A-868-81
BBM Bureau of Measurement (requérante)
c.
Directeur des enquêtes et recherches (intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Hugessen et le juge
suppléant Culliton-Toronto, 1«r, 2, 3 novembre
1983; Ottawa, 6 mars 1984.
Droit constitutionnel - Partage des pouvoirs - Coalitions
- Ventes liées - L'art. 31.4 de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions est-il ultra vires parce qu'il constitue une
disposition législative qui porte sur la propriété et les droits
civils? - L'art. 31.4 est une disposition législative fédérale
valide parce qu'il relève de la rubrique réglementation des
échanges et du commerce de l'art. 91(2) de la Loi constitution-
nelle - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 15(2), 31.2, 31.3, 31.4, 31.7, 31.8
(ajoutés par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12), 32(1)c) (mod.,
idem, art. 14), 46.1 (ajouté, idem, art. 24) - Loi constitution-
nelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 91, 91(2),(27), 92(13),(14) - Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. -1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28 - Loi sur
les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 7e)
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2.
Coalitions - Ventes liées - L'art. 31.4 de la Loi relative
aux enquête sur les coalitions est-il ultra vires parce qu'il
constitue une disposition législative qui porte sur la propriété
et les droits civils? - L'art. 31.4 est une disposition législative
fédérale valide parce qu'il relève de la rubrique réglementation
des échanges et du commerce de l'art. 91(2) de la Loi constitu-
tionnelle - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 15(2), 31.2, 31.3, 31.4, 31.7, 31.8
(ajoutés par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12), 32(1)c) (mod.,
idem, art. 14), 46.1 (ajouté, idem, art. 24) - Loi constitution-
nelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par. la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 91, 91(2),(27), 92(13),(14) - Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28.
La Commission sur les pratiques restrictives a conclu que la
requérante a pratiqué les «ventes liées» au sens de l'article 31.4
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, en ce qui
concerne son service de mesure de l'écoute de la télévision et de
la radio. La Commission a conclu que BBM a soit obligé ses
membres à acquérir à la fois ses données sur la radio et ses
données sur la télévision ou les a incité à le faire, en leur offrant
des remises. La présente demande fondée sur l'article 28 vise à
obtenir l'examen et l'annulation de l'ordonnance consécutive à
cette conclusion.
BBM soutient qu'en tant que coopérative, elle est composée
de «membres» et non de «clients», ce qui rend inapplicable
l'article 31.4; que, vu que BBM est une coopérative dont les
membres se fournissent des données à eux-mêmes, il n'y a ni
«fournisseur» ni «client» distincts; que BBM n'offre pas ses
produits à «des conditions plus favorables» si un client accepte
d'acheter l'autre produit; que l'article 31.4 est ultra vires parce
qu'il porte sur la propriété et sur les droits civils dans les
provinces au sens de la catégorie 92(13) de la Constitution.
Ayant conclu qu'aucune des trois premières questions n'était
fondée, la Cour s'est limitée à la question constitutionnelle.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
L'article 31.4 est jugé valide en vertu de la rubrique «régle-
mentation du trafic et du commerce» figurant à la catégorie
91(2). Dans l'arrêt Citizen Insurance v. Parsons, la Cour a
déclaré qu'«il se pourrait qu'ils [termes de la catégorie 91(27)]
comprennent la réglementation générale des échanges s'appli-
quant à tout le Dominion». Afin de déterminer si le «second
élément» de la compétence en matière d'échange et de com
merce s'applique, la disposition législative doit satisfaire au
critère de «l'intérêt général pour tout le Dominion» approuvé
par le juge Estey dans la cause Labatt Breweries.
Suivant le point de vue formulé par le juge Dickson (tel était
alors son titre) dans la cause Transports Nationaux du
Canada, il est d'abord déterminé que l'article 31.4 n'est pas une
disposition isolée mais fait partie intégrante d'un système per
ceptible. Et ce système satisfait tous les critères mentionnés par
le juge Dickson dans cette affaire. L'article 31.4 fait partie d'un
système complexe de réglementation qui ne vise pas une entre-
prise ou une industrie en particulier, mais qui réglemente les
échanges et le commerce en général dans l'ensemble du Canada
au bénéfice des Canadiens en général.
Dans ce contexte, les pouvoirs conférés par les catégories
91(2) et 92(13) sont complémentaires. On peut avoir recours à
91(2) dans le but de s'assurer que la concurrence n'est pas
diminuée et demeure juste, et à 92(13) pour faire en sorte que
les acheteurs sont protégés contre des pratiques commerciales
contraires à l'éthique lorsqu'ils traitent avec des entreprises ou
des industries individuelles.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Citizen Insurance Company of Canada v. Parsons
(1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.); Procureur général du
Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et
autre, [1983] 2 R.C.S. 206; 49 A.R. 39; 7 C.C.C. (3d)
449; Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur
général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914; R. v. Hoffman -
Laroche Limited (1980), 28 O.R. (2d) 164 (H.C.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Proprietary Articles Trade Association v. Attorney -
General for Canada, [1931] A.C. 310 (P.C.); Mac-
Donald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S.
134.
AVOCATS:
Allan M. Rock pour la requérante.
Arnold S. Fradkin pour l'intimé.
J. Edgar Sexton, c.r., pour l'intervenante
A.C. Nielsen Co. of Canada Ltd.
