T-1645-81
Lorac Transport Ltd. (demanderesse)
c.
Propriétaires et autres intéressés dans la cargai-
son provenant du navire Atra, Satkab Co., minis-
tère de l'Énergie, République islamique d'Iran
(défendeurs)
Division de première instance, juge McNair—
Saint John (Nouveau-Brunswick), 12 septembre
1983; Ottawa, 12 avril 1984.
Droit international — Immunité de juridiction — Vente de
marchandises à une société iranienne — Impossibilité d'expé-
dier les marchandises par suite de l'état de guerre — Privilège
réclamé par la compagnie de transport sur la cargaison et
poursuite en vertu du contrat d'affrètement — Requête de la
défenderesse en rejet de l'action au motif d'immunité de
juridiction en tant qu'organe du gouvernement iranien —
Déclaration dans les statuts constitutifs de la défenderesse
qu'elle a notamment pour objet une activité commerciale —
Les déclarations solennelles que la défenderesse est un organe
gouvernemental ne sont pas concluantes — Tendance à ne pas
appliquer la doctrine de l'immunité de juridiction aux opéra-
tions commerciales des agences gouvernementales étrangères
— Examen de la jurisprudence démontrant la tendance —
Critère de l'alter ego — Rejet de la requête.
Compétence — Cour fédérale — Division de première ins
tance — Interprétation de l'art. 43(3) de la Loi — L'article
prévoit que la Cour ne peut exercer sa compétence en matière
réelle dans le cas des demandes prévues à l'art. 22(2) à moins
que l'objet de l'action n'appartienne au même propriétaire
qu'au moment où la cause d'action a pris naissance — Le lien
de compétence requis vise l'action et non le mandat — L'allé-
gation de la déclaration en matière de propriété suffit à
satisfaire au critère de compétence — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 22(2), 43(3).
Pratique — Signification d'un mandat de saisie-arrêt —
Les Règles n'exigent pas que la copie de la pièce soit certifiée
— Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 2,
302, 332(1), 1002(5)6), 1003(2),(6),(8).
Domtar, par contrat intervenu avec la défenderesse, Satkab,
a acheté des poteaux en bois traité. Il était stipulé que la loi qui
régirait le contrat et son interprétation serait la loi iranienne.
Satkab y est définie comme le ministère de l'Énergie iranien.
La demanderesse, qui n'était pas partie au contrat, a affrété
l'Atra et a conclu un contrat avec Domtar pour le transport des
marchandises. La cargaison a été embarquée à Saint-Jean,
mais il a fallu la décharger et l'entreposer lorsque la guerre a
éclaté entre l'Iran et l'Irak. La demanderesse prétend avoir un
privilège sur la cargaison en garantie des sommes qui lui
seraient dues en vertu du contrat d'affrètement. Elle a intenté
une action et fait saisir-arrêter la cargaison. Elle a obtenu un
jugement par défaut de produire une défense. Subséquemment,
la défenderesse a obtenu une ordonnance annulant le jugement
par défaut et l'autorisant à produire une comparution
conditionnelle.
Satkab, par la présente requête, conclut à une ordonnance de
rejet de l'action et à la levée de la garantie fournie pour les
raisons suivantes: (1) incompétence de la Cour; (2) défaut dans
la signification du mandat de saisie de la cargaison; (3) immu-
nité de juridiction de la défenderesse en tant qu'organisme du
gouvernement iranien.
Jugement: la requête est rejetée avec dépens.
(1) Dans son exception d'incompétence, la défenderesse invo-
que le paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale. Ce
paragraphe porte que la compétence in rem de la Cour ne peut
être exercée relativement à certaines demandes spécifiées au
paragraphe 22(2) de la Loi à moins que, au moment où l'action
est intentée, l'objet de l'action n'ait eu pour propriétaire en
equity celui qui en était propriétaire en equity au moment où la
cause d'action a pris naissance. Alors que la Règle 1003(I)
conçoit le mandat de saisie comme une étape accessoire à
l'action déjà engagée, la défenderesse ne fait pas cette distinc
tion et prétend que la question de la compétence s'attache au
mandat lui-même. Mais le texte du paragraphe 43(3) laisse
entendre que le lien de compétence requis vise l'action et non le
mandat. Quoi qu'il en soit, l'allégation dans la déclaration que
Satkab était à toutes les époques pertinentes propriétaire, ou
propriétaire en equity, de la cargaison satisfait au critère de
compétence.
(2) Pour étayer sa prétention que la signification du mandat
était irrégulière, la défenderesse note que la pièce «A» annexée
à l'affidavit de signification n'est pas une copie certifiée du
mandat. Cependant, il n'y a rien dans les Règles exigeant que
la copie de l'acte versée comme pièce au dossier soit une copie
certifiée conforme de l'acte original, en l'espèce, le mandat de
saisie.
(3) La défenderesse, Satkab, invoque la doctrine de l'immu-
nité de juridiction pour dire que les poteaux sont la propriété de
l'État iranien. Elle soutient qu'elle est un département du
ministère de l'Énergie. Les déclarations solennelles produites
par la défenderesse indiquent que Satkab a été constituée en
une compagnie fournissant et fabriquant du matériel électrique
dont les actions sont détenues par d'autres compagnies d'élec-
tricité régionales. Les actions des autres compagnies appartien-
nent au gouvernement iranien. Les dirigeants, administrateurs
et employés de Satkab sont des fonctionnaires iraniens dont les
salaires sont versés à même les fonds publics. Les statuts de la
compagnie disent que son objet comprend l'exercice de «toutes
activités et opérations commerciales». Le modèle suivi est donc
celui d'une société commerciale. Les déclarations solennelles
disant que Satkab est un organe gouvernemental doivent rece-
voir tout le poids qui leur est dû, mais elles ne sont nullement
concluantes et elles doivent être appréciées à la lumière des
autres preuves littérales. Un examen de toutes les preuves
administrées montrera si Satkab est contrôlée par le gouverne-
ment et exerce suffisamment de fonctions gouvernementales
pour constituer un organe d'État au sens véritable et non pas
une simple fiction.
Une tendance doctrinale se développe qui réprouve l'applica-
tion de l'immunité absolue de juridiction aux opérations com-
merciales ordinaires effectuées par des gouvernements étran-
gers ou leurs agences. On se référera à l'arrêt Flota Maritima
de Cuba où le juge Ritchie cite un auteur selon lequel l'expan-
sion des activités économiques de l'État moderne tend à rendre
impraticable la règle qui accorde à l'État agissant comme
commerçant une position privilégiée par rapport aux commer-
çants privés. Dans l'arrêt Gouvernement de la République
Démocratique du Congo c. Venne, le juge Laskin, dans une
forte dissidence, écrit que la doctrine de l'immunité de juridic-
tion absolue est morte. L'arrêt République du Congo doit être
distingué de l'espèce puisqu'il se drapait de tout l'apparat de
l'autorité souveraine.
