T-170-84
Donald Cadieux (requérant)
c.
Directeur de l'établissement Mountain et Com
mission nationale des libérations conditionnelles
(intimés)
Division de première instance, juge Reed—Van-
couver, 12 mars; Ottawa, 8 mai 1984.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fonda-
mentale — Le programme d'absence temporaire sans escorte
(A.T.S.E.) du requérant a été révoqué — La Commission
nationale des libérations conditionnelles refuse de divulguer
les motifs — La décision est assujettie aux exigences en
matière de justice fondamentale que prévoit l'art. 7 de la
Charte — Le détenu a le droit d'être informé de l'essentiel des
motifs retenus contre lui, mais il n'a pas nécessairement le
droit de savoir de qui viennent les renseignements ou d'exiger
la communication des documents ou des détails de la preuve
— L'intérêt du public en ce qui a trait à la prévention des
récidives, au maintien de la sécurité et de l'ordre dans l'éta-
blissement et à la préservation de la capacité de la Commis
sion de fonctionner d'une manière efficace peut l'emporter sur
la règle usuelle — Les circonstances justifiant la dérogation
doivent inclure un élément de nécessité — La portée de la
garantie constitutionnelle n'est pas limitée par le fait que le
renseignement a été donné à titre confidentiel — Le refus de
divulguer l'essentiel des motifs fondé sur l'exemption à l'égard
d'une catégorie est contraire à l'art. 7 — tl doit y avoir un lien
entre le contenu d'un renseignement et la protection de l'intérêt
public pour justifier la non-divulgation sur le fondement de
l'exemption d'une catégorie — Certiorari accordé — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à la vie,
à la liberté et à la sécurité — Révocation du programme
d'absence temporaire sans escorte (A.T.S.E.) — Refus de la
Commission nationale des libérations conditionnelles de divul-
guer les motifs — La «liberté» en vertu d'une A.T.S.E. est plus
restreinte que dans le cas d'une libération conditionnelle totale
ou d'une libération conditionnelle de jour, mais elle est sem-
blable à cette dernière — Un grand nombre de jugements ont
statué que les décisions sur la révocation de la libération
conditionnelle sont assujetties à la protection qu'accorde l'art.
7 de la Charte — Que l'octroi du programme d'A.T.S.E. soit
considéré ou non comme un privilège ne réduit pas la garantie
de justice fondamentale — La distinction entre «droits» et
«privilèges» ne tranche pas la question de savoir si l'on doit
permettre le contrôle judiciaire — Le mot «droit» à l'art. 7 est
utilisé dans un sens large plutôt que restreint — Le mot
«droit» englobe les mots «privilèges» et «pouvoirs» — La
demande de certiorari est accueillie — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Disposition
restrictive - Révocation du programme d'absence temporaire
sans escorte (A.T.S.E.) par la Commission nationale des libé-
rations conditionnelles - Aucun motif n'est divulgué - La
procédure relative à l'A.T.S.E. est établie dans le Manuel des
politiques et procédures qui a été publié en application de
l'art. 25 du Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus - En vertu de l'art. 7 du Manuel, un détenu doit être
informé par écrit des motifs de l'annulation de l'A.T.S.E. à
moins qu'une exemption ne soit demandée en vertu de la Loi
canadienne sur les droits de la personne - L'exemption de
l'art. 7 est trop large pour constituer une limite raisonnable en
vertu de l'art. I de la Charte - Le Manuel ne constitue pas
une «règle de droit» au sens de l'art. I de la Charte - La
demande de certiorari est accueillie - Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 1I (R.-U.), art. I - Loi canadienne sur les droits de la
personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 54 - Loi sur la
protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-
82-83, chap. 1l1, annexe II.
Libération conditionnelle - La Commission nationale des
libérations conditionnelles révoque le programme d'absence
temporaire sans escorte (A.T.S.E.) du requérant - La Com
mission refuse de divulguer les motifs - La décision concer-
nant l'A.T.S.E. peut faire l'objet d'un examen au moyen d'un
certiorari et est assujettie aux exigences de justice fondamen-
tale que prévoit l'art. 7 de la Charte - Le détenu a le droit
d'être informé de l'essentiel des motifs retenus contre lui -
Les circonstances où la dérogation est justifiée pour les motifs
de l'intérêt du public doivent être rares - Le refus de divul-
guer l'essentiel des motifs, fondé sur l'exemption à l'égard
d'une catégorie, est contraire à l'art. 7 de la Charte - Il doit y
avoir un lien entre le contenu du renseignement et la protection
de l'intérêt public pour justifier la non-divulgation sur le
fondement de l'exemption d'une catégorie - En réclamant la
non-divulgation, la Commission doit appliquer une procédure
semblable à celle que prévoit l'art. 36.1 de la Loi sur la preuve
au Canada - Certiorari accordé - Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 3(6)
(mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 18), 6 (mod., idem, art.
23), 9 - Règlement sur la libération conditionnelle de déte-
nus, DORS/78-428, art. 2, 12(1), 17(3), 24, 25 - Loi sur les
pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 26.1 (édicté par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 42) - Loi sur la preuve au Canada,
S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.1 (édicté par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 1I1, art. 4) - Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 7 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 18, 41(1) (abrogé par. S.C. 1980-81-
82-83, chap. 111, art. 3).
il s'agit d'une demande en vue d'obtenir un bref de certiorari
portant annulation d'une décision de la Commission nationale
des libérations conditionnelles révoquant le programme d'ab-
sence temporaire sans escorte (A.T.S.E.) de l'établissement
Mountain qui avait été accordé au requérant. Le premier
programme d'A.T.S.E. du requérant a été annulé à la suite de
la violation de l'une des conditions de sa libération. Le requé-
rant a demandé et a obtenu un nouveau programme d'A.T.S.E.
qui avait pour but de lui permettre de se rendre dans un centre
de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie. La Commis
sion a par la suite informé le requérant qu'elle avait obtenu des
renseignements confidentiels qui l'avaient convaincue qu'il était
susceptible de violer encore une fois les conditions de sa libéra-
tion. Le programme d'A.T.S.E. du requérant a, par conséquent,
été annulé. Aucune précision n'a été donnée au sujet de ces
renseignements confidentiels.
Le requérant soutient que le refus de lui communiquer les
motifs de l'annulation de son programme d'A.T.S.E. et de lui
donner l'occasion de contester cette décision contreviennent à
l'article 7 de la Charte. Les questions en litige sont les suivan-
tes: (I) Les règles de justice fondamentale s'appliquent-elles au
processus de prise de décision concernant les A.T.S.E.? (2) Si
l'on répond par l'affirmative à la question I, les règles de justice
fondamentale ont-elles été violées? et (3) Le refus de permettre
l'accès aux renseignements confidentiels a-t-il été donné en
vertu de la disposition restrictive de l'article 1 de la Charte?
Jugement: la décision est annulée et la question est renvoyée
devant la Commission qui l'examinera de nouveau et décidera
si le requérant peut être informé de l'essentiel des motifs qui
sont retenus contre lui.
Une jurisprudence abondante porte que les décisions concer-
nant la révocation de la libération conditionnelle peuvent faire
l'objet d'un examen au moyen d'un certiorari. Il y a également
un grand nombre de décisions de première instance selon
lesquelles la protection qu'accorde l'article 7 de la Charte
s'applique à la révocation de la libération conditionnelle. Bien
que la «liberté» que prévoit un programme d'A.T.S.E. soit plus
restreinte que dans le cas d'une libération conditionnelle totale
ou d'une libération conditionnelle de jour, elle a néanmoins un
caractère semblable à cette dernière. Ainsi, les règles relatives
au certiorari tout comme les exigences de justice fondamentale
que prescrit l'article 7 de la Charte s'appliquent également aux
décisions concernant les A.T.S.E.
Le fait que le programme d'A.T.S.E. du requérant n'ait pas
été mis en vigueur ou le fait que l'octroi d'un tel programme
puisse être considéré comme un privilège ne limite pas les
garanties de justice fondamentale. La Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui indique clairement que la distinction
entre «droits» et «privilèges» ne devrait pas trancher la question
de savoir si le contrôle judiciaire devrait être accordé. Le mot
«droit» à l'article 7 de la Charte est utilisé dans un sens large
plutôt que restreint; il englobe des concepts comme les «privilè-
ges» et «pouvoirs».
La règle de l'équité n'exige pas toujours la communication de
tous les renseignements que possède l'organisme qui rend la
décision. Il n'est pas nécessaire de répondre à la question de
savoir si l'article 7 de la Charte exige une norme de conduite
plus élevée que celle qu'exigent les règles d'équité car, selon
l'un ou l'autre critère, il existe des circonstances dans lesquelles
on peut refuser de communiquer à un détenu les motifs de la
révocation de son programme d'A.T.S.E.
La Cour d'appel fédérale dans Lazarov c. Le Secrétaire
d'État du Canada a jugé que la règle audi alteram partem
s'appliquait d'une manière générale à la décision .discrétion-
naire du Ministre qui refuse d'accorder la citoyenneté lorsque
la loi ne prescrit aucune règle de procédure. Ce principe
s'applique également aux décisions de la Commission concer-
nant les A.T.S.E. En général, un détenu a le droit de connaître
l'essentiel des motifs de la révocation de son programme
d'A.T.S.E. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il a le droit de
savoir de qui viennent les renseignements ou qu'il a le droit
d'exiger la communication des documents eux-mêmes ou de
tous les détails de la preuve retenue contre lui.
