85-A-314
Commission d'énergie électrique du Nouveau-
Brunswick (requérante)
C.
Maritime Electric Company Limited et Office
national de l'énergie (intimés)
Cour d'appel, juges Mahoney, Ryan et Stone—
Ottawa, 17, 18 avril et 7 juin 1985.
Compétence — Cour fédérale — Division d'appel —
Requête tendant au sursis de l'exécution d'une ordonnance de
l'Office en attendant l'issue de l'appel — Pouvoir exprès,
inhérent ou implicite — L'art. 50(1)b) de la Loi sur la Cour
fédérale confère à la Cour le pouvoir de suspendre des procé-
dures — Celles-ci ne se limitent pas aux procédures dont la
Cour d'appel est saisie — Comme l'ordonnance est définitive
et péremptoire, elle ne constitue pas des »procédures» au sens
de l'art. 50(1)6)— Rejet de la thèse du pouvoir inhérent — La
compétence d'une cour créée par la loi, telle la Cour fédérale,
se fonde sur les termes que le Parlement a utilisés pour lui
conférer ce pouvoir — La Cour possède le pouvoir implicite
d'accorder un sursis lorsque l'exécution de l'ordonnance pen
dant l'appel rendrait cet appel inopérant — L'exécution de
l'ordonnance, bien qu'elle infligerait à la requérante une perte
de revenus, ne rendrait pas l'appel inopérant — Demande
rejetée — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 18, 28, 29, 30(1), 38(1), 49, 50(1), 54(2), 57 —
Loi sur l'Office national de l'énergie, S.R.C. 1970, chap. N-6,
art. 15 (mod. par S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10, art. 64),
18(1) (mod., idem, art. 65), 19(1) — Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1909 — Règles de la Cour
suprême du Canada, C.R.C., chap. 1512, Règle 126.
La requérante, la Commission d'énergie électrique du Nou-
veau-Brunswick, a obtenu l'autorisation d'en appeler de la
décision de l'Office national de l'énergie selon laquelle l'offre
faite par la Commission à Maritime Electric Company Limi
ted, relativement à la vente d'énergie interruptible, ne respec-
tait pas les modalités des licenses d'exportation détenues par la
Commission. La requérante demande à la Cour de surseoir à
l'exécution de l'ordonnance de l'Office en attendant l'issue de
l'appel. Il s'agit de déterminer si la Cour a le pouvoir d'accor-
der le sursis et, dans l'affirmative, s'il y a lieu de l'accorder. La
requérante invoque trois motifs différents à l'appui de sa thèse
selon laquelle la Cour a compétence: que la Cour a un pouvoir
exprès, que ce pouvoir est inhérent ou qu'il peut être implicite.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Pouvoir exprès
La thèse de la requérante se fonde sur l'alinéa 50(1)b) de la
Loi sur la Cour fédérale (la «Loi») qui prescrit de «suspendre
les procédures» dans l'intérêt de la justice. Elle se fonde égale-
ment sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Brasseries
Labatt du Canada Liée c. Procureur général du Canada,
[1980] 1 R.C.S. 594, où la Cour a rejeté la prétention selon
laquelle son ancienne Règle 126 permettant de surseoir aux
procédures, ne s'appliquait qu'à ses propres jugements ou
ordonnances et non à ceux d'une autre cour.
L'attitude générale de cette Cour relativement à la question a
été de considérer que le sursis des procédures d'un tribunal
autre que la Cour elle-même excède les pouvoirs que lui
reconnaît le paragraphe 50(1) de la Loi.
L'alinéa 50(1)b) de la Loi, contrairement à la Règle 126, ne
parle pas de sursis d'«exécution» du «jugement ou [de l']ordon-
nance». Il permet à la Cour de «suspendre les procédures». Ces
procédures ne sont pas limitées à celles «dont la Cour est saisie».
L'absence de ces mots à l'article 50 appuie dans une certaine
mesure l'argument selon lequel le Parlement entendait, en
utilisant le mot «procédures», accorder le pouvoir, dans les
circonstances appropriées, de surseoir également à des procédu-
res autres que celles dont la Cour était elle-même saisie.
Il reste à savoir si l'on peut correctement qualifier de «procé-
dures» ce qui fait l'objet du sursis demandé. L'Office a tranché
la question de sorte qu'il ne lui reste plus rien à faire. Aucune
autre procédure n'est prévue pour faire appliquer l'ordonnance.
Il reste tout simplement à se conformer aux formalités de
l'article 15 de la Loi sur l'Office national de l'énergie. En
outre, le Parlement a clairement indiqué au paragraphe 19(1)
de cette Loi que, sous réserve des autres dispositions, l'ordon-
nance est «définitive et péremptoire». Comme l'ordonnance en
appel ne constitue pas des «procédures» en cours devant l'Of-
fice, l'alinéa 50(1)b) de la Loi ne permet pas à la Cour de
surseoir à son exécution.
Pouvoir inhérent
La thèse de la requérante selon laquelle l'arrêt de la Cour
suprême du Canada dans Procureur général du Canada et
autres c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2
R.C.S. 307, emporte que la présente Cour a le pouvoir inhérent
d'accorder le redressement demandé, ne pouvait être acceptée.
La lecture de tout le jugement de la Cour suprême n'appuie pas
une telle thèse. Comme l'a clairement dit le juge Estey, le litige
ne portait dans l'espèce que sur la compétence d'une cour
supérieure d'une province. La Cour fédérale est une cour créée
par la loi, dont le pouvoir de trancher des litiges doit se fonder
sur les termes utilisés par le Parlement pour lui conférer ce
pouvoir.
