A-1081-84
Caporal R. J. Lutes, n° matricule 26404
(requérant)
c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada
(intimé)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Urie—Cal-
gary, 18 avril; Ottawa, 13 juin 1985.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — GRC —
Demande d'annulation de la décision du Commissaire qui a
maintenu la décision d'une Commission de révision recom-
mandant son renvoi et qui a ordonné un nouvel examen de
l'affaire par une Commission de licenciement et de rétrograda-
tion — Le requérant, peu après avoir été accusé de vol à
l'étalage, a reçu signification d'un Avis d'intention de recom-
mander son licenciement — Le seul motif de licenciement cité
est l'incompétence du requérant fondée sur le fait qu'il aurait
été impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi
édictée par le Parlement du Canada — Requérant acquitté —
La Commission de licenciement et de rétrogradation a recom-
mandé son maintien dans la Gendarmerie — La Commission
de révision a recommandé le licenciement — Le Commissaire a
ordonné un nouvel examen de l'affaire par une Commission de
licenciement et de rétrogradation dont la composition serait
différente de la précédente — L'appel interjeté devant le
Commissaire reposant sur le dossier, sa décision est entachée
par toute erreur de droit commise par la Commission de
licenciement et de rétrogradation: Willette c. Commissaire de
la Gendarmerie royale du Canada, [19851 1 C.F. 423; (1985),
56 N.R. 161 (C.A.) — Du fait de l'acquittement, l'allégation
d'incompétence et le pouvoir du Commissaire d'ordonner le
licenciement ont perdu leur fondement — Rien ne justifiait
d'ordonner la constitution d'une nouvelle Commission de
licenciement et de rétrogradation — Re Laroche et Beirsdorfer
(1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel), qui suggère que le
pouvoir du Commissaire de licencier pour incompétence impli-
que le droit d'examiner si la conduite faisant l'objet de la
plainte est suffisamment grave pour constituer une infraction
criminelle, doit être distinguée de l'espèce sur le fondement des
modifications qui ont été apportées au libellé de l'ordre per
manent du Commissaire — Le Commissaire doit décider si
une infraction dont un membre a été déclaré coupable est d'une
gravité telle que l'exécution de ses fonctions en serait considé-
rablement affectée — Le «NOTA» ajouté à l'ordre permanent,
qui permet le licenciement même s'il y a eu acquittement, n'a
aucune valeur juridique — Loi sur la Gendarmerie royale du
Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 5, 7(1), 13(2), 21(1),(2)
— Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C.,
chap. 1391, art. 29(2), 30, 31, 67, 68, 74 — Code criminel,
S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 294b) (mod. par S.C. 1974-
75-76, chap. 93, art. 25) — Loi sur les stupéfiants, S.R.C.
1970, chap. N-1.
Compétence — Cour fédérale — Division d'appel — Le
Commissaire de la GRC a ordonné un nouvel examen d'une
décision ordonnant le licenciement — Un membre de la Gen-
darmerie a été accusé d'avoir commis une infraction criminelle
— Acquittement — Le licenciement pour incompétence est
fondé sur la participation du requérant à la perpétration d'une
infraction criminelle — De nombreux jugements portent que le
mot «décision» de l'art. 28 ne devrait pas être interprété de
manière à en faire un moyen dilatoire — L'examen fondé sur
l'art. 28 de la décision du Commissaire n'entraîne aucun
retard — Le refus de la Cour de se reconnaître compétente
entraînerait un bien plus long retard à décider de la compé-
tence du membre — L'application du critère énoncé dans
l'arrêt Danmor Shoe Co. conduit à la conclusion que la
décision du Commissaire s'inscrit dans l'exercice des pouvoirs
conférés par une loi du Parlement — Le Commissaire est lié
par l'ordre permanent qu'il a promulgué — Les procédures qui
y sont énoncées ont été conçues de façon à respecter les règles
de justice naturelle et d'équité en matière de procédure et ne
constituent pas un trompe-l'oeil — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 28 — Loi sur la
Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art.
13(2), 21(2).
Peu de temps après avoir été accusé de vol à l'étalage, le
requérant, qui est caporal à la GRC, a reçu signification d'un
«Avis d'intention de recommander le licenciement» pour motif
d'incompétence. Le requérant a été acquitté de l'accusation qui
avait été portée contre lui au criminel. La Commission de
licenciement et de rétrogradation a décidé que le requérant
n'avait pas été impliqué dans la perpétration d'une infraction et
ordonné son maintien dans la Gendarmerie. La Commission de
révision, toutefois, a accueilli l'appel qui avait été interjeté de
cette décision et a recommandé le licenciement du requérant.
Le caporal a alors interjeté appel devant le Commissaire, qui a
accueilli l'appel mais ordonné un nouvel examen de la preuve
par une Commission de licenciement et de rétrogradation dont
la formation serait différente de la précédente.
Le Bulletin d'administration AM-53 énonce les procédures
relatives à la recommandation de licenciement. Depuis une
révision datant de juin 1983, ce bulletin affirme suivre autant
que possible les dispositions de la Loi et constituer un ordre
permanent du Commissaire bien que sa présentation ne soit pas
la présentation habituelle et qu'il soit rédigé conformément au
paragraphe 21(2) de la Loi. Le paragraphe 3.a.2. du Bulletin
prévoit qu'on peut recommander qu'un membre soit licencié
pour motif d'inaptitude si ce membre est impliqué dans la
perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement
du Canada, infraction dont la gravité et les circonstances
affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions
du membre en vertu de la Loi. Un «NOTA» porte qu'on peut
recommander le licenciement d'un membre, qu'il ait été accusé
ou non du délit criminel constituant le motif de son inaptitude,
ou jugé, acquitté ou condamné ou non par le tribunal à l'égard
de ce délit.
Le caporal, par sa demande fondée sur l'article 28, cherche à
faire annuler la décision du Commissaire d'ordonner un nouvel
examen.
Arrêt (le juge Pratte dissident): la demande devrait être
accueillie.
Le juge Urie: Les procédures auxquelles peuvent recourir
tant le membre dont le renvoi a été recommandé que son
commandant divisionnaire montrent que c'est le Commissaire
qui doit finalement accepter ou rejeter les recommandations
faites par les tribunaux qui lui sont inférieurs. Il est l'unique
personne autorisée par le paragraphe 13(2) de la Loi à congé-
dier ou à renvoyer un membre avant la fin de son mandat. Dans
une certaine mesure, l'apparence d'un processus conforme aux
règles de justice naturelle ou à l'équité procédurale (comme
l'expose le Bulletin AM-53) est une façade. Si c'est le cas, et si
le Commissaire agit sans tenir compte des erreurs de droit
commises par les tribunaux inférieurs, sa décision ne peut être
maintenue.
Dans l'arrêt Willette c. Commissaire de la Gendarmerie
royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161
(C.A.), il a été décidé que, l'appel interjeté devant le Commis-
saire reposant sur le dossier, sa décision serait entachée par
toute erreur de droit privant le requérant de l'exercice de tout
droit protégé par la Charte ou par la Déclaration canadienne
des droits ou prévu par la common law en ce qui concerne un
des aspects de l'audition de la Commission de licenciement et
de rétrogradation. La décision du Commissaire ne peut être
maintenue parce qu'elle est entachée de l'erreur de droit fonda-
mentale commise par la Commission de licenciement et de
rétrogradation, erreur dont il sera discuté plus loin.
Dans l'arrêt Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R.
(3d) 152 (C.F. Appel), le juge Le Dain a déclaré que les
dispositions du Bulletin d'administration AM-53 ne constituent
pas des ordres permanents. Cette situation semble avoir été
corrigée par la révision du Bulletin AM-53 faite le 7 juin 1983.
Puisque le Bulletin AM-53 semble se rapporter à la discipline,
à l'efficacité ou au bon gouvernement de la Gendarmerie, il
semble procéder d'un exercice valide du pouvoir accordé au
Commissaire d'édicter des règles, appelées ordres permanents,
visant la «discipline ... l'administration et le bon gouvernement
de la Gendarmerie», que prévoit le paragraphe 21(2) de la Loi.
L'Avis d'intention de recommander le licenciement portait
que la recommandation de licenciement pour motif d'incompé-
tence était fondée sur la participation à la perpétration d'une
infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada. Ayant
été acquitté, le requérant a été déclaré ne pas avoir été impliqué
dans la perpétration d'une infraction à la loi applicable du
Parlement du Canada. L'espèce peut être distinguée de l'affaire
Laroche, où le membre a admis avoir été impliqué dans la
perpétration d'une infraction. En l'espèce, comme le membre a
été déclaré non coupable par le seul tribunal compétent pour le
faire, l'incompétence alléguée était sans fondement et le Com-
missaire n'était plus habilité à renvoyer le requérant pour ce
motif. Il aurait dû, par conséquent, ordonner le maintien en
place du requérant. Rien dans la preuve ne le justifiait d'ordon-
ner la constitution d'une nouvelle Commission de licenciement
et de rétrogradation.
Cette conclusion soulève deux difficultés. Premièrement,
dans l'affaire Laroche, le juge Le Dain a décidé que le droit du
Commissaire de licencier quelqu'un pour motif d'incompétence
comprenait nécessairement le droit d'examiner si la conduite
ayant fait l'objet de la plainte était suffisamment grave pour
constituer une infraction criminelle. Les modifications appor-
tées au libellé du paragraphe 3.a.2. du Bulletin AM-53 depuis
l'arrêt Laroche montrent toutefois nettement qu'il ne ressortit
pas au Commissaire de déterminer si une infraction a été
commise ou non. Il est habilité à examiner si une infraction
dont un membre a été déclaré coupable est une infraction dont
la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la
bonne exécution des fonctions du membre. Il ne peut être dit
qu'une infraction prévue par une loi fédérale a été commise que
lorsque la cour compétente conclut qu'elle l'a été.
La deuxième difficulté vient du «NOTA» ajouté au paragraphe
3.a.2. Il est plus logique d'interpréter le NOTA comme étant une
explication, une interprétation ou une indication en ce qui
concerne la portée de la directive que de le considérer comme
faisant partie de la directive. Il n'a aucune valeur juridique.