La décision ontarienne Ferranti-Packard, où il a été jugé
que la Thruway Authority de l'État de New York pouvait être
poursuivie dans cette province, puisqu'elle n'était ni l'alter ego
ni un organe de l'État est aussi digne de mention. La Cour a
tenu compte de la fonction distincte de l'Administration, de la
nature de son activité commerciale et de son indépendance dans
l'établissement et l'exercice, à sa propre initiative, de sa politi-
que et de ses responsabilités.
Dans l'arrêt I Congreso, lord Denning, de la Cour d'appel, a
approuvé un énoncé du droit, fait il y a environ 100 ans, selon
lequel le prince ne peut [TRADUCTION] »se faire commerçant
pour son profit; puis, ayant encouru une obligation envers un
sujet de droit privé ... rejeter ... son déguisement et, apparais-
sant comme un souverain ... réclamer ... tous les attributs de
sa nature».
La jurisprudence en est arrivée à un point où la doctrine de
l'immunité de juridiction absolue ne s'applique plus aux opéra-
tions commerciales des gouvernements étrangers ou de leurs
agences, à moins que ces opérations ne revêtent clairement un
caractère gouvernemental ou souverain. Et pour que l'immunité
de juridiction soit reconnue dans les cas où un Etat érige une
entité juridique distincte pour faire des affaires d'ordre com
mercial, il doit être démontré que l'entité juridique, selon le
critère décisif de la fonction et du contrôle, et non simplement
du statut, est l'aller ego ou l'émanation de l'État lui-même.
Selon le principe général, la défenderesse ne peut profiter de
l'immunité de juridiction, car l'espèce dans son ensemble pos-
sède toutes les caractéristiques d'une opération commerciale
privée et se situe clairement en dehors de la sphère de l'activité
gouvernementale.
L'application du critère de l'alter ego conduit au même
résultat. Une étude des objets, des pouvoirs et de la structure
des actions de la défenderesse mène à la conclusion que quel
que soit le rôle gouvernemental qu'elle joue, il est insuffisant
pour en faire un simple fonctionnaire de l'État iranien.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Philippine Admiral, [1977] A.C. 373 (P.C.); Trend-
tex Trading Corporation v. Central Bank of Nigeria,
[1977] 1 Lloyd's Rep. 581; [1977] 1 Q.B. 529 (C.A.);
Ferranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al.
(1980), 115 DLR (3d) 691 (H.C. Ont.); I Congreso del
Partido, [1981] 3 W.L.R. 328 (H.L.); The Charkieh
(1873), L.R. 4 A.&E. 59.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Baccus S.R.L. v. Servicio Nacional del Trigo, [1957] I
Q.B. 438; [1956] 3 All E.R. 715 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Mellenger v. New Brunswick Development Corpn.,
[1971] 1 W.L.R. 604; [1971] 2 All ER 593 (C.A.); Flota
Maritima Browning de Cuba S.A. v. Republic of Cuba,
[1962] R.C.S. 598; 34 DLR (2d) 628; Gouvernement de
la République Démocratique du Congo c. Venne, [1971]
R.C.S. 997; 22 DLR (3d) 669.
DÉCISIONS CITÉES:
Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International
Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (I" inst.); Fowler &
Wolfe Manufacturing Co. and the Dominion Radiator
Co., Ltd., v. The Gurney Foundry Co., Ltd. (1913), 14
R.C.E. 336; Fredericton Housing Ltd. c. La Reine,
[1973] C.F. 681; 40 DLR (3d) 392 (C.A.).
AVOCATS:
Gerald M. Lawson et Christopher M. Correia
pour la demanderesse.
Robert Jette et Frederick Welsford pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Lawson & Lawson, Saint John (Nouveau-
Brunswick), pour la demanderesse.
Clark, Drummie & Co., Saint John (Nou-
veau-Brunswick), pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: La Cour est saisie d'une
requête de la défenderesse, Satkab Co., concluant
à une ordonnance de rejet de l'action de la deman-
deresse et à la levée de la garantie fournie, en
raison de l'incompétence de la Cour, d'un défaut
dans la signification du mandat de saisie de la
cargaison du navire Atra et de l'immunité de
juridiction de la défenderesse, Satkab Co., en tant
qu'organisme gouvernemental de la République
islamique d'Iran. La requête a été instruite à Saint
John, au Nouveau-Brunswick, le 12 septembre
1983; la demanderesse l'a contestée. La défende-
resse avait dans un premier temps excipé aussi de
certaines irrégularités dans la signification de la
déclaration, mais ce moyen a été abandonné en
raison de l'affidavit produit à l'instruction, qui y
remédiait.
Une cargaison de poteaux en bois traité, en
provenance du navire Atra, fait l'objet de l'action.
Le contrat d'achat des poteaux est daté du 16
octobre 1979. Il est intervenu entre la défende-
resse, Satkab Co., et Domtar Inc. Le contrat défi-
nit Satkab Co. comme étant le ministère de l'Éner-
gie de la République islamique d'Iran. Satkab Co.
a signé le contrat en cette capacité. Le prix pour la
fourniture et la livraison des poteaux de bois est de
1 603 025 $. Il est stipulé que la loi qui régira le
contrat et son interprétation sera la loi iranienne.
La livraison devait être faite à l'un ou l'autre de
deux ports du Sud iranien indiqués. La dcmandc-
resse n'est pas partie au contrat de fourniture et de
livraison des poteaux.
La demanderesse a affrété le navire Atra en
vertu d'une charte-partie conclue avec son proprié-
taire le 21 juillet 1980. Le chargeur, Domtar Inc.,
par son mandataire, a conclu un contrat d'affrète-
ment avec la demanderesse pour le transport de la
cargaison de poteaux de bois. Un connaissement a
été émis le 16 septembre 1980. La cargaison a été
chargée à bord de l'Atra au port de Saint John
entre le 19 septembre et le 2 octobre 1980. Le
connaissement a été négocié et la défenderesse,
Satkab Co., en est devenue le détenteur. Le 22
septembre 1980, la guerre éclatait entre l'Iran et
l'Irak. À cause du risque de guerre, la cargaison de
poteaux a été déchargée à Saint John et confiée à
la garde d'un entrepositaire. Cela s'est produit
entre le 26 novembre 1980 et le 21 janvier 1981.
La demanderesse prétend avoir un privilège sur la
cargaison, en vertu de la clause 12 du connaisse-
ment, en garantie des sommes réclamées sur le
fondement du contrat d'affrètement et des frais et
débours connexes. La somme totale réclamée
s'élève à 565 718,64 $, plus l'intérêt.
