T-548-84
Atlantic Lines & Navigation Company Inc.
(demanderesse)
c.
Navire Didymi et Didymi Corporation (défen-
deurs)
Division de première instance, juge Reed—Van-
couver, 16 mars; Ottawa, 11 mai 1984.
Droit maritime — Garantie — Navire saisi au Canada au
cours d'une action en dommages-intérêts intentée pour viola
tion d'un affrètement à temps, même si les parties ne sont pas
canadiennes et si les causes d'action n'ont pas pris naissance
au Canada — Demande de radiation de la déclaration ou de
suspension des procédures et de mainlevée de la saisie en
attendant qu'une décision soit rendue sur les procédures d'ar-
bitrage intentées en Angleterre sur le fondement d'une clause
d'arbitrage — La compétence de la Cour fédérale est invoquée
principalement dans le but d'obtenir une garantie — La société
défenderesse ne possède qu'un seul navire — Le fait pour une
partie de consentir dans une convention à recourir à l'arbitrage
ne signifie pas qu'elle renonce à exiger une garantie — Il n'est
pas nécessaire que la demanderesse fournisse une preuve très
convaincante qu'il serait impossible de faire exécuter toute
décision arbitrale — Ordonnance de mainlevée de la saisie du
navire sur engagement de fournir une garantie — Pas de
suspension des procédures — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2` Supp.), chap. 10, art. 22.
À la suite de violations de l'affrètement à temps qu'elle avait
conclu avec la société défenderesse, la demanderesse a engagé à
Londres des procédures d'arbitrage, conformément à la clause
d'arbitrage contenue dans la charte-partie.
Même si aucune des parties n'est canadienne et que les
causes d'action n'ont pas pris naissance au Canada, la deman-
deresse a intenté devant cette Cour une action en dommages-
intérêts fondée sur les mêmes causes d'action et a obtenu la
saisie du navire défendeur dans un port canadien.
La présente demande vise à obtenir la radiation de la décla-
ration ou la suspension de l'action et, dans les deux cas, la
mainlevée de la saisie du navire sans que le dépôt d'une
garantie ne soit nécessaire.
Jugement: la demande doit être accueillie en partie: la main-
levée de la saisie du navire est accordée, les avocats des
défendeurs s'engageant à ce qu'ils fournissent une garantie
satisfaisante.
La procédure d'arbitrage se poursuit activement en Angle-
terre. Il est clair qu'on n'a pas actuellement l'intention d'enga-
ger des procédures devant cette Cour dont la compétence a été
principalement invoquée pour obtenir une garantie pour les
demandes présentées. Étant donné que les parties reconnaissent
la compétence de la Cour, il s'agit en l'espèce de déterminer si
la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour sus-
pendre les procédures et accorder la mainlevée de la saisie du
navire sans que la société défenderesse fournisse de garantie. Il
n'y a pas lieu de suspendre les procédures parce qu'il importe
peu aux parties qu'elles soient suspendues ou non étant donné
qu'elles ne les poursuivent pas activement.
Dans les arrêts Seapearl et Vasso, où les parties ont invoqué
la compétence de la Cour pour faire saisir un navire même si
elles avaient conclu par contrat de recourir à l'arbitrage, la
mainlevée du navire a été accordée sans qu'il soit nécessaire de
fournir une garantie. La Cour en a décidé ainsi dans le premier
cas parce que la partie intéressée ne subirait aucun préjudice
par suite de la perte de la garantie, et dans le deuxième cas,
parce que la partie avait omis de divulguer des faits importants
et qu'elle poursuivait en même temps les procédures d'arbitrage
et les procédures engagées devant la cour.
Ces deux arrêts se distinguent de l'espèce par leurs faits. La
société défenderesse en l'espèce ne possède qu'un seul navire et
la demanderesse pourrait subir un préjudice par suite de la
perte de la garantie; seules les procédures d'arbitrage se pour-
suivent activement; et il n'y a pas eu non-divulgation d'éléments
importants. En outre, les arrêts The Rena K, The Atlantic Star
et The Makefjell limitent grandement la portée des commen-
taires contenus dans l'arrêt Vasso.