Que le Commissaire n'ait pas intégré le NOTA au paragraphe
3.a.2. indique qu'il n'avait pas l'intention qu'il fasse partie de ce
paragraphe. En vertu du paragraphe 29(2) et des articles 30 et
31 du Règlement, lorsqu'un membre a été suspendu parce qu'il
a été soupçonné ou accusé d'avoir violé une loi du Parlement du
Canada, l'acquittement de ce membre le disculpe et le réintègre
au rang qu'il occupait à la date de la suspension. Toutefois,
lorsque les procédures plus graves qui entraînent le licencie-
ment ont été commencées sur le fondement d'une accusation
avant l'instruction de cette accusation, les procédures de licen-
ciement non seulement se poursuivent après l'acquittement,
mais, si le NOTA s'applique, il ne doit pas être tenu compte de
cet acquittement pour les fins de déterminer si la recommanda-
tion de licenciement doit être acceptée. Cette conséquence est
non seulement anormale mais injuste parce que la carrière, le
gagne-pain et la réputation du membre en cause sont en jeu.
Le juge Heald: Cette Cour est compétente pour examiner la
décision attaquée conformément à l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Un des principes directeurs des jugements de
cette Cour se rapportant au sens exact qui doit être donné au
terme «décision» à l'article 28 est que le mot «décision» ne
devrait pas être interprété de manière à en faire au besoin un
instrument dilatoire. La conclusion selon laquelle la décision du
Commissaire peut faire l'objet d'un examen fondé sur l'article
28 ne peut de quelque façon que ce soit être interprétée comme
faisant de l'article 28 un moyen dilatoire. Au contraire, le refus
de cette Cour de se reconnaître compétente en vertu de l'article
28 entraînerait un bien plus long retard que la solution opposée.
Le principe relatif à l'instrument dilatoire ne peut être décisif
relativement à la question qui doit être tranchée en l'espèce.
Une distinction doit être faite entre la «myriade» d'ordonnances
interlocutoires mentionnées dans la jurisprudence et la décision
contestée en l'espèce—c'est-à-dire une décision qui peut avoir
pour effet de dissiper l'incertitude qui se prolonge depuis si
longtemps. La décision en question est une décision au sujet de
laquelle le requérant a droit de savoir à quoi s'en tenir sans
autre délai.
L'article 28 vise une décision d'un «office, une commission ou
un autre tribunal fédéral», énumération qui, en vertu de l'article
2, désigne toute personne exerçant des pouvoirs conférés par
une loi du Parlement du Canada. À la suite de la révision du 7
juin 1983, le Bulletin d'administration AM-53 est devenu un
ordre permanent. Dans l'arrêt In re La Loi antidumping et in re
Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.), il a été décidé
qu'une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28
doit être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu
exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une
loi du Parlement. Le paragraphe 21(2) de la Loi sur la GRC
habilitait le Commissaire à promulguer le Bulletin AM-53 en
qualité d'ordre permanent. La procédure suivie en l'espèce est
permise par le Bulletin AM-53. Le paragraphe 14.k.2.1. dispose
que si un appel est interjeté d'une décision d'une Commission
de révision devant le Commissaire, ce dernier peut accueillir
l'appel et ordonner une nouvelle révision du dossier par une
Commission de licenciement et de rétrogradation, ce qui fut
fait en l'espèce. Cette décision du Commissaire s'inscrit dans
l'exercice des pouvoirs conférés par une loi du Parlement,
c'est-à-dire la Loi sur la GRC. Le critère appliqué dans l'arrêt
Danmor est respecté et la Cour est compétente pour examiner
la demande.
En ce qui a trait à l'argument voulant que les ordres perma
nents ne lient pas le Commissaire, dans l'arrêt Danmor, il a été
décidé qu'une fois qu'un tribunal a exercé les pouvoirs qui lui
ont été conférés de façon expresse par une loi en rendant une
«décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut
y revenir. Le Commissaire, en promulguant le Bulletin AM-53
en qualité d'ordre permanent, avait manifestement l'intention
de se lier en imposant un code complet de procédures à suivre
pour recommander les licenciements et les rétrogradations. Ce
code est destiné à se conformer aux règles de justice naturelle et
d'équité en matière de procédure. La conclusion voulant que
l'ordre permanent n'ait pas lié le Commissaire ferait des procé-
dures qui y sont énoncées rien d'autre qu'un trompe-l'oeil. La
décision satisfait aux critères énoncés dans l'arrêt Danmor, de
sorte que la présente Cour est investie de la compétence prévue
par l'article 28.
Même si le requérant n'a pas soulevé le fondement de la
décision du juge Urie exactement de la même manière que l'a
fait le juge, les faits sur lesquels se fondent cette décision ont
été soumis à la Cour à l'audition de l'appel. La plupart des
questions discutées par le juge Urie ont été entièrement débat-
tues à l'audition de l'appel. Tous les précédents invoqués par le
juge Urie ont fait l'objet d'une discussion à l'audience.
Le juge Pratte (dissident): La demande devrait être rejetée
au motif qu'elle attaque une décision que la Cour n'a pas le
pouvoir d'examiner en vertu de l'article 28.
La décision du Commissaire peut être distinguée des déci-
sions ayant trait au licenciement de membres de la Gendarme-
rie, décisions qui ont été jugées susceptibles d'être examinées
conformément à l'article 28. Il s'agit d'une décision refusant de
suivre la recommandation de licenciement et ordonnant qu'il
soit procédé à un nouvel examen par une Commission de
licenciement et de rétrogradation d'une formation différente de
la précédente. Dans l'arrêt Anheuser-Busch, Inc. c. Carling
O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71; 69
C.P.R. (2d) 136 (C.A.), il a été déclaré que la Cour d'appel
fédérale n'a compétence, en vertu de l'article 28, que pour
examiner les ordonnances finales. Que cette décision ait été
prise conformément à un ordre permanent ou non, il ne s'agit
pas en l'espèce d'une décision finale dont «découlent des droits
ou obligations juridiques.» Le pouvoir dont le paragraphe 21(2)
investit le Commissaire est un pouvoir de prescrire des règles
applicables aux membres de la Gendarmerie autres que le
Commissaire. On ne peut s'ordonner à soi-même de faire
quelque chose. Il s'ensuit que les ordres permanents ne lient pas
le Commissaire. De plus, le Commissaire ne peut, par ses ordres
permanents, se dépouiller de la responsabilité dont le charge le
paragraphe 13(2) de la Loi de renvoyer ou congédier des
membres de la Gendarmerie autres que des officiers. Les ordres
permanents ne liant pas le Commissaire, ils ne peuvent permet-
tre de réviser une décision qui, en l'absence des ordres perma
nents, ne serait pas susceptible d'être examinée.
L'argument du requérant voulant que le Commissaire n'ait
pas tenu compte de certaines dispositions de ses ordres perma
nents est rejeté puisque le Commissaire n'est pas lié par ses
propres ordres permanents.
La conclusion du juge Urie semble fondée sur l'opinion
suivant laquelle d'une part, le pouvoir de renvoi du Commis-
saire est limité par les termes des ordres permanents et d'autre
part, ce pouvoir est limité par le libellé de l'avis donné au
requérant. Comme il a été dit, les ordres permanents ne peu-
vent limiter les pouvoirs que la loi accorde au Commissaire.
Aucune importance ne doit être attachée à l'insuffisance de
l'avis donné au requérant. Comme le requérant n'a pas encore
été licencié de la Gendarmerie et comme, conformément à la
décision contestée, la procédure qui pourrait mener à son
licenciement doit être entiêrement reprise, on ne peut dire que
le requérant n'a pas été suffisamment averti.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.);
AGIP S.p.A. c. La Commission de contrôle de l'énergie
atomique, [1979] 1 C.F. 223 (C.A.); Anheuser-Busch,
Inc. c. Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited,
[1983] 2 C.F. 71; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.); National
Indian Brotherhood c. Juneau (N° 2), [1971] C.F. 73
(C.A.); In re La Loi antidumping et in re Danmor Shoe
Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Laroche et Beirsdorfer (1981), 131 D.L.R. (3d) 152
(C.F. Appel).
DÉCISIONS CITÉES:
McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.); Ked-
ward c. La Reine, [1976] 1 C.F. 57 (C.A.); Danch c.
Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.).
AVOCATS:
Barrie Chivers pour le requérant.
Brian Saunders pour l'intimé.
PROCUREURS:
Wright, Chivers & Company, Edmonton,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): J'ai lu les motifs
de jugement rédigés par mon collègue le juge Urie.
Je ne saurais souscrire à ses motifs. À mon avis,
cette demande présentée en vertu de l'article 28
devrait être rejetée.
Mon collègue le juge Urie précise la nature de la
décision contre laquelle cette demande fondée sur
l'article 28 est dirigée, rapporte les circonstances
dans lesquelles cette décision a été rendue et indi-
que les diverses dispositions de la Loi sur la Gen-
darmerie royale du Canada', du Règlement de la
Gendarmerie royale du Canada 2 et les ordres per
manents du Commissaire sous le régime desquels
elle a été rendue. Je n'ai pas besoin de répéter ici
ce qui a déjà été dit.
Immédiatement avant l'audition de la présente
demande, l'intimé a présenté une requête pour
faire annuler la demande au motif qu'elle atta-
quait une décision que la Cour n'avait pas le
pouvoir d'examiner en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10]. Nous avons rejeté cette requête et
entendu la demande présentée en vertu de l'article
28. Je suis maintenant d'avis que nous avons alors
commis une erreur. Nous aurions dû accueillir la
requête en annulation de l'intimé. Quoi qu'il en
soit, nous devrions maintenant, à mon avis, rejeter
la demande fondée sur l'article 28 au motif qu'elle
attaque une décision que la Cour n'a pas le pouvoir
d'examiner en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale.
Les décisions du Commissaire de la GRC se
rapportant au licenciement de membres de la Gen-
darmerie que cette Cour a estimé qu'elle pouvait
examiner en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale étaient des décisions qui licenciaient
les membres de la Gendarmerie'. La décision atta-
quée en l'espèce est de nature différente. Il s'agit,
en termes simples, d'une décision par laquelle le
Commissaire, premièrement, a refusé de suivre la
recommandation que lui a faite la Commission de
révision et selon laquelle le requérant devrait être
licencié de la Gendarmerie pour le motif d'incom-
pétence et, deuxièmement, a ordonné que l'affaire
soit renvoyée à une Commission de licenciement et
de rétrogradation d'une formation différente de la
précédente. En d'autres termes, avant de décider
' S.R.C. 1970, chap. R-9.
2 C.R.C., chap. 1391.
3 McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.); Danch c.
Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.); Re Laroche et Beirsdorfer
(1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel); Willette c. Com-
missaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F.
