T-956-84
T-957-84
Gerald Armstrong (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Rouleau—
Toronto, 16 avril; Ottawa, 8 août 1985.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Revenu ou gain
en capital — Appel de la nouvelle cotisation dans laquelle le
Ministre a décidé que le produit de la vente du cheval consti-
tuait un revenu tiré d'une entreprise — Le demandeur s'est
occupé d'entreprise de construction, faisant courir des chevaux
comme passe-temps — En 1978, il a acheté, par l'entremise
d'une société, un cheval ayant gagné des prix et rapporté des
bénéfices — Paralysé par une blessure, le cheval a été vendu
pour être utilisé dans un haras — L'expert-comptable qui a
préparé la déclaration pour l'année 1981 a classé le cheval
comme «inventaire., déclarant comme gain en capital imposa-
ble la moitié du produit — La défenderesse soutient que le
demandeur avait l'intention de vendre pour réaliser un profit,
ce qui fait de la vente un risque de caractère commercial et du
produit un revenu imposable — Le cheval n'était pas un article
d'inventaire au sens d'un bien détenu dans le cours ordinaire
d'une entreprise pour être revendu — Les circonstances entou-
rant la vente n'ont pas pour effet de convertir rétroactivement
un bien détenu à titre de bien en immobilisations en quelque
chose à caractère commercial — La possibilité de revendre
avec profit n'était pas le mobile de l'acquisition du demandeur
— Le haut niveau de risque des courses de chevaux ne signifie
pas que la disposition d'un bien ne peut jamais être considérée
comme une transaction de capital — La preuve n'établit pas
l'existence d'une intention secondaire — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 1, art. 1; chap. 42, art. 1), 9, 38 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 42, art. 2), 39(1)a) (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 26, art. 15; chap. 50, art. 48; 1976-77, chap. 4, art. 9;
1977-78, chap. 1, art. 16; chap. 42, art. 3; 1980-81-82-83,
chap. 48, art. 16), 40(1)a), 54b), 248(1) (mod. par S.C. 1979,
chap. 5, art. 66).
Le demandeur s'est principalement occupé de construction
résidentielle et d'aménagements de terrains. Son intérêt pour
les chevaux l'a amené à acheter et à vendre, par l'entremise de
ses sociétés, des chevaux «quarter horse». Lui-même ou sa
famille a entraîné les chevaux, et il les a fait courir, et ce jamais
pour en retirer des bénéfices. Au début des années 1970, le
demandeur a commencé à acheter des pur-sang pour les faire
courir, et c'est ainsi qu'en 1978 il a acheté «Stone Manor». Le
cheval a couru plusieurs fois au Canada et aux États-Unis,
gagnant d'importantes courses et remportant de grands prix.
Paralysé par une blessure, le cheval a été vendu, au prix de
270 000 $, pour être utilisé dans un haras. Le cabinet de
comptables qui a préparé la déclaration d'impôt pour l'année
1981 du demandeur a décrit le cheval comme «inventaire» et a
déclaré, pour la vente du cheval, un gain en capital. En 1983, le
ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation du
demandeur, classifiant de nouveau le produit de la vente
comme étant un revenu tiré d'une entreprise. Selon le deman-
deur, la vente était une vente d'un bien en immobilisations. La
défenderesse soutient que le demandeur avait l'intention spécu-
lative secondaire de revendre le cheval pour réaliser un profit,
ce qui fait de l'opération un risque à caractère commercial et
rend le produit entièrement imposable à titre de revenu tiré
d'une entreprise.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
La description de Stone Manor comme «inventaire» ne sau-
rait être considérée comme indiquant les intentions du deman-
deur. Il ressort de la preuve que Stone Manor n'était pas
essentiellement un article d'inventaire au sens d'un bien détenu
dans le cours ordinaire d'une entreprise pour être revendu.
De plus, on ne saurait déduire de l'emploi du mot «inven-
taire», des relations du demandeur avec des sociétés faisant le
commerce des chevaux et de la nature hautement hasardeuse
des courses de chevaux que le demandeur avait l'intention
secondaire de vendre son cheval pour réaliser un profit. Au
moment où le demandeur a acheté le cheval, le mobile de cette
acquisition n'était pas la possibilité de le revendre avec profit.