Admettre comme justification de la non-divulgation le simple
fait que le renseignement a été donné à titre confidentiel
équivaudrait à accepter une justification beaucoup trop faible
pour ce qui constitue une restriction apportée à une garantie
constitutionnelle. Cela s'applique en particulier lorsque la
liberté d'une personne est en jeu (même si cette liberté est
limitée et conditionnelle).
L'intérêt du public en ce qui a trait à la prévention des
récidives alors que le détenu est en liberté, au maintien de la
sécurité et de l'ordre dans l'établissement pénal et à la préserva-
tion de la capacité de la Commission nationale des libérations
conditionnelles de fonctionner d'une manière efficace peut l'em-
porter sur la règle usuelle selon laquelle une personne a droit de
connaître l'essentiel des motifs retenus contre elle. Toutefois,
les occasions où une telle situation est justifiée, doivent être
rares. 11 doit y avoir un élément de nécessité; il ne suffit pas que
ce soit simplement commode pour la Commission.
Il faut répondre par la négative à la question de savoir si l'on
peut, dans une affaire comme la présente, demander une
exemption s'appliquant à une catégorie de documents. L'intérêt
du public mentionné ci-dessus peut constituer une raison suffi-
sante pour justifier un refus de communiquer au détenu les
rapports confidentiels parce qu'il s'agit de documents d'une
catégorie privilégiée, mais elle ne justifie pas le refus de lui
communiquer l'essentiel des motifs retenus contre lui. Une telle
non-divulgation contreviendrait aux exigences de l'article 7 de
la Charte. Il peut être justifié à l'occasion de ne pas divulguer
l'essentiel des motifs, mais les raisons pour le faire doivent se
rapporter au contenu précis du renseignement en question. Il
doit y avoir un lien entre le contenu de ce renseignement et la
protection de l'intérêt public que doit assurer la non-divulga-
tion.
Par leur ton général et leur contenu, les affidavits présentés
par les fonctionnaires de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles demandent une exemption générale pour
toute une catégorie de renseignements. S'il existe des motifs
suffisants pour refuser de communiquer même l'essentiel des
motifs retenus contre le requérant en l'espèce, alors de nou-
veaux affidavits plus précis doivent être déposés. Si la Commis
sion réclame la non-divulgation dans une deuxième demande,
elle devrait être prête à produire devant la Cour les documents
en question, en vertu d'une procédure semblable à celle qui a
'été élaborée en common law dans les affaires relatives aux
privilèges et semblable à celle que prévoit l'article 36.1 de la
Loi sur la preuve au Canada, c'est-à-dire au moyen d'une
enveloppe scellée avec une explication précise des raisons pour
lesquelles elle estime que la non-divulgation est justifiée. Même
si l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada ne semble
pas s'appliquer directement à la situation présente (la présente
demande vise à obtenir un bref de certiorari et n'a pas pour but
d'exiger la production des renseignements), néanmoins l'article
36.1 et le paragraphe 41(1) de la Loi sur la Cour fédérale qui
l'a précédé constituent simplement, de plusieurs façons, une
codification de la common law à laquelle sont apportées diver-
ses modifications. Par conséquent, même si l'article 36.1 ne
s'applique pas expressément en l'espèce, la common law prévoit
une procédure qui permet le contrôle judiciaire de la décision
de la Commission.
Les intimés soutiennent que la violation, s'il y en a eu une,
des exigences de la «justice fondamentale» s'est produite en
vertu d'aune règle de droit, dans des limites qui soient raisonna-
bles et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique» comme le prévoit l'article I
de la Charte. La procédure prévoyant l'octroi ou la révocation
des A.T.S.E. est prévue dans le Manuel des politiques et
procédures établi par la Commission en vertu de l'article 25 du
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus. En vertu
de l'article 7 du Manuel, le détenu doit être informé par écrit
des motifs d'annulation de son A.T.S.E. à moins qu'une exemp
tion de la communication ne soit demandée en vertu de la Loi
canadienne sur les droits de la personne. La Cour n'est pas
convaincue qu'on puisse dire que ce manuel de procédures
constitue une «règle de droit» au sens où ce terme est employé à
l'article 1 de la Charte. Cette conclusion aurait été différente si
le Manuel avait été approuvé par le gouverneur en conseil
comme l'exige le paragraphe 3(6) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus. De toute façon, l'exemption conte-
nue dans le Manuel est trop large pour constituer une limite
raisonnable en vertu de l'article 1 de la Charte. •
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Queen v. Snider, [1954] R.C.S. 479; Smerchanski v.
Lewis (1981), 120 D.L.R. (3d) 745 (C.A. Ont.); Re Swan
and The Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 130 (C.S.C.-B.);
Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570; Latham c.
Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 39
C.R. (3d) 78; 12 C.C.C. (3d) 9 (1" inst.); Lazarov c. Le
Secrétaire d'État du Canada, [1973] C.F. 927 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rogers v. Secretary of State for the Home Department,
[1972] 2 All ER 1057 (H.L.); D. v. National Society for
the Prevention of Cruelty to Children, [1978] A.C. 171
(H.L.); Collymore v. Attorney -General, [1970] A.C. 538
(P.C.); Le ministre du revenu national c. Huron Steel
Fabricators (London) Ltd., [1973] C.F. 808 (C.A.);
Science Research Council v Nassé, [1979] 3 All ER 673
(H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Couperthwaite c. La Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles, [1983] 1 C.F. 274; 70 C.C.C. (2d)
172 (I' » inst.); Howarth c. Commission nationale des
libérations conditionnelles, [1976] 1 R.C.S. 453; Dubeau
c. La Commission nationale des libérations conditionnel-
les, [1981] 2 C.F. 37; [1980] 6 W.W.R. 271 (Ire inst.);
Morgan c. La Commission nationale des libérations con-
ditionnelles, [1982] 2 C.F. 648; 65 C.C.C. (2d) 216
(C.A.); Re Cadeddu and The Queen (1982), 4 C.C.C.
(3d) 97 (H.C. Ont.); R. v. Lowe (1983), 3 C.R.D.
900.150-03; 9 W.C.B. 349 (C.S.C.-B.); R. v. Nunery
(1983), 5 C.R.R. 69; 2 C.R.D. 900.150-02 (H.C. Ont.);
R. v. Martens (1983), 3 C.R.D. 900.I50-02 (C.S.C.-B.);
R. v. Mason (1983), 3 C.R.D. 900.150-04 (H.C. Ont.);
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Rex v. Canterbury (Arch-
bishop). Ex parte Morant, [1944] 1 K.B. 282 (C.A.);
Reg. v. Gaming Board for Great Britain, Ex parte
Benaim and Khaida, [1970] 2 Q.B. 417; [1970] 2 W.L.R.
1009 (C.A.); Reg. v. Secretary of State for Home
Affairs, Ex parte Hosenball, [1977] 1 W.L.R. 766
(C.A.); R. v. Teachers Tribunal: Ex parte Colvin, [ 1974]
V.R. 905 (S.C.); Re Howard et le président du Tribunal
disciplinaire des détenus de l'établissement de Stony
Mountain (1983), 8 C.C.C. (3d) 557 (C.F. 1fe inst.);
Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; 2 D.L.R. (4th)
193; Marks v. Beyfus (1890), 25 Q.B.D. 494 (C.A.);
Solliciteur général du Canada et autre c. Commission
royale d'enquête (Dossiers de santé en Ontario) et autre,
[1981] 2 R.C.S. 494; Ellis v. Home Office, [ 1953] 2 Q.B.
135 (C.A.); Gagnon v. Commission des Valeurs Mobiliè-
res du Québec et al., [1965] R.C.S. 73; Blais c. L'hono-
rable Robert Andras, [1972] C.F. 958 (C.A.); Churchill
Falls (Labrador) Corp. Ltd. c. La Reine (1972), 28
D.L.R. (3d) 493 (C.F. 1'° inst.).
AVOCATS:
Sasha Pawliuk pour le requérant.
G. O. Eggertson pour les intimés.
PROCUREURS:
Prison Legal Services Society of British
Columbia, Abbotsford (Colombie-Britanni-
que), pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Il s'agit en l'espèce d'une
demande en vue d'obtenir un bref de certiorari
portant annulation d'une décision de la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles révo-
quant le programme d'absence temporaire sans
escorte de l'établissement Mountain qui avait été
accordé au requérant.
Le 27 avril 1979, le requérant a été déclaré
coupable de viol, d'introduction par effraction,
d'attentat à la pudeur et d'un deuxième viol pour
lesquels il a été condamné respectivement à six ans
de prison, trois ans à être purgés de façon consécu-
tive et huit ans à être purgés de façon concourante.
Le 24 novembre 1982, il a obtenu dans le cadre
d'un programme d'absence temporaire sans escorte
des sorties mensuelles de quarante-huit heures à
l'extérieur du pénitencier pour rencontrer M. Eric
Powell, pasteur anglican et ami du requérant et
une famille du nom de Pringle. Lors de la première
absence temporaire, le 24 décembre 1982 (la veille
de Noël), il est revenu à l'établissement après avoir
consommé des boissons alcooliques. Une des condi
tions de sa libération en absence temporaire était
qu'il ne devait pas consommer de boissons alcooli-
ques. Par conséquent, son programme d'absence
temporaire sans escorte (A.T.S.E.) a été annulé.