Le 26 février 1981, la demanderesse intentait
une action contre la défenderesse en produisant sa
déclaration. La demanderesse a fait saisir la car-
gaison par mandat lancé le même jour. La défen-
deresse a fourni une sûreté, sous forme d'une
garantie de la Banque Toronto-Dominion, de
650 000 $. La demanderesse a alors demandé la
levée de la saisie de la cargaison. Par ordonnance
ou directive du tribunal, en date du 7 janvier 1982,
il y a eu levée de la saisie-arrêt de la cargaison
sous condition du paiement des frais de shérif et
des débours engagés à son sujet.
Dans l'intervalle, d'autres événements se sont
produits. La défenderesse a été condamnée par
défaut pour non-production d'une défense le 6 avril
1981, les dommages-intérêts à être évalués ulté-
rieurement. La défenderesse a introduit une
requête en sursis de l'évaluation. Une ordonnance
a été prononcée le 4 mai, sursoyant à l'évaluation
pour 20 jours, assortie de conditions quant aux
frais. La défenderesse a introduit alors une requête
en annulation du jugement par défaut rendu par le
juge Addy, concluant à ce qu'elle soit autorisée à
produire une comparution conditionnelle. Le juge
Walsh a instruit la requête le 22 mai 1981 et
ordonnance a été rendue, annulant le jugement par
défaut, à la condition que la défenderesse paye à la
demanderesse les dépens taxés du jugement par
défaut, ceux de l'évaluation des dommages-intérêts
et ceux de la requête en annulation. L'ordonnance
autorisait la défenderesse à produire une comparu-
tion conditionnelle dans les cinq jours du paiement
de ces dépens. La comparution conditionnelle n'a
pas été produite avant le 6 mai 1983. Voilà quels
étaient les faits essentiels de l'affaire au moment
de l'introduction de la requête en rejet de l'action.
Le premier moyen concerne la compétence de la
Cour. La défenderesse s'appuie ici sur le paragra-
phe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2' Supp.), chap. 10] qui porte que la compé-
tence en matière d'action réelle conférée à la Cour
ne peut être exercée relativement à certaines
demandes spécifiées dans certains alinéas du para-
graphe 22(2) de la Loi à moins que, au moment où
l'action est intentée, l'objet de l'action n'ait eu
pour propriétaire en equity celui qui en était pro-
priétaire en equity au moment où la cause d'action
a pris naissance. L'action en l'espèce est une action
réelle. L'objet de l'action tombe dans la catégorie
de demandes visées à l'alinéa 22(2)i) de la Loi,
auxquelles le paragraphe 43(3) se rapporte. Cet
alinéa regroupe les demandes nées d'une conven
tion relative au transport de marchandises à bord
d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire
soit par charte-partie, soit autrement. La défende-
resse soutient que ces dispositions légales qui s'en-
trecroisent exigent que la Cour soit convaincue,
avant d'exercer sa compétence réelle en matière de
saisie-arrêt, que le bien qu'on veut saisir appartient
en equity à celui qui en était le propriétaire en
equity au moment de la naissance de la cause
d'action.
La Règle 1002 [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] distingue les actions in rem des
actions in personam. Le paragraphe 1002(5) pres-
crit le mode de signification de la déclaration dans
une action in rem.
La Règle 1003 porte sur la procédure de saisie.
Le paragraphe 1003 (1) dispose:
Règle 1003. (1) Dans une action in rem, un mandat de saisie de
biens peut être décerné à tout moment après le dépôt du
statement of claim ou déclaration.
Manifestement, le paragraphe conçoit le mandat
de saisie comme une étape ou une procédure acces-
soire à l'action déjà engagée. La défenderesse ne
fait pas cette distinction et prétend que la question
de la compétence s'attache au mandat lui-même.
J'estime qu'il faut donner un sens valable aux
expressions «au moment où l'action est intentée» et
«l'objet de l'action» du paragraphe 43(3) de la Loi.
Je suis d'avis que le lien de compétence requis vise
l'action et non le mandat de saisie exercé sous son
égide. D'ailleurs, l'alinéa 5 de la déclaration
allègue:
[TRADUCTION] 5. Ledit connaissement a été négocié au
moment approprié et Satkab Co. en est le détenteur; il s'agit
d'une société ayant son siège social en la ville de Téhéran, en
Iran, et, au moment où la cause d'action en l'espèce a pris
naissance et, à toutes les époques pertinentes depuis, elle a été,
et est toujours, propriétaire, ou propriétaire en equity, de ladite
cargaison.
Cette allégation suffit à satisfaire un critère de
compétence en ce qui concerne le moment où
l'action est née. Si, à un stade ultérieur du procès,
il s'avérait que les faits démontrés n'appuient pas
cette allégation, ce serait là une autre question et,
d'ailleurs, la demanderesse disposerait alors d'un
recours. Il est bien établi que la Cour ne mettra
pas fin à une instance ni ne déniera à un deman-
deur le droit de voir sa cause instruite, à moins
qu'il ne soit clair que l'action est frivole ou vexa-
toire, ou qu'il n'existe pas de cause raisonnable à
l'action de la demanderesse et que la laisser suivre
son cours serait un abus de ses voies de droit'.
Par les motifs qui précèdent, je rejette ce moyen.
Il s'ensuit que l'objection de la défenderesse, que
l'affidavit portant demande de mandat est du 26
janvier 1981, antérieur donc à l'institution de l'ac-
tion, échoue aussi.
' Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International
Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (l' a inst.), à la p. 259.
La défenderesse attaque l'affidavit portant
demande de mandat sur un autre plan. À l'alinéa 6
de l'affidavit, John E. Frawley, président de la
demanderesse, affirme:
[TRADUCTION] 6. J'ai toute raison de croire que ladite cargai-
son appartient en equity à la même personne qui en était
propriétaire en equity au moment où la cause d'action en
l'espèce a pris naissance.
La défenderesse objecte que le déposant fait
cette affirmation sans dire pourquoi il la croit
vraie, comme le prescrit le paragraphe 332(1).
Le paragraphe 1003(2) expose ce que doit con-
tenir un affidavit portant demande de mandat.
L'affidavit en l'espèce doit indiquer a) le nom,
l'adresse et la profession ou occupation du requé-
rant; b) la nature de la réclamation; c) qu'on n'a
pas fait droit à la réclamation; et d) la nature des
biens à saisir. Rien n'exige qu'on indique qui est
propriétaire en equity du bien à saisir. Certaine-
ment, si cela était nécessaire, le paragraphe le
dirait. Que les raisons donnant tout lieu de croire
ce que dit l'alinéa 6 de l'affidavit portant demande
de mandat ne soient pas indiquées dans cet alinéa
ne saurait constituer une objection péremptoire,
l'alinéa en cause n'ayant rien à voir avec le reste de
l'affidavit et pouvant en être détaché. Pour le
reste, l'affidavit est suffisant. En conséquence, je
dois conclure que l'affidavit portant demande de
mandat n'est pas entaché d'un vice à cet égard.
La défenderesse objecte ensuite que la significa
tion du mandat était irrégulière, comme le montre
l'affidavit de signification du shérif adjoint, M.