Le fait que les circonstances de la vente, savoir que la blessure
du cheval et ses succès aux courses font qu'il est précieux pour
un haras, n'a pas pour effet de convertir rétroactivement une
opération en capital en risque à caractère commercial. La
preuve n'établit pas que le demandeur ait voulu faire de l'achat
de Stone Manor une opération commerciale. Il a acheté et
vendu des chevaux pour son passe-temps. La nature hautement
spéculative des courses de chevaux ne signifie pas que la vente
d'un cheval ne peut jamais être considérée comme une transac
tion de capital.
La notion d'intention secondaire est enchâssée nulle part
dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle se rapporte tout au
plus à une méthode pratique pour résoudre certaines questions
découlant des «affaires commerciales». On devrait faire preuve
de prudence dans l'utilisation de la notion d'intention secon-
daire de manière à ne pas qualifier artificiellement de revenu
les recettes qui sont des gains en capital proprement dits.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Californian Copper Syndicate v. Harris (1904), 5 T.C.
159 (Exch.); Racine v. Ministre du Revenu National,
[1965] 2 R.C.E. 338; 65 DTC 5098.
DECISIONS CITÉES:
Sanders v. M.N.R. (1954), 54 DTC 203 (C.A.I.); Ster
ling Trust, Limited v. Commissioners of Inland Revenue
(1925), 12 T.C. 868 (C.A. Angl.); Glenboig Union Fire-
clay Company, Limited v. Commissioners of Inland
Revenue (1922), 12 T.C. 427 (Ct. of Sess.); Bead Real-
ties Ltd. v. M.N.R. (1971), 71 DTC 5453 (C.F. 1" inst.);
Hiwako Investments Ltd. v. The Queen (1978), 78 DTC
6281 (C.F. Appel); Simmons (as liquidator of Lionel
Simmons Properties Ltd) v Inland Revenue Comrs,
[1980] 2 All ER 798 (H.L.); M.N.R. v. Taylor, J.A.
(1956), 56 DTC 1125 (C. de l'E.); Regal Heights Ltd. v.
Minister of National Revenue, [1960] R.C.S. 902; 60
DTC 1270; Irrigation Industries Limited v. The Minister
of National Revenue, [1962] R.C.S. 346; 62 DTC 1131;
Golden (G.W.) Construction Ltd. v. Minister of National
Revenue, [1967] R.C.S. 302; 67 DTC 5080; Pierce
Investment Corp. v. M.N.R. (1974), 74 DTC 6608 (C.F.
ire inst.); Kensington Land Developments Ltd. v. The
Queen (1979), 79 DTC 5283 (C.F. Appel); Watts Estate
et al. v. The Queen (1984), 84 DTC 6564 (C.F. ire inst.).
AVOCATS:
David C. Nathanson, c.r., pour le demandeur.
Robert W. McMechan pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McDonald & Hayden, Toronto, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU: Les deux affaires ont été
instruites sur preuve commune et ont fait l'objet
d'une argumentation identique. C'est l'affaire por-
tant le numéro du greffe T-957-84 qui a été débat-
tue et toute décision rendue dans cette cause s'ap-
plique au dossier T-956-84.
Il s'agit de déterminer si l'achat d'un yearling
pur-sang appelé «Stone Manor» et la vente, quel-
que trois ans après l'achat, constituaient une dispo
sition de capital ou «un risque de caractère
commercial».
Voici les faits essentiels:
Le demandeur, un résident de la ville de Stouff-
ville dans la municipalité régionale de York, s'est
occupé de construction résidentielle et d'aménage-
ment de terrains pendant la majeure partie de sa
vie. En 1978, accompagné d'un entraîneur de che-
vaux pur-sang, il a assisté à une vente aux enchères
de yearlings à Lexington, Kentucky, et il a acheté
un yearling appelé «Stone Manor» au prix de
28 000 $ US. En 1979, on a commencé à faire
courir Stone Manor qui a remporté des prix totali-
sant 41 858 $ et rapporté, déduction faite des
dépenses, un bénéfice net de 26 852 $. Au cours de
la saison de courses de 1980, il a gagné 230 708 $
en prix et a rapporté la somme nette de
98 877,25 $. En 1981, avant la fin de sa carrière de
cheval de course, il a gagné 5 507,50 $; après
déduction des dépenses, il y a eu, au cours de cette
année, une perte d'exploitation de 19 354,33 $.
