T-1781-83
Fadleabasy Akbaraly (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Muldoon—
Montréal, 16 octobre 1984; Ottawa, 27 septembre
1985.
Douanes et accise — Saisie de marchandises pour défaut de
déclaration — Le demandeur arrive d'un voyage à l'étranger
— Un agent de douane lui a posé la question «Avez-vous
quelque chose à déclarer?» — La question a créé de la
confusion chez le demandeur et il a omis de déclarer certaines
marchandises — Compte tenu des décisions Glisic c. La Reine
et Kong c. La Reine quant à l'effet de l'art. 18, la Cour a
conclu que la question était trompeuse et illégale, et que le
demandeur n'était pas à blâmer pour avoir omis de déclarer
certaines marchandises — Les agents de douane doivent
donner l'avertissement conformément à l'obligation de déclarer
imposée par l'art. 18, savoir «Vous devez déclarer (ou vous
êtes obligé(e) de déclarer) tous les effets dont vous avez la
charge ou garde» — La règle «ignorantia juris non excusat» ne
s'applique pas, parce qu'elle s'applique uniquement au droit
pénal — Annulation de la saisie — Loi sur les douanes, S.R.C.
1970, chap. C-40, art. 18 — Code criminel, S.R.C. 1970, chap.
C-34, art. 19 — Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970,
chap. N-4, art. 128 — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règle 337(2),(3),(4), formule 14.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouilles, perquisitions ou saisies —
Saisie de marchandises non déclarées — La question posée par
l'agent de douane «Avez-vous quelque chose à déclarer?» est
trompeuse et illégale — Il s'agit, en vertu de l'art. 8 de la
Charte, d'une saisie abusive — L'art. 18 de la Loi est déclaré
inopérant face à la réclamation du demandeur — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8 — Loi sur les douanes,
S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 18.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Glisic c. La Reine, [1984] 1 C.F. 797; 3 D.L.R. (4th) 90
(1" inst.); Kong et autre c. La Reine (1984), 10 D.L.R.
(4th) 226 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Mario Lebrun pour le demandeur.
André Rhéaume pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Guy & Gilbert, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MULDOON:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé de publier ce jugement de
23 pages dans sa version abrégée. La présente
affaire est d'importance, étant donné ses inciden
ces pratiques en matière de procédure douanière.
Le juge a décidé que la question «A.vez-vous
quelque chose à déclarer?» posée par le douanier
est trompeuse et illégale. Compte tenu des dispo
sitions législatives pertinentes, les agents de
douane devraient donner aux voyageurs l'avertis-
sement suivant: «Vous devez déclarer tous les
effets dont vous avez la charge ou garde.» Ce qui
suit est un résumé de la partie omise du
jugement.
Il s'agit d'une action en recouvrement de bijoux
saisis par des agents de douane à l'aéroport de
Mirabel. En défense, la Couronne fait valoir que le
demandeur et son épouse ont été interrogés au
sujet de leurs acquisitions à l'étranger, et ils ont
répondu qu'ils n'avaient rien reçu ni acheté. A
l'examen secondaire, les agents de douane ont
demandé à trois reprises au demandeur s'il avait
quelque chose à déclarer. Les deux premières
fois, le demandeur a répondu par la négative
mais, la troisième, il a reconnu avoir de la mar-
chandise à déclarer pour une valeur totale de
173 $. On a procédé à une fouille des bagages du
demandeur et des marchandises d'une valeur de
9 371,90 $ ont été saisies. En conséquence, il est
allégué que le demandeur a fait une fausse décla-
ration pour tenter d'éluder le paiement des droits,
et que les marchandises ont à juste titre été
confisquées en vertu de la Loi.
Le demandeur a effectivement reconnu avoir
acheté une partie des marchandises, mais en
disant au premier douanier qu'il s'agissait de
petits articles. Le demandeur soutient que la
presque totalité des marchandises saisies lui
appartenait depuis longtemps et avait été appor-
tée avec lui lors de son immigration au Canada en
1979. Il a déclaré qu'il n'avait pas, au moment de
son arrivée initiale au Canada, établi de liste de
ses bijoux. Le juge a relevé dans la jurisprudence
des expériences d'autres voyageurs avec des
agents de douane et en a conclu que ce qu'a
raconté le demandeur n'était pas incroyable.
Un bijoutier qui avait examiné les bijoux pour
déterminer s'ils étaient neufs ou usagés a été cité
comme témoin. À son avis, ils étaient neufs puis-
qu'il n'y avait pas de traces d'usure. Cependant,
le demandeur a déclaré que les bijoux étaient
rarement portés. Le juge a alors examiné le
témoignage donné par les agents de douane qui
avaient interrogé le demandeur ce jour-là.
