont pas appropriés. En outre, pour
trancher cette question, il n'appartient pas aux
tribunaux de soupeser minutieusement la preuve
afin de s'assurer si les moyens choisis sont parfaits
ou même s'ils sont les meilleurs qui existent. Le
choix parmi les divers moyens possibles est un
choix politique et devrait le demeurer: tout ce que
devrait faire le tribunal, c'est d'examiner si les
moyens choisis sont manifestement inappropriés eu
égard à la fin recherchée et, au cas contraire, le
choix de la législature devrait être respecté.
Si j'ai bien compris les arguments des deman-
deurs, ceux-ci soutiennent que le paragraphe 41(4)
ne constitue pas un mécanisme rationnel pour
atteindre l'objectif de la réduction de prix de sub-
stances médicamenteuses importantes parce qu'il a
des effets trop marqués sur les titulaires de brevets
et une portée trop restreinte dans la mesure où il
ne vise, dans les faits, que les médicaments
d'ordonnance.
On affirme que le paragraphe 41(4) n'accorde
pas un bénéfice équitable aux brevetés qui suppor-
tent virtuellement tous les coûts afférents à la
recherche et au développement, non seulement
dans le cas des médicaments qui s'avèrent un
succès mais également dans le cas des médica-
ments qui constituent des échecs et dont les coûts
doivent également être payés au moyen des bénéfi-
ces tirés des médicaments fructueux. On dit que la
structure du paragraphe lui-même, tel qu'il est
interprété, dicte un tel résultat puisqu'il ordonne
au commissaire qui fixe le montant de la rede-
vance de ne tenir compte que d'une «juste rémuné-
ration pour les recherches qui ont conduit à l'in-
vention» qui, même appliquée de manière efficace,
ne tiendrait pas compte des autres coûts comme
ceux de la recherche infructueuse et de la publi-
cité. Malheureusement pour les demandeurs, ils
n'ont pas été en mesure de présenter des éléments
de preuve clairs en ce qui a trait à l'effet du
paragraphe 41(4) sur les titulaires de brevets.
Comme je l'ai mentionné précédemment, ils ont
démontré que la recherche et le développement
sont des activités coûteuses (du moins en termes
absolus); que dans le cas d'un médicament moyen,
si on tient compte de l'industrie pharmaceutique
internationale dans son ensemble, les coûts ne sont
probablement (la preuve étant ici très hypothéti-
que) récupérés que plusieurs années après la mise
sur le marché du médicament; et que l'existence de
licences obligatoires au Canada réduit la valeur
nette actuelle d'un nouveau médicament pour un
brevet canadien. Cependant, tout ce que cela
prouve c'est que les titulaires de brevets se porte-
raient mieux s'il n'y avait pas de licences obligatoi-
res. Cela ne démontre pas que l'octroi de licences
obligatoires est par trop oppressive et démesuré-
ment à l'avantage du public. Les avantages dont
jouit le public paraissent être importants. Par
exemple, comme il a été mentionné plus haut, une
étude présentée en preuve par les demandeurs
(pièce P-102, document 64) a conclu qu'en 1975,
les prix moyens des médicaments faisant l'objet
d'une licence obligatoire étaient de 28,6 % infé-
rieurs à ce qu'ils auraient été sans octroi de licence
obligatoire. La Commission Eastman, qui a déposé
son rapport en 1985, a conclu qu'en 1983 «les prix
des médicaments génériques étaient à 51 % des
prix des marques de substitution des sociétés
détentrices de brevets» et que cette année-là, des
économies de 211 millions de dollars avaient été
réalisées sur le prix des médicaments faisant l'ob-
jet d'une licence obligatoire. Il n'est donc pas
possible de dire que l'article n'a pas été efficace. Je
ne trouve pas non plus de critère me permettant de
conclure qu'il a été démesurément oppressif à
l'égard des brevetés. À titre d'exemple, on ne m'a
pas démontré quel pourcentage des coûts de la
recherche et du développement à l'échelle mon-
diale devrait être supporté par les ventes de médi-
caments au Canada, bien que la preuve ait laissé
voir que les ventes au Canada ne représentaient
qu'environ 2 % de la part de l'Occident sur le
marché international; on n'a pas non plus fourni de
données précises établissant que l'octroi de licences
obligatoires empêchait les sociétés multinationales
ou leurs filiales canadiennes de réaliser des bénéfi-
ces raisonnables sur leurs investissements. Certes,
on a présenté des éléments de preuve montrant que
des ventes avaient été perdues et que des bénéfices
avaient été réduits. On a même soumis des élé-
ments de preuve établissant que certaines sociétés
avait subi des pertes d'exploitation. Outre le fait
que je n'ai aucun moyen de savoir si cela est
représentatif, il faudrait que j'en sache beaucoup
plus sur les causes de ces pertes d'exploitation que
ce que les demandeurs ont été disposés à démon-
trer ou en mesure de le faire. Par exemple, l'état
financier d'une société canadienne indique qu'elle
a subi une perte au cours d'un récent exercice bien
que cet état ne démontre évidemment pas de quelle
manière cette perte était reliée à la licence obliga-
toire visant le médicament de sa société mère.