423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.).
de renvoyer ou non le requérant, le Commissaire a
jugé nécessaire d'obtenir des avis et des renseigne-
ments plus nombreux.
Il est bien établi maintenant que les décisions
rendues par des tribunaux fédéraux ne sont pas
toutes susceptibles d'examen sous l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale. La jurisprudence à ce
sujet a été bien résumée par mon collègue le juge
Heald dans l'arrêt Anheuser-Busch, Inc. c. Car-
ling O'Keefe Breweries of Canada Limited 4 lors-
qu'il écrit:
D'après cette jurisprudence, la Cour d'appel fédérale a compé-
tence pour examiner, en vertu de l'article 28, seulement les
ordonnances ou décisions finales, finales en ce sens que la
décision ou ordonnance en question est celle que le tribunal a le
pouvoir de rendre, et d'où découlent des droits ou obligations
juridiques.
Si la décision contestée avait été rendue avant la
date à laquelle le Bulletin d'administration AM-53
est devenu un ordre permanent, il n'y aurait à mon
avis, aucun doute que la décision ne serait pas
susceptible d'appel en vertu de l'article 28. Il
s'agirait manifestement d'une décision purement
administrative dont ne découlerait aucun «droit ou
obligation juridique». Le fait que le Bulletin ait été
un ordre permanent à l'époque de la décision
contestée annule-t-il cette conclusion? Je ne le
crois pas. Que cette décision ait été prise confor-
mément à un ordre permanent ou non, il ne s'agit
pas en l'espèce d'une décision finale dont «décou-
lent des droits ou obligations juridiques.» Cela est
évident lorsque l'on examine la nature et l'effet
juridique d'un ordre permanent.
Le pouvoir de prendre des ordres permanents est
conféré au Commissaire par le paragraphe 21(2)
de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada:
21....
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis
en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter
des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation,
l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le
bon gouvernement de la Gendarmerie.
Selon moi, le pouvoir dont le paragraphe 21(2)
investit le Commissaire est le pouvoir de prescrire
des règles applicables aux membres de la Gendar-
merie autres que le Commissaire. Ce paragraphe
n'a jamais envisagé, selon mon interprétation, que
' [1983] 2 C.F. 71, à la p. 75; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.), à la
p. 140,
le Commissaire puisse prendre des règles qui s'ap-
pliquent à lui-même. On ne peut tout simplement
pas s'ordonner à soi-même de faire quelque chose.
Il s'ensuit que les ordres permanents, peu importe
ce qu'ils disent, ne lient pas le Commissaire qui,
me semble-t-il, a aussi bien le pouvoir de contreve-
nir à ses propres ordres que de les établir. De plus,
le Commissaire ne peut certainement pas, par ses
ordres permanents, modifier la Loi. Selon le para-
graphe 13(2) de la Loi, un membre de la Gendar-
merie autre qu'un officier «peut être congédié ou
renvoyé par le Commissaire en tout temps avant
l'expiration de la durée de son engagement». Ainsi
le Commissaire est investi d'un pouvoir et chargé
d'une responsabilité. Il ne peut, par ses ordres
permanents, se défaire de ce pouvoir ni se dépouil-
ler de cette responsabilité; quels que soient les
termes des ordres permanents, le Commissaire
reste la personne habilitée à congédier ou renvoyer
les membres de la Gendarmerie autres que les
officiers et il continue à avoir le devoir d'exercer ce
pouvoir d'une manière juste et éclairée. Par consé-
quent, en dépit de tout ordre permanent contraire,
le Commissaire a toujours le droit, s'il est saisi
d'une recommandation de renvoi d'un membre de
la Gendarmerie, de prendre la décision qu'il consi-
dère appropriée; plus particulièrement, il a tou-
jours le droit, s'il le juge nécessaire ou utile, de
demander des avis et des renseignements plus
nombreux.
À mon avis, par conséquent, les ordres perma
nents ne lient pas le Commissaire. Pour cette
raison, ils ne peuvent permettre à cette Cour de
réviser une décision du Commissaire qui, en l'ab-
sence des ordres permanents, ne serait manifeste-
ment pas susceptible d'être examinée.
Par conséquent; je rejetterais la demande pré-
sentée en vertu de l'article 28 au motif que la
décision contestée ne peut faire l'objet de l'examen
prévu à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Je dois ajouter que même si la décision contestée
était susceptible d'examen, je rejetterais quand
même la requête. En fait, le seul motif de contesta-
tion soulevé par l'avocat du requérant à l'audition
était que la décision du Commissaire était erronée
en ce qu'il n'a pas tenu compte, en la rendant, de
certaines dispositions des ordres permanents. Je
rejetterais cet argument pour le motif que j'ai déjà
donné, c'est-à-dire que le Commissaire n'est pas lié
par ses propres ordres permanents.
Mon collègue le juge Urie propose de trancher
l'espèce en se fondant sur un argument qui n'a pas
été soulevé à l'audience. À son avis, la décision du
Commissaire devrait être annulée parce que,
depuis l'acquittement du requérant par le tribunal
criminel compétent, le Commissaire ne peut plus le
renvoyer ou le congédier pour la raison mentionnée
dans l'«Avis d'intention de recommander le licen-
ciement« et dans le paragraphe 3.a.2. du Bulletin
AM-53. Même si je souscrivais (ce qui n'est pas le
cas) à l'interprétation donnée par mon collègue du
paragraphe 3.a.2. du Bulletin, je serais encore
incapable de partager sa conclusion. Cette conclu
sion me semble fondée sur deux opinions possibles:
premièrement, que le pouvoir de renvoi du Com-
missaire est limité par les termes des ordres per
manents et, deuxièmement, que ces pouvoirs sont
en l'espèce, limités par le libellé de l'avis donné au
requérant.
Je répète qu'à mon avis les ordres permanents ne
peuvent limiter les pouvoirs que la loi accorde au
Commissaire. Quant à l'insuffisance alléguée de
l'avis donné au requérant, je ne peux y attacher
aucune importance. Même si le texte de l'avis
donné au requérant devait être interprété de la
manière que propose mon collègue le juge Urie, le
fait demeure que, à la connaissance du requérant,
le Commissaire lui a certainement donné une
interprétation différente. Comme le requérant n'a
pas encore été licencié de la Gendarmerie et
comme, conformément à la décision contestée, la
procédure qui pourrait mener à son licenciement
doit être entièrement reprise, je ne peux compren-
dre comment on peut maintenant dire que le
requérant n'en a pas été suffisamment averti.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'occasion de lire les
motifs de jugement de mes collègues le juge Pratte
et le juge Urie. Dès le départ, je dois dire que je
suis d'accord avec les motifs de jugement rédigés
par le juge Urie et avec la solution qu'il propose.
Je ne saurais par contre souscrire aux motifs du
juge Pratte ou avec sa conclusion selon laquelle la
demande fondée sur l'article 28 devrait être reje-
tée. Les présents motifs visent à exprimer claire-
ment le fondement sur lequel repose ma conclu
sion.
Comme l'a fait remarquer le juge Pratte, la
Cour, après avoir entendu la plaidoirie de l'intimé
relative à une requête préliminaire en annulation
de la demande en l'espèce fondée sur l'article 28, a
unanimement rejeté la requête. Cette décision s'ac-
corde avec la, jurisprudence de la Cour. Dans
l'arrêt AGIP S.p.A. c. La Commission de contrôle
de l'énergie atomique, [1979] 1 C.F. 223 (C.A.),
la Cour a décidé qu'une demande faite en vertu de
l'article 28 ne doit pas être annulée au stade
préliminaire en se fondant sur une requête en
annulation à moins qu'il soit conclu qu'on ne peut
soutenir à bon droit, sur le fondement du dossier
soumis à la Cour ou des documents pressentis, que
la décision contestée relève de l'article 28. Pour ce
motif, je ne saurais être d'accord avec l'opinion
exprimée par mon collègue le juge Pratte selon
laquelle la Cour a commis une erreur en refusant
d'accueillir la requête en annulation de l'intimé.
En outre, après avoir entendu tous les détails de
l'appel, je suis d'opinion que la présente Cour est
compétente pour examiner la décision contestée en
l'espèce en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale.
En l'espèce, le Commandant de la division de la
Gendarmerie royale du Canada dont faisait partie
le requérant a procédé contre ce dernier par voie
d'«Avis d'intention de recommander le licencie-
ment». Le requérant a demandé le réexamen de
cette recommandation. Une Commission de licen-
ciement et de rétrogradation a donc été réunie par
l'inspecteur J. D. Maxwell. Après l'audition, la
Commission de licenciement et de rétrogradation a
ordonné le maintien du requérant dans la GRC au
rang qu'il occupait alors. Le Commandant divi-
sionnaire du requérant a interjeté appel de la
décision auprès d'une Commission de révision.
Cette dernière a accueilli l'appel et a recommandé
au Commissaire le licenciement du requérant pour
incompétence. Le requérant a interjeté appel de
cette décision auprès du Commissaire intimé. Le
Commissaire, en décidant de cet appel a refusé de
suivre la recommandation de licenciement que lui
a fait la Commission de révision et a ordonné que
la question soit réexaminée par une Commission
du licenciement et de rétrogradation ayant une
formation différente de la précédente.
En examinant cette question, mon collègue le
juge Pratte a cité un extrait du jugement que j'ai
rendu dans Anheuser-Busch, Inc. c. Carling
O'Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2
C.F. 71, la page 75; 69 C.P.R. (2d) 136 (C.A.),
à la page 140. Outre l'extrait cité par M. le juge
Pratte, j'ai également dit à la page 76 C.F.; à la
page 140 du recueil N.R., après avoir examiné la
jurisprudence de cette Cour:
Il découle d'une lecture attentive de la jurisprudence sur l'arti-
cle 28 que dans ces décisions, l'accent a été mis sur les
conséquences peu souhaitables qui pourraient s'ensuivre si la
Cour devait accueillir les demandes fondées sur l'article 28
relativement aux innombrables questions interlocutoires soule-
vées au cours d'une procédure.
À l'appui de cette opinion, je mentionnais un
passage des motifs de jugement du juge en chef
Jackett dans l'arrêt National Indian Brotherhood
c. Juneau (N° 2), [1971] C.F. 73 (C.A.), à la page
78, où il a dit, en ce qui concerne ces innombrables
ordonnances interlocutoires:
Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à
cette Cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision de
ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les mains de
parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa compétence
un moyen dilatoire et frustratoire incompatible avec l'esprit de
l'art. 28(5).
