A-447-81
Morris Kruger, Emory Gabriel, Joseph Pierre et
Louise Eneas (appelants) (demandeurs)
c.
La Reine (intimée) (défenderesse)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Stone-Van-
couver, 26 et 27 novembre 1984; Ottawa, 18 mars
1985.
Indiens - Terres d'une réserve expropriées pour les besoins
d'un aéroport - Expropriation empêchant présumément les
Indiens d'exercer le droit de refuser de vendre ou de louer à
des conditions convenables - Expropriation valable confor-
mément à l'art. 48 de la Loi - Aucune cession requise
Obligations de fiduciaire de la Couronne - Appel rejeté en
raison de l'irrecevabilité de la demande - Loi des Indiens,
S.R.C. 1927, chap. 98, art. 19, 48, 50.
Couronne - Expropriation par le ministère des Transports
de terres d'une réserve indienne pour les besoins d'un aéroport
- Obligations de fiduciaire - Étude approfondie de l'arrêt
Guerin et autres c. La Reine et autre, 11984] 2 R.C.S. 335 -
Conflit d'intérêts - Obligations de la Couronne envers les
Indiens et obligations de la Couronne envers la population
canadienne - Appel rejeté.
Prescription - Expropriation par la Couronne de terres
indiennes - Causes d'action ayant pris naissance en 1941 et en
1946 - Action intentée en 1979 - La demande en domma-
ges-intérêts formée par les appelants est irrecevable selon la
loi provinciale - Il n'existe aucun délai de prescription aux
termes de l'art. 83 du Trustee Act si la demande (1) est fondée
sur la fraude ou (2) vise à recouvrer des biens en fiducie - La
demande ne fait partie d'aucune de ces deux catégories -
Appel rejeté - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 38 - Limitatjon Act, R.S.B.C. 1979,
chap. 236, art. 3(3),(4), 6, 8(1), 9(1), 14(3) - Statute of
Limitations, R.S.B.C. 1936, chap. 159, art. 38 - Trustee Act,
R.S.B.C. 1936, chap. 292, art. 83.
Expropriation - Terres d'une réserve indienne - II n'y a
pas eu de cession avant la prise obligatoire des terres - L'art.
48 de la Loi des Indiens de 1927 permettait-il l'expropriation?
- L'art. 48 prévoyait des procédures d'expropriation par la
Couronne fédérale et par d'autres organismes mentionnés à qui
la loi conférait des pouvoirs de prise obligatoire de terres -
L'aliénation découlant d'une expropriation n'est pas soumise
aux conditions de cession ou d'abandon en vertu du début de
l'art. 50 - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, art. 19, 48,
50 - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1) -
Loi des expropriations, S.R.C. 1927, chap. 64, art. 2f) -
L'acte des chemins de fer, 1868, 31 Vict., chap. 68, art. 37 -
Acte refondu des chemins de fer, 1879, 42 Vict., chap. 9, art.
37 - Acte relatif aux Sauvages, 1880, 43 Vict., chap. 28, art.
31, 36, 37 - Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, chap. 43, art.
35, 38, 39 - Loi des sauvages, S.R.C. 1906, chap. 81, art. 46
(abrogé et remplacé par 1-2 Geo. V, chap. 14, art. 1).
Les faits de la présente affaire ont été résumés dans la note
de l'arrêtiste ci-dessous. Il s'agit de savoir si l'article 48 de la
Loi des Indiens de 1927 autorise la Couronne à exproprier des
terres d'une réserve; si tel est le cas, cette compétence a-t-elle
été exercée de façon légitime? Y a-t-il eu manquement aux
obligations de fiduciaire de la part de la Couronne? Aucune des
parties n'a interjeté appel de la décision du juge de première
instance selon lequel la Couronne était un fiduciaire envers les
appelants.
L'article 48 de la Loi des Indiens de 1927 prévoit que nulle
partie d'une réserve ne peut être expropriée pour les besoins
d'un ouvrage public sans le consentement du gouverneur en
conseil, «mais toute compagnie ou autorité municipale ou locale
possédant le pouvoir conféré par une loi ... d'exproprier ... des
terrains ... sans le consentement du propriétaire, peut, avec le
consentement du gouverneur en conseil comme susdit ... exer-
cer ce pouvoir». L'article 50 prescrit que, «Sauf dispositions
contraires de la présente Partie, nulle réserve ou portion de
réserve ne peut être vendue, aliénée ni affermée, avant d'avoir
été cédée ou rétrocédée à la Couronne».
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Heald: L'obligation et le devoir de fiduciaire dont il
est question dans l'arrêt rendu par la Cour suprême dans
l'affaire Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335, existent également dans une affaire comme la présente,
malgré les différences entre les faits des deux affaires et la
différence entre les dispositions législatives. Les déclarations
que le juge Dickson (alors juge puîné) a formulées dans l'arrêt
Guerin au sujet du rapport de fiduciaire n'ont pas été interpré-
tées comme faisant autorité à l'appui de la proposition générale
que le rapport de fiduciaire n'existe que si les Indiens ont cédé
leurs terres à la Couronne. Selon le juge Dickson, «la norme de
conduite que comporte cette obligation est à la fois plus géné-
rale et plus exigeante que les conditions de n'importe quelle
autre cession». Comme le disait le juge Dickson dans l'arrêt
Guerin, en examinant la nature du titre indien: «Le droit qu'ils
ont ... est un droit en common law, qui existait déjà et qui n'a
été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la
Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative
ou ordonnance du pouvoir exécutif». En l'espèce, l'obligation
fiduciaire était continue, découlait du projet d'expropriation des
terres et devait exister pendant toute la durée des négociations
au sujet de l'indemnité à verser relativement aux lots A et B.
Étant donné que la Couronne a une obligation de fiduciaire
envers les Indiens, la question du conflit d'intérêts se pose
clairement dans ce cas-ci. De toute évidence, deux Ministères
du gouvernement canadien ne s'entendaient pas sur la façon de
traiter les occupants indiens du lot A. La preuve a incontesta-
blement montré que les fonctionnaires de la direction des
Affaires indiennes ont fait preuve de diligence lorsqu'il s'est agi
de défendre au mieux les intérêts des occupants indiens. Par
ailleurs, le ministère des Transports désirait vivement acquérir
les nouvelles terres dans l'intérêt des transports aériens. En
droit, il est clair qu'aune personne qui se charge d'une tâche
pour le compte d'une autre doit agir exclusivement au bénéfice
de cette dernière». Il est clair également qu'il incombe au
fiduciaire d'établir que le bénéficiaire avait à sa disposition tous
les renseignements pertinents dont le fiduciaire avait connais-
sance. En se fondant sur ces principes, il est impossible de
conclure que la Couronne fédérale a agi «exclusivement au
bénéfice» des Indiens. La recommandation proposée par les
fonctionnaires des Affaires indiennes d'accepter le bail de 10
ans consenti à l'origine par les Indiens n'a pas été retenue pour
le motif que le loyer demandé par les Indiens n'était pas
raisonnable. Le ministère des Transports n'a présenté aucune
preuve en vue de démontrer que le loyer annuel n'était pas
raisonnable. D'ailleurs, aucune évaluation n'a été produite à
l'appui du règlement final de 115 $ l'acre qui privait les Indiens
de tous leurs droits sur ces biens-fonds. Selon certaines preuves,
des propriétés semblables avaient été vendues plusieurs années
auparavant au prix de 200 à 300 $ l'acre. On peut clairement
déduire du dossier que, lorsqu'il s'est agi pour le gouverneur en
conseil de prendre une décision finale, l'opinion du ministère
des Transports l'a emporté sur l'opinion et les recommandations
du ministère des Affaires indiennes. Quel que soit le motif
suffisant et valable qu'ait eu le ministère des Transports pour
exiger les biens-fonds, cette circonstance ne dégageait pas la
Couronne fédérale de l'obligation de fiduciaire qu'elle avait
envers les Indiens.
Le conflit d'intérêts qui existe dans les négociations en vue
d'acquérir le lot A existe également en ce qui concerne l'acqui-
sition du lot B. Le fait que la valeur du bien-fonds avait
initialement été fixée à 55 $ l'acre, que le ministère de la
Défense nationale et celui des Transports en avaient eu la
possession pendant à peu près 18 mois sans verser aux Indiens
quelque acompte, à valoir sur l'indemnité, et qu'ils avaient
abordé d'une façon plutôt nonchalante les négociations se rap-
portant à l'indemnité, alors qu'ils étaient si empressés de pren-
dre possession des terres et de priver ainsi les Indiens de leurs
moyens de subsistance, montre qu'ils se préoccupaient peu du
bien-être des Indiens. Il n'est pas possible de conclure que la
Couronne fédérale avait exclusivement agi au bénéfice des
Indiens. De plus, la Couronne a négligé de divulguer aux
Indiens tous les faits pertinents. La non-divulgation de l'opinion
du sous-ministre de la Justice a été considérée comme illustrant
l'attitude des préposés de la Couronne autres que les fonction-
naires de la direction des Affaires indiennes. S'il avait existé
quelque preuve dans le dossier que les représentations et les
plaidoyers formulés par les Affaires indiennes pour le compte
des Indiens avaient été minutieusement examinés et bien pesés,
et si une offre de règlement reflétant ces représentations avait
été faite, les choses auraient été vues sous un autre angle.
En ce qui concerne la question de la prescription de l'action,
contrairement à ce qui s'est produit dans l'affaire Guerin, les
causes d'action auraient pu être découvertes si les appelants
avaient fait preuve d'une diligence raisonnable à l'époque où
celles-ci ont pris naissance. Il s'ensuit que le délai de prescrip
tion prévu à l'article 38 du Statute of Limitations de la
Colombie-Britannique qui était en vigueur au moment où les
causes d'action ont pris naissance (en janvier 1941 dans le cas
du lot A et en février 1946 dans celui du lot B) aurait expiré
bien avant que la poursuite ait été engagée en 1979.
Toutefois, selon l'article 83 du Trustee Act de la Colombie-
Britannique, l'action intentée par le bénéficiaire contre un
fiduciaire n'est pas sujette à prescription (1) lorsqu'elle est
fondée sur quelque fraude ou abus frauduleux de confiance ou
(2) lorsqu'elle a pour but le recouvrement d'un bien détenu en
fiducie. Les appelants ne peuvent pas se prévaloir du moyen
d'appel se rapportant à la première catégorie, car ils ont
abandonné toute prétention de dol qu'articulaient les écritures.
En ce qui concerne la seconde catégorie, la question a été
étudiée dans l'affaire McLellan v. Milne & Magee, [1937] 3
D.L.R. 659 (C.S. Ont.) dans laquelle il a été jugé relativement
à un article de la loi ontarienne sur la prescription dont le
libellé était presque identique à celui de l'article 83, qu'une
action en vue d'obtenir un jugement obligeant un avocat à
indemniser son client par suite d'un manquement à son obliga
tion de fiduciaire ne constitue pas une action en recouvrement
d'un bien détenu en fiducie. Pareille demande se rapprochait
énormément de la demande subsidiaire d'indemnisation présen-
tée par les appelants. La décision rendue dans l'affaire McLel-
lan s'appliquait en l'espèce.
En outre, compte tenu des dispositions transitoires du Limi
tation Act de la Colombie-Britannique de 1975, qui était en
vigueur au moment où l'action a été intentée en 1979, la
demande des appelants est en tout état de cause irrecevable. Si
le paragraphe 14(3) de la loi de 1975 s'appliquait, le délai de
prescription aurait expiré le 1«' juillet 1977, presque deux ans
avant la date du dépôt de la présente demande. Les articles 8 et
9 de cette loi ont également pour effet de rendre la présente
action irrecevable.
Le juge Urie: La question de savoir si l'article 48 de la Loi
des Indiens de 1927 confère à la Couronne le pouvoir d'expro-
prier des terres d'une réserve reçoit une réponse affirmative. Le
paragraphe 48(1) envisage deux formes distinctes d'expropria-
tion, soit le cas où l'expropriation est effectuée par le gouverne-
ment fédéral et celui où elle est effectuée par d'autres organis-
mes en vertu du pouvoir de prise obligatoire qui leur est conféré
par la loi. Cela est démontré par l'emploi du mot «mais» au
paragraphe 48(1). En utilisant ce mot en 1911, le Parlement
visait à établir une distinction entre la position des compagnies
ou autorités qui étaient mentionnées et celle de la Couronne en
assurant l'application, aux fins de la Loi des Indiens, des
formalités d'expropriation établies dans leurs lois constitutives
et en autorisant le gouverneur en conseil à ne consentir à
l'expropriation des terres d'une réserve que si certaines condi
tions étaient remplies. Étant donné qu'à part les compagnies et
les autorités municipales ou locales s'étant vu conférer pareil
pouvoir d'expropriation par le gouvernement fédéral ou par un
gouvernement provincial, le seul organisme détenant un pouvoir
d'expropriation était la Couronne fédérale, la partie du para-
graphe 48(1) précédant le mot «mais» doit donc se rapporter à
la Couronne fédérale.
En outre, l'article 50 n'exige pas que les terres d'une réserve
soient cédées ou abandonnées par les Indiens à la Couronne
dans tous les cas où elles doivent lui être transmises. L'article
50 s'applique clairement au cas où les terres d'une réserve
doivent être «vendue[s], aliénée[s] [ou] affermée[s]». Le terme
«aliénée» n'englobe pas l'expropriation des terres d'une réserve
par la Couronne comme le soutenaient les appelants. Compte
tenu du contexte, le terme n'est pas utilisé dans un sens
technique ni ne s'applique aux faits de l'espèce. De toute façon,
le début de l'article 50, qui est rédigé en ces termes: «Sauf
dispositions contraires de la présente Partie», n'assujettit pas
l'aliénation découlant d'une expropriation effectuée conformé-
ment à l'article 48 aux prescriptions relatives à la cession ou à
l'abandon.
La deuxième question est de savoir si le pouvoir d'expropria-
tion a été exercé légitimement. Les appelants ont soutenu que
les tribunaux pouvaient examiner la façon dont l'expropriation
s'était déroulée parce que l'intimée ne répondait pas au critère
du «but primordial» énoncé dans l'affaire Warne v. The Pro
vince of Nova Scotia, Akerley, Jamerson, Henry and Kinsman
(1970), 1 N.S.R. (2d) 150 (C.S.N.-E). Selon ce critère, si
l'expropriation vise primordialement à encourager un complot
destiné à causer un préjudice au propriétaire de l'immeuble
exproprié, l'expropriation est alors soumise au contrôle judi-
ciaire. En l'espèce, il n'existe aucune preuve à l'appui de la
prétention des appelants selon lesquels les représentants du
Ministère auraient délibérément acquis les biens-fonds des
Indiens de préférence à ceux de non-Indiens parce que leur prix
en serait moins élevé.
Quant au manquement de la Couronne à son devoir de
fiduciaire, il fut admis, sans qu'une décision soit rendue à ce
sujet, que les règles s'appliquant aux conflits d'intérêts dans le
cas des cestuis que trust s'appliquaient également aux fiduciai-
res. Sur la base de cette hypothèse, il a été statué que la
Couronne n'avait pas manqué à son obligation de fiduciaire par
suite du conflit imputé entre deux de ses Ministères, soit le
ministère des Mines et Ressources, direction des Affaires
indiennes, et le ministère des Transports. Il ressort de la preuve
documentaire que les fonctionnaires des Affaires indiennes ont
représenté les Indiens avec énergie. Par ailleurs, les fonctionnai-
res du ministère des Transports avaient, envers la population
canadienne dans son ensemble, y compris les Indiens, l'obliga-
tion de ne pas «dépenser les deniers publics d'une manière
désavantageuse». Le fait que la décision finale ait pu ne pas
satisfaire tout à fait les Indiens ne veut pas dire qu'il y a eu
manquement au devoir de fiduciaire, ni qu'il existait un conflit
d'intérêts devant être réglé en leur faveur.
Les autres obligations de la Couronne l'ont empêchée de se
plier entièrement aux exigences de la bande indienne ou de se
retirer complètement des négociations. La Couronne était tenue
d'assurer au mieux la protection des intérêts de tous ceux dont
ses représentants étaient responsables. Le gouverneur en conseil
est devenu l'arbitre final. Les appelants ont décidé de ne pas
s'adresser à la Cour de l'Échiquier mais ont accepté les offres
de la Couronne. Il était difficile de voir comment ils auraient
pu contester à bon droit, après tant d'années, les règlements
qu'ils avaient acceptés.
Les appelants prétendent également que l'intimée n'a pas
apporté toute l'attention dont on est en droit de s'attendre d'un
fiduciaire, car elle n'a pas tenu compte de la «valeur et [de]
l'importance particulières» des lots A et B pour les Indiens. Il
ressort clairement du dossier que les fonctionnaires à tous les
échelons de la hiérarchie étaient bien au courant de leurs
obligations respectives et les ont remplies du mieux possible.
Enfin, les appelants reprochent aux fonctionnaires des Affai-
res indiennes de ne pas avoir mis la bande au courant de
l'opinion du sous-ministre de la Justice, soit que le lot B ne
pouvait pas être exproprié. La meilleure preuve recevable en
l'absence d'un témoignage de vive voix était un rapport rédigé
par l'agent des Affaires indiennes. Il a été jugé qu'il n'y avait
pas eu dissimulation de renseignements. De toute façon, étant
donné que l'expropriation était valable, la cession était
superflue.