PROCUREURS:
Fasken & Calvin, Toronto, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour
l'intervenante A.C. Nielsen Co. of Canada
Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'une demande fondée
sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] en vue d'obte-
nir l'examen et l'annulation d'une ordonnance de
la Commission sur les pratiques restrictives du
commerce («la Commission») rendue contre la
requérante (ci-après appelée «BBM») le 18 décem-
bre 1981 en application de l'article 31.4 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23 et ses modifications («la Loi»)
[art. 31.4 ajouté par S.C. 1974-75-76, chap. 76,
art. 12]. La Commission a conclu dans son ordon-
nance que BBM avait pratiqué des «ventes liées»
au sens de l'article 31.4 de la Loi en ce qui
concerne son service de mesure de l'écoute de la
télévision et de la radio. Elle a interdit à BBM de
continuer la vente liée de ses services de mesure de
l'écoute de la radio et de la télévision et de se livrer
à onze pratiques énumérées.
Les faits pertinents concernant BBM, ses opéra-
tions et ses concurrents figurent dans l'extrait sui-
vant des motifs de la décision de la Commission,
aucun de ces faits n'étant contesté:
[TRADUCTION] Depuis 1963, BBM a été l'unique fournisseur
régulier dans toutes les provinces du Canada de données sur
l'écoute de la radio à l'échelle locale et nationale. Ses données
sur l'écoute de la télévision sont également fournies sur une
base régulière dans toutes les provinces.
BBM a été incorporée le 7 juillet 1966 (son prédécesseur,
le 22 janvier 1945) aux termes de lettres patentes en vertu
de la Partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, « .. .
sans capital-actions, aux fins de poursuivre, sans gain pécu-
niaire pour ses membres, des objets d'un caractère national,
patriotique, religieux, philanthropique, charitable, scientifique,
artistique, social, professionnel ou sportif ou des objets
analogues...»
Des individus, des entreprises ou des corporations peuvent
devenir membres de BBM. Les groupes suivants sont représen-
tés parmi ses membres:
a) des annonceurs;
b) des agences de publicité;
c) des personnes, entreprises ou corporations propriétaires ou
exploitants de stations de radio ou de télévision ou de réseaux
de radio ou de télévision dûment autorisés et des représen-
tants des stations de radio ou de télévision;
d) en qualité de membres associés, des personnes, entreprises
ou corporations associées aux membres énumérés aux para-
graphes a) à c) ou qui leur fournissent des services ou du
matériel.
Un conseil d'administration composé de 28 membres, dont
sept proviennent de chacun des groupes a) et b) et 14 du groupe
c), élus lors des assemblées annuelles, gère les affaires de la
corporation. Le conseil élit un président et deux vice-présidents
parmi ses membres. L'assemblée annuelle approuve la nomina
tion par le conseil de divers comités. Les membres du conseil et
l'exécutif, ainsi que les membres des comités, travaillent béné-
volement. Les membres versent un tarif d'abonnement annuel
établi en fonction du total du chiffre d'affaires ou des dépenses
pour la publicité, à la radio ou à la télévision, de l'année
précédente. L'assemblée annuelle doit approuver l'échelle des
tarifs. Le président, qui est l'administrateur à temps plein, ainsi
qu'un personnel à temps plein, travaillent au bureau de BBM à
Toronto.
Les autres groupes de membres versent un tarif annuel
inférieur, établi aussi en fonction de l'importance de leurs
ventes et de leurs achats. Par exemple, en 1981, un annonceur
dont les dépenses totales pour la radio et la télévision s'étaient
élevées, en 1980, entre 5 et 6 millions de dollars, verserait un
tarif de 6 420 $. Les annonceurs n'ont pas droit à un exemplaire
gratuit des rapports. Un représentant d'une station dans la
catégorie des 6 à 8 millions de dollars recevrait, en retour d'un
tarif d'adhésion de 2 730 $, soit le rapport pour la radio ou le
rapport pour la télévision, ou, pour 3 370 $, les deux rapports.
BBM ne publie pas les cotes d'écoute des stations de radio
qui n'en sont pas membres. Elle publie les cotes d'écoute des
stations de télévision non membres seulement une fois par
année.
Le seul autre fournisseur de données sur le public de la
télévision au Canada, sur une base régulière et dans toutes les
provinces, est la Media Research Division de la Compagnie
A.C. Nielsen du Canada Limitée. Nielsen, une filiale d'une
grande entreprise américaine d'évaluation des marchés opérant
dans plusieurs pays, a commencé en 1959 la compilation de
données sur la radio. Elle a cessé de faire des sondages sur le
marché de la radio à l'échelle locale en 1963 et à l'échelle
nationale en 1968 tout en continuant la mesure des publics
locaux et nationaux pour la télévision. Nielsen offre aussi un
grand éventail de données sur l'évaluation du marché des
produits de consommation, ce qui constitue un service beaucoup
plus important que celui des données sur la télévision.
Le régime tarifaire de Nielsen pour ses services, tout comme
celui de BBM, est fondé sur le chiffre d'affaires ou les dépenses
du client relatives à la radiodiffusion pour l'année précédente,
mais dans le cas de Nielsen, cela se limite à la publicité pour la
télévision.
À la fois BBM et Nielsen publient des rapports détaillés
plusieurs fois par année qui fournissent des données sur l'écoute
des stations de TV locales et sur les trois réseaux de télévision.
BBM publie également, quelques fois par année, des rapports
distincts renfermant des données sur la radio à l'échelle locale
et nationale.
Ces renseignements sur l'indice d'écoute constituent un
important outil de commercialisation pour l'industrie de la
publicité radiophonique et télévisée. Il est indispensable à tous
les grands annonceurs et leurs agences de publicité qui achètent
du temps d'antenne ainsi qu'aux radiodiffuseurs dont les reve-
nus proviennent de la vente de temps d'antenne et dépendent
directement de la cote d'écoute. La plupart des agences et
radiodiffuseurs qui achètent et vendent du temps dans seule-
ment un médium souhaitent aussi disposer de données relatives
aux autres médias afin de comparer leurs forces relatives à des
fins de vente.