Par conséquent, il me semble qu'un des principes
directeurs des nombreux jugements de cette Cour
se rapportant au sens exact qui doit être donné au
terme «décision» à l'article 28 est que le mot
«décision» ne devrait pas être interprété de manière
à en faire au besoin un instrument dilatoire,
compte tenu surtout de l'exigence du paragraphe
(5) de l'article 28 selon laquelle les demandes
fondées sur cet article doivent «être entendues et
jugées sans délai et d'une manière sommaire.»
Compte tenu de ce principe et si on l'applique
aux circonstances de l'espèce, il semble clair que la
conclusion selon laquelle la décision du Commis-
saire attaquée en l'espèce peut faire l'objet d'un
examen fondé sur l'article 28 ne peut de quelque
façon que ce soit être interprétée comme faisant de
l'article 28 un moyen dilatoire. Si la décision du
Commissaire ne peut faire l'objet d'un examen en
vertu de l'article 28, il faudrait alors maintenir la
décision de renvoyer la question à une nouvelle
Commission de licenciement et de rétrogradation.
Les procédures disciplinaires antérieures contre le
requérant ont commencé le 27 avril 1983 avec
l'Avis d'intention de recommander le licenciement
et elles ont atteint leur point culminant le 25 juin
1984 avec la décision du Commissaire dont on
demande l'examen en l'espèce—soit sur une
période de 14 mois. Pendant tout ce temps, la
carrière policière du requérant de même que sa vie
familiale et personnelle ont été un objet de suspi
cion. Maintenant, si l'on maintient la décision du
Commissaire, le requérant continuera d'être dans
cette situation peu enviable et fâcheuse pendant
peut-être encore 14 mois ou plus. Cela signifie que
la période au cours de laquelle il risque encore
d'être renvoyé et où il sera soupçonné s'étendra
jusqu'à la toute fin de 1986. En d'autres termes,
pendant plus de trois ans, sa compétence comme
membre de la GRC aura été gravement mise en
question. Par conséquent, je suis d'avis que dans
les circonstances de l'espèce, le refus de cette Cour
de se reconnaître compétente en vertu de l'article
28 entraînerait un bien plus long retard que la
solution opposée.
Je m'empresse de souligner toutefois que le prin-
cipe relatif à «l'instrument dilatoire» dont j'ai parlé
ci-dessus ne peut, même si la Cour en a tenu
compte de manière importante dans ses arrêts
antérieurs sur la question, être de quelque façon
considéré comme décisif relativement à la question
qui doit être tranchée en l'espèce. Je dis ceci parce
que je vois une nette distinction entre la «myriade»
d'ordonnances interlocutoires mentionnées dans la
jurisprudence de la Cour (par exemple les déci-
sions portant sur l'admissibilité de la preuve au
cours d'une procédure ou les décisions accordant
ou refusant des ajournements en cours d'instan-
ce—pour ne mentionner que deux exemples mar-
quants) et la décision contestée en l'espèce—
c'est-à-dire une décision qui peut avoir pour effet
de dissiper l'incertitude qui se prolonge depuis si
longtemps. À mon avis, mise à part toute autre
considération, la décision en question est une déci-
sion au sujet de laquelle le requérant a le droit de
savoir à quoi s'en tenir sans autre délai. Toutefois,
nonobstant les motifs convaincants qui puissent
inciter la Cour à se reconnaître compétente en
vertu de l'article 28 dans un cas de cette espèce, il
est nécessaire de déterminer si une interprétation
exacte des articles pertinents de la Loi sur la Cour
fédérale justifierait la Cour de se reconnaître com-
pétente en l'espèce. L'article 28 vise un «office, une
commission ou un autre tribunal fédéral». L'article
2 de la Loi sur la Cour fédérale définit l'expres-
sion «office, commission ou autre tribunal fédéral».
Voici le libellé de la partie de cette définition qui
nous concerne:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga-
nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou
prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés
par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une
telle loi ...
Comme l'a fait remarquer le juge Urie, le paragra-
phe 21(2), de la Loi sur la Gendarmerie royale du
Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9 habilite le Com-
missaire intimé à «édicter des règles, appelées
«ordres permanents», visant ... la discipline ...
l'administration et le bon gouvernement de la Gen-
darmerie.» Il semble manifeste que le Bulletin
AM-53 n'était pas, avant le 7 juin 1983, un ordre
permanent pris conformément au paragraphe
21(2). Il semble également clair que, conformé-
ment à la révision du Bulletin AM-53 du 7 juin
1983, celui-ci est devenu un ordre permanent. Je
dis cela étant donné le paragraphe i.e. de la
révision de 1983 dont voici le libellé:
1.e. Le présent bulletin constitue un ordre permanent du
Commissaire, même si sa présentation ne correspond pas
à celle d'un O.P.C. et qu'il soit rédigé conformément à
l'article 21(2) de la Loi sur la G.R.C. Aucun change-
ment, modification, ou révision ne pourra être apporté
au présent bulletin ou à ses annexes sans l'autorisation
formelle du Commissaire.
Je souscris au raisonnement du juge Urie lorsqu'il
dit [à la page 351]: «Puisque ni le paragraphe
21(2) de la Loi, ni le Règlement n'imposent au
Commissaire de donner une forme particulière aux
ordres permanents et puisque le Bulletin AM-53
semble se rapporter à la discipline, l'efficacité ou
le bon gouvernement de la Gendarmerie, il semble
procéder d'un exercice valide du pouvoir accordé
au Commissaire par le paragraphe 21(2).» Par
conséquent, je pense que les observations de la
Cour dans l'arrêt In re La Loi antidumping et in re
Danmor Shoe Co. Ltd., [ 1974] 1 C.F. 22 (C.A.), à
la page 28 s'appliquent en l'espèce. Le juge en chef
Jackett a dit:
Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1)
doit donc être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu
exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une
loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise
en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs» expressément
conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégo-
rie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compé-
tence ou des pouvoirs» conférés par la loi relève aussi manifeste-
ment de l'article 28(1).
Si l'on applique le critère énoncé dans l'arrêt
Danmor, peut-on dire que la «décision» du Com-
missaire en l'espèce est une décision qu'il a été
expressément autorisé à prendre? Je conclus que la
réponse à cette question est affirmative. Comme je
l'ai fait remarquer précédemment, le paragraphe
21(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du
Canada habilite le Commissaire à promulguer le
Bulletin AM-53 en qualité d'ordre permanent. La
procédure suivie en l'espèce est permise et pres-
crite par le Bulletin AM-53. Le paragraphe 14 de
ce Bulletin expose en détail la procédure applica
ble aux appels interjetés auprès du Commissaire
d'une décision d'une Commission de révision.
L'alinéa k. du paragraphe 14 s'applique aux cir-
constances de l'espèce. En voici le texte:
14....
k. Si l'appel est engagé par le cdt div., l'arrêt du Commis-
saire concernant l'appel doit prendre l'une ou l'autre des
formes suivantes:
1. rejet de l'appel et maintien de la décision et des
recommandations, ou
2. admission de l'appel et:
1. ordre d'une nouvelle révision du dossier par une
Commission de licenciement et de rétrogradation;
2. ordre de licenciement du membre, ou
3. rétrogradation du membre si le cdt div. en appelle
d'une recommandation voulant que le membre
demeure au service de la G.R.C. à son grade ou
niveau actuel.
L'alinéa m. du paragraphe 14 est également perti
nent. En voici le texte:
14....
m. Si le Commissaire ordonne une nouvelle révision, le
sous-commissaire ou le D.O.P., selon le cas, doit réunir
une Commission de licenciement et de rétrogradation
qui effectuera l'étude du cas tout comme s'il s'agissait
d'une première révision.
En l'espèce, le Commissaire, conformément aux
dispositions du paragraphe 14.k.2.1. a accueilli
l'appel et ordonné une nouvelle révision du dossier
par une Commission de licenciement et de rétro-
gradation d'une composition différente de la précé-
dente. Par conséquent je pense qu'il est clair que
cette décision du Commissaire s'inscrit dans l'exer-
cice des pouvoirs conférés par une loi du Parle-
ment, c'est-à-dire la Loi sur la Gendarmerie
royale du Canada. Sur cette base, le critère appli-
qué dans l'arrêt Danmor est nettement respecté et
la Cour est compétente pour examiner cette
demande présentée en vertu de l'article 28.
Mon collègue le juge Pratte est également d'avis
que les ordres permanents contestés en l'espèce ne
lient pas le Commissaire. Je ne saurais souscrire à
cette opinion. Le juge en chef Jackett dans l'arrêt
Danmor, précité, a dit également, à la page 28 du
recueil, qu'une décision prise dans le prétendu
exercice de pouvoirs conférés expressément par
une loi «a pour effet juridique de régler l'affaire,
ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans
une affaire donnée, le tribunal a exercé sa "compé-
tence ou ses pouvoirs" en rendant une "décision",
la question est tranchée et même le tribunal ne
peut y revenir. (À moins, bien sûr, qu'il ait les
pouvoirs exprès ou implicites de défaire ce qu'il a
fait, ce qui est une compétence supplémentaire)»
À mon avis, le Commissaire en promulguant le
Bulletin AM-53 en qualité d'ordre permanent
avait manifestement l'intention de se lier en impo-
sant un code complet de procédures à suivre pour
recommander les licenciements et les rétrograda-
tions. Ce code est de toute évidence destiné à se
conformer aux règles de justice naturelle et
d'équité en matière de procédure. La conclusion
voulant que l'ordre permanent AM-53 ne lie pas le
Commissaire dans les circonstances présentes
ferait des procédures qui y sont énoncées rien
d'autre qu'une imposture et une illusion, c'est-à-
dire un trompe-l'oeil. Je suis convaincu que cela
n'est pas ce que voulait le Commissaire. Je suis
également convaincu qu'il entendait, grâce à cette
procédure, recourir aux moyens d'enquête de la
Commission de licenciement et de rétrogradation
de même qu'aux moyens d'examen de la Commis
sion de révision pour l'aider à s'acquitter de la
responsabilité dont l'investit le paragraphe 13(2)
de la Loi en ce qui concerne le licenciement des
membres de la Gendarmerie autres que des offi-
ciers. Par conséquent, à mon avis, la «décision»
prise par lui dans cette affaire, conformément au
paragraphe 14.k.2.1. de l'ordre permanent AM-53,
satisfait aux critères énoncés dans l'arrêt Danmor
précité, de sorte que la présente Cour est investie
de la compétence prévue par l'article 28.