Dans sa plaidoirie orale, l'avocat de la défende-
resse a invoqué l'article 18 de la Loi sur les
douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40. Cet article se
lit, dans ses parties pertinentes, comme suit:
18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre
qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme
toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit
a) se rendre au bureau de douane le plus rapproché de
l'endroit où elle est arrivée au Canada, ou au poste du
préposé le plus rapproché de cet endroit si ce poste en est plus
rapproché qu'un bureau de douane;
b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer de
quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou
préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous
les effets dont elle a la charge ou garde ... de même que les
quantités et les valeurs des effets ... ; et
c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles questions,
relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b), que lui
pose le receveur ou préposé compétent et faire à ce sujet une
déclaration en bonne forme ainsi que l'exige la loi.
Cette disposition de la Loi a attiré beaucoup de
jurisprudence au fil des années. Il y a, entre autres,
le récent arrêt de l'honorable juge Strayer de cette
Cour dans la cause Glisic c. La Reine, [1984] 1
C.F. 797; 3 D.L.R. (4th) 90. Aux pages 802 et 803
C.F.; 93 et 94 D.L.R., le juge est rapporté comme
suit:
J'ai dit que c'est «avec regret» que je dois conclure en ce sens
parce que, peu importe l'importance relative de l'espèce, je
m'inquiète des conséquences de l'article 18. Si on l'interprète à
la lettre, cet article signifie qu'une personne qui arrive au
Canada ou qui y revient devrait déclarer tous les biens person-
nels qu'elle a en sa possession ou qu'elle porte y compris,
probablement, ses sous-vêtements. Si elle omet de le faire, par
l'effet combiné des articles 18 et 180 de la Loi sur les douanes,
tous les effets qui ne sont pas déclarés sont susceptibles d'être
saisis et d'être confisqués par l'État. La raison en est que
l'article 18 oblige à déclarer «tous les effets dont elle a la charge
ou garde». Il ne se limite pas à toutes les marchandises acquises
à l'étranger ou aux marchandises acquises au cours du présent
voyage. Je pense que je dois prendre judiciairement connais-
sance du fait que très peu de voyageurs, s'il en est, savent que
c'est ce que dit la loi et que ce n'est pas ainsi que Revenu
Canada l'applique. Si une personne comme le demandeur
apportait avec elle des effets au moment où elle immigre au
Canada, s'en servait durant de nombreuses années au Canada
et les apportait lors de ses voyages à l'étranger, elle serait bien
surprise, après plusieurs voyages sans incident, de se faire
interroger par un agent de douane au sujet de ces effets. Le
ministère public prétend cependant qu'en vertu de l'article 18
un agent de douane peut contester le libre retour de ces effets
au Canada, et si aucune déclaration n'a été faite à leur égard,
ces effets sont susceptibles d'être confisqués. Je suis d'accord
que c'est ainsi que doit être interprété l'article 18, mais je me
sens tenu de faire remarquer qu'il peut aussi être interprété de
façon à autoriser la saisie et la confiscation d'un effet qu'un
Canadien a acquis au Canada, qu'il a possédé toute sa vie et
qu'il a apporté avec lui à l'étranger en vacances s'il omet de le
déclarer lors de son retour au Canada. Il faut donner crédit au
bons sens des agents de douane s'ils n'appliquent pas la loi de
cette manière, mais il reste qu'ils ont, tout comme le Ministre,
le pouvoir discrétionnaire de décider quels effets doivent être
confisqués s'ils n'ont pas été déclarés.
L'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe
B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.)] garantit
«le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou
les saisies abusives». En l'espèce, le demandeur n'est pas repré-
senté par avocat et l'application possible de l'article 8 n'a pas
été soulevée. Je ne crois pas que les faits en l'espèce permettent
à une cour de décider si les articles 18 et 180 de la Loi sur les
douanes autorisent une «saisie abusive». Par exemple, il est
possible que tous les événements qui se rapportent à la saisie
soient survenus avant l'entrée en vigueur de la Charte. Mais
cela ne signifie pas que la question ne pourrait pas être soulevée
dans d'autres instances dans lesquelles ces articles sont
invoqués.
Dans l'affaire Kong et autre c. La Reine, (1984)
10 D.L.R. (4th) 226, l'honorable juge Collier de
cette Cour, en citant les paroles du juge Strayer,
s'exprimait comme suit (à la page 237):
Je souscris aux conclusions juridiques et aux commentaires
de mon confrère. J'y ajoute une observation que j'ai faite
pendant l'audition de cette affaire et d'autres affaires similai-
res: si la Loi était observée et appliquée littéralement, les
queues, à la frontière, des personnes arrivant au Canada en
provenance des Etats-Unis, pourraient s'étendre de la frontière
canadienne à la frontière mexicaine.
Il est évident que les douaniers, ou à Vancouver
ou à Mirabel—ou n'importe où au Canada—sont
les préposés compétents de la Couronne. À eux est
confiée l'application, au moins en première ins
tance, de la Loi. À eux est confiée toute la docu
mentation nécessaire, c'est-à-dire, les formules
B-3, B-8, K9 3/4 et cetera. Si la défenderesse veut
invoquer l'application stricte de l'article 18 de la
Loi, qui a alors autorisé les préposés compétents à
conduire une application moins que stricte?