Pouvoir implicite
Le paragraphe 18(1) de la Loi sur l'Office national de
l'énergie donne à la requérante le droit d'interjeter appel de la
décision de l'Office. Le paragraphe 30(1) de la Loi permet à
cette Cour de juger l'appel. La prétention de la requérante
selon laquelle le Parlement, en raison de ces dispositions, doit
avoir eu l'intention que cette Cour soit habilitée à surseoir à
l'exécution d'une ordonnance en appel afin qu'elle puisse effec-
tivement exercer sa compétence d'appel, n'est pas sans fonde-
ment. Les propos tenus par le juge en chef Laskin dans l'arrêt
Brasseries Labatt selon lesquels, nonobstant la Règle 126, la
Cour n'est pas incapable d'éviter que des procédures en ins
tance devant elle avortent, s'appliquent également en l'espèce.
Cette Cour possède le pouvoir implicite d'accorder un sursis
lorsque, en attendant l'issue d'un appel, l'exécution de l'ordon-
nance contestée rendrait ce dernier inopérant.
Aux termes de l'article 29 de la Loi, lorsqu'une loi prévoit
expressément qu'il peut être interjeté appel (comme c'est le cas
de l'article 18 de la Loi sur l'Office national de l'énergie),
l'ordonnance contestée ne doit faire l'objet «d'aucune autre
intervention, sauf dans la mesure et dans la manière prévues
dans cette loi». Il est prétendu que ces mots interdisent à la
Cour d'accueillir la demande. Cette prétention ne tient pas
compte d'une partie essentielle de l'article 29. Il faut tenir
compte de tout le contexte de l'article pour interpréter ces mots,
et l'article dans son ensemble doit être interprété à la lumière
de la loi prise dans son ensemble. Le pouvoir accordé à la
Division de première instance en vertu de l'article 18 et à cette
Cour en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi ne doit pas être
invoqué lorsqu'un appel d'une ordonnance est interjeté confor-
mément à une loi fédérale qui le prévoit. La Cour est d'avis que
l'article 29 ne lui interdit pas de surseoir à l'exécution d'une
ordonnance en appel dans des circonstances appropriées.
Exercice du pouvoir
La Cour n'est pas convaincue que, en l'espèce, les circons-
tances en cause favorisent le sursis. Bien que l'exécution de
l'ordonnance en attendant l'issue de l'appel infligerait pour le
moins à la requérante une perte temporaire de revenus, cette
situation ne rendrait pas l'appel inopérant. La Cour peut
effectivement résoudre cette question, soit en reconnaissant le
droit de la requérante de vendre de l'énergie d'économie à un
prix dépassant celui que prévoit l'ordonnance de l'Office, soit
en ne le reconnaissant pas, de sorte que la requérante devra
continuer à vendre l'énergie au prix indiqué dans cette
ordonnance.
Par ailleurs, la Cour refuse d'accueillir la demande en se
fondant sur le critère de l'équilibre entre les avantages et les
inconvénients. Il est évident que la requérante et MECL seront
également gênées par un sursis de l'exécution de l'ordonnance
ou par le maintien de son exécution. La Cour conclut qu'il ne
s'agit pas d'une affaire où l'équilibre entre les avantages et les
inconvénients favorise le maintien du statu quo.
JURISPRUDENCE
DÉCISION ÉCARTÉE:
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada
c. Rodrigues, [1979] 2 C.F. 197 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lariveau c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Im-
migration, [1971] C.F. 390 (C.A.); Procureur général du
Canada et autres c. Law Society of British Columbia et
autre, [1982] 2 R.C.S. 307.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général
du Canada, [1980] 1 R.C.S. 594; Banque Nationale du
Canada c. Granda (1985), 60 N.R. 201 (C.F. Appel).
DÉCISIONS CITÉES:
Nauss c. l'Association internationale des débardeurs, la
Section 269, [1982] 1 C.F. 114 (C.A.); Union des
employés de commerce, local 503 c. Purolator Courrier
Ltée, [1983] 2 C.F. 344; 53 N.R. 330 (C.A.); General
Aviation Services Ltd. c. Conseil canadien des relations
du travail, ordonnance en date du 9 août 1982, Cour
d'appel fédérale, A-762-82, non publiée; Re Dylex Ltd.
and Amalgamated Clothing & Textile Workers Union
Toronto Joint Board et al. (1977), 17 O.R. (2d) 448
(H.C.); Wells Fargo Armcar, Inc. v. Ontario Labour
Relations Board et al. (1981), 34 O.R. (2d) 99 (H.C.).
AVOCATS:
Ian Blue, c.r. et Paul Creghan, c.r. pour la
requérante.
William G. Lea pour l'intimée Maritime Elec
tric Company Limited.
Fred H. Lamar, c.r. et Alan Macdonald pour
l'intimé l'Office national de l'énergie.
John F. Funnel!, c.r. pour Manitoba Hydro.
Judith M. Haldemann pour le ministre de
l'Énergie et de la Foresterie du gouvernement
de l'Île-du-Prince-Édouard.
Richard Burns pour le procureur général de
la province du Nouveau-Brunswick.
PROCUREURS:
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour la
requérante.
Campbell, Lea, Cheverie & Michael, Charlot-
tetown, pour l'intimée Maritime Electric
Company Limited.
Office national de l'énergie, Ottawa, compa-
raissant pour son propre compte.
Manitoba Hydro, Winnipeg, comparaissant
pour son propre compte.
Procureur général de la province de l'Île-du-
Prince-Édouard, Charlottetown, pour le
ministre de l'Énergie et de la Foresterie du
gouvernement de l'Ile-du-Prince-Édouard.
Procureur général de la province du Nou-
veau-Brunswick, Fredericton, comparaissant
pour le compte de la province du Nouveau-
Brunswick.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: La requérante demande à la
Cour d'ordonner de surseoir à l'exécution d'une
ordonnance de l'Office intimé.
