T-7060-82
Michael Bishop et Agence canadienne des droits
de reproduction musicale limitée (demandeurs)
c.
Martin Stevens, P.B.I. Records, Manacord Pub.,
François Pilon, Son Soleil Inc., Downstairs
Records Ltd., Unidisc Productions Ltd., Télé-
Métropole inc., CRC Records Ltd. et Enregistre-
ments Audiobec Canada Inc.—Audiobec Recor
ding Canada Inc. (défendeurs)
Division de première instance, juge Strayer—
Toronto, 15, 16, 17, 18 et 19 octobre 1984;
Ottawa, 15 avril 1985.
Droit d'auteur — Préenregistrement d'une chanson pour fin
de diffusion — Le processus de délivrance des licences prévu
aux art. 48 à 50 de la Loi autorise-t-il le préenregistrement
pour des fins de diffusion? — Il faut interpréter l'art. 48 en
tenant compte des autres dispositions de la Loi — La défini-
tion du terme «exécution» contenue à l'art. 2 est muette en ce
qui concerne l'enregistrement, c'est-à-dire la conservation de
l'exécution à l'aide de moyens mécaniques ou électroniques
pour une représentation future — La Loi établit une distinc
tion entre l'enregistrement et l'exécution — Le processus de
délivrance des licences se limite aux «droits d'exécution» et
n'est pas destiné à couvrir les droits d'enregistrement — Il
n'est d'aucune utilité de recourir à la pratique qui est suivie
dans le domaine de la télévision — Il est inutile d'invoquer les
règles d'interprétation des contrats car la Loi n'est pas ambi-
guë — Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30,
art. 2, 3(1)a),d), 12(4), 17(1), 19, 21, 22, 48, 49, 50 — Code
civil du Bas-Canada, art. 1016 — Copyright Act, 1956, 4 & 5
Eliz. 2, chap. 74, art. 6(7) (R.-U.) — Copyrights, 17 U.S.C. §
112 (1976) — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91(23).
Les faits de l'espèce, ainsi qu'un bon nombre des points qui y
étaient en litige, ont été résumés dans la Note de l'arrêtiste
infra. Le présent sommaire se limite donc à la question de
l'application de la Loi sur le droit d'auteur au préenregistre-
ment pour fin de diffusion.
Jugement: les portions des bandes magnétoscopiques conte-
nant l'enregistrement en cause doivent être effacées sans qu'au-
cune autre copie en soit faite.
La défenderesse Télé-Métropole fonde son autorité pour
préenregistrer la chanson sur l'interprétation large de l'expres-
sion «exécution publique», faite par le juge Archambault dans
l'affaire Rochat. Celui-ci a statué dans l'affaire Rochas que le
droit d'exécution publique comprenait le droit d'enregistrer les
paroles et la musique de la chanson sur bandes magnétoscopi-
ques pour fin de diffusion publique à la radio ou à la télévision.
La défenderesse prétend que cette interprétation est permise
par le système de délivrance des licences prévu aux articles 48 à
50 de la Loi. Le paragraphe 48(1) décrit cette question comme
des «licences pour l'exécution ... d'oeuvres musicales». Il parle
des sociétés qui acquièrent des droits d'exécution et qui possè-
dent l'autorité «d'émettre ou d'accorder des licences d'exécution
... pour ... l'exécution de ses oeuvres». Il faut interpréter ces
dispositions législatives en tenant compte des autres parties de
la Loi. L'article 2 de la Loi définit le terme «exécution» mais ne
parle pas de l'enregistrement, c'est-à-dire la préservation de
l'exécution à l'aide de moyens mécaniques ou électroniques
pour une représentation future. L'article 3 énonce dans deux
alinéas distincts les droits d'exécution et les droits d'enregistre-
ment. L'article 19 prévoit un régime différent pour ce qui
constitue en fait une licence obligatoire relative à l'enregistre-
ment. La Loi établit donc une distinction claire entre la simple
exécution et l'enregistrement. Le processus de délivrance des
licences prévu aux articles 48 50 de la Loi, et qui se limite
comme tel aux «droits d'exécution», ne visait pas à inclure les
droits d'enregistrement.