Vers la fin de 1981, paralysé par une blessure qui
aurait pu mettre fin à ses jours, le cheval a été
retiré de la course et vendu au prix de 270 000 $ à
un acheteur de l'État de New York qui voulait
utiliser Stone Manor dans un haras. On a obtenu
ce prix grâce à ses succès comme cheval de course.
Dans le calcul de son revenu pour l'année d'im-
position 1981, le demandeur a inclus comme gain
en capital imposable la moitié de la somme qu'il
avait tirée de la vente de Stone Manor après avoir
pris en considération le prix de base ajusté. En
octobre 1983, le ministre du Revenu national a
établi une nouvelle cotisation, augmentant l'assu-
jettissement à l'impôt de 72 912,16 $ pour la
période en cause. Dans sa nouvelle cotisation, le
Ministre a considéré que le demandeur avait
acheté et vendu Stone Manor dans le cours ordi-
naire d'une entreprise et décrit le produit tiré par
le demandeur de la vente de Stone Manor comme
étant [TRADUCTION] «classifié de nouveau à titre
de revenu tiré d'une entreprise». C'est cette nou-
velle cotisation que le demandeur conteste.
Le demandeur Gerald Armstrong est né sur une
ferme dans la région montréalaise et y est demeuré
jusqu'à l'âge de 18 ans environ; il a déménagé à
Toronto, commencé à travailler pour des entrepri-
ses de construction et il est devenu expert en
construction de maisons. En 1956, il a construit sa
première maison dans la communauté urbaine de
Toronto. Il est devenu par la suite un important
constructeur de maisons, érigeant chaque année
quelque 1 000 unités à Toronto, Ajax, Oshawa et
dans les environs. Il était le directeur général, le
principal actionnaire et le cerveau de quelque trois
ou quatre sociétés d'aménagement de maisons et
de terrains. Entre 1975 et 1979, les chiffres bruts
de vente annuelle des sociétés du demandeur ont
varié de 20 000 000 $ à 40 000 000 $. À l'automne
1980, elles ont été mises sous séquestre; il attribue
ce fait à la récession. Depuis septembre 1982, il est
le président de Victoria Wood Development Cor
poration qui s'occupe également de construction de
maisons et d'aménagement de terrains.
Il a un jour fait l'acquisition d'une ferme à
Breckin, dans la région ontarienne et son intérêt
pour l'équitation, qu'il a manifesté dans sa jeu-
nesse, l'a amené à acheter des chevaux «quarter
horse». En 1960 et pendant les quinze années
suivantes, il a, par l'entremise de deux de ses
sociétés, acheté et vendu environ 100 chevaux
«quarter horse». Ses deux enfants aimaient l'équi-
tation et ont montré un vif intérêt pour les con-
cours hippiques. Ses enfants, ses employés ou lui-
même ont entraîné la majorité des chevaux «quar-
ter horse» achetés aux États-Unis; il les a emmenés
à des concours et les a fait courir avec ceux des
autres propriétaires de chevaux de même race, et
ce, non pas pour en retirer des bénéfices mais
seulement pour gagner des rosettes ou d'autres
prix similaires. Au cours des années où le deman-
deur a acheté et vendu des chevaux «quarter
horse», il n'y avait pas de pari mutuel au Canada
pour ce genre de course. Il convient de souligner
qu'il a également élevé des bœufs de boucherie et
cultivé du maïs. Avoir des chevaux et du bétail sur
une terre inoccupée devant être aménagée procu-
rait un avantage accessoire, savoir une imposition
municipale inférieure. Les fermes seraient utilisées
pour cette fin jusqu'à ce qu'elles puissent être
vendues ou exploitées. À partir de 1980, c'est
principalement le fils du demandeur qui effectuait
les opérations agricoles. L'avocat de la défende-
resse a toutefois essayé de prouver que le deman-
deur était mêlé de près à la gestion de cette
entreprise. La preuve de cette prétendue participa
tion du demandeur réside dans son habitude de
signer d'importants documents en matière agri-
cole.