La requérante produit de l'énergie électrique
selon divers modes de production dans ses installa
tions de la province du Nouveau-Brunswick. Une
partie de cette énergie est vendue à des services
publics des provinces voisines et de l'État du
Maine grâce à des ententes d'interconnexion. À
cette fin, elle est titulaire de licences octroyées par
l'Office. On appelle «énergie d'économie» l'énergie
vendue à une autre installation dans le but de
réduire les coûts de production. Et on parle
d'«énergie interruptible» lorsque l'énergie est
vendue aux termes d'un contrat d'approvisionne-
ment qui permet au fournisseur de réduire ou
d'interrompre la livraison dans certaines circons-
tances. L'intimée Maritime Electric Company
Limited («MECL») fournit de l'énergie à ses
clients dans la province de l'Île-du-Prince-
Édouard. Elle est partie à une entente d'intercon-
nexion conclue avec la requérante et par laquelle,
entre autres, il est fourni de l'énergie d'économie
selon une formule d'établissement du prix prévue
dans l'entente.
En mars 1982, la requérante a réussi à faire
modifier par l'Office les modalités de ses licences
d'exportation d'énergie interruptible. Les nouvelles
modalités sont énoncées dans les licences EL-140,
EL-143 et EL-145. Chaque licence contient une
nouvelle disposition relative au prix à l'alinéa 6b):
[TRADUCTION] 6. La détentrice de la licence, en vertu de la
présente, n'exportera pas de l'énergie
b) sans d'abord offrir cette énergie, y compris toute partie de
celle-ci, aux marchés canadiens économiquement accessibles, à
des modalités qui ne seront pas moins favorables à un acheteur
canadien, après avoir effectué tout ajustement approprié pour
les différences dans le coût de livraison par rapport aux modali-
tés selon lesquelles l'exportation serait faite.
Par la suite, le 21 janvier 1983, la requérante a
conclu un contrat avec la Central Maine Power
Company pour la vente d'énergie interruptible à
un prix mensuel devant être négocié. Une fois le
prix convenu, la requérante s'engage à fournir
l'énergie après avoir satisfait à ses propres charges
garanties, mais avant d'avoir fourni de l'énergie
d'économie aux installations adjacentes. L'Office a
approuvé cette entente le 4 août 1983 comme
visant de l'énergie interruptible et les modalités de
la licence ont été modifiées de façon à l'incorporer.
La requérante a conclu une entente analogue avec
la Bangor Hydro-Electric Company en avril 1984.
En novembre 1983, la requérante a fait des
offres alternatives de vente d'énergie interruptible
à MECL. Comme MECL estimait que ces offres
ne respectaient pas les exigences de la modalité
6b), elle a demandé à l'Office d'ordonner à la
requérante de se conformer à cette modalité selon
l'interprétation qu'elle lui donnait et, subsidiaire-
ment, de modifier les licences pour que celles-ci se
conforment à cette interprétation. MECL préten-
dait que la modalité 6b) lui permettait de se faire
offrir le prix résultant de l'application de la for-
mule d'établissement du prix prévue dans l'entente
d'interconnexion conclue entre la requérante et la
Central Maine Power Company. Pour sa part, la
requérante a prétendu qu'elle avait respecté les
exigences de la modalité en offrant le bénéfice de
cette formule d'établissement du prix à MECL
bien que cette dernière aurait à payer un prix plus
élevé que celui que paie la Central Maine Power
Company. Par voie de contre-requête, la requé-
rante a demandé la modification de ses licences
conformément à sa propre interprétation de la
modalité 6b).
Une audience publique a été tenue sur ces
requêtes en 1984. Le 23 janvier 1985, l'Office a
ordonné (en partie) que:
[TRADUCTION] 1. La CEENB, dans les quinze jours de récep-
tion de la présente ordonnance et des motifs de décision datés
de janvier 1985, offre à la Maritime Electric et à tout autre
service public canadien économiquement accessible, l'énergie
exportée à la Central Maine Power Company aux termes de
l'entente d'achat de puissance datée du 21 janvier 1983 et à la
Bangor Hydro-Electric Company aux termes de l'entente datée
du 27 avril 1984, et aux termes de toute autre entente détermi-
née pour l'exportation d'énergie interruptible en vertu des
licences n°' EL-140, EL-143 et EL-145, selon les modalités
conformes aux exigences décrites dans la section 4.2.4 des
motifs de décision datés de janvier 1985.
En réalité, les motifs sont datés du 20 février 1985.
Par suite de cette ordonnance, la Cour a été
saisie de deux demandes. Dans la première, la
requérante demande à la Cour la permission d'in-
terjeter appel de l'ordonnance en question confor-
mément au paragraphe 18(1) de la Loi sur l'Office
national de l'énergie, S.R.C. 1970, chap. N-6
[mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
65]. Après avoir entendu les avocats des deux
parties, de même que ceux des intervenants, la
Cour a accordé, le 18 avril 1985, l'autorisation
d'en appeler, et ce, dans les termes suivants:
Conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur l'Office
national de l'énergie, autorisation est accordée à la Commission
d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick d'interjeter appel à
cette Cour de l'ordonnance n° MO-9-85 de l'Office national de
l'énergie et de la décision du 20 février 1985 qui s'y rapporte, et
ce, pour les motifs suivants:
1. L'Office national de l'énergie a commis une erreur de droit
en interprétant comme elle l'a fait la modalité 6b) des licences
EL-140, EL-143 et EL-145.
2. L'Office national de l'énergie a commis une erreur de droit
en statuant que l'offre de la Commission d'énergie électrique du
Nouveau-Brunswick à la Maritime Electric Company Limited
en date du 7 novembre 1983 ne respectait pas la modalité 6b)
en question.
3. L'Office national de l'énergie a outrepassé ses pouvoirs en
précisant les conditions contractuelles auxquelles la Commis
sion d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick est tenue d'of-
frir de l'électricité à la Maritime Electric Company Limited
dans le cadre d'un échange interprovincial d'électricité et,
subsidiairement, en dérogeant ainsi au contrat qui lie encore
lesdites parties.