Au mois de mai 1983, il a demandé un nouveau
programme d'A.T.S.E. et le 21 septembre 1983 la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les a tenu une audition en vue d'étudier sa
demande. Le 14 octobre 1983, le requérant a reçu
une lettre indiquant que la Commission nationale
des libérations conditionnelles lui avait accordé un
programme d'A.T.S.E. qui prévoyait quatre sorties
mensuelles de douze heures en compagnie de M.
Powell. Ce programme avait en partie pour but de
permettre au requérant de se rendre dans un
centre de traitement de l'alcoolisme et de la toxico-
manie à Surrey (Colombie-Britannique).
Avant d'avoir été libéré en absence temporaire
sans escorte, le requérant a reçu une lettre de la
Commission des libérations conditionnelles datée
du 25 novembre 1983, l'informant que [TRADUC-
TION] «La Commission a obtenu des renseigne-
ments confidentiels qui nous ont convaincus que
vous êtes susceptible à l'heure actuelle de commet-
tre une nouvelle infraction à l'occasion de toute
remise en liberté» et par conséquent son pro
gramme d'A.T.S.E. a été annulé. Il a demandé des
précisions au sujet de ces renseignements confiden-
tiels mais n'en a reçu aucune.
Le pouvoir de la Commission d'approuver les
programmes d'A.T.S.E. découle de l'article 6 de la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
S.R.C. 1970, chap. P-2, modifié par S.C. 1976-77,
chap. 53, art. 23:
6. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les péniten-
ciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, la
Commission est exclusivement compétente et a entière discré-
tion pour accorder ou refuser d'accorder une libération condi-
tionnelle ou une absence temporaire sans escorte en vertu de la
Loi sur les pénitenciers et pour révoquer une libération condi-
tionnelle ou mettre fin à une libération conditionnelle de jour.
L'article 26.1 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C.
1970, chap. P-6, édicté par S.C. 1976-77, chap. 53,
art. 42, se rapporte également au pouvoir de la
Commission:
26.1 (1) Sous réserve des règlements établis à cet effet en
vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la
Commission nationale des libérations conditionnelles peut, lors-
qu'elle l'estime souhaitable sinon nécessaire, autoriser l'absence
sans escorte, d'un détenu pendant une période illimitée pour des
raisons médicales ou pour au maximum quinze jours pour des
raisons humanitaires ou de réinsertion sociale.
Bien que la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus donne au gouverneur en conseil le
pouvoir d'édicter des règlements prescrivant les
procédures que la Commission doit suivre lors-
qu'elle accorde ou annule un programme
d'A.T.S.E. (article 9), le gouverneur en conseil n'a
pas exercé ce pouvoir. Les seuls règlements édictés
en ce qui a trait à l'A.T.S.E. sont: la définition de
l'A.T.S.E. à l'article 2 du Règlement sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus [DORS/78-428], le
paragraphe 12(1) qui établit les parties de la peine
d'emprisonnement qu'un détenu doit purger avant
que l'A.T.S.E. puisse être accordée et l'article 24
qui traite du nombre de voix qui sont nécessaires
pour qu'une A.T.S.E. puisse être accordée.
Toutefois la Commission a édicté un Manuel de
politiques et procédures qui lui sert de guide en
matière d'octroi et de révocation des A.T.S.E.
Voici le texte de l'article 7 de ce Manuel:
Section 7. Absence temporaire sans escorte
10.77 Annulation ou fin prématurée
1. Annulation avant la mise en vigueur
1.1 L'autorité compétente peut annuler sa décision d'accorder
une absence temporaire sans escorte n'importe quand avant sa
mise en vigueur.
1.2 Lorsqu'une absence temporaire sans escorte est annulée
avant sa mise en vigueur, l'autorité compétente doit après coup,
communiquer par écrit au détenu les raisons de l'annulation,
sauf si le Solliciteur général peut en interdire la divulgation en
vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
En ce qui a trait à l'exemption réclamée pour les
renseignements qui ne peuvent être obtenus en
vertu de la Loi canadienne sur les droits de la
personne [S.C. 1976-77, chap. 33], la procédure
correspond au règlement qui régit la motivation du
refus par la Commission d'accorder une libération
conditionnelle (article 17 du Règlement sur les
libérations conditionnelles de détenus).
En ce qui a trait à la révocation du programme
d'A.T.S.E. en l'espèce, un affidavit, en date du 7
février 1984, déposé par Sarah McAlpine, un des
membres de la Commission des libérations condi-
tionnelles, déclare:
[TRADUCTION] 16. Que le 7 novembre 1983 ou vers cette date,
la Commission a reçu du Service correctionnel le résumé d'un
rapport provisoire en date du l°' novembre 1983 concernant le
requérant ... déclarant en partie
«Nous avons reçu un rapport confidentiel en date du
17/10/1983 concernant ses activités dans l'établissement.
À la lumière des nouveaux renseignements, nous ne sommes
pas disposés à appuyer Cadieux et par conséquent nous
recommandons que son programme d'A.T.S.E. soit annulé
21. Que le 17 novembre 1983, la Commission a annulé le
programme d'A.T.S.E. du requérant en donnant comme raison:
«La Commission a obtenu des renseignements confidentiels
qui nous ont convaincus que vous êtes susceptible à l'heure
actuelle de commettre une nouvelle infraction à l'occasion de
toute remise en liberté.»
Cette décision et les motifs ont été communiqués au requérant
dans une lettre de la Commission en date du 25 novembre 1983
24. Les renseignements contenus dans lesdits rapports confiden-
tiels entrent dans une catégorie qui contient des renseignements
provenant d'employés dudit Service correctionnel, d'autres
détenus et d'autres personnes et ont été fournis volontairement
et à la condition expresse que l'identité de l'informateur et la
nature des renseignements fournis ne seront pas révélées sauf
au Service correctionnel ...
25. Que la divulgation dudit rapport confidentiel exposerait
l'informateur qui y est nommé ou qui pourrait être identifié, à
un risque possible de blessures ou à des conséquences plus
graves, ou à la menace de violence.
Je crois qu'il est dans l'intérêt du public que lesdits rapports
confidentiels soient dans leur totalité et à titre de documents
d'une catégorie privilégiée, exemptés de toute communication.
L'avocat du requérant soutient que le refus de la
Commission de communiquer les motifs de sa
décision au requérant et de lui donner par consé-
quent l'occasion de contester cette décision consti
tuent un déni des principes de justice fondamentale
que prévoit l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Selon moi, la présente affaire soulève trois ques
tions: (1) Le processus de prise de décision concer-
nant l'A.T.S.E. est-il d'une nature telle qu'il exige
l'application des règles de la justice fondamentale?
(2) Si l'on répond par l'affirmative, il faut alors se
demander si les règles de justice fondamentale ont
été violées en l'espèce; et (3) Même si c'est le cas,
est-ce que le refus de permettre l'accès aux rensei-
gnements confidentiels en question s'insère dans
«une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique» (comme le permet l'article 1 de la
Charte canadienne des droits et libertés)?
Nature de l'A.T.S.E.—une forme de liberté au
sens de l'article 7 de la Charte?
Relativement à la première question, les deux
avocats conviennent qu'il n'y a aucune décision
publiée traitant des A.T.S.E. Toutefois, nous dis-
posons d'une jurisprudence abondante portant que
les décisions de la Commission nationale des libé-
rations conditionnelles concernant la révocation de
la libération conditionnelle peuvent faire l'objet
d'un examen au moyen d'un certiorari, indépen-
damment de tout argument fondé sur la Charte:
Couperthwaite c. La Commission nationale des
libérations conditionnelles, [1983] 1 C.F. 274; 70
C.C.C. (2d) 172 (1" inst.); Howarth c. Commis
sion nationale des libérations conditionnelles,
[1976] 1 R.C.S. 453 (bien que la Cour ait conclu
que la révocation de la libération conditionnelle
était une décision administrative et non judiciaire
ou quasi judiciaire, sa décision implique que la
Cour peut, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10],
examiner ces décisions pour s'assurer qu'elles se
conforment à la doctrine de l'équité); Dubeau c.
La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles, [1981] 2 C.F. 37; [1980] 6 W.W.R.
271 (i re inst.); Morgan c. La Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, [1982] 2 C.F.
648; 65 C.C.C. (2d) 216 (C.A.).
Il semble qu'aucune cour d'appel n'ait encore
tranché la question de savoir si la protection qu'ac-
corde l'article 7 de la Charte canadienne des droits
et libertés s'applique à la révocation de la libéra-
tion conditionnelle. Toutefois, un grand nombre de
décisions de première instance ont répondu par
l'affirmative; Re Cadeddu and The Queen (1982),
4 C.C.C. (3d) 97 (H.C. Ont.); R. v. Lowe (1983),
3 C.R.D. 900.150-03; 9 W.C.B. 349 (C.S.C.-B.);
R. v. Nunery (1983), 5 C.R.R. 69; 2 C.R.D.
900.150-02 (H.C. Ont); R. v. Martens (1983), 3
C.R.D. 900.150-02 (C.S.C.-B.); Re Swan and The
Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 130 (C.S.C.-B.); R.
v. Mason (1983), 3 C.R.D. 900.150-04 (H.C.