Frank Crilley. L'une des raisons de l'opposition
semble être que la pièce «A», annexée à l'affidavit
de signification, n'est pas une copie certifiée du
mandat. La défenderesse soutient qu'il y a absence
complète de preuve du mode de signification du
mandat.
Le paragraphe 1003(6) exige que le mandat soit
signifié de la façon prescrite dans le cas d'une
déclaration d'une action in rem. C'est un renvoi à
l'alinéa 1002(5)b), qui dispose gué la déclaration
doit être signifiée, si la cargaison n'est pas à bord
d'un navire, en fixant une copie certifiée de celle-ci
sur la cargaison et en l'y laissant fixée.
Le premier alinéa de l'affidavit de signification
dit que, le 26 février 1981, deux copies certifiées
du mandat produit en la cause à cette même date
ont été apposées sur la cargaison [TRADUCTION]
«... en provenance du navire `ATRA', à Pugsley
C, Saint John, N.-B.».
L'alinéa 2 de l'affidavit affirme que la pièce «A»
annexée est une copie conforme de l'original du
mandat.
La formule 3 des Règles prescrit la forme que
doit prendre un affidavit de signification. Voici le
paragraphe 2 de cette formule:
2. Qu'une copie dudit ... est la pièce (A) du présent
affidavit.
C'est ce que dit l'affidavit du shérif adjoint
Crilley. L'affidavit dit aussi que la copie conforme
ainsi signifiée a été authentiquée par la signature
d'un protonotaire de la Cour et qu'il porte le sceau
de la Cour.
Je ne trouve rien dans les Règles exigeant que la
copie de l'acte signifié versée comme pièce au
dossier doive être une copie certifiée conforme de
l'acte original, en l'espèce, le mandat de saisie. Le
moyen est donc rejeté.
La défenderesse oppose en outre que, d'après les
documents versés au dossier, aucune copie certifiée
du mandat n'a été délivrée par le greffe et que, en
conséquence, aucune copie certifiée n'a pu être
apposée sur la cargaison comme le prescrivent les
Règles. Il y a le certificat du préposé adjoint au
greffe, M. V. George, attestant que l'original du
mandat a été produit au greffe le 2 mars 1981, soit
le greffe local de la Cour à Saint John. Il y a aussi
le certificat de l'officier du greffe, Donna C. Brier-
ley, attestant que l'original du mandat de saisie a
été déposé dans les archives du greffe le 6 avril
1981. De toute évidence, il s'agit là du greffe
principal de la Cour à Ottawa. À mon avis, la
production du mandat au greffe de Saint John le 2
mars 1981 accomplissait effectivement la formalité
de la production et aussi court-circuitait l'exigence
de production «immédiatement» du paragraphe
1003(8). Les différences de date sont sans impor
tance. Une chose est claire—le mandat original de
saisie a été produit au greffe de Saint John après
sa délivrance le 26 février 1981. Cela n'interdisait
en rien l'authentification des copies de significa
tion le jour de la délivrance.
À la Règle 2, on trouve les dispositions interpré-
tatives. Elle définit comme suit l'expression copie
certifiée:
Règle 2. ...
«copie certifiée« d'un document, dans le cas d'un document
confié au greffe, désigne une copie du document certifiée par
un officier du greffe;
Le terme «confié» peut dénoter différentes nuan
ces de sens. Il peut dénoter la fugacité, le provi-
soire par opposition à la permanence. La défende-
resse semble lui attribuer le sens de «déposé en
permanence au dossier» et, de cette prémisse, elle
déduit que la copie certifiée du mandat ne pouvait
avoir été signifiée. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas
prêt à aller aussi loin, étant saisi d'un affidavit de
signification qui affirme que des copies certifiées
du mandat ont été apposées sur la cargaison. Le
fait que deux copies ont été apposées au lieu d'une
est sans conséquence. À mon avis, rien de tangible
ne vient contredire le fait que des copies certifiées
du mandat de saisie ont été régulièrement délivrées
et signifiées le 26 février 1981 et que l'original du
mandat a, peu après, été déposé au greffe. Le seul
vice que je perçoive dans la signification du
mandat, c'est la contradiction qui ressort de l'ali-
néa premier de l'affidavit de signification qui
affirme que l'original du mandat a été déposé au
dossier de la cause le 26 février 1981.
La Règle 302 porte sur les objections de forme
et les exigences à observer. L'alinéa a) dit qu'au-
cune procédure ne sera annulée pour une simple
objection de forme.
L'alinéa b) de la Règle dispose que l'inobserva-
tion de n'importe laquelle des Règles ou de n'im-
porte quelle règle de pratique en vigueur à l'épo-
que considérée n'entraînera la nullité d'un acte de
procédure que si la Cour déclare qu'il en est ainsi.
Il ajoute qu'une telle procédure peut être annulée
en tout ou en partie pour irrégularité, ou qu'elle
peut être rectifiée, ou autrement traitée, de la
manière et aux conditions que la Cour jugera à
propos.
L'alinéa c) dit notamment qu'une demande
d'annulation d'une procédure pour irrégularité ne
doit être reçue que si elle est présentée dans un
délai raisonnable.
La Cour est saisie de l'affaire depuis que l'action
a été intentée et le mandat de saisie lancé, le 26
février 1981. La comparution conditionnelle n'a
été produite que le 6 mai 1983. La défenderesse
vient maintenant, deux ans et demi plus tard,
opposer que la procédure de saisie était nulle ab
initio pour vices incurables dans la signification du
mandat.
La Cour, comme celle qui l'a précédée, a tou-
jours eu pour pratique de faire justice aux parties
et non de mettre fin à des instances pour simples
vices de formez.
Je suis d'avis que l'affirmation incorrecte de
l'affidavit de signification concernant le dépôt du
mandat le 26 février 1981, et les objections qui y
sont reliées, quant à sa délivrance et à sa significa
tion, ne sont au plus que de simples irrégularités et
non des vices incurables. En conséquence, ces
moyens d'opposition doivent aussi être rejetés.
Enfin, la défenderesse, Satkab Co., invoque la
doctrine de l'immunité de juridiction pour dire que
les poteaux en bois saisis sont la propriété de l'État
souverain d'Iran. Elle soutient être un département
du ministère de l'Énergie et, donc, faire partie
intégrante du gouvernement iranien. À l'appui de
ceci, la défenderesse dépose les déclarations solen-
nelles de M. Hossien Adeli, chargé d'affaires à
l'ambassade de la République islamique d'Iran, du
docteur Assad Alizadeh Nobarian, membre du
Conseil de direction et chef du département des
contrats de la défenderesse, et de M. M. H. Fadai
Fard, second secrétaire de l'ambassade d'Iran. Les
faits établis par ces déclarations solennelles peu-
vent être résumés comme suit.