En ce qui concerne la question de savoir si la perte de la
garantie pourrait nuire au recouvrement final d'une indemnité
par la demanderesse, le fardeau de la preuve imposée à la
demanderesse ne devrait pas être très exigeant. En matière
d'amirauté, tout le déroulement des procédures in rem a
découlé de la nécessité de permettre à un demandeur d'engager
des poursuites contre le défendeur devant les tribunaux du lieu
où la décision pouvait être exécutée (parce que la chose s'y
trouvait), peu importait qu'il existât un autre lien entre le lieu
de l'action et la demande présentée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Rena K, [1979] Q.B. 377; The Atlantic Star, [1974]
A.C. 436 (H.L.); The Makefjell, [1975] I Lloyd's Rep.
528 (Q.B.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping
Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; 139
D.L.R. (3d) 669 (C.A.); The Vasso (formerly Andria),
[1984] 1 Lloyd's Rep. 235 (C.A. Ang.).
AVOCATS:
S. Harry Lipetz pour la demanderesse.
J. William Perrett pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Ray, Connell, Lightbody, Reynolds & Heller,
Vancouver, pour la demanderesse.
Campney & Murphy, Vancouver, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les défendeurs demandent la
radiation de la déclaration de la demanderesse ou
la suspension de son action, et dans les deux cas, la
mainlevée de la saisie du navire Didymi. Cette
demande m'a été soumise le 16 mars 1984, dans
les heures précédant le moment où le navire devait
se mettre en route pour la Finlande. Après avoir
entendu la requête, j'ai indiqué que je n'accorde-
rais la mainlevée de la saisie du navire que sur
dépôt d'une garantie par les défendeurs. J'ai en
même temps fait savoir que je déposerais des
motifs écrits à la demande des avocats; voici le
texte de ces motifs.
Il ressort de la déclaration déposée le 15 mars
1984 que la demanderesse, Atlantic Lines & Navi
gation Company Inc., est une société constituée en
vertu des lois de Panama et que son principal
établissement commercial est situé à Houston au
Texas. La défenderesse, Didymi Corporation, est
pour sa part une société constituée en vertu des lois
de Monrovia, dont le principal établissement com
mercial est situé au Pirée en Grèce.
La déclaration porte que les défendeurs ont
contrevenu comme suit à l'affrètement à temps:
premièrement, la défenderesse Didymi Corpora
tion, avant le moment convenu, a fait passer le
navire en cale sèche, ce qui a obligé la demande-
resse à affréter un autre navire; deuxièmement, le
Didymi n'a pas été chargé jusqu'au tirant d'eau ce
qui a eu pour résultat qu'une partie de la cargaison
a été exclue de l'embarquement; troisièmement, à
une autre occasion, le navire a été surchargé et a
dû être allégé à son arrivée à Port-Saïd (Egypte)
ce qui a entraîné des dépenses additionnelles.
La charte-partie en cause contient une clause
d'arbitrage qui prévoit:
[TRADUCTION] À moins que les parties s'entendent sur le choix
d'un arbitre unique, tout litige concernant le présent contrat
sera soumis à deux arbitres exerçant leurs activités commercia-
les à Londres et membres du Baltic Exchange; chaque partie
nommera un arbitre et ceux-ci seront à leur tour autorisés à
nommer un surarbitre, membre du Baltic Exchange.
La demanderesse a engagé à Londres des procé-
dures d'arbitrage relatives à la mise en cale sèche
prématurée en décembre 1981; ces procédures sont
maintenant au stade de la clôture des plaidoiries.
Les procédures d'arbitrage concernant l'omission
de charger une partie de la cargaison ont été
engagées en avril 1982 et les parties prévoient que
l'audition aura lieu pendant l'été de 1984. La
demande concernant la surcharge et l'allègement
subséquent du navire a été soumise à l'arbitrage le
16 mars 1984, le jour même où la présente
demande a été formée.
Il n'existe aucune preuve que les événements à
l'origine des trois actions en dommages-intérêts
présentement soumises à l'arbitrage à Londres se
sont produits dans des ports canadiens.
Le navire de la société défenderesse a été remis
à cette dernière le 29 février 1984, date de la fin de
l'affrètement à temps.