Au début, le demandeur s'intéressait à l'équita-
tion et aux concours hippiques; de son côté, sa
femme affectionnait les courses de pur-sang. Au
début des années 1970, il a commencé, par l'entre-
mise de ses sociétés, à acheter des pur-sang, la
plupart du temps dans des courses à réclamer sur
des pistes de course ontariennes. Ils étaient moins
chers et couraient pour des prix à réclamer entre
3 000 $ et 20 000 $. Il ressort de son témoignage
qu'il aurait demandé et vendu de 15 20 chevaux
au cours de cette période.
À l'époque où il a acheté Stone Manor, celui-ci
était un poulain âgé d'environ 18 mois. Selon la
coutume dans les courses de pur-sang, le cheval,
qui avait deux ans au premier janvier 1979, a
commencé à être entraîné au printemps de cette
même année. Après s'être rendu compte qu'il avait
un cheval exceptionnellement rapide, le deman-
deur a retiré l'animal de l'écurie publique pour le
confier à un meilleur entraîneur qui pourrait
exploiter le potentiel de cet animal. Le cheval a
couru trois fois au Canada en 1979 et une fois aux
États-Unis; en septembre de cette même année, il
a été mis en pâturage et y est resté pendant l'hiver.
Au début de 1980, il a été emmené en Floride pour
être entraîné et ramené en Ontario où sa carrière
de cheval de trois ans a commencé au printemps
1980; en tant que cheval de trois ans, il a gagné
d'importantes courses en Ontario, au Michigan et
en Ohio. Vers la fin de l'été ou au début de
l'automne 1980, le cheval a couru à Toronto, mais
n'a pas eu de tels succès. Le demandeur a été
informé par son entraîneur que le cheval allait
avoir un tendon courbé; on lui a conseillé de «le
ménager» et de le laisser se reposer pendant l'au-
tomne et l'hiver 1980 et le printemps 1981. En
1981, ils ont essayé de le faire courir de nouveau,
mais, après une deuxième performance médiocre,
l'entraîneur l'a informé que le cheval n'était pas en
pleine forme et que si on le faisait courir encore, il
finirait par avoir des tendons courbés, une blessure
commune aux pur-sang de course. À l'automne
1981, un groupe new-yorkais s'est dit intéressé à
faire l'acquisition du cheval pour la souche. En
raison de ses succès, ils ont offert et payé la somme
de 270 000 $. Le demandeur a témoigné qu'il n'a
pas gardé le cheval parce qu'il n'avait pas d'instal-
lation de reproduction, qu'il s'intéressait à la
course de chevaux pour le plaisir que cela procu-
rait et, non pas pour les élever parce que sa ferme
n'était pas équipée pour la reproduction, qu'il
s'agissait d'un passe-temps et qu'il a été chanceux
avec Stone Manor.
Au printemps 1981, il s'est adressé à un cabinet
de comptables pour faire préparer et déposer sa
déclaration d'impôt pour l'année 1980. Dans l'une
des annexes jointes à sa déclaration, c'est-à-dire la
pièce 1, se trouve une déclaration écrite à la main
et sommairement rédigée indiquant en haut [TRA-
DUCTION] «Activités de chevaux de course, revenu
agricole de 1980 de George Armstrong». Tout à
fait en haut se trouvent les mots [TRADUCTION]
«Inventaire-1 cheval Stone Manor; prix: 28 000 $
US». Il y a ensuite une énumération des prix
gagnés qui s'élevaient à 230 708,15 $, des dépenses
engagées de 131 830,90 $, avec un bénéfice net de
98 872,25 $. Cette dernière somme a été déclarée
comme revenu. Dans sa déclaration d'impôt pour
l'année d'imposition 1981, le demandeur a indiqué
à l'annexe 2 la vente de Stone Manor et déclaré un
gain en capital.
Tant l'expert-comptable de M. Armstrong que
le demandeur ont témoigné sur la question de
l'emploi du mot «inventaire». Au contre-interroga-
toire ainsi qu'à l'interrogatoire principal, ils ont
fait savoir à la Cour que le mot «inventaire» avait
été employé faute de meilleure expression.
Selon le demandeur, la vente de Stone Manor
était une vente d'un bien en immobilisations dont
le produit n'est imposable qu'à titre de gain en
capital et non à titre de revenu. Il s'appuie notam-
ment sur les articles 3 [mod. par S.C. 1977-78,
chap. 1, art. 1; chap. 42, art. 1], 9, 38 [mod. par
S.C. 1977-78, chap. 42, art. 2], 39(1)a) [mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 15; chap. 50, art.
