T-2812-84
Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd. et Société de
Distribution Rossignol du Canada Ltée (requé-
rantes)
c.
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et
recherches nommé en vertu de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, et J. C. Thivierge,
sous-directeur des enquêtes et recherches nommé
en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions,
— et—
A. Brantz, R. Annan et H. Lalonde agissant à titre
de représentants du directeur des enquêtes et
recherches nommé en vertu de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, conformément à l'arti-
cle 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions (intimés)
— et—
Procureur général du Canada (mis -en-cause)
Division de première instance, juge Denault—
Montréal, 11 janvier; Ottawa, 22 février 1985.
Coalitions — Perquisitions et saisies en vertu de l'art. /0 de
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions — Documents
remis après que des microfiches et des photocopies eurent été
faites — Plaintes portées en vertu de la Loi devant la Cour des
sessions de la Paix — L'arrêt récent de la Cour suprême du
Canada Hunter et autres c. Southam Inc. a décidé que l'art.
10(1) et (3) de la Loi va à l'encontre de l'art. 8 de la Charte et
que les perquisitions et saisies en vertu de ces articles sont
abusives et nulles — Les requérantes ont-elles droit à la
restitution des photocopies, y compris celles dont la Couronne
a besoin aux fins de sa poursuite? — Le redressement recher-
ché équivaut à déclarer que les documents sont irrecevables
dans un procès devant une autre cour — Les saisies et les
perquisitions sont conformes au droit alors en vigueur, car
elles ont été effectuées après l'entrée en vigueur de la Charte
mais avant la décision de la Cour suprême — Il n'y a pas
d'autres circonstances particulières — Interdire à la Couronne
de faire usage des documents équivaudrait à lui interdire
d'utiliser une preuve légalement obtenue dans une instance
criminelle, ce qui est contraire aux principes du droit — Il
appartient au juge de la Cour des sessions de la Paix de
décider si lesdits éléments de preuve sont »susceptibles de
déconsidérer l'administration de la justice» — La requête est
rejetée et les intimés ont droit de conserver les documents
nécessaires à la poursuite — Dépens payables par les requé-
rantes — Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 10(1),(3) — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24(1),(2).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Perquisition et
saisie — Perquisitions et saisies effectuées en vertu de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions après l'entrée en
vigueur de la Charte mais avant que l'arrêt de la Cour
suprême du Canada Hunter et autres c. Southam Inc. ne
déclare contraires à la Charte les dispositions autorisant ces
perquisitions et saisies — Originaux remis après qu'on en eut
fait des reproductions — Plaintes portées en vertu de la Loi —
Les requérantes demandent la restitution de toutes les repro
ductions y compris celles nécessaires à la poursuite — Juge-
ment n'ordonnant pas la restitution des photocopies nécessai-
res à la poursuite parce que, mise à part la décision de la Cour
suprême, on n'a pas démontré l'existence de circonstances
particulières — Il appartient au juge de la Cour des sessions
de la Paix de décider si l'utilisation de la preuve est «suscepti-
ble de déconsidérer l'administration de la justice. — Dépens
payables par les requérantes — Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3) —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 8, 24(1),(2).
Des documents appartenant aux requérantes ont été saisis à
la suite de perquisitions autorisées en vertu de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions. Ils ont été remis à leurs
propriétaires après qu'on en eut fait des microfiches et des
photocopies. Deux ans plus tard, une plainte en vertu de la Loi
a été portée contre les requérantes devant un juge de la Cour
des sessions de la Paix. Les requérantes ont plaidé non coupa-
bles et présentent maintenant une requête devant la Cour
fédérale pour que soient annulées les autorisations, les perquisi-
tions et les saisies. Elles demandent en outre que toutes les
copies des documents saisis leur soient remises et qu'il soit
interdit aux intimés d'en faire usage. Dans l'arrêt Hunter et
autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour suprême
du Canada a décidé que les perquisitions effectuées sous le
régime des paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi étaient
abusives, ces dispositions étant incompatibles avec l'article 8 de
la Charte. La seule question en litige est de savoir si les
requérantes ont droit à la restitution de toutes les copies des
documents saisis, même celles dont la Couronne prétend avoir
besoin aux fins de la poursuite.