L'affidavit déposé à l'appui de la réponse de la
demanderesse à la requête des défendeurs porte:
[TRADUCTION] ... j'ai été informé ... et je le crois ... que la
société Didymi ne possède qu'un seul navire. Si aucune garantie
n'est fournie pour ces demandes présentées de bonne foi, nous
croyons qu'il existe un risque réel que toute décision arbitrale
future ne soit pas respectée .. .
Les défendeurs se sont appuyés principalement
sur deux décisions pour soutenir que la mainlevée
de la saisie du navire devrait lui être accordée sans
qu'elle ait à fournir de garantie: la décision de la
Cour d'appel dans l'arrêt Navire MIV Seapearl c.
Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de
Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; 139 D.L.R.
(3d) 669, et une décision récente de la Cour
d'appel d'Angleterre concernant le navire Vasso
(autrefois appelé le Andria), qui devrait être
publiée dans les Lloyd's Law Reports du mois de
mars [The Vasso (formerly Andria), [1984] 1
Lloyd's Rep. 235].
On n'a pas vraiment mis en doute que la Cour a
compétence pour saisir le navire et connaître des
procédures relatives à la violation de la charte-par-
tie. (Voir Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry
Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili)
(précité), le juge en chef Thurlow [dissident] à la
[page 167 C.F.] page 673 D.L.R., et l'article 22 de
la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 10].)
La décision de la Cour d'appel d'Angleterre
(l'affaire Vasso) invoquée par les défendeurs l'in-
dique clairement [à la page 241]:
[TRADUCTION] ... il nous est impossible de souscrire à son
opinion [celle du juge de première instance] voulant que la
Cour n'ait pas compétence pour saisir un navire, ou en mainte-
nir la saisie, lorsque le seul objectif du demandeur est d'obtenir
une garantie pour la décision rendue dans des procédures
d'arbitrage. Nous ne pouvons imaginer un cas où la compétence
de la Cour dépend de l'objectif visé par le demandeur en
invoquant celle-ci. En général, le terme «compétence» désigne
simplement un pouvoir de la Cour, ou dans des cas comme celui
dont il s'agit en l'espèce, le pouvoir de la Cour, «d'instruire»
certaines demandes et de «se prononcer», c'est-à-dire de statuer,
sur celles-ci. Ces demandes sont énoncées aux sous-alinéas de
ce qui était autrefois le paragraphe 1(1) de la Administration
of Justice Act, 1956 (aujourd'hui le paragraphe 20(2) de la
Supreme Court Act, 1981); il ressort du paragraphe 3(4) de la
Loi de 1956 (maintenant le paragraphe 21(4) de la Loi de
1981) que cette compétence peut être invoquée dans une action
in rem dans le cas de certaines de ces demandes seulement.
... la seule condition pour que la Cour soit compétente à lancer
un mandat de saisie est qu'un bref engageant une action in rem
doit avoir été décerné.
Il en résulte qu'en toute déférence, il nous est impossible de
conclure comme le juge Brandon qu'une cour d'amirauté n'est
pas habilitée à saisir un navire, ou à en maintenir la saisie,
lorsque le seul objectif du demandeur est d'obtenir une garantie
pour la décision rendue dans des procédures d'arbitrage; ...
Les avocats ont admis que la compétence de la
Cour en ce qui concerne l'affaire en instance est la
même que celle de la Cour d'amirauté d'Angle-
terre mentionnée dans l'affaire Vasso.
Par conséquent, il s'agissait à mon avis en l'es-
pèce de déterminer si la Cour devait ou non exer-
cer son pouvoir discrétionnaire pour suspendre les
procédures et accorder la mainlevée de la saisie du
navire sans que les défendeurs fournissent de
garantie.
