T-947-85
Haia Kravets (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Division de première instance, juge Strayer—Win-
nipeg, 7 et 8 mai 1985.
Immigration — Pratique — Demande de mandamus et de
certiorari au sujet d'une enquête sur la question de savoir s'il
faudrait permettre à la requérante de rester au Canada —
L'intimé cherche à obtenir un ajournement — La requérante ne
s'oppose pas à l'ajournement à condition qu'il ne lui soit pas
préjudiciable — Ordonnance de prohibition rendue afin d'em-
pêcher l'arbitre de prononcer une ordonnance de renvoi ou
d'émettre un avis d'interdiction de séjour avant qu'il ne soit
statué sur la présente demande — Il est nécessaire de préser-
ver le statu quo afin de faire respecter les droits prévus aux
art. 7, 12 et 15 de la Charte — Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19, 37(2).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Demande de
mandamus et de certiorari au sujet d'une enquête sur la
question de savoir s'il faudrait permettre à la requérante de
rester au Canada — La requérante ne s'oppose pas à l'ajour-
nement à condition qu'il ne lui soit pas préjudiciable —
Ordonnance de prohibition rendue afin d'empêcher l'arbitre de
prononcer une ordonnance de renvoi ou d'émettre un avis
d'interdiction de séjour avant qu'il ne soit statué sur la pré-
sente demande — Il est nécessaire de préserver le statu quo
afin de faire respecter les droits garantis par la Charte qui ont
été invoqués — Le prononcé d'une ordonnance de renvoi ou
l'émission d'un avis d'interdiction de séjour pourrait probable-
ment rendre les objets de la demande de mandamus non
pertinents et l'expulsion de la requérante pourrait avoir lieu
avant que la décision de l'expulser ait pu faire l'objet d'un
examen par la Cour fédérale — Le Ministre et l'arbitre n'ont
pas compétence pour se pencher sur un déni des droits garantis
par la Constitution — L'art. 24(1) de la Charte qui s'applique
à «Toute personne, victime de violation ou de négation des
droits., est pertinent en l'espèce — La présente demande
allègue notamment qu'il y a eu négation de droits — Dans la
mesure où il s'agit d'une négation appréhendée de droits en
raison de l'exercice par l'arbitre, au cours d'une enquête à
venir, de pouvoirs contrevenant à la Charte, il faut conclure
que l'art. 24(1) couvre implicitement cette situation — Si la
Cour est habilitée à accorder une réparation en prévision de la
violation d'autres droits, au moyen d'injonctions ou de brefs de
prohibition, elle peut donc protéger les droits garantis par la
Charte avant leur violation tout comme elle peut accorder un
redressement après leur violation — L'ordonnance n'empêche
pas l'arbitre de poursuivre l'enquête parce que cette dernière
n'aura pas elle-même pour effet de modifier les droits qui
pourraient être garantis par la Charte — L'ordonnance de
prohibition lui interdit seulement de rendre une décision tant
qu'il n'est pas statué sur la présente demande — L'intitulé de
la cause est modifié de manière à constituer l'arbitre partie
aux procédures pour qu'il (ou elle) soit visé(e) par l'ordon-
nance de prohibition — Charte canadienne des droits et liber-
tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1
(R.-U.), art. 7, 12, 15, 29(l) — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. l0, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Nat. Citizen's Coalition Inc. Coalition Nat. Des Citoyens
Inc. v. A.G. Can. (1984), 32 Alta. L.R. (2d) 249 (B.R.).
AVOCATS:
Kenneth Zaifman pour la requérante.
Brian H. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
Margolis Kaufman Cassidy Zaifman Swartz,
Winnipeg, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: La requérante cherche à
obtenir des ordonnances de mandamus et de cer-
tiorari au sujet de décisions ou d'actes du Ministre
ou de ses fonctionnaires, et concernant l'enquête
imminente d'un arbitre sur la question de savoir
s'il faudrait permettre à la requérante de rester au
Canada. L'intimé demande un ajournement afin
de se préparer adéquatement à traiter des ques
tions qui seront soulevées, dont l'application possi
ble des articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La
requérante ne s'oppose pas à l'ajournement mais
elle ne veut pas qu'il lui soit préjudiciable; elle
s'oppose en particulier à ce que l'enquête se pour-
suive jusqu'à un point où l'arbitre pourrait décider
de prononcer une ordonnance d'expulsion ou
d'émettre un avis d'interdiction de séjour avant
que la Cour puisse examiner la présente demande.