48; 1976-77, chap. 4, art. 9; 1977-78, chap. 1, art.
16; chap. 42, art. 3; 1980-81-82-83, chap. 48, art.
16], 40(1)a), 54b) et 248(1) [mod. par S.C. 1979,
chap. 5, art. 66] de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.C. 1970-71-72, chap. 63]. Il allègue qu'il n'a
jamais eu l'intention («première» ou «secondaire»)
d'exercer le commerce des chevaux afin d'en tirer
des bénéfices.
De son côté, la défenderesse prétend que la
vente de Stone Manor a entraîné des bénéfices
tirés d'une entreprise ou d'un risque de caractère
commercial qui sont entièrement imposables en
tant que revenu. Elle invoque notamment les arti
cles 3, 9 et 248 (1) de la Loi. L'expression «risque
de caractère commercial» est tirée de la définition
élargie de «entreprise» qu'on trouve au paragraphe
248(1). Tout en reconnaissant que Stone Manor a
été acheté pour être gardé et pour courir, la défen-
deresse soutient principalement que le demandeur
avait l'intention spéculative de le vendre pour réa-
liser un profit. Cette intention secondaire est
censée donner à la vente la caractéristique d'un
risque de caractère commercial, ce qui rend le
produit entièrement imposable à titre de revenu.
Bien que la défenderesse en ait fait peu de cas
au cours du débat, on s'est longuement penché
pendant l'instruction sur l'incidence du mot «inven-
taire» pour décrire le cheval dans la déclaration
d'impôt du demandeur pour l'année 1981. Selon la
défenderesse, il s'agit là d'une indication que le
demandeur a entrepris d'acheter et de vendre des
chevaux de course, ce qui fait que l'excédent du
prix sur les coûts devrait être considéré comme des
bénéfices tirés de cette entreprise et imposé comme
revenu. Telle n'est pas ma conclusion. La défini-
tion du terme «inventaire» qu'on trouve au para-
graphe 248 (1) est d'une portée trop large pour être
d'une grande utilité, et ce terme n'y est défini que
pour les fins de la Loi et non pour permettre
d'interpréter l'intention du contribuable. Il est bien
établi que le contribuable ne peut ni augmenter ni
diminuer son assujettissement à l'impôt par l'em-
ploi intentionnel ou erroné de mots magiques dans
ses comptes. L'expression employée peut dénoter
la nature d'une opération. Toutefois, en dernière
analyse, il incombe à cette Cour de décider de la
nature réelle de l'opération et de statuer, compte
tenu de tous les faits, sur le fond de l'affaire. Voir
Sanders v. M.N.R. (1954), 54 DTC 203 (C.A.I.),
à la page 204; Sterling Trust, Limited v. Commis
sioners of Inland Revenue (1925), 12 T.C. 868
(C.A. Angl.), le juge Pollock, M.R., à la page 882
et le lord juge Atkin à la page 888; et Glenboig
Union Fireclay Company, Limited v. Commissio
ners of Inland Revenue (1922), 12 T.C. 427 (Ct.
of Sess.), le lord président Clyde à la page 450.
Compte tenu des éléments de preuve, j'estime que
Stone Manor n'était pas essentiellement un article
d'inventaire au sens d'un bien détenu dans le cours
ordinaire d'une entreprise pour être revendu.
J'aborde maintenant la question plus générale
relative à l'intention secondaire. La défenderesse
me demande instamment de déduire de la descrip
tion de Stone Manor comme «inventaire», des rela
tions du demandeur avec des sociétés faisant le
commerce des chevaux et de la nature spéculative
ou hautement hasardeuse de l'achat de chevaux de
course, que le demandeur avait, dès le début,
l'intention secondaire de rentabiliser son cheval. À
mon avis, on doit conclure au contraire compte
tenu des éléments de preuve et de la loi, et c'est sur
cette base que je dois statuer. Je trouve fort perti-
nents les propos tenus par le lord juge Clerk en
décidant, dans l'affaire Californian Copper Syndi
cate v. Harris (1904), 5 T.C. 159 (Exch.), à la
page 166, si le bénéfice tiré de la vente de certaines
actions équivalait à un bénéfice tiré d'une entre-
prise imposable comme revenu ou était simplement
un gain en capital non imposable (à cette époque):
[TRADUCTION] La ligne de démarcation entre les deux peut
être difficile à établir et chaque cas doit être examiné à la
lumière des circonstances qui l'entourent; il s'agit de répondre à
la question: le bénéfice tiré est-il une simple plus-value due à la
réalisation d'un titre, ou est-ce un bénéfice tiré dans le cadre
d'une entreprise en mettant à exécution un plan à but lucratif?