Quant à la prescription de l'action, les appelants, invoquant à
leur appui l'arrêt Guerin, ont soutenu que le manquement
découlant de la non-divulgation de l'opinion du sous-ministre de
la Justice constituait une fraude en equity. Cette allégation a
été rejetée. Le dossier a montré à plusieurs reprises la sincérité
complète dont ont toujours fait preuve les fonctionnaires des
Affaires indiennes envers les Indiens.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335; McLellan v. Milne & Magee, [1937] 3 D.L.R. 659
(C.S. Ont.); Point v. Dibblee Construction Co. Ltd., et
al., [1934] O.R. 142 (H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Meek v. Parsons et al. (1900), 31 O.R. 529 (C. div.);
Masters v. Madison County Mutual Ins. Co. (1852), 11
Barb. 624 (N.Y. App. Div.); Warne v. The Province of
Nova Scotia, Akerley, Jamerson, Henry and Kinsman
(1970), 1 N.S.R. (2d) 150 (C.S.N.-E.); Kitchen v. Royal
Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563 (C.A.);
Buttle v. Saunders, [1950] 2 All E.R. 193 (Ch. D.);
Calder et al. c. Le Procureur Général de la Colombie-
Britannique, [1973] R.C.S. 313; City of Edmonton v.
Hawrelak and Sun-Alta Builders Ltd. et al., [1972] 2
W.W.R. 561, confirmé à [1973] 1 W.W.R. 79 (C.S.
Alb.).
AVOCATS:
W. J. Worrall et K. S. Campbell pour les
appelants (demandeurs).
W. B. Scarth, c.r. et T. B. Marsh pour l'inti-
mée (défenderesse).
PROCUREURS:
Worrall, Scott & Page, Vancouver, pour les
appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Les trois jugements ci-inclus totalisent 104
pages de manuscrit. L'arrêtiste a décidé de
publier la présente affaire en version abrégée.
Les parties suivantes des motifs des jugements
font l'objet d'un résumé: l'exposé des faits pré-
senté par le juge Urie; l'examen de la preuve
effectué par le juge Urie pour déterminer si les
fonctionnaires des Affaires indiennes ont tenu
compte de la «valeur et [de] l'importance particu-
lières» des lots A et B pour les Indiens; les motifs
de jugement exprimés par le juge Stone; l'examen
de la preuve auquel procède le juge Heald, dans
ses motifs de jugement, au sujet de l'acquisition
des lots A et B.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'occasion de prendre
connaissance des motifs de jugement rédigés par
mon collègue, le juge Urie. Je souscris à son avis
que l'article 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927,
chap. 98, autorise l'intimée à exproprier les terres
d'une réserve indienne. Comme lui, je crois égale-
ment que l'article 50 de la Loi, édictant que les
parties d'une réserve qui sont «vendue[s], alié-
née[s] [ou] affermée[s]» doivent être cédées ou
abandonnées à la Couronne, ne s'applique pas aux
expropriations effectuées en vertu de l'article 48
étant donné qu'il commence en ces termes: «Sauf
dispositions contraires de la présente Partie». Puis-
que les articles 48 et 50 figurent tous deux dans la
Partie I de la Loi, il est clair, à mon avis, que les
dispositions de l'article 50 ne s'appliquent pas dans
ce cas-ci. S'il n'en était pas ainsi, il m'aurait été
difficile de conclure que l'expropriation d'une terre
de la réserve par la Couronne ne constitue pas une
aliénation au sens de l'article 50. Toutefois, pour
les motifs ci-dessous exprimés, il est inutile de
statuer d'une façon définitive sur la question.
À mon sens, l'un des principaux points en litige
se rapporte à la nature de l'obligation de fiduciaire
que l'intimée, la Couronne, avait envers les appe-
lants et à la question de savoir si compte tenu des
faits, il y a eu manquement à pareille obligation.
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, le savant
juge de première instance [(1981), 125 D.L.R.
(3d) 513 (C.F. i ie inst.)] a jugé que la Couronne
agissait à titre de fiduciaire pour le compte des
appelants et aucune des parties n'a contesté en
appel cette conclusion. Ceci étant, il importe
d'examiner la nature et les caractéristiques de
l'obligation. Je souscris à l'avis de mon collègue, le
juge Urie, que le jugement récemment rendu (le
lei novembre 1984) par la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Guerin [Guerin et autres c.
La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335] est parti-
culièrement pertinent et mérite d'être examiné à
fond. Le sommaire reprend comme suit les motifs
du juge Dickson (alors juge puîné), s'exprimant en
son propre nom, et au nom des juges Beetz, Choui-
nard et Lamer [aux pages 336 et 337]:
Le droit que les Indiens ont sur leurs terres est un droit, en
common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la
Proclamation royale de 1763, ni par le par. 18(1) de la Loi sur
les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou
ordonnance du pouvoir exécutif. Le droit des Indiens se distin-
gue surtout par son inaliénabilité et par le fait que Sa Majesté
est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens
lorsqu'il y a eu cession de ce droit.
La nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la
Loi relativement à l'aliénation de leurs terres imposent à Sa
Majesté une obligation d'equity, exécutoire en justice, d'utiliser
ces terres au profit des Indiens. Des lois fédérales successives
dont l'actuelle Loi sur les Indiens prévoient l'inaliénabilité
générale des terres des réserves indiennes, sauf dans le cas
d'une cession à Sa Majesté. L'exigence d'une cession vise à
interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou
locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que
les Indiens se fassent exploiter. En confirmant au par. 18(1) de
la Loi sur les Indiens la responsabilité historique qui incombe à
Sa Majesté de protéger les droits des Indiens dans les opéra-
tions avec des tiers, le Parlement a conféré à Sa Majesté le
pouvoir discrétionnaire de décider elle-même ce qui est vrai-
ment le plus avantageux pour les Indiens. Lorsqu'une loi, un
contrat ou peut-être un engagement unilatéral impose à une
partie l'obligation d'agir au profit d'une autre partie et que
cette obligation est assortie d'un pouvoir discrétionnaire, la
partie investie de ce pouvoir devient un fiduciaire. L'equity
vient alors exercer un contrôle sur ce rapport en imposant à la
partie en question l'obligation de satisfaire aux normes strictes
de conduite auxquelles le fiduciaire est tenu de se conformer.
Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens confère à Sa
Majesté un large pouvoir discrétionnaire relativement aux
terres cédées. En la présente espèce, l'acte de cession confirme
l'existence de ce pouvoir discrétionnaire dans la clause qui
prévoit la cession des terres à Sa Majesté. Lorsque, comme
c'est le cas en l'espèce, une bande indienne cède son droit à Sa
Majesté, cela fait naître une obligation de fiduciaire qui impose
des limites à la manière dont Sa Majesté peut exercer son
pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte des
Indiens. Les mandataires de Sa Majesté ont promis à la bande
de louer les terres en cause à certaines conditions précises et,
après la cession, ils ont conclu un bail dont les conditions
étaient différentes et beaucoup moins avantageuses. L'acte de
cession n'autorisait pas Sa Majesté à ignorer les conditions
verbales qui, selon ce que la bande avait cru comprendre,
seraient incluses dans le bail. Après que les mandataires de Sa
Majesté eurent amené la bande à céder ses terres en lui faisant
entendre qu'elles seraient louées à certaines conditions, il serait
déraisonnable de permettre à Sa Majesté d'ignorer tout simple-
ment ces conditions. L'equity ne sanctionnera pas une conduite
peu scrupuleuse de la part d'un fiduciaire qui doit faire preuve
d'une loyauté absolue envers son commettant. En signant, sans
consultation, un bail beaucoup moins avantageux que celui
promis, Sa Majesté a manqué à son obligation de fiduciaire
envers la bande et elle doit donc réparer le perte subie par suite
de ce manquement.
Il existe entre les faits de l'affaire Guerin et
ceux de la présente affaire certaines différences
dont il importe de faire mention. En effet, dans
l'affaire Guerin, la bande avait cédé les terres de la
réserve à la Couronne pour que ces dernières
soient louées à un club de golf. Les conditions du
bail signé par la Couronne étaient beaucoup moins
favorables que celles qu'avaient approuvées la
bande à l'assemblée tenue à ce sujet. Dans la
présente instance, les biens-fonds désignés sous
le nom de lot A, d'une superficie de quelque
154,3 acres, ont été expropriés par la Couronne.
Aucun acte de cession n'a été obtenu des Indiens
avant cette expropriation, ni à aucun moment. De
plus, les biens-fonds désignés sous le nom de lot B,
lesquels comprennent 120 acres supplémentaires,
ont également été expropriés par la Couronne à
une date ultérieure. En ce qui concerne le lot B, un
acte de cession a été obtenu des Indiens après
l'expropriation. En outre, il existe certaines diffé-
rences entre le paragraphe 18(1) de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1952, qui s'appliquait dans l'af-
faire Guerin, et l'article 19 de la Loi des Indiens,
S.R.C. 1927, soit la loi qui nous intéresse dans la
présente instance. Le paragraphe 18(1) de la Loi
sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149 et modifi
cations, édicte ce qui suit:
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté
détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives
pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi
et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en
conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans
une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et
au profit de la bande.
L'article 19 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927,
chap. 98, édicte ce qui suit:
19. Toutes les réserves affectées à des Indiens, ou à une
bande d'Indiens, ou possédées en fiducie pour eux, sont censées
être affectées et possédées pour les mêmes objets qu'elles
l'étaient jusqu'à présent, mais elles sont assujéties aux disposi
tions de la présente Partie.
Notons que les dispositions de l'article 18 de la
Loi de 1952 sont plus précises que celles de l'arti-
cle 19 de la Loi de 1927. Toutefois, je crois que
pareille différence ne peut pas influer sur l'applica-
bilité, dans la présente espèce, des déclarations qui
ont été faites dans l'arrêt Guerin. Je souscris à la
déclaration formulée par le juge Hall dans l'arrêt
Calder et al. c. Le Procureur Général de la
Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, à la
page 390, selon laquelle le «titre aborigène indien
ne dépend d'aucun traité, ni d'aucune ordonnance
du pouvoir exécutif ou disposition législative». Cet
avis a été confirmé par le juge Dickson dans l'arrêt
Guerin, à la page 379 de ses motifs, dans lesquels,
examinant la nature du titre indien, il déclare ce
qui suit: «Le droit qu'ils ont sur leurs terres est un
droit en common law, qui existait déjà et qui n'a
été créé ni par la Proclamation royale, ni par le
par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune
autre disposition législative ou ordonnance du pou-
voir exécutif.» Par conséquent, je conclus que la
différence entre les dispositions légales s'appli-
quant dans l'affaire Guerin et celles qui s'appli-
quent dans la présente instance n'influent aucune-
ment sur l'applicabilité, dans la présente affaire,
des motifs exprimés et du jugement rendu dans
l'arrêt Guerin.
De même, je suis d'avis que les différences
existant entre les faits des deux affaires n'influent
pas sur la valeur persuasive des motifs rendus dans
l'affaire Guerin lorsqu'il s'agit de les appliquer à la
présente affaire. Dans la présente affaire, il y a eu
deux expropriations. Dans un cas, il n'y a pas eu
cession. Dans l'autre, l'acte de cession a été signé
après l'expropriation. Toutefois, je ne crois pas que
les déclarations que le juge Dickson a formulées au
sujet du rapport de fiduciaire existant entre la
Couronne et les Indiens puissent être interprétées
comme faisant autorité à l'appui de la proposition
générale que le rapport de fiduciaire n'existe que si
les Indiens ont cédé leurs terres à la Couronne.
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, il est vrai
que ces commentaires ont été formulés par le
savant juge dans le contexte de cette affaire, soit
d'une cession des terres de la réserve à la Cou-
ronne à certaines conditions. Toutefois, à la page
389, le juge Dickson a formulé les commentaires
suivants:
Bien que l'existence de l'obligation de fiduciaire que Sa
Majesté a envers les Indiens dépende de la nature du processus
de cession, la norme de conduite que comporte cette obligation
est à la fois plus générale et plus exigeante que les conditions de
n'importe quelle autre cession. Dans la présence [sic] instance,
l'aspect pertinent de la norme de conduite requise est défini par
un principe analogue à celui qui sous-tend la doctrine de
l'exception promissoire ou reconnue en equity. Sa Majesté ne
peut promettre à la bande qu'elle louera ses terres à certaines
conditions précises, incitant ainsi la bande à modifier sa situa
tion juridique en cédant lesdites terres, et ensuite simplement
ignorer cette promesse au détriment de la bande. Voir, par
exemple, les affaires Central London Property Trust Ltd. v.
High Trees House Ltd., [1947] K.B. 130; Robertson v. Minis
ter of Pensions, [ 1949] 1 K.B. 227 (C.A.)
En signant, sans consultation, un bail beaucoup moins avan-
tageux que celui promis, Sa Majesté a manqué à son obligation
de fiduciaire envers la bande. Elle doit donc réparer la perte
subie par suite de ce manquement.
Par conséquent, à mon sens, il est clair que
l'obligation et le devoir de fiduciaire dont il est
question dans l'arrêt Guerin existeraient également
dans une affaire comme celle-ci; de plus, dans ce
cas-ci, pareille obligation et pareil devoir étaient
continus, c.-à-d. qu'ils découlaient du projet d'ex-
propriation des terres de la réserve et qu'ils
devaient exister pendant toute la durée des négo-
ciations précédant les expropriations et par la
suite, en particulier au cours des pourparlers entre
la Couronne et les Indiens au sujet de l'indemnité
à verser à ceux-ci relativement aux lots A et B.
Quels sont donc les paramètres de ce rapport de
fiduciaire? Tenant compte du fait que l'equity
vient exercer un contrôle sur le rapport en impo-
sant au fiduciaire l'obligation de satisfaire aux
normes strictes de conduite auxquelles il est tenu
de se conformer et «ne sanctionnera pas une con-
duite peu scrupuleuse de la part d'un fiduciaire qui
doit faire preuve d'une loyauté absolue envers son
commettant», (voir les motifs du juge Dickson, à la
page 389), j'examinerai maintenant les faits.
L'ACQUISITION DU LOT A
Par le décret 1036 daté du 29 juillet 1938, la
Colombie-Britannique cédait à la Couronne fédé-
rale la réserve indienne n° 1 de Penticton (dans
laquelle se trouvent les lots A et B) [TRADUC-
TION] «en fiducie, à l'usage et au profit des
Indiens». En septembre 1938, la municipalité de
Penticton a demandé aux Indiens de lui louer à
peu près 72,56 acres, dans la réserve n° 1 de
Penticton, en vue d'y établir un aéroport munici
pal. L'agent des Indiens a signé le bail au nom des
occupants indiens du bien-fonds en question. Les
occupants indiens ont également apposé leur signa
ture au bail, ainsi que les représentants de la
municipalité de Penticton. Le loyer s'élevait en
moyenne à 6,50 $ l'acre par an; d'autres avantages
dont il sera question en détail ci-dessous étaient
également stipulés. Chaque bail était d'une durée
de cinq ans et pouvait être reconduit, au gré de la
municipalité, pour des périodes additionnelles de
cinq ans, jusqu'à concurrence d'un maximum de
vingt-cinq années en tout. La direction des Affai-
res indiennes, à Ottawa, n'a pas sanctionné les
baux en question par suite de l'intervention du
ministère des Transports qui voulait acquérir le
bien-fonds en vue d'y établir un aéroport. Dans
une lettre datée du 6 décembre 1939, le sous-
ministre des Transports a informé le directeur des
Affaires indiennes, à Ottawa, qu'il serait néces-
saire d'acquérir d'autres terres étant donné que les
Transports se proposaient de construire un aéro-
port plus grand avec des pistes plus longues. Lesdi-
tes terres, d'une superficie de 154,3 acres, sont
connues sous le nom de lot A.
Le juge Heald a examiné la preuve en ce qui
concerne le lot A. Cette preuve était constituée
surtout de lettres de l'agent des Affaires indien-
nes, du commissaire des Indiens pour la Colom-
bie-Britannique et du directeur des Affaires
indiennes. Le juge s'est reporté à une recomman-
dation présentée au Conseil par le ministre des
Munitions et des Approvisionnements et conte-
nant la déclaration suivante: «(les négociations]
ont échoué, parce que les Indiens demandaient
un loyer exorbitant; conformément à l'avis du
sous-ministre de la Justice, l'expropriation desdits
biens-fonds ... est maintenant envisagée». Dans
un rapport envoyé à Ottawa, le commissaire des
Indiens pour la Colombie-Britannique exposait un
certain nombre de faits à l'appui de l'opinion que
«la somme de 10 $ l'acre qu'ils réclament ne
pourrait pas être considérée comme exorbitante».
Le 16 novembre 1940, le décret C.P. 6594 a été
passé en vue d'exproprier une terre d'une superfi-
cie de 0,52 acres, soit la partie du lot A qui n'avait
pas déjà été expropriée.
Le 26 janvier 1941, le décret C.P. 659, et par la
suite, des décrets modificateurs, autorisaient, rela-
tivement aux biens-fonds faisant partie du lot A, le
versement aux Indiens de la somme de 115 $
l'acre. La recommandation au Conseil, qui aurait
été formulée par le ministre suppléant des Muni
tions et des Approvisionnements, conformément à
l'avis du directeur des Transports aériens, auquel
souscrivait le sous-ministre adjoint des Transports,
énonce que les Indiens concernés ont consenti à
accepter l'indemnité en question.
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, les
dépositions présentées à l'audience ne permettaient
pas vraiment d'établir les conditions dans lesquel-
les les lots A et B avaient été expropriés. Je crois
moi aussi qu'il faut se fonder principalement sur la
preuve documentaire en vue de connaître les faits
pertinents. J'ai fait mention de la preuve documen-
taire se rapportant à l'acquisition du lot A qui,
selon moi, est pertinente. Cette preuve me permet
de tirer les conclusions suivantes:
1. Les négociations initiales qui ont eu lieu entre
les Indiens et la ville de Penticton, en 1938, se
rapportaient à la location de 72,56 acres pendant
au plus 25 ans.
2. Lorsque le ministère des Transports s'est inté-
ressé aux terres en décembre 1939, il envisageait
de les acquérir soit par location soit par achat. De
plus, il voulait acquérir une plus grande étendue de
terre (153,8 acres).
3. Au cours des négociations qui ont eu lieu
entre les Indiens et l'agent, M. Barber, ce dernier
et son supérieur en C.-B., le major MacKay, ont
présumé que le ministère des Transports souhaitait
louer les biens-fonds en question.