Il n'appartient pas à la Cour d'affirmer que les droits d'exé-
cution incluent les droits d'enregistrement, sauf dans certains
cas. C'est ce que la Cour a voulu faire dans la décision Rochat
où elle a dit que le droit d'exécution incluait le droit d'enregis-
trement «pour fin de diffusion publique à la radio ou à la
télévision» mais non «pour fins commerciales». Le législateur
seul devrait être autorisé à faire une telle distinction. En
l'absence d'une intervention du pouvoir législatif au Canada, les
titulaires et les utilisateurs des droits mécaniques peuvent régir
ces arrangements par contrat, d'une manière qui reconnaît
adéquatement leurs intérêts respectifs.
Il n'est pas utile de recourir à la pratique suivie dans le
domaine de la télévision et on ne peut certes pas y recourir en
invoquant les règles d'interprétation des contrats comme ce fut
le cas dans l'affaire Rochat. La Loi ne contient aucune ambi-
guïté qui justifie une telle pratique.
JURISPRUDENCE
DÉCISION ÉCARTÉE:
Rochat et Lefort c. Société Radio-Canada, jugement en
date du 27 septembre 1974, Cour supérieure du Québec,
résumé à [1974] C.S. 638.
DÉCISION EXAMINÉE:
Blue Crest Music Inc. et autres c. Canusa Records Inc. et
autres (1974), 17 C.P.R. (2nd) 149 (C.F. 1"» inst.).
AVOCATS:
R. T. Hugues, c.r. et J. N. Allport pour les
demandeurs.
J. A. Léger et L. Carrière pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Sim, Hugues, Toronto, pour les demandeurs.
Léger, Robic & Richard, Montréal, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé que le présent jugement
de 28 pages devrait être publié en version abré-
gée. Un point en litige en l'espèce revêtait un
intérêt particulier. Il s'agissait de savoir si les
dispositions de la Loi sur le droit d'auteur (S.R.C.
1970, chap. C-30) s'appliquent au préenregistre-
ment pour fins de diffusion. La défenderesse,
Télé-Métropole Inc., a invoqué la décision Rochat
et Lefort c. Société Radio-Canada, rendue par le
juge Archambault de la Cour supérieure du
Québec le 27 septembre 1974, et résumée à
[1974] C.S. 638, mais le juge Strayer a été inca
pable de souscrire à la conclusion formulée dans
cette affaire. Les motifs de jugement portant sur
cette question (qui correspond à la rubrique d) de
la partie des motifs du jugement intitulée Conclu
sions) sont repris ici dans leur intégralité. Les
parties dudit jugement qui ont été laissées de
côté ont été résumées.
Le demandeur Bishop est un compositeur et
est membre associé de la Performing Right
Society Ltd. qui est une association anglaise dont
le rôle est de protéger et de faire respecter les
droits d'auteur sur des oeuvres musicales dont
ses membres sont titulaires. Il est citoyen de la
Barbade.
En 1978, alors qu'il travaillait comme chef d'un
orchestre de variétés à Toronto, il a composé la
musique et les paroles d'une chanson intitulée
Stay. La musique a été envoyée à la Société avec
un «relevé des travaux» signé. Le groupe de
Bishop a interprété la chanson Stay et des
«bandes d'essai» en ont été faites.
En 1980, le défendeur Stevens était présent
parmi les spectateurs dans un bar de la ville de
Québec lorsque le groupe de Bishop a interprété
la chanson Stay. Stevens est un interprète de
chansons populaires. La chanson l'a favorable-
ment impressionné et il en a discuté avec Bishop.
Même si les parties ont gardé un souvenir diffé-
rent de cette conversation, aucun accord écrit
autorisant Stevens à enregistrer la chanson n'a
été conclu.
Stevens a néanmoins modifié un peu la chan-
son, l'a intitulée Please Stay et en a rédigé une
version française intitulée Ne t'en vas (sic) pas.
Son enregistrement a été mis en vente en 1981.