En matière de télévision, BBM et Nielsen établissent tous
deux leurs mesures à partir de «cahiers» remplis par les specta-
teurs du marché à l'étude. La méthodologie diffère quelque
peu. Les enquêtés de Nielsen remplissent un questionnaire
relatif à l'écoute de chaque personne composant le ménage, soit
un «cahier du foyer». Les enquêtés de BBM remplissent un
«cahier personnel» qui rend compte uniquement de l'écoute du
correspondant. Comme on peut s'y attendre, BBM et Nielsen
soutiennent chacun que sa méthodologie est plus fiable d'un
point de vue statistique. Il semble que les deux soient accepta-
bles et produisent des produits équivalents entre lesquels le
client peut choisir, certains en préférant un et certains l'autre.
L'intimé a allégué devant la Commission que:
[TRADUCTION] Pendant l'année civile 1979, les agences de
publicité ont eu la possibilité d'acquérir pour le même prix du
répondant, soit les «données sur la radio», soit les «données sur
la télévision», ou les deux pour plus cher. Le répondant incite
les agences de publicité à acquérir ses «données sur la télévi-
sion» en offrant, de fait, de leur fournir les «données sur la
radio» à des conditions plus favorables, soit une remise, si elles
conviennent d'acquérir ses «données sur la télévision».
Pendant l'année civile 1979, les «représentants de stations»
ont eu la possibilité d'acquérir pour le même prix du répondant
soit les «données sur la radio», soit les «données sur la télévi-
sion», ou les deux pour plus cher. Le répondant incite les
«représentants de stations» dont la facturation en diffusion de
l'année précédente est supérieure à 500 000 $, à acquérir les
«données sur la télévision» en offrant, de fait, de leur fournir les
«données sur la radio» à des conditions plus favorables, soit une
remise, s'ils conviennent d'acquérir ses «données sur la
télévision».
Pendant l'année civile 1979, les annonceurs n'ont pas eu la
possibilité d'acquérir séparément du répondant les «données sur
la radio» et les «données sur la télévision». Le répondant les
oblige à acquérir ses «données sur la télévision» s'ils veulent
obtenir ses «données sur la radio».
Pour ces raisons, l'intimé a prétendu que BBM,
un fournisseur important, avait élaboré des «dispo-
sitions relatives aux ventes liées» qui ont eu pour
effet de réduire ou sont susceptibles de réduire
substantiellement la concurrence en limitant l'ac-
cès aux nouveaux exploitants de la mesure de
l'écoute de la radio ou de la télévision. Elle a
également nui à l'expansion et aux ventes de son
unique concurrent, A.C. Nielsen Company of
Canada Limited («Nielsen»), dans le domaine de la
mesure de l'écoute de la télévision. L'intimé a par
conséquent présenté une demande fondée sur les
alinéas a) et b) du paragraphe 31.4(2) de la Loi.
Ce paragraphe et les autres dispositions pertinen-
tes de la Loi pour les fins de la présente demande
prévoient:
31.4 (1) Aux fins du présent article,
«ventes liées« désigne
a) toute pratique par laquelle un fournisseur d'un produit
exige, comme condition de fourniture du produit (le produit
«clef«) à un client, que celui-ci
(i) acquière du fournisseur ou de la personne que ce
dernier désigne un autre produit, ou
(ii) s'abstienne d'utiliser ou de distribuer avec le produit
clef, un autre produit qui n'est pas d'une marque ou
fabrication indiquée par le fournisseur ou la personne qu'il
désigne, et
b) toute pratique par laquelle un fournisseur d'un produit
incite un client à remplir une condition énoncée aux sous-ali-
néas a)(i) ou (ii) en offrant de lui fournir le produit clef à des
conditions plus favorables s'il convient de remplir la condi
tion énoncée à l'un ou l'autre de ces sous-alinéas.
(2) Lorsque la Commission, à la suite d'une demande du
directeur, conclut, après avoir donné au fournisseur visé dans
une demande d'ordonnance la possibilité raisonnable d'être
entendu, que ... les ventes liées, parce que pratiquées par un
fournisseur important ou très répandues sur un marché et que
vraisemblablement elles
a) font obstacle, à l'entrée ou au développement d'une firme
sur le marché,
8) font obstacle au lancement ou à l'expansion des ventes
d'un produit sur le marché, ou
c) ont sur le marché quelque autre effet tendant à exclure,
et qu'en conséquence la concurrence est ou sera vraisemblable-
ment réduite substantiellement, elle peut, par ordonnance,
interdire à tout fournisseur de pratiquer désormais ... les
ventes liées et prescrire toute mesure nécessaire, à son avis,
pour supprimer les effets de cette pratique sur le marché ou
pour y rétablir ou favoriser la concurrence.
(4) La Commission ne doit pas rendre l'ordonnance prévue
par le présent article, lorsque, à son avis,
b) les ventes liées qui sont pratiquées sont raisonnables
compte tenu de la connexité technologique existant entre les
produits qu'elles visent, ou
et aucune ordonnance rendue en vertu du présent article ne
s'applique en ce qui concerne l'exclusivité, la limitation du
marché ou les ventes liées entre des compagnies, des sociétés
et des entreprises unipersonnelles qui sont affiliées.
La demande a donné lieu à l'ordonnance de la
Commission rendue le 3 décembre 1981, dont
BBM tente maintenant d'obtenir l'annulation.