La seule autre question au sujet de laquelle
j'aimerais faire des commentaires se rapporte à
l'opinion du juge Pratte selon laquelle le fonde-
ment de la décision du juge Urie n'a pas été
soulevé à l'audition de l'appel. Il est vrai que
l'avocat du requérant n'a pas soulevé cette ques
tion exactement de la même manière que mon
collègue le juge Urie dans ses motifs de jugement.
Toutefois, le requérant a dit au paragraphe 1 de
son argumentation qu'il avait été accusé de vol à
l'étalage et qu'il avait été déclaré non coupable de
cette accusation par un juge de la Cour provinciale
de l'Alberta à l'issue de son procès. De son côté,
l'intimé a accepté dans son argumentation la
déclaration du requérant [TRADUCTION] «comme
étant substantiellement exacte.» Par conséquent,
les faits sur lesquels se fonde le raisonnement suivi
par le juge Urie dans sa décision ont été soumis à
la Cour à l'audition de l'appel. De même, au
paragraphe 20 de son mémoire, l'avocat du requé-
rant a invoqué qu' [TRADUCTION] «aucune preuve
n'a été apportée à l'audition de la Commission de
licenciement et de rétrogradation qui aurait pu
raisonnablement justifier l'officier qui la présidait
à conclure que le requérant avait été impliqué dans
la perpétration d'une infraction le rendant incom-
pétent, et que la décision de cet officier était juste
en fait et en droit.» Étant donné que la transcrip
tion des procédures devant la Cour provinciale de
même que de la décision ont été produites devant
la Commission de licenciement et de rétrograda-
tion, l'argument mentionné au paragraphe 20, pré-
cité, a une portée suffisante pour inclure le raison-
nement sur lequel se fonde la décision du juge
Urie. Il est vrai que l'avocat du requérant n'a pas
élaboré cet argument d'une façon à comprendre
tout ce raisonnement. Toutefois, il est également
vrai que la plupart des questions abordées par M.
le juge Urie ont été entièrement discutées à l'audi-
tion de l'appel. Par exemple, l'effet et le sens du
«NOTA» du paragraphe 3.a.2. du Bulletin AM-53,
que le juge Urie a examiné en détail, ont été
soulevés par les membres de la Cour à l'audition et
il y a eu discussion à ce sujet avec l'avocat de
l'intimé. De plus, tous les précédents invoqués par
mon collègue le juge Urie ont fait l'objet d'une
discussion à l'audience. Bref, il ne s'agit pas d'une
affaire dans laquelle on a fait état de faits nou-
veaux ou d'une nouvelle jurisprudence entre l'audi-
tion de l'appel et le prononcé du jugement. Ce
n'est pas, à mon avis, une situation qui exige que la
Cour demande une argumentation plus poussée.
Pour les motifs qui précèdent et pour ceux con-
tenus dans les motifs du jugement du juge Urie, je
déciderais de cette demande de la façon qu'il
suggère.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Cette demande présentée en
vertu de l'article 28 est la dernière d'une série
d'affaires non reliées 5 entendues par cette Cour
durant les sept ou huit dernières années ayant trait
au licenciement, habituellement pour incompé-
tence, de membres de la Gendarmerie royale du
Canada («GRC») par le Commissaire de la GRC,
l'intimé en l'espèce.
Dans la présente demande, le caporal Lutes, qui
est membre de la GRC depuis plus de 16 ans,
cherche à faire annuler la partie de la décision de
l'intimé qui maintient la décision d'une Commis
sion de révision qui recommandait son renvoi aux
motifs d'incompétence et, également, la décision
de l'intimé d'ordonner un nouvel examen de l'af-
faire par une Commission de licenciement et de
rétrogradation dont la composition sera différente
de la précédente.
Voici les faits, brièvement exposés. Le 9 mars
1983, le requérant a été accusé de vol à l'étalage.
Le 27 avril 1983, le Commandant de la division
«K» de la GRC, dont relevait le requérant, a fait
signifier à ce dernier un «Avis d'intention de
recommander son licenciement» en date du 26 avril
1983. Le 15 juin 1983, à l'issue d'un procès, le juge
McLean de la Cour provinciale de l'Alberta a
déclaré le requérant non coupable de l'infraction
dont il était accusé et il l'a acquitté. Comme le
permettent les ordres permanents de la GRC, le
requérant a demandé un nouvel examen des
recommandations visant son licenciement à la suite
de quoi une Commission de licenciement et de
rétrogradation a été réunie par l'inspecteur J. D.
Maxwell le 1 e novembre 1983.
Voir: McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 339 (C.A.);
Kedward c. La Reine, [1976] 1 C.F. 57 (C.A.); Danch c.
Nadon, [1978] 2 C.F. 484 (C.A.); Re Laroche et Beirsdorfer
(1981), 131 D.L.R. (3d) 152 (C.F. Appel); Willette c. Com-
missaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F.
423; (1985), 56 N.R. 161 (C.A.).
Le 3 janvier 1984, cette Commission a décidé
que le requérant n'était pas impliqué dans la per-
pétration d'une infraction puisqu'il n'avait pas l'in-
tention nécessaire et, par conséquent, elle a
ordonné son maintien dans la GRC à son grade
actuel.
Le 21 janvier 1984, le Commandant division-
naire a interjeté appel de la décision de la Com
mission de licenciement et de rétrogradation
auprès d'une Commission de révision. Le 14 mars
1984, cette dernière Commission a accueilli l'appel
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] ... après avoir soigneusement examiné cette
affaire, la Commission de révision accueille l'appel du Com
mandant de la division «K» aux motifs que la Commission de
licenciement et de rétrogradation a commis une erreur de droit
en ayant recours à un critère qui rejetait la preuve documen-
taire de Blais pour y préférer le témoignage fait sous serment
par le caporal Lutes. De plus, nous sommes d'avis que la
Commission de licenciement et de rétrogradation s'est trompée
en n'examinant pas correctement tous les faits, c'est-à-dire les
déclarations de Jansen, Fraser et Kercher, qui non seulement
corroborent les affirmations de Blais, mais apportent une
preuve supplémentaire qui conteste la version de l'affaire
donnée par le caporal Lutes.
Le requérant, comme il en avait le droit, a
interjeté appel de cette décision auprès de l'intimé,
qui le 25 juin 1984 a statué, en fait, que la
Commission de révision pouvait accueillir l'appel
du Commandant divisionnaire relativement au cri-
tère qui rejetait la preuve documentaire pour y
préférer le témoignage de vive voix du requérant
seulement si la Commission de licenciement et de
rétrogradation avait adopté un critère de crédibi-
lité qui constituait une erreur de droit. Il n'a pas
trouvé qu'une telle erreur avait été commise et
l'appel a été accueilli pour ce motif. Toutefois, il a
poursuivi en statuant que le dossier justifiait la
Commission de révision de conclure que la Com
mission de licenciement et de rétrogradation s'était
trompée en fondant sa décision [TRADUCTION]
«sans tenir compte de la preuve qui lui était sou-
mise». Le Commissaire a ensuite décidé que bien
que la Commission de révision avait la compétence
nécessaire pour recommander qu'un membre soit
licencié lorsque [TRADUCTION] «la question fonda-
mentale en litige a sa source dans le témoignage
des témoins, dans l'appréciation de leur crédibilité
et de la preuve, etc., ...u, il devait y avoir un
nouvel examen de la preuve par une autre Com
mission de licenciement et de rétrogradation. Par
conséquent il a ordonné un nouvel examen de
l'affaire par une Commission de licenciement et de
rétrogradation dont la formation serait différente
de la précédente.
C'est cette décision que vise la demande présen-
tée en vertu de l'article 28 qui nous est soumise.
Le requérant conteste la décision pour plusieurs
motifs, mais, avant de les aborder, il y a lieu de
trancher une question préliminaire.
Pour comprendre les divers problèmes soulevés,
y compris la question préliminaire, il faut com-
mencer par analyser l'économie de la Loi sur la
Gendarmerie royale du Canada, («la Loi») S.R.C.
1970, chap. R-9 et ses modifications, son Règle-
ment d'application et le Bulletin d'administration
AM-53, qualifié d'ordre permanent du Commis-
saire établi conformément au paragraphe 21(2) de
la Loi sur la GRC.
En vertu de l'article 5 de la Loi, le Commissaire,
qui est nommé par le Gouverneur en conseil, est
investi, sous la direction du Solliciteur général, «de
l'autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de
toutes les matières s'y rattachant.» Le paragraphe
7(1) prévoit que le Commissaire «doit nommer les
membres de la Gendarmerie autres que les offi-
ciers, pour des fonctions permanentes ou temporai-
res.» Voici le libellé du paragraphe 13(2):
13....
(2) Sauf s'il est nommé pour une fonction temporaire,
chaque membre autre qu'un officier doit, lors de sa nomination,
signer un acte d'engagement pour une période n'excédant pas
cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé far
le Commissaire en tout temps avant l'expiration de la durée de
son engagement. [C'est moi qui souligne.]
Le paragraphe 21(1) de la Loi confère au Gou-
verneur en conseil le pouvoir de prendre des
règlements:
21. (1) ... sur l'organisation, l'entraînement, la discipline,
l'efficacité, l'administration et le bon gouvernement de la Gen-
darmerie et, en général, sur la réalisation des objets de la
présente loi et la mise à exécution de ses dispositions.
Le pouvoir accordé par le paragraphe 21(2) est
important en ce qui concerne les points contestés
de la décision en l'espèce.
21.. ..
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis
en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter
des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation,
l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le
bon gouvernement de la Gendarmerie.
Le Gouverneur en conseil a adopté le Règlement
intitulé Règlement de la Gendarmerie royale du
Canada, C.R.C., chap. 1391 («le Règlement»),
dont les articles 67, 68 et 74 se rapportent au
licenciement d'un membre de la Gendarmerie pour
des motifs d'incompétence:
67. Un membre, sauf un officier, peut être licencié de la
Gendarmerie pour n'importe laquelle des raisons suivantes:
a) inaptitude;
b) incompétence;
e) décès;
d) désertion;
e) révocation;
f) ordonnance du Ministre pour répondre aux nécessités du
service;
g) permutation;
h) âge maximal;
i) fin de la période de service maximale;
j) démission; ou
k) retraite volontaire.
68. Tout membre doit être informé immédiatement de toute
recommandation faite en vue de son licenciement de la
Gendarmerie.