Se fondant sur les deux décisions mentionnées
plus haut, l'avocat des défendeurs a allégué que la
Cour devait exercer son pouvoir. Il a cité en parti-
culier la décision du juge Pratte dans l'arrêt Sea-
pearl (précité), [aux pages 176 et 177 C.F.] page
681 D.L.R.:
A priori, une requête en sursis d'instance engagée en Cour
fédérale, contrairement à l'engagement de soumettre le litige à
l'arbitrage ou à une juridiction étrangère, devrait être accueillie
car, en règle générale, on doit respecter ses engagements. Pour
écarter cette règle, il faut [TRADUCTION] «des motifs impé-
rieux», c'est-à-dire des motifs permettant de conclure qu'il ne
serait ni raisonnable ni juste, dans le cas d'espèce, de forcer la
demanderesse à respecter sa promesse et de donner effet au
contrat conclu avec la défenderesse. C'est le principe qu'on
applique maintenant en Angleterre (The «Adolph Warski» and
The «Sniadecki», [1976] 1 Lloyd's Rep. 107 (Q.B.), confirmée
par [1976] 2 Lloyd's Rep. 241 (C.A.); Kitchens of Sara Lee
(Canada) Ltd. et al. v. AIS Falkefjell et al. (The «Makefjell»),
[1975] 1 Lloyd's Rep. 528 (Q.B.); [1976] 2 Lloyd's Rep. 29
(C.A.); Owners of Cargo Lately Laden on Board The Ship or
Vessel Eleftheria v. The Eleftheria (Owners), [1969] 2 All E.R.
641; [1969] 1 Lloyd's Rep. 237 (Adm.); The «Fehmarn»,
[1957] 2 All E.R. 707 (P.D.A.); [1958] 1 All E.R. 333 (C.A.).)
et aux États-Unis (Zapata Offshore Co. v. The «Bremen» and
Unterweser Reederee G.M.B.H. (The Chaparrall), [1972] 2
Lloyd's Rep. 315 (U.S. Sup. Ct.).); c'est aussi à mon avis le
principe que doit appliquer notre juridiction.
Il s'agit cependant en l'espèce d'un cas différent
de celui dont la Cour d'appel avait été saisie dans
l'affaire Seapearl. La demanderesse dans cette
affaire avait accepté, par une clause d'arbitrage
contenue dans l'affrètement à temps, de soumettre
ses demandes à l'arbitrage à Londres. Un arbitre
avait été nommé à cette fin, mais il était évident
que la demanderesse n'avait pas l'intention de
suivre la procédure d'arbitrage. Elle espérait au
contraire que la Cour fédérale connaîtrait de sa
demande. En l'espèce, la demanderesse suit active-
ment la procédure d'arbitrage prévue à la clause
d'arbitrage contenue dans la charte-partie. Il est
clair qu'elle n'a pas actuellement l'intention d'en-
gager des procédures devant la Cour. La compé-
tence de cette dernière a été principalement invo-
quée pour obtenir une garantie pour les demandes
présentées. L'ordonnance demandée à la Cour par
les défendeurs ne vise pas la suspension de procé-
dures intentées devant deux instances ou celle de
procédures intentées devant un autre tribunal que
celui dont les parties avaient convenu, mais consti-
tue simplement un moyen pour éviter qu'ils aient à
fournir pour les demandes une garantie, une
garantie bancaire ou le certificat d'une mutuelle.
Il est vrai que dans l'arrêt Seapearl la suspen
sion des procédures a annulé l'effet de la garantie
bancaire donnée à la demanderesse étant donné
que cette garantie ne concernait que des procédu-
res sur lesquelles la Cour fédérale devait statuer,
mais il ne s'agissait que d'un effet secondaire de la
décision de la Cour d'appel, le principal objectif
étant d'obliger les parties à résoudre leur différend
devant le tribunal qu'elles avaient choisi par con-
trat. De plus, le juge Pratte a dit à la [page 179
C.F.] page 683 D.L.R. de cet arrêt:
Si les pièces dont nous sommes saisis montrent, ou laissent
craindre, qu'en l'absence de sûreté l'intimée ne pourra obtenir
le paiement, le cas échéant, de la sentence arbitrale, il ne faut
pas alors, à mon avis, refuser le sursis; il faut l'accorder sous la
condition qu'une sûreté alternative, n'ayant aucun lien avec la
Cour, sera fournie pour satisfaire à la sentence arbitrale.
Toutefois, je ne pense pas que la Cour serait justifiée d'imposer
une semblable condition à l'appelante car rien au dossier
n'indique que l'intimée subira un préjudice réel par suite de la
perte de la sûreté.