Voici comment BBM a défini, dans l'exposé de
ses arguments, les seules questions qu'elle a débat-
tues en réponse à la demande:
[TRADUCTION] 1. Parce qu'elle est une coopérative plutôt
qu'une entreprise au sens traditionnel, BBM est constituée de
«membres» et non de «clients», et par conséquent, elle ne
pratique pas les «ventes liées» au sens du par. 31.4(1) de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions (LREC).
2. Les «ventes liées» sont une activité qui requiert un «fournis-
seur» et un «client», en vertu de l'article 31.4 de la LREC.
Puisque BBM est une coopérative qui fournit à ses propres
membres des données sur la mesure de l'écoute, il n'y a ni
«fournisseur» ni «client» distincts en ce qui concerne ses activités
et il manque par conséquent un élément essentiel de la défini-
tion de «ventes liées» suivant les termes du par. 31.4(1) de la
LREC.
3. BBM n'offre pas ses produits (rapports sur la radio ou
rapports sur la télévision) à «des conditions plus favorables» si
un «client» accepte d'acheter l'autre produit.
4. La Partie IV.1 de la LREC et en particulier son article 31.4
sont ultra vires, puisqu'ils portent sur la propriété et les droits
civils dans les provinces au sens du par. 92(13) des Lois
constitutionnelles de 1867 à 1982 (la «Constitution») (autrefois
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique).
La Cour a fait savoir à l'avocat de l'intimé et à
celui de l'intervenant, au début de leurs plaidoiries,
qu'ils devaient se limiter à la question numéro (4),
la question constitutionnelle. Nous étions tous
d'avis que les trois premières questions précitées
étaient mal fondées. Il était inutile d'examiner les
propositions avancées à l'égard de l'une ou l'autre
d'entre elles.
La quatrième question—la question constitu-
tionnelle—est importante et elle mérite qu'on s'y
attarde. Formulée différemment, elle soulève la
question de savoir si l'article 31.4 qui figure à la
Partie IV.1 de la Loi [ajoutée, idem] relève de la
compétence législative du Parlement du Canada
et, dans l'affirmative, sous quelle(s) catégorie(s)
de l'article 91 des Lois constitutionnelles de 1867
à 1982? Les avocats des trois parties ont convenu
que si le Parlement fédéral a compétence pour
légiférer dans ce domaine, c'est en vertu des caté-
gories 2 (la réglementation du trafic et du com
merce), 27 (le droit criminel) ou le «pouvoir rési-
duel» prévu à l'article 91 «de faire des lois pour la
paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada,
relativement à toutes les matières ne tombant pas
dans les catégories de sujets par le présent acte
exclusivement assignés aux législatures des provin
ces.» Les trois avocats ont convenu que la catégorie
échanges et commerce était la source la plus plau
sible de la compétence législative fédérale. C'est la
jurisprudence portant sur cette catégorie que nous
examinerons en premier lieu.
Même si depuis l'arrêt Proprietary Articles
Trade Association v. Attorney -General for
Canada, [1931] A.C. 310 (P.C.), de nombreuses
décisions ont conclu que la législation canadienne
contre les coalitions relève de la compétence du
Parlement du Canada en matière de droit criminel,
seul l'intervenant Nielsen a tenté, en l'espèce, de
justifier l'adoption de l'article 31.4 de la Loi par la
compétence en matière de droit criminel—article
91, catérogie 27. Même son avocat n'a traité cette
question qu'au cours de son troisième et dernier
argument.
La Partie IV.1 qui, je l'ai déjà dit, comprend
l'article 31.4, a été ajoutée à la Loi en 1975.
L'article 31.8 [ajouté, idem] crée la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce (da
Commission») à titre de cour d'archives pour les
fins de cette Partie. Il impose le fardeau de la
preuve à la personne qui présente une demande, en
l'espèce, l'intimé. Sur demande du directeur et en
conformité avec les conditions prévues dans cette
Partie, la Commission est habilitée à examiner les
pratiques suivantes et à rendre une ordonnance
sanctionnant:
(1) le refus de vendre (article 31.2 [ajouté,
idem]);
(2) les ventes par voie de consignation (article
31.3 [ajouté, idem]);
(3) l'exclusivité (article 31.4);
(4) les ventes liées (article 31.4);
(5) le refus d'un fournisseur étranger (article 31.7
[ajouté, idem]).
L'article 46.1 de la Loi [ajouté, idem, art. 24]
prévoit l'imposition de peines contre une personne
qui contrevient ou ne se conforme pas à une ordon-
nance de la Commission.
Le paragraphe 31.4(2), précité, prévoit que, en
ce qui concerne les ventes liées, la Commission doit
d'abord conclure, à la lumière des faits de l'espèce,
que les ventes liées font vraisemblablement obsta
cle à l'entrée ou au développement d'une firme sur
le marché et qu'en conséquence la concurrence est
ou sera vraisemblablement réduite substantielle-
ment, avant de pouvoir rendre une ordonnance:
a) interdisant à tout fournisseur de pratiquer
désormais les ventes liées, et
b) prescrivant toute autre mesure nécessaire, à
son avis, pour supprimer les effets de cette prati-
que sur le marché ou pour y rétablir ou favoriser
la concurrence.