4. L'Office national de l'énergie a outrepassé ses pouvoirs en
interprétant la modalité 6b) des licences de la Commission
d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick d'une manière qui
diffère de son interprétation antérieure et de son interprétation
actuelle de la même modalité contenue dans des licences d'au-
tres titulaires.
La deuxième demande vise un sursis de l'exécution
de l'ordonnance en attendant l'issue de l'appel.
Cette demande soulève deux questions distinctes.
Premièrement, la Cour a-t-elle le pouvoir d'accor-
der ce sursis? Deuxièmement, si elle en a le pou-
voir, y a-t-il lieu pour elle d'accorder ce sursis?
COMPÉTENCE
La requérante invoque trois motifs différents à
l'appui de la compétence de la Cour. Elle prétend
que le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] (la
«Loi») confère expressément ce pouvoir à la Cour,
ou que ce pouvoir est inhérent à la Cour, ou,
finalement, que ce pouvoir peut être implicite.
Chaque hypothèse a été analysée en profondeur à
la lumière des précédents et demande un examen
distinct.
Pouvoir exprès
L'hypothèse de l'existence d'un pouvoir exprès
de la Cour se fonde sur le libellé de l'alinéa
50(1)b) de la Loi et sur la décision de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Brasseries
Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du
Canada, [1980] 1 R.C.S. 594. Le paragraphe
50(1) est ainsi rédigé:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procédu-
res dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de
la justice de suspendre les procédures.
La requérante fait valoir que nous devrions revoir
nos décisions antérieures à la lumière de l'arrêt
Brasseries Labatt. Je commencerai par examiner
ces décisions avant d'aborder l'arrêt susmentionné.
La plus ancienne de ces décisions est l'arrêt
Lariveau c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration, [1971] C.F. 390 (C.A.). Dans cette
affaire, le requérant faisait l'objet d'une ordon-
nance d'expulsion rendue et confirmée conformé-
ment à la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-3 et ses modi
fications [maintenant abrogée S.C. 1976-77, chap.
52, art. 128]. Il cherchait à obtenir une proroga-
tion du délai prévu pour la présentation de la
demande d'autorisation d'appel de cette ordon-
nance, ainsi qu'un sursis d'exécution. Il prétendait
que la Cour avait compétence en vertu de la Règle
5 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap.
663], la soi-disant règle de la lacune. Selon lui,
cette Règle permettait à la Cour d'exercer les
pouvoirs que le Code civil de la province de
Québec reconnaissait à la Cour d'appel de cette
province, et partant lui permettait de surseoir à
l'exécution de l'ordonnance en appel. La Cour a
estimé que ces dispositions ne s'appliquaient pas.
Dans son jugement, le juge Pratte a déclaré au
nom de la majorité (à la page 394):
Si la requête qui nous est soumise doit être rejetée, c'est
cependant pour un motif plus fondamental encore. En réalité,
ce que le requérant demande à la Cour c'est de modifier l'effet
d'une décision régulièrement prononcée par la Commission
d'appel de l'immigration et, cela, avant même, non seulement
qu'il soit interjeté appel de cette décision, mais que l'autorisa-
tion d'en appeler n'ait été demandée. Or, il me semble clair que
la Cour ne possède pas le pouvoir que le requérant lui demande
d'exercer.
Dans l'arrêt Le ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration du Canada c. Rodrigues, [1979] 2 C.F.
197 (C.A.), la Cour a infirmé une décision de la
Division de première instance qui avait sursis à
toutes les procédures relatives à une enquête
menée en vertu de la Loi sur l'immigration,
S.R.C. 1970, chap. I-2, en prétendant que l'alinéa
50(1)b) lui accordait le pouvoir discrétionnaire
d'ordonner ce sursis. En statuant que la Cour
n'avait pas la compétence de surseoir aux procédu-
res, la Cour d'appel s'est dit d'avis (page 199) que
l'article 50 «permet à la Cour de suspendre des
procédures qui sont engagées devant la Cour elle-
même; elle ne lui permet pas de suspendre des
procédures engagées devant un autre tribunal.»
Cette Cour a également statué que la Division
de première instance n'avait pas compétence pour
surseoir à l'exécution d'une ordonnance du Conseil
canadien des relations du travail en attendant la
décision de cette Cour sur une demande d'examen
de l'ordonnance présentée conformément à l'article
28 de la Loi (Nauss c. l'Association internationale
des débardeurs, la Section 269, [1982] 1 C.F. 114
(C.A.), Union des employés de commerce, local
503 c. Purolator Courrier Liée, [1983] 2 C.F. 344;
53 N.R. 330 (C.A.)). En outre, dans l'arrêt Gene
ral Aviation Services Ltd. c. Conseil canadien des
relations du travail (no du greffe A-762-82, en
date du 9 août 1982), la Cour a statué qu'elle
n'avait pas le pouvoir de surseoir à l'exécution
d'une ordonnance rendue par ce Conseil en atten
dant sa décision relative à l'examen de cette ordon-
nance demandé conformément à l'article 28 de la
Loi. Le dossier de la Cour indique que la demande
a été rejetée sans que des motifs détaillés ne soient
donnés.
Je conviens que l'on peut faire des distinctions
entre la présente espèce et chacun de ces arrêts.
Par ailleurs, il me semble que l'attitude générale a
été de considérer que le sursis d'exécution des
procédures d'un tribunal autre que la Cour elle-
même excède les pouvoirs que reconnaît le para-
graphe 50(1) de la Loi. Cependant, la requérante a
à juste titre signalé que les arrêts Lariveau et
Rodrigues sont antérieurs à l'arrêt Brasseries
Labatt et que ce dernier n'est examiné dans
aucune des décisions subséquentes ou, du moins,
qu'il n'est mentionné dans aucun motif de juge-
ment. La requérante affirme que même s'il ne
porte pas sur l'interprétation de l'alinéa 50(1)b) de
la Loi, cet arrêt suit un raisonnement applicable à
l'espèce et que nous devrions l'appliquer. Il faut
donc examiner maintenant la pertinence de cet
arrêt.