Les requérantes soutiennent que lorsqu'une saisie a été annu-
lée, le propriétaire a droit à la restitution des effets saisis et des
reproductions qu'on en a faites et de demander un interdit sur
l'utilisation des documents illégalement obtenus. Pour leur part,
les intimés maintiennent que la restitution des effets saisis
illégalement ne peut être ordonnée que si l'autorisation de
perquisition ou la saisie elle-même comportent des vices de
forme ou de fond et non pas uniquement parce que la Loi qui
les permettait a été jugée inopérante par la Cour suprême du
Canada.
Jugement: les perquisitions et les saisies sont nulles parce
qu'elles sont incompatibles avec l'article 8 de la Charte et ordre
est donné aux intimés de remettre les extraits et copies des
documents saisis, sauf ceux qui sont nécessaires pour la pour-
suite pénale. Dépens payables par les requérantes.
Bien que la Charte garantisse aux citoyens canadiens une
protection accrue, son but n'est pas de perturber ou de paraly-
ser le système juridique. Avant l'entrée en vigueur de la Charte,
les tribunaux ordonnaient généralement la restitution des effets
à leurs propriétaires sauf s'ils étaient nécessaires aux fins de
poursuites futures. Parmi les jugements pertinents, certains ont
décidé que la Couronne ne pouvait profiter de perquisitions et
de saisies illégales tandis que d'autres ont considéré qu'il fallait
tenir compte des circonstances.
En l'espèce, on demande à la Cour non pas de décider de
l'admissibilité d'un document devant une autre cour mais de
prononcer un jugement déclaratoire ayant le même effet sans
analyser, conformément au paragraphe 24(2) de la Charte, si
leur utilisation est «susceptible de déconsidérer l'administration
de la justice». Les perquisitions et les saisies effectuées en
l'espèce ont été faites après l'entrée en vigueur de la Charte
mais avant l'arrêt de la Cour suprême Hunter et autres c.
Southam Inc. Les enquêteurs ont donc agi conformément avec
le droit alors en vigueur. À part cette décision, on n'a pas
démontré de circonstances particulières. Interdire à la Cou-
ronne de faire usage des reproductions équivaudrait à lui
interdire de déposer dans une instance criminelle une preuve
légalement obtenue, ce qui est contraire aux principes du droit.
L'affidavit des intimés selon lequel ils ont besoin de la preuve
aux fins d'une poursuite criminelle justifie la Cour de rejeter
cette requête. Le jugement rendu par la Cour fédérale dans
l'affaire Jim Pattison Industries Ltd. c. La Reine, [1984] 2
C.F. 954 (1"» inst.), vient étayer cette décision même si dans ce
cas il s'agissait d'une saisie effectuée avant l'entrée en vigueur
de la Charte. Il appartient au juge de la Cour des sessions de la
Paix de décider si l'utilisation de la preuve ainsi obtenue est
«susceptible de déconsidérer l'administration de la justice».
Dépens payables par les requérantes.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145;
11 D.L.R. (4th) 641; 55 N.R. 241; [1984] 6 W.W.R.
577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 84 DTC 6467; 14 C.C.C. 97;
41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; Blackwoods Beverages
Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159; 47 C.P.C. 294 (C.A.
Man.); R. v. Rao (1984), 4 O.A.C. 162; 46 O.R. (2d) 80;
40 C.R. (3d) 1; 12 C.C.C. (3d) 97; R. c. Henry Caller
Inc., jugement en date du 17 janvier 1985, Cour des
sessions de la Paix de Montréal, C.S.P. n° 500-27-20425-
841, encore inédit; Jim Pattison Industries Ltd. c. La
Reine, [1984] 2 C.F. 954 (Ire inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Weigel and The Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 81
(B.R. Sask.); Re Trudeau and The Queen (1982), I
C.C.C. (3d) 342 (C.S. Qc).
DÉCISIONS CITÉES:
Re Black and The Queen (1973), 13 C.C.C. (2d) 446
(C.S.C.-B.); Re Atkinson and The Queen (1978), 41
C.C.C. (2d) 435 (C.A.N.-B.); Re Butler and Butler and
Solicitor -General of Canada et al. (1981), 61 C.C.C.
(2d) 512 (C.S.C.-B.); Re Chapman and The Queen
(1984), 46 O.R. (2d) 65; 9 D.L.R. (4th) 244; 12 C.C.C.
(3d) 1 (C.A.); R. v. Noble (1984), 6 O.A.C. 11; 42 C.R.
(3d) 209; Lewis c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC
6550; [1984] CTC 642 (C.F. Ire inst.); Re Gillis and The
Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 545 (C.S. Qc).