J'admets qu'il devrait y avoir un ajournement
pour permettre aux parties de préparer leur preuve
et leurs plaidoiries. Certaines questions nouvelles
et très importantes sont en cause, en particulier,
l'effet possible de l'article 15 de la Charte sur
l'article 19 de la Loi sur l'immigration de 1976
[S.C. 1976-77, chap. 52]. Je conviens également
avec l'intimé que si l'enquête se poursuit pendant
l'ajournement, la requérante pourrait subir un pré-
judice si l'affaire continuait jusqu'au prononcé
d'une ordonnance d'expulsion ou d'un avis d'inter-
diction de séjour avant même que la Division de
première instance ait pu statuer sur la présente
demande. Une fois que l'arbitre prend une telle
décision, la compétence de la Division de première
instance concernant cette décision est remise en
cause. Pour ce qui est des questions visées par la
présente demande, à l'exclusion de l'enquête, on
pourrait alléguer que le prononcé d'une telle
ordonnance rendrait ces questions inutiles: par
exemple, un permis du Ministre serait donc exclu
(voir le paragraphe 37(2) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976). De plus, une fois qu'une telle ordon-
nance serait rendue, il y aurait lieu de se demander
si un tribunal pourrait empêcher son exécution,
même si ladite ordonnance était sujette à l'examen
prévu à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 101.
Je rends donc une ordonnance de prohibition
afin d'empêcher l'arbitre de prononcer une ordon-
nance de renvoi ou d'émettre un avis d'interdiction
de séjour avant que la Division de première ins
tance ait statué sur la présente demande. Je suis
venu à la conclusion que le paragraphe 24(1) de la
Charte m'habilite à agir ainsi. Cette Cour est un
«tribunal compétent» pour accorder une ordon-
nance de prohibition contre un arbitre exerçant un
pouvoir conféré par une loi du Parlement. J'ai
conclu qu'il est nécessaire de rendre une ordon-
nance de prohibition de manière à préserver le
statu quo pour que la Cour puisse faire respecter
les droits garantis par la Charte qui ont été invo-
qués, si leur existence peut être démontrée. En
l'absence d'une telle ordonnance, il est fort possible
que ces droits perdent tout leur sens si une ordon-
nance de renvoi était prononcée ou si un avis
d'interdiction de séjour était délivré: une telle déci-
sion pourrait rendre les objets de la demande de
mandamus non pertinents et entraîner, dans la
mesure où je peux m'en assurer, l'expulsion de la
requérante du Canada avant que la décision de
l'expulser ait pu faire l'objet d'un examen par l'une
ou l'autre des divisions de la Cour fédérale. Cela
pourrait avoir pour effet de dénier à la requérante
les droits garantis par la Constitution ce qui
excède la compétence du Ministre et de l'arbitre.
Une ordonnance de prohibition est donc le redres-
serrent approprié. Il faudrait aussi remarquer que,
même si le paragraphe 24(1) de la Charte s'appli-
que à «Toute personne, victime de violation ou de
négation des droits [c'est moi qui souligne]», j'es-
time qu'il est pertinent en l'espèce. La présente
demande allègue notamment qu'il y a eu négation
de droits. Dans la mesure où il s'agit d'une néga-
tion appréhendée de droits en raison de l'exercice
par l'arbitre, au cours d'une enquête à venir, de
pouvoirs contrevenant à la Charte, il faudrait con-
clure que le paragraphe 24(1) couvre implicite-
ment cette situation. Si le tribunal concerné est
habilité à accorder une réparation en prévision de
la violation d'autres droits, comme cette Cour peut
le faire au moyen d'injonctions ou de brefs de
prohibition, il peut donc protéger de la même
manière les droits garantis par la Charte avant
leur violation tout comme il peut accorder un
redressement après leur violation. Voir de manière
générale l'affaire Nat. Citizen's Coalition Inc.
Coalition Nat. Des Citoyens Inc. v. A.G. Can.
(1984), 32 Alta. L.R. (2d) 249 (B.R.), à la page
253; Tarnopolsky et Beaudoin (éd.), Charte cana-
dienne des droits et libertés (1982), aux pages 629
à 634.
La présente ordonnance n'empêchera pas l'arbi-
tre de poursuivre l'enquête parce qu'elle n'aura pas
pour effet en elle-même de modifier les droits qui
pourraient être garantis par la Charte. Elle lui
interdira seulement de rendre une décision tant
qu'il n'aura pas été statué sur la présente
demande.
L'avocat a soutenu que l'intitulé de la cause
devrait être modifié, ce que j'ordonne, de manière
à constituer l'arbitre partie aux présentes procédu-
res pour qu'il (ou elle) soit visé(e) par l'ordon-
nance de prohibition. Même si l'avocat du Minis-
tre a apparemment admis qu'il pouvait accepter
une telle modification, il a insisté pour dire que
l'ordonnance de prohibition ne pouvait être rendue
contre le Ministre en ce qui a trait à l'enquête
parce que l'arbitre n'est pas assujetti aux directives
du Ministre quant à la manière de mener ce genre
d'enquête. L'ordonnance sera aussi assujettie aux
autres directives de la Cour. Si la présente
demande n'est pas tranchée dans un délai oppor-
tun, les parties pourront chercher à faire modifier
mon ordonnance.
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