Dans l'arrêt en question, l'appelante mettait en
doute la validité de certains textes réglementaires
établis sous le régime de la Loi des aliments et
drogues, S.R.C. 1970, chap. F-27 sur lesquels
l'intimé s'appuyait pour autoriser la saisie d'une
bière dont l'étiquette ne se conformait pas aux
exigences de ces textes réglementaires. La Division
de première instance a accordé le redressement
demandé, mais sa décision a été infirmée par cette
Cour, qui a également accordé l'autorisation de se
pourvoir devant la Cour suprême du Canada étant
donné, à son avis, l'importance des questions soule-
vées. Le ministère de la Consommation et des
Corporations a décidé d'exécuter le jugement de
cette Cour sans attendre l'issue du pourvoi inter-
jeté devant la Cour suprême du Canada. La Cour
d'appel a rejeté une demande visant à ordonner à
l'intimé de surseoir aux procédures et au Ministère
de surseoir aux mesures d'exécution, parce qu'un
sursis serait sans objet et que, par conséquent, la
Cour n'avait pas le pouvoir de prononcer une
ordonnance contre l'intimé ou contre le Ministère.
Après avoir déposé son avis d'appel à la Cour
suprême du Canada, l'appelante a demandé que
cette dernière prononce une ordonnance, entre
autres, pour surseoir aux procédures ou aux mesu-
res prises contre elle en attendant la décision de la
Cour suprême sur le fond.
La Cour suprême du Canada a conclu qu'elle
avait, en vertu de sa Règle 126 [Règles de la Cour
suprême du Canada, C.R.C., chap. 1512], le pou-
voir d'accorder le sursis. Cette Règle est ainsi
rédigée:
RÈGLE 126. Une partie contre qui un jugement est pro-
noncé bu une ordonnance rendue peut demander à la Cour ou à
un juge un sursis d'exécution ou autre recours contre ledit
jugement ou ladite ordonnance. La Cour ou le juge peut
accorder ledit recours aux conditions réputées équitables.
En concluant ainsi, la Cour a rejeté une prétention
selon laquelle cette Règle s'appliquerait unique-
ment à ses propres jugements ou ordonnances et
non aux jugements ou ordonnances d'une autre
cour. Elle a également refusé de reconnaître que la
suspension de l'effet d'une ordonnance en appel
dépassait la portée de la Règle. Le juge en chef
Laskin, au nom de la Cour, écarte ces prétentions
(à la page 600) en ces termes:
On prétend que cette règle s'applique aux jugements ou
ordonnances de cette Cour et non aux jugements ou ordonnan-
ces de la cour dont on interjette appel. Le texte de la règle me
paraît inconciliable avec une pareille interprétation. En outre,
la thèse de l'intimé selon laquelle il n'existe aucun jugement
dont l'exécution puisse être suspendue me semble intenable et,
même si c'était le cas, il est clair qu'une ordonnance a été
rendue contre l'appelante. De plus, la règle 126, qui autorise
cette Cour à accorder un redressement contre une ordonnance,
ne doit pas être interprétée de façon à permettre à la Cour
d'intervenir uniquement contre l'ordonnance et non contre son
effet s'il y a pourvoi contre cette ordonnance devant cette Cour.
En conséquence, l'appelante a le droit de demander un redres-
sement interlocutoire visant le sursis d'exécution de l'ordon-
nance qui rejette son action déclaratoire et cette Cour a le
pouvoir d'accorder un redressement aux conditions qu'elle
estime équitables.
Cet arrêt se rapportait naturellement à l'interpré-
tation de la Règle 126 dans sa version de l'époque,
et la Cour suprême du Canada a décidé que la
Règle s'appliquait tant au sursis de l'exécution
d'une ordonnance de la Division de première ins
tance de cette Cour qu'à une ordonnance ou un
jugement de la Cour suprême elle-même. Étant
donné cette conclusion, elle se considérait habilitée
à surseoir à l'exécution de l'ordonnance (et de son
effet) conformément aux dispositions de cette
Règle. Les Règles de la Cour fédérale contiennent
elles aussi à la Règle 1909' une disposition
analogue.
Le paragraphe 50(1) de la Loi, contrairement à
la Règle 126, ne parle pas de sursis d'«exécution»
du «jugement ou [de l'] ordonnance». Il permet à la
Cour de «suspendre les procédures dans toute
affaire ou question». Il faut trancher la question en
litige en nous fondant sur le libellé effectivement
employé par le Parlement en formulant cet article.
Ainsi, qu'envisageait le Parlement lorsqu'il a
permis à la Cour de «suspendre les procédures»?
Avait-il l'intention d'inclure un sursis des «procé-
' Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un
jugement ou une ordonnance peut demander à la Cour la
suspension de l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou
quelque autre redressement à l'encontre de ce jugement ou de
cette ordonnance, et la Cour peut, par ordonnance, accorder le
redressement qu'elle estime juste, aux conditions qu'elle estime
justes.
Comme les parties n'ont pas expressément invoqué cette Règle
et qu'elles ne l'ont même pas mentionnée dans leur argumenta
tion à l'appui de la suspension de l'ordonnance dont il est
interjeté appel, je ne me prononcerai pas sur la question de
savoir si, étant donné l'interprétation donnée à une règle formu-
lée d'une manière semblable dans l'arrêt Brasseries Labatt,
cette Règle peut accorder expressément le pouvoir de suspendre
l'ordonnance contestée. En fait, si je n'étais pas d'avis, comme
je le mentionne plus loin dans ces motifs, que l'équilibre entre
les avantages et les inconvénients ne favorise pas l'octroi d'un
sursis, j'aurais jugé nécessaire de demander aux parties de
régler cette question avant de trancher la demande.
dures» autres que celles dont la Cour était saisie?