Satkab Co. a été constituée en compagnie four-
nissant et fabricant du matériel électrique en vertu
de la loi iranienne. Son capital-actions est de 550
actions entièrement libérées. Ce sont d'autres com-
pagnies d'électricité régionales qui détiennent les
actions. Les actions de ces autres compagnies
appartiennent au gouvernement iranien et ne sont
pas transférables. On affirme que les membres de
la direction et les administrateurs et les employés
de Satkab Co. sont des fonctionnaires iraniens
2 Fowler & Wolfe Manufacturing Co. and the Dominion
Radiator Co., Ltd., v. The Gurney Foundry Co., Ltd.
(1913), 14 R.C.É. 336; Fredericton Housing Ltd. c. La Reine,
[1973] C.F. 681; 40 DLR (3d) 392 (C.A.).
dont les salaires sont versés à même les fonds
publics. Les statuts de la compagnie créent le poste
de directeur général, celui de vérificateur, un con-
seil d'administration et prévoient des assemblées
ordinaires et extraordinaires des actionnaires. Le
modèle suivi est celui d'une société commerciale.
L'article 4 définit l'objet pour lequel la compagnie
a été constituée comme suit:
[TRADUCTION]* Fournir, en gros ou au détail, préparer, mettre
au point et livrer tous genres de marchandises, machineries,
instruments et appareils de génération, de transport et de
distribution d'électricité, et fournir et distribuer de l'eau à la
demande des compagnies régionales d'hydro-électricité, des
organismes hydro-électriques ou d'autres institutions gouverne-
mentales ou non gouvernementales. Pour fournir ces services, la
compagnie est autorisée à exercer toutes activités et opérations
commerciales, à investir, à s'associer aux compagnies qui pro-
duisent les matériaux nécessaires pour fournir l'eau et l'électri-
cité au pays, et à acheter des matières premières pour satisfaire
aux exigences de ces dernières. [C'est moi qui souligne.]
L'article 13 énonce l'ordre du jour des affaires
courantes lors d'une assemblée générale des
actionnaires. La clause b) de cet article se réfère à
l'élection du conseil d'administration. La clause e)
traite du mode de distribution des profits. La
clause h) de l'article 13 stipule ce qui suit:
[TRADUCTION]* Fixer les salaires, les allocations et bonis des
membres du conseil d'administration et du directeur général,
compte dûment tenu des critères approuvés par le Conseil du
salaire et du traitement, et les honoraires du vérificateur.
Le directeur général est le principal dirigeant et
représentant juridique de la compagnie; les attri
butions qui lui sont conférées sont fort étendues. Il
est assez révélateur qu'il soit choisi par le conseil
d'administration et ne soit pas un représentant des
actionnaires.
L'article 16 stipule:
[TRADUCTION]* Le ministre de l'Énergie, le ministre des
Affaires économiques et financières, et un ou plusieurs autres
ministres, selon la décision du Conseil des ministres, ou leurs
représentants, représentent les actions du gouvernement aux
assemblées générales, ordinaires ou extraordinaires, et le minis-
tre de l'Énergie et le surintendant du ministère de l'Hydro-élec-
tricité présideront aux assemblées générales.
En vertu de l'article 26, la compagnie, par son
directeur général, peut ester, en défense ou en
demande, et engager des actions pénales ou civiles.
L'article 31 stipule que le profit net, après
déduction d'une réserve de 5 %, sera distribué aux
actionnaires et pourra, avec l'approbation de l'as-
* N.D.T.: Traduction française de la traduction anglaise du
persan fournie au greffe.
semblée générale, être déposé dans un compte de
capitalisation.
L'article 68 de la [TRADUCTION] Loi sur les
comptes publics vise les opérations commerciales
des ministères et institutions gouvernementales. En
général, celles-ci s'effectuent selon le principe de la
plus haute ou de la plus basse soumission, sauf
pour certaines exceptions, qui sont énumérées.
Aucune de ces exceptions ne concerne directement
les services d'électricité et de communication con-
trôlés par l'État.
Dans sa déclaration solennelle, le docteur Noba-
rian dit notamment que Satkab Co. a été consti-
tuée dans l'unique but d'agir à titre d'organisme
national d'achat et de distribution au service des
compagnies d'électricité régionales et que c'est
l'organe par lequel le gouvernement iranien met en
oeuvre sa politique d'extension de son réseau de
distribution d'électricité. La déclaration de M. M.
H. Adeli le confirme et ajoute que la défenderesse
a pour seule raison d'être de servir l'intérêt public
iranien. Dans sa déclaration solennelle, M. M. H.
Fadai Fard certifie que Satkab Co. est un orga-
nisme du gouvernement de la République islami-
que d'Iran, étant un département de son ministère
de l'Énergie, qu'elle jouit de tous les droits d'une
personne morale et que ses dirigeants et employés
sont au service du gouvernement de la République
islamique d'Iran. De telles attestations doivent
recevoir tout le poids qui leur est dû, mais elles ne
sont nullement concluantes. Elles doivent être
appréciées à la lumière des statuts et autres docu
ments connexes contenus dans les diverses pièces
jointes à ces déclarations solennelles.
Le critère applicable relève de la sphère de la
fonction et du contrôle. Il est nécessaire de consi-
dérer toutes les preuves administrées pour voir si la
défenderesse est contrôlée par le gouvernement et
exerce suffisamment de fonctions gouvernementa-
les pour constituer un organe d'État au sens vérita-
ble et non pas une simple fiction.
La demanderesse reconnaît que les poteaux
appartiennent à la défenderesse Satkab Co., mais
nie que la République islamique d'Iran en soit
propriétaire. Le litige se trouve ainsi circonscrit.
J'ai examiné soigneusement la jurisprudence
citée par les avocats des deux parties. L'avocat de
la défenderesse a plus particulièrement invoqué les
arrêts Baccus S.R.L. v. Servicio Nacional del
Trigo 3 , Mellenger v. New Brunswick Development
Corpn. 4 , Flota Maritima Browning de Cuba S.A.
v. Republic of Cubas et Gouvernement de la
République Démocratique du Congo c. Venne 6 .
L'avocat de la demanderesse a invoqué notamment
les arrêts Trendtex Trading Corporation v. Cen
tral Bank of Nigeria', Ferranti-Packard Ltd. v.
Cushman Rentals Ltd. et al. 8 et I Congreso del
Partido 9 .
Au cours des ans une tendance doctrinale est
apparue qui réprouve l'application de l'immunité
absolue de juridiction dans le cas d'opérations
commerciales ordinaires effectuées par des gouver-
nements étrangers ou leurs agences. Les auteurs et
certains juristes se sont montrés favorables à une
théorie de l'immunité de juridiction limitée lorsque
l'objet du litige est purement commercial.