74. Le Commissaire peut recommander le renvoi d'un officier
et peut renvoyer un membre autre qu'un officier qui n'a pas la
compétence requise pour servir dans la Gendarmerie.
Le paragraphe 29(2) et les articles 30 et 31 sont
également pertinents à la détermination des ques
tions soulevées dans la présente demande. En voici
le texte:
29... .
(2) Le Commissaire ou tout commandant peut suspendre de
ses fonctions tout membre autre qu'un officier soupçonné ou
accusé de ne pas avoir observé une loi du Parlement du Canada,
ou d'avoir commis une infraction ressortissant au service.
30. Tout membre suspendu doit, au moment de sa suspen
sion, être informé par écrit des motifs de sa suspension.
31. Au terme d'une enquête ou d'un procès, le membre qui
est disculpé ou trouvé non coupable doit être réintégré dans la
Gendarmerie, cette réintégration devant remonter à la date de
sa suspension et lui être signifiée par écrit.
Le 30 juillet 1979, le Commissaire a publié un
bulletin, appelé le Bulletin d'administration
AM-53. Bien qu'il ait été révisé à plus d'une
occasion depuis sa publication, c'est la version du 7
juin 1983 qui s'applique en l'espèce. Ce Bulletin
expose les motifs pour lesquels le licenciement d'un
membre de la Gendarmerie peut être recommandé
pour motif d'incompétence et les procédures appli-
cables. Le motif d'incompétence invoqué en l'es-
pèce est celui qui est exposé au paragraphe 3.a.2.
du Bulletin, dont voici le libellé:
3. Motifs d'inaptitude
a. On peut recommander qu'un membre soit licencié en vertu
du règlement 74 ou qu'il soit rétrogradé pour l'une ou
plusieurs des trois raisons suivantes appelées motifs d'inap-
titude, soit:
2. Deuxième motif (Voir les exemples 2, 4 et 5 à l'Annexe
«B»). Le membre est impliqué dans la perpétration d'une
infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada
ou l'Assemblée législative d'une province, infraction
dont la gravité et les circonstances affecteraient considé-
rablement la bonne exécution des fonctions du membre
en vertu de la loi.
NOTA: On peut recommander le licenciement ou la
rétrogradation d'un membre qu'il ait été accusé ou non
du délit criminel constituant le motif de son inaptitude
ou qu'il ait été jugé, acquitté ou condamné par le
tribunal à l'égard de ce délit.
Il faut prêter attention au renvoi aux «exemples
2, 4 et 5» et au «NOTA» de ce paragraphe qui fera
l'objet d'observations plus loin dans les présents
motifs. Il convient également de souligner les ins
tructions tirées des paragraphes l.a. et 1.e.:
1. Généralités
a. Le présent bulletin explique les procédures sur le licencie-
ment et la rétrogradation, procédures qui entreront en
vigueur le 15 septembre 1979. Les directives et les modali-
tés données ci-après suivent celles contenues dans les modi
fications proposées à la Loi sur la G.R.C. Elles s'appli-
quent à tous les membres, y compris les officiers.
e. Le présent bulletin constitue un ordre permanent du Com-
missaire, même si sa présentation ne correspond pas à celle
d'un O.P.C. et qu'il soit rédigé conformément à l'article
21(2) de la Loi sur la G.R.C..
En résumé, la procédure établie par le Bulletin
AM-53 est la suivante. Il faut signifier au membre
dont on veut recommander le licenciement un avis
d'intention exposant le motif et les détails de cette
recommandation, de même que la notification de
son droit de demander, dans les 14 jours suivant la
réception de l'avis, la révision de son affaire par
une Commission de licenciement et de rétrograda-
tion. Il a le droit de consulter la documentation sur
laquelle se fonde la recommandation ainsi que ses
dossiers de service, de discipline et du personnel.
La Commission de licenciement et de rétrograda-
tion doit tenir une audience à laquelle le membre
concerné a le droit d'être présent et d'être repré-
senté par un membre de la Gendarmerie et où il
peut produire des preuves et faire des représenta-
tions. Le paragraphe 12.q. du Bulletin prévoit que
la Commission doit décider si chaque motif d'inap-
titude invoqué «est fondé sur une prépondérance
juste et raisonnable d'arguments dignes de foi». La
décision de la Commission doit comprendre ses
conclusions de faits, les motifs de la décision et sa
recommandation de licenciement ou de rétrograda-
tion du membre. Si le motif d'inaptitude n'a pu
être prouvé, la Commission ordonnera que le
membre demeure dans la Gendarmerie. En l'es-
pèce, la Commission de licenciement et de rétro-
gradation a décidé que le motif d'inaptitude n'a pu
être prouvé et a ordonné que le caporal Lutes
demeure dans la Gendarmerie.
Le paragraphe 13 du Bulletin permet à un
membre qui n'est pas satisfait de la décision de la
Commission de licenciement et de rétrogradation
d'interjeter appel auprès d'une Commission de
révision, et ce pour toute raison. La disposition b
de cet article permet au Commandant division-
naire du membre concerné d'interjeter appel de la
décision pour une des raisons suivantes:
1. la Commission n'a pas respecté un principe d'impartialité
et de loyauté;
2. la Commission a dépassé les limites de ses pouvoirs juridic-
tionnels ou a refusé de les exercer;
3. la Commission a commis une erreur juridique lorsqu'elle a
rendu sa décision, ou
4. la Commission a fondé sa décision sur une constatation des
faits erronée ou sans tenir compte des documents qui lui
ont été transmis.
La Commission de révision examine l'appel en
se fondant sur un dossier écrit comprenant la
documentation mentionnée au paragraphe 13.g.
Elle est habilitée soit à rejeter l'appel, soit à
l'accueillir pour l'un des motifs exposés au para-
graphe 13.h.2. ou au paragraphe 13.i., selon qu'il
s'agit d'un appel interjeté respectivement par un
membre ou par le Commandant divisionnaire. En
l'espèce, la Commission de révision a accueilli
l'appel du Commandant divisionnaire et a recom-
mandé que le caporal Lutes soit licencié.
Le caporal Lutes, le requérant en l'espèce, a
interjeté appel auprès du Commissaire comme il
en avait le droit en vertu du paragraphe 14.a. du
Bulletin. Ce dernier est tenu d'étudier l'appel en se
fondant sur le dossier écrit soumis à la Commis-
Sion de révision et sur les exposés écrits du membre
et les répliques écrites du Commandant division-
naire. Le Commissaire doit disposer de l'appel soit
en le rejetant et en maintenant les recommanda-
tions contestées, soit en l'accueillant et en ordon-
nant une nouvelle révision du dossier par une
Commission de licenciement et de rétrogradation
(comme c'est le cas en l'espèce), ou encore en
ordonnant que le membre demeure au service de la
GRC ou soit rétrogradé.
Le paragraphe 14.m. est la seule autre disposi
tion pertinente au présent appel et il prévoit que si
le Commissaire ordonne une nouvelle révision de
l'affaire, celle-ci devrait être effectuée «tout
comme s'il s'agissait d'une première révision.
[C'est moi qui souligne.]» Ainsi, il semblerait que
toutes les procédures d'appel qui précèdent puis-
sent encore être invoquées après la décision de la
nouvelle Commission de licenciement et de
rétrogradation.
Cet examen plutôt long des procédures auxquel-
les peuvent recourir tant le membre dont le renvoi
a été recommandé que son Commandant division-
naire lorsque la recommandation n'a pas été main-
tenue, était nécessaire non seulement pour com-
prendre les mécanismes de protection offerts à un
membre lorsque son gagne-pain est menacé par le
spectre du renvoi, mais également pour montrer
que, en dernière analyse, c'est le Commissaire qui
doit finalement accepter ou rejeter les recomman-
dations faites par l'un des trois tribunaux qui lui
sont inférieurs. Il est l'unique personne autorisée
par le paragraphe 13 (2) de la Loi à congédier ou à
renvoyer un membre avant la fin de son mandat.
Ainsi, dans une certaine mesure, l'apparence d'un
processus conforme aux règles de justice naturelle
ou d'un recours à l'équité procédurale comme l'ex-
pose le Bulletin AM-53 (si l'on présume qu'il a
l'effet des ordres permanents) est une façade. Si
c'est le cas, et si le Commissaire en prenant la
décision qui finalement, selon la Loi, n'appartient
qu'à lui seul, procède sans tenir compte des erreurs
de droit commises par l'un des trois tribunaux
inférieurs—le Commandant divisionnaire, la Com
mission de licenciement et de rétrogradation ou la
Commission de révision—sa décision ne peut être
maintenue. A mon avis, elle ne peut être mainte-
nue en l'espèce pour les motifs que j'exposerai avec
plus de détails ci-dessous.
Toutefois, avant d'aborder cette question, il est
utile, je pense, de citer un extrait des motifs unani-
mes d'un jugement de cette Cour, rédigés par le
juge Stone, dans l'arrêt Willette c. Commissaire
de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1
C.F. 423; (1985), 56 N.R. 161 (CA.), à la page
428 C.F.; à la page 170 N.R., dont voici le libellé:
Le Commissaire n'a pas lui-même présidé l'audition tenue
devant la Commission. Comme ce fut le cas devant la Commis
sion de révision, l'appel dont il a été saisi reposait sur le dossier
produit par la commission de licenciement et de rétrogradation.
Il n'a pas tenu une audition de novo. Il a cependant pu conclure
que [TRADUCTION] «ces procédures ont été conduites de la
manière appropriée tout au long de l'enquête et à tous les
niveaux de l'action administrative interne». Si, par conséquent,
la commission de licenciement et de rétrogradation a commis
une erreur de droit en privant le requérant de l'exercice d'un
droit enchâssé dans la Charte, dans la Déclaration canadienne
des droits ou prévu par la common law en ce qui concerne un
des aspects de l'audition, il est évident que la décision du
Commissaire est entachée par cette erreur et qu'elle est suscep
tible d'examen et d'annulation par cette Cour.
Si l'on adopte ce raisonnement, la décision du
Commissaire en l'espèce ne peut être maintenue,
selon moi, parce qu'elle est entachée d'une erreur
de droit fondamentale commise par la Commission
de licenciement et de rétrogradation comme je le
montrerai dans l'analyse qui suit de la preuve et
des dispositions législatives applicables.