L'affaire Racine v. Ministre du Revenu Natio
nal, [1965] 2 R.C.É. 338; 65 DTC 5098 est utile
parce qu'on y a abordé la notion de l'intention
secondaire de vendre un bien (il s'agit d'une entre-
prise dans cette affaire) qui fait d'une opération ou
d'une série d'opérations un risque de caractère
commercial. A la page 348 R.C.É.; page 5111
DTC, le juge Noël s'exprime en ces termes:
En examinant cette question de savoir si les appelants
avaient, au moment de l'acquisition, ce que l'on a parfois appelé
une «intention secondaire» de revendre cette entreprise commer-
ciale si les circonstances s'y prêtaient, il est important de
considérer ce que cette notion doit comporter. Il n'est pas, en
effet, suffisant de trouver seulement que si un acquéreur s'était
au moment de l'acquisition arrêté pour y penser, il serait obligé
d'admettre que si à la suite de son acquisition une offre
attrayante lui était faite il revendrait car toute personne ache-
tant une maison pour sa famille, une peinture pour sa maison,
de la machinerie pour son commerce ou un bâtiment pour sa
manufacture serait obligée d'admettre, si cette personne était
honnête et que la transaction n'était pas exclusivement basée
sur une question de sentiment, que si on lui offrait un prix
suffisamment élevé à un moment quelconque après l'acquisi-
tion, elle revendrait. Il appert donc que le seul fait qu'une
personne achetant une propriété dans le but de l'utiliser à titre
de capital pourrait être induite à la revendre si un prix suffi-
samment élevé lui était offert n'est pas suffisant pour changer
une acquisition de capital en une initiative d'une nature ou
caractère commercial. Ce n'est pas en effet ce que l'on doit
entendre par une «intention secondaire» si l'on veut utiliser cette
phraséologie.
Pour donner à une transaction qui comporte l'acquisition
d'un capital le double caractère d'être aussi en même temps une
initiative d'une nature commerciale, l'acquéreur doit avoir, au
moment de l'acquisition, dans son esprit, la possibilité de
revendre comme motif qui le pousse à faire cette acquisition;
c'est-à-dire qu'il doit avoir dans son esprit l'idée que si certaines
circonstances surviennent il a des espoirs de pouvoir la revendre
à profit au lieu d'utiliser la chose acquise pour des fins de
capital. D'une façon générale, une décision qu'une telle motiva
tion existe devrait être basée sur des inférences découlant des
circonstances qui entourent la transaction plutôt que d'une
preuve directe de ce que l'acquéreur avait en tête.
Voir également: Bead Realties Ltd. v. M.N.R.
(1971), 71 DTC 5453 (C.F. ire inst.), le juge
Walsh; Hiwako Investments Ltd. v. The Queen
(1978), 78 DTC 6281 (C.F. Appel); et Simmons
(as liquidator of Lionel Simmons Properties Ltd)
v Inland Revenue Comrs, [ 1980] 2 All ER 798
(H.L.), lord Wilberforce, particulièrement à la fin
de la page 802. Ces affaires ont un trait commun:
les circonstances qui obligent à vendre un bien ou
qui rendent une vente attrayante (en l'espèce, la
blessure du cheval combinée avec ses succès aux
courses fait qu'il est précieux pour un haras) n'ont
pas pour effet de convertir rétroactivement un bien
détenu pour produire un revenu et à titre de bien
en immobilisations en quelque chose à caractère
commercial.