AVOCATS:
Bruno J. Pateras pour les requérantes.
James L. Brunton pour les intimés et le
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Pateras et Iezzoni, Montréal, pour les
requérantes.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés et le mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DENAULT: Les requérantes ont fait
l'objet de perquisitions et de saisies de documents
en août 1982, et une plainte comportant six chefs
d'accusation a été portée le lei août 1984 en vertu
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
[S.R.C. 1970, chap. C-23], devant la Cour des
sessions de la Paix de Montréal.
Cette perquisition avait été dûment autorisée
selon la procédure prévue aux paragraphes 10(1)
et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions. Munis de cette autorisation, les intimés
ont saisi 441 documents qu'ils ont ultérieurement
retournés aux requérantes en septembre 1982,
après en avoir fait des microfiches et des photoco
pies. Les requérantes ont plaidé non coupables à la
plainte portée contre elles devant la Cour des
sessions de la Paix de Montréal et font maintenant
une requête devant la Cour fédérale du Canada
pour que soient annulées les autorisations, les per-
quisitions et saisies, et elles demandent en consé-
quence que toutes les microfiches ou photocopies
des documents saisis leur soient remises et qu'il
soit interdit aux intimés d'en faire usage.
Les requérantes basent leur requête sur la déci-
sion rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2
R.C.S. 145 qui a décidé que les dispositions pré-
vues à l'article 10 de ladite Loi, étaient incompati
bles avec l'article 8 de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et
qu'en conséquence une fouille ou une perquisition
ainsi effectuée sous ces paragraphes 10(1) et 10(3)
est abusive.
Face à ce jugement de la Cour suprême, les
intimés n'avaient évidemment pas d'autre choix
que d'admettre l'illégalité des autorisations de per-
quisitions datées du 9 et du 25 août 1982 et des
saisies faites entre le 23 et le 26 août 1982. Leur
procureur a donc admis que les saisies devaient
être annulées. Il a de plus admis que la Cour avait
le pouvoir inhérent d'ordonner la remise des docu
ments aux requérantes, et que la requête, telle que
faite, constituait la procédure appropriée; en un
mot, il ne conteste pas la forme de la requête et
admet même que c'est la procédure appropriée
pour obtenir les conclusions recherchées. En consé-
quence, il n'a pas objection à remettre les photoco
pies des documents saisis à l'exception de 49 d'en-
tre elles dont il a besoin, l'affidavit d'un des
intimés à l'appui, pour servir de preuve éventuelle-
ment dans la plainte portée contre les requérantes.
La seule véritable question en litige est de savoir
si les requérantes ont droit à la remise de toutes les
photocopies ou microfiches des documents illégale-
ment saisis et en particulier celles dont la Cou-
ronne prétend avoir besoin pour les fins de son
accusation.
Les articles 8 et 24 de ladite Charte, pertinents
à la présente affaire, se lisent comme suit:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
24. (I) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (l), le
tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus
dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés
garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont
écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur
utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la
justice.
Selon le procureur des requérantes, la saisie
étant annulée, les victimes d'une telle saisie abu
sive ont droit à la remise des effets saisis et aux
reproductions qu'on en a faites même si des pour-
suites judiciaires ont depuis été prises. De plus, les
requérantes auraient droit de demander un interdit
sur l'utilisation des pièces illégalement obtenues.
Selon le procureur des intimés, on ne doit per-
mettre la remise des copies d'effets saisis illégale-
ment qu'avec beaucoup de circonspection, surtout
lorsqu'une plainte a été portée en justice; ainsi on
peut ordonner la remise de ces biens si l'autorisa-
tion de perquisition ou la saisie elle-même sont
affectées de vices techniques ou de substance, ou si
elles n'ont pas été exécutées de façon adéquate.
Par ailleurs, il en serait autrement si rien n'affecte
la perquisition ou la saisie telle quelle si ce n'est
que la loi qui la permettait a été jugée inopérante
par une décision de la Cour suprême du Canada.
Il faut mentionner que dans la présente cause,
selon les admissions des parties, les documents
autorisant la perquisition ne sont entachés d'au-
cune erreur et la perquisition elle-même et la saisie
se sont déroulées de façon normale. Le seul repro-
che qu'on leur fait: les paragraphes 10(1) et 10(3)
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
qui les autorisaient ont été déclarés inopérants et
incompatibles avec l'article 8 de la Charte.