Les paroles françaises étaient très différentes du
texte original et ne constituaient pas une simple
traduction. L'affidavit d'un expert a été déposé. Il
portait que la «chanson de Stevens» était une
copie réelle de la «chanson de Bishop». Cette
preuve n'a pas été contestée.
Même si Bishop savait que Stevens préparait
un enregistrement, il ignorait qu'on avait en fait
produit un disque jusqu'à ce qu'un ami l'informe
qu'il avait entendu la chanson française à la radio.
L'étiquette du disque indiquait que Stevens était à
la fois le compositeur et l'interprète de la chan-
son. Il s'agissait d'un disque 45 tours portant la
chanson anglaise d'un côté et la version française
de l'autre. Bishop s'est plaint à Stevens qui a fait
porter le blâme à l'éditeur.
Stevens a également participé en 1981 au
préenregistrement d'une émission de télévision
au cours duquel on a fait jouer la chanson fran-
çaise et Stevens a fait semblant de chanter.
Stevens a aussi participé au préenregistrement
d'une autre émission de télévision, mais cette
fois, il a réellement interprété la version française
de la chanson.
A la suite de ces deux diffusions, Bishop a
signé un «contrat d'affiliation> avec l'Agence
canadienne des droits de reproduction musicale
limitée (cMRRA) qui représente les compositeurs
au sujet des droits d'enregistrement. Suivant les
termes de ce contrat, la CMRRA se voyait conférer
le droit de faire respecter les droits de Bishop et
d'intenter les actions en justice nécessaires. C'est
sur le fondement de ce contrat que la CMRRA était
codemanderesse en l'espèce. En 1982, Bishop a
obtenu au Bureau du droit d'auteur l'enregistre-
ment du droit d'auteur sur la chanson Stay.
Au moment de l'instruction, il était clair que les
demandeurs n'avaient aucun argument pour justi-
fier leur plainte au sujet de la télédiffusion des
émissions parce que /e télédiffuseur avait dûment
rapporté à l'Association des compositeurs,
auteurs et éditeurs du Canada, Limitée (cAPAc)
l'utilisation de la chanson et avait payé les droits
exigés. La CAPAC a porté au compte de Bishop les
tantièmes auxquels il avait droit. La question à
trancher concernait le pré enregistrement de la
chanson sur bande magnétoscopique pour les
deux émissions.
Les demandeurs fondent essentiellement leur
demande sur l'alinéa 3(1)d) de la Loi sur le droit
d'auteur qui porte:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il
s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'oeuvre n'est
pas publiée, de publier l'ceuvre ou une partie importante de
celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale,
de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide
desquels ]'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou
débitée mécaniquement;
Ils affirment ainsi que la personne qui est titulaire
du droit d'auteur sur une oeuvre musicale a seule le
droit de «confectionner ... tout ... film cinémato-
graphique ... à l'aide d[u]quel l'oeuvre pourra être
exécutée ou représentée ou débitée mécanique-
ment». À leur avis, l'enregistrement d'une bande
magnétoscopique en vue de sa diffusion constitue
la confection d'un tel film. Ils invoquent en outre
le paragraphe 17(1) de la Loi qui prévoit:
17. (1) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit
d'auteur sur une œuvre, quiconque, sans le consentement du
titulaire de ce droit, exécute un acte qu'en vertu de la présente
loi seul ledit titulaire a la faculté d'exécuter.
Ils nient que Bishop qui, à leur avis, est le titulaire
du droit d'auteur, a consenti à la confection d'un
tel enregistrement. Ils ont établi en preuve que la
défenderesse Télé-Métropole a conservé les bandes
magnétoscopiques de ces émissions et qu'il lui est
possible de les réutiliser, d'en faire des copies ou de
les vendre à d'autres personnes pour qu'elles en
fassent un usage très différent de celui qui en a
déjà été fait. Ils prétendent par conséquent que,
avant de faire les enregistrements vidéo de la
chanson au cours de la réalisation de ces deux
émissions, Télé-Métropole aurait dû obtenir le
consentement de Bishop et aurait dû verser des
honoraires négociés. Les demandeurs ont présenté
une preuve montrant que des honoraires adéquats
dans un tel cas se situeraient probablement entre
50 $ et 100 $ (U.S.).