4. En juillet 1940, les Indiens ont convenu, de
mauvais gré, de donner à bail les 153,8 acres en
question (soit le lot A) pour un terme de dix ans
moyennant un loyer annuel de 10 $ l'acre, en foi de
quoi ils ont signé un acte de cession. En recom-
mandant que le ministère des Transports accepte
cette proposition, le major MacKay, directeur des
Affaires indiennes pour la Colombie-Britannique,
a entre autres déclaré ce qui suit: [TRADUCTION]:
«À mon avis, le loyer exigé n'est pas exorbitant».
5. Le 13 août 1940, un décret a été passé en vue
d'autoriser l'expropriation du lot A, conformément
à la recommandation du ministre des Munitions et
des Approvisionnements, à laquelle souscrivait le
sous-ministre des Transports. Ce décret énonçait
entre autres ce qui suit: [TRADUCTION] "Que des
négociations ont eu lieu, avec l'aide de la direction
des Affaires indiennes du ministère des Mines et
des Ressources, pour la location des terrains
requis, mais que ces négociations n'ont pas abouti,
dû au loyer élevé que demandent les Indiens".
6. Le 22 août 1940 ou vers cette époque, le
ministère des Transports, par l'entremise du minis-
tère des Affaires indiennes, a offert la somme de
100 $ l'acre en échange du lot A, mais il a en
même temps proposé une solution de rechange
possible, soit un bail d'une durée de 21 ans moyen-
nant un loyer annuel de 5 $ l'acre.
7. Le 27 août 1940, l'agent, M. Barber, a soumis
cette proposition aux Indiens concernés. Parmi les
huit Indiens assistant à l'assemblée, un seul a
consenti à accepter l'offre de 100 $ l'acre. Tous les
autres ont refusé catégoriquement d'accepter
pareille offre. Il ne semble pas avoir été question
de l'autre bail proposé lors de l'assemblée.
8. Le 28 août 1940, le major MacKay a présenté
le point de vue des Indiens à ses supérieurs, à
Ottawa. Dans sa lettre il mettait l'accent sur les
points suivants:
a) Selon le bail qui devait être conclu avec la
municipalité de Penticton, moyennant un loyer de
6,50 $ l'acre, cette dernière s'engageait à défricher,
à niveler et à ensemencer la terre de façon à
obtenir du fourrage, et à autoriser les Indiens à
couper les foins. Les Indiens se trouvaient donc à
bénéficier d'un avantage très important, en plus du
loyer annuel.
b) Cent cinquante-trois acres étaient expropriés,
alors que le bail avec la ville de Penticton ne visait
que 72 acres, laissant les parcs à fourrage aux
éleveurs indiens. Les 153 acres du lot A, expro-
priés par le ministère des Transports, couvrent
presque entièrement la portion utile des terres de
certains des occupants indiens, les privant ainsi
d'une bonne partie de leurs moyens de subsistance.
c) En ce qui concerne les évaluations du lot A, en
1920 l'agent des Indiens, M. Ball, a évalué celui-ci
à 200 $ l'acre; en 1932, le chemin de fer de Kettle
Valley a payé 300 $ l'acre pour des terres similai-
res du voisinage; le ministère provincial des Tra-
vaux publics a exproprié des terres de moins bonne
qualité le long du lot A, aux fins de la construction
d'une route, au prix de 250 $ l'acre en 1929, et à
un prix encore plus élevé en 1932.
d) À l'origine, on croyait que le lot A était presque
entièrement composé de terre sablonneuse, mais il
a par la suite été établi que le sable ne constituait
qu'une couche superficielle de quelque trois ou
quatre pouces sous laquelle se trouvait de la très
bonne terre, suffisamment arrosée par des sources
souterraines pour permettre d'obtenir de bonnes
récoltes de fourrage.
e) Étant donné qu'il était situé à proximité de
Penticton, le lot A avait une valeur supérieure à
celle qu'avaient de simples terres agricoles.
9. En octobre 1940, la suite de nouvelles
négociations avec les Indiens, l'agent, M. Barber, a
signalé que certains d'entre eux étaient prêts à
régler l'affaire contre la somme de 100 $ l'acre; de
plus, il a recommandé que la somme de 110 $
l'acre leur soit offerte.
10. Le décret du 26 janvier 1941 et d'autres
décrets subséquents autorisaient un règlement
moyennant le versement de la somme de 115 $
l'acre, relativement au lot A.
À mon avis, étant donné que la Couronne a une
obligation de fiduciaire envers les Indiens, la ques
tion du conflit d'intérêts se pose clairement dans ce
cas-ci. De toute évidence, deux Ministères du gou-
vernement canadien ne s'entendaient pas sur la
façon de traiter les occupants indiens du lot A. La
preuve semble incontestablement montrer que les
fonctionnaires de la direction des Affaires indien-
nes ont fait preuve de diligence lorsqu'il s'est agi
de défendre au mieux les intérêts des occupants
indiens. D'autre part, le ministère des Transports
était anxieux d'acquérir les nouvelles terres dans
l'intérêt des transports aériens. Cette situation a
entraîné l'existence de considérations incompati
bles les unes avec les autres. Par conséquent, en sa
qualité de fiduciaire des Indiens, la Couronne fédé-
rale faisait face à un conflit d'intérêts. En droit, il
est clair que [TRADUCTION] «une personne qui se
charge d'une tâche pour le compte d'une autre doit
agir exclusivement au bénéfice de cette dernière,
sans tenir compte de ses propres intérêts» et que
[TRADUCTION] «Selon la règle établie en equity,
personne ne peut laisser son devoir entrer en con-
flit avec son intérêt»'. Ceci étant, on ne saurait
reprocher à la Couronne fédérale d'avoir manqué à
son obligation de fiduciaire envers les Indiens en
invoquant l'existence de considérations incompati
bles entre les différents ministères du gouverne-
ment.
Il semble également clair que [TRADUCTION]
«dans la mesure où le bénéficiaire de la fiducie agit
en pleine connaissance de cause, la vente de son
droit à un fiduciaire constitue un contrat valide».
Toutefois, dans ces conditions, [TRADUCTION] «il
incombe au fiduciaire d'établir que le bénéficiaire
' Les extraits précités figurent aux pp. 618 et 619 du Law of
Trusts In Canada, Waters, 1974. Voir au même effet l'arrêt
City of Edmonton v. Hawrelak and Sun-Alta Builders Ltd. et
al., [1972] 2 W.W.R. 561, le juge Kirby, aux pp. 583 592
inclusivement (confirmé par [1973] 1 W.W.R. 179 (C.S.
Alb.)).
avait de fait à sa disposition tous les renseigne-
ments pertinents dont le fiduciaire avait connais-
sance», (le fait que ni le fiduciaire ni le bénéficiaire
n'ont connaissance de certains renseignements per-
tinents ne semble avoir aucune importance) [TRA-
DUCTION] «et les tribunaux veillent méticuleuse-
ment à s'assurer que le bénéficiaire n'aurait pu
être privé d'aucun avantage» 2 .
Si je me fonde sur les principes précités, et si je
les applique aux faits de la présente espèce, il m'est
impossible de conclure que la Couronne fédérale a
agi [TRADUCTION] «exclusivement au bénéfice»
des Indiens en acquérant le lot A. Les Indiens ne
voulaient pas se séparer de leur terre, à l'exception
des 72 acres qu'ils avaient initialement convenu de
louer à la municipalité de Penticton, et ce, pour
des raisons logiques et légitimes. Toutefois, ils ont
finalement, de mauvais gré toutefois, consenti à un
bail de dix ans. Or, les fonctionnaires des Affaires
indiennes recommandaient cette solution, mais il
n'a pas été tenu compte de leur avis pour le motif
que le loyer demandé par les Indiens n'était pas
raisonnable. Le ministère des Transports n'a pré-
senté aucune preuve en vue de montrer que le loyer
annuel n'était pas raisonnable. En fait, toute la
preuve versée au dossier est à l'effet contraire. La
situation est la même relativement au règlement
final de 115 $ l'acre qui privait les Indiens de tous
leurs droits sur ces biens-fonds. Aucune évaluation
n'a été produite à l'appui de ce chiffre. D'autre
part, selon certaines preuves, des propriétés simi-
laires avaient été vendues plusieurs années aupara-
vant au prix de 200 à 300 $ l'acre.
À mon avis, la conclusion inéluctable à tirer du
dossier est la suivante: lorsqu'il s'est agi pour le
gouverneur en conseil de prendre une décision
finale, l'opinion du ministère des Transports l'a
emporté sur l'opinion et les recommandations du
ministère des Affaires indiennes. Sans doute, le
ministère des Transports avait un motif suffisant
et valable en vue d'exiger les biens-fonds en ques
tion le plus tôt possible à ses fins, mais cette
circonstance ne dégageait pas la Couronne fédé-
rale de l'obligation de fiduciaire qu'elle avait
envers les Indiens. Par conséquent, il ne m'est pas
difficile de conclure que la Couronne fédérale n'a
2 Les extraits précités figurent à la p. 636 du Law of Trusts
in Canada, Waters, 1974.
pas établi, comme il lui incombait de le faire, que
le marché qu'elle avait conclu n'avait privé les
Indiens d'aucun avantage.
Par conséquent, en ce qui concerne l'acquisition
du lot A, je crois que la Couronne a manqué à son
devoir de fiduciaire.
L'ACQUISITION DU LOT B
Le juge Heald a procédé à un examen exhaustif
de la preuve en ce qui concerne le lot B. Il a
mentionné les évaluations «indépendantes» au
montant de 6 831 $ et de 6 810 $ obtenues par le
sous-ministre des Transports et celle au montant
de 16 958 $ obtenue par les Affaires indiennes.
Dans une lettre adressée au ministère des Trans
ports, le ministère des Affaires indiennes a sou-
tenu que «les Indiens ... ont droit [à l'indemnité],
compte tenu du bouleversement complet du
mode de vie de leur collectivité et de ce qu'il leur
en coûtera pour s'établir dans un endroit qui leur
permettra de reprendre complètement ce mode
de vie. En raison de leur race, ils feront face à une
certaine opposition et cette opposition se reflé-
tera, lorsqu'il s'agira de s'établir dans les collecti-
vités blanches disponibles, dans le prix qu'ils
devront payer en vue d'acquérir des terres ou
propriétés ayant pour eux une valeur et une utilité
aussi grandes que celles qu'ils ont été forcés de
quitter et d'abandonner.» Pour ces motifs, on
indiquait que «l'indemnité initialement demandée
par notre agent, M. A.H. Barber, un homme avisé
et compétent, soit 28 328 $, n'est pas exorbi-
tante, à notre avis». La lettre concluait que, si le
ministère des Transports était prêt à augmenter le
montant de son offre jusqu'à concurrence de la
somme de 25 000 $, «nous tenterons d'obtenir
l'assentiment des Indiens». Le sous-ministre des
Transports a répondu qu'une dépense de
25 000 $ ne pouvait pas être justifiée et qu'il
tenterait d'obtenir du Conseil le pouvoir d'expro-
prier.
Le 20 janvier 1944, l'agent des Indiens informait
le commissaire que ces «gens ont été très
patients et semblent avoir compté sur moi en vue
d'en arriver à un règlement qui serait juste pour
eux ... ils veulent cet argent et accepteraient un
prix ridiculement bas s'ils se voyaient offrir des
chèques immédiatement; or cette situation est
loin d'être juste pour un représentant». L'agent
signalait la possibilité pour les Indiens de devoir
payer des frais s'ils n'obtenaient pas gain de
cause en cas d'arbitrage ou de poursuite en
justice.
Le 28 janvier 1944, dans une lettre au ministère
des Affaires indiennes, à Ottawa, le commissaire
demandait si la revendication pouvait être réglée
pour la somme de 15 000 $ plus 15 %, soit
16 500 $. «Ces suggestions sont formulées en
désespoir de cause, les Indiens étant privés de
leurs moyens de subsistance depuis un an, alors
qu'en les menaçant d'avoir recours à l'arbitrage,
le ministère des Transports rend tout règlement
impossible, sauf à ses propres conditions. Aupa-
ravant, personne, y compris le chemin de fer du
C.P., le West Kootenay Power & Light Company
et les ministères fédéral et provincial des Travaux
publics, n'avait contesté les évaluations de ce
bien-fonds, lesquelles s'élevaient dans certains
cas à plus de 400 $ l'acre, le prix variant habituel-
lement entre 250 et 300 $.»
Le 24 février 1945, les Affaires indiennes
envoyaient une lettre à l'agent des Indiens en lui
proposant que «nous puissions obtenir 15 000 $
en s'arrangeant à l'amiable» et en l'exhortant à
réunir les Indiens pour en arriver à une entente qui
éviterait que la Cour de l'Échiquier soit saisie de
l'affaire. L'agent a répondu qu'il était impossible
de réunir ces gens en vue de tenir une assemblée
et qu'il y avait peu de chances d'en arriver à
quelque entente satisfaisante. Mais le 9 janvier
1946, l'agent a informé les Affaires indiennes à
Ottawa qu'il avait rencontré les Indiens et que
ceux-ci accepteraient un règlement immédiat de
15 000 $. Le ministère des Transports a accepté
cette offre. En conséquence, l'agent a rencontré
les Indiens le ler février 1946. Le vote fut de 18 en
faveur de la cession et de 9 à l'encontre. Dix-huit
Indiens étaient absents, dont 10 se trouvaient aux
États-Unis. Dans son rapport aux Affaires indien-
nes, l'agent formulait l'opinion suivante: «Je
serais d'avis que cette assemblée fut fort difficile;
je ne doute pas que, si tous les membres de la
bande avaient été présents, ou si la cession était
à nouveau proposée, qu'elle serait refusée.» Un
décret ordonnant la cession et établissant le mon-
tant de l'indemnité à 15 000 $ a été passé
immédiatement.
Me fondant sur la preuve documentaire précitée
concernant l'acquisition du lot B, je tire les conclu
sions suivantes:
1. En juillet 1942, le ministère de la Défense
nationale a décidé d'agrandir l'aéroport de Pentic-
ton de façon que ce dernier puisse servir de terrain
d'atterrissage en cas d'urgence aux fins du système
de défense de la côte Ouest. A cette fin, il a été
décidé d'exproprier une superficie additionnelle
d'environ 120 acres (le lot B) appartenant aux
Indiens de Penticton. La Défense nationale éva-
luait le coût d'acquisition du lot B à 50 $ l'acre.
2. La Défense nationale ou les Transports, ou
encore les deux, ont demandé au ministère des
Affaires indiennes de faire des démarches auprès
des Indiens relativement à l'acquisition du lot B.
Les Affaires indiennes les ont assurés [TRADUC-
TION] «de leur entière collaboration», tout en veil-
lant en même temps aux intérêts des Indiens.
3. Sans qu'une procédure d'expropriation ait été
engagée et sans que les Indiens aient signé un acte
de cession ou accordé quelque autorisation, les
Transports ont entrepris les travaux sur le lot B en
septembre 1942. Entre-temps les fonctionnaires
des Affaires indiennes ont systématiquement
demandé aux Transports à quel moment les
Indiens pouvaient s'attendre à un règlement relati-
vement au lot B. Des renseignements ont été
demandés aux Transports en novembre 1942, mais
en vain. En décembre 1942, les Indiens étaient
anxieux de recevoir au moins une avance avant la
Noël. Le Ministère a de nouveau fait la sourde
oreille.
4. Finalement, en mai 1943, les Transports ont
présenté deux évaluations relatives au lot B. Dans
les deux cas, ce dernier était évalué à environ
6 800 $.
5. En novembre 1943, les Affaires indiennes ont
obtenu une évaluation du lot B, au montant de
16 958,75 $. Toutefois, les fonctionnaires des
Affaires indiennes n'étaient pas prêts à accepter ce
chiffre. Ils ont souligné que les Indiens avaient le
droit d'être indemnisés par suite du bouleverse-
ment complet de leur mode de vie et de ce qu'il
leur en coûterait pour établir de nouveau le groupe
ailleurs. Sur cette base, l'agent, M. Barber, a fixé
la valeur du lot B à 28 328 $, ses supérieurs propo-
sant de faire un compromis et d'offrir la somme de
25 000 $.
6. Les Transports ont sommairement rejeté l'of-
fre le 4 décembre 1943, et ont fait remarquer ce
qui suit: [TRADUCTION] «Étant donné que nous ne
saurions justifier cette dépense, il a été recom-
mandé au Conseil d'autoriser l'expropriation du
bien-fonds en question, et s'il nous est impossible
de régler le différend à l'amiable, de permettre le
renvoi de l'affaire à l'arbitrage.» Le décret autori-
sant l'expropriation a été passé le 20 décembre
1943.
7. Le 28 janvier 1944, le commissaire des
Indiens pour la Colombie-Britannique a suggéré,
dans son compte rendu à l'Administration centrale
à Ottawa, la possibilité d'un règlement pour une
somme d'environ 16 000 $ à 18 000 $. Puis il a
ajouté ce qui suit: [TRADUCTION] «Ces suggestions
sont formulées en désespoir de cause, les Indiens
étant privés de leurs moyens de subsistance depuis
un an, alors qu'en les menaçant d'avoir recours à
l'arbitrage, ce qu'il tarde de faire, le ministère des
Transports rend tout règlement impossible sauf à
ses propres conditions.» Il faisait ensuite remar-
quer ce qui suit: [TRADUCTION] «Auparavant, per-
sonne, y compris le chemin de fer du C.P., West
Kootenay Power & Light Company et les ministè-
res fédéral et provincial des Travaux publics,
n'avait contesté les évaluations de ce bien-fonds,
lesquelles s'élevaient dans certains cas à plus de
400 $ l'acre, le prix variant habituellement entre
250 et 300 $.» Il faisait églement mention de [TRA-
DUCTION] «l'attitude mesquine du ministère des
Transports». De plus, il faisait remarquer que la
situation, relativement au lot B, montre clairement
qu'il importe de s'entendre sur un prix ferme avant
de permettre à l'expropriant d'accéder à la pro-
priété expropriée et de l'utiliser.