Dans un même temps, l'analyse d'un témoin expert
a établi que si cette compagnie avait payé, dans les
années qui ont immédiatement précédé cet exer-
cice, le prix du marché international pour les
approvisionnements de ce médicament au lieu de
verser un prix plus élevé à une société apparentée,
\ ses bénéfices d'exploitation auraient alors été pres-
que trois fois plus élevés. Étant donné l'absence
d'élément de preuve indiquant que la source d'ap-
provisionnement ou le coût du médicament pour la
société avait changé dans l'année de la perte en
question, on peut facilement imaginer que la
société serait demeurée rentable si elle avait décidé
de ne pas acheter le médicament plus coûteux de
sa filiale soeur. Bien que je sois convaincu que les
brevetés qui contribuent de façon importante à la
recherche et au développement du médicament
ainsi qu'à son implantation sur le marché
devraient avoir une rémunération suffisante pour
compenser leur investissement, je n'ai aucun motif
pour conclure que cette rémunération est, dans le
cas de l'industrie canadienne, excessivement inadé-
quate même si elle est inférieure à ce que pourrait
préférer l'industrie. Il ressort de la preuve que les
titulaires de brevets jouissent d'une période d'ex-
clusivité importante (la preuve la plus favorable,
comme il a été mentionné plus haut, faisant état
d'une moyenne de 6,8 années). Comment peut-on
relier ceci à l'évaluation du docteur Joglekar, le
témoin expert cité par les demandeurs, selon
laquelle, à l'échelle mondiale, les coûts imputables
à un nouveau médicament ne sont récupérés par le
nouveau produit moyen que dix ans après le début
de la mise en marché et que l'investissement
engagé ne commence à rapporter davantage
qu'une obligation que quelque quatorze ans après
le début de la mise en marché? Abstraction faite
de son fondement très hypothétique, que prouve
l'évaluation du docteur Joglekar en ce qui a trait à
la période d'exclusivité exigée au Canada où les
prix des médicaments sont peut-être relativement
plus élevés? Il y a lieu de croire que les sociétés qui
vendent des médicaments brevetés au Canada,
sachant qu'elles peuvent être assujetties à l'octroi
d'une licence obligatoire, tiennent peut-être
compte de ce fait en fixant le prix de leurs produits
lorsqu'elles se trouvent dans une situation de
monopole. Un certain nombre de témoins des
demandeurs ont également fait ressortir les avan-
tages importants conférés aux sociétés de produits
génériques par le paragraphe 41(4) par rapport au
dommage considérable causé aux brevetés. Une
fois encore, aucun élément de preuve solide n'a été
présenté quant à la nature des avantages conférés
aux sociétés de produits génériques outre le fait
qu'à l'égard d'un grand nombre de médicaments
brevetés les sociétés de produits génériques ont
réussi à s'emparer d'une part importante du
marché. Toutefois, on a soumis des éléments de
preuve établissant que, lorsque deux sociétés de
produits génériques ou plus détiennent des licences
à l'égard du même médicament, elles ont tendance
à être très concurrentielles. La preuve a également
indiqué que les sociétés de produits génériques
vendent à des prix considérablement moins élevés
que ceux des titulaires de brevets. Bien qu'on
reconnaisse que cela découle du fait qu'elles n'ont
pas les mêmes coûts initiaux de recherche, de
développement et de promotion que les brevetés,
cette situation laisse également supposer qu'elles
traduisent cet état de fait par des prix plutôt plus
bas que par des bénéfices plus élevés.