La défenderesse prétend plutôt que Bishop avait
consenti à l'enregistrement du disque et que les
présences à la télévision (y compris les préenregis-
trements) n'étaient que des activités publicitaires
accessoires audit enregistrement. Elle soutient en
outre que la Loi sur le droit d'auteur n'interdit pas
l'enregistrement à des fins de diffusion, ou que, en
vertu de la licence prévue par la loi qu'elle a
obtenue par l'intermédiaire de la CAPAC pour utili-
ser la musique aux fins de son exécution publique,
c'est-à-dire la diffusion, elle était, selon toute
apparence, implicitement habilitée à l'employer
pour le préenregistrement de l'émission.
a) Propriété du droit d'auteur
Le juge Strayer a conclu que Bishop possédait
le droit d'auteur sur la chanson Stay et que, à titre
de citoyen d'un pays du Commonwealth, il avait
droit à la protection accordée par la Loi sur le
droit d'auteur. ll a aussi conclu qu'il n'y avait pas
eu de cession écrite du droit d'auteur comme le
prévoit le paragraphe 12(4) de la Loi. La date de
l'enregistrement n'était pertinente qu'en ce qui
avait trait à l'application de l'article 22 de la Loi.
Même lorsqu'il n'existait pas d'enregistrement au
moment de la violation, un demandeur pourrait
encore exercer d'autres recours que l'injonction si
le défendeur ne peut prouver qu'au moment de la
violation, il n'avait aucun motif raisonnable de
soupçonner que l'oeuvre faisait encore l'objet
d'un droit d'auteur.
b) Qualité de la demanderesse CMRRA
On a allégué que la CMRRA n'avait pas qualité
pour participer à l'action parce que le «contrat
d'affiliation» avait été conclu par elle et Bishop
quelques mois après les événements en cause.
On a en outre soutenu que ledit contrat était
contraire à l'ordre public parce qu'il était de la
nature d'une convention de soutien ou d'un pacte
de quota litis. L'Agence ne pouvait réclamer des
dommages-intérêts au sujet des préenregistre-
ments. Conclure que le contrat autorisait l'Agence
à intenter des poursuites judiciaires pour recou-
vrer les sommes payables avant la signature dudit
contrat ferait en réalité du contrat un pacte de
quota litis. L'Agence avait cependant intérêt à
empêcher les violations futures des droits. A
compter de la date de la conclusion du contrat,
elle avait un intérêt commercial direct sur le droit
d'auteur en raison des droits qu'elle percevrait
sur les dispositions qu'elle autoriserait.
c) Consentement
La Cour a accepté le témoignage de Bishop
voulant qu'il n'avait consenti à l'enregistrement de
la chanson par Stevens qu'à la condition que tout
soit fait selon la «procédure appropriée». Même
s'il savait que Stevens préparait l'enregistrement,
Bishop croyait que des arrangements formels
devaient être conclus quant au partage des pro
fits avant la distribution de l'enregistrement. Il
n'était pas raisonnable de la part de Stevens de
présumer que Bishop consentait à la distribution
du disque. Il ne pouvait donc pas y avoir de
consentement implicite aux apparitions de Ste-
vens à la télévision pour faire la publicité du
disque.
On pourrait invoquer la décision du juge Collier
dans l'arrêt Blue Crest Music Inc. et autres c.
Canusa Records Inc. et autres (1974), 17 C.P.R.
(2nd) 149 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le
juge a statué qu'une lettre où un consentement
sous réserve d'une condition était accordé et où
était indiqué le nom du bureau où il était possible
d'obtenir les licences de reproduction par
moyens mécaniques, ne constituait pas un con-
sentement au sens du paragraphe 17(1) de la Loi.