La décision que j'ai rendue en l'espèce entre, à
mon avis, dans les limites des principes dégagés
par le juge Pratte. Je n'ai pas ordonné la suspen
sion des procédures (en fait, il importe peu aux
parties que ces procédures soient ou non suspen-
dues étant donné qu'elles ne les poursuivent pas
activement), mais j'ai accordé la mainlevée de la
saisie du navire sur l'engagement des procureurs
des défendeurs qu'une garantie appropriée serait
fournie. En outre, bien que dans l'arrêt Seapearl le
juge Pratte ait pu affirmer [à la page 179 C.F.;
page 683 D.L.R.] que rien au dossier n'indiquait
que la demanderesse subirait un préjudice par
suite de la perte de la sûreté, le risque mentionné
dans l'affidavit présenté à l'appui de la preuve de
la demanderesse (cité plus haut) indique plutôt le
contraire.
L'avocat des défendeurs a invoqué en deuxième
lieu la décision récente de la Cour d'appel d'Angle-
terre dans l'affaire Vasso (appelé autrefois le
Andria) qui doit être publiée dans les Lloyd's Law
Reports du mois de mars. (L'avocat a été incapa
ble de me fournir l'intitulé exact de cette affaire,
mais il a toutefois mis une copie de cette décision à
ma disposition.)
Dans cette affaire, la Cour d'appel a suspendu
les procédures intentées par le demandeur pour les
dommages subis par les marchandises transportées
par le navire défendeur en vertu d'une charte-par-
tie et a libéré les défendeurs de la garantie qu'ils
avaient consentie pour obtenir la mainlevée de la
saisie du navire. Il est nécessaire d'exposer en
détail les faits de cette affaire.
La demande en dommages-intérêts a débuté en
février 1979. Le demandeur a alors intenté trois
actions: une action en Grèce, une action in rem
devant la Cour d'amirauté d'Angleterre et une
action in personam devant les Commercial Courts
d'Angleterre. Les brefs des deux dernières actions
ont été décernés mais non signifiés. Les parties ont
ensuite commencé des négociations et ont finale-
ment conclu une convention d'arbitrage ad hoc
pour la solution du litige. Cette convention avait
pour condition la cessation des procédures enga
gées devant les tribunaux grecs mais non celle des
procédures engagées en Angleterre parce que le
défendeur ignorait leur existence étant donné que
les brefs ne lui avaient pas été signifiés. En juillet
1981, le Andria a été vendu à d'autres armateurs
et son nom a été changé pour celui de Vasso. À
cette époque, le demandeur et le défendeur pour-
suivaient activement les procédures d'arbitrage
selon la méthode prescrite. Lorsque le navire est
entré dans les eaux territoriales anglaises après son
changement de propriétaire, le demandeur a fait
signifier le bref et a fait saisir le navire afin de
s'assurer une garantie pour sa demande. Il n'était
nullement mentionné dans l'affidavit déposé à l'ap-
pui de la demande de délivrance d'un bref de saisie
que les parties avaient conclu en avril 1981, après
la présentation de la demande de dommages-inté-
rêts, une convention d'arbitrage ad hoc ni que
l'arbitrage se poursuivait activement. Les-- défen-
deurs ont déposé un engagement d'une mutuelle de
protection et d'indemnisation pour obtenir la
mainlevée de la saisie du navire et ont ensuite
engagé des procédures visant à faire suspendre
l'action in rem et à les libérer de l'obligation de
fournir une garantie.
En concluant comme elle l'a fait sur l'exercice
du pouvoir discrétionnaire, la Cour d'appel a dit [à
la page 242]:
[TRADUCTION] ... la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir
de saisir un navire dans une action in rem dans le but de fournir
une garantie pour l'exécution de la décision qui pourra être
rendue dans des procédures d'arbitrage parce que le but de ce
pouvoir est de fournir une garantie en ce qui concerne l'action
in rem et non en ce qui concerne d'autres procédures, comme
par exemple, les procédures d'arbitrage.
La Cour a cependant ajouté [à la page 241]:
[TRADUCTION] La décision de la Cour quant à l'exercice de
l'un ou l'autre de ces pouvoirs [la suspension des procédures ou
la libération de l'obligation de fournir une garantie] peut être
influencée par la manière par laquelle le demandeur a procédé
ou le but dans lequel il a agi.