La question a été exposée dans l'arrêt Baccus
S.R.L. v. Servicio Nacional del Trigo. La deman-
deresse avait engagé contre la défenderesse une
action en dommages-intérêts pour rupture d'un
contrat de vente de seigle. La défenderesse avait
statut de personne morale selon la loi espagnole et
certaines preuves avaient été rapportées qu'il
s'agissait d'un département du ministère espagnol
de l'Agriculture, nonobstant sa personnalité juridi-
que distincte. La Cour a jugé à la majorité qu'un
organe étatique étranger ne perdait pas son immu-
nité de juridiction simplement parce qu'il s'enga-
geait dans certaines activités commerciales par le
biais d'une entité juridique distincte. Le lord juge
Singleton fut dissident, pour le motif qu'on a tort
d'étendre le principe de l'immunité de juridiction à
une société ou personne morale constituée par un
État souverain, même s'il s'agit d'un organe de
l'État, lorsque l'activité en cause est de nature
commerciale.
3 [1957] 1 Q.B. 438; [1956] 3 All E.R. 715 (C.A.).
4 [1971] 1 W.L.R. 604; [1971] 2 All ER 593 (C.A.).
5 [1962] R.C.S. 598; 34 DLR (2d) 628.
6 [1971] R.C.S. 997; 22 DLR (3d) 669.
7 [1977] 1 Lloyd's Rep. 581; [1977] 1 Q.B. 529 (C.A.).
3 (1980), 115 DLR (3d) 691 (H.C. Ont.).
9 [1981] 3 W.L.R. 328 (H.L.).
Le lord juge Parker, qui a parlé au nom de la
majorité, a formulé cette réserve significative
([1956] 3 All E.R. 715, la page 736):
[TRADUCTION] Je ne pense pas que notre décision fasse
intervenir une reconnaissance élargie de l'immunité de juridic-
tion, car à cet égard les défendeurs sont un organe de l'État. Il
ne s'agit pas d'une compagnie par actions à responsabilité
limitée, dans laquelle l'Etat détient la majorité ou la totalité des
actions ni d'un organisme qui, pour cette raison ou une autre,
est entièrement distinct de l'État. Si c'était le cas, comme me
semble-t-il ce l'était dans l'espèce américaine à laquelle le
LORD JUGE SINGLETON s'est référé, accorder alors l'immunité
de juridiction à un tel organisme constituerait une extension
réelle du principe. [C'est moi qui souligne.]
L'arrêt Mellenger v. New Brunswick Develop
ment Corpn. a formulé de nouvelles directives pour
vérifier l'applicabilité de la doctrine de l'immunité
de juridiction à une personne morale constituée
pour promouvoir le développement industriel au
nom du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
Les activités de la société devaient être approuvées
par le gouvernement. Il avait été prouvé que la
société n'avait jamais exercé d'activités commer-
ciales. La société n'avait émis aucun capital-
actions. Les demandeurs ont esté en paiement de
leur commission pour avoir introduit une entre-
prise commerciale au Nouveau-Brunswick. Le
gouvernement lui-même était partie au contrat et
le Premier ministre du Nouveau-Brunswick avait
joué un rôle majeur dans les négociations. La
société n'avait conclu aucun contrat. La Cour
jugea que la société défenderesse jouissait de l'im-
munité de juridiction car elle était l'équivalent
d'un organe gouvernemental appliquant une politi-
que gouvernementale et était, à toutes fins, l'alter
ego, une partie intégrante du gouvernement du
Nouveau-Brunswick.
La théorie de l'immunité limitée gagna en
importance avec l'arrêt The Philippine Admiral 10 .
Dans cette espèce, le Conseil privé jugea que la
doctrine de l'immunité de juridiction absolue ne
s'appliquait pas à une action réelle mettant en
cause un navire gouvernemental exerçant des acti-
vités commerciales ordinaires, pour le motif que [à
la page 403]:
[TRADUCTION] ... la théorie de l'immunité limitée est plus
conforme à la justice ...
10 [1977] A.C. 373 (P.C.).
Leurs Seigneuries furent d'avis cependant que la
théorie de l'immunité absolue s'appliquait toujours
dans le cas des actions personnelles.
Puis vint l'arrêt Trendtex Trading Corporation
v. Central Bank of Nigeria. La banque défende-
resse avait été constituée banque centrale par une
loi nigériane. Elle battait monnaie et agissait à
titre de banquier et de conseiller financier auprès
du gouvernement du Nigeria, en plus d'agir pour
les autres banques. Ses affaires faisaient l'objet
d'un contrôle gouvernemental considérable. La
banque avait émis une lettre de crédit irrévocable
au nom de la demanderesse en paiement de ciment
que la demanderesse avait vendu à une compagnie
anglaise. Le ciment était destiné à la construction
de casernes. Il a été expédié au Nigeria sur la foi
d'un contrat d'achat du ministère de la Défense.
Le port de déchargement étant congestionné, on a
réclamé des surestaries. La banque a refusé d'ho-
norer la lettre de crédit et la demanderesse a
intenté une action. La demanderesse a fondé sa
demande sur l'inexécution de la lettre de crédit,
considérée comme un contrat commercial distinct.
La banque a plaidé immunité de juridiction en tant
qu'organe du gouvernement du Nigeria, nonob-
stant son statut d'entité juridique distincte. On
arguait que la banque était à ce point subordonnée
au gouvernement du Nigeria qu'elle en était une
partie intégrante. La Cour d'appel a appliqué le
critère de l'arrêt Mellenger, consistant à examiner
qu'elles étaient les fonctions de la banque et qui la
contrôlait, et a rejeté cet argument. Elle a jugé que
la banque, qui avait été créée en tant qu'entité
juridique distincte, sans aucune intention claire-
ment exprimée de lui conférer un statut gouverne-
mental, n'était ni une émanation, ni l'alter ego, ni
un organe de la Fédération du Nigeria. Le lord
juge Stevenson a fondé sa décison sur cet unique
motif. Ses collègues, lord Denning, M.R., et le lord
juge Shaw, ont été d'avis que, même si la banque
faisait partie du gouvernement du Nigeria, elle ne
pouvait échapper à une poursuite relative à une
lettre de crédit vu l'aspect commercial ordinaire de
l'opération, par opposition aux actes de nature
gouvernementale. Lord Denning est même allé
plus loin, disant qu'il préférait fonder sa décision
sur le motif qu'il n'y avait pas immunité dans le
cas d'opérations commerciales, même s'il s'agissait
d'un organe gouvernemental.
