A-796-85
Affaire intéressant la compétence d'un tribunal
des droits de la personne pour continuer son
enquête et la plainte de la section locale 916 du
Syndicat des travailleurs de l'énergie et de la
chimie en date du 27 avril 1979 présentée en vertu
de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits
de la personne (S.C. 1976-77, chap. 33 et modifi
cations) contre Énergie atomique du Canada
Limitée
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et MacGui-
gan—Ottawa, 5 et 23 décembre 1985.
Droits de la personne — Le Tribunal des droits de la
personne a-t-il compétence pour continuer son enquête relative
à la plainte de discrimination compte tenu de la décision
récente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt MacBain qui a
déclaré que l'art. 39(1) et (5) était inopérant parce que la
structure décisionnelle de la Loi soulevait une crainte raison-
nable de partialité? — La partialité trouvée dans l'arrêt
MacBain était-elle tellement fondamentale qu'elle créait une
absence totale de compétence? — Les tribunaux n'ont pas
examiné les questions de partialité en termes de compétence —
L'effet de la renonciation expresse et implicite, devant le
Tribunal, du droit de contester la compétence du Tribunal, par
la partie qui invoque maintenant un tel droit — Loi cana-
dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33,
art. 35, 36(3), 39(1),(5), 41(1) — Déclaration canadienne des
droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2c),e)f),g) — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(4).
Compétence — Tribunal des droits de la personne — Effet
sur la compétence du Tribunal des droits de la personne de la
décision récente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt
MacBain qui a déclaré que l'art. 39(1) et (5) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne était inopérant parce
que la structure décisionnelle de la Loi soulevait une crainte
raisonnable de partialité — Le Tribunal est-il sans compé-
tence dès le début? — La partialité trouvée dans l'arrêt
MacBain était-elle tellement fondamentale qu'elle créait une
absence totale de compétence? — Les tribunaux n'ont pas
examiné les questions de partialité en termes de compétence —
La partie qui renonce expressément et implicitement devant le
Tribunal, au droit de contester la compétence du Tribunal, ne
peut maintenant invoquer un tel droit — Loi canadienne sur
les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 35,
36(3), 39(1),(5), 41(1).
Déclaration des droits — Audition impartiale conforme aux
principes de justice naturelle — Effet sur la compétence du
Tribunal des droits de la personne de la décision récente de la
Cour d'appel fédérale dans l'arrêt MacBain qui a déclaré que
l'art. 39(1) et (5) de la Loi canadienne sur les droits de la
personne était inopérant parce que la structure décisionnelle de
la Loi soulevait une crainte raisonnable de partialité —
Nature de l'art. 2e) de la Déclaration des droits — Nature de
la déclaration qu'une loi est inopérante en vertu de la Déclara-
tion des droits — Loi canadienne sur les droits de la personne,
S.C. 1976-77, chap. 33, art. 35, 36(3), 39(1),(5), 41(1) —
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III,
art. 2c),e),J),g).
Au moment où la décision de cette Cour dans l'arrêt Mac-
Bain a été rendue, le Tribunal des droits de la personne
examinait une plainte de discrimination déposée devant la
Commission canadienne des droits de la personne («la Commis
sion») par la section locale 916 du Syndicat des travailleurs de
l'énergie et de la chimie contre Énergie atomique du Canada
Limitée («EACL»). Cet arrêt ayant décidé que les paragraphes
39(1) et (5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne
(dans laquelle on prévoit une partie essentielle des pouvoirs
décisionnels de la Commission) étaient inopérants en ce qui
concerne la plainte en cause, le Tribunal, à la majorité, a
ordonné un renvoi à cette Cour en vertu du paragraphe 28(4)
de la Loi sur la Cour fédérale afin de déterminer si le Tribunal
avait compétence pour continuer son enquête.
Contrairement à l'appelant/requérant dans l'arrêt MacBain
qui a allégué la partialité même avant la première audition par
le Tribunal, EACL a, tant de manière expresse que de manière
implicite, renoncé à son droit de contester la compétence du
Tribunal en l'espèce. Bien qu'elle admette que, en common law,
même une renonciation implicite à s'opposer à un arbitre au
premier stade d'une affaire constitue un motif suffisant pour
invalider une opposition ultérieure, EACL a soutenu que la
partialité en l'espèce était tellement fondamentale qu'elle créait
une absence totale de compétence.
EACL a soutenu que dans l'arrêt MacBain, la Cour a jugé
que la Loi donne lieu à une présomption raisonnable de partia-
lité en ce qui a trait tant à la «double» conclusion sur le
bien-fondé qu'elle exigeait qu'à la nomination du tribunal par
la Commission même qui est tenue d'agir à titre de poursuivant
devant celui-ci; que ces deux défauts rendent l'esprit de la Loi
empreint de partialité de façon inhérente dans sa structure
décisionnelle; que, malgré la tentative de cette Cour de limiter
à cette plainte-là le caractère inopérant de la loi, la logique de
son raisonnement entraîne la conclusion que, dans tous les cas,
les tribunaux constitués en vertu de la Loi sont sans compétence
dès le début; et enfin, qu'une telle absence de compétence ne
peut être corrigée par une renonciation.
Arrêt: la réponse à la question est affirmative, le Tribunal est
compétent pour continuer son enquête.