Et, si c'est le cas, l'ordonnance du Conseil consti-
tue-t-elle des «procédures»? La requérante prétend
que cette Cour devrait considérer que le paragra-
phe 50(1) englobe les procédures d'un tribunal
autre que la Cour elle-même, de la même façon
que la Cour suprême du Canada a jugé que la
Règle 126 s'étendait aux ordonnances d'un tribu
nal en sus de ses propres ordonnances. MECL
soutient que, même si l'article 50 s'applique aux
procédures devant le Conseil, il n'y a plus de
«procédures» devant celui-ci.
À première vue, le paragraphe 50(1) de la Loi
ne se limite pas aux procédures «dont la Cour est
saisie» 2 . L'inclusion de ces mots ou de mots à cet
effet, aurait, je pense, enlevé tout doute quant à
l'intention du Parlement. Leur absence au para-
graphe 50(1) appuie dans _ une certaine mesure
l'argument selon lequel le Parlement entendait, en
utilisant le mot «procédures» accorder le pouvoir,
dans les circonstances appropriées, de surseoir éga-
lement à des procédures autres que celles dont la
Cour était elle-même saisie. En l'espèce, il est
inutile d'examiner cet argument plus en profon-
deur parce que j'estime que la requérante a un
autre obstacle à surmonter. Si elle n'y réussit pas,
alors toute solution fondée sur l'existence d'un
pouvoir exprès doit également échouer.
Il s'agit en effet de savoir si l'on peut correcte-
ment qualifier de «procédures» ce qui ferait l'objet
du sursis demandé. Seule l'ordonnance de l'Office
est en litige. Il a entendu la requête et s'est pro-
noncé. Il a tranché la question selon le libellé de
son ordonnance. Bref, il a tranché la question de
sorte qu'il ne lui reste plus rien à faire. MECL
peut goûter les fruits de sa victoire sans prendre
d'autres mesures car aucune autre procédure n'est
prévue pour faire appliquer l'ordonnance. Il reste
2 Voir, par exemple, l'article 49 de la Loi où on trouve ces
mots. Dans les articles 38(1), 54(2) et 57 de cette Loi les mots
«devant la Cour» s'appliquent au mot «procédures». Dans le
paragraphe 28(1) de la Loi, qui investit la Cour d'un pouvoir de
révision, on parle d'une décision ou ordonnance «rendue par un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à
l'occasion de procédures devant un office, une commission ou
un autre tribunal fédéral» et dans l'article 29, le législateur
emploie des termes semblables dans le cas d'un appel interjeté
d'une décision ou d'une ordonnance. (C'est moi qui souligne.)
simplement à se conformer aux formalités de l'ar-
ticle 15 de la Loi sur l'Office national de l'énergie 3
[mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
64]. En outre, le Parlement a clairement indiqué
au paragraphe 19(1) de cette Loi que, sous réserve
des autres dispositions, l'ordonnance est «définitive
et péremptoire». Comme, à mon avis, l'ordonnance
en appel ne constitue pas des «procédures» en cours
devant l'Office, l'alinéa 50(1)b) de la Loi ne nous
permet pas de surseoir à son exécution.
Pouvoir inhérent
La prétention voulant que la Cour possède le
pouvoir inhérent de surseoir à l'exécution de l'or-
donnance de l'Office peut être réglée rapidement.
La Cour fédérale, contrairement à une cour supé-
rieure d'une province, est une cour créée par la loi.
Par conséquent, son pouvoir de connaître des liti-
ges et de les trancher doit se fonder sur les termes
qu'a utilisés le ' Parlement en lui accordant ce
pouvoir. La requérante affirme l'existence d'un
pouvoir inhérent en se fondant sur certains com-
mentaires émis dans un autre arrêt de la Cour
suprême du Canada, Procureur général du
Canada et autres c. Law Society of British
Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307. Cet arrêt
portait, en partie, sur le pouvoir de la Cour
suprême de la Colombie-Britannique de déclarer
inapplicables ou ultra vires certaines dispositions
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
S.R.C. 1970, chap. C-23. En reconnaissant à la
Cour le pouvoir d'accorder le redressement
demandé, le juge Estey (au nom de la Cour) a
déclaré (à la page 330):
Il est établi depuis longtemps que les cours ayant compétence
pour rendre une première ordonnance peuvent également
rendre des ordonnances supplémentaires ou prescrire les moda-
3 15. (1) Toute décision ou ordonnance rendue par l'Office
peut, en vue de l'exécution de cette décision ou ordonnance,
devenir un arrêt, une ordonnance ou un jugement de la Cour
fédérale du Canada ou de toute cour supérieure de quelque
province du Canada: Elle doit être exécutée de la même
manière qu'un arrêt, une ordonnance ou un jugement d'une
telle cour.
(2) Pour qu'une décision ou ordonnance de l'Office devienne
un arrêt, une ordonnance ou un jugement de la Cour fédérale
du Canada ou d'une cour supérieure, on peut suivre la pratique
et la procédure de la cour habituellement adoptées â cet égard
ou, en remplacement, le secrétaire peut produire au greffe de la
Cour fédérale une copie certifiée de la décision ou de l'ordon-
nance sous le sceau de l'Office. La décision ou l'ordonnance
devient alors un arrêt, une ordonnance ou un jugement de la
cour.
lités d'application de la première ordonnance. De même, les
cours ayant compétence relativement à un litige déterminé ont
également compétence pour ordonner le maintien du statu quo
en attendant une décision sur toutes les réclamations présen-
tées, même si cette ordonnance, considérée isolément, peut ne
pas être du ressort de la cour.