Lorsque le douanier a demandé au demandeur
s'il avait acheté ou reçu quelque chose à l'étranger,
le demandeur a répondu affirmativement. Mais,
lorsque les douaniers ont posé la question: «Avez-
vous quelque chose à déclarer?», ils ont posé une
question trompeuse et illégale. Il n'y a pas de
question; il n'y a rien de facultatif. Comme les
savants juges Strayer et Collier ont décidé, la
personne qui entre de l'étranger n'a pas d'option,
car il est obligatoire de déclarer «tous les effets
dont elle a la charge ou garde».
C'est le fait que le voyageur (le demandeur ici)
fasse une déclaration ou non qui détermine le
caractère, la qualité ou le statut de ses «marchan-
dises» en tant que «passées en contrebande ou
clandestinement introduites au Canada». Si le
voyageur déclare véridiquement tous ses effets nor-
maux de voyageur, incluant les effets achetés et les
effets reçus, s'il n'a pas de choses interdites, sa
«marchandise» n'est donc pas passée en contre-
bande.
C'est évident, qu'en l'espèce, le demandeur,
après avoir répondu affirmativement à la question
concernant les choses achetées ou reçues, a trouvé
la deuxième question «Avez-vous quelque chose à
déclarer?», confuse et trompeuse. Face à cette
question, le demandeur a témoigné: «Je ne sais pas
quoi déclarer» (transcription: page 80).
L'application stricte de la Loi exige que les
préposés compétents ne posent aux voyageurs
aucune question trompeuse et, en tout cas, illégale.
Pour obtenir une réponse légale du voyageur, ils
doivent poser une proposition légale, c'est-à-dire:
«Vous devez déclarer (ou vous êtes obligé(e) de
déclarer) tous les effets dont vous avez la charge
ou garde», peu importe leur discrétion à allouer
jusqu'à 150 $ par personne.
En l'espèce, le préposé Médéros a trompé le
demandeur et il a été ce même préposé qui a causé
les «marchandises» du demandeur à être considé-
rées comme passant en contrebande. ça n'était pas
la faute du demandeur. Il a agi ainsi à cause de la
mauvaise application de la Loi. Il faut dire, en
faveur des douaniers seulement, qu'ils suivent
depuis longtemps cette conduite habituelle.
Après tout, il n'est pas difficile d'imaginer pour-
quoi le demandeur a dit «Quand on fait une erreur,
il faut payer», ce que M. Mousseau écrivit sur le
verso de la pièce D-4.
La règle de droit pénale ignorantia juris non
excusat ne trouve aucune application contre le
demandeur en l'espèce. Comme a dit Glanville
Williams dans son Textbook of Criminal Law
(Stevens & Sons, Londres, 1978) à la page 410, la
limitation la plus importante de la règle est qu'elle
s'applique uniquement au droit pénal. D'ailleurs, il
faut noter que le Parlement n'a pas annexé à
l'article 18 de la Loi sur les douanes, aucune
disposition semblable aux articles 19 du Code cri-
minel [S.R.C. 1970, chap. C-34] et 128 de la Loi
sur la défense nationale [S.R.C. 1970, chap. N-4].
Le demandeur ne comparaît pas en tant qu'accusé.
Être trompé par une question illégale posée par un
douanier n'est pas une infraction.
La Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R-U.)] est entrée en vigueur avant le 25
septembre 1982. L'article 8 de la Charte garantit
le:
8. ... droit à la protection contre les fouilles, les perquisi-
tions ou les saisies abusives. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce la saisie des effets du demandeur était
évidemment abusive. L'article 18 de la Loi sur les
douanes est déclaré inopérable face à la réclama-
tion du demandeur.
Pour tous ces motifs, la réclamation du deman-
deur doit être accueillie avec dépens. La saisie
douanière 339T358 est annulée et la défenderesse
doit restituer librement au demandeur les biens
saisis, sauf les items numérotés 12 à 23 à la pièce
P-1. Cesdits items sont assujettis aux droits nor-
maux puisque le demandeur les a déclarés lors de
son arrivée le 25 septembre 1982.
Selon les dispositions de la Règle 337(2) [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], les avo-
cats du demandeur peuvent préparer un projet de
jugement approprié pour donner effet à la décision
de la Cour. Si possible, lesdits avocats obtiendront
le consentement des avocats de la Couronne sur la
manière d'expression, sinon le contenu, de ce juge-
ment, donnant toujours effet à la formule 14.
Ensuite les avocats du demandeur pourront suivre
les dispositions des alinéas (3) et (4) de la Règle
337. S'il y avait des difficultés, les avocats respec-
tifs ont pleine liberté d'approcher la Cour afin de
1Pc rPalpr
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