Le juge MacGuigan: La Cour suprême du Canada a établi
dans Law Society of Upper Canada c. French, où la Déclara-
tion des droits n'a pas été invoquée, que la partialité qui
pourrait autrement rendre les procédures contraires à la justice
naturelle peut être autorisée par la loi. Dans l'affaire MacBain,
la Loi conférait expressément le pouvoir à la Commission d'agir
comme elle l'a fait et, abstraction faite de la Déclaration des
droits, aurait certainement empêché toute contestation fondée
sur la crainte raisonnable de partialité.
Bien que la Déclaration des droits ait été invoquée avec
succès dans l'affaire MacBain, le résultat en l'espèce est diffé-
rent. On a jugé qu'une personne qui n'avait pas dès le départ la
protection de la Déclaration des droits pour empêcher la viola
tion de ses droits par une loi fédérale ne pouvait plus, par la
suite, bénéficier de cette protection. Les tribunaux n'ont pas du
tout examiné les questions de partialité en termes de compé-
tence, même si, en toute logique, on peut dire que, «en principe
toutes les mesures administratives ultra vires de leur auteur
sont nulles, et non annulables, et il n'y a aucun degré d'invali-
dité». Sans doute les tribunaux ont-ils été limités parce qu'ils se
préoccupaient des conséquences pratiques d'une application
trop rigide de la logique. En dernière analyse, la décision dans
l'arrêt MacBain ne peut s'appliquer que lorsque les parties
visées ont affirmé leur droit à la première occasion.
Le juge Marceau: La distinction fondamentale entre la situa
tion dans l'affaire MacBain et l'espèce est le moment auquel la
question de la partialité a été soulevée. EACL soutient que
l'affaire MacBain a conclu que tous les tribunaux établis en
vertu de la Loi sont nécessairement sans compétence dès le
début et qu'aucune renonciation ne saurait remédier à ce
défaut.
Toutefois, tel n'est pas le sens de la décision dans l'affaire
MacBain. Elle a simplement pour effet d'établir que lorsqu'une
plainte a été considérée comme fondée après enquête, la consti
tution du Tribunal par la Commission elle-même peut soulever
une crainte raisonnable de partialité et par conséquent violer le
droit d'un particulier d'être jugé par un tribunal dont l'objecti-
vité est établie hors de tout doute raisonnable. Cependant, un
tribunal nommé de manière à donner lieu à une crainte de
partialité est seulement susceptible de perdre qualité. Le droit
d'un particulier de s'opposer à être jugé par le tribunal n'existe
que jusqu'à ce qu'il accepte expressément ou implicitement sa
compétence. MacBain n'a eu gain de cause que parce qu'il a
soulevé ses objections dès le départ.
Une déclaration que la loi est «inopérante», comme dans
l'affaire MacBain, est un redressement applicable lorsqu'on se
fonde sur la protection accordée par la Déclaration des droits.
La force jurisprudentielle d'une telle déclaration variera selon
que la loi viole directement et par elle-même un droit garanti
ou qu'elle ne fait qu'y contribuer. De toute façon, la déclaration
qu'une loi est inopérante ne signifie pas que la loi n'a aucune
valeur et aucun effet.
Le juge Pratte: L'affaire MacBain n'a pas décidé que les
paragraphes 39(1) et (5) de la Loi étaient de manière inhérente
contestables. Tout ce qu'elle a fait c'est de déclarer que ces
dispositions ne s'appliquaient pas de manière à priver MacBain
de son droit, que prévoit la Déclaration des droits, de ne pas
être jugé sans son consentement, par un tribunal nommé d'une
manière qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.
Par conséquent, l'arrêt MacBain ne s'applique pas à l'égard
d'une affaire comme l'espèce où il y avait une renonciation
expresse et implicite au droit de contester la compétence du
Tribunal.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; (1985), 62
N.R. 117 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Law Society of Upper Canada c. French, [1975] 2 R.C.S.
767; Ringrose c. College of Physicians and Surgeons
(Alberta), [1977] 1 R.C.S. 814.
DÉCISIONS CITÉES:
Re Thompson and Local 1026 of International Union of
Mine, Mill and Smelter Workers et al. (1962), 35 D.L.R.
(2d) 333 (C.A. Man.); Rex v. Byles and others; Ex parte
Hollidge (1912), 108 L.T. 270 (K.B.D. Ang.); Regina v.
Nailsworth Licensing Justices. Ex parte Bird, [1953] 1
W.L.R. 1046 (Q.B.D. Ang.); Bateman v. McKay et al.,
[1976] 4 W.W.R. 129 (B.R. Sask.); Ghirardosi v. Minis
ter of Highways for British Columbia, [1966] R.C.S.
367; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; R. c. Burnshine,
[1975] 1 R.C.S. 693; Miller et autres c. La Reine, [1977]
2 R.C.S. 680; R. v. Morin (1980), 64 C.C.C. (2d) 90
(C.A. Alb.); Jumaga c. R., [1977] 1 R.C.S. 486; Harel-
kin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561.
AVOCATS:
T. Gregory Kane et J. Bourinot pour le Tribu
nal des droits de la personne.
R. G. Juriansz et J. Hendry pour la Commis
sion canadienne des droits de la personne.
Eric B. Durnford et Harvey L. Morrison pour
Énergie atomique du Canada Limitée.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Ottawa, pour le Tribunal
des droits de la personne.
Commission canadienne des droits de la per-
sonne, Ottawa, pour son propre compte.
McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour
Énergie atomique du Canada Limitée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de la décision rendus par
LE JUGE PRATTE: Je conviens que la question
qui a été renvoyée à la Cour pour être tranchée
doit recevoir la réponse proposée par mes collègues
MacGuigan et Marceau. Toutefois, comme leurs
motifs pour parvenir à la même conclusion sont
quelque peu différents, j'estime qu'il est nécessaire
d'énoncer brièvement les miens.
À l'audience, l'avocat d'Énergie atomique du
Canada Limitée a adopté la position selon laquelle
le Tribunal visé n'avait pas compétence pour conti-
nuer son enquête puisqu'il avait été constitué de la
même manière et en vertu des mêmes dispositions
législatives que le Tribunal qui avait fait l'objet de
l'arrêt de la Cour MacBain c. Lederman, [1985] 1
C.F. 856; (1985), 62 N.R. 117 (C.A.). Le seul
argument qu'il a présenté à l'appui de cette thèse,
selon mon interprétation, portait que la Cour avait
déclaré dans cet arrêt que les paragraphes 39(1) et
(5) de la Loi canadienne sur les droits de la
personne [S.C. 1976-77, chap. 33] étaient inopé-
rants pour le motif qu'ils prévoyaient la constitu
tion de tribunaux d'une manière qui, selon l'opi-
nion de la Cour, donnait lieu à une crainte
raisonnable de partialité. Comme la Cour, selon
l'argumentation, a fondé sa décision sur la conclu
sion que les paragraphes 39(1) et (5) étaient de
manière inhérente contestables, il en découle logi-
quement que la constitution de tout tribunal en
vertu des mêmes dispositions est viciée.
À mon avis, cet argument est fondé sur une
mauvaise interprétation de l'arrêt MacBain. Dans
cet arrêt, la Cour n'a pas déclaré que les paragra-
phes 39(1) et (5) n'étaient pas valides mais [à la
page 889 C.F.; 137 N.R.] qu'ils étaient «inopérants
en ce qui concerne la plainte déposée en l'espèce
contre l'appelant/requérant Alistair MacBain par
l'intimée Kristina Potapczyk». Par cette déclara-
tion, la Cour a simplement dit que les paragraphes
39(1) et (5) ne s'appliquaient pas de manière à
priver MacBain de son droit, que prévoit la Décla-
ration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appen-
dice III], de ne pas être jugé sans son consente-
ment, par un tribunal nommé d'une manière qui
donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.
Par conséquent, l'arrêt MacBain ne s'applique pas
à l'égard d'une affaire comme l'espèce où la per-
sonne qui doit être jugée par le Tribunal a, comme
mon collègue MacGuigan le dit, renoncé de
manière expresse et implicite à son droit de contes-
ter la compétence du Tribunal.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
de la décision rendus par
LE JUGE MARCEAU: Comme mon collègue le
juge MacGuigan, dont j'ai eu l'avantage de lire les
motifs, je suis d'avis de répondre par l'affirmative
à la question qui a été renvoyée devant la Cour en
l'espèce. Le Tribunal visé a compétence pour con-
tinuer son enquête même s'il «a été constitué de la
même manière, par la même procédure et en vertu
des mêmes dispositions législatives que le tribunal
décrit dans l'arrêt MacBain c. Commission cana-
dienne des droits de la personne et autres», main-
tenant publié sub nomine MacBain c. Lederman,
[1985] 1 C.F. 856; (1985), 62 N.R. 117 (C.A.).
Comme lui également, je crois que la distinction
fondamentale entre la situation dans l'affaire
MacBain et l'espèce est que M. MacBain dont la
conduite faisait l'objet d'une enquête avait, dès le
début, allégué la partialité du Tribunal, alors qu'en
l'espèce, la partie en cause, Énergie atomique du
Canada Limitée («EACL»), a reconnu de manière
expresse et implicite qu'elle avait entièrement con-
fiance dans l'objectivité du Tribunal. Néanmoins,
je constate que mon opinion sur la question diffère
quelque peu de l'opinion de mon collègue, particu-
lièrement en ce qui a trait à la position adoptée par
EACL et, à mon avis, la différence est suffisam-
ment importante pour que j'expose brièvement mes
opinions sur les questions soulevées.
Selon la position adoptée par EACL, le Tribunal
n'est pas compétent, peu importe si elle avait
renoncé ou non à son droit de s'opposer. Son
argument est fondé sur la prémisse selon laquelle
la ratio decidendi de l'arrêt MacBain porte que
des défauts dans la Loi rendaient alors son plan
empreint de partialité de façon inhérente, soit dans
sa structure décisionnelle même. Elle fait valoir en
effet que compte tenu de ces vices de constitution,
les tribunaux établis en vertu de la Loi telle qu'elle
était alors rédigée étaient nécessairement sans
compétence ab initio et, de toute évidence, une
absence de compétence de cette nature ne saurait
être couverte par une renonciation subséquente.
Si l'arrêt MacBain devait être interprété comme
le soutient EACL, la validité de l'argument serait
à mon avis, pratiquement incontestable. Une loi
dont le plan serait «empreint de partialité d'une
manière inhérente» ne peut que produire un résul-
tat dans lequel on trouverait sinon une partialité
réelle du moins une vraisemblance réelle de partia-
lité. À mon avis, le simple silence de la partie lésée
avant que l'audience ne prenne fin ne pourrait
remédier à une violation aussi directe de la
maxime nemo judex in causa sua par un tribunal
qui serait de fait empreint de partialité ou paraî-
trait réellement l'être: la violation de la justice
naturelle serait trop fondamentale et la décision
resterait toujours sujette à contestation (voir de
Smith's Judicial Review of Administrative Action
(4th ed.), page 273). Mais, je ne crois pas que
l'arrêt MacBain puisse être interprété comme le
propose EACL.