On se souviendra que le paragraphe 21(2) de la
Loi, précité, investit le Commissaire du pouvoir
d'«édicter des règles, appelées «ordres permanents»,
visant . la discipline ... l'administration et le
bon gouvernement de la Gendarmerie.» Dans l'ar-
rêt Re Laroche et Beirsdorfer, précité, le juge Le
Dain, à la page 162 du recueil, s'est dit d'avis que
les dispositions du Bulletin d'administration
AM-53 ne peuvent être considérées comme des
ordres permanents censés être établis conformé-
ment au paragraphe 21(2) de la Loi. Voici ce qu'a
dit le juge à cet égard:
Je ne crois pas nécessaire toutefois d'examiner sur cette base
la nature et les effets des dispositions du Bulletin d'administra-
tion AM-53 parce qu'à mon avis, elles ne peuvent être considé-
rées comme des ordres permanents établis conformément au
paragraphe 21(2) de la Loi. L'expression «ordre permanent»
n'est pas employée à l'égard des dispositions du Bulletin comme
elle l'a été à celui des dispositions d'appel au Commissaire dont
la Cour avait été saisie dans McCleery et Danch. Le Bulletin
n'a pas pour but de prescrire des ordres permanents au sens du
paragraphe 21(2). Au contraire, son but est d'établir des règles
applicables à la recommandation d'un licenciement ou d'une
rétrogradation, qui soient conformes aux modifications propo
sées à la Loi et qui ne sont pas encore adoptées. Le Bulletin dit,
en introduction: «Le présent bulletin explique les procédures sur
le licenciement et la rétrogradation, procédures qui entreront en
vigueur le 15 sept. 1979. Les directives et les modalités données
ci-après suivent celles contenues dans les modifications propo
sées à la Loi sur la G.R.C..» Le Bulletin annule certaines
dispositions du Manuel d'administration en matière de licencie-
ment et de rétrogradation, mais ces dispositions ne constituent
pas des ordres permanents. Ce sont plutôt des directives ou des
explications concernant la procédure et dont l'annulation n'exi-
gerait pas l'exercice du pouvoir conféré par le paragraphe
21(2). N'oublions pas que, selon la décision de la majorité dans
Martineau (N° 1), l'adoption de directives ou de lignes de
conduite administratives du type de celles que l'on trouve dans
le Bulletin d'administration AM-53 n'exige pas l'exercice d'un
pouvoir conféré par la loi. Je conclus donc qu'on ne peut
s'appuyer sur les dispositions du Bulletin pour déterminer si la
décision du Commissaire était une décision légalement soumise
à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale. [C'est moi qui souligne.]
Cette situation, toutefois, semble avoir été corri-
gée par la révision du Bulletin AM-53 faite le 7
juin 1983. Comme on le verra, le paragraphe l.a.
renvoie encore au fait que les «directives et les
modalités données ci-après suivent celles contenues
dans les modifications proposées à la Loi sur la
G.R.C.» Le paragraphe 1.e. dispose que le Bulletin
constitue un ordre permanent et «qu'il [est] rédigé
conformément à l'article 21(2) de la Loi sur la
G.R.C.» Ainsi, ce passage semble combler la
lacune notée par le juge Le Dain. Puisque ni le
paragraphe 21(2) de la Loi, ni le Règlement n'im-
posent au Commissaire de donner une forme parti-
culière aux ordres permanents et puisque le Bulle
tin AM-53 semble se rapporter à la discipline,
l'efficacité ou le bon gouvernement de la Gendar-
merie, il semble procéder d'un exercice valide du
pouvoir accordé au Commissaire par le paragraphe
21(2). Les «NOTA» suivant divers paragraphes du
Bulletin AM-53 peuvent ne pas être empreints de
cette validité, comme j'en parlerai ultérieurement.
Passons tout d'abord au document qui a mis en
marche les procédures de renvoi, c'est-à-dire l'Avis
d'intention de recommander le licenciement qu'a
donné le Commandant divisionnaire du requérant
le 26 avril 1983, et qui a été signifié au requérant
le 27 avril 1983. En raison de son importance, je le
cite au complet.
[TRADUCTION]
GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
AVIS D'INTENTION DE RECOMMANDER LE LICENCIEMENT
Caporal R.J. LUTES, n° matricule 26404, veuillez prendre
note que j'ai l'intention de recommander votre renvoi de la
Gendarmerie royale du Canada conformément à l'article 74 du
Règlement de la G.R.C. pour le motif d'incompétence suivant,
savoir:
Vous avez été impliqué dans la perpétration d'une infraction
à une loi du Parlement du Canada, infraction dont la gravité
et les circonstances affecteraient considérablement la bonne
exécution de vos fonctions en vertu de la Loi sur la G.R.C. et,
par conséquent, vous êtes devenu inhabile à continuer d'être
membre de la Gendarmerie.
Les détails à l'appui de ce motif d'incompétence sont les
suivants:
Le 5 MARS 1983, vers 14 heures, M. Eugene Ernest
BLAIS, inspecteur pour la Invicta Security, a pu observer
vos actes au moment où vous vous trouviez au magasin à
rayons Woolco, Centre St-Albert, à St-Albert (Alberta). À
ce moment, il a remarqué que vous poussiez un chariot
contenant un sac fourre-tout. Il vous a vu prendre des
accessoires électriques dans une rangée, aller dans d'autres
rangées plus loin et alors mettre la marchandise dans votre
sac. Il vous a vu agir de la sorte à quatre reprises puis quitter
le magasin à rayons Woolco sans payer les appareils contenus
dans votre sac. Vos actes à cette occasion constituent un vol
au sens donné à ce mot dans le Code criminel.
Vous trouverez ci-joint une copie du rapport d'enquête interne
à ce sujet, ainsi qu'une copie des déclarations et de tout autre
document pertinent, servant à appuyer ce motif d'incompé-
tence.
VEUILLEZ PRENDRE NOTE que, dans les quatorze jours qui
suivent la signification de cet avis, vous pouvez demander par
écrit auprès du Commandant divisionnaire la révision de votre
cas par une Commission de licenciement et de rétrogradation
dans la langue officielle de votre choix.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que vous et/ou votre représen-
tant pouvez assister à l'audition de la Commission de licencie-
ment et de rétrogradation et y faire des présentations orales ou
écrites.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que vous, ou votre représen-
tant avec votre consentement écrit, pouvez, dans le délai de
quatorze jours qui suit la signification de cet avis, consulter les
renseignements contenus dans vos dossiers du personnel aux-
quels vous avez droit d'accès, et que vous, ou votre représen-
tant, pouvez demander le dépôt auprès de la Commission de
tout autre renseignement auquel vous avez droit d'accès. Des
copies des renseignements demandés vous seront transmises à
vous et à la Commission.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que si vous avez l'intention de
présenter des témoins, vous devrez fournir la liste de ces
témoins et un résumé du témoignage qu'ils se proposent de
rendre. Nous demanderons aux témoins membres de la G.R.C.
de se présenter; cependant, il vous appartiendra de convoquer
les témoins civils. (Les témoins civils ont droit aux indemnités
et aux dépenses prévues par le règlement n° 35).
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que si vous ne demandez pas
la révision de votre cas dans les quatorze jours qui suivent, la
recommandation sera transmise au Commissaire pour qu'une
décision soit rendue.
VEUILLEZ AUSSI PRENDRE NOTE que si vous ne voulez pas
d'audition et que vous ne voulez pas être licencié pour incompé-
tence, vous pouvez donner votre démission; cependant cette
décision est entièrement vôtre et vous n'êtes pas et vous ne serez
d'aucune façon obligé de la remettre. Si vous en faites la
demande, on vous avisera de vos avantages en vertu de la Loi
sur la pension de retraite de la G.R.C.
DATÉ À EDMONTON CE 26` JOUR D'AVRIL 1983.
«D. A. WHYTE»
D. A. WHYTE, Com. adj.
Commandant de la Division «K»
Dans sa forme, le document semble respecter le
Règlement et le Bulletin AM-53. Le motif d'inap-
titude suit exactement le libellé du motif n° 2 du
paragraphe 3.a.2., précité. Pour les fins de l'espèce,
les mots les plus importants sont «impliqué dans la
perpétration d'une infraction à une loi du Parle-
ment du Canada ...» En l'espèce, l'infraction dont
le requérant a été accusé, selon une copie de la
dénonciation qui apparaît au dossier, est le vol de
[TRADUCTION] «marchandises appartenant à F.W.
Woolworth Ltd., dont la valeur ne dépasse pas
deux cents dollars, en violation des dispositions du
Code criminel.» L'article du Code [Code criminel,
S.R.C. 1970, chap. C-34] en vertu duquel a été
portée une accusation, selon le télex adressé par le
S/E.M. M. Coulombe au Commandant de la Divi
sion «K» en date du 17 mars 1983, est le paragra-
phe 294b) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93,
art. 25]. L'inculpé a plaidé non coupable à cette
infraction et après avoir été jugé, comme nous
l'avons mentionné précédemment, il a été acquitté
par le juge McLean de la Cour provinciale de
l'Alberta le 15 juin 1983. Le requérant, par consé-
quent, a été déclaré ne pas avoir été «impliqué dans
la perpétration d'une infraction» à la loi applicable
du Parlement du Canada, c'est-à-dire le Code
criminel. Et c'est-là le seul motif sur lequel l'«Avis
d'intention de recommander le licenciement» se
fonde. Si l'on en doute, il n'y a qu'à lire la dernière
phrase de la partie de l'Avis qui expose les détails
à l'appui du motif d'inaptitude invoqué et qui se lit
ainsi:
Vos actes à cette occasion constituent un vol au sens donné à ce
mot dans le Code criminel. [C'est moi qui souligne.]
Il a été décidé par la seule cour compétente pour
tirer une telle conclusion, en l'absence d'un appel
couronné de succès de la décision de cette Cour,
que l'infraction décrite n'a pas été commise. Rien
dans le dossier ne montre qu'il y a eu un appel qui
ait été accueilli ou non. Le verdict d'acquittement,
par conséquent, est final. Le fondement sur lequel
reposait la recommandation de licenciement s'est
écroulé. À cet égard, les faits de l'espèce diffèrent
de ceux qui étaient en cause dans l'affaire Laro-
che, où un membre de la Gendarmerie a admis
avoir été impliqué dans la perpétration de l'infrac-
tion consistant à consommer de la marijuana con-
trairement aux dispositions de la Loi sur les stupé-
fiants [S.R.C. 1970, chap. N-1], bien qu'il n'ait
jamais été accusé ni reconnu coupable de cette
infraction. Cela étant, et comme le Commissaire
est autorisé à renvoyer pour motif d'incompétence,
ce dernier avait le droit d'examiner si la conduite
du membre était suffisamment répréhensible pour
nuire au bon accomplissement de ses devoirs. En
l'espèce, comme le membre a été déclaré non
coupable par le seul tribunal compétent pour le
faire, l'incompétence alléguée était sans fondement
et le Commissaire n'était plus habilité à renvoyer
le requérant pour ce motif. Il aurait dû, par consé-
quent, ordonner le maintien en place du requérant.