Ont.). Je souscris à ces décisions.
Il semble évident que les intérêts touchés par la
décision de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles révoquant l'A.T.S.E. et par la
décision qui révoque la libération conditionnelle de
jour ou la libération conditionnelle totale sont
similaires en ce qui concerne le détenu. En vertu
d'une A.T.S.E., un détenu est autorisé à sortir de
prison pour une période temporaire. Il s'agit d'une
«liberté» plus restreinte que dans le cas d'une
libération conditionnelle totale ou d'une libération
conditionnelle de jour, mais elle a un caractère
semblable à cette dernière. Ainsi, à mon avis, les
règles relatives au certiorari en common law, tout
comme les exigences de justice fondamentale que
prescrit l'article 7 de la Charte, s'appliquent égale-
ment aux décisions concernant les A.T.S.E. Le fait
que les règlements ne prévoient aucune procédure
visant les A.T.S.E. ne change pas le caractère de
celles-ci.
Cette situation soulève la question de savoir si le
fait que le programme d'A.T.S.E. du requérant
n'ait pas été mis en vigueur ou le fait que l'octroi
même d'un programme d'A.T.S.E. puisse être con-
sidéré comme un privilège, limitent ou réduisent
l'applicabilité de la doctrine d'équité ou les garan-
ties de justice fondamentale. Je remarque, par
exemple, que par le passé, la distinction entre les
droits et les privilèges a servi de critère permettant
de faire une distinction. Voir: Rogers v. Secretary
of State for the Home Department, [ 1972] 2 All
ER 1057 (H.L.), une affaire que j'examinerai de
façon plus détaillée ci-après; K. C. Davis, Admi
nistrative Law Text, 3e éd., 1972, aux pages 186 et
s.; K. C. Davis, Administrative Law Treatise, 2e
éd., 1978, vol. 2, aux pages 369 et s.; R. F. Reid,
Administrative Law and Practice, 1971, à la page
149 et Lazarov c. Le Secrétaire d'État du Canada,
[1973] C.F. 927 (C.A.) particulièrement à la page
935.
En ce qui a trait au droit canadien actuel, la
décision de la Cour suprême dans l'arrêt Marti-
neau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [ 1980] 1 R.C.S. 602 indique clairement
que la distinction entre «droits» et «privilèges» ne
devrait pas permettre d'établir une différence entre
l'octroi et le refus du contrôle judiciaire. Évidem-
ment cet arrêt portait sur la décision d'un comité
de discipline d'un pénitencier. Le juge Dickson [tel
était alors son titre] a dit aux pages 622 et 623:
A mon avis, on peut recourir au certiorari chaque fois qu'un
organisme public a le pouvoir de trancher une question tou-
chant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une
personne.
Je crois que déterminer l'applicabilité de l'arti-
cle 7 de la Charte selon qu'il s'agisse d'un droit ou
d'un privilège, particulièrement lorsque la liberté
d'une personne est en jeu, serait incompatible avec
les principes sous-jacents à cette décision. Il est
vrai que l'article 7 s'applique précisément au «droit
à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne».
Toutefois, le mot «droit» est utilisé dans deux sens:
quelquefois il est utilisé dans un sens restreint,
distinct des mots «privilèges», «pouvoirs», etc.; d'au-
tres fois, il est utilisé dans un sens plus large qui
englobe tous ces concepts. J'estime qu'à l'article 7
il est utilisé dans ce dernier sens. Par conséquent,
je crois que le fait qu'il s'agisse de l'octroi d'un
privilège ne réduit pas, en l'espèce, l'applicabilité
de la règle de l'équité que permet le certiorari de
common law ni la garantie de justice fondamentale
que prévoit la Charte.
Obligation de respecter les principes de justice
fondamentale
Tant en vertu de la règle de l'équité, applicable
à une décision administrative que de la règle du
respect de la justice fondamentale que pose la
Charte, un principe fondamental exige que lorsque
la décision porte sur la liberté d'une personne,
celle-ci devrait avoir le droit de connaître les argu
ments qui lui sont opposés et devrait avoir la
possibilité d'y répondre. Toutefois, il est clair que
la règle de l'équité n'exige pas toujours la commu
nication de tous les renseignements que possède
l'organisme qui rend la décision. Par exemple,
dans l'affaire Rex v. Canterbury (Archbishop). Ex
parte Morant, [1944] 1 K.B. 282 (C.A.), il a été
jugé qu'il n'était pas nécessaire de divulguer des
lettres confidentielles relatives au choix d'un pas-
teur pour une paroisse. Pour parvenir à cette déci-
sion, la Cour a dit, à la page 291, en ce qui a trait
à la nomination:
[TRADUCTION] C'est un droit qui doit être exercé sous réserve
d'une restriction dans l'intérêt des personnes dont le bien-être
spirituel dépend de l'exercice approprié de ce droit.
Et à la page 293:
[TRADUCTION] Le fait d'imposer [à l'archevêque] l'obligation
de communiquer au collateur le document qu'il a en sa posses
sion rendrait impossible l'exécution satisfaisante de ses fonc-
tions délicates.
Voir également: Reg. v. Gaming Board for Great
Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [ 1970] 2
Q.B. 417 (C.A.) et Reg. v. Secretary of State for
Home Affairs, Ex parte Hosenball, [ 1977] 1
W.L.R. 766 (C.A.), et R. v. Teachers Tribunal:
Ex parte Colvin, [1974] V.R. 905 (S.C.).
On a conclu que la règle de l'équité n'exige pas
toujours la communication de tous les renseigne-
ments. L'article 7 de la Charte des droits exige-t-il
une norme plus élevée? L'article 7 prévoit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
À cet égard, je souligne que le juge McEachern
de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a
dit dans l'affaire Re Swan and The Queen (1983),
7 C.C.C. (3d) 130, la page 141, au sujet des
articles 7 et 9 de la Charte:
[TRADUCTION] Ces dispositions attendent impatiemment
qu'une cour d'appel les analyse, mais il me semble qu'elles
penchent fortement vers l'exigence du respect des règles de la
justice naturelle plutôt que simplement vers l'équité de la
procédure dans le processus postérieur à la révocation ...
Lorsqu'il s'agit non seulement des droits et des privilèges des
citoyens, mais de leur liberté même, alors il faut plus qu'une
simple enquête administrative ou une audition discrétionnaire.
Comme le juge en chef Laskin l'a souligné dans l'arrêt Mitchell
c. La Reine, précité, il ne faut pas s'attendre à ce que nos
citoyens se fient à la parole de la Commission qui dit qu'elle a
agi avec équité et la justice ne peut tolérer qu'une audition ne
soit considérée que comme une faveur.
De même, le juge Potts dans l'affaire Re Cadeddu
and The Queen (1982), 4 C.C.C. (3d) 97 (H.C.
Ont.) a statué que les exigences de l'article 7 sont
plus étendues que la doctrine de common law de
l'équité ou de la justice naturelle. En vertu de la
règle de l'équité, un requérant n'a pas le droit à
une audition en personne. Toutefois, la Cour a
conclu dans l'affaire Cadeddu que dans le cas des
décisions concernant la révocation de la libération
conditionnelle, une audition en personne devrait
être tenue afin de satisfaire aux exigences de la
Charte en matière de justice fondamentale.
Par ailleurs, dans l'affaire Re Howard et le
président du Tribunal disciplinaire des détenus de
l'établissement de Stony Mountain (1983), 8
C.C.C. (3d) 557 (C.F. 1" inst.), le juge suppléant
Nitikman, à la page 561, cite l'arbitre en ces
termes:
Relativement à l'argument fondé sur l'article 7 présenté par
Diane Dzydz, je suis d'avis que cet article ne crée pas un nouvel
ensemble de droits et n'élève pas à un plus haut degré la
responsabilité d'un tribunal administratif comme le comité de
discipline.
Je ne prétendrais pas répondre à la question
générale de savoir si l'article 7 exige à l'égard des
tribunaux administratifs auxquels il s'applique une
norme de conduite plus élevée que celle qu'exige la
règle de l'équité. C'est peut-être le cas dans certai-
nes affaires, comme l'indique la décision du juge
Potts dans l'affaire Re Cadeddu (précitée). Si l'on
examine la jurisprudence dans ce domaine, on est
souvent frappé par le fait que la distinction entre
équité et justice naturelle ne semble signifier rien
de plus qu'une indication que les règles de justice
naturelle sont différentes selon les circonstances.
Voir: Reg. v. Secretary of State for Home Affairs,
Ex parte Hosenball, précité, à la page 786:
[TRADUCTION] Ce qui est juste ne peut être décidé dans
l'absolu: il faut en décider en tenant compte de l'ensemble des
circonstances de chaque cas d'espèce.
Et Reg. v. Gaming Board (précité) à la page 430:
[TRADUCTION] Il n'est pas possible de décrire avec précision
les situations où l'on doit appliquer les principes de justice
naturelle; il n'est pas davantage possible de préciser la portée et
le contenu de ces principes. Tout dépend de ce qui est en cause:
De toute façon, j'estime qu'il n'est pas néces-
saire de répondre à la question telle qu'exposée
dans l'argument qui m'a été présenté puisque je
crois que le fait d'appliquer le critère plus élevé,
celui des exigences de la justice naturelle, entraîne
les mêmes conclusions que celles qui se rapportent
à la règle de l'équité. A mon avis, quelles que
soient les règles retenues, il existe des circons-
tances dans lesquelles on peut refuser de communi-
quer à un détenu les motifs de la révocation de son
programme d'A.T.S.E.