Et elle a dit en ce qui concerne les faits particuliers
de l'espèce [aux pages 242 et 243]:
[TRADUCTION] Non seulement a-t-il [le demandeur] omis de
révéler à la Cour des faits pertinents pour une demande ex
parte, mais il a poursuivi en même temps des procédures devant
la Cour et des procédures d'arbitrage, ce qui constitue un abus
de procédures (sauf si le demandeur cherche à obtenir, à partir
d'éléments de preuve appropriés, une garantie pour son action
en se fondant sur le principe dégagé dans l'affaire The Rena
K). Dans ce cas, la Cour peut, après avoir été mise au courant
des faits pertinents, ordonner la mainlevée de la saisie du navire
et la remise de toute garantie fournie à la suite de la saisie.
M. Buckley a soutenu pour les appelants que, compte tenu
des faits, ceux-ci avaient le droit de faire saisir le navire sur le
fondement du principe dégagé dans l'affaire The Rena K étant
donné qu'il était vraisemblable que les intimés, ayant cédé leur
seul bien, n'auraient pas les moyens de satisfaire à une décision
arbitrale ... Le problème soulevé toutefois par cette prétention
est que, même si les faits peuvent jouer en faveur de l'obtention
d'une garantie dans l'action sur le fondement du principe
dégagé dans l'affaire The Rena K, aucune déclaration n'a été
faite sur ces faits dans l'affidavit déposé à l'appui de la
demande de délivrance d'un bref de saisie, qui, en temps
opportun, a amené la mutuelle à accorder une lettre de garan-
tie. Il est évident que, dans des procédures ex parte, le requé-
rant doit révéler honnêtement à la Cour tous les faits dont il est
au courant, et que l'omission de faire une telle divulgation peut
entraîner la révocation de toute ordonnance rendue sur la
demande ex parte, même si les faits étaient tels que leur
divulgation complète aurait justifié le prononcé de l'ordonnance
Dans la première citation, les commentaires de
la Cour d'appel, qui semblent indiquer qu'un tribu
nal devrait toujours exercer son pouvoir discrétion-
naire de suspendre les procédures et d'accorder la
mainlevée de la saisie d'un navire sans qu'une
garantie soit fournie lorsque les parties ont con-
venu de suivre des procédures d'arbitrage, avaient
probablement un sens plus étroit que celui décou-
lant de leur interprétation littérale. Il serait inap-
proprié d'accorder une interprétation large à ces
commentaires en raison même de la jurisprudence
invoquée dans l'arrêt Vasso lui-même. En effet,
dans le paragraphe précédant immédiatement les
commentaires en question, il est fait mention de
l'arrêt The Rena K, [1979] Q.B. 377, et du fait
que, dans cette affaire, la Cour a ordonné le
maintien de la garantie même si l'arbitrage était
en cours. Cette ordonnance a été rendue parce
qu'il était possible que les demandeurs aient à
poursuivre l'action in rem (en utilisant peut-être
une décision arbitrale inéxécutée comme fin de
non-recevoir) afin d'obtenir l'exécution de la déci-
sion arbitrale. La Cour a déclaré aux pages 403 et
404 de l'arrêt The Rena K:
[TRADUCTION] ... on a suggéré pour les armateurs qu'une
partie à une convention d'arbitrage devrait être traitée comme
si, en concluant une telle entente, elle avait renoncé aux droits à
une garantie qu'elle aurait possédés par ailleurs pour toute
réclamation prévue par la convention.
Je ne suis pas du tout d'accord avec une telle proposition. Le
choix du tribunal chargé de statuer sur le bien fondé d'un litige
est une chose, le droit à une garantie en ce qui concerne les
demandes découlant du droit maritime de ce pays en est une
autre. Cette distinction a été reconnue et appliquée par la
manière dont le tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire en
ce qui concerne des clauses attributives de juridiction et des
affaires relatives à des abus de procédures, où il a d'un côté
considéré que le droit du demandeur à une garantie constituait
un élément important pour refuser une suspension des procédu-
res (The Athenee (1922) 11 LI.L. Rep. 6 et The Fehmarn
[1957] 1 W.L.R. 815) ou il a accordé de l'autre une suspension
des procédures à la condition qu'une garantie subsidiaire soit
prévue: The Eleftheria [1970] P. 94, The Atlantic Star [1974]
A.C. 436, et plus récemment, The Makefjell [1975] 1 Lloyd's
Rep. 528; [1976] 2 Lloyd's Rep. 29.