Le prétendu «consentement» dont il est question
en l'espèce était encore moins formel puisqu'il
s'agissait d'une conversation dans un bar.
d) Application de la Loi sur le droit d'auteur au
préenregistrement pour fins de diffusion
Toutes les parties ont considéré cette question
comme la plus importante du litige. La défende-
resse Télé-Métropole allègue pour l'essentiel soit
que la Loi sur le droit d'auteur ne réglemente pas
de tels préenregistrements, soit que, en vertu des
articles 48 50 de la Loi, elle détenait en fait une
licence lui permettant de faire exécuter en public
la chanson Ne t'en vas pas parce que Bishop, par
l'intermédiaire de la PRS [Performing Right
Society Ltd.], était représenté par la CAPAC. Télé-
Métropole a prouvé, sans conteste, qu'elle avait
dûment fait savoir que la chanson Ne t'en vas pas
serait exécutée au cours des deux émissions en
question et qu'elle avait versé les tantièmes requis
qui ont été crédités en temps utile à Bishop par
l'intermédiaire de la PRS et de la CAPAC. Télé-
Métropole soutient que les droits d'exécution
incluaient le droit de préenregistrer la chanson
pour chacune des deux émissions. Elle a présenté
en preuve les témoignages de quelques-uns des
principaux télédiffuseurs qui ont clairement établi
que la plus grande partie de leurs émissions était
préenregistrée. Elle allègue par conséquent que,
étant donné qu'il s'agit de la manière la plus
pratique de produire des émissions aux points de
vue coût, commodité et qualité, il faut considérer
que les droits d'exécution d'oeuvres musicales
incluent le droit de les préenregistrer à des fins de
diffusion seulement.
La défenderesse Télé-Métropole a invoqué prin-
cipalement la décision non publiée rendue le 27
septembre 1974 par le juge Archambault de la
Cour supérieure du Québec dans l'affaire Rochat
et Lefort c. Société Radio-Canada, résumée à
[1974] C.S. 638. Dans cette affaire, la défende-
resse a utilisé la musique sur laquelle le deman-
deur avait un droit d'auteur comme thème musical
pour une émission hebdomadaire devant durer
treize semaines. Bien que dans cette affaire la
CAPAC ait accordé une licence écrite à la SR-C
relativement à toutes les oeuvres pour lesquelles
l'Association était habilitée à délivrer une licence
d'exécution, il semble que le litige n'ait pas porté
sur ce point. Comme c'est le cas en l'espèce, la
CAPAC représentait les titulaires du droit d'auteur
relativement aux droits d'exécution. Ceux-ci ont
prétendu qu'une licence relative aux droits d'exé-
cution n'incluait pas le droit de préenregistrer leur
chanson à des fins de diffusion. Il semble que le
juge Archambault ait conclu qu'il fallait détermi-
ner la portée des «droits d'exécution» non pas en
fonction de la Loi sur le droit d'auteur, mais
plutôt en tenant compte de l'entente par laquelle
les titulaires du droit d'auteur ont cédé leurs droits
d'exécution à la CAPAC. Le paragraphe 1c) de
cette entente porte que:
(Texte français)
le mot «exécution» désignera la reproduction ou l'interpréta-
tion par quelque moyen que ce soit et les mots «exécution
publique» auront le sens correspondant.
(Texte anglais)
the expression 'performing" shall mean performing by any
means and in any manner and the expression 'performance"
shall have a corresponding meaning.
Le juge a apparemment considéré que ce libellé
était un peu ambigu et il a appliqué l'article 1016
du Code civil qui prévoit que lorsqu'un contrat
contient des ambiguïtés, on peut l'interpréter par
ce qui est d'usage. Il a ensuite invoqué la preuve
voulant que dans le domaine de la télévision, la
plupart des émissions sont préenregistrées. Il a
apparemment jugé que cela constituait un «usage»
qui pouvait l'aider à interpréter l'expression «droits
d'exécution» dont il est fait mention dans le con-
trat. Il a conclu que:
le droit d'exécution publique ... comprend le droit d'enregistrer
les paroles et la musique de la chanson sur bandes magnétosco-
piques pour fin de diffusion publique à la radio ou à la
télévision.