Il me semble que le point de départ soit la
décision de la Cour suprême dans l'arrêt The
Queen v. Snider, [1954] R.C.S. 479. Lorsqu'il
énonce les circonstances dans lesquelles la commu
nication ne serait pas exigée, dans le cadre d'un
procès criminel, le juge Rand dit à la page 482:
[TRADUCTION] Le privilège [du caractère confidentiel]
résulte donc d'une communication confidentielle assortie d'un
intérêt public prépondérant dans le maintien du secret entou-
rant la communication ou sa teneur. C'est sans doute ce
qu'illustre le mieux le privilège relatif aux communications
entre mari et femme ou entre un avocat et son client ...
Les communications d'un informateur aux fonctionnaires char-
gés d'exécuter la loi sont de même nature ...
Le juge Kellock dit à la page 487:
[TRADUCTION] En conséquence, il est d'intérêt public de sauve-
garder le secret de documents pouvant nuire à l'intérêt général
si, par exemple, leur divulgation peut porter préjudice à la
défense nationale ou aux bonnes relations diplomatiques, ou si
leur classification est nécessaire au bon fonctionnement d'un
service public; mais, par ailleurs, l'intérêt public dicte aussi
qu'«un innocent ne doit pas être condamné lorsqu'on peut
prouver son innocence ...0 On ne saurait dire toutefois que l'un
ou l'autre intérêt prédomine invariablement. [C'est moi qui
souligne.]
Voir également la décision de la Cour suprême
dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S.
60, aux pages 96 et s.; 2 D.L.R. (4th) 193, aux
pages 222 et s., qui présente une analyse plus
récente de l'équilibre à trouver entre les intérêts en
jeu.
Même s'il ne lie pas les tribunaux canadiens, ce
principe a été expliqué dans plusieurs décisions
récentes du Royaume-Uni qui, à mon avis, sem-
blent être directement pertinentes à l'espèce.
La première est celle de Rogers v. Secretary of
State for the Home Department, [ 1972] 2 All ER
1057 (H.L.). Dans cette affaire, une personne qui
n'avait pas réussi à obtenir un permis de jeu a
tenté d'obtenir, aux fins d'engager une poursuite
criminelle pour diffamation, la production d'une
lettre adressée à la commission et contenant des
renseignements sur son caractère, sa réputation et
sur des questions connexes. La Chambre des lords
a statué que la commission n'était pas tenue de
communiquer la lettre et qu'on pouvait demander
la protection à l'égard de ce document, non pas sur
le fondement du privilège de la Couronne mais en
vertu de l'intérêt public exigeant que ces communi
cations faites à la commission ne soient pas divul-
guées. On a conclu que c'était nécessaire afin de
permettre à la commission de s'acquitter d'une
manière efficace des obligations que lui impose la
loi. Pour s'acquitter de ces obligations, il lui fallait
obtenir de diverses sources le plus de renseigne-
ments possible sur le requérant sachant toutefois
que les personnes disposées à donner spontanément
ces renseignements pourraient choisir de se taire
par crainte de contrecoups possibles.
Lord Reid a dit à la page 1060:
[TRADUCTION] On a dit que le privilège de la Couronne était
le moyen invoqué. Je crois que cette expression est fausse et
peut être trompeuse. Il n'est pas question d'un privilège dans le
sens ordinaire du mot. La véritable question est de savoir si
l'intérêt public exige que la lettre ne soit pas produite et si cet
intérêt public est suffisamment fort pour l'emporter sur les
droits et les intérêts ordinaires d'un plaideur selon lesquels il
doit être en mesure de présenter à un tribunal toute la preuve
pertinente...
La demande en l'espèce n'est pas fondée sur la nature du
contenu de cette lettre en particulier. Elle est fondée sur le fait
que la commission ne peut adéquatement remplir les obliga
tions que la loi lui impose à moins qu'elle ne puisse préserver le
caractère confidentiel de toutes les communications qui lui sont
faites concernant le caractère, la réputation ou le passé des
requérants pour donner son accord.
La commission a besoin du maximum d'information qu'elle
peut obtenir pour être en mesure d'identifier les personnes de
réputation et de caractère douteux et de leur refuser le privilège
d'obtenir le permis pour l'exploitation d'un établissement de
jeu. Nul n'est obligé de donner un renseignement à la commis
sion. Sans doute qu'un grand nombre de citoyens honnêtes
diraient ce qu'ils savent même s'il y avait certains risques que
leur identité soit connue, bien qu'un grand nombre de personnes
honorables ne veulent pas qu'on pense qu'elles sont impliquées
dans de telles affaires. Toutefois, il est évident que la meilleure
source de renseignement au sujet de personnes douteuses doit
souvent provenir de personnes ayant elles-mêmes un caractère
douteux. Il est depuis longtemps établi que dans l'intérêt public
il faut garder secrète l'identité des indicateurs de police et il en
va forcément de même pour les personnes qui fournissent
volontairement des renseignements à la commission.
Deux remarques s'imposent relativement à cette
affaire. Le requérant demandait la production de
la lettre, mais il en connaissait le contenu et
l'auteur, car il en possédait déjà une copie à la
suite d'une communication non autorisée. Deuxiè-
mement, la Cour a décidé unanimement que la
non-divulgation s'imposait en raison de la catégo-
rie de documents à laquelle appartenait la lettre.
Lord Reid dit à la page 1061:
[TRADUCTION] 11 est possible que certains documents parve-
nant à la commission puissent être divulgués sans crainte de
pareilles conséquences. Mais j'estime qu'il est tout à fait impos
sible que la commission ou la cour en soit certaine. Il me
semble donc que pour éviter le danger très sérieux que la
commission soit privée de renseignements essentiels à l'accom-
plissement efficace de sa tâche difficile, il doit y avoir une règle
générale selon laquelle elle n'est pas tenue de produire un
document qui lui fournit des renseignements sur un requérant.
La justice naturelle exige que la commission agisse de bonne foi
et qu'elle l'informe dans la mesure du possible du motif princi
pal pour lequel elle envisage de rejeter sa demande afin qu'il
puisse démontrer que ces motifs ne sont pas fondés dans les
faits. Toutefois, il faut s'en remettre à la commission pour
qu'elle le fasse; on nous a informé de ce qu'elle a fait en l'espèce
et je n'y vois rien de mal. [C'est moi qui souligne.]
En 1976, la Chambre des lords a encore une fois
été saisie de la question de la non-divulgation de
documents confidentiels dans une affaire judi-
ciaire. Dans l'arrêt D. v. National Society for the
Prevention of Cruelty to Children, [1978] A.C.
171, une mère a poursuivi la société pour préjudi-
ces personnels (moraux et émotionnels) que lui
avait causés une enquête effectuée sur une plainte
l'accusant à tort d'avoir fait subir de mauvais
traitements à son enfant. La société a nié toute
négligence et a demandé une ordonnance portant
qu'elle ne soit pas tenue de communiquer aucun
des documents relatifs à la plainte ou d'en permet-
tre l'examen. La non-divulgation a été demandée
pour le motif que l'exécution, par la société, des
obligations que prévoit sa charte exigeait la protec
tion absolue des renseignements qui lui étaient
donnés de façon confidentielle. La Cour a statué
que la non-divulgation dans l'intérêt public était
nécessaire en l'espèce. Toutefois, la Cour a en
outre conclu que le fait de donner des renseigne-
ments de façon confidentielle ne constituait pas en
lui-même un motif pour refuser de divulguer la
nature du renseignement ou l'identité de l'informa-
teur. Lord Diplock a dit à la page 218:
[TRADUCTION] Toutefois, le fait qu'un renseignement ait été
communiqué par une personne à une autre d'une manière
confidentielle ne constitue pas en lui-même un motif suffisant
pour empêcher que soit divulguée dans une cour de justice la
nature du renseignement ou l'identité de l'informateur ... La
promesse de garantie du caractère confidentiel donnée à titre
privé doit céder devant l'intérêt public général selon lequel la
vérité doit ressortir dans l'administration de la justice, à moins
qu'en raison du caractère du renseignement ou de la relation
entre celui qui le reçoit et l'informateur, un intérêt public plus
important exige la non-divulgation du renseignement ou de
l'identité de l'informateur dans une cour de justice.
Voir également lord Simon of Glaisdale à la page
237 et lord Edmund-Davies à la page 242. Lord
Edmund-Davies a cité le passage suivant du pro-
fesseur Hanbury:
[TRADUCTION] Peu de situations dans la vie soulèvent autant le
ressentiment d'une personne que lorsqu'on lui dit qu'elle a été
calomniée mais qu'elle ne peut être confrontée à son calomnia-
teur. Idéalement, on propose, qu'à l'exception des exigences
relatives à la sécurité publique, lorsque les intérêts vitaux de la
collectivité sont indiscutablement en jeu, rien ne peut exiger
que l'on s'attende à ce qu'un particulier accepte d'être vulnéra-
ble face à un ennemi invisible.
Je peux également citer l'arrêt Collymore v.