Bien que les propos du juge peuvent, à la
rigueur, suggérer qu'il visait également la Cour
fédérale, je doute, après avoir lu tout son juge-
ment, que ce soit le cas. Comme il l'a clairement
dit lui-même (aux pages 326 et 327), le litige ne
portait que sur la compétence d'une cour supé-
rieure d'une province:
Les cours supérieures des provinces ont toujours occupé une
position de premier plan à l'intérieur du régime constitutionnel
de ce pays. Ces cours de compétence générale sont les descen-
dantes des cours royales de justice.
Je ne peux accepter la thèse de la requérante selon
laquelle ce précédent emporte que la présente
Cour a le pouvoir inhérent d'accorder le redresse-
ment demandé. Aucun autre argument n'a été
invoqué pour prouver l'existence de ce pouvoir.
Pouvoir implicite
Passons maintenant au dernier argument invo-
qué à l'appui du pouvoir de la Cour. Il peut être
énoncé très simplement. La requérante a le droit
d'interjeter appel de l'ordonnance de l'Office en
vertu du paragraphe 18 (1) de la Loi sur l'Office
national de l'énergie dont voici le libellé:
18. (1) 11 peut être interjeté appel devant la Cour d'appel
fédérale contre une décision ou ordonnance de l'Office, sur une
question de droit ou de compétence, dès que l'autorisation en a
été obtenue de la Cour, sur une requête présentée dans le délai
d'un mois après l'établissement de la décision ou ordonnance
dont on veut appeler ou dans tel délai supplémentaire que le
juge accorde dans des circonstances spéciales.
Le paragraphe 30(1) de la Loi permet à cette Cour
d'entendre et de juger l'appel:
30. (1) La Cour d'appel a compétence exclusive pour enten-
dre et juger tous les appels qui peuvent, en vertu de quelque loi
du Parlement du Canada, sauf la Loi de l'impôt sur le revenu,
la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès et la Loi sur
la citoyenneté canadienne, être interjetés devant la Cour
fédérale.
La requérante soutient que, puisqu'il a ainsi
disposé, le Parlement doit avoir également eu l'in-
tention que cette Cour soit habilitée à surseoir à
l'exécution d'une ordonnance en appel afin qu'elle
puisse effectivement exercer sa compétence d'ap-
pel. À mon avis, cette prétention n'est pas sans
fondement. Cette théorie a fait récemment l'objet
de commentaires de la part de cette Cour dans
l'arrêt Banque Nationale du Canada c. Granda
(1985), 60 N.R. 201 dans le contexte d'une déci-
sion qui faisait alors l'objet d'un examen confor-
mément à l'article 28 de la Loi. Dans ses motifs de
jugement (à la page 202), le juge Pratte a fait,
pour son compte, les observations suivantes:
Il ne faudrait pas que l'on déduise de ce que je viens de dire
que la Cour d'appel possède, à l'égard des décisions de tribu-
naux fédéraux qui font l'objet de demandes d'annulation en
vertu de l'article 28, le même pouvoir d'ordonner des sursis
d'exécution que la Division de première instance à l'égard des
décisions de la Cour.
Les seuls pouvoirs que possède la Cour à l'égard de décisions
qui font l'objet de demandes d'annulation en vertu de l'article
28 sont ceux que lui confèrent l'article 28 et l'alinéa 52d) de la
Loi sur la Cour fédérale. Il est clair que ces textes n'accordent
pas expressément à la Cour le pouvoir de suspendre l'exécution
des décisions qu'on lui demande de réviser. On peut prétendre,
cependant, que le Parlement a conféré ce pouvoir à la Cour de
façon implicite dans la mesure où l'existence et l'exercice de ce
pouvoir sont nécessaires pour que la Cour puisse pleinement
exercer la compétence que l'article 28 lui confère de façon
expresse. Telle est, à mon sens, la seule source possible de
pouvoir qu'aurait la Cour d'appel d'ordonner que l'on sursoie à
l'exécution d'une décision faisant l'objet d'un pourvoi en vertu
de l'article 28. Il s'ensuit logiquement que si la Cour peut
ordonner que l'on sursoie à l'exécution de pareilles décisions,
elle ne peut le faire que dans les rares cas où l'exercice de ce
pouvoir est nécessaire pour lui permettre d'exercer la compé-
tence que lui confère l'article 28.
Ces observations montrent l'absurdité qui résul-
terait si, pendant un appel, l'exécution de l'ordon-
nance contestée rendait celui-ci inopérant. Notre
compétence en tant que cour d'appel serait alors
futile et réduite à de simples mots vides de sens. Le
droit d'une partie à un «appel» n'existerait que sur
papier parce que, en réalité, il n'y aurait pas
«d'appels à entendre, pas plus qu'il n'y aurait une
partie heureuse et l'autre, déboutée. Le processus
d'appel serait entravé. Il ne pourrait offrir, comme
il le devrait, la possibilité d'un redressement à qui
l'invoquerait. Ainsi la Cour serait incapable, con-
trairement à son objet, de résoudre véritablement
un litige. Je ne peux croire que le Parlement
entendait que la Cour soit incapable de prévenir
une telle situation. À mon avis, le raisonnement du
juge en chef Laskin de la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Brasseries Labatt (à la page
601) s'applique également au pouvoir de cette
Cour d'empêcher que l'exécution d'une ordon-
nance en appel ne rende cet appel inopérant:
Même si j'estime que la règle 126 s'applique et permet le
prononcé d'une ordonnance de la nature de celle convenue par
les avocats des parties, cela ne signifie pas que cette Cour n'a
pas, en d'autres circonstances, le pouvoir d'éviter que des
procédures en instance devant elle avortent par suite de l'action
unilatérale d'une des parties avant la décision finale.
J'ai conclu que cette Cour possède effectivement le
pouvoir implicite d'accorder un sursis si l'exécution
de l'ordonnance de l'Office pendant l'appel rendait
cet appel inopérant.