Compte tenu de tous les éléments de preuve et
de tous les faits, je ne suis pas disposé à conclure
que, au moment où le demandeur a acheté Stone
Manor, le mobile de cette acquisition était la
possibilité de le revendre avec profit. Je suis per-
suadé qu'il n'avait pas d'intention secondaire en
achetant Stone Manor pour le vendre avec profit
plutôt que de le garder pour le faire courir. La
preuve est à l'effet contraire. Ce dernier a été
soigneusement choisi en tant que cheval de race, il
a été entraîné et il a effectivement participé à des
courses. Il a produit un revenu régulier en gagnant
des prix. Une malheureuse et imprévisible blessure
à la jambe qui a mis fin de façon brutale à sa
carrière de cheval de course a motivé la vente. La
preuve ne m'a pas convaincu que les relations du
demandeur avec des sociétés faisant le commerce
de chevaux (des «quarter horse» en grande partie)
ont déguisé son achat d'un pur-sang de course de
manière à rendre la notion d'intention secondaire
applicable à l'espèce. Les rapports d'un contribua-
ble avec une agence immobilière qui vend et achète
des entreprises n'ont pas conduit à la conclusion
dans d'autres cas que le bénéfice tiré de la vente
d'un bien doit être considéré comme un revenu:
Racine v. Ministre du Revenu National, précité, à
la page 351 R.C.É., dans la traduction à la page
5104 DTC et dans le texte français original à la
page 5113 DTC; et Bead Realties Ltd. v. M.N.R.,
précité, à la page 5454. Il en est sûrement ainsi
lorsque, comme en l'espèce, le bien a été acheté
pour servir de passe-temps.
Il est certainement vrai qu'une opération isolée
peut être qualifiée de «risque de caractère commer
cial», ce qui fait que tout bénéfice qui en résulte est
imposable comme revenu: M.N.R. v. Taylor, J.A.
(1956), 56 DTC 1125 (C. de l'É.), à la page 1138.
Toutefois, en l'espèce, rien ne prouve que le
demandeur ait voulu faire de l'achat de Stone
Manor une opération commerciale. Il n'y avait
aucune opération de reproduction dans l'une quel-
conque de ses fermes et il n'y a même pas eu de
preuve de reproduction de chevaux «quarter horse»
par les sociétés qui ont acheté et vendu ces che-
vaux. Sa conduite était plutôt celle de quelqu'un
qui avait un passe-temps. Je ne suis pas convaincu
que signer des documents relatifs à des opérations
agricoles en général a fait en sorte que la partici
pation à des courses et la vente subséquente de
Stone Manor ont constitué pour le demandeur une
opération commerciale. Il aimait l'équitation, les
concours hippiques et les courses de chevaux. On
ne m'a soumis aucune preuve qu'un bénéfice avait
déjà été réalisé auparavant au moyen de ce passe-
temps, qui indiquerait une intention secondaire de
vendre le cheval à profit. Le demandeur était un
lotisseur de terrains et un constructeur de maisons.
Ses sociétés avaient un chiffre d'affaires annuel de
20 à 40 millions de dollars lorsqu'il a acheté Stone
Manor. Même après la mise sous séquestre de ses
sociétés, il ne s'est pas consacré à l'élevage de
chevaux malgré la valeur de Stone Manor, comme
sa vente subséquente au prix de 270 000 $ l'a
montré. Au lieu de cela, il est retourné en 1982 à
l'entreprise de lotissement de terrains et de cons
truction de maisons et il est devenu président de
Victoria Wood Development Corporation.
L'élément clé de l'argument de la défenderesse
semble être le suivant: puisque l'achat de chevaux
de course est hautement spéculatif, avec peu de
garantie de succès, Stone Manor a dû être acheté
pour être subséquemment vendu et non pour pro-
duire un revenu. C'est, dit-on, ce qui distingue
l'espèce d'autres affaires où une intention secon-
daire fait défaut. Je dois dire que je ne peux
vraiment suivre ni approuver ce raisonnement.
Selon ce raisonnement, toute personne qui achète
un bien comme passe-temps exerce une activité
qui, aux fins de l'impôt sur le revenu, consiste à
acheter et à vendre ce genre de bien. Certes, il n'y
avait aucune garantie de succès. Toutefois, il y a
beaucoup d'autres achats hautement spéculatifs
qu'on peut faire, par exemple achat de peintures,
sans que cela détermine l'intention de l'acheteur.
A mon avis, la thèse de la défenderesse semble
vouloir dire que le demandeur a acheté quelque
chose qui, d'après ses prévisions, ne pourrait pro-
duire de revenu, mais qu'il espérait en même
temps vendre pour réaliser un bénéfice important.