Si cette distinction entre d'une part le choix du tribunal et de
l'autre, le droit à une garantie est reconnue et appliquée dans
des causes portant sur des clauses attributives de juridiction et
dans des causes relatives à des abus de procédures, je ne vois
aucune raison pour laquelle elle ne pourrait également être
reconnue et appliquée dans des affaires d'arbitrage ...
En outre, il semble que le raisonnement suivi par
la Chambre des lords dans l'affaire The Atlantic
Star, [1974] A.C. 436, va complètement à l'encon-
tre d'une interprétation large des commentaires
contenus dans l'arrêt Vasso. Dans l'arrêt Atlantic
Star, la majorité des membres de la Cour ont jugé
qu'il fallait obliger le demandeur en cause à se
conformer à la clause d'arbitrage qui avait été
conclue par contrat et à soumettre sa cause aux
tribunaux belges. Cependant, en rendant cette
décision, ils ont accordé une grande importance au
fait que le défendeur avait accepté de fournir une
garantie pour toute décision qui pourrait être
rendue contre lui. Lord Reid a dit à la page 454:
[TRADUCTION] ... je ne considèrerais pas nécessairement
qu'un étranger qui saisit un navire en Angleterre cherche à se
trouver un tribunal. Le droit de saisir un navire est un droit
ancien, dont l'exercice est souvent nécessaire. Il peut autrement
être difficile de déterminer quel tribunal est compétent, mais la
saisie fournit au saississant une garantie qui peut se révéler très
utile.
En l'espèce cependant, ce n'est pas le cas. Procéder devant le
tribunal belge compétent ne présente aucune difficulté et les
appelants ont offert de fournir une garantie devant ce tribunal.
Pour sa part, lord Wilberforce a dit à la page 470:
[TRADUCTION] Habituellement, le motif pour intenter des
procédures in rem devant la présente Cour est d'obtenir, par
voie de saisie, une garantie pour la demande ... Si l'objet de la
poursuite en l'espèce est d'obtenir une garantie, on pourrait
difficilement nier qu'il s'agissait d'un «avantage» qu'un deman-
deur peut légitimement solliciter et que cela constituerait une
injustice de le refuser. Ce n'est cependant pas le cas en l'espèce.
La défenderesse, propriétaire de l'Atlantic Star, est la Holland
America Line, une des principales entreprises de navigation
située aux Pays-Bas...
En ce qui concerne la garantie, il obtiendra tout ce dont il a
besoin s'il intente son action à Anvers.
Voir aussi lord Kilbrandon à la page 478 et lord
Simon of Glaisdale [dissident] à la page 472.
J'aimerais également mentionner un passage tiré
de l'arrêt The Makefjell, [ 1975] 1 Lloyd's Rep.
528 (Q.B.), où le juge Brandon a obligé les parties
à résoudre leur litige à Oslo, Norvège, conformé-
ment aux conditions du connaissement. L'échange
suivant a eu lieu à la page 535 de la décision au
moment de la détermination de la forme finale de
l'ordonnance du juge Brandon:
[TRADUCTION] Le juge BRANDON: Oui. Puis-je vous interro-
ger sur la question de la garantie? S'il devait y avoir une
suspension des procédures de l'action in rem, je crois qu'elle
pourrait être accordée à juste titre à la condition que vous
fournissiez une garantie équivalente en Norvège.
M. DEAN: Mes instructions, et celles de mon chef, ont
toujours été que les défendeurs sont prêts à offrir une garantie
raisonnable en Norvège.