Il s'agit là d'un énoncé du plan d'ensemble de la
Partie. Les dispositions relatives aux ventes liées
qui figurent à l'article 31.4 visent en particulier à
utiliser la compétence de la Commission pour
déterminer si les pratiques commerciales qui font
l'objet d'une demande de l'intimé portent atteinte
à l'intérêt public pour les motifs prévus à cet
article, c'est-à-dire lorsqu'on juge que ces prati-
ques auront pour effet de réduire ou d'éliminer les
concurrents qui fournissent des biens et services ou
qu'elles font obstacle ou feront vraisemblablement
obstacle à l'entrée de concurrents sur le marché.
Le point de départ de tout examen de la catégo-
rie échanges et commerce de l'article 91 est l'arrêt
du Conseil privé Citizens Insurance Company of
Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.).
Dans cette affaire, Citizens Insurance Company a
contesté la constitutionnalité d'une loi ontarienne
prescrivant les modalités des polices d'assurance-
incendie, pour le motif que seul le Parlement fédé-
ral pouvait réglementer les échanges et le com
merce. Ayant décidé que, dans leur contexte, les
termes «trafic et commerce» désignaient le com
merce en général considéré à l'échelle nationale,
sir Montague Smith a conclu, à la page 113 du
recueil:
[TRADUCTION] Par conséquent, si l'on interprète les mots
«réglementation des échanges et du commerce» en s'aidant des
divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu'ils devraient
inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui
requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des
échanges dans les matières d'intérêt interprovincial. Il se pour-
rait qu'ils comprennent la réglementation générale des échan-
ges s'appliquant à tout le Dominion. Leurs Seigneuries s'abs-
tiennent dans la présente circonstance de tenter d'établir les
limites de l'autorité du Parlement du Dominion dans ce
domaine. Pour juger la présente affaire, il suffit, d'après Elles,
de dire que le pouvoir fédéral de légiférer pour réglementer les
échanges et le commerce ne comprend pas le pouvoir de
légiférer pour réglementer les contrats d'un échange ou d'un
commerce en particulier, tel que les affaires d'assurance-incen-
die dans une seule province, et que, par conséquent, l'autorité
législative du Parlement fédéral n'entre pas ici en conflit avec le
pouvoir sur la propriété et les droits civils attribué par le
paragraphe 13 de l'article 92 la législature de l'Ontario.
[C'est moi qui souligne.]
Au cours des années qui se sont écoulées depuis,
cet extrait a été cité à maintes reprises. Ce para-
graphe ainsi qu'un passage qui figure à la page
112 concernant la limite qui doit s'appliquer aux
termes utilisés dans leur contexte ont fait l'objet de
l'observation suivante du juge Dickson [tel était
alors son titre] dans la décision la plus récente de
la Cour suprême du Canada portant sur le para-
graphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1), décision qui a été
rendue le 13 octobre 1983 dans l'arrêt Procureur
général du Canada c. Transports Nationaux du
Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206 [à la
page 258]:
Ces passages tirés de l'arrêt Parsons établissent trois proposi
tions importantes relativement à la compétence fédérale en
matière d'échanges et de commerce, savoir: (i) elle ne corres
pond pas au sens littéral des mots «réglementation des échanges
et du commerce»; (ii) elle comprend non seulement les arrange
ments visant les échanges internationaux et interprovinciaux,
mais «il se pourrait qu'elle ... comprenne ... la réglementation
générale des échanges s'appliquant à tout le Dominion»; (iii)
elle n'englobe pas la réglementation des contrats d'un com
merce en particulier. La jurisprudence subséquente portant sur
le sens et la portée du par. 91(2) explique et développe, dans
une large mesure, ces trois propositions intimement liées.
Dans un arrêt de la Cour suprême Brasseries
Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du
Canada, [1980] 1 R.C.S. 914, le juge Estey a
expliqué aux pages 936 et 937 l'existence des deux
éléments de l'arrêt Parsons:
Je reviens à l'arrêt Parsons, précité, qui distingue deux
éléments dans la rubrique échanges et commerce. Le premier
comprend, aux termes du jugement, [TRADUCTION] «les arran
gements politiques concernant les échanges qui requièrent la
sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans
les matières d'intérêt interprovincial ...». Le second élément
comprendrait [TRADUCTION] « ... la réglementation générale
des échanges s'appliquant à tout le Dominion». Le premier
élément a fait l'objet d'une série d'arrêts portant sur la com
mercialisation des produits naturels à commencer par R. c.
Eastern Terminal Elevator Co. jusqu'au Renvoi relatif à la Loi
sur l'organisation du marché des produits agricoles, un arrêt
récent portant sur la commercialisation des oeufs.
L'avocat de l'intimé ayant admis que c'est uni-
quement le second élément qui pourrait s'appliquer
en l'espèce, c'est au regard de cette proposition
qu'on peut appliquer les remarques du juge Estey
aux pages 939 et 940 du recueil:
Dans l'arrêt John Deere Plow Co. v. Wharton, on trouve la
première tentative réussie pour donner du souffle au second
élément de la description des échanges et du commerce faite
dans Parsons, précité. Le législateur provincial avait tenté de
réglementer de façon limitée les compagnies constituées au
fédéral et établies dans les limites de la province. La Cour a
jugé que ce geste était ultra vires car il empiétait sur le pouvoir
du Parlement de réglementer l'exercice des pouvoirs des compa-
gnies fédérales dans tout le Dominion. On ne doit pas clore ce
sujet sans ajouter que la Cour y a jugé que le fondement
constitutionnel de la législation autorisant la création de com-
pagnies fédérales se trouve dans la clause relative à la paix, à
l'ordre et au bon gouvernement alors que la réglementation de
leurs activités relève de la catégorie des échanges et du com
merce. Le vicomte Haldane s'est exprimé en ces termes dans
l'arrêt Wharton, précité, à la p. 340:
[TRADUCTION] ... le pouvoir de réglementer les échanges et
le commerce permet en tout cas au Parlement du Canada de
prescrire dans quelles mesures les compagnies dont les objets
s'étendent à tout le Dominion peuvent exercer leurs pouvoirs
et les restrictions qui les assortissent. Car si l'on reconnaît
que le Parlement du Dominion peut créer pareilles compa-
gnies, alors, le mode d'exercice de leur activité commerciale
devient une question d'intérêt général pour tout le Dominion.