Avant l'entrée en vigueur de la Charte cana-
dienne des droits et libertés, quand des mandats de
perquisition étaient annulés pour vice de fond ou
de forme, les tribunaux considéraient générale-
ment qu'il fallait remettre à son propriétaire les
objets illégalement saisis sauf si on en avait besoin
aux fins de poursuites ultérieures, que des plaintes
aient alors été portées ou qu'on envisage seulement
de le faire'.
Depuis l'entrée en vigueur de la Charte le 17
avril 1982, le citoyen canadien jouit maintenant
d'une protection accrue bénéficiant de la garantie
juridique que lui accorde l'article 8 contre les
fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il
faut noter au départ, comme le faisait le juge en
chef Monnin de la Cour d'appel du Manitoba dans
' Re Black and The Queen (1973), 13 C.C.C. (2d) 446
(C.S.C.-B.); Re Atkinson and The Queen (1978), 41 C.C.C.
(2d) 435 (C.A.N: B.); Re Butler and Butler and Solicitor -
General of Canada et al. (1981), 61 C.C.C. (2d) 512
(C.S.C.-B.).
l'affaire Blackwoods Beverages [à la page 166
W.W.R.] 2 :
[TRADUCTION] ... que la Charte n'était destinée ni à perturber
ce qui constituait et continue de constituer un système juridique
bien structuré ni à causer sa paralysie. La Charte est la loi
suprême du pays; il faut l'appliquer et l'interpréter de la
manière la plus libérale et la plus souple possible tout en
respectant cependant le système judiciaire existant. La Charte
crée des droits nouveaux qui sont pleinement exécutoires immé-
diatement. Il ne faut toutefois pas déroger à la procédure
ordinaire: dénonciation, audience préliminaire, renvoi au
procès, procès et appels interjetés aux différents niveaux de
juridictions d'appel. Au contraire, il faut suivre cet ordre pour
assurer que l'administration de la justice soit régulière, efficace
et rapide.
Si le citoyen est à l'abri des saisies abusives, il
appartient aux tribunaux d'apprécier chaque cas à
son mérite dans le cadre de l'article 24.
A cet égard, certaines décisions récentes ont
abordé la question de la remise des objets illégale-
ment saisis, de façon favorable tantôt à la victime
de la saisie 3 , tantôt à la Couronne 4 . On a même
adopté une position mitoyenne dans l'affaire
Lewis 5 alors que le juge Walsh ordonnait à la
Couronne de remettre les objets illégalement saisis
mais dans un délai de cinq jours, lui accordant
ainsi le temps de procéder légalement à une nou-
velle saisie.
La position de ceux qui favorisent la remise des
objets à leur auteur est résumée dans l'affaire
Weigel par le juge Noble qui, après avoir revisé la
jurisprudence antérieure à la Charte, déclare [aux
pages 85-86-87]:
[TRADUCTION] Dans tous les cas mentionnés (et sans aucun
doute, dans certains autres), la décision a été rendue avant
l'entrée en vigueur de la Charte des droits. Le droit à la
protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies
abusives faisait partie du droit canadien avant l'adoption de la
Charte; toutefois, on peut constater à l'examen des précédents
2 Blackwoods Beverages Ltd. v. R., [1985] 2 W.W.R. 159;
47 C.P.C. 294 (C.A. Man.).
3 Re Chapman and The Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65; 9
D.L.R. (4th) 244; 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A.); Re Weigel and The
Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 81 (B.R. Sask.); Re Trudeau and
The Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 342 (C.S. Qc); Re Gillis and
The Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 545 (C.S. Qc).
4 R. v. Noble (1984), 6 O.A.C. I I; 42 C.R. (3d) 209;
Blackwoods Beverages, op. cit.; R. c. Henry taller Inc., C.S.P.
Montréal n° 500-27-20425-841, juge Jean Sirois, jugement en
date du 17 janvier 1985, encore inédit.