Attorney -General, [1970] A.C. 538 (P.C.). Appel
d'une décision de la Cour d'appel de Trinidad et
Tobago avait été interjeté devant le comité judi-
ciaire du Conseil privé. La demande de l'appelant
portait en partie sur le fait que l'alinéa 2e) de la
Constitution de ce pays avait été violé. L'alinéa 2e)
prévoyait qu'aucune loi du Parlement ne devrait
[TRADUCTION] «priver une personne du droit à
une audition équitable conformément aux princi-
pes de justice fondamentale lorsque ses droits et
obligations sont en jeu». [C'est le juge qui souli-
gne.] La loi attaquée permettait à une cour indus-
trielle de recevoir des éléments de preuve sans les
communiquer aux parties et de fonder ses conclu
sions sur ceux-ci. Il faut remarquer en particulier
dans cette affaire qu'on a demandé au Conseil
privé d'interpréter les termes «principes de justice
fondamentale» dans une garantie constitutionnelle
des droits, et non simplement la doctrine de
l'équité.
Le Conseil privé a tranché cette question en
disant à la page 550:
[TRADUCTION] Ce problème n'est pas nouveau. Il existe des
circonstances exceptionnelles qui font qu'un tribunal se trouve
placé devant ce dilemme: si on sait que les renseignements qu'il
obtient seront communiqués aux parties et peut-être aussi au
grand public, alors les personnes qui détiennent les renseigne-
ments peuvent, malgré l'obligation que la loi leur impose,
recourir à un moyen pour éviter de les donner, ou donner des
renseignements qui ne seront pas la vérité ou toute la vérité.
Par conséquent, justice ne peut être rendue. Par ailleurs, le fait
de savoir que le tribunal traitera les renseignements d'une
manière strictement confidentielle augmente considérablement
la probabilité d'obtenir ces renseignements. Toutefois, dans ce
cas, naturellement les parties se sentiront lésées de ne pas avoir
eu l'occasion de vérifier ou d'examiner les renseignements que
le tribunal a obtenus et qui, dans certains cas, peuvent être
décisifs.
Une question semblable s'est posée dans l'affaire In re K.
(Infants) qu'a entendue la Chambre des lords en 1963 et
publiée à [1965] A.C. 201. Dans cette affaire, la mère de deux
pupilles sous tutelle judiciaire a demandé à voir deux rapports
confidentiels concernant les enfants et que le Solliciteur public
avait présentés au juge. Le juge a refusé de les lui communi-
quer. La Cour d'appel a infirmé le jugement et la Chambre des
lords l'a rétabli. Évidemment, il existe certaines caractéristi-
ques spéciales propres aux affaires concernant les enfants,
puisque le bien-être d'un enfant doit être la première et la
principale considération. Toutefois, dans son appel à la Cham-
bre des lords, la mère a insisté sur le fait que les principes de
justice naturelle exigeaient que les rapports lui soient communi-
qués, car elle était une partie dans les procédures de tutelle.
Dans l'examen de cette demande, la Chambre des lords a
prononcé des motifs de portée générale qu'il vaut la peine de
citer.
À la p. 218 du recueil, lord Evershed a cité et a adopté la
remarque suivante du lord juge Tucker dans Russell v. Duke of
Norfolk (1949) 65 T.L.R. 231:
«II n'existe pas, à mon avis, un principe qui s'applique
universellement à tous les genres d'enquêtes et de tribunaux
internes. Les exigences de la justice naturelle doivent varier
selon les circonstances de l'affaire, la nature de l'enquête, les
règles qui régissent le tribunal, la question traitée, etc.»
Lord Devlin a dit à la p. 238:
«Toutefois, un principe d'enquête judiciaire, qu'il soit fonda-
mental ou non, ne constitue qu'un moyen pour atteindre une
fin. S'il peut être démontré dans une catégorie particulière
d'affaires que le respect d'un principe de ce genre ne sert pas
les fins de la justice, il doit être rejeté, autrement il devien-
drait le maître plutôt que le serviteur de la justice. De toute
évidence, les principes ordinaires d'enquête judiciaire sont
des exigences applicables à toutes les affaires ordinaires et
l'un d'entre eux ne peut être rejeté que dans le cas d'une
catégorie d'affaires extraordinaires.»
Il ajoute à la page 240:
«Lorsque le juge agit à titre d'arbitre entre deux parties, il ne
doit examiner que ce qui lui est présenté. Si une partie omet
un point important et en souffre un préjudice, c'est à elle-
même et non au juge qu'elle doit adresser ses reproches.
Lorsque le juge siège purement à titre d'arbitre et compte sur
les parties pour l'informer, les parties ont un droit corrélatif à
ce qu'il n'agisse qu'en fonction des renseignements qu'elles
ont eu l'occasion d'examiner. Lorsque le juge ne siège pas
purement ni même principalement à titre d'arbitre mais est
chargé du devoir primordial de protéger les intérêts d'un
tiers, une règle qui n'est conçue que pour l'arbitrage ne peut
prévaloir dans toutes les circonstances.»
Dans les affaires soumises à la cour industrielle, le litige
n'oppose pas simplement les employeurs aux employés. Les
citoyens de Trinidad peuvent également être parties: et l'article
9 de l'Industrial Stabilisation Act oblige la Cour, en plus de
tenir compte de la preuve présentée pour le compte de toutes les
parties, à tenir compte d'un certain nombre d'autres considéra-
tions qu'il précise, par exemple, «la nécessité de conserver et
d'augmenter le niveau de l'emploi»; «la nécessité de maintenir
pour Trinidad et Tobago une balance commerciale favorable et
une balance favorable des paiements»; «la nécessité d'assurer la
capacité du gouvernement de Trinidad et Tobago de financer
des programmes de développement dans le secteur public» et
ainsi de suite. Pour s'acquitter de cette obligation, la cour peut
très bien chercher à obtenir des renseignements qu'elle estime
ne pas pouvoir communiquer aux parties devant elle. C'est une
question qui relève de son pouvoir discrétionnaire et comme le
juge en chef l'a indiqué dans son jugement, toute décision
prétendue erronée prise dans l'exercice de ce pouvoir discrétion-
naire peut être examinée de plein droit en appel. Dans les
circonstances, leurs Seigneuries estiment irrecevable l'argument
selon lequel le paragraphe 11(2) de la Loi dans sa forme
originale ou dans sa forme modifiée, viole la Constitution.
À mon avis, les motifs de ces décisions s'appli-
quent directement à la revendication du requérant
en l'espèce. Je suis conscient du fait qu'on ne peut,
dans aucune des affaires citées, dire que la
«liberté» d'une personne était en jeu. Normale-
ment, lorsque la liberté d'une personne est en jeu,
la non-divulgation de la teneur des arguments
qu'on lui oppose entraîne automatiquement qu'elle
reste en liberté (voir également Marks v. Beyfus
(1890), 25 Q.B.D. 494 (C.A.)). Habituellement, il
est impossible d'obtenir une déclaration de culpa-
bilité sans la communication des renseignements
obtenus. Toutefois, un détenu qui est en prison se
trouve dans une situation différente. La «liberté»
qu'il réclame en vertu d'une A.T.S.E. ou d'un
programme de libération conditionnelle n'est pas
la liberté absolue à laquelle a droit tout citoyen,
mais n'est qu'une liberté conditionnelle qui dépend
de certaines conditions et qui est accordée à la
discrétion de la Commission des libérations condi-
tionnelles. Ce pouvoir discrétionnaire (d'approuver
un programme d'A.T.S.E.) est exercé lorsque la
Commission décide qu'un tel programme pourrait
servir à des fins de réinsertion sociale et que le
détenu est en mesure de se comporter comme un
membre responsable de la société au cours de sa
période d'absence de la prison. La situation d'un
détenu n'est pas la même que celle d'une personne
ayant droit à la liberté absolue qui est accusée
d'une infraction criminelle. Ainsi, il n'est pas sur-
prenant que les règles d'équité ou de justice natu-
relle qui se rapportent à cette situation ne soient
pas nécessairement les mêmes que celles qui sont
applicables pour décider si un programme
d'A.T.S.E. est accordé ou révoqué.
À mon avis, rares sont les cas où le détenu ne
peut être informé de l'essentiel au moins des motifs
retenus contre lui. Ce serait notamment le cas si
les actes reprochés avaient été commis à l'extérieur
de l'établissement lorsque le détenu était en
liberté. Toutefois, je peux plus facilement conce-
voir certaines situations dans lesquelles il peut être
nécessaire de refuser de divulguer même l'essentiel
des arguments qui lui sont opposés lorsque les
renseignements se rapportent à la conduite surve-
nue à l'intérieur de l'établissement. Cela pourrait
être nécessaire si le contenu des renseignements
était tel que leur divulgation permettrait automati-
quement d'identifier l'informateur. (C'est un lieu
commun que l'identité des informateurs ne doit
pas être divulguée.) Voir: Solliciteur général du
Canada et autre c. Commission royale d'enquête
(Dossiers de santé en Ontario) et autre, [1981] 2
R.C.S. 494 et Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S.