(C'est moi qui souligne.)
À ce jour, c'est toujours le critère utilisé pour déterminer si le
second élément de la compétence en matière d'échanges et de
commerce s'applique; voir le juge en chef Laskin dans le Renvoi
relatif à la Loi anti-inflation, à la p. 426.
Il est clair toutefois que la réglementation d'un seul com
merce ou d'une seule industrie n'est pas une question d'intérêt
national général. Voir le Renvoi relatif à la Loi des assurances,
1910, aux pp. 308 et 309; Eastern Terminal Elevator Co.,
précité.
Dans l'arrêt Transports Nationaux du Canada,
précité, le juge Dickson a convenu avec le juge
Estey que c'était là le critère approprié lorsqu'il
s'agit de déterminer si le second élément de la
compétence en matière d'échanges et de commerce
s'applique. Il a cependant dit [à la page 263]:
... je suis également d'avis—tout comme le confirme l'examen
de cette question par le juge Estey dans l'arrêt Labatt—que les
mêmes considérations qui ont amené sir Montague Smith à
restreindre la portée des mots »réglementation des échanges et
du commerce» dans l'arrêt Parsons, exigent aussi une interpré-
tation restrictive du critère de l'»intérêt général pour tout le
Dominion» formulé dans l'arrêt Wharton. La question, bien sûr,
est de savoir dans quelle mesure la portée de ces mots doit être
limitée et sur quel fondement?
Comme l'arrêt Transports Nationaux du
Canada est essentiel, à mon avis, aux fins de
trancher la présente demande, il faut, à ce stade-ci,
distinguer les faits qu'on peut résumer ainsi. Par
suite d'une dénonciation du directeur, les intimés
dans cette affaire-là ainsi qu'un bon nombre d'au-
tres sociétés et particuliers ont été accusés d'avoir
comploté en vue d'empêcher ou de diminuer indû-
ment la concurrence dans le transport interprovin-
cial de marchandises par envois pesant jusqu'à
10 000 livres, depuis certains points en Colombie-
Britannique, en Saskatchewan et au Manitoba, en
violation de l'alinéa 32(1)c) de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions [mod. par S.C. 1974-
75-76, chap. 76, art. 14]. On a cherché à obtenir
des ordonnances de prohibition pour empêcher que
les poursuites soient intentées par le procureur
général du Canada ou en son nom. Les requérants
ont fait valoir que l'alinéa 32(1)c) de la Loi rele-
vait du droit criminel et que, en vertu du paragra-
phe 92(14) de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867 (qui s'intitule maintenant Lois
constitutionnelles de 1867 1982), le procureur
général d'une province est seul habilité à diriger
des poursuites. S'il en est ainsi, le paragraphe
15(2) de la Loi et le paragraphe 2(37) du Code
criminel qui autorisent le procureur général du
Canada à présenter des actes d'accusation et à
diriger des procédures engagées en vertu de la Loi
sont ultra vires. La Cour d'appel de l'Alberta a
accueilli l'appel interjeté contre la décision de la
Division de première instance de cette province
(qui avait rejeté les demandes) et elle a accordé
l'ordonnance de prohibition.
On a demandé à la Cour suprême de trancher
deux questions qu'on peut résumer ainsi:
(1) La validité constitutionnelle de l'alinéa
32(1)c) de la Loi dépend-elle du paragraphe
91(27) de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique?
Trois membres de la Cour, les juges Ritchie,
Estey et McIntyre ont souscrit à l'avis du juge
en chef et répondu à la question par
l'affirmative.
Le juge Dickson a répondu «oui» en ce sens
que l'alinéa 32c) peut s'appuyer sur le para-
graphe 91(27) et aussi sur le paragraphe
91(2).
Les juges Beetz et Lamer ont répondu «non».
(2) Dans l'affirmative, le Parlement avait-il com-
pétence pour adopter l'article 2 du Code cri-
minel et le paragraphe 15(2) de la Loi rela
tive aux enquêtes sur les coalitions?
Le juge en chef et les juges Ritchie, Estey et
McIntyre ont répondu «oui». Le juge Dickson
a répondu «oui» mais il a conclu que le para-
graphe 2(37) du Code est ultra vires dans la
mesure où il confère au procureur général du
Canada le pouvoir d'introduire et de diriger
des poursuites fondées sur des infractions à
des lois fédérales adoptées seulement en vertu
du paragraphe 91(27) de la Loi constitution-
nelle. Les juges Beetz et Lamer n'ont pas jugé
nécessaire de répondre à la seconde question,
ayant répondu à la première question par la
négative.
Le juge Dickson a fait une analyse exhaustive de
la jurisprudence portant sur le paragraphe 91(2)
de la Loi constitutionnelle. À mon avis, le raison-
nement qu'il a adopté pour conclure que l'alinéa
32(1)c) de la Loi est ultra vires s'applique en
l'espèce.