8. Le 9 mars 1944, à peu près 18 mois après que
les Transports eurent pris possession du lot B et
eurent entrepris les travaux de construction, une
avance de 6 500 $ a finalement été versée.
9. Le 4 mai 1944, l'agent, M. Barber, a tenu une
assemblée avec les Indiens; ces derniers ont forte-
ment critiqué M. Barber et le ministère des Affai-
res indiennes [TRADUCTION] «pour avoir permis
l'expropriation des biens-fonds avant que la ques
tion de l'indemnité ait été réglée».
10. Le 24 février 1945, les Affaires indiennes, à
Ottawa, ont envoyé à M. Barber une lettre dans
laquelle ils exprimaient l'avis que les Transports
seraient probablement prêts à régler le différend à
l'amiable pour la somme de 15 000 $, mais que si
la question était soumise à la Cour de l'Échiquier,
ils (les Transports) n'offriraient pas pareille
somme mais offriraient plutôt [TRADUCTION] «une
somme d'environ 7 000 ou 8 000 $». On a demandé
à M. Barber de voir de quelle façon les Indiens
réagiraient à un règlement au montant de
15 000 $.
11. Après avoir rencontré les Indiens, M. Barber
a répondu le 14 mars 1945. Il a signalé que sept
des occupants indiens avaient retenu les services
d'un avocat de Vancouver et qu'ils comptaient sur
lui en vue d'obtenir une indemnité plus élevée par
suite de la demande présentée à la Cour de l'Échi-
quier. M. Kruger, le huitième réclamant, a déclaré
être prêt à accepter le règlement si une indemnité
globale de 15 000 $ était versée en échange du lot
B.
12. Le 7 janvier 1946, lors d'une assemblée
tenue dans la réserve, après [TRADUCTION] «une
discussion longue et parfois orageuse», les Indiens
ont consenti à accepter la somme de 15 000 $ à la
condition que le différend soit réglé dans les plus
brefs délais.
13. Les Transports ont alors donné leur accord
et demandé aux Affaires indiennes de veiller à
obtenir l'acte de cession requis de la bande
indienne.
14. Par conséquent, M. Barber a convoqué une
autre assemblée de la bande le lei février 1946, en
vue d'obtenir la cession. Après une vive discussion
qui a soulevé de nombreuses objections, 18 mem-
bres ont voté en faveur et 9 membres ont voté
contre la signature d'un acte de cession. M. Barber
a fait remarquer que bien que les membres pré-
sents à l'assemblée aient en majorité voté en faveur
de la cession, cela ne constituait toujours pas un
vote majoritaire de la bande étant donné que 46
membres avaient droit de vote. Il a de plus fait
remarquer que si tous les membres de la bande
avaient été présents à l'assemblée, il n'avait pas
[TRADUCTION] «le moindre doute» que la cession
aurait été refusée. Selon M. Barber, le méconten-
tement des Indiens était en grande partie attribua-
ble au fait qu'ils ne comprenaient pas pourquoi
une cession était nécessaire à l'égard du lot B alors
qu'elle n'avait pas été requise à l'égard du lot A.
De plus, ils ne pouvaient pas comprendre pourquoi
il fallait céder les biens-fonds, puisqu'ils n'en
avaient plus la possession depuis trois ans et puis-
qu'on les avait à maintes reprises informés que le
gouvernement les avait expropriés.
15. Le 5 février 1946, un décret a été passé en
vue d'ordonner la cession et de fixer l'indemnité.
Dans ce décret, il était pour la première fois
mentionné que le sous-ministre de la Justice avait
exprimé l'opinion que les terres des Indiens ne
pouvaient pas être expropriées en vertu de la Loi
des expropriations [S.R.C. 1927, chap. 64] mais
que le transfert pouvait uniquement être effectué
au moyen d'un acte de cession en bonne et due
forme.
À mon avis, l'examen des négociations en vue
d'acquérir le lot B montre clairement qu'il existait
un conflit d'intérêts entre les deux Ministères du
gouvernement canadien, comme cela avait été de
toute évidence le cas lors des négociations relatives
au lot A. Les Affaires indiennes ont vaillamment
tenté de défendre au mieux les intérêts des Indiens.
D'autre part, la Défense nationale et les Trans
ports étaient anxieux d'acquérir le lot B et
d'agrandir l'aéroport. Le fait que la valeur du
bien-fonds avait initialement été fixée à 50 $ l'acre
seulement, que ces Ministères avaient eu posses
sion de celui-ci pendant à peu près 18 mois sans
verser aux Indiens quelque acompte, à valoir sur
l'indemnité, et qu'ils avaient abordé d'une façon
plutôt nonchalante les négociations se rapportant à
l'indemnité, alors qu'ils étaient si empressés de
prendre possession des terres et de priver ainsi les
Indiens de leurs moyens de subsistance, montre
leur indifférence au sort des Indiens. La preuve
montre clairement que les Transports avaient
décidé de ne pas tenir compte des opinions bien
pesées des fonctionnaires du ministère des Affaires
indiennes quant à la valeur du bien-fonds et ne
s'étaient pas vraiment efforcés de régler le diffé-
rend. En effet, ils s'étaient contentés d'exproprier,
puis de négocier. Le commissaire MacKay a décrit
la situation d'une façon particulièrement éloquente
en disant que ses suggestions étaient formulées «en
désespoir de cause», puisque les Transports cher-
chaient à retarder les choses, ce qui empêchait un
règlement juste. Il a également qualifié l'attitude
des Transports de «mesquine». Ainsi, après avoir
été privés du lot B et sans moyens de subsistance
pendant plus de trois ans et demi, et après avoir
reçu seulement 6 500 $ à valoir sur l'indemnité,
une minorité des Indiens ayant droit de vote ont
approuvé la cession.
Ceci étant, est-il possible de conclure que la
Couronne fédérale avait exclusivement agi au
bénéfice des Indiens en négociant l'acquisition du
lot B et en établissant l'indemnité à verser? Je ne
le crois pas. De même, je ne suis pas convaincu que
tous les faits pertinents aient été complètement
divulgués aux Indiens. La preuve montre qu'ils ont
été tenus dans l'ignorance pendant de longues
périodes. Leurs terres leur ont été enlevées, et
aucune offre d'indemnisation n'a été faite dans un
délai raisonnable. On peut comprendre leur confu
sion, compte tenu de la façon dont ces questions
ont été traitées. On leur a dit que leur bien-fonds
était exproprié, puis qu'ils devraient néanmoins
signer un acte de cession relativement au lot B
mais non relativement au lot A. Étant donné qu'il
incombe à la Couronne d'établir que les Indiens
avaient à leur disposition tous les renseignements
pertinents dont elle avait connaissance, je n'hésite
aucunement à conclure que celle-ci n'a pas pré-
senté une preuve suffisante à cet égard. A mon
avis, le fait que l'opinion précitée que le sous-
ministre de la Justice a exprimée aux autres fonc-
tionnaires de la Couronne, soit que le bien-fonds
des Indiens ne pouvait être pris qu'au moyen d'un
acte de cession et non par voie d'expropriation,
montre qu'il y a eu non-divulgation. Etant donné
que je souscris à l'avis de mon collègue le juge
Urie que les expropriations étaient valides au point
de vue juridique, je fais mention de la non-divulga-
tion non pas en vue de montrer qu'elle constituait,
en droit, un obstacle aux actions de la Couronne,
mais en vue de montrer l'attitude des préposés de
la Couronne autres que les fonctionnaires de la
direction des Affaires indiennes. Ils ne se préoccu-
paient aucunement du bien-être des Indiens, sem-
ble-t-il, et laissaient le ministère des Affaires
indiennes se charger de protéger les intérêts de ces
derniers. C'était peut-être là une attitude défenda-
ble pour les fonctionnaires des autres ministères,
étant donné que leurs propres intérêts devaient
primer, vu l'urgence que suscitait l'état de guerre.
Toutefois, le gouverneur en conseil ne saurait man-
quer à son obligation de fiduciaire envers les
Indiens en se fondant sur l'existence d'autres inté-
rets primordiaux et sur d'autres considérations.
S'il avait existé quelque preuve dans le dossier que
les représentations et les plaidoyers formulés par
les Affaires indiennes pour le compte des Indiens
avaient été minutieusement examinés et bien pesés,
et si par la suite, une offre de règlement reflétant
ces représentations avait été faite, j'aurais vu les
choses sous un autre angle. A défaut de pareille
preuve, je conclus que, comme dans le cas du lot
A, la Couronne a manqué à son devoir de fidu-
ciaire relativement à l'acquisition du lot B.
LA PRESCRIPTION ET LE MANQUE DE DILIGENCE
À mon avis, en ce qui concerne le lot A, la
Couronne a manqué à son devoir de fiduciaire au
plus tard vers le mois de janvier 1941, lorsque les
décrets ont été passés en vue d'autoriser le verse-
ment d'une indemnité de 115 $ l'acre. En ce qui
concerne le lot B, elle a manqué à son devoir de
fiduciaire au plus tard vers le mois de mars ou
d'avril 1946, lorsque l'indemnité de 15 000 $ a été
payée aux Indiens. La demande a été produite le
23 mars 1979, soit 38 et 33 ans respectivement
après que la cause d'action eut pris naissance.
Le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e supp.), chap. 10] édicte
ce qui suit: «les règles de droit relatives à la
prescription des actions en vigueur ... dans une
province s'appliquent à toute procédure devant la
Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance dans cette province». Le paragraphe
38(2) édicte que: «les règles de droit relatives à la
prescription des actions désignées au paragraphe
(1) s'appliquent à toutes procédures engagées par
ou contre la Couronne».
Par conséquent, il importe d'examiner la législa-
tion provinciale qui était en vigueur en Colombie-
Britannique en matière de prescription à l'époque
qui nous intéresse. Le Statute of Limitations qui
était en vigueur en 1941 et en 1946, années au
cours desquelles les causes d'action ont pris nais-
sance, figure au chap. 159, R.S.B.C. 1936. En
vertu de cette loi, le délai de prescription applica
ble aux actions immobilières est de vingt ans.
Toutefois, l'article 38 de cette loi édicte ce qui suit:
[TRADUCTION] «Dans tous les cas od une fraude a
été cachée, le droit de quelque personne d'intenter
une poursuite en equity en vue de recouvrer tout
bien-fonds ou loyer dont cette personne, ou l'au-
teur de son droit, peut avoir été privée par suite de
pareille fraude est réputé avoir pris naissance à
l'époque où elle aurait dû prendre connaissance de
pareille fraude ou la découvrir, ou à l'époque où,
en faisant preuve d'une diligence raisonnable, elle
aurait pu le faire, et non auparavant». Contraire-
ment à ce qui s'est produit dans l'affaire Guerin,
les causes d'action, dans la présente instance,
auraient pu être découvertes si les appelants
avaient fait preuve d'une diligence raisonnable à
l'époque où celles-ci ont pris naissance. Si j'inter-
prète la preuve de la façon la plus favorable aux
appelants, les dates importantes en vertu de cet
article seraient le mois de janvier 1941 l'égard du
lot A, et le mois de février 1946 à l'égard du lot B.
Par conséquent, dans les deux cas, si le Statute of
Limitations de la Colombie-Britannique de 1936
était mis en application, le délai de prescription
aurait expiré bien avant que la poursuite eût été
engagée.
Toutefois, l'article 83 du Trustee Act, R.S.B.C.
1936, chap. 292 3 , restreint l'application du Statute
of Limitations de 1936. Selon cet article et la
common law, l'action intentée par le bénéficiaire
contre un fiduciaire n'est pas sujette à prescription
(1) lorsqu'elle est fondée sur quelque fraude ou
abus frauduleux de confiance ou (2) lorsqu'elle a
pour but le recouvrement d'un bien détenu en
fiducie.
3 Ledit article 83 édicte ce qui suit:
[TRADUCTION] 83. (1.) Les dispositions suivantes s'appli-
quent à toute action ou autre procédure intentée contre un
fiduciaire ou un ayant droit, sauf lorsque pareille action ou
procédure est fondée sur quelque fraude ou abus frauduleux de
confiance auquel le fiduciaire participait ou dont celui-ci avait
connaissance, ou a pour but le recouvrement d'un bien détenu
en fiducie, ou les produits de celui-ci que le fiduciaire détient
encore ou qu'il a reçus et convertis à son usage personnel:—
a.) Tous les droits et privilèges conférés par quelque loi
sur la prescription doivent être exercés de la même façon
et dans la même mesure que s'il s'agissait de droits et de
privilèges dans quelque action ou autre procédure dans
laquelle le fiduciaire ou son ayant droit n'aurait pas agi
en cette qualité:
b.) Si l'action ou autre procédure a pour but le recou-
vrement d'une somme d'argent ou de quelque autre bien,
et si aucune loi existante sur la prescription ne s'appli-
que à elle, le fiduciaire ou son ayant droit peut invoquer
la prescription comme fin de non-recevoir de la même
façon et dans la même mesure que s'il s'agissait d'une
action en recouvrement d'une créance découlant de la
(Suite à la page suivante)
Compte tenu de l'avis exprimé dans l'arrêt
Guerin que le gouvernement fédéral n'agissait pas
à titre de fiduciaire mais qu'il avait certaines
obligations en vertu desquelles il avait des devoirs
semblables à ceux d'un fiduciaire, il n'est pas
certains que le Trustee Act de la Colombie-Britan-
nique s'applique à la Couronne fédérale. Toutefois,
dans l'affaire Guerin, la question de la fiducie
implicite ne se posait pas étant donné qu'il n'y
avait pas enrichissement sans cause de la Cou-
ronne. Dans la présente instance, selon mon inter-
prétation des faits, il y a eu enrichissement sans
cause d'un autre organisme de la Couronne fédé-
rale, ce qui aurait bien pu donner lieu à une fiducie
implicite. Étant donné que la loi de la Colombie-
Britannique s'applique expressément à pareille
fiducie, je suppose, aux fins du présent examen,
que la Couronne fédérale peut être considérée
comme un «fiduciaire» au sens de l'article 83. Il
reste à savoir si la demande des appelants fait
partie de l'une des deux classes précitées. En ce qui
concerne la première classe, le juge de première
instance a déclaré ce qui suit dans ses motifs (à la
page 519): «Les demandeurs, à l'instruction, ont
expressément abandonné toute prétention du dol
qu'articulaient les écritures.» Par conséquent, les
appelants ne peuvent pas se prévaloir de ce moyen
d'appel. La seconde classe se rapporte aux actions
en recouvrement d'un bien détenu en fiducie. Dans
leur exposé de demande, les appelants ont
demandé le recouvrement de leur bien, et subsi-
diairement une indemnité fondée sur un manque-
ment à l'obligation de fiduciaire. Étant donné qu'à
mon avis, comme je l'ai ci-dessus fait remarquer,
(Suite de la page précédente)
réception d'une somme d'argent, mais de façon néan-
moins que le délai de prescription s'écoule à l'égard
d'une femme mariée ayant un droit de possession pour
son propre usage, qu'une restriction soit apportée ou non
à l'anticipation, mais ne s'écoule pas à l'égard de quel-
que bénéficiaire à moins que celui-ci n'ait un droit de
possession et tant que pareil droit n'existe pas.
(2.) Un bénéficiaire contre lequel un moyen de défense
valable pourrait être invoqué en vertu du présent article, ne doit
pas, par suite d'une ordonnance ou d'un jugement obtenu par
quelque autre bénéficiaire, profiter d'un avantage plus impor
tant ou d'un avantage autre que celui qu'il aurait pu obtenir s'il
avait intenté pareille action ou autre procédure et si un moyen
prévu par le présent article avait été invoqué.
(3.) Le présent article ne doit s'appliquer qu'aux actions ou
autres procédures intentées après le premier janvier 1906 et ne
doit pas priver quelque exécuteur ou administrateur d'un droit
ou moyen de défense dont il pourrait se prévaloir en vertu d'une
loi existante sur la prescription.
la procédure d'expropriation est incontestablement
valide dans la présente instance, les appelants ne
peuvent se prévaloir d'une action en vue de recou-
vrer la possession du bien détenu en fiducie lui-
même. Il reste à savoir si la demande subsidiaire
d'indemnisation présentée par les appelants peut
être considérée comme une action en «recouvre-
ment d'un bien détenu en fiducie» au sens de
l'article 83. La Cour suprême de l'Ontario a étudié
la question dans l'affaire McLellan v. Milne &
Magee 4 , dans laquelle il a été jugé, relativement à
un article de la Loi ontarienne sur la prescription
dont le libellé était presque identique à celui de
l'article 83, qu'une action en vue d'obtenir un
jugement obligeant un avocat à indemniser son
client par suite d'un manquement à son obligation
de fiduciaire ne constitue pas une action en recou-
vrement d'un bien détenu en fiducie. Dans la
présente instance, pareille demande se rapproche
énormément de la demande subsidiaire. Étant
donné que je partage l'avis du juge McTague, j'ai
conclu que la demande subsidiaire d'indemnisation
présentée par les appelants ne peut pas être consi-
dérée comme une action en «recouvrement d'un
bien détenu en fiducie». Pour tous les motifs préci-
tés, je suis d'avis que le Statute of Limitations de
1936 de la C.-B., modifié par le Trustee Act de
1936, n'autorisait pas les appelants à intenter leur
action en 1979.
Toutefois, même si je commets une erreur en
tirant la conclusion précitée, soit que les disposi
tions de l'article 83 du Trustee Act de 1936 de la
Colombie-Britannique n'ont pas l'effet d'empêcher
quelque délai de prescription de commencer à
s'écouler, je crois que compte tenu des dispositions
transitoires du Limitation Act de la Colombie-Bri-
tannique de 1975 5 , qui était en vigueur au moment
où l'action a été intentée en 1979, la demande des
appelants est en tout état de cause irrecevable.