60; 2 D.L.R. (4th) 193. En regard de la situation
dans les prisons, l'ordre et la sécurité en milieu
carcéral peuvent tout particulièrement exiger un
refus de divulguer l'identité des informateurs. Un
tel refus pourrait également être nécessaire si la
divulgation entraînait automatiquement le dévoile-
ment des méthodes utilisées pour obtenir des ren-
seignements et par contrecoup devait ainsi gêner
considérablement le fonctionnement futur de la
Commission. Dans de telles circonstances, je ne
crois pas qu'on devrait interdire à la Commission
de se fonder sur des renseignements qui lui sont
transmis et de les utiliser même si elle ne commu
nique pas l'essentiel de ces renseignements au
détenu. L'intérêt du public en ce qui a trait à la
prévention des récidives alors que le détenu est en
liberté, au maintien de la sécurité et de l'ordre
dans l'établissement pénal et à la préservation de
la capacité de la Commission des libérations condi-
tionnelles de fonctionner d'une manière efficace
peut l'emporter sur la règle usuelle selon laquelle
une personne a droit de connaître l'essentiel des
motifs retenus contre elle. Toutefois, les occasions
où une telle situation est justifiée doivent être
rares. Il doit y avoir un élément de nécessité; il ne
suffit pas que ce soit simplement commode pour la
Commission.
L'avocat du requérant a cité la décision de la
Cour d'appel fédérale dans Lazarov c. Le Secré-
taire d'État du Canada, [1973] C.F. 927 l'appui
de l'argument portant qu'un détenu dans la situa
tion du requérant a le droit de connaître l'essentiel
des motifs retenus contre lui. Il a cité en particu-
lier la page 936 et les extraits qui s'y trouvent tirés
des arrêts Reg. v. Gaining Board for Great Britain,
Ex parte Benaim and Khaida, [1970] 2 W.L.R.
1009 (C.A.) et In re H.K. (An Infant), [ 1967] 2
Q.B. 617. A mon avis, dans l'affaire Lazarov, la
Cour d'appel n'avait pas à examiner la question
qui est soulevée en l'espèce. L'affaire Lazarov
portait uniquement sur la question de savoir si la
règle audi alteram partem s'appliquait d'une
manière générale à la décision discrétionnaire du
Ministre qui refuse d'accorder la citoyenneté (une
décision administrative) lorsque la loi ne prescrit
aucune règle de procédure. La Cour d'appel a jugé
que cette règle s'appliquait. L'affaire Lazarov ne
traitait pas et n'avait pas à traiter de la question de
savoir si et quand des restrictions à la règle audi
alteram partem sont justifiées dans l'intérêt
public.
Le principe général énoncé dans l'affaire Laza-
rov s'applique également aux décisions de la Com
mission nationale des libérations conditionnelles
concernant les A.T.S.E. En général, un détenu a le
droit de connaître l'essentiel des motifs de la révo-
cation de son programme d'A.T.S.E. Cela ne veut
pas dire qu'il a le droit de savoir de qui viennent
les renseignements, ou qu'il a le droit d'exiger la
communication des documents eux-mêmes ou de
tous les détails de la preuve retenue contre lui.
Toutefois, il a généralement le droit de connaître
l'essentiel des motifs de la révocation de son
A.T.S.E. (ou de la libération conditionnelle totale
ou de la libération conditionnelle de jour selon le
cas). Autrement, il n'est pas en mesure d'y
répondre.
Il semble en outre évident d'après la jurispru
dence précitée que le simple fait que le renseigne-
ment a été fourni à titre confidentiel ne constitue
pas en lui-même un motif suffisant pour justifier la
non-divulgation de ce renseignement. Voir égale-
ment les affaires Snider (précitée), [ 1954] R.C.S.
479; Le ministre du revenu national c. Huron
Steel Fabricators (London) Ltd., [1973] C.F. 808
(C.A.); Science Research Council v Nassé, [ 1979]
3 All ER 673 (H.L.). Je crois qu'un tel fait est
particulièrement insuffisant lorsqu'on examine les
règles de justice fondamentale qu'impose l'article 7
de la Charte. Admettre comme justification de la
non-divulgation le simple fait que le renseignement
a été donné à titre confidentiel équivaudrait à
accepter une justification beaucoup trop faible
pour ce qui constitue une restriction apportée à
une garantie constitutionnelle. Cela s'applique en
particulier lorsque la liberté d'une personne est en
jeu (même si cette liberté est limitée et
conditionnelle).
La question se pose donc de savoir si l'on peut
dans une affaire comme celle-ci demander une
exemption s'appliquant à une catégorie de docu
ments. La jurisprudence indique que les cours sont
de moins en moins disposées à accueillir des
demandes de privilèges applicables à toute une
catégorie de documents. Les motifs de la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Smerchanski v.
Lewis (1981), 120 D.L.R. (3d) 745 sont instruc-
tifs. Dans cette affaire, la Cour a statué qu'on ne
pouvait empêcher la communication de déclara-
tions faites à la police simplement parce qu'elles
entraient dans une catégorie à laquelle s'appliquait
le privilège fondé sur l'intérêt public et dit à la
page 751:
[TRADUCTION] II y a certaines catégories de documents, y
compris ceux relatifs aux procédures du Cabinet, à la conduite
des affaires extérieures, à la défense nationale et à la sécurité,
qui, par leur nature, même sont généralement reconnues
comme étant privilégiées. Certaines catégories de documents
traitant de secrets d'État facilement reconnaissables sont pres-
que automatiquement reconnues comme privilégiées, mais
depuis l'arrêt Conway v. Rimmer, les tribunaux tendent mani-
festement à limiter le privilège s'appliquant à une catégorie de
documents.
Le juge Cromarty a statué que les déclarations faites à la
police bénéficiaient de la protection d'un privilège s'appliquant
à une «catégorie» de documents pour empêcher que la poursuite
des infractions criminelles soit compromise par une communi
cation prématurée ... Avec égards, je suis d'avis qu'il a conclu
à tort que «tous» les documents de cette catégorie ne pouvaient
être produits et qu'il a omis à tort d'examiner si le «contenu» de
toutes les déclarations ou d'une partie de celles-ci pouvait être
admissible.
Selon la jurisprudence, les déclarations faites à la police n'ont
jamais été considérées comme faisant partie de la catégorie de
documents jouissant automatiquement d'un privilège de
non-communication.
Voir également: Ellis v. Home Office, [ 1953] 2
Q.B. 135 (C.A.); Gagnon v. Commission des
Valeurs Mobilières du Québec et al., [ 1965]
R.C.S. 73 (ces deux arrêts sont antérieurs à l'arrêt
Conway v. Rimmer, [1968] A.C. 910 (H.L.)). Et
dans l'affaire Le ministre du revenu national c.
Huron Steel Fabricators (London) Ltd., [1973]
C.F. 808. (C.A.) à la page 810, le juge Thurlow
[tel était alors son titre] a dit relativement à une
demande d'exemption concernant des déclarations
d'impôt:
A mon sens, ceci revient à faire état, en des termes quelque peu
différents, d'un prétendu intérêt public à exempter une catégo-
rie de documents de la divulgation au motif qu'il est nécessaire
de garantir la sincérité et l'honnêteté des personnes qui produi-
sent des déclarations d'impôt sur le revenu. J'estime qu'un tel
motif, avancé seul, me paraît bien faible et peu convaincant ...
Certes, il y a en l'espèce de meilleures raisons de
permettre la non-divulgation d'une catégorie que
dans le cas de déclarations d'impôt sur le revenu.
Ces raisons, je l'ai déjà dit, sont la nécessité d'as-
surer la protection du public, le maintien de la
sécurité et de l'ordre dans l'établissement pénal et
la nécessité de ne pas nuire au fonctionnement
efficace de la Commission des libérations condi-
tionnelles. Ces raisons sont peut-être suffisantes
pour justifier un refus de communiquer au détenu
les rapports confidentiels eux-mêmes parce qu'il
s'agit de documents d'une catégorie privilégiée,
mais à mon avis, elles ne justifient pas le refus de
lui communiquer l'essentiel des motifs retenus
contre lui.
La décision de la Chambre des lords dans
Science Research Council y Nassé, [ 1979] 3 All
ER 673 est instructive. Dans cette affaire, une
employée qui avait l'impression d'avoir fait l'objet
de discrimination a cherché à avoir accès aux
évaluations de rendement annuelles établies par
l'employeur concernant d'autres employés avec qui
elle avait été en compétition pour obtenir une
promotion. On lui a refusé la communication en
disant que ces rapports étaient confidentiels. La
Chambre des lords a statué qu'en vertu des règles
applicables, la Cour avait le pouvoir discrétion-
naire de permettre la communication et devait
exercer ce pouvoir dans l'intérêt de la justice. À
cette fin, la Cour devrait examiner divers facteurs:
elle devrait se demander si la communication est
nécessaire pour trancher équitablement le litige ou
pour éviter des frais; et si les documents ont été
rédigés d'une manière confidentielle et dans quelle
mesure la communication peut porter atteinte aux
intérêts des tiers. La Cour a conclu que, pour
décider s'il y avait lieu d'ordonner la divulgation, il
convenait parfaitement d'examiner si justice pou-
vait être rendue par des mesures spéciales, par
exemple en masquant certaines parties confiden-
tielles mais non pertinentes des documents ou en
substituant aux noms précis des indications
anonymes.
La revendication en l'espèce concerne une
garantie que prévoit la Charte. Je ne crois pas que
la non-divulgation de l'essentiel des motifs retenus
contre le requérant puisse être justifiée en disant
qu'il s'agit de renseignements d'une catégorie pri-
vilégiée. Cela ne satisfait pas aux exigences de
l'article 7. Comme je l'ai déjà dit, il peut être
justifié à l'occasion de ne pas divulguer l'essentiel
des motifs retenus contre un détenu, mais les
raisons pour le faire doivent se rapporter au con-
tenu précis du renseignement en question. Il doit y
avoir un lien entre le contenu de ce renseignement
et la protection de l'intérêt public que doit assurer
la non-divulgation.