L'avocat de la requérante a tenté d'établir une
distinction avec l'arrêt Transports Nationaux du
Canada en disant que la Partie V de la Loi où
figure l'alinéa 32(1)c) est une réglementation
valide du commerce autorisée non pas par le para-
graphe 91(2) mais par le paragraphe 91(27) de la
Loi constitutionnelle, comme l'a décidé la Cour
suprême à la majorité. D'autre part, la Partie IV.1
ne peux pas être considérée comme un exercice du
pouvoir de légiférer en matière de droit criminel et
elle ne relève pas non plus du domaine des échan-
ges et du commerce prévu au paragraphe 91(2).
Au dire de l'avocat, il s'agit simplement d'une
question de propriété et de droits civils qui relève
de la compétence des législatures provinciales. Il a
mentionné diverses lois provinciales protégeant les
pratiques commerciales à titre d'exemples de cer-
taines provinces qui occupent ce champ de compé-
tence. Il a cependant dû admettre que les recours
disponibles ne visaient normalement que le client
et son fournisseur, permettant, par exemple, de
rescinder un contrat ou de l'annuler au cours d'une
période de «réflexion», au lieu de recourir à des
ordonnances de prohibition ou à des peines d'appli-
cation générale. Selon lui, si le juge Dickson avait
eu à examiner la Partie IV.1, il aurait adopté, pour
ces motifs, une conclusion différente de celle à
laquelle il est arrivé dans l'examen de la Partie V
de la Loi.
Je ne suis pas d'accord. En disant cela, j'utilise
la méthode formulée par le juge Dickson après son
analyse des plus approfondies de la jurisprudence
applicable, pour déterminer si le paragraphe 91(2)
peut servir de fondement à l'adoption de la disposi
tion en question. Il faut d'abord se rappeler que
c'est uniquement l'article 31.4 de la Loi qui est
attaqué en l'espèce et non la Partie IV.1 toute
entière. Cela étant, on peut appliquer ce qu'a dit le
juge Dickson aux pages 270 et 271:
La bonne méthode, lorsque l'on doute que la disposition contes-
tée ait la même caractérisation constitutionnelle que la loi dont
elle fait partie, est de prendre pour point de départ ladite
disposition plutôt que de commencer par démontrer la validité
de la loi dans son ensemble. Je ne crois pas toutefois que cela
signifie qu'il faille interpréter isolément la disposition en cause.
Si l'argument de validité constitutionnelle se fonde sur la
prétention que la disposition contestée fait partie d'un système
de réglementation, il semblerait alors nécessaire de l'interpréter
dans son contexte. Si, en fait, elle peut être considérée comme
faisant partie d'un tel système, il faudra alors examiner la
constitutionnalité de ce système dans son ensemble. Il s'agit là
essentiellement de la méthode que propose le Juge en chef dans
son examen de la constitutionnalité de ce qui était alors l'al. 7e)
de la Loi sur les marques de commerce, dans l'arrêt MacDo-
nald c. Vapor Canada Ltd., précité, à la p. 159:
Puisque l'alinéa e) de l'art. 7 n'a pas trait aux marques de
commerce, sa présence dans la Loi sur les marques de
commerce n'est pas une garantie de validité simplement
parce que les principales dispositions n'en sont pas attaquées.
Je reviens à la question de savoir si l'art. 7, particulièrement
l'al. e) peut être considéré comme une partie du système
général de la Loi sur les marques de commerce et des autres
lois fédérales connexes. Si l'article est valide en soi, il n'a pas
besoin d'autre appui. Sinon, sa constitutionnalité est suscepti
ble de venir du contexte où il a le caractère de disposition
additionnelle servant à renforcer d'autres dispositions d'une
validité incontestable. [C'est moi qui souligne.]
Il a ensuite conclu que l'alinéa 32(1)c) n'est pas
une disposition isolée dont la mise en application
est assujettie à l'initiative des particuliers, sans
contrôle d'un organisme de réglementation—
comme cela était requis par l'alinéa 7e) de la Loi
sur les marques de commerce qui a fait l'objet
d'un examen attentif dans l'arrêt MacDonald et
autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134:
Cet alinéa fait plutôt partie d'une disposition légis-
lative—la Loi—qui prévoit un mécanisme com-
plexe d'administration et de réglementation. Il a
fait remarquer aux pages 275 et 276 que:
La partie I de la Loi établit une procédure d'enquête et de
recherche en vertu de laquelle le directeur des enquêtes et
recherches peut procéder à des enquêtes. La partie II complète
la procédure d'enquête par des dispositions qui autorisent le
directeur à dresser un rapport qui doit être soumis à la Com
mission sur les pratiques restrictives du commerce qui, à son
tour, doit remettre au ministre de la Consommation et des
Corporations un rapport contenant une appréciation de l'effet
sur l'intérêt public des arrangements et pratiques en question
ainsi que des recommandations sur l'application de certains
recours à ces arrangements et pratiques. Ces dispositions sont
utiles pour analyser l'al. 32(1)c) parce qu'elles révèlent l'exis-
tence d'un processus d'élaboration d'une politique destinée à
préciser l'infraction qui consiste à limiter «indûment» la concur
rence. [C'est moi qui souligne.]
Pour donner encore plus d'ampleur à notre analyse, souli-
gnons que les mesures pénales prévues à la partie V ne consti
tuent pas l'unique mode d'application de la Loi et des principes
de réglementation qu'elle véhicule. Les articles 28 31 pré-
voient d'autres moyens auxquels peuvent avoir recours différen-
tes autorités judiciaires et gouvernementales devant différents
tribunaux. Sans se prononcer sur la sagesse ou la constitution-
nalité de ces dispositions, il est clair qu'elles ont pour objet de
fournir un arsenal souple de recours visant à assurer l'applica-
tion des politiques sous-jacentes de la Loi. L'existence des art.