5 Lewis c. M.R.N. et autres (1984), 84 DTC 6550; [1984]
CTC 642 (C.F. 1" inst.).
susmentionnés que même si les tribunaux semblaient admettre
qu'ils étaient compétents pour annuler un mandat de perquisi-
tion irrégulier, ils étaient incapables de s'entendre sur la ques
tion de savoir s'il fallait retourner ou non à leur propriétaire les
articles saisis en vertu d'un tel mandat. Dans certains cas, il
appert que le tribunal a exercé son pouvoir d'appréciation en
faveur de la Couronne et lui a permis, pour de simples raisons
pratiques, de retenir les articles saisis. Dans d'autres cas (voir
plus haut l'extrait tiré de l'affaire Butler), le tribunal n'a
permis à la Couronne de garder les articles saisis illégalement
que lorsqu'elle pouvait démontrer qu'ils constituaient des preu-
ves pertinentes contre l'accusé. Le juge Moshansky a bien fait
ressortir l'autre côté de la médaille quand il a conclu que la
tendance à conférer à la Couronne le droit de conserver les
articles saisis illégalement était déplorable et constituait une
sorte de récompense pour un manquement aux exigences claires
de l'al. 443(1)b). Quelle justification peut-on invoquer pour
statuer d'une part que la délivrance d'un mandat de perquisi-
tion ne respecte pas les règles, tout en affirmant d'autre part
aux autorités concernées que tout est en ordre et qu'elles
peuvent de toute manière utiliser les articles saisis comme
preuves contre l'accusé? Peut-on dire que cette position mani-
festement contradictoire encouragera les agents de police et les
personnes ayant autorité pour agir à se conformer aux lois
destinées à protéger les droits des citoyens? Je ne le pense pas.
A mon avis, il faut interpréter la Charte des droits de
manière à ce que les pratiques suivies par les autorités policiè-
res dans l'obtention de mandats de perquisition respectent les
buts de la loi tels qu'ils sont énoncés à l'al. 443(1)b) et
interprétés par les tribunaux. J'estime également que, si les
citoyens doivent comprendre que l'art. 8 de la Charte leur
accorde une protection contre les fouilles, les perquisitions et les
saisies abusives, il faut alors expliquer la position de certains
tribunaux voulant que la Couronne puisse retenir les articles
saisis en vertu d'un mandat de perquisition irrégulier. Autre-
ment, les citoyens se demanderont sans aucun doute comment
la police peut, d'un côté, agir illégalement envers eux et de
l'autre, utiliser les preuves recueillies contre eux même si la
perquisition était illégale.
À mon avis, maintenant que la Charte des droits est en
vigueur, les tribunaux devraient tenir compte de son libellé clair
et ne devraient pas permettre que la Couronne puisse retenir
des documents saisis illégalement, même dans les cas où lesdits
documents ont déjà été présentés en preuve à une audience
préliminaire sur une accusation portée contre l'accusé. Il ne
faut pas sacrifier les droits d'un accusé juste pour faciliter la
poursuite de ce dernier par la Couronne.
Ou, comme le dit d'une façon plus concise le
juge Boilard dans l'affaire Trudeau à la page 349:
[TRADUCTION] À la lumière de l'art. 24 de la Charte, j'estime
que le seul recours réel est, une fois que l'on juge que la saisie
est illégale, d'ordonner que les objets saisis soient remis à leur
possesseur légal.
Par ailleurs, les tenants de la thèse favorable à
la rétention par la Couronne des pièces dont elle
peut avoir besoin, donnent une interprétation
moins drastique et beaucoup plus nuancée, laissant
au juge saisi de l'affaire au procès ou d'une
demande en vertu du paragraphe 24(1) le soin
d'évaluer les circonstances de celles-ci 6 .
Dans cette affaire, le procureur des requérantes
a présenté sa requête sous le paragraphe 24(1) de
la Charte. Il s'adresse à la Cour fédérale d'abord
pour demander le redressement d'un tort causé à
ses clientes par l'application de la Charte. Il
demande que le tribunal estime convenable et
juste, eu égard aux circonstances, d'ordonner la
remise des photocopies de documents obtenus illé-
galement et d'interdire aux intimés de faire usage
de l'information qu'ils y ont obtenue. Le procureur
des requérantes insiste donc pour qu'on traite de
cette affaire strictement en vertu du paragraphe
24(1), c'est-à-dire sans analyser, conformément au
paragraphe 24(2), si l'utilisation de ces documents
est susceptible de «déconsidérer l'administration de
la justice». Encore une fois, on ne demande pas de
décider de l'inadmissibilité d'un document dans un
procès devant une autre cour, mais on veut une
forme de jugement déclaratoire qui équivaut au
même effet.