Un aspect particulier de la plainte d'effets trop
marqués, c'est que le paragraphe 41(4), ainsi qu'il
a été interprété par les tribunaux, n'a pas produit
des résultats témoignant du degré d'équité envi-
sagé par le législateur fédéral. Cette plainte porte
sur le fait que même si le commissaire doit, en
fixant la redevance,
... tenir compte de l'opportunité de rendre les • médicaments
accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant
au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont
conduit à l'invention ...
la redevance a, depuis 1969, toujours été fixée à
4 %. Comme il a été mentionné plus haut, bien
qu'il existe un droit d'appel à l'encontre de ces
décisions, les tribunaux ont généralement confirmé
ces rémunérations et ont, en fait, approuvé une
redevance empirique de 4 %. De prime abord, les
arguments des demandeurs sur ce point paraissent
concluants. Il est difficile d'imaginer qu'un
examen rationnel des facteurs énoncés au paragra-
phe 41(4) amènerait toujours à conclure que la
redevance devrait être de 4 %. Toutefois, si l'on
examine un certain nombre des décisions dont
appel a été interjeté, il en ressort que cette Cour et
la Cour suprême du Canada ont reconnu la diffi
culté, voire l'impossibilité pour le commissaire
d'appliquer ces critères avec quelque degré de
particularisation. Il ressort notamment que les bre-
vetés ne fournissent habituellement pas et que le
commissaire ne dispose par ailleurs pas de données
précises sur le coût des «recherches qui ont conduit
à l'invention». En effet, il apparaît que l'industrie
croit fermement que ces renseignements ne peu-
vent être fournis. De plus, bien que nous ayons
constaté que la redevance doit, suivant l'interpréta-
tion judiciaire, être établie à un taux inférieur à
celui que commanderait le marché dans le cadre
d'une licence volontaire, il n'y a normalement
aucun élément de preuve sur ce que serait le taux
du marché puisqu'un tel marché n'existe pas. Cela
laisse à penser que le Parlement a chargé le com-
missaire d'une tâche qui est presque impossible à
accomplir à la lettre et qu'il l'a placé dans la
position d'un arbitre qui doit faire valoir sa propre
expérience et son propre jugement pour fixer une
redevance. Le commissaire n'a jamais limité son
pouvoir discrétionnaire de fixer, dans un cas
approprié, une redevance à un taux différent et il
est toujours loisible à cette Cour de décider, en
appel, qu'il a appliqué le mauvais principe.
Compte tenu de tous ces facteurs, il ne serait pas
opportun pour moi, dans une action déclaratoire,
de déclarer que toutes ces décisions ne sont pas
valides du seul fait qu'elles sont toutes arrivées à la
même conclusion. Le montant de la redevance
demeure sujet à contestation chaque fois qu'un cas
se présente. Dans le présent cas, les demandeurs
n'ont pas démontré à l'égard des licences accordées
pour le Cimetidine qui font l'objet de la présente
action, que la redevance de 4 % était, dans ces
circonstances particulières, inappropriée, irration-
nelle, oppressive ou qu'elle ne témoignait pas, par
ailleurs, d'un moyen rationnel pour atteindre un
objectif gouvernemental légitime.
Par conséquent, je conclus que les demandeurs
ne se sont pas déchargés du fardeau qui leur
incombait d'établir que cette loi est tellement
oppressive à leur égard et à l'égard de ceux qui
sont placés dans une situation semblable qu'elle ne
peut être considérée comme un moyen présentant
une commune mesure avec un objectif gouverne-
mental légitime.