28 31 constitue malgré tout un autre indice que le par. 32(1)
fait partie d'un système de réglementation. [C'est moi qui
souligne.]
Je suis d'avis que les points de vue exprimés
dans chacun des extraits susmentionnés au sujet de
la caractérisation de l'alinéa 32(1)c) dans le con-
texte du système de la Loi s'appliquent tout autant
à l'article 31.4. Il est inutile d'y ajouter quoi que ce
soit pour montrer pourquoi il en est ainsi. Même
une analyse rapide des Parties IV, IV.1 et V
montre que l'article 31.4 n'est pas une disposition
isolée et indépendante mais qu'il fait plutôt partie
intégrante d'un système perceptible.
Comme l'a fait remarquer le juge Dickson après
avoir conclu que la disposition attaquée—en l'es-
pèce l'article 31.4—n'est pas une disposition isolée
mais fait plutôt partie d'un système de réglementa-
tion, il faut ensuite déterminer si le plan est valide
en vertu du second élément du critère formulé
dans l'arrêt Parsons quant à l'applicabilité du
paragraphe 91(2). Il a dit [à la page 276]: «Le fait
de faire partie d'un tel système n'est qu'un signe de
validité et n'est pas en soi déterminant.» Le critère,
qui consiste à savoir si la législation porte sur des
questions d'intérêt général dans l'ensemble du
Canada, a donné naissance à divers autres indices
dans les cas où il faut établir si la législation est
conforme au critère. Le juge Dickson a mentionné
quelques-uns de ces indices aux pages 267 et 268:
a) L'existence d'un système de réglementation
nationale;
b) la surveillance exercée par un organisme de
réglementation;
c) le fait de viser le commerce en général plutôt
qu'un seul aspect d'une entreprise particu-
lière;
d) l'absence de dispositions constitutionnelles qui
habilitent les provinces, conjointement ou
séparément, à adopter une telle loi; et
e) l'omission d'inclure une seule province ou
localité, qui aurait pour effet de compromet-
tre l'application de ladite loi dans d'autres
parties du pays.
La liste n'est pas exhaustive et la présence de
l'un ou l'autre ou de la totalité de ces indices n'est
pas nécessairement concluante. Dans l'arrêt R. v.
Hoffman -Laroche Limited (1980), 28 O.R. (2d)
164, aux pages 191 et 192, le juge Linden de la
Haute Cour de l'Ontario a adopté le point de vue
suivant que je partage:
[TRADUCTION] J'estime que l'al. 34(1)c) peut aussi avoir pour
fondement constitutionnel le par. 91(2). Il fait partie d'un
régime législatif visant à empêcher toute une variété de prati-
ques déloyales en matière de concurrence qui touchent les
échanges et le commerce en général dans tout le Canada et qui
ne se limitent pas à une seule industrie, denrée ou région. En
règle générale, la conduite interdite a une portée à la fois
nationale et internationale. L'économie de tout le pays peut se
ressentir de la présence ou de l'absence d'une saine concur
rence. Il est donc de la compétence du Parlement fédéral de
tenter de réglementer la concurrence dans l'intérêt de tous les
Canadiens. (Toutefois, il en serait vraisemblablement autre-
ment si la concurrence réglementée revêtait un caractère pure-
ment local, auquel cas la compétence fédérale en matière
d'échanges et de commerce pourrait ne pas s'appliquer.)
Je suis d'avis que l'article 31.4 est conforme à
tous les critères susmentionnés et qu'il constitue
une disposition législative valide sous le régime du
paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de
1867. Lu en corrélation avec les autres dispositions
de la Loi, il fait manifestement partie d'un système
complexe de réglementation qui ne vise pas une
entreprise ou une industrie en particulier mais qui
réglemente les échanges et le commerce en général
dans l'ensemble du Canada au bénéfice des Cana-
diens en général. Il s'appliquera inévitablement
aux entreprises individuelles. Mais si cela devait
déterminer sa validité et signifier qu'il est nul, la
nécessité évidente de cet article pour le mieux-être
des Canadiens en général n'aurait pas de sens, ce
serait un tigre dépourvu de dents. En même temps,
son existence légitime n'empiète pas sur le pouvoir
des provinces d'adopter des lois (comme plusieurs
l'ont fait) en vue de réglementer les pratiques
commerciales de ces entreprises elles-mêmes, et de
protéger les citoyens de ces provinces dans le cadre
de la propriété et des droits civils. Dans ce con-
texte, les pouvoirs conférés par les paragraphes
91(2) et 92(13) me paraissent complémentaires.
L'un n'exclut pas l'autre. On peut avoir recours à
chacun d'eux dans le but de s'assurer a) que d'une
part la concurrence demeure juste et qu'elle offre à
tous les acheteurs du pays des options adéquates et
réelles et b) que d'autre part ces acheteurs sont
protégés contre les pratiques commerciales astu-
cieuses et contraires à l'éthique lorsqu'ils traitent
avec des entreprises ou des industries individuelles.
Conformément à la pratique ayant cours dans
les affaires constitutionnelles, puisque j'ai conclu
que l'article 31.4 est valide sous la rubrique échan-
ges et commerce, il est inutile et non souhaitable
de déterminer si cet article pourrait également se
fonder sur le pouvoir de légiférer en matière de
droit criminel et sur la compétence générale rele
vant du pouvoir résiduaire d'adopter des lois pour
la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada.
Pour tous ces motifs, je suis d'avis de rejeter la
demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT CULLITON: Je souscris à
ces motifs.
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