À mon avis, il ressort de cette jurisprudence
qu'il ne faut pas accorder un sens trop large aux
commentaires contenus dans l'arrêt Vasso. Il ne
fait aucun doute que dans cette affaire, il existait
des raisons suffisantes pour que la Cour exerce son
pouvoir discrétionnaire d'accorder la mainlevée de
la saisie du navire sans exiger qu'une garantie soit
fournie en contrepartie; ainsi par exemple, le fait
que le demandeur n'ait pas révélé tous les éléments
essentiels dans son affidavit; le fait que le deman-
deur ait obtenu la délivrance de brefs par des
tribunaux anglais, mais qu'il n'en ait pas informé
la défenderesse pendant les négociations qui ont
mené à leur décision commune de se soumettre à
l'arbitrage, et le fait que ces brefs n'ont pas été
signifiés tant que le navire ne s'est pas retrouvé en
possession d'un tiers.
On a suggéré en l'espèce que la demanderesse ne
s'était également pas montrée très franche parce
qu'elle n'a pas révélé qu'elle retenait une somme
d'environ 228 952 $ U.S., représentant les frais de
location du navire qui étaient dus aux défendeurs
le 29 février 1984. La demanderesse réclame une
somme totale d'environ 497 884 $ U.S. Je ne crois
pas que la non-divulgation de ce fait dans l'affida-
vit déposé pour obtenir le bref de saisie était de
nature à induire en erreur. Il ne s'agit pas du tout
du même genre de non-divulgation que dans l'arrêt
Vasso, et je n'exercerai pas mon pouvoir discré-
tionnaire contre la demanderesse pour cette simple
raison. Comme l'a volontiers admis l'avocat de la
demanderesse, la somme totale retenue par cette
dernière est évidemment un élément dont il faut
tenir compte pour déterminer quel doit être le
montant de la garantie.
Il reste un dernier point à examiner. L'avocat
des défendeurs a soutenu que, même s'il était
approprié de refuser la mainlevée de la saisie d'un
navire dans certaines circonstances, dans un cas
comme celui dont il s'agit en l'espèce où seule une
garantie subsidiaire est fournie, il ne faut pas
refuser la mainlevée à moins qu'il existe une
preuve convaincante qu'il serait impossible de faire
exécuter toute décision arbitrale. Il a invoqué le
raisonnement du juge Pratte à [la page 179 C.F.]
la page 683 D.L.R. de l'arrêt Seapearl (précité).
Je ne crois pas que le juge Pratte se soit penché sur
le genre ou sur le degré de preuve nécessaire. Il a
simplement fait remarquer qu'il jugeait que rien
au dossier «n'indique que l'intimée subira un préju-
dice réel par suite de la perte de la sûreté.»
Lorsqu'il est évident que la perte de la garantie
ne peut nuire au recouvrement final d'une indem-
nité par le demandeur, comme c'était le cas dans
l'arrêt Atlantic Star (précité), il n'est pas néces-
saire d'accorder une mainlevée conditionnelle du
navire. Ou encore, comme cela arrive souvent,
lorsque le défendeur fournit volontairement une
garantie sous une forme ou une autre, la question
ne se pose pas. Cependant, je ne crois pas que,
dans les autres cas, le fardeau de la preuve imposé
au demandeur devrait être très exigeant. Après
tout, ce sont la situation financière du défendeur et
ses intentions en ce qui concerne la disposition et le
traitement du navire qui sont pertinents, éléments
dont le défendeur a une meilleure connaissance
que le demandeur. Il ne faut pas oublier que les
deux parties auront souvent un océan entre elles et
que le demandeur n'aura pas facilement accès à
ces renseignements. En matière d'amirauté, tout le
déroulement des procédures in rem a découlé de la
nécessité de permettre à un demandeur d'engager
des poursuites contre le défendeur devant les tribu-
naux du lieu où la décision pouvait être exécutée
(parce que la chose s'y trouvait). De telles actions
étaient donc permises peu importait qu'il existât
un autre lien entre le lieu de l'action et la demande
présentée.
Par conséquent, je conclus que la demanderesse
a satisfait aux exigences qui lui étaient imposées
en l'espèce. J'accorde donc la mainlevée de la
saisie du navire de la défenderesse, les avocats des
défendeurs s'engageant à ce qu'ils fournissent une
garantie dont la forme et le montant satisferont la
demanderesse.
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