Les demandeurs ont également fait valoir que le
paragraphe 41(4) a une portée trop restreinte, en
ce sens que, selon eux, il ne réglemente que les
médicaments d'ordonnance. Tout d'abord, il con-
vient de souligner que le paragraphe est rédigé en
des termes suffisamment généraux pour couvrir
tout brevet relatif à des «médicaments». S'il a été
utilisé uniquement pour obtenir des licences obli-
gatoires pour des médicaments d'ordonnance, ce
n'est pas l'intention visée dans ce paragraphe
d'après son libellé. Cela mis à part toutefois, les
demandeurs soulignent que si le but du paragraphe
41(4) était de rendre les produits médicalement
essentiels ou médicalement importants accessibles
au public au plus bas prix, alors il est irrationnel
de restreindre le paragraphe aux médicaments. Il
ne vise pas des dispositifs comme les stimulateurs
cardiaques, l'équipement diagnostique, etc. Il
m'apparaît que l'objectif que le législateur a choisi
est bien compris dans son éventail de choix. Il
ressort clairement des documents présentés devant
le comité Harley en 1967 et devant le Parlement
en 1969 que ce qui a été perçu comme le problème
était le prix élevé des médicaments. On a conclu,
d'après la preuve disponible à ce moment-là, que
l'une des principales causes du prix élevé des médi-
caments était la protection dont jouissaient ceux-ci
en vertu des brevets. Je ne crois pas que le choix de
la large catégorie «médicaments» visée au paragra-
phe 41(4) puisse être considéré arbitraire. Une
assemblée législative n'a certes pas à régler tous les
problèmes en même temps et si elle considère
qu'un sujet constitue la source du problème le plus
grave, elle peut faire porter ses mesures législatives
sur ce sujet. Je ferais également remarquer que
dans un État fédéral, lorsqu'on se demande si
l'assemblée législative aurait pu adopter de meil-
leures solutions, il est nécessaire de se rappeler que
cette assemblée législative est assujettie à des limi-
tes constitutionnelles imposées par la répartition
des pouvoirs. Il convient également de souligner
que le gouvernement du Canada a, au même
moment, pris certaines autres mesures pour
réduire le prix des médicaments comme la diminu
tion des taxes de vente et du tarif sur les
médicaments.
Par conséquent, j'en suis venu à la conclusion
que rien ne me permet de rendre les jugements
déclaratoires demandés. En concluant ainsi, je dois
faire remarquer que l'espèce constitue un exemple
frappant des limites nécessaires qui s'imposent aux
tribunaux dans l'évaluation du caractère raisonna-
ble des fins et des moyens d'une mesure législative
contestée en vertu de l'article 15 de la Charte. Il
est quasi certain que toute mesure législative suffi-
samment importante pour faire l'objet d'un tel
litige a des effets positifs sur certains secteurs de la
société et des effets négatifs pour d'autres secteurs.
Un tribunal peut à juste titre intervenir si le
déséquilibre qui en résulte est tellement prononcé
que la mesure législative ne constitue manifeste-
ment pas un mécanisme rationnel pour atteindre
une fin légitime. Toutefois, lorsqu'on est plus près
de trouver un équilibre entre les intérêts concur-
rents, un tribunal doit se montrer prudent avant
d'annuler les choix faits par l'assemblée législative.
En l'espèce, la modification de 1969 a été précédée
par des recommandations de deux commissions
royales soutenant l'adoption d'une telle disposition,
la Commission sur les pratiques restrictives du
commerce et le rapport unanime d'un comité du
Parlement. Chacun de ces organismes ont eu une
bien meilleure occasion que moi d'évaluer les con-
séquences sociales et économiques de cette disposi
tion compte tenu des exigences du droit de la
preuve et des règles de la Cour. Depuis que la
mesure législative a été adoptée, ses effets ont été
examinés tout récemment dans le rapport de la
Commission Eastman qui a été présenté en février
de cette année. Cette commission a également
conclu que la délivrance d'une licence obligatoire
est socialement et économiquement justifiée, bien
qu'elle ait recommandé certaines modifications
importantes sur des détails. Évidemment, bien
qu'aucun organisme de ce genre ne puisse détermi-
ner si une telle mesure législative est acceptable en
vertu de la Constitution, je n'ai pas été en mesure
de trouver d'exigence constitutionnelle qui, en l'es-
pèce, me contraindrait ou me permettrait d'annu-
ler la décision du Parlement de légiférer.
Par conséquent, l'action est rejetée. Le défen-
deur aura droit à ses dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.