Selon mon interprétation des motifs du juge-
ment du juge Heald, la conclusion fondamentale
de la Cour dans cet arrêt est que le choix par la
Commission elle-même des membres du Tribunal
chargés d'examiner la plainte portée contre M.
MacBain, alors que cette plainte avait déjà fait
l'objet d'une enquête et d'une «vérification» aux
termes des articles 35 et 36 de la Loi, avait à juste
titre créé dans l'esprit de l'«accusé» une crainte
raisonnable de partialité et par conséquent portait
atteinte aux règles de justice naturelle. La Cour
n'a donné aucune indication de l'existence réelle de
partialité ou de vraisemblance de partialité; au
contraire elle s'est efforcée de rejeter une telle
interprétation de ses opinions. Il est vrai que la
Cour a ajouté à sa conclusion fondamentale une
déclaration à l'effet que la loi était «inopérante»,
mais cette déclaration doit être interprétée correc-
tement. D'après moi, une telle déclaration est sim-
plement un type de redressement applicable lors-
qu'on se fonde sur la protection accordée par la
Déclaration des droits, ce qui était le cas en l'es-
pèce puisque l'allégation de crainte de partialité
devait évidemment être écartée par la considéra-
tion selon laquelle la loi elle-même était responsa-
ble de cette situation. C'est en effet seulement
depuis la Déclaration des droits et à cause de la
protection que cette loi spéciale assure aux droits
fondamentaux que les tribunaux ont le pouvoir de
remédier à une violation de la justice naturelle qui
découle de la loi elle-même (voir: Law Society of
Upper Canada c. French, [1975] 2 R.C.S. 767 et
Ringrose c. College of Physicians and Surgeons
(Alberta), [1977] 1 R.C.S. 814 où le plan législatif
a prévalu, du moins en partie, parce que la Décla-
ration des droits n'avait pas été invoquée et par
conséquent n'était pas en jeu). Et lorsque les tribu-
naux accordent un tel redressement, ils disent
habituellement que la loi est «inopérante», un
terme tiré de l'article 2 de la Déclaration (voir:
Hogg, Constitutional Law of Canada (2nd edi
tion), 1985, pages 640 à 645). Bien qu'elle soit
toujours strictement limitée à l'affaire en question,
une telle déclaration que la loi est inopérante peut
en pratique avoir plus ou moins valeur d'autorité
selon qu'il a été considéré que la loi était directe-
ment et par elle-même en violation avec un droit
garanti ou qu'elle n'avait que contribué à causer la
violation d'un tel droit. De toute façon, une décla-
ration que la loi est inopérante n'est pas une
déclaration que la loi n'est pas valide ou n'a
aucune valeur et aucun effet (comme dans le cas
d'une loi qui est jugée en contradiction avec la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] enchâssée dans la Constitution).
L'argument de l'avocat selon lequel ce qui est
inopérant dès le début ne peut devenir opérant par
la suite n'est de toute évidence pas valide si le
terme «opérant» est pris dans son sens propre.
Ainsi, à mon avis, l'arrêt MacBain, a simple-
ment pour effet d'établir que, lorsque en vertu de
la Loi une plainte a été considérée comme fondée
après enquête, le choix par la Commission elle-
même du tribunal qui sera chargée de considérer
la plainte peut soulever une crainte raisonnable de
partialité et violer par conséquent le droit d'un
particulier contre qui la plainte a été portée d'être
jugé par un tribunal dont l'objectivité est établie
hors de tout doute raisonnable. La question qui se
pose alors est de savoir quelle est la situation d'un
tribunal établi de telle manière qu'il peut susciter
une crainte raisonnable de partialité: le tribunal
est-il incompétent? On ne peut sérieusement soute-
nir que ce soit le cas. La partialité réelle a presque
certainement un effet sur la capacité du tribunal
d'agir et pourrait peut-être, pour cette raison,
atteindre sa compétence, d'autant plus que la déci-
sion d'un tel tribunal partial ne pourrait vraisem-
blablement jamais se voir reconnaître quelque
force; mais une simple crainte de partialité consti-
tue une toute autre affaire car elle ne se rapporte
pas à la capacité même du tribunal d'agir correcte-
ment. Un tribunal nommé de manière à donner
lieu à une crainte de partialité est, selon mon
interprétation de la jurisprudence, seulement sus
ceptible de se voir enlever sa capacité d'agir. Cor-
rélativement, le droit de celui qui craint que le
tribunal devant lequel il se présente ne soit partial
a toujours été, encore une fois selon mon interpré-
tation de la jurisprudence, le droit de s'opposer à
être jugé par le tribunal, mais un droit qui ne
subsiste que jusqu'à ce qu'il se soumette à lui de
manière expresse ou implicite. C'est seulement
parce que M. MacBain a soulevé ses objections au
début de l'affaire que sa contestation à l'égard des
procédures pouvait réussir. (Voir sur ce point l'opi-
nion exprimée par Wade dans son article «Unlaw-
ful Administrative Action: Void or Voidable?