Cette thèse n'a pas de sens dans le présent con-
texte. Dans le cas d'un cheval de course, l'augmen-
tation de valeur au moment de la vente ne peut que
provenir de sa capacité de produire un revenu et de
son potentiel ou ses succès passés qui le rend apte à
la reproduction. Donc, en ne pouvant prévoir un
revenu, on ne pourra non plus prévoir une haute
valeur de revente. Il n'en est peut-être pas de
même dans les cas d'achat de terrain où le terrain
peut n'avoir presque aucune capacité de produire
un revenu, mais où on s'attend quand même à le
revendre à un prix intéressant. Dans l'affaire
Regal Heights Ltd. v. Minister of National Reve
nue, [1960] R.C.S. 902; 60 DTC 1270, aux pages
905 907 R.C.S.; 1272 et 1273 DTC, les propos
au sujet de l'incidence d'un achat qui est de nature
spéculative sur la caractérisation du bénéfice tiré
de la vente subséquente semblent étayer l'argu-
ment de la défenderesse. D'autre part, selon la
décision plus récente rendue par la Cour suprême
dans Irrigation Industries Limited v. The Minister
of National Revenue, [1962] R.C.S. 346; 62 DTC
1131, aux pages 349 352 R.C.S.; 1132 et 1133
DTC, un haut niveau de risque ne signifie pas que
la disposition d'un bien ne peut jamais être consi-
dérée comme une transaction de capital.
En conclusion, je voudrais revenir brièvement à
la question de l'intention secondaire. La notion
d'intention secondaire est enchâssée nulle part
dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme l'a
dit le juge en chef de la Cour fédérale dans
Hiwako Investments Ltd. v. The Queen, précité,
la page 6285, le terme «intention secondaire»:
[TRADUCTION] ... se rapporte tout au plus à une méthode
pratique pour résoudre certaines questions découlant des «affai-
res commerciales» mais il ne représente aucune catégorie juridi-
que. Les trois principales, sinon les seules, sources de revenus
sont les entreprises, les biens et les charges et emplois (article
3). Sauf de très rares exceptions, un bénéfice réalisé sur l'achat
et la revente d'un bien doit avoir sa source dans une «entreprise»
au sens de l'article 139 [maintenant le paragraphe 248(1)].
L'achat et la vente subséquente de Stone Manor
n'étaient ni une affaire ni un risque de caractère
commercial.
En invoquant les causes décidées avant la
réforme fiscale de 1971 indépendamment de l'his-
toire et d'un point de vue entièrement positiviste,
on risque de déformer arbitrairement l'interpréta-
tion et l'application de la Loi de l'impôt sur le
revenu. On ne saurait ne pas tenir compte du fait
que des causes telles que M.N.R. v. Taylor, J.A.,
précitée, Regal Heights Ltd. v. Minister of Natio-
nal Revenue, précitée, Golden (G.W.) Construction
Ltd. v. Minister of National Revenue, [ 1967]
R.C.S. 302; 67 DTC 5080; Pierce Investment
Corp. v. M.N.R. (1974), 74 DTC 6608 (C.F. 1`e
inst.); Kensington Land Developments Ltd. v. The
Queen (1979), 79 DTC 5283 (C.F. Appel); et
Watts Estate et al. v. The Queen (1984), 84 DTC
6564 (C.F. lie inst.), toutes citées par la défende-
resse, ont été tranchées à l'égard de certaines
années d'imposition alors que le défaut par les
tribunaux de conclure que la somme litigieuse était
un revenu aurait soustrait le contribuable à tout
assujettissement à l'impôt. Tel n'était pas le cas
après 1971, du moins jusqu'au budget fédéral de
1985. Les gains en capital étaient imposables et,
dans sa sagesse, le législateur a fixé le taux d'im-
position à la moitié de l'impôt sur le revenu. Dans
ce contexte historique et législatif, on devrait faire
preuve de prudence dans l'utilisation de la notion
d'intention secondaire de manière à ne pas quali
fier artificiellement de revenu les recettes qui sont
des gains en capital proprement dits.
Par tous ces motifs, l'appel est accueilli et le
demandeur aura droit à ses dépens.
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