Cette loi est entrée en vigueur le 1°r juillet 1975.
Le paragraphe 14(3) édicte ce qui suit:
14....
(3) Si, relativement à une cause d'action qui a pris naissance
avant l'entrée en vigueur de la présente Loi, le délai de pres
cription établi dans la présente Loi est plus court que celui qui
s'appliquait antérieurement à la cause d'action et doit expirer le
1" juillet 1977 ou auparavant, le délai de prescription s'appli-
quant à cette cause d'action est le plus court des deux délais
suivants:
4 [1937] 3 D.L.R. 659 (C.S. Ont.), à la p. 671, le juge
McTague.
5 Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236.
a) deux années à compter du 1" juillet 1975, ou
b) le délai de prescription qui s'appliquait antérieurement à
la cause d'action.
En supposant que le Trustee Act de 1936 s'ap-
plique et qu'aucun délai de prescription établi dans
ladite loi ne s'applique à la présente demande, il
semblerait que ce soit le délai établi à l'alinéa
14(3)a) de la loi de 1975 qui s'applique dans la
présente espèce. Par conséquent, aux termes du
paragraphe 14(3) de la loi de 1975, le délai de
prescription aurait expiré le 1 ®r juillet 1977, pres-
que deux ans avant la date de la production de la
présente demande.
D'autre part, si les dispositions transitoires du
Limitation Act de 1975 ne s'appliquent pas, il est
probable que les dispositions des articles 8 et 9 de
cette loi auraient l'effet de rendre la présente
action irrecevable. Le paragraphe 8(1) se rapporte
à la [TRADUCTION] «prescription finale» et édicte
ce qui suit:
[TRADUCTION] 8. (1) Sous réserve du paragraphe 3(3), mais
nonobstant ... l'interruption ou la suspension du délai en vertu
de l'article 6 ... aucune action à laquelle s'applique la présente
Loi ne doit être intentée après l'expiration d'un délai de trente
ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris
naissance ...
(Le libellé de l'article 6 dudit Limitation Act de
1975 est semblable à celui de l'article 83 du Trus
tee Act de 1936.) Étant donné que je ne crois pas
que les exceptions mentionnées dans le paragraphe
3(3) s'appliquent dans la présente espèce (puisque
les expropriations étaient valides, il ne s'agit pas
d'une affaire de trouble de jouissance) et étant
donné qu'au moins trente-trois années se sont
écoulées entre le moment où la cause d'action a
pris naissance et celui où la demande a été pro-
duite, je conclus que conformément au paragraphe
8(1) du Limitation Act qui était en vigueur au
moment où l'action a été intentée, la présente
demande est irrecevable. De plus, le paragraphe
9(1) de la loi de 1975 édicte qu'à l'expiration du
délai de prescription fixé par la loi, la cause d'ac-
tion est éteinte.
Pour tous les motifs précités, je suis malheureu-
sement d'avis que la demande des appelants est
irrecevable. Ceci étant, il est inutile d'examiner le
moyen de défense fondé sur le manque de diligence
qu'a invoqué l'intimée.
Par conséquent, à mon avis, l'appel devrait être
rejeté avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Il s'agit d'un appel formé contre la décision
rendue par le juge Mahoney rejetant une action
découlant de l'expropriation, à deux reprises, de
terres d'une réserve indienne. Il a été soutenu
que la défenderesse n'avait pas fait preuve de
l'attention, des soins et de la prudence requis
d'un fiduciaire. Les demandeurs ont tenté d'obte-
nir une déclaration à cet effet ainsi que des
dommages-intérêts.
Le ministère des Transports voulait acquérir le
lot A aux fins d'établissement d'un aéroport, car
ce lot se trouvait dans une vallée qui était l'un des
rares endroits de cette région montagneuse où
les avions de la Trans -Canada Air Lines pouvaient
atterrir en toute sécurité en cas de mauvais
temps. Les Indiens avaient déjà convenu de louer
72,56 acres de terrain pour un aéroport municipal
au prix de 6,50 $ l'acre par année en plus d'une
autre contrepartie. Le Ministère avait besoin de
153,8 acres. L'agent des Indiens, qui menait les
négociations pour le compte de ceux-ci, a informé
son supérieur qu'ils n'étaient pas d'accord pour
louer une plus grande superficie. L'agent a toute-
fois réussi à les convaincre de louer le terrain
requis pour une période de 10 ans au prix de 10 $
l'acre. Les Indiens voulaient obtenir un loyer plus
élevé étant donné que les terres requises com-
prenaient une bonne partie des parcs à fourrage
et des pâturages. Le Ministère a décidé d'expro-
prier le lot A et d'offrir 100 $ l'acre à titre d'indem-
nité. Le décret C.P. 659, sanctionné le 29 janvier
1941, fixait l'indemnité à 115 $ l'acre et, selon le
libellé du document, les Indiens en étaient satis-
faits. L'indemnité a été, de fait, acceptée par les
Indiens.
Le ministère de la Défense nationale pour l'air
avait besoin du lot B, c'est-à-dire 120 acres addi-
tionnels, en vue de servir de terrain d'atterrissage
d'urgence pour le système de défense de la côte
Ouest. Les travaux ont commencé sur le lot 8 en
septembre 1942, avant que le terrain soit expro-
prié ou acquis d'une autre façon. Les Indiens se
sont opposés à la prise de possession du terrain
avant le paiement de l'indemnité. Des négocia-
tions ont eu lieu. L'expropriation a été complétée
en février 1944. En mai, les Indiens ont rejeté une
offre de paiement provisoire à titre d'indemnité.
Le 9 janvier 1946, l'agent des Indiens faisait
,savoir qu'ils accepteraient une somme de
15 000 $ si celle-ci leur était versée immédiate-
ment et dans le but d'éviter un litige. Le 14
janvier, le sous-ministre des Transports informait
les Affaires indiennes que l'offre de règlement
était acceptée. Mais le l er février, l'agent des
Indiens, sur les ordres de ses supérieurs, convo-
quait une réunion afin d'obtenir le consentement
de la bande à la cession du lot B. Vingt-huit des
46 personnes qui avaient le droit de voter y ont
assisté, et le vote fut le suivant: 18 en faveur de la
cession, 9 contre elle et 1 abstention'. L'agent a
fait remarquer que la proposition de cession
aurait été défaite si tous les membres de la bande
avaient été présents. ll a également indiqué que
les Indiens ne parvenaient pas à comprendre
pourquoi on leur demandait de céder un terrain
qui leur avait été enlevé 3 ans auparavant. Il a
ajouté qu'il avait été embarrassant pour lui de leur
demander d'accepter que le Ministère vende ce
terrain qui avait été supposément exproprié. La
cession a été acceptée par la Couronne, et l'in-
demnité a été versée. La raison pour laquelle on
aurait demandé à l'agent d'obtenir une cession
était que le ministère de la Justice avait émis
l'opinion que les terres des Indiens ne pouvaient
pas faire l'objet d'une expropriation.
Les Indiens soutiennent que l'exécution de la
cession ne constituait pas une acceptation du
manquement de la part de la Couronne à ses
obligations de fiduciaire, car ils n'étaient pas au
courant de l'illégalité de l'expropriation. Il était
impossible de donner un consentement bien
informé à un manquement qui n'était pas rapporté
pleinement par un fiduciaire en défaut. Il a été
signalé que seul le lot B a fait l'objet d'une
cession. Les Indiens allèguent qu'en ayant
recours à l'expropriation, le ministère des Trans
ports privait les Affaires indiennes de leur arme
principale, c'est-à-dire du droit de refuser de
vendre ou de louer l'immeuble si ce n'est â des
conditions convenables. Il a été soutenu que la
Couronne avait ainsi manqué à ses obligations de
fiduciaire envers les Indiens.
II
LES POINTS EN LITIGE
Dans leur exposé des faits et du droit, les appe-
lants définissent comme suit les points en litige:
[TRADUCTION] 1. L'art. 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927,
chapitre 98, confère-t-il à l'intimée (ci-après appelée la «Cou-
ronne») le droit d'exproprier des terres situées dans une
réserve? Nous soutenons que non.
2. Si l'art. 48 de la Loi des Indiens autorise la Couronne à
exproprier les terres d'une réserve, pareil pouvoir a-t-il été
exercé d'une façon légitime dans la présente espèce? Les appe-
lants soutiennent ici encore qu'il faudrait répondre à cette
question par la négative. Toutefois, une question fondamentale
qui s'est posée dans les motifs du savant juge de première
instance est celle de savoir si le tribunal peut statuer sur la
légitimité de l'exercice de pareil pouvoir. Les appelants soutien-
nent qu'il le peut.
3. Compte tenu de la conclusion du savant juge de première
instance que la Couronne agissait à titre de fiduciaire pour le
compte des appelants (conclusion qu'aucune des parties n'a
contestée lors de l'appel), la Couronne a-t-elle manqué à son
obligation, et ce, quels que soient les pouvoirs d'expropriation
qu'elle pourrait de prime abord avoir? Les appelants soutien-
nent que oui, et ce, même si le présent tribunal conclut à
l'existence d'un pouvoir d'expropriation et juge que pareil
pouvoir a été exercé conformément aux dispositions pertinentes.
Les appelants adoptent cette position parce que les biens-fonds
en litige sont non seulement soumis aux dispositions légales
générales se rapportant aux terres situées dans les réserves,
mais également aux règles particulières relatives aux biens
détenus en fiducie en Colombie-Britannique. Par conséquent, la
Couronne est soumise aux règles interdisant à un fiduciaire
d'acquérir pour son propre compte un bien détenu en fiducie ou
de se mettre dans une situation susceptible d'entraîner un
conflit entre ses intérêts personnels et ses obligations de
fiduciaire.
4. Si la Couronne a manqué à son devoir de fiduciaire, les
appelants y ont-ils consenti, de façon à dégager celle-ci de toute
responsabilité à leur égard? Nous soutenons que non.
III
LES PLAIDOIRIES
1. L'article 48 de la Loi des Indiens
Étant donné que les prétentions de l'avocat des
appelants quant à la portée et à l'applicabilité de
l'article 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927,
chap. 98, mettent dans une certaine mesure en
cause l'article 50 de cette Loi, il est bon de citer les
deux articles en question.
48. Nulle partie d'une réserve ne peut être expropriée pour
les besoins d'un chemin de fer, d'une route, d'un ouvrage public
ou d'un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le
consentement du gouverneur en son conseil, niais toute compa-
gnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir
conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d'exproprier
ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans
le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du
gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément
aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer
ce pouvoir conféré par une loi à l'égard de toute réserve ou
partie d'une réserve.
2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la
bande, et l'exercice de ce pouvoir et l'expropriation des terres
ou l'acquisition d'un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation
et le versement de l'indemnité doivent, à moins de dispositions
contraires dans l'arrêté en conseil qui fait preuve du consente-
ment du gouverneur en son conseil, être régis par les prescrip
tions applicables à des procédures similaires prises par cette
compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas
ordinaires.
3. Chaque fois qu'un arbitrage a lieu, le surintendant général
nomme l'arbitre de la part des Indiens et agit pour eux en toute
chose relative au règlement de cette indemnité.
4. La somme adjugée dans chaque cas est versée au ministre
des Finances pour l'usage de la bande d'Indiens au profit de
laquelle la réserve est affectée, et au profit de tout Indien qui y
a fait des améliorations, ou lésé.
50. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle
réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ni
affermée, avant d'avoir été cédée ou rétrocédée à la Couronne
pour les objets de la présente Partie; mais le surintendant
général peut donner à bail, au profit de quelque Indien, sur sa
demande, la terre à laquelle celui-ci a droit, sans cession ni
abandon, et il peut, sans qu'il y ait eu abandon, disposer de la
manière la plus avantageuse possible pour les Indiens des
graminées sauvages et du bois mort sur pied ou du chablis.
2. Le gouverneur en son conseil peut établir des règlements
autorisant le surintendant général, sans qu'il y ait abandon, à
donner à bail les droits de surface dans une réserve indienne,
aux termes et conditions qui peuvent être jugés convenables
dans l'intérêt des Indiens, seulement pour l'étendue qui peut
être nécessaire à l'exploitation minière des métaux précieux par
tout individu par ailleurs autorisé à extraire ces métaux, lesdits
termes devant assurer à un occupant de terre une indemnité
pour tout dommage qui peut y être causé, suivant que le
surintendant général le décide.
L'avocat des appelants a soutenu avec véhé-
mence que la Loi des Indiens de 1927 ne confère
pas à la Couronne le pouvoir d'exproprier les terres
d'une réserve. Il a affirmé que l'article 48 empêche
toute appropriation coercitive, aux fins d'un
«ouvrage public», sans le consentement préalable
du gouverneur en conseil. Selon son interprétation
de l'article, ce dernier édicte que si pareil consente-
ment a été obtenu, «toute compagnie ou autorité
municipale ou locale possédant le pouvoir conféré
par une loi, soit fédérale, soit provinciale» d'expro-
prier des terrains peut exproprier les terrains d'une
réserve, si elle respecte les conditions du consente-
ment. L'avocat n'a trouvé dans l'article aucune
disposition expresse ou implicite conférant à la
Couronne, par opposition aux compagnies ou aux
autorités détenant un pouvoir d'expropriation en
vertu de la loi, le pouvoir de prendre les terres
d'une réserve.
De plus, a-t-il soutenu, même si la Couronne a le
droit d'exproprier un bien-fonds par suite du con-
sentement, elle ne peut le faire que conformément
à la Loi des expropriations, S.R.C. 1927, chap. 64,
soit aux fins d'un «ouvrage public», au sens de
l'alinéa 2f) de cette Loi, lequel ne comprend pas
les aéroports. La définition donnée est la suivante:
2. En la présente loi, à moins que le contexte ne s'y oppose,
l'expression
j) «ouvrage public» ou «travaux publics» signifie et com-
prend les barrages, travaux hydrauliques, privilèges
hydrauliques, ports, quais, jetées, docks ou bassins et
ouvrages qui ont pour but d'améliorer la navigation de
toutes eaux, les phares et les balises, les glissoires,
digues, caissons, barrages flottants et autres ouvrages
qui ont pour but de faciliter le flottage du bois, les ponts
et chaussées, les édifices publics, les lignes de télégra-
phes, les chemins de fer de l'Etat, les canaux, les écluses,
les cales sèches, les fortifications et autres travaux de
défense, et tous les autres immeubles appartenant
actuellement au Canada, et aussi les ouvrages et immeu-
bles acquis, construits, prolongés, agrandis, réparés ou
améliorés aux frais du Canada ou pour l'acquisition, la
construction, la réparation, le prolongement, l'agrandis-
sement ou l'amélioration desquels des deniers publics
sont votés et affectés par le Parlement, et tout ouvrage
nécessaire à quelqu'une de ces fins—mais non les tra-
vaux pour lesquels des deniers sont votés à titre de
subvention seulement;
En ce qui concerne ce dernier argument, le
savant juge de première instance, après avoir cité
au long l'alinéa 2f) et avoir mis l'accent sur le
passage ci-dessus souligné, a déclaré ce qui suit [à
la page 515]:
La portion de la définition que j'ai soulignée peut, de toute
évidence, être séparée des ouvrages particuliers énumérés aupa-
ravant; on ne cherche pas à la restreindre à des ouvrages
semblables à ceux-là. Le libellé des décrets pertinents, les pièces
P-44, quant au lot «A», et P-46, quant au lot «B», montre
clairement que des fonds publics ont été votés et retenus pour
cet achat. La Loi de l'aéronautique, S.R.C. 1927, chap. 3
[maintenant S.R.C. 1970, chap. A-3] portait:
3. Il incombe au ministre
c) De construire et maintenir tous les aérodromes et sta
tions ou postes d'aéronautique de l'Etat, y compris
toutes les installations, machines et tous les bâtiments
nécessaires à leur équipement et entretien efficaces;
Les aéroports constituaient donc à l'époque en cause des ouvra-
ges publics que visait la Loi des expropriations. D'ailleurs, une
jurisprudence ultérieure montre clairement qu'une fois un ter
rain exproprié, comme l'ont été les lots «A» et «B», selon la
procédure du dépôt des actes pertinents au bureau d'enregistre-
ment conformément à l'art. 9 de la Loi des expropriations, il ne
peut être mis en doute qu'ils ont été expropriés pour un
«ouvrage public))...
Je souscris à ce raisonnement et à cette conclu
sion; il est donc inutile d'étudier la question plus à
fond.
Je me pencherai maintenant sur la question plus
difficile du paragraphe 48 (1) de la Loi des Indiens
à laquelle l'avocat n'a pas accordé autant d'impor-
tance en première instance que devant le présent
tribunal, me semble-t-il. À première vue, l'argu-
ment dont nous venons de faire mention a un poids
considérable, particulièrement lorsqu'il est tenu
compte du paragraphe (2). Notons les termes «En
ce cas», qui figurent au début du paragraphe et qui
se rapportent de toute évidence à un cas prévu par
le paragraphe (1). De prime abord, il s'agirait du
cas où «toute compagnie ou autorité municipale ou
locale possédant le pouvoir conféré par une loi .. .
d'exproprier ou d'utiliser des terrains ... avec le
consentement du gouverneur en son conseil comme
susdit» (c'est moi qui souligne) exercerait pareil
pouvoir en expropriant quelque réserve ou partie
de réserve. Les termes «comme susdit» doivent se
rapporter au début du paragraphe, qui est rédigé
en ces termes: «Nulle partie d'une réserve ne peut
être expropriée pour les besoins ... d'un ouvrage
public ... sans le consentement du gouverneur en
son conseil». En ce qui nous concerne, la seule
restriction à laquelle est soumis l'organisme
«expropriant», aux termes de l'article, est que l'ex-
propriation doit être effectuée aux fins d'un
«ouvrage public». Il n'est fait mention des organis-
mes particuliers détenant «le pouvoir conféré par
une loi ... d'exproprier» qu'après le terme «mais».