Part I» (1967), 83 L.Q.R. 499 et (Part II) (1968),
84 L.Q.R. 95, aux pages 108 et suiv.).
Voilà donc mes vues sur la question et les rai-
sons pour lesquelles j'estime que l'argument
d'EACL n'est pas fondé et je partage l'avis du juge
MacGuigan qu'il faut répondre par l'affirmative à
la question qui a été renvoyée à cette Cour.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
de la décision rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: La question présentée à
cette Cour en l'espèce découle directement de
notre arrêt récent MacBain c. Lederman, [1985] 1
C.F. 856; (1985), 62 N.R. 117, qui comportait
trois instances (deux appels et une demande) par
la même partie.
Dans l'arrêt MacBain, le juge Heald a statué au
nom de la Cour que l'appelant/requérant éprouvait
une crainte raisonnable de partialité qui résultait
du fait que la Commission canadienne des droits
de la personne («la Commission») avait fait
enquête sur la plainte et avait conclu qu'elle était
fondée et avait alors institué des procédures relati-
vement à la plainte devant un tribunal composé de
trois membres qu'elle avait elle-même choisis et
désignés. Il s'agissait d'une procédure qui portait
atteinte à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne
des droits selon lequel «nulle loi du Canada ne doit
s'interpréter ni s'appliquer comme ... privant une
personne du droit à une audition impartiale de sa
cause, selon les principes de justice fondamentale,
pour la définition de ses droits et obligations». Par
conséquent, la Cour a rendu un jugement déclara-
toire portant que les paragraphes 39(1) et 39(5)'
de la Loi canadienne sur les droits de la personne
(«la Loi») étaient inopérants en ce qui concerne la
plainte déposée contre l'appelant/requérant. Le
redressement accordé relativement à l'appel con-
cernant le jugement déclaratoire a été rédigé de
manière à avoir le moins d'effet possible sur les
autres instances:
1 39. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au
dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la
personne (ci-après dénommé, à la présente Partie, le «tribunal»)
chargé d'examiner la plainte.
(5) La Commission choisit, sur une liste établie par le
gouverneur en conseil, les membres du tribunal.
L'appel est accueilli avec dépens aussi bien devant cette Cour
qu'en Division de première instance. Il est déclaré que les
paragraphes (1) et (5) de l'article 39 de la Loi canadienne sur
les droits de la personne sont inopérants en ce qui concerne la
plainte déposée en l'espèce contre l'appelant Alistair MacBain
par Kristina Potapczyk, le 27 avril 1983.
Néanmoins, lorsque les audiences publiques du
Tribunal en l'espèce (qui portent sur une plainte
déposée par la section locale 916 du Syndicat des
travailleurs de l'énergie et de la chimie, le 27 août
1979 selon laquelle Energie atomique du Canada
Limitée («EACL») fait de la discrimination fondée
sur le sexe au sens de l'article 11 de la Loi car les
traitements des membres de la section locale, prin-
cipalement des femmes, ne sont pas à juste titre
comparables à ceux qui sont versés aux autres
travailleurs syndiqués, principalement des
hommes) ont pris fin le 16 octobre, après l'argu-
mentation, le Tribunal à la majorité a ordonné que
la question suivante soit renvoyée devant cette
Cour en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur
la Cour fédérale 2 [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap.
10]:
[TRADUCTION] Ce Tribunal des droits de la personne, ayant
été constitué de la même manière, par la même procédure et en
vertu des mêmes dispositions législatives que le tribunal décrit
dans l'arrêt MacBain c. Commission canadienne des droits de
la personne et autres, (Cour d'appel fédérale, 7 octobre 1985,
A-966-84), a-t-il compétence pour continuer son enquête?
Contrairement à l'appelant/requérant dans l'ar-
rêt MacBain, qui a engagé des procédures en
alléguant la partialité même avant la première
audition de la plainte portée contre lui par le
tribunal et qui s'est en fait retiré de l'audience,
EACL selon mon interprétation des faits, a, de
manière expresse et implicite, renoncé à son droit
de contester la compétence du Tribunal en l'es-
pèce. EACL disposait de tous les faits pertinents
qui constituaient le fondement de l'arrêt MacBain
de cette Cour avant la première audience publique
de cette affaire en décembre 1984. En fait, l'avocat
d'EACL avait bien à l'esprit le premier jour de
l'audience le rôle irrégulier de la Commission à
2 Voici le texte du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale:
28....
(4) Un office, une commission ou un autre tribunal fédéral
auxquels s'applique le paragraphe (1) peut, à tout stade de ses
procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audition et
jugement, toute question de droit, de compétence ou de prati-
que et procédure.
l'égard du Tribunal lorsqu'il a soutenu que la
Commission n'avait pas le droit d'adopter la posi
tion d'un avocat devant un Tribunal à moins que le
plaignant ne puisse présenter sa cause. Toutefois,
au cours de son argumentation approfondie sur ce
point, l'avocat d'EACL a dit à la Commission
(dossier d'appel, page 35):
[TRADUCTION] [N]ous ne contestons pas ... votre indépendan-
ce—nous ne remettons pas en cause votre indépendance ...
Nous ne disons pas que vous allez être partiaux ou que vous
aurez de quelque façon un parti pris du fait que vous gagnez
votre vie au service de mon opposant ...
Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation
expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant
le Tribunal constituait une renonciation implicite
de toute affirmation d'une crainte raisonnable de
partialité de la part du Tribunal. La seule manière
d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une
crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la
violation d'un principe de justice naturelle à la
première occasion. En l'espèce, EACL a cité des
témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la
Commission, a présenté un grand nombre d'argu-
ments au Tribunal et a engagé des procédures
devant la Division de première instance et cette
Cour sans contester l'indépendance de la Commis
sion. Bref, elle a participé d'une manière complète
à l'audience et, par conséquent, on doit tenir pour
acquis qu'elle a implicitement renoncé à son droit
de s'opposer.
En common law, même une renonciation impli-
cite à s'opposer à un arbitre au premier stade
d'une affaire constitue un motif suffisant pour
invalider une opposition ultérieure: Re Thompson
and Local 1026 of International Union of Mine,
Mill and Smelter Workers et al. (1962), 35
D.L.R. (2d) 333 (C.A. Man.); Rex v. Byles and
others; Ex parte Hollidge (1912), 108 L.T. 270
(K.B.D. Ang.); Regina v. Nailsworth Licensing
Justices. Ex parte Bird, [1953] 1 W.L.R. 1046
(Q.B.D. Ang.); Bateman v. McKay et al., [1976] 4
W.W.R. 129 (B.R. Sask.). Le principe est énoncé
de la manière suivante dans Halsbury, Laws of
England (4th ed.), volume 1, paragraphe 71, page
87:
[TRADUCTION] Le droit de contester des procédures viciées
par la participation d'un arbitre qui n'a plus qualité en raison
de l'intérêt ou de la vraisemblance de partialité peut être perdu
par une renonciation expresse ou implicite au droit de s'oppo-
ser. Il n'y a aucune renonciation ou acceptation à moins que la
partie qui a le droit de s'opposer à la participation d'un arbitre
ne soit entièrement au courant de la nature de la perte de
qualité et ait eu une possibilité raisonnable de s'opposer. Lors-
que ces conditions sont remplies, une partie est réputée avoir
accepté la participation d'un arbitre qui n'a plus qualité à
moins qu'elle ne se soit opposée à la première occasion.
Le juge Cartwright a énoncé la règle de la manière
suivante, par voie d'opinion incidente, lorsqu'il a
rendu l'arrêt de la Cour suprême Ghirardosi v.
Minister of Highways for British Columbia,
[1966] R.C.S. 367, la page 372:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute qu'en général, une
sentence arbitrale ne sera pas rejetée si les circonstances avan-
cées pour prouver l'incapacité d'un arbitre étaient connues des
deux parties avant le début de l'arbitrage et que la procédure
s'est poursuivie sans qu'il y soit fait objection.
L'avocat d'EACL n'a pas contesté cette inter-
prétation du droit mais a soutenu que la partialité
en l'espèce était tellement fondamentale qu'elle
créait une absence totale de compétence. Hals -
bury, précité, paragraphe 72, page 88, ajoute à la
déclaration précédente que [TRADUCTION] «si la
décision était absolument nulle et non avenue en ce
qui a trait à la personne lésée, celle-ci ne serait pas
empêchée de la contester à cause d'une renoncia-
tion ou d'une acceptation». Le professeur de Smith
dans Judicial Review of Administrative Action,
4th ed., aux pages 153 et 154, déclare:
[TRADUCTION] (1) Consentement, renonciation et accepta-
tion. Selon la règle générale, la conduite de la personne à
l'égard de laquelle on prétend exercer une compétence ne peut
corriger l'absence de compétence, alors que des actes annula-
bles peuvent devenir inattaquables par suite de cette conduite.
Toutefois, en fait, la distinction est floue. Tout d'abord, les
tribunaux ont quelquefois établi une distinction entre l'absence
de compétence totale, à laquelle on ne peut renoncer, et les
vices de compétence contingents (moins graves) auxquels on
peut renoncer.
À l'appui de son allégation d'absence totale de
compétence de la Commission, EACL présente
l'interprétation suivante de l'arrêt MacBain: dans
cet arrêt, cette Cour a jugé que la Loi donne lieu à
une présomption d'influence ou de dépendance de
deux manières, la conclusion initiale sur le bien-
fondé de la plainte en vertu du paragraphe 36(3)
équivaut à la même détermination exigée de la
part du tribunal en vertu du paragraphe 41(1) 3 et
la relation directe entre la Commission à titre de
3 36....
(3) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au
paragraphe (1), la Commission est convaincue
a) que la plainte est fondée, qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer
conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter pour les
motifs énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv), elle peut
accepter le rapport; ou
(Suite à la page suivante)
poursuivant et le tribunal à titre d'instance déci-
sionnelle; que ces deux défauts ont précédé le
début de l'enquête et ont ainsi rendu l'esprit de la
Loi empreint de partialité de façon inhérente dans
sa structure décisionnelle; que, malgré la tentative
de cette Cour de limiter à la plainte déposée par le
plaignant le caractère inopérant de la Loi, la logi-
que de son raisonnement quant aux défauts consti-
tutifs de la Loi entraîne la conclusion que, dans
tous les cas, les tribunaux constitués en vertu de la
Loi sont sans compétence dès le début; et enfin,
qu'une telle absence de compétence ne peut être
corrigée par une renonciation. Pour évaluer le
bien-fondé d'une telle interprétation de l'arrêt
MacBain, je dois la situer dans le contexte plus
étendu du droit.
Tout d'abord, on doit examiner le droit en fai-
sant abstraction de la Déclaration canadienne des
droits et, ensuite, en le rapprochant de la Déclara-
tion des droits telle qu'elle a été appliquée dans
l'arrêt MacBain 4 .