L'avocat du ministre de l'Énergie et des Forêts
de la province de l'Île-du-Prince -Edouard prétend
que l'article 29 de la Loi refuse à cette Cour le
pouvoir de surseoir à l'exécution de cette ordon-
nance. Voici le texte de cet article:
29. Nonobstant les articles 18 et 28, lorsqu'une loi du
Parlement du Canada prévoit expressément qu'il peut être
interjeté appel, devant la Cour, la Cour suprême, le gouverneur
en conseil ou le conseil du Trésor, d'une décision ou ordonnance
d'un office, d'une commission ou d'un autre tribunal fédéral,
rendue à tout stade des procédures, cette décision ou ordon-
nance ne peut, dans la mesure où il peut en être ainsi interjeté
appel, faire l'objet d'examen, de restriction, de prohibition,
d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf
dans la mesure et de la manière prévues dans cette loi.
Comme l'article 18 de la Loi sur l'Office national
de l'énergie prévoit l'appel en cours, l'avocat pré-
tend que l'ordonnance de l'Office ne doit faire
l'objet «d'aucune autre intervention, sauf dans la
mesure et dans la manière prévues dans cette loi».
Ces mots, prétend-t-il, interdisent à la Cour d'ac-
cueillir la demande. Seul l'Office, selon lui, peut
surseoir à l'exécution de l'ordonnance et comme il
a refusé de le faire, «cela clôt le débat».
En toute déférence, je pense que cet argument
ne tient pas compte d'une partie essentielle de
l'article 29. Les mots invoqués se trouvent dans un
contexte donné qui prévoit que dans la mesure où
une décision ou ordonnance peut faire l'objet d'un
appel, elle ne peut faire «l'objet d'examen, de
restriction, de prohibition, d'évocation, d'annula-
tion ni d'aucune autre intervention, sauf dans la
mesure et de la manière prévues dans cette loi». Il
faut tenir compte de tout le contexte pour interpré-
ter les mots «d'aucune autre intervention» et,
même, l'article dans son ensemble doit être inter-
prété à la lumière de la loi prise dans son ensem
ble. Quand on procède ainsi, le but de l'article 29
apparaît clairement. Le pouvoir accordé à la Divi
sion de première instance en vertu de l'article 18 et
à cette Cour en vertu du paragraphe 28(1) de la
Loi ne doit pas être invoqué lorsqu'un appel d'une
décision ou d'une ordonnance est interjeté confor-
mément à une loi fédérale qui le prévoit. Selon
moi, l'article 29 n'interdit pas à cette Cour de
surseoir à l'exécution d'une ordonnance en appel
dans des circonstances appropriées.
EXERCICE DU POUVOIR
La requérante demande à la Cour d'exercer son
pouvoir discrétionnaire en sa faveur, si elle est
d'avis que l'équilibre entre les avantages et les
inconvénients milite pour le maintien du statu quo
en attendant l'issue de l'appel ou si la Cour estime
que le refus d'accorder un sursis rendrait cet appel
inopérant. Je me propose d'examiner ces deux
critères séparément.
L'équilibre entre les avantages et les inconvé-
nients fait, évidemment, partie des critères dont
doit tenir compte la Cour pour décider s'il y a lieu
d'accorder une injonction interlocutoire et la
requérante prétend qu'il faudrait aussi appliquer
ce critère en l'espèce (Re Dylex Ltd. and Amalga
mated Clothing & Textile Workers Union
Toronto Joint Board et al. (1977), 17 O.R. (2d)
448 (H.C.); Wells Fargo Armcar, Inc. v. Ontario
Labour Relations Board et al. (1981), 34 O.R.
(2d) 99 (H.C.)). MECL affirme que l'équilibre
entre les avantages et les inconvénients ne favorise
aucune des deux parties. Comme cette question a
été fortement débattue, je me propose de la tran-
cher sans décider, par contre, s'il s'agit d'un critère
applicable aux affaires de ce genre.
La requérante dit que les revenus qu'elle perdra
par suite de l'exécution de l'ordonnance sont des
revenus nécessaires à son fonctionnement courant
et que les tarifs actuels ont été établis à la lumière
de cette exigence. La requérante a établi ces tarifs
en présumant qu'elle aurait gain de cause devant
l'Office. MECL souligne qu'un sursis de l'exécu-
tion de l'ordonnance entraînera une augmentation
des coûts de l'électricité pour elle-même et pour
ses clients. Au cours des débats, la requérante s'est
engagée à indemniser MECL pour cette augmen
tation si l'appel était rejeté et, en revanche, MECL
s'est engagée à indemniser la requérante pour la
perte de revenus dans le cas où l'appel serait
accueilli. Il est évident que les deux parties seront
également gênées aussi bien par le sursis de l'exé-
cution de l'ordonnance, que par le maintien de son
exécution. À mon avis, il ne s'agit pas d'une affaire
où l'équilibre entre les avantages et les inconvé-
nients favorise le maintien du statu quo. Par consé-
quent, la Cour ne serait pas justifiée d'accueillir la
demande pour ce motif et je refuserais de le faire.
Quoique j'estime que le second critère est entiè-
rement applicable en l'espèce, je ne suis pas con-
vaincu que les circonstances en cause favorisent le
sursis. Bien que l'exécution de l'ordonnance en
attendant l'issue de l'appel infligerait pour le
moins à la requérante une perte temporaire de
revenus, cette situation ne rendrait pas l'appel
inopérant. Le fond de l'appel resterait entier, et la
requérante garderait la possibilité de faire recon-
naître son droit de vendre de l'énergie d'économie
à un prix dépassant celui que prévoit l'ordonnance
de l'Office. S'il en est autrement, la requérante
devra continuer à vendre l'énergie au prix indiqué
dans cette ordonnance. La Cour peut effective-
ment résoudre cette question. Je dois rejeter le
motif invoqué pour ordonner le sursis de l'ordon-
nance parce que, selon moi, le refus d'accorder le
sursis ne rendrait pas l'appel inopérant.
Par ces motifs, je rejetterais cette demande avec
dépens.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.