Plus près de nous, l'espèce présente est diffé-
rente de l'affaire Flota Maritima de Cuba, où la
Cour suprême du Canada a jugé que les navires
saisis appartenaient bien à la République de Cuba
et devaient donc nécessairement être considérés
comme des navires d'État, au sens traditionnel,
étant à l'abris de toute saisie en vertu de la doc
trine de l'immunité de l'État. La majorité des
juges saisis doutait que l'immunité puisse s'appli-
quer à la propriété d'un État étranger utilisée
uniquement à des fins commerciales. Le juge Rit-
chie a cité plusieurs extraits de travaux d'auteurs
reconnus en droit international, dont l'Internatio-
nal Law d'Oppenheim, 8e éd., 1955, vol. 1, à la
page 273, où il est dit:
[TRADUCTION] ... la vaste expansion des activités de l'État
moderne dans le domaine économique tend à rendre impratica-
ble la règle qui accorde à l'État agissant comme commerçant
une position privilégiée par rapport aux commerçants privés. La
plupart des États, y compris les États-Unis, ont maintenant
abandonné ou abandonnent la règle de l'immunité absolue des
États en regard de ce qui est habituellement décrit comme des
actes relevant du droit privé. La situation à cet égard en
Grande-Bretagne doit être considérée comme floue.
Cet arrêt a été suivi de l'arrêt Gouvernement de
la République Démocratique du Congo c. Venne,
où la Cour suprême, à la majorité, a jugé qu'un
litige contractuel entre l'architecte et l'Etat congo-
lais, au sujet de son pavillon national à l'Expo 67,
mettait en cause un Etat souverain étranger, dans
l'exercice d'actes publics d'État, et qu'il ne pouvait
être assigné devant nos tribunaux. Le juge Laskin
[tel était alors son titre], à l'opinion duquel le juge
Hall a souscrit, a inscrit une forte dissidence. Le
distingué juge concevait l'immunité réclamée du
point de vue de la fonction plutôt que de celui du
statut, pour conclure que la doctrine de l'immunité
de juridiction absolue était morte. On trouve le
fondement de sa dissidence dans le passage sui-
vant, à la page 1020:
Les raisons pour lesquelles, à mon avis, il est préférable de
considérer l'immunité du point de vue de la fonction plutôt que
de celui du statut ne tiennent pas simplement au rejet des
facteurs sur lesquels elle était auparavant censée reposer. Du
point de vue positif, il y a une simple question de justice envers
un demandeur; il y a le fait qu'il est raisonnable de reconnaître
l'égalité d'accès aux tribunaux internes à tous ceux qui partici-
pent à des activités internationales, même si l'une des parties à
une affaire est un État étranger ou un organisme de celui-ci; il
y a l'ordre juridique international à favoriser en faisant en sorte
que certains différends auxquels est partie un État étranger
relèvent de la compétence des tribunaux, même s'il s'agit de
tribunaux internes; et, évidemment, l'expansion des activités et
des services des différents États a brouillé la distinction entre
fonctions ou actes gouvernementaux et non gouvernementaux
(ou entre les domaines d'activité dits publics et privés), de sorte
qu'il est injuste de décider d'après le statut seulement si l'État
sera exempt des conséquences de ses actes.
À mon avis, ces deux arrêts de la Cour suprême
du Canada peuvent manifestement être distingués
de l'espèce car chacune de ces affaires se drapait
de tout l'apparat de l'autorité souveraine.
Ce qui nous amène à l'arrêt innovateur Fer-
ranti-Packard Ltd. v. Cushman Rentals Ltd. et al.
Il s'agissait de savoir dans cette espèce si la doc
trine de l'immunité de juridiction s'appliquait à la
Thruway Authority de l'État de New York (ci-
après l'Administration) et la protégeait de toute
action devant la Haute Cour de Justice de l'Onta-
rio, Cour divisionnaire, pour les dommages causés
aux transformateurs électriques de la demande-
resse par suite d'un accident survenu, au cours de
leur transport, sur les routes appartenant à l'Admi-
nistration. Les théories de l'immunité de juridic-
tion absolue et limitée ont été longuement expo
sées; la Cour a cependant choisi de disposer de
l'affaire en fonction de la doctrine de l'immunité
absolue énoncée par lord Denning dans l'arrêt
Trendtex Trading, à la page 559:
[TRADUCTION] La doctrine accorde l'immunité à un gouverne-
ment étranger ou à ses organismes d'État, ou à quiconque peut
être considéré comme un «alter ego ou organe« du
gouvernement.
La Cour a alors appliqué le critère du contrôle
et de la fonction que prescrivait cet arrêt. Ce qui a
soulevé la question décisive de savoir si l'Adminis-
tration était complètement contrôlée par l'État de
New York en ce sens qu'elle en était l'alter ego ou
un organe.
L'Administration était une corporation publique
créée par la loi, à qui avait été conférée la respon-
sabilité de construire, d'entretenir et d'exploiter un
réseau d'autoroutes dans l'État de New York. Sa
loi constitutive conférait à l'Administration le pou-
voir, notamment, d'acquérir des biens immobiliers,
de contracter, de fixer et de percevoir des droits et
frais de passage sur l'autoroute et d'émettre des
obligations. Elle disait que les officiers et employés
des organismes de l'État et de ses agences pou-
vaient être employés par l'Administration sans
perdre leur statut ou leurs droits de fonctionnaire.
La loi prévoyait expressément que l'Administra-
tion devait être considérée comme exerçant une
fonction gouvernementale dans l'exercice de son
objet et de ses pouvoirs. La Cour jugea que l'Ad-
ministration n'était ni l'alter ego ni un organe de
l'État de New York et ne pouvait donc être proté-
gée par la doctrine de l'immunité de juridiction,
compte tenu de sa fonction distincte, de la nature
de ses activités commerciales et de son indépen-
dance dans l'établissement et l'exercice, à sa
propre initiative, de sa politique et de ses responsa-
bilités. Autorisation d'en appeler à la Cour d'appel
de l'Ontario a été refusée: (1981), 123 D.L.R. (3d)
766.
Dans l'arrêt I Congreso, la Chambre des lords a
confirmé la doctrine de l'immunité de juridiction
limitée dans le cas des opérations commerciales
des États étrangers. L'affaire avait commencé par
un contrat commercial de vente de sucre intervenu
entre une entreprise commerciale de l'État cubain
et une entreprise chilienne. Le sucre a été chargé à
bord de deux navires, l'un appartenant à la Répu-
blique de Cuba et exploité par une entreprise
maritime de l'État cubain, et l'autre frété à l'entre-
prise maritime cubaine. Des chartes-parties ont été
conclues en vertu desquelles les cargaisons de sucre
devaient être expédiées à bord des deux navires à
destination du Chili. Un coup d'État renversa le
gouvernement chilien. Un nouveau gouvernement,
que le gouvernement cubain désapprouvait fort, a
pris le pouvoir. Les relations diplomatiques entre le
Chili et Cuba ont été rompues. Les deux navires
ont été déroutés sur ordre du gouvernement
cubain. L'un est finalement retourné à Cuba où sa
cargaison de sucre a été revendue. L'autre s'est
rendu au Viêt-nam du Nord où la cargaison de
sucre a été déchargée et offerte en cadeau au
peuple de ce pays. L'I Congreso del Partido, des-
tiné au commerce, était en construction en Angle-
terre. L'entreprise maritime de l'État cubain en a
d'abord obtenu le titre de propriété, mais la Répu-
blique de Cuba en est devenu finalement le pro-
priétaire. L'I Congreso a été retrouvé, des actions
réelles ont été engagées en conséquence de l'inexé-
cution du contrat de sucre par Cuba et le navire a
été saisi-arrêté. Cuba, par requête, a demandé
l'annulation des brefs et des procédures subséquen-
tes dans ces actions, invoquant la doctrine de
l'immunité de juridiction. Le tribunal de première
instance a fait droit aux conclusions de la requête.