Dans le premier cas, abstraction faite de la
Déclaration des droits, la Cour suprême, divisée
sur la question, a établi dans Law Society of Upper
Canada c. French, [1975] 2 R.C.S. 767 que la
partialité qui pourrait autrement rendre les procé-
dures contraires à la justice naturelle peut être
autorisée par la loi. Dans cet arrêt, deux benchers,
membres du comité de discipline de la Law Society
qui avaient conclu à la culpabilité d'un procureur
relativement à sept plaintes et avaient recom-
mandé sa suspension pour une période de trois
mois, ont participé à une assemblée de tous les
benchers au cours de laquelle le rapport a été
adopté. En maintenant la procédure en question, le
juge Spence a dit au nom de la Cour à la majorité
(aux pages 783 et 784):
(Suite de la page précédente)
b) que la plainte n'est pas fondée ou qu'il y a lieu de la
rejeter pour les motifs énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à
(iv), elle doit rejeter la plainte
41. (1) A l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte
qu'il juge non fondée.
4 En l'espèce comme dans l'affaire MacBain l'avocat n'a
présenté aucun argument fondé sur la Charte canadienne des
droits et libertés.
Une étude des dispositions du Law Society Act, cependant,
me porte à la conclusion que le cumul par des membres du
tribunal en première instance et en appel en l'espèce présente a
été, de toute manière, implicitement accepté par la législature.
Toutefois, bien que la minorité de la Cour ait été
en désaccord avec la majorité sur le contenu impli-
cite de la Loi, elle a admis que l'Assemblée législa-
tive était compétente pour modifier l'application
normale des règles de justice naturelle. Le juge en
chef Laskin a reconnu au nom de la minorité (à la
page 775):
Il est également impensable, en l'absence d'autorisation
expresse, que l'assemblée pût inclure des membres qui avaient
déjà taxé le procureur de culpabilité en tant que membres du
comité de discipline. Celui qui juge ne peut régulièrement
siéger dans des procédures ultérieures fondées sur son jugement
pas plus qu'un accusateur ne peut siéger comme membre du
tribunal qui instruit son accusation, sauf autorisation d'une loi.
[C'est moi qui souligne.]
Cette conclusion que des procédures prescrites
par la loi sont par définition libres de toute partia-
lité a été renforcée par la Cour suprême dans
l'arrêt Ringrose c. College of Physicians and Sur
geons (Alberta), [1977] 1 R.C.S. 814 dans lequel
un membre du comité exécutif qui a suspendu un
praticien en attendant l'enquête du conseil de dis
cipline était également membre de ce conseil. Il
suffisait, aux fins de l'arrêt que ce membre du
conseil exécutif n'ait pas participé à la décision de
suspendre le praticien. Néanmoins, les juges de la
majorité (par le juge de Grandpré aux pages 824
et 825) ont jugé bon d'ajouter un second motif:
Un motif supplémentaire justifie le rejet de ce pourvoi.
Comme l'a décidé cette Cour dans The Law Society of Upper
Canada c. French, il ne peut être question d'une crainte raison-
nable de partialité lorsque la loi même prévoit un cumul des
fonctions. Or c'est exactement le cas de The Medical Profes
sion Act . .. Donc, le conseil, dont les membres sont autorisés
par la loi à participer à toutes ses décisions, est aussi habilité
par la loi à prononcer une suspension durant l'enquête et à
instituer un conseil de discipline composé d'au moins trois de
ses membres. Il est donc clair que le législateur a créé des
conditions propres à forcer les membres du Conseil à cumuler
des fonctions.
La Cour d'appel a donc à juste titre conclu que la présence du
D' McCutcheon au conseil de discipline, même s'il avait siégé
au comité exécutif, était implicitement autorisée par la loi.
Dans l'affaire MacBain, la loi conférait expres-
sément le pouvoir à la Commission d'agir comme
elle l'a fait et, abstraction faite de la Déclaration
des droits (qui ne paraît pas avoir été soulevée
dans les affaires French ou Ringrose), aurait cer-
tainement empêché toute contestation fondée sur
la crainte raisonnable de partialité.
Toutefois, comme conséquence de l'arrêt récent
de la Cour suprême Singh et autres c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S.
177, l'égard duquel le juge Heald (MacBain,
précité, à la page 877 C.F.; 129 et 130 N.R.) a fait
remarquer que «l'une des conséquences de cet arrêt
de principe a sans doute été d'insuffler une vigueur
nouvelle à la Déclaration canadienne des droits»,
cette Cour s'est sentie justifiée dans l'arrêt Mac-
Bain d'appliquer l'alinéa 2e) de la Déclaration qui
protège une personne contre la privation du droit à
une audition impartiale selon les principes de jus
tice fondamentale.
La protection accordée par la Déclaration des
droits est néanmoins limitée, particulièrement lors-
que, comme dans les alinéas 2c) et 2e) à g), elle est
formulée dans les termes «nulle loi du Canada ne
doit ... privant une personne ...», parce qu'elle ne
veut pas conférer des droits mais simplement
empêcher qu'on en prive quelqu'un. Dans l'arrêt
R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693, la page
702, confirmé par l'arrêt Miller et autres c. La
Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, aux pages 703 et 704,
le juge Martland a dit [à la page 702 Burnshine]:
Le but de la Déclaration n'est pas de définir de nouveaux droits
ou de nouvelles libertés. Ce qu'elle fait est de proclamer leur
existence dans une loi, et, de plus, par l'art. 2, de les protéger
contre la transgression par une loi fédérale, quelle qu'elle soit.