Si l'interprétation que proposent les appelants
est la bonne, pourquoi le législateur juge-t-il néces-
saire de limiter dans le reste du paragraphe le
caractère général des quatre premières lignes en
faisant mention des organismes autres que la Cou-
ronne qui ont un pouvoir d'expropriation? A coup
sûr, il entendait ainsi établir une distinction entre
pareils organismes ou compagnies et la Couronne,
ceux-ci pouvant être soumis aux «termes et condi
tions» imposés par le consentement. De cette façon,
l'interprétation suivante du paragraphe donnée par
le juge de première instance semble être bien
fondée et exacte:
La disposition fondamentale du par. 48(1) porte qu'aucune
appropriation coercitive ne peut être effectuée sans le consente-
ment requis; le reste du paragraphe élargit plutôt qu'il ne
restreint cette exigence, établissant clairement que le consente-
ment peut être donné à toute autorité privée ou publique et
qu'il peut être conditionnel. Ce serait bien étrange en vérité si,
selon le par. 48(1), le gouverneur en conseil, sans l'agrément de
la bande lors de la cession d'un bien-fonds de la réserve, pouvait
consentir qu'une autre autorité exproprie ces terrains mais ne
pouvait donner cet agrément lorsque l'autorité expropriante est
la Couronne du Canada elle-même.
Bien sûr, les dispositions d'une loi devraient être
interprétées selon le contexte dans lequel elles
s'inscrivent. Ceci étant, il importe de tenir compte
du paragraphe (2) de l'article 48. Non seulement
le paragraphe en question commence-t-il en ces
termes: «En ce cas», ce qui peut uniquement se
rapporter au paragraphe (1) mais encore les
quatre dernières lignes dudit paragraphe font men
tion de la fixation de l'indemnité à verser par suite
de l'expropriation, laquelle doit «être régi[e] par
les prescriptions applicables à des procédures simi-
laires prises par cette compagnie, ou cette autorité
municipale ou locale dans des cas ordinaires» (c'est
moi qui souligne). Ce sont là les organismes dont il
est fait mention dans la dernière partie du para-
graphe (1) et qui détiennent un pouvoir légal
d'expropriation. Comment l'interprétation donnée
par le juge de première instance à l'égard du
paragraphe (1) est-elle touchée par la portée res-
treinte des prescriptions figurant dans le paragra-
phe (2) relativement à la fixation de l'indemnité?
Pour répondre plus facilement à cette question,
il est à mon avis nécessaire d'examiner la suite des
événements qui ont mené à l'adoption de l'article
48. Cette disposition est apparue pour la première
fois à l'article 37 de L'acte des chemins de fer,
1868 [31 Vict., chap. 68]. Le libellé de cet article
était très différent de celui de l'article ici à l'étude.
Il a été reproduit presque textuellement dans
l'Acte refondu des chemins de fer, 1879, 42 Vict.,
chap. 9, art. 37.
Dans l'Acte relatif aux Sauvages, 1880, 43
Vict., chap. 28, figurait l'article 31, qui différait de
l'article 37 de l'Acte des chemins de fer de 1879,
comme en font foi les passages soulignés de l'arti-
cle en question ci-dessous énoncé:
31. Si un chemin de fer ou une route passe, ou des travaux
publics se font sur une réserve appartenant à une bande de
Sauvages ou possédée par elle, ou s'ils y causent quelque
dommage, ou si une réserve reçoit quelque dommage de l'exé-
cution d'un acte du parlement ou de la législature d'une
province, il sera payé une indemnité à cette bande, de la
manière qui est prescrite relativement aux terres ou aux droits
d'autres personnes. Dans tous les cas où un arbitrage sera
possible, le Surintendant-Général nommera l'arbitre de la part
des Sauvages et agira pour eux en toute chose relative au
règlement de cette idemnité; et la somme adjugée dans chaque
cas sera remise au Receveur-Général pour l'usage de la bande
de Sauvages au profit de laquelle la réserve est affectée, et pour
le profit de tout Sauvage qui y aura fait des améliorations.
Pour la première fois, les Indiens acquéraient le
droit d'être indemnisés non seulement lorsque des
chemins de fer traversaient leur réserve, mais éga-
lement lorsque des «routes ou travaux publics» y
étaient construits. Notons que la loi prévoyait la
désignation d'un arbitre et le versement d'une
indemnité. Soulignons que les articles 36 et 37
prévoyaient les cas dans lesquels les terres d'une
réserve devaient être cédées ou abandonnées avant
de pouvoir être vendues, aliénées ou affermées. Ce
sont là les articles qui étaient en vigueur avant
l'adoption de l'article 50 de la Loi des Indiens de
1927 précité.
Dans les Statuts révisés du Canada de 1886
[chap. 43], l'article 31 est devenu l'article 35 [de
l'Acte des Sauvages] (reproduisant presque tex-
tuellement le texte de la Loi de 1880) et les
articles 36 et 37 sont devenus les articles 38 et 39.
Par une modification apportée en 1886, les termes
soulignés ont été ajoutés à l'article 35, qui est
devenu l'article 46 des Statuts révisés du Canada
de 1906 [chap. 81].
46. Aucune portion d'une réserve ne peut être prise pour un
chemin de fer, une route ou des travaux publics sans le consen-
tement du gouverneur en conseil; et, si une réserve éprouve
quelque dommage par suite de l'exécution d'une loi du parle-
ment ou de la législature d'une province, il est payé une
indemnité à cette bande, de la manière qui est prescrite relati-
vement aux terres ou aux droits d'autres personnes.
2. Dans tous les cas où un arbitrage a lieu, le surintendant
général nomme l'arbitre de la part des sauvages et agit pour
eux en toute chose relative au règlement de cette indemnité.
3. La somme adjugée dans chaque cas est remise au ministre
des Finances pour l'usage de la bande de sauvages au profit de
laquelle la réserve est affectée, et pour le profit de tout sauvage
qui y a fait des améliorations.
Il importe de noter deux choses. En premier lieu,
les termes soulignés sont semblables à ceux qui
figurent dans toutes les versions subséquentes de la
Loi et en particulier dans les quatre premières
lignes de l'article 48 de la Loi des Indiens de 1927,
et ce, même si le reste de ce dernier article est très
différent. En second lieu, les paragraphes (2) et
(3) sont semblables aux paragraphes (3) et (4) de
la Loi de 1927.
L'article 46 a été abrogé en 1911 et remplacé
par l'article 1 suivant, figurant dans 1-2 Geo. V,
chap. 14:
46. Nulle partie d'une réserve ne doit être prise pour les
besoins d'un chemin de fer, d'une route, d'un ouvrage public ou
d'un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consen-
tement du Gouverneur en conseil, mais toute compagnie ou
toute autorité municipale ou provinciale possédant le pouvoir
statutaire, soit fédéral soit provincial, de prendre et d'utiliser
des terres ou quelque intérêt dans des terres, sans le consente-
ment du propriétaire, peut, avec le consentement du Gouver-
neur en conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et
conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir
statutaire à l'égard de toute réserve ou partie d'une réserve, et
dans tout pareil cas une indemnité doit être versée aux sauvages
de la bande, et l'exercice de ce pouvoir et la prise des terres ou
d'un intérêt dans des terres, ainsi que la détermination et le
versement de l'indemnité doivent, à moins de dispositions con-
traires dans l'arrêté du conseil qui fait preuve du consentement
du Gouverneur en conseil, être régis par les prescriptions
applicables à des procédures similaires prises par cette compa-
gnie, ou cette autorité municipale ou provinciale dans des cas
ordinaires.
Notons que plusieurs modifications ont été
apportées:
(1) tout ce qui vient après le terme «mais», à la
quatrième ligne, est entièrement nouveau;
(2) l'emploi du terme «mais» plutôt que de la
conjonction «et»;
(3) l'inclusion, après la virgule, des termes sui-
vants; «et dans tout pareil cas une indemnité doit
être versée aux sauvages de la bande», jusqu'à la
fin de l'article.
Selon moi, ces modifications sont importantes
pour les raisons suivantes:
(1) l'emploi du terme «mais» par le législateur était
destiné à établir une distinction, relativement aux
conditions s'appliquant aux organismes autres que
la Couronne auxquels la loi conférait un pouvoir
d'expropriation en assurant l'application, aux fins
de la Loi des Indiens, des formalités d'expropria-
tion établies dans leurs lois constitutives et en
autorisant le gouverneur en conseil à ne consentir à
l'expropriation, par ces organismes, des terres
d'une réserve que si certaines conditions étaient
remplies. Les versions antérieures de l'article ne
conféraient aucun pouvoir restrictif de ce genre.
Étant donné qu'à part les compagnies et les autori-
tés municipales ou locales s'étant vu conférer
pareil pouvoir d'expropriation par le gouvernement
fédéral ou par un gouvernement provincial, le seul
organisme détenant un pouvoir d'expropriation
était la Couronne fédérale, les quatre premières
lignes du paragraphe doivent se rapporter à
celle-ci;
(2) la dernière partie du paragraphe, traitant de
l'indemnisation, et commençant par «et dans tout
pareil cas», vise de toute évidence les autorités
auxquelles la loi confère le pouvoir «de prendre et
d'utiliser des terres ... sans le consentement du
propriétaire».
À mon avis, l'examen de l'article 46 nous aide
énormément à interpréter l'article 48 de la Loi de
1927. Les remarques que j'ai faites au sujet de
l'article 46 s'appliquent également à l'article 48,
étant donné qu'à l'exception de ce dont je ferai
ci-dessous mention, son libellé est semblable. De
plus, selon cette interprétation, l'importance du
paragraphe (2) de l'article 48 précité devient plus
évidente. Le libellé de ce paragraphe est semblable
à celui de l'article 46 après les termes «et dans tout
pareil cas», sauf que la conjonction «et» n'y figure
pas. En fait, l'article 46 a simplement été divisé en
deux paragraphes. Étant donné qu'à mon sens, il
est clair que les termes «et dans tout pareil cas» de
l'article 46 s'appliquaient uniquement aux organis-
mes détenant un pouvoir d'expropriation en vertu
de la loi, il devait sûrement en être ainsi après
l'adoption de la nouvelle numérotation, de façon à
assurer une interprétation compatible du paragra-
phe en question.
Mon opinion que c'est là l'interprétation à
donner au paragraphe (1) de l'article 48 est ren-
forcée par le fait que le libellé des paragraphes (3)
et (4) de cet article était semblable à celui des
paragraphes (2) et (3) de la version de 1906 de la
Loi des sauvages et semble être demeuré tel dans
les paragraphes (2) et (3) de l'article 46 de la Loi
modificative de 1911, étant donné que seul le
paragraphe (1) a été abrogé et remplacé dans cette
dernière Loi. Puisque ces paragraphes s'appliquent
«dans tous les cas où un arbitrage a lieu», ils
sembleraient s'appliquer aux compagnies et autori-
tés auxquelles la loi confère un pouvoir d'expro-
priation et dont les lois constitutives prévoient
l'arbitrage. Je n'ai trouvé dans la Loi des Indiens
de 1927 aucun article prévoyant l'arbitrage, et les
parties n'en ont invoqué aucun. Ceci étant, il
semble que deux formes distinctes d'expropriation
aient été envisagées par le paragraphe (1) de
l'article 48, soit le cas où l'expropriation est effec-
tuée par le gouvernement fédéral et celui où elle
est effectuée en vertu d'autres pouvoirs conférés
par la loi.
En outre, à mon avis, contrairement aux préten-
tions de l'avocat des appelants, l'article 50 précité
n'exige pas que les terres d'une réserve soient
cédées ou abandonnées par les Indiens à la Cou-
ronne dans tous les cas où elles doivent lui être
transmises. L'article 50 s'applique clairement aux
cas où les terres d'une réserve doivent être «ven-
due[s], aliénée[s] [ou] affermée[s]». À mon sens,
les terres en question doivent être cédées ou aban-
données à la Couronne si cette dernière se propose
de les vendre ou de les louer à un tiers. Cela lui
permet ainsi d'assurer le respect de ses obligations
envers les Indiens. L'avocat a reconnu que c'était
peut-être vrai, mais que l'emploi du terme «alié-
née» engloberait l'expropriation des terres d'une
réserve par la Couronne.
Je ne souscrits pas à cet avis. Compte tenu du
contexte, le terme «aliénée» n'est pas utilisé dans
un sens technique, et ne s'applique pas aux faits de
l'espèce. À cet égard, dans l'arrêt Meek v. Parsons
et al. (1900), 31 O.R. 529 (C. div.), le juge en chef
Armour, citant l'arrêt Masters v. Madison County
Mutual Ins. Co. (1852) 11 Barb. 624 (N.Y. App.
Div.), a déclaré ce qui suit [à la page 533]:
[TRADUCTION] Le terme «aliéner» a dans le langage juridi-
que un sens particulier; or, un transfert de bien immobilier, à
défaut de cession de titre, ne constitue pas une aliénation du
bien en question. Quelle que soit la forme que peut prendre la
vente, si le titre n'est pas cédé à l'acquéreur, l'«immeuble» n'est
pas aliéné.
Ceci étant, il aurait été possible de soutenir le
contraire si les faits avaient été autres, mais dans
la présente instance, étant donné que le début de
l'article 50 est rédigé en ces termes, soit: «Sauf
dispositions contraires de la présente Partie», l'alié-
nation (dans la mesure où une expropriation cons-
titue une aliénation au sens strict du terme) décou-
lant d'une expropriation effectuée conformément à
l'article 48 (qui est inclus dans «la présente
Partie») n'était pas soumise aux prescriptions rela
tives à la cession ou à l'abandon qui auraient
autrement pu s'appliquer. Par conséquent, à mon
avis, l'article 50 ne s'applique pas lorsque les terres
de la réserve sont expropriées conformément à
l'article 48 de la Loi des Indiens.
L'avocat des appelants a invoqué l'arrêt Point v.
Dibblee Construction Co. Ltd., et al., [1934] O.R.
142 (H.C.), aux pages 151 et 152, l'appui de ses
prétentions. Le passage sur lequel il s'appuyait est
le suivant:
[TRADUCTION] C'est la Couronne qui est propriétaire des
biens-fonds affectés par traité ou autrement à l'usage d'une
bande indienne particulière. Les Indiens ont sur ceux-ci un
droit personnel de la nature d'un usufruit, qui dépend du
vouloir du souverain. Ils n'ont sur les biens-fonds aucun droit de
propriété: Attorney -General for Quebec v. Attorney -General
for Canada, [1921] 1 A.C. 401; Reg. v. St. Catharines Milling
and Lumber Co. (1885), 10 O.R. 196, confirmé dans (1886),
13 A.R. 148, (1887), 13 S.C.R. 577, (1889), 14 App. Cas. 46.
Pour un exposé sur les terres publiques de l'Ontario et la ligne
de conduite canadienne relativement aux questions indiennes,
voir le jugement bien connu que le juge Boyd a rendu, dans 10
O.R., à la p. 203, et le Report on the Affairs of the Indians in
Canada (1842), annexe E.E.E. des journaux de l'Assemblée
législative de la province du Canada, vol. 4. Les terres situées
sur l'île de Cornwall appartiennent à Sa Majesté le Roi du
Canada (l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30
Vict., chap. 3 (Imp.), voir: 91(24); The King v. Easterbrook,
[1929] R.C.E. 28, confirmé dans [1931] S.C.R. 210). C'est la
raison pour laquelle aucune cession ni aucun abandon de
quelque réserve ou partie d'une réserve par les Indiens à
quelque personne autre que Sa Majesté ne sont valides (art. 50
à 54). Ceci étant, comment la prérogative de la Couronne de
disposer de ses propres biens peut-elle être entravée? Aucune
disposition de quelque loi ne doit influer, de quelque façon que
ce soit, sur les droits de Sa Majesté, de ses hoirs et de ses
successeurs, à moins qu'il n'y soit expressément mentionné que
Sa Majesté est liée (Loi de l'interprétation, S.R.C. 1927, chap.
1, art. 16).
Selon l'interprétation que je donne à la Loi des Indiens,
S.R.C. 1927, chap. 98, aucune restriction n'est apportée à cette
prérogative. Les dispositions de l'art. 48, selon lesquelles nulle
partie d'une réserve ne peut être expropriée pour les besoins
d'un chemin de fer, d'une route, d'un ouvrage public ou d'un
ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement
du gouverneur en son conseil, et selon lesquelles l'expropriation
par toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant
le pouvoir conféré par une loi est réglementée, se rapportent de
toute évidence au cas où l'on s'empare de l'immeuble ou on le
retire à la réserve, la propriété de celui-ci étant alors transmise
par la Couronne à la compagnie, ou à l'autorité municipale ou
locale concernée. [C'est moi qui souligne.]
Au lieu d'appuyer l'interprétation donnée par les
appelants au paragraphe 48(1), ce passage, à mon
sens, semble appuyer l'interprétation donnée par le
juge de première instance, avec lequel, comme j'en
ai ci-dessus fait mention, je suis d'accord.
Compte tenu de tous les motifs précités, le pre
mier moyen d'appel devrait, à mon avis, être
rejeté.