Il reste alors à examiner les affidavits présentés
en l'espèce: celui de Sarah McAlpine, membre de
la Commission nationale des libérations condition-
nelles et celui de Fraser Simmons, administrateur
régional de la préparation des cas pour la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles. Les
affidavits n'indiquent nullement que leurs auteurs
se sont posés la question de savoir si on pouvait
communiquer à M. Cadieux l'essentiel ou une
partie des motifs de l'annulation de son pro
gramme d'A.T.S.E. Ils ne se sont pas non plus
posés la question de savoir si des mesures spéciales
pouvaient être prises pour permettre la communi
cation d'une partie des renseignements demandés
sans que cela entraîne pour l'intérêt public les
conséquences préjudiciables mentionnées ci-dessus.
Par leur ton général et leur contenu, les affidavits
demandent une exemption générale pour toute une
catégorie de renseignements.
I1 existe peut-être en l'espèce des motifs suffi-
sants pour refuser de communiquer même l'essen-
tiel des motifs retenus contre M. Cadieux. Si c'est
le cas, ce défaut peut être corrigé par de nouveaux
affidavits plus précis. Toutefois, je suis d'avis que
s'il devient nécessaire de faire une revendication en
ce sens dans une deuxième demande relative à
cette question, la Commission devra être prête à
produire devant la Cour les documents en ques
tion. Elle pourrait le faire au moyen d'une enve-
loppe scellée, avec une explication précise des rai-
sons pour lesquelles elle estime que la
non-divulgation est justifiée. (C'est une procédure
semblable à celle qui a été élaborée en common
law dans les affaires relatives aux privilèges et
semblable à celle que prévoit l'article 36.1 de la
Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap.
E-10, édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
art. 4].) Je ne suis pas disposée à retenir la solution
adoptée par la Chambre des lords dans l'affaire
Rogers (précitée) selon laquelle une décision con-
cernant la non-divulgation ne peut faire l'objet
d'un examen par les tribunaux. Sont plutôt perti-
nents en l'espèce le raisonnement du juge McEa-
chern dans l'affaire Re Swan (précitée) qui se
fondait sur les remarques du juge en chef Laskin
dans l'arrêt Mitchell [Mitchell c. La Reine, [ 1976]
2 R.C.S. 570]. On ne devrait pas s'attendre à ce
qu'un détenu se fie uniquement à la parole de la
Commission. Il est peut-être rare qu'un tribunal
intervienne dans un jugement de la Commission
portant sur une question de ce genre, mais la
jurisprudence de cette Cour indique qu'à l'occasion
des revendications de privilège excessives ont été
présentées, quoique la Commission nationale des
libérations conditionnelles n'était pas concernée.
Voir: Biais c. L'honorable Robert Andras, [1972]
C.F. 958 (C.A.); Churchill Falls (Labrador) Corp.
Ltd. c. La Reine (1972), 28 D.L.R. (3d) 493 (C.F.
1" inst.); Le ministre du revenu national c. Huron
Steel Fabricators (London) Ltd., [1973] C.F. 808
(C.A.).
Dans ces affaires, il s'agissait du contrôle judi-
ciaire en vertu du paragraphe 41(1) [abrogé par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 3] de la Loi
sur la Cour fédérale. Le successeur du paragraphe
41(1), l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au
Canada, ne semble pas s'appliquer directement à
la situation présente puisqu'il prévoit expressément
régir la divulgation de renseignements «devant un
tribunal, un organisme ou une personne ayant le
pouvoir de contraindre à la production de rensei-
gnements». La demande qui m'a été présentée vise
à obtenir un bref de certiorari pour annuler la
décision de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles; elle ne sollicite pas une
ordonnance pour contraindre la production des
renseignements en question. Néanmoins, l'article
36.1 et le paragraphe 41(1) qui l'a précédé consti
tuent simplement, de plusieurs façons, une codifi
cation de la common law à laquelle sont apportées
diverses modifications. Par conséquent, même si
l'article 36.1 ne s'applique pas expressément en
l'espèce, j'estime que la common law prévoit une
procédure comme celle indiquée ci-dessus qui
permet le contrôle judiciaire de la décision de la
Commission.
S'agit-il d'un cas où les droits ont été restreints par
une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique?
L'argument de l'avocat des intimés portait pres-
que exclusivement sur cet aspect de l'affaire. Il se
fondait principalement sur les dispositions de la
Partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la
personne (et sur la Loi sur la protection des
renseignements personnels [S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, annexe II] qui l'a suivie). L'essentiel de
son argument portait que, même si les exigences de
la «justice fondamentale» ont été violées en l'es-
pèce, cela s'est produit en vertu d'«une règle de
droit, dans des limites qui soient raisonnables et
dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique» (comme
le permet l'article 1 de la Charte canadienne des
droits et libertés). Comme je l'ai déjà mentionné,
le Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus (le paragraphe 17(3)) prévoit précisément
que, dans le cas de l'annulation d'une libération
conditionnelle, le détenu doit être informé des
motifs d'annulation à l'exception des renseigne-
ments visés par les alinéas 54a) à g) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne qui n'ont
pas à être communiqués.
Dans le cas des A.T.S.E. cette exigence est
prévue non pas dans un règlement mais dans le
Manuel des politiques et procédures établi par le
Bureau de la Commission. Ce Manuel est publié
en vertu de l'article 25 du Règlement sur la libé-
ration conditionnelle de détenus qui prévoit:
25. Le Bureau de la Commission établi en vertu du paragra-
phe 3(2.1) de la loi doit, de concert avec la Commission,
a) élaborer et promulguer des lignes directrices et des procé-
dures que la Commission devra suivre pour s'acquitter de ses
fonctions et pouvoirs aux termes de la loi; et
b) à la demande du président de la Commission, conseiller
celui-ci sur les lignes directrices et les procédures ayant trait
aux fonctions et pouvoirs qui lui incombent en vertu de la loi.
Je ne suis pas convaincu qu'on puisse dire que ce
manuel de procédures constitue une «règle de
droit» au sens où ce terme est employé à l'article 1
de la Charte. Cette conclusion serait différente si
le manuel avait été approuvé par le gouverneur en
conseil comme l'exige le paragraphe 3(6) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus [mod.
par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 181. Toutefois, je
n'ai pas à décider de cette question qui n'a pas été
débattue de manière approfondie devant moi, puis-
que même si le manuel participait du statut d'une
loi, j'adopterais les propos de mon collègue le juge
Strayer dans l'affaire Latham c. Solliciteur géné-
ral du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 39 C.R. (3d)
78; 12 C.C.C. (3d) 9 (1" inst.). À la page 747
(C.F.) de sa décision, il écrit relativement au
paragraphe 17(3) du Règlement sur la libération
conditionnelle de détenus:
Il apparaît que le paragraphe 17(3) du Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus apporte une limite juridi-
quement efficace à toute condition de divulgation posée par
l'équité de common law. Cela n'aurait pas pour effet, à mon
avis, de limiter le droit que le libéré conditionnel tient de
l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Je souscris à cette opinion. La Loi sur la protec
tion des renseignements personnels et la Partie IV
de la Loi canadienne sur les droits de la personne
avant elle ont été adoptées dans le but de permet-
tre aux particuliers d'avoir accès aux renseigne-
ments que le gouvernement possède à leur sujet.
Les exemptions à l'exigence de communication
sont beaucoup plus larges que celles qui s'appli-
quent à la prise de décision pour un organe judi-
ciaire ou administratif. Évidemment, si une loi
précise que ces exemptions s'appliquent à un
organe judiciaire ou administratif (comme dans le
cas du paragraphe 17(3) du Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus) alors, en l'ab-
sence de garantie constitutionnelle prévoyant le
contraire, cela constituerait une restriction valide
aux règles d'équité ou de justice naturelle. Toute-
fois, l'exemption est certainement trop large pour
constituer une limite raisonnable en vertu de l'arti-
cle 1 de la Charte.
Étant donné la position que j'adopte à l'égard de
cet argument, je n'ai pas non plus à décider si c'est
l'article 54 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne qui est incorporé par renvoi dans le
Manuel des politiques et procédures ou si c'est la
Loi sur la protection des renseignements person-
nels. La Partie IV de la Loi canadienne sur les
droits de la personne est maintenant abrogée et
remplacée par la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels. La meilleure solution peut
très bien être que l'incorporation par renvoi de la
Loi canadienne sur les droits de la personne reste
en vigueur comme une incorporation des disposi
tions pertinentes qui existaient à la date de la
publication du manuel, malgré le fait que la Partie
IV de la Loi a été abrogée pour ses fins propres.
De toute façon, dans un cas comme dans l'autre, le
résultat est le même, la limite prescrite n'est pas
raisonnable aux termes de l'article 1 de la Charte.
Par conséquent, la décision de la Commission
sera annulée et la question sera renvoyée devant la
Commission pour être examinée de nouveau, et la
Commission devra décider si le requérant peut être
informé de l'essentiel des motifs qui sont retenus
contre lui.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.