Il y a eu appel. La Cour d'appel a rendu des avis
partagés également et, en conséquence, les appels
ont été rejetés. Les demandeurs se sont pourvus
devant la Chambre des lords. Les pourvois ont été
accueillis pour le motif général que la doctrine de
l'immunité de juridiction limitée s'appliquait, écar-
tant toute immunité absolue dans le cas d'opéra-
tions commerciales entre États étrangers ou leurs
agences, à moins que ces opérations ne soient du
domaine des actes publics tombant clairement
dans la sphère de l'activité gouvernementale ou
souveraine.
Lord Bridge of Harwich, faisant allusion à la
difficulté habituellement rencontrée lorsqu'on ten-
tait de circonscrire la doctrine de l'immunité abso-
lue dans des limites raisonnables, a exposé en
termes maintenant classiques la position anglaise
actuelle, à la page 351:
[TRADUCTION] Il me semble qu'on peut tirer de la jurispru
dence pertinente deux propositions qui peuvent souvent, comme
c'est le cas en l'espèce, offrir un guide utile pour décider si oui
ou non l'immunité de juridiction réclamée peut être accordée.
D'abord, si un État souverain assume volontairement une obli
gation de droit privé pure et simple, il ne peut, lorsqu'on
demande qu'il exécute cette obligation, se prévaloir de l'immu-
nité de juridiction pour le motif que la raison pour laquelle il a
assumé l'obligation revêtait un caractère souverain ou gouver-
nemental. Par exemple: l'État A commande des uniformes pour
son armée à un fournisseur de l'État B; poursuivi pour le prix
devant les tribunaux de l'État B, l'État A ne saurait revendi-
quer son immunité pour le motif que le maintien d'une armée
est une fonction souveraine. C'est élémentaire. Mais cela con
duit logiquement au second principe que, ayant assumé une
obligation de droit privé pure et simple, un Etat souverain ne
saurait justifier l'inexécution de l'obligation pour le motif que
la raison de l'inexécution revêt un caractère souverain ou
gouvernemental. Par exemple: l'État A ayant commandé des
uniformes pour son armée d'un fournisseur de l'État B, désa-
voue le contrat; poursuivi devant les tribunaux de l'État B en
dommages-intérêts, l'État A ne saurait se prévaloir de son
immunité pour le motif que, depuis l'octroi du contrat, un
gouvernement d'une nouvelle couleur politique a pris la décision
souveraine, dans le cadre d'une politique de désarmement total,
de licencier son armée.
En Cour d'appel, lorsqu'elle a statué sur l'affaire
I Congreso, lord Denning, dans son opinion favora
ble, a approuvé l'énoncé du droit qu'avait fait, il y
a environ 100 ans, sir Robert Phillimore dans
l'arrêt The Charkieh (1873), L.R. 4 A.&E. 59,
aux pages 99 et 100:
[TRADUCTION] Aucun principe de droit international, aucune
jurisprudence, aucun commentaire de juriste dont j'aie connais-
sance, n'est allé jusqu'à autoriser un prince souverain à se faire
commerçant pour son profit; puis, ayant encouru une obligation
envers un sujet de droit privé, à rejeter pour ainsi dire son
déguisement et, apparaissant comme un souverain, à réclamer à
son propre profit, et au préjudice du sujet de droit privé, pour la
première fois, tous les attributs de sa nature ...
Ainsi le mouvement imprimé au pendule l'a
ramené à son point de départ. À mon avis, le
principe général que l'on trouve en filigrane dans
la jurisprudence moderne se ramène à ceci—la
doctrine de l'immunité de juridiction absolue ne
s'applique plus aux opérations commerciales des
gouvernements étrangers ou de leurs agences ou
entités à moins que ces opérations, de par la nature
des actes les motivant ou de par leur objet, ne
revêtent clairement un caractère gouvernemental
ou souverain. Il y a cependant un principe connexe
plus étroit applicable à la doctrine de l'immunité
de juridiction dans le cas où un État érige sous son
égide une entité juridique distincte avec pouvoir de
faire des affaires d'ordre commercial. Pour que
l'immunité de juridiction soit reconnue en l'espèce,
l'entité juridique distincte, selon le critère décisif
de la fonction et du contrôle, et non simplement du
statut, doit être l'alter ego ou l'émanation de l'État
lui-même.
À mon sens, la défenderesse ne peut profiter de
l'immunité de juridiction selon le principe général
que je viens d'exposer. Je suis d'avis que l'espèce, y
compris le contrat de vente et la livraison des
poteaux, possède toutes les caractéristiques d'une
opération commerciale privée et se situe claire-
ment en dehors de la sphère de l'activité gouverne-
mentale ou souveraine.
Mais il existe un motif subsidiaire auquel l'autre
principe s'applique et qui m'amènerait au même
résultat. Il faut nécessairement en l'espèce s'attar-
der au contrat d'affrètement entre les parties
comme étant l'acte qui sert de fondement à l'opé-
ration, selon sa nature explicite, plutôt que selon
son objet, et non au contrat de vente des poteaux.
La défenderesse Satkab Co. a été constituée selon
la loi iranienne en tant que compagnie manufactu-
rière fournisseur d'électricité pour la génération et
la distribution d'électricité et d'eau aux institutions
gouvernementales ou non gouvernementales, avec
pouvoir de s'occuper en général de marchandises,
de machines et d'appareils s'y rapportant et de
faire des investissements. Elle détenait le pouvoir
général d'exercer toutes sortes d'activités commer-
ciales et de faire des opérations commerciales. La
défenderesse a été constituée en société ayant
toutes les caractéristiques d'une entreprise com-
merciale. Elle avait un capital-actions souscrit.
L'État propriétaire des actions se trouvait à tout le
moins à l'arrière-plan. Manifestement, la défende-
resse agissait de sa propre initiative en matières de
politique et de fonction. Quel que soit le rôle
gouvernemental que peut avoir joué la défende-
resse, il n'était pas suffisamment manifeste et
identifiable pour en faire un simple fonctionnaire
de l'État iranien. À mon avis, la défenderesse n'est
ni l'alter ego ni une émanation du gouvernement
iranien en aucun sens véritable. La défense d'im-
munité de juridiction échoue pour ce motif aussi.
En conséquence, la requête de la défenderesse
est rejetée sur tous ses points, avec les dépens
allant à la demanderesse.
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