2. La question de l'expropriation
Selon l'avocat des appelants, il s'agit ici de
savoir si, en admettant que l'article 48 de la Loi
des Indiens autorise la Couronne à exproprier les
terres d'une réserve, pareil pouvoir a été exercé
d'une façon légitime dans la présente espèce. Selon
cet argument, le tribunal a le droit d'examiner non
seulement le but exprès de l'expropriation mais
également la raison véritable pour laquelle le bien-
fonds a été exproprié. L'avocat a soutenu que le
but primordial des expropriations n'était pas celui
dont il est fait mention dans le décret C.P. 3801
(la construction d'un ouvrage public à Penticton,
soit un aéroport) ou dans le décret C.P. 9696
(l'agrandissement de l'aéroport de Penticton en
tant qu'ouvrage public), mais plutôt d'obliger les
bénéficiaires d'une fiducie (la bande indienne de
Penticton) à remettre les lots A et B à des prix qui
feraient l'affaire du fiduciaire, et ce, même s'ils ne
convenaient pas aux bénéficiaires. L'avocat a sou-
tenu dans son exposé que [TRADUCTION] «s'il avait
été nécessaire d'exproprier les biens-fonds aux fins
de l'établissement d'un aéroport, la Couronne
aurait pu exercer son pouvoir en expropriant des
terres n'appartenant pas aux Indiens, de l'autre
côté de la rivière. Toutefois, le prix qu'elle aurait
été obligée de payer à l'égard de pareils biens-
fonds aurait été plus élevé que celui auquel elle
espérait obtenir les terres de la réserve.» Pareil
motif, a-t-il affirmé, ne répond pas au critère du
«but primordial», et le présent tribunal peut donc
examiner la façon dont la Couronne a exercé son
pouvoir, s'il en est, en vue d'exproprier les terres de
la réserve. Le critère sur lequel il s'appuyait a été
établi dans une décision rendue par la Division de
première instance de la Cour suprême de la Nou-
velle-Écosse dans l'affaire Warne v. The Province
of Nova Scotia, Akerley, Jamerson, Henry and
Kinsman (1970), 1 N.S.R. (2d) 150, aux pages
152 et 153.
Avant d'examiner cette décision, il importe de
signaler que je n'ai trouvé dans le dossier aucune
preuve directe ou indirecte permettant d'attribuer
à la Couronne le motif mentionné par les appe-
lants. La preuve versée au dossier montre tout au
plus qu'ayant conclu qu'il ne pouvait plus espérer
négocier avec la direction des Affaires indiennes
des évaluations qu'il lui serait possible de justifier
quant aux lots A et B, et compte tenu du besoin
urgent, dans le cas du lot B, d'agrandir les pistes
de l'aéroport aux fins de la défense, le ministère
des Transports a décidé que le seul recours qui lui
restait était celui d'exproprier les biens-fonds.
Mais cet état de fait est bien différent du motif
imputé à l'intimée, soit que les représentants du
Ministère auraient délibérément acquis les biens-
fonds des Indiens de préférence à ceux de non-
Indiens parce que leur prix en serait moins élevé.
Comme je l'ai dit, je n'ai pu trouver aucune preuve
à l'appui de pareille prétention. De fait, il existe
une preuve abondante que l'expropriant voulait
acquérir les terrains en question parce qu'ils
étaient particulièrement propices aux fins auxquel-
les ils étaient requis.
J'étudierai maintenant la décision Warne. À
mon sens, le principal passage de cette décision est
celui qui figure à la page 152 du recueil; le juge en
chef de la Division de première instance, Cowan,
après avoir examiné certains arrêts portant sur le
pouvoir d'un tribunal d'examiner la façon dont un
ministre a exercé le pouvoir d'expropriation qui lui
a été conféré par la loi, déclare ce qui suit:
[TRADUCTION] Toutefois, à mon avis, le pouvoir discrétion-
naire dont il est fait mention dans les arrêts précités a été
exercé conformément à la loi à l'étude. Si l'expropriation vise
primordialement à encourager un complot destiné à causer un
préjudice au propriétaire de l'immeuble exproprié, l'acte du
ministre est, à mon avis, soumis au contrôle judiciaire.
Dans la présente espèce, je n'ai pas pu trouver la
moindre preuve que le «but primordial» de l'expro-
priation était celui d'encourager un «complot des-
tiné à causer un préjudice au propriétaire de l'im-
meuble». Sans aucun doute, n'ayant pas été en
mesure de négocier ce qu'il jugeait être un prix
acceptable, le ministère des Transports a obtenu
l'autorisation d'exproprier les biens-fonds. Cela a
eu l'effet de restreindre les choix qui s'offraient
aux Indiens, en ce sens qu'ils ne pouvaient plus
décider de ne pas vendre ou louer leurs terrains. Ils
devaient se contenter de négocier l'indemnité à
être versée. Toutefois, il y a un écart considérable
entre pareil état de fait et l'attribution au Minis-
tère du but primordial imputé par les appelants.
Étant donné que c'est là le seul critère sur lequel
se sont appuyés les appelants, parmi les cinq critè-
res établis dans la décision Warne, il est inutile
d'examiner plus à fond la question de la pertinence
de cette décision. Par conséquent, le second moyen
d'appel doit, à mon avis, être rejeté.
3. Manquement à l'obligation de fiduciaire
L'argument des appelants selon lequel l'intimée
a manqué à son devoir de fiduciaire envers la
bande de Penticton, se présente sous trois aspects:
a) Même s'il existait entre la bande et l'intimée un
rapport de fiduciaire obligeant cette dernière à
gérer les terres occupées par les Indiens à leur
profit plutôt qu'un rapport avec un cestui que
trust, les règles applicables aux fiducies en matière
de conflits d'intérêts sont, comme il en a été fait
mention, également applicables aux fiduciaires.
Par conséquent, étant donné qu'une personne char
gée d'une fiducie manque à son devoir si elle gère
un bien dans son propre intérêt plutôt que dans
celui du cestui que trust, il en va de même pour le
fiduciaire à l'égard des bénéficiaires, soit, en la
présente espèce, les Indiens de la bande de
Penticton;
b) L'intimée n'a pas fait preuve de la diligence
requise d'un fiduciaire, du fait qu'en fixant l'in-
demnité, ses représentants ont omis de tenir
compte de la valeur et de l'importance particuliè-
res des lots A et B pour la bande et ses occupants;
c) En omettant de s'assurer que les Indiens de la
bande de Penticton avaient été mis au courant de
l'opinion qu'elle avait obtenue, selon laquelle les
terres de la réserve ne pouvaient pas être expro-
priées mais pouvaient uniquement être acquises si
elles étaient cédées par les Indiens, la Couronne a
manqué à l'obligation qu'elle avait en tant que
fiduciaire de divulguer tous les renseignements
nécessaires.
Avant de me prononcer sur ces arguments, je
voudrais signaler que le jugement de première
instance, en date du 9 juillet 1981, a été rendu
avant que la Cour suprême du Canada se soit
prononcée dans l'affaire Guerin et autres c. La
Reine et autre (le 1e' novembre 1984, [1984] 2
R.C.S. 335), qui sera ci-dessous désignée sous le
nom de l'affaire Guerin. Pour se rendre compte de
son importance relativement aux trois arguments
ci-dessus mentionnés, il importe d'examiner minu-
tieusement cet arrêt.
Les faits sont énoncés comme suit dans le som-
maire du jugement [à la page 335]:
Une bande indienne a cédé des surplus de terre de grande
valeur à Sa Majesté pour que celle-ci les loue à un club de golf.
Cependant, les conditions du bail consenti par Sa Majesté
étaient beaucoup moins favorables que celles approuvées par la
bande à l'assemblée de la cession. L'acte de cession ne men-
tionne ni le bail ni les conditions approuvées par la bande. Les
fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes ne sont pas
retournés devant la bande pour qu'elle approuve les nouvelles
conditions. En fait, ils ont caché des renseignements utiles à la
bande et à un évaluateur chargé de déterminer si le loyer
proposé était adéquat. Le juge de première instance a conclu
que Sa Majesté avait manqué à ses obligations de fiduciaire en
signant le bail et il a accordé des dommages-intérêts calculés à
la date du procès en fonction de la perte du revenu qu'on aurait
pu raisonnablement s'attendre à tirer d'autres utilisations possi
bles des terres. La Cour d'appel fédérale a infirmé ce jugement
et rejeté l'appel incident visant à faire augmenter le montant
des dommages-intérêts.
Aux pages 375 et 376 de ses motifs de jugement,
le juge Dickson (alors juge puîné), s'exprimant en
son propre nom et au nom des juges Beetz, Choui-
nard et Lamer (tous les autres juges étant d'accord
quant à l'issue), avait ceci à dire au sujet des
obligations de la Couronne envers les Indiens:
... j'estime que les obligations de Sa Majesté envers les Indiens
ne peuvent se définir comme une fiducie. Cependant, cela ne
signifie pas que Sa Majesté n'a envers les Indiens aucune
obligation exécutoire dans sa façon d'utiliser leurs terres.
À mon avis, la nature du titre des Indiens et les modalités
prévues par la Loi relativement à l'aliénation de leurs terres
imposent à Sa Majesté une obligation d'equity, exécutoire en
justice, d'utiliser ces terres au profit des Indiens. Cette obliga
tion ne constitue pas une fiducie au sens du droit privé. Il s'agit
plutôt d'une obligation de fiduciaire. Si, toutefois, Sa Majesté
manque à cette obligation de fiduciaire, elle assumera envers
les Indiens exactement la même responsabilité qu'aurait impo
sée une telle fiducie.
Le rapport fiduciaire entre Sa Majesté et les Indiens découle
du concept du titre aborigène, autochtone ou indien. Cepen-
dant, le fait que les bandes indiennes possèdent un certain droit
sur des terres n'engendre pas en soi un rapport fiduciaire entre
les Indiens et Sa Majesté. Pour conclure que Sa Majesté est
fiduciaire, il faut aussi que le droit des Indiens sur les terres soit
inaliénable, sauf dans le cas d'une cession à Sa Majesté.
Il est interdit à une bande indienne de céder son droit
directement à un tiers. La vente ou la location de terres ne peut
avoir lieu qu'à la suite d'une cession et c'est alors Sa Majesté
qui agit au nom de la bande. C'est dans la Proclamation royale
de 1763 que Sa Majesté a pour la première fois endossé cette
responsabilité qui lui est encore reconnue dans les dispositions
de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions. L'exigence
d'une cession et la responsabilité qui en découle ont pour effet
d'imposer à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte
envers les Indiens. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Dickson a alors examiné la nature du
titre indien sur les terres de la réserve et a conclu
qu'il n'était pas tout à fait juste de considérer que
les Indiens étaient en quelque sorte bénéficiaires
ou détenaient un droit personnel de la nature d'un
usufruit. En effet, à la page 382, il déclare ce qui
suit:
Les Indiens ont le droit, en common law, d'occuper et de
posséder certaines terres dont le titre de propriété est finale-
ment détenu par Sa Majesté. Bien que leur droit n'équivaille
pas, à proprement parler, à un droit de propriété à titre
bénéficiaire, sa nature n'est pas définie complètement par la
notion d'un droit personnel. Il est vrai que le droit sui generis
des Indiens sur leurs terres est personnel en ce sens qu'il ne peut
être transféré à un cessionnaire, mais il est également vrai,
comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu'il
est cédé, a pour effet d'imposer à Sa Majesté l'obligation de
fiduciaire particulière d'utiliser les terres au profit des Indiens
qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair,
car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné
qu'à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en
mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des
tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son
inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue
d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a
eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va
plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d'induire
en erreur. [C'est moi qui souligne.]
Il importe de noter que dans les passages préci-
tés de son jugement, le juge Dickson déclare que
«L'exigence d'une cession ... [a] pour effet d'im-
poser à Sa Majesté une obligation de fiduciaire
distincte», que le droit des Indiens «lorsqu'il est
cédé, a pour effet d'imposer ... l'obligation de
fiduciaire particulière» et que «Sa Majesté est
tenue d'administrer les terres pour le compte des
Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit», (c'est
moi qui souligne). A la page 383, il déclare ce qui
suit: «Dans le présent pourvoi, l'importance de ce
concept [l'obligation de fiduciaire] repose sur l'exi-
gence qu'il y ait eu «cession» pour que des terres
indiennes puissent être aliénées» (c'est moi qui
souligne). Enfin, à la page 385, il déclare ce qui
suit: «Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, une
bande indienne cède son droit à Sa Majesté, cela
fait naître une obligation de fiduciaire qui impose
des limites à la manière dont Sa Majesté peut
exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les
terres pour le compte des Indiens» (c'est moi qui
souligne).
D'après ce qui précède, il est clair que les décla-
rations du juge Dickson, dans l'arrêt Guerin, s'ap-
pliquaient dans ce cas-là à un rapport de fidu-
ciaire, puisque les Indiens avaient cédé leurs
biens-fonds à la Couronne à certaines conditions
que cette dernière a modifiées sans les consulter et
sans obtenir leur approbation. Ce n'est pas le cas
dans la présente espèce. Néanmoins, aux fins du
présent appel, je veux bien reconnaître que le
principe énoncé par le juge Dickson s'applique.
Lorsque la Couronne a exproprié les terres de la
réserve, soit les lots A et B, il semble que la chose
ait eu l'effet de créer le même genre d'obligation
fiduciaire envers les Indiens que si les terres de ces
derniers avaient été cédées. Dans le cadre de son
obligation générale de gérer les biens-fonds au
profit des Indiens, la Couronne était ici entre
autres tenue de s'assurer qu'une juste indemnité
serait versée aux Indiens par suite de la perte de
leurs biens-fonds, tout comme dans l'affaire
Guerin où elle était tenue de s'assurer que les
conditions de location des biens-fonds cédés étaient
celles qu'avaient acceptées les Indiens. En sa qua-
lité de fiduciaire, la Couronne a toute latitude à
cet égard; dans la mesure où elle fait preuve
d'honnêteté et de diligence, et où elle agit dans
l'intérêt des Indiens, il ne peut y avoir manque-
ment.
Avant d'examiner les arguments fondés sur
l'inexécution imputée de l'obligation de fiduciaire,
j'aimerais faire remarquer qu'il n'existe pour ainsi
dire aucun témoignage à l'appui de l'affirmation
que la Couronne a manqué à son devoir. Des deux
témoins que les appelants ont cités en vue d'établir
lesdites affirmations, un témoin seulement, Louise
Gabriel, était suffisamment âgé pour avoir pu
prendre part aux assemblées de la bande se rap-
portant à l'expropriation des biens-fonds aux fins
de la construction d'un aéroport. Mais en sa qua-
lité de femme, elle n'avait pas le droit d'assister
aux assemblées de la bande ou de voter sur les
questions soulevées. Or, la situation est demeurée
telle jusqu'à la fin des années 40, soit après que les
événements qui nous intéressent se sont produits.
De plus, elle n'occupait ni le lot A ni le lot B, et ce,
bien que son mari eût acquis par succession un
droit sur certains biens composés entre autres du
lot A. Elle était uniquement en mesure de déposer
que l'expropriation avait à bien des égards boule-
versé la vie de la bande.
Le second témoin cité relativement à cette ques
tion, Morris Kruger, est l'un des appelants dans la
présente espèce et est actuellement chef de la
bande; il est né au début des années 40 et ne se
rappelle donc aucun des événements ayant eu lieu
lors de l'expropriation.
Aucun des occupants encore vivants à l'époque
du procès, s'il en est, n'a été assigné. L'agent des
Indiens, M. Barber, était décédé, de sorte que les
affirmations doivent être établies au moyen de la
preuve documentaire.
J'examinerai maintenant les arguments fondés
sur l'inexécution imputée de l'obligation de la Cou-
ronne en sa qualité de fiduciaire.
a) En admettant, sans toutefois le décider, que les
règles s'appliquant aux conflits d'intérêts dans le
cas des cestuis que trust s'appliquent aux fiduciai-
res, les conclusions du savant juge de première
instance sont particulièrement pertinentes. À la
page 519 de ses motifs, il déclare ce qui suit:
Les demandeurs, à l'instruction, ont expressément abandonné
toute prétention de dol qu'articulaient les écritures.
Parmi les conditions de la fiducie, il y a le par. 48(1) de la
Loi des Indiens. Le législateur fédéral ne peut avoir voulu que
le gouverneur en conseil se borne à ne prendre en compte que
les meilleurs intérêts de la bande intéressée en décidant de
donner ou non son agrément à l'expropriation d'un bien-fonds
d'une réserve. Il est rarement du meilleur intérêt d'un occupant
d'être dépossédé ou d'un propriétaire d'être privé de son bien
contre sa volonté. Manifestement, en l'espèce, ce n'était pas
dans le meilleur intérêt de la bande.
L'obligation de la défenderesse envers la bande, en tant que
fiduciaire, n'était nullement la seule dont elle avait à tenir
compte. La preuve démontre clairement que les fonctionnaires
responsables de l'exécution de la Loi des Indiens recomman-
daient de louer alors que les responsables de l'aéroport deman-
dèrent finalement l'expropriation. Le gouverneur en conseil
était en droit de décider. Ce faisant il ne manquait nullement à
son devoir de fiduciaire.
La défenderesse, en tant que fiduciaire, avait aussi l'obliga-
tion d'obtenir une indemnité suffisante au nom de la bande. Vu
que le délai de révision judiciaire de l'indemnité payée et
acceptée est écoulé depuis longtemps, il n'y a plus grand chose
à dire sur le sujet.
Je souscris à ces conclusions. La Couronne n'a
pas manqué à son obligation de fiduciaire par suite
du conflit imputé entre deux de ses Ministères, soit
le ministère des Mines et Ressources, direction des
Affaires indiennes, et le ministère des Transports.