On a jugé qu'une personne qui n'avait pas au
départ invoqué les droits que lui confèrent ces
alinéas ne pouvait plus profiter de la protection
contre la violation par une loi fédérale. Dans l'ar-
rêt R. v. Morin (1980), 64 C.C.C. (2d) 90 (C.A.
Alb.), à la page 94, le juge Clement a dit au sujet
du droit à un avocat:
[TRADUCTION] Un droit de ce genre profite à un particulier,
mais n'a aucune importance devant les tribunaux tant que les
circonstances qu'il vise ne se présentent pas. En l'absence de ces
circonstances, le droit demeure suspendu, son application n'est
pas demandée. Bref, il ne s'applique pas dans l'absolu et doit
être invoqué d'une manière évidente pour démontrer que l'on
demande son application ... L'expression «en privant», dénote
une certaine interférence ou un certain empêchement relative-
ment à l'exercice du droit. Si le droit, bien qu'il soit connu,
n'est pas affirmé, avancé ou demandé d'une manière évidente,
je suis incapable de voir comment il y a eu privation. Il a plutôt
choisi de renoncer au droit.
Le juge Pigeon s'exprimant au nom de la majoriti
de la Cour suprême dans l'arrêt Jumaga c. R.
[1977] 1 R.C.S. 486, à la page 497 a dü
simplement:
Je ne vois pas comment l'appelant peut prétendre avoir éti
«privé» de ce qu'il n'a jamais réclamé.
Par conséquent, malheureusement pour l'argu-
ment d'EACL selon lequel l'erreur dans l'arrêt
MacBain touche la compétence inhérente de la
Commission et qu'elle ne peut donc pas faire l'ob-
jet d'une renonciation, les tribunaux n'ont pas du
tout examiné les questions de partialité en terme,
de compétence, même si, comme dans les arrêt,
French et Ringrose, ils auraient pu facilement le
faire.
Du point de vue de la logique cette attitude peut
bien comporter une certaine ambiguïté. L'ouvrage
canadien le plus récent, Jones et de Villars, Princi
ples of Administrative Law, Carswell, 1985, page
97, affirme que [TRADUCTION] «En principe,
toutes les mesures administratives ultra vires de
leur auteur sont nulles, non annulables et il n'y a
aucun degré d'invalidité», mais reconnaît à la page
98 que les juges de la Cour surpême dans l'arrêt
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S.
561, sont à la majorité d'opinion contraire. On
retrouve la même ambiguïté dans Halsbury, pré-
cité, et de Smith, précité, ainsi que dans les arrêts
de la Cour suprême du Canada eux-mêmes, car la
plupart de ceux qui portent sur ce point ont été
rendus par une cour divisée. Sans doute les tribu-
naux ont-ils été limités parce qu'ils se préoccu-
paient des conséquences pratiques d'une applica
tion trop rigide de la logique. L'un des auteurs de
common law les plus érudits, le juge Holmes, a
écrit il y a un siècle dans son ouvrage The
Common Law, à la page 1 que [TRADUCTION]
«L'existence du droit n'est pas fondée sur la logi-
que; elle est fondée sur l'expérience».
De toute façon, lorsque l'avocat d'EACL a été
mis en demeure par la Cour, il n'a pas été en
mesure de citer de jurisprudence à l'appui de sa
thèse juridique. Il a plutôt été obligé de se fonder
uniquement sur son interprétation de la nécessité
logique inhérente dans l'arrêt MacBain de cette
Cour. Une telle interprétation n'a aucune valeur
tant devant le texte exprès de l'arrêt MacBain que
devant le droit général.
Si on examine l'arrêt MacBain dans le cadre du
droit dans son ensemble, on peut, par conséquent,
en établir le contexte au moyen de trois simples
propositions: 1) n'eût été la Déclaration des droits,
l'esprit de la loi seule aurait constitué une réponse
complète à l'allégation de crainte raisonnable de
partialité; 2) la Déclaration des droits s'applique
pour annuler une telle violation des droits par la loi
dans la mesure où les droits ont été invoqués en
temps opportun; et 3) parce que la Déclaration des
droits en l'espèce agit seulement de façon négative,
pour empêcher la privation de droits, elle n'ac-
corde aucune protection à ceux qui renoncent à
leurs droits, même de façon implicite. En défini-
tive, le raisonnement de l'arrêt MacBain, fondé sur
l'effet de la Déclaration canadienne des droits, ne
peut s'appliquer à EACL qui jusqu'à maintenant
n'avait jamais réclamé son droit fondamental
d'échapper à toute crainte raisonnable de partia-
lité. Donc l'arrêt MacBain, selon ses propres
termes (précité, à la page 888 C.F.; 136 N.R.),
«s'adresse uniquement à l'appelant/requérant dans
la présente affaire et, il est possible, à des parties
dans d'autres affaires dont les faits sont identiques
à ceux de l'espèce». Ces autres situations dont les
faits sont identiques ne peuvent être que celles où
les parties visées ont affirmé leurs droits à la
première occasion.
Par conséquent, je suis d'avis de répondre à la
question qui a été posée de la manière suivante:
oui, compte tenu de la renonciation expresse et
implicite d'EACL à toute contestation de la com-
pétence du Tribunal fondée sur la crainte raison-
nable de partialité.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.