À cette fin, il faut analyser les circonstances
dans lesquelles on a porté atteinte au droit des
requérantes et, si celles-ci sont jugées suffisam-
ment graves, accorder une réparation convenable
et juste. Comme on l'a dit au début, les parties ont
convenu que les perquisitions et la saisie avaient
été faites de façon adéquate et l'aveu d'illégalité de
la part des intimés n'a été fait qu'à cause de la
décision de la Cour suprême dans l'affaire Sou-
tham Inc. Il faut cependant préciser que lors de
l'autorisation de la saisie en août 1982, la Charte
était alors en vigueur (17 avril 1982) mais la
décision de la Cour suprême dans l'affaire Sou-
tham Inc. n'avait pas encore été rendue (septem-
bre 1984) et les enquêteurs ont procédé suivant la
loi alors en vigueur, en vertu d'une disposition
dûment adoptée par le Parlement.
Sauf la décision rendue par la Cour suprême,
aucune circonstance particulière n'a donc été
démontrée par les requérantes; elles ont de plus
plaidé que les intimés, officiers de la Couronne,
devaient savoir que la Cour d'appel d'Alberta
avait, en janvier 1983, conclu que les paragraphes
6 R. v. Rao (1984), 4 O.A.C. 162; 46 O.R. (2d) 80; 40 C.R.
(3d) 1; 12 C.C.C. (3d) 97; Blackwoods Beverages, op. cit.;
Henry Galler Inc., op. cit.
10(1) et 10(3) de la Loi étaient incompatibles avec
l'article 8 de la Charte. Cet argument ne saurait
être retenu, car il aurait fallu alors qu'ils présu-
ment de la décision de la Cour suprême. Mais
même en admettant la gravité de certaines circons-
tances, serait-il convenable et juste, en guise de
réparation, de refuser la preuve ainsi recueillie. Il
est évident qu'en interdisant à la Couronne de s'en
servir, cela équivaudrait à donner à la Couronne
une interdiction de déposer dans une instance cri-
minelle une preuve légalement obtenue, ce qui est
contraire aux principes de droit.
En conséquence, même sans considérer le para-
graphe 24(2) de la Charte, il m'apparaît que les
requérantes n'ont démontré aucune circonstance
particulière me justifiant d'accorder les conclu
sions recherchées par le seul fait que la Cour
suprême a récemment décidé qu'une telle autorisa-
tion, perquisition et saisie étaient abusives.
Appelé à décider d'un problème semblable où la
saisie avait cependant eu lieu avant l'entrée en
vigueur de la Charte, l'Honorable juge Dubé a
déclaré dans l'affaire Jim Pattison Industries Ltd.
c. La Reine, [1984] 2 C.F. 954 (1 r° inst.) [aux
pages 960 et 961]:
Les demanderesses en l'espèce soutiennent évidemment que
la question à trancher dans le cas présent n'est pas la recevabi-
lité de la preuve, mais plutôt le pouvoir de la défenderesse
d'utiliser les renseignements et les faits rapportés dans des
documents admissibles, ce qui constitue une intrusion dans la
vie privée et relève ainsi de la compétence exclusive de la Cour
fédérale.
Je conviens que cette Cour a compétence pour rendre le
jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses. Néan-
moins, les tribunaux hésitent à rendre un jugement déclaratoire
qui aura des répercussions directes sur le déroulement d'une
action pénale dont un autre tribunal a été saisi. Il est admis en
l'espèce que, à la suite d'une enquête préliminaire, les demande-
resses ont été citées à procès devant la Cour suprême de
l'Ontario, procès devant commencer le 11 février 1985. Des
copies des documents saisis ont été déposées à l'enquête préli-
minaire et le procureur de la Couronne les a alors mises à la
disposition du juge présidant le procès, des avocats et du
sténographe de la Cour.
L'affidavit des intimés à l'effet qu'ils ont besoin
de la preuve recueillie dans une plainte déjà portée
contre les requérantes justifie la Cour de rejeter
cette requête. Il appartiendra au juge de la Cour
des sessions de la Paix d'évaluer si les éléments de
preuve ainsi recueillis sont «susceptible[s] de
déconsidérer l'administration de la justice».
En conséquence, la Cour déclare les perquisi-
tions et les saisies faites les 25 et 26 août 1982 aux
places d'affaires des requérantes illégales, nulles,
abusives et en violation de l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés, ordonne la
remise des extraits ou photocopies de tous les
documents alors saisis sauf ceux nécessaires à la
poursuite pénale, soit les 49 documents apparais-
sant à l'annexe E de l'affidavit de l'intimé André
Brantz. Frais contre les requérantes.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.