De fait, le dossier renferme de nombreuses lettres
mettant en particulier en cause l'agent des Indiens
et son supérieur, le commissaire des Indiens pour
la Colombie-Britannique, lesquelles montrent
qu'ils représentaient les Indiens de Penticton d'une
façon articulée et énergique et avec ardeur. Leur
supérieur à Ottawa, le secrétaire de la direction
des Affaires indiennes, avait également défendu
vigoureusement l'opinion des Indiens quant à l'in-
demnité qui devrait être versée aux fins de la
location, de l'achat ou de l'expropriation des biens-
fonds. De fait, leur opinion a influé sur celle des
hauts fonctionnaires du ministère des Transports
avec lesquels ils traitaient puisque ceux-ci ont aug
menté le montant des indemnités initialement
offertes par suite de l'expropriation. En effet, la
somme de 15 000 $ était beaucoup plus rapprochée
de la somme fixée dans le rapport indépendant
d'évaluation qu'avaient obtenu les appelants que
de celles dont il était fait mention dans les évalua-
tions obtenues par l'intimée. De plus, comme l'a
signalé le juge de première instance, les fonction-
naires du ministère des Transports, dans l'exercice
de leurs fonctions, avaient également, non pas
directement envers les Indiens, mais envers la
population canadienne dans son ensemble, y com-
pris les Indiens, l'obligation de ne pas dépenser les
deniers publics d'une manière désavantageuse. Il a
finalement fallu prendre une décision qui, malheu-
reusement, ne correspondait peut-être pas tout à
fait à l'idée que les Indiens se faisaient de la valeur
de leurs biens-fonds pour eux, et ce, même si,
comme je l'ai ci-dessus signalé, l'indemnité s'éle-
vait au montant qu'ils avaient initialement pro-
posé. (Voir la lettre rédigée par M. Barber, le 9
janvier 1946.) Cela ne veut pas dire qu'il y a eu
manquement au devoir de fiduciaire, ni qu'il exis-
tait un conflit d'intérêts devant être réglé en faveur
des Indiens sans tenir compte des obligations des
fonctionnaires du ministère des Transports. Bref,
compte tenu de l'ensemble des circonstances, je ne
comprends pas comment il est possible de soutenir
qu'il existait un conflit d'intérêts empêchant la
direction des Affaires indiennes de fixer l'indem-
nité à la satisfaction de la bande indienne.
b) En ce qui concerne le second argument précité,
je suis certain que les fonctionnaires des Affaires
indiennes connaissaient parfaitement la «valeur et
l'importance particulières» des lots A et B pour les
Indiens.
Le juge a mentionné certaines lettres qui
démontraient que les fonctionnaires des Affaires
indiennes étaient conscients de l'importance des
lots A et B pour la bande et que cela avait été
communiqué avec insistance au sous-ministre
des Transports.
Bref, sans examiner en détail l'ensemble de la
preuve, il est possible de constater, en consultant le
dossier, que les fonctionnaires à tous les échelons
de la hiérarchie étaient bien au courant de leurs
obligations respectives et les ont remplies du mieux
possible. On pourrait avec raison leur reprocher le
retard injustifié dans le paiement de l'indemnité,
mais je ne crois pas que ce manquement suffise à
invalider l'expropriation.
c) En ce qui concerne le défaut imputé des fonc-
tionnaires des Affaires indiennes de mettre la
bande au courant de l'opinion du sous-ministre de
la Justice, soit que le lot B ne pouvait pas être
exproprié, le juge de première instance a conclu ce
qui suit [aux pages 519 et 5201:
J'admets que les demandeurs actuels ignorèrent cet avis jusqu'à
ce que les recherches qui ont mené à l'introduction de l'action le
découvre, mais la preuve administrée ne m'a pas convaincu que
ceux présents à l'assemblée n'en furent pas informés. Dans son
rapport relatif à cette assemblée, l'agent des Affaires indiennes,
Alfred H. Barber, décédé en 1960, a écrit, pièce P-49, ce qui
suit:
[TRADUCTION] Je serais d'avis que cette assemblée fut fort
difficile; je ne doute pas que, si tous les membres de la bande
avaient été présents, ou si la cession était à nouveau proposée,
qu'elle serait refusée.
Les Indiens ne parvenaient pas à comprendre pourquoi on
leur demandait de céder ces lots alors que le terrain leur
avait été enlevé depuis trois ans et qu'on leur avait à plu-
sieurs reprises dit que le gouvernement l'avait exproprié. Il
faut aussi remarquer, à juste titre, qu'aucune cession ne leur
avait été demandée pour le terrain exproprié antérieurement.
On comprendra ma position, fort difficile en somme, je leur
demandais d'accepter que le Ministère vende ce terrain après
leur avoir dit, depuis trois ans, qu'il avait été exproprié et
sans possibilité de retour.
Plusieurs interprétations de ce texte sont possibles; cependant,
d'après l'ensemble de la preuve administrée, la sympathie cons-
tante de Barber pour la position de la bande et ses intérêts est si
apparente que je ne puis concevoir qu'il ne lui ait pas transmis à
l'assemblée toute information pertinente dont il ait eu connais-
sance. Il n'est pas certain qu'il ait connu l'avis mais je dois
juger, d'après la preuve administrée, qu'on n'a pas démontré
que l'information n'avait pas été transmise.
Il suffit de dire qu'à mon avis, il s'agissait là
d'une déduction raisonnable, compte tenu des faits
dont le juge avait connaissance. Malheureusement,
il était tout simplement impossible de citer comme
témoin M. Barber, qui est maintenant décédé, ou
l'un des Indiens ayant de fait assisté à l'assemblée
tenue relativement à la question de la «cession». La
meilleure preuve est celle qui figure dans le rap
port de M. Barber dont il est fait mention dans
l'extrait précité des motifs du juge de première
instance; ce rapport, en date du 4 février 1946, a
été rédigé peu après l'assemblée. Ayant minutieu-
sement lu les nombreux comptes rendus de M.
Barber, et puisqu'il est passablement évident qu'il
était plein de compréhension à l'égard des Indiens
et avait de la sympathie pour eux, je puis unique-
ment conclure qu'il aurait divulgué tous les rensei-
gnements connus relativement à la cession requise.
Dans la lettre que le directeur des Affaires indien-
nes a envoyée à M. Barber le 18 janvier 1946 en
vue de lui ordonner de convoquer une assemblée de
la bande aux fins de l'étude de la question de la
cession, il est fait mention d'un télégramme ne
figurant pas dans le dossier. Je puis uniquement
présumer qu'il a du être informé des motifs de la
cession, de façon à être en mesure d'en discuter
intelligemment. Et bien sûr comme l'a souligné le
savant juge de première instance, la charge d'éta-
blir l'omission imputée de divulguer l'existence de
l'opinion, omission à l'égard de laquelle il existe un
commencement de preuve si la preuve est bien
pesée, incombe à la partie qui l'invoque. Or, les
appelants n'ont pas établi pareille omission.
D'ailleurs, même s'il n'en était pas ainsi, la
cession était à la fois superflue et invalide, étant
donné que la propriété avait déjà été expropriée le
17 février 1944 et que, comme je l'ai conclu,
l'expropriation des terres de la réserve avait été
effectuée conformément à l'article 48 de la Loi des
Indiens de 1927. A cet égard, je souscris à la
conclusion du juge de première instance.
Par conséquent, à mon avis, les trois arguments
invoqués par les appelants à l'appui d'un manque-
ment à l'obligation de fiduciaire n'ont pas été
démontrés.
Avant de passer à autre chose, je me dois de
revenir à la critique fondamentale que les appe-
lants ont formulée à l'égard de la façon dont la
Couronne avait géré les terres de la réserve, criti
que dont j'ai fait mention au début des présents
motifs, soit que l'expropriation empêchait effecti-
vement les Indiens de se prévaloir de leur droit de
refuser de vendre, ou encore de négocier des condi
tions de location ou un prix de vente acceptables. Il
ne leur restait, a-t-on dit, qu'à régler le différend
en acceptant une indemnité ne correspondant peut-
être pas à la valeur qu'avaient pour eux les biens-
fonds ou à demander à la Cour de l'Échiquier de
statuer sur la question. Le dossier montre claire-
ment que les Indiens avaient été informés tant par
leur agent que par leurs propres conseillers juridi-
ques qu'une poursuite en justice risquait non seule-
ment d'être coûteuse, mais était également suscep
tible de retarder encore plus le paiement de
l'indemnité. Il est certain que les expropriations
entraînaient pareilles conséquences.
Toutefois, de l'avis des représentants de la Cou-
ronne au ministère des Transports, d'autres fac-
teurs contradictoires entraient en ligne de compte.
En premier lieu, à l'origine, il était important
d'établir un aérodrome plus grand destiné à per-
mettre l'atterrissage des avions commerciaux en
cas d'urgence dans une région montagneuse où les
terrains propices étaient rares. En second lieu, par
la suite, il était tout au moins aussi important
d'établir un aérodrome encore plus grand aux fins
de la défense de l'Ouest en temps de guerre.
Ceci étant, il s'agit de déterminer si du fait que
ces questions contradictoires ont été réglées, quant
aux lots A et B, avec le consentement des Indiens,
à des conditions qui constituaient clairement des
compromis ne satisfaisant pleinement ni l'un ni
l'autre des organismes de la Couronne concernés,
la Couronne a manqué au devoir de fiduciaire
qu'elle avait envers les Indiens, leur donnant ainsi
droit aux réparations demandées dans la présente
instance. Pour les motifs que j'ai ci-dessus expri-
més et pour les motifs dont je ferai ci-dessous
mention, je ne le crois pas.
En réalité, ils ont accepté les paiements quoique
de mauvais gré. Les sommes versées correspon-
daient aux évaluations indépendantes soumises aux
deux parties, lesquelles ont été effectuées après de
longues négociations et après que l'agent des
Indiens et d'autres hauts fonctionnaires de la
direction des Affaires indiennes eurent fait main-
tes démarches pour le compte des Indiens. Selon
les prétentions des appelants, la Couronne aurait
pu, dans ces conditions, réussir à échapper à l'ac-
cusation d'avoir manqué à son devoir de fiduciaire
uniquement si dans chaque cas, elle s'était entière-
ment pliée à leurs exigences ou si elle s'était
complètement retirée des négociations. Or, par
suite de ses autres obligations, il lui était impossi
ble de le faire. Dans ces conditions, la Couronne
était tenue d'assurer au mieux la protection des
intérêts de tous ceux dont ses représentants étaient
responsables. Le gouverneur en conseil est devenu
l'arbitre final. Toutefois, en fin de compte, si les
appelants avaient été si mécontents des expropria
tions et des offres de la Couronne, ils auraient pu
demander à la Cour de l'Échiquier de trancher le
litige. Mais pour une raison ou une autre, ils en ont
décidé autrement. Ils ont accepté les offres de la
Couronne; or, dans le cas du lot B du moins, l'offre
correspondait au montant qu'ils avaient proposé.
Je ne vois donc pas comment ils pourraient main-
tenant contester à bon droit, après tant d'années,
les règlements qu'ils avaient acceptés.
IV
LE LIMITATION ACT ET LE MANQUE DE DILI
GENCE
Étant donné que j'ai conclu qu'aucun des
moyens d'appel ne peut être retenu, il est, stricte-
ment parlant, inutile d'examiner la prétention de
la Couronne que la demande de la bande est
irrecevable par suite de l'article 38 de la Loi sur la
Cour fédérale 6 et du Limitation Act, R.S.B.C.
6 38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les
règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur
entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure
devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance dans cette province et une procédure devant la Cour
relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs
que dans une province doit être engagée au plus tard six ans
après que la cause d'action a pris naissance.
(2) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de
droit relatives à la prescription des actions désignées au para-
graphe (1) s'appliquent à toutes procédures engagées par ou
contre la Couronne.
1979, chap. 236, par. 3(4) 7 , puisque plus de six
années se sont écoulées entre la date à laquelle la
cause d'action a pris naissance et le 23 mars 1979,
soit la date à laquelle la poursuite a été engagée.
Néanmoins, je traiterai succinctement des préten-
tions qui pourraient prendre de l'importance, s'il
était jugé que j'ai commis une erreur en statuant
sur l'une quelconque des questions de fond.
La Couronne a reconnu que le fait que l'exis-
tence d'une cause d'action a frauduleusement été
cachée pendant la durée du délai de prescription
empêche celui-ci de s'écouler lorsqu'en faisant
preuve d'une diligence raisonnable, les demandeurs
auraient pu découvrir pareille cause si elle ne leur
avait pas été cachée. Toutefois, lors de l'audience,
l'avocat des appelants a informé le tribunal que le
moyen invoqué avait été abandonné en première
instance.
Toutefois, invoquant à son appui l'arrêt Guerin,
l'avocat des appelants a soutenu que le manque-
ment découlant de l'omission de divulguer l'opi-
nion du sous-ministre de la Justice constituait une
fraude en equity. Aux termes de l'arrêt Kitchen
[Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1
W.L.R. 563 (C.A.)] que le juge Dickson a cité
dans l'arrêt Guerin, à la page 390 de ses motifs de
jugement, il s'agissait d'une [TRADUCTION] «con-
duite qui, compte tenu de la relation spéciale qui
existe entre les parties concernées, est fort peu
scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre».
À mon sens, dans la présente espèce, le compor-
tement de la Couronne ne constituait pas une
fraude en equity. Comme il a déjà été jugé, je ne
crois pas que l'existence de l'opinion juridique ait
été cachée à M. Barber, ni qu'il ait de son côté
omis sciemment ou non de divulguer l'existence de
celle-ci à la bande.
Pareil procédé n'aurait absolument pas été digne
de M. Barber ou de ses supérieurs. Le dossier
7 [TRADUCTION] 3. ...
(4) Est irrecevable toute autre poursuite dont il n'est pas
expressément fait mention dans la présente loi ou dans quelque
autre loi et qui est engagée après l'expiration d'un délai de six
ans suivant la date à laquelle la cause d'action a pris naissance.
montre à maintes reprises la sincérité complète
dont ont toujours fait preuve ces fonctionnaires des
Affaires indiennes envers les Indiens, de sorte que
l'omission de divulguer des renseignements perti-
nents presque à la fin de l'expropriation du lot B
aurait dénoté un changement complet d'attitudes.
Ceci étant, il m'est presque impossible de conclure
que les fonctionnaires de la direction des Affaires
indiennes ont manifestement agi d'une façon si peu
scrupuleuse qu'il y aurait eu fraude en equity.
De plus, il importe de noter qu'il existe dans le
dossier une preuve documentaire abondante mon-
trant que, bien avant que l'opinion juridique de la
Couronne ait été connue, certains membres de la
bande, et entre autres probablement tous les occu
pants, s'étaient informés de leurs droits auprès de
leurs propres avocats. Je ne puis imaginer qu'un
avocat ait omis d'étudier la question de la légalité
de l'expropriation, et ce, même s'il avait initiale-
ment été consulté quant au montant seulement de
l'indemnité demandée. L'étude de la question l'au-
rait de toute évidence obligé à envisager la possibi-
lité que seul un acte de cession en bonne et due
forme serait valide. En pareil cas, les Indiens n'ont
pas été surpris d'apprendre, au début de 1946, que
la Couronne exigeait la cession des biens-fonds en
vue d'effectuer le transfert. Si cela est exact, la
poursuite devant la Cour de l'Échiquier aurait pu
être engagée, et aurait peut-être dû être engagée,
comme les occupants indiens et les fonctionnaires
de la direction des Affaires indiennes envisageaient
de le faire. Mais les Indiens ont décidé, de mauvais
gré toutefois, de régler le différend. Puis, quelque
trente-trois années plus tard, ils ont voulu faire
annuler le règlement en invoquant que le Limita
tion Act ne s'appliquait pas parce qu'il y avait
fraude en equity. Comme je l'ai dit, je ne crois pas
qu'il y ait eu fraude au sens strict ou fraude en
equity dans ce cas-ci. Par conséquent, étant donné
que la demande n'a pas été formée dans le délai
prescrit par la loi, elle aurait pu être rejetée pour
ce motif.
Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de
statuer sur la question du manque de diligence.
V
DOMMAGES-INTÉRÊTS
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocat
des appelants invoque un certain nombre d'argu-
ments fondés sur l'idée que le montant des dom-
mages-intérêts à fixer aiderait le tribunal à statuer
sur les questions de fond. Puisque je ne retiens
aucun de ces arguments, et étant donné que l'appel
est rejeté sans qu'il soit nécessaire de fixer les
dommages-intérêts, il est inutile d'examiner ici
lesdits arguments.
VI
CONCLUSION
Puisque les appelants ne m'ont pas convaincu
que le savant juge de première instance a commis
une erreur fondamentale dans le jugement dont ils
ont interjeté appel, je rejetterais l'appel avec
dépens.
* * *
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le juge Stone a souscrit à la décision du juge
Urie ainsi qu'aux motifs y afférents.
Quant à l'indemnité se rapportant au lot 8, la
question était de savoir si les Affaires indiennes
avaient agi légitimement en offrant un montant de
15 000 $ au lieu de porter l'affaire devant les
tribunaux.
La théorie de l'obligation fiduciaire énoncée
récemment par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Guerin devra être étudiée en détail et
précisée dans chaque arrêt à venir. Cette théorie
s'appliquait cependant dans ce cas-ci, même si
les faits étaient passablement différents. Rien
dans la décision rendue par le juge Dickson dans
l'affaire Guerin n'empêchait de se reporter aux
règles de droit auxquelles sont soumis les fidu-
ciaires en vue de décider si le ministère des
Affaires indiennes a assumé son obligation de
fiduciaire en acceptant le règlement à l'amiable. ll
avait agi prudemment en raison des faits suivants:
(1) les évaluations variaient de 6 800 $ à
16 958 $; (2) une poursuite en justice occasionne
des frais judiciaires; (3) une telle poursuite
entraîne des délais; (4) l'issue d'une contestation
judiciaire n'est pas certaine.
Comme l'a dit le juge Wynn-Parry dans l'arrêt
Buttle v. Saunders, [1950] 2 All E.R. 193 (Ch. D.),
à la page 195, même si les fiduciaires ont l'obliga-
tion d'obtenir le meilleur prix possible au nom des
bénéficiaires, il ne s'ensuit pas que «la simple
présentation d'une meilleure offre à un moment
donné, même si elle est faite à la fin des négocia-
tions, [doive] obliger les fiduciaires à accepter
l'offre plus avantageuse et à résilier l'offre exis-
tante». Ils pourraient bien suivre le proverbe: «Un
tiens vaut mieux que deux tu l'auras.» Il n'était
pas certain, ni même probable, qu'une somme
nette supérieure à celle qui était offerte serait
obtenue.
Le juge Stone a préféré s'abstenir de formuler
des commentaires au sujet des questions se rap-
portant à la prescription et à la théorie du manque
de diligence étant donné qu'il était inutile de /e
faire.
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