Rien dans la preuve admise ne le justifiait d'ordon-
ner la constitution d'une nouvelle Commission de
licenciement et de rétrogradation.
Je me rends compte que cette conclusion soulève
deux difficultés.
Premièrement, dans l'affaire Laroche, le juge Le
Dain a ajouté ceci à la page 168 du recueil,
précité:
En deuxième lieu, le requérant soutient que seul un juge est
constitutionnellement habilité à décider si une infraction crimi-
nelle a été commise. À mon avis, cet argument, appliqué à la
nature du litige dont l'intimé a été saisi, est dénué de fonde-
ment. Le Commissaire est habilité à licencier quelqu'un pour
incompétence. Pour prendre cette décision, il a le droit d'exami-
ner si la conduite qui fait l'objet de la plainte est suffisamment
grave pour constituer une infraction criminelle. Il ne décide pas
de la responsabilité pénale et n'applique pas de sanction pénale.
Il examine la conduite et en établit la gravité relative du point
de vue de l'incompétence. Ce pouvoir découle nécessairement
de celui de renvoyer quelqu'un pour incompétence.
En établissant une distinction entre l'espèce et la
situation existant lorsque le juge Le Dain s'est
prononcé, il faut examiner le texte du paragraphe
3.a.2. tel qu'il était rédigé à l'époque de l'arrêt
Laroche et celui qui était en vigueur lorsque le
Commissaire a tranché la présente affaire: (pré-
cité, page 347)
Le membre est manifestement impliqué dans la perpétration
d'une infraction criminelle dont la gravité et les circonstances
affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions
du membre en vertu de la loi.
NOTA: On peut recommander le licenciement ou la rétrograda-
tion d'un membre qu'il ait été accusé ou non du délit criminel
constituant le motif de son inaptitude ou qu'il ait été jugé,
acquitté ou condamné par le tribunal à l'égard de ce délit.
Remarquons que l'adverbe «manifestement» qui
précédait l'adjectif «impliqué» dans la version de
1979 a disparu. Ce qui est encore plus important, à
la suite du mot «infraction» qui figure dans cette
version, la révision de 1983 a ajouté les mots «à
une loi édictée par le Parlement du Canada ou
l'Assemblée législative d'une province». Ces deux
modifications montrent nettement, à mon avis,
qu'il ne ressortit pas au Commissaire de détermi-
ner si une infraction a été commise ou non. Il est
habilité à l'heure actuelle non pas à «examiner si la
conduite qui fait l'objet de la plainte est suffisam-
ment grave pour constituer une infraction crimi-
nelle», mais à examiner si une infraction dont un
membre a été déclaré coupable est une infraction
dont la gravité et les circonstances affecteraient
considérablement la bonne exécution des fonctions
du membre. Il ne peut être dit qu'une infraction
prévue par une loi fédérale, comme le Code crimi-
nel, a été commise que lorsque la Cour compétente
conclut qu'elle l'a été. Sans les mots «loi édictée
par le Parlement du Canada ...» il semble clair,
comme le juge Le Dain l'a décidé, qu'il apparte-
nait au Commissaire de décider si les actes incri-
minés étaient suffisamment graves pour constituer
une infraction criminelle. L'adjonction de ces mots
me montre clairement que l'infraction alléguée
doit être prouvée comme l'exige la loi pertinente.
Si la preuve ne convainc pas le tribunal compétent,
il y a acquittement de l'accusé, ce qui signifie qu'il
n'y a pas «[d']infraction à une loi édictée par le
Parlement du Canada». Le fondement même du
renvoi pour incompétence s'écroule donc.
La deuxième difficulté rencontrée qui fait obsta
cle à la conclusion que j'ai mentionnée précédem-
ment, vient du «NOTA» ajouté au paragraphe 3.a.2.
du Bulletin AM-53, précité. Pour plus de clarté je
le répète:
NOTA: On peut recommander le licenciement ou la rétrograda-
tion d'un membre qu'il ait été accusé ou non du délit criminel
constituant le motif de son inaptitude ou qu'il ait été jugé,
acquitté ou condamné par le tribunal à l'égard de ce délit.
Comme on peut le voir, il ressort de la note qu'il
est possible de recommander le licenciement d'un
membre même s'il a été, entre autres, acquitté de
l'infraction à la source de la procédure visant son
renvoi. La première question qui se pose est donc
de déterminer si le «NOTA» fait partie de l'ordre
permanent auquel il fait suite? Je crois qu'il est
juste de dire qu'habituellement lorsqu'une note de
cette nature se trouve dans un document, le lecteur
la considère comme lui expliquant ou l'aidant à
interpréter le texte qui la précède. Comme je l'ai
souligné précédemment, toutefois, le paragraphe
1.e. ne limite pas la portée du Bulletin en qualité
d'ordre permanent à la seule partie de celui-ci dont
la nature se rapporte au fond par opposition à la
partie qui semble être explicative, interprétative ou
indicative. Ce paragraphe dit: «Le présent bulletin
constitue un ordre permanent du Commissaire ...»
Cependant, le paragraphe l.a. mentionne les
«directives et les modalités» données dans le Bulle
tin. Bien que l'on puisse soutenir que le NOTA qui
suit le paragraphe 3.a.2. fait partie de la directive,
il est plus logique à mon avis de l'interpréter
comme étant une explication, une interprétation ou
une indication en ce qui concerne la portée de la
directive. Selon moi, cette note ne devrait donc pas
être interprétée comme faisant partie de la direc
tive. Si elle devait en être une partie, le Commis-
saire pourrait très facilement l'avoir fait telle.
Qu'il ne l'ait pas fait indique qu'il n'avait pas
l'intention que la note fasse partie du paragraphe
3.a.2. En outre, je puis difficilement admettre que
les conséquences découlant d'une conclusion de
droit (c'est-à-dire qu'un prévenu n'est pas coupa-
ble d'une infraction dont il était accusé) puissent
être changées par décret du Commissaire sous
forme d'une note à un ordre permanent, si l'on
garde à l'esprit que, en l'espèce, le seul motif
énoncé pour recommander le licenciement était
l'incompétence alléguée de la personne concernée
parce qu'elle avait été impliquée dans la perpétra-
tion d'une infraction au Code criminel—infraction
dont elle a été déclarée non coupable.
Bref, pour tous les motifs énoncés ci-dessus, je
suis d'avis que la note ne fait pas partie du para-
graphe 3.a.2. et, par conséquent, qu'elle n'a aucune
valeur juridique. La directive qu'elle contient selon
laquelle on peut recommander le licenciement d'un
membre bien qu'il ait été acquitté d'une infraction
dont il était accusé, ne peut ainsi avoir d'effet sur
l'interprétation du paragraphe 3.a.2. auquel elle
est annexée.
Si je fais erreur sur ce point, alors une situation
anormale résulte des paragraphes 29(2), 30 et 31
du Règlement de la GRC que j'ai cités au long à la
page 346 du présent jugement. Ces articles se
rapportent à la suspension d'un membre lorsqu'il
est accusé d'avoir contrevenu à une loi du Parle-
ment du Canada.
En l'espèce, en raison de l'accusation criminelle
dont fait état l'avis de suspension en date du 8
mars 1983, le caporal Lutes a été suspendu de la
Gendarmerie. Dans la mesure où le dossier m'a
permis de le vérifier, il n'a pas été réintégré après
son acquittement comme l'exige l'article 31 du
Règlement. Qu'il l'ait été ou non, le Règlement
semble reconnaître qu'un acquittement d'une accu
sation criminelle disculpe l'accusé et, comme il se
doit, réintègre le membre au rang qu'il occupait
avant que l'accusation ne soit portée, présumément
sous réserve de toute autre mesure disciplinaire
interne par la Gendarmerie, le cas échéant, qui
peut être appropriée dans les circonstances. Toute-
fois, lorsque des procédures beaucoup plus graves
qui entraînent le licenciement ont été commencées
sur le fondement d'une accusation avant l'instruc-
tion de cette accusation, comme en l'espèce, les
procédures de licenciement non seulement se pour-
suivent après l'acquittement, mais il ne doit pas
être tenu compte de cet acquittement, si le NOTA
s'applique, pour les fins de déterminer si la recom-
mandation de licenciement doit être acceptée.
C'est ce qui résulterait du NOTA suivant le para-
graphe 3.a.2. si l'on estimait qu'il fait partie de ce
paragraphe. À mon avis, cette conséquence est non
seulement anormale mais injuste parce que la car-
rière du membre en cause, son gagne-pain et sa
réputation sont en jeu. Pour cette seule raison, je
m'opposerais à l'interprétation selon laquelle la
note ferait partie du paragraphe qui la précède, à
moins qu'aucune autre interprétation ne soit possi
ble. Pour les motifs que j'ai donnés, je pense
qu'elle n'a pas à être interprétée de cette façon.
Par conséquent il faut, selon moi, répondre en
l'espèce par la négative à la question préliminaire
de déterminer si le Commissaire doit ou non
accepter la recommandation de licenciement pour
le motif exposé dans l'Avis d'intention, c'est-à-dire,
la question de savoir si le membre «est impliqué
dans la perpétration d'une infraction édictée par le
Parlement du Canada». Cela étant, plutôt que de
rendre l'ordonnance contestée, le Commissaire
aurait dû conclure que le motif d'inaptitude allé-
gué dans l'Avis d'intention n'avait pas été prouvé
et trancher la question en conséquence.
Par conséquent, il est inutile d'examiner les
autres questions soulevées dans la requête. J'ac-
cueillerais la demande, j'annulerais la décision du
Commissaire en date du 25 juin 1984 et je lui
renverrais la question pour qu'il la tranche en
tenant compte du fait que le motif d'incompétence
sur lequel l'Avis d'intention de recommander le
licenciement se fonde n'a pas été établi.
Depuis la rédaction de mes motifs de jugement,
j'ai eu l'occasion de lire les motifs de jugement de
mon collègue le juge Heald, et comme je considère
qu'ils complètent et développent les miens, j'y
souscris entièrement.
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