Je ne peux, en toute déférence, souscrire à cette
conclusion. La défenderesse fonde son autorité
pour préenregistrer la chanson sur cette interpréta-
tion large de l'expression «exécution publique» qui,
selon elle, est permise par le système de délivrance
des licences prévu aux articles 48 50 de la Loi
sur le droit d'auteur. Le paragraphe 48(1) décrit
cette question comme des «licences pour l'exécu-
tion ... d'oeuvres musicales» ou «licences for the
performance ... of ... musical works». Il parle
des sociétés qui acquièrent des droits d'exécution
et qui «possède[nt] l'autorité d'émettre ou d'accor-
der des licences d'exécution, ou de percevoir des
honoraires . .. pour . l'exécution de ses oeuvres»
ou «[toi grant performing licences or to collect
fees ... in respect of the performance of its
works». Il faut interpréter ces dispositions législati-
ves en tenant compte d'abord des autres parties de
la Loi sur le droit d'auteur et non des règles du
Code civil de la province de Québec relativement à
l'interprétation des contrats conclus entre les titu-
laires d'un droit d'auteur et la CAPAC. Ces disposi
tions sont définies comme suit à l'article 2 de la
Loi:
2. In this Act
'performance" means any acoustic representation of a work or
any visual representation of any dramatic action in a work,
including a representation made by means of any mechani
cal instrument or by radio communication;
2. Dans la présente loi
«représentation» ou «exécution» ou «audition» désigne toute
reproduction sonore d'une oeuvre, ou toute représentation
visuelle de l'action dramatique qui est tracée dans une oeuvre,
y compris la représentation à l'aide de quelque instrument
mécanique ou par transmission radiophonique;
Bien qu'il soit possible qu'une séance d'enregistre-
ment comporte une «exécution» ou «performance»,
elle comprend manifestement plus que cela. Ces
définitions ne prévoient pas la conservation de
l'exécution à l'aide de moyens mécaniques ou élec-
troniques pour une représentation future. C'est ce
que comporte l'enregistrement. C'est sans aucun
doute pour cette raison qu'à l'article 3 de la Loi,
qui décrit expressément les divers droits visés par
le droit d'auteur, les droits d'exécution sont énon-
cés à l'alinéa 3(1)a) et les droits d'enregistrement,
à l'alinéa 3(1)d). L'enregistrement a manifeste-
ment un but additionnel ou différent qui le distin-
gue de la simple exécution. Je n'admets donc pas
que le processus de délivrance des licences prévu
aux articles 48 50 de la Loi, qui se limite comme
tel aux «droits d'exécution», visait à inclure les
droits d'enregistrement. Cette conclusion est, à
mon avis, renforcée par le fait que l'article 19 de la
Loi prévoit un régime différent pour ce qui consti-
tue en fait une licence obligatoire relative à l'enre-
gistrement. Bien que l'avocat de la défenderesse
insiste pour dire que tout usage qui n'est pas
interdit par la Loi sur le droit d'auteur est permis,
je conclus que ce genre de préenregistrement est
prohibé par l'alinéa 3(1)d).
Je ne crois pas qu'il soit utile de recourir à la
pratique qui est suivie dans le domaine de la
télévision. On ne peut certes pas y recourir en
invoquant les règles d'interprétation des contrats.
Bien qu'il puisse être approprié dans le domaine de
l'interprétation des lois, lorsqu'une loi est ambiguë,
d'examiner d'autres interprétations afin de déter-
miner laquelle causera le moins de problèmes ou
d'inconvénients, laquelle sera la plus raisonnable
ou la plus compatible avec le but de la Loi, à mon
avis, la Loi ne contient aucune ambiguïté qui
justifierait une telle pratique.
Il est possible que, en raison de la technologie
moderne, la Loi telle qu'elle existe actuellement ait
des conséquences fâcheuses pour certaines person-
nes. Mais à mon avis, la Loi établit une distinction
entre les simples droits d'exécution et les droits
d'enregistrement, et il n'appartient pas à la Cour
d'affirmer que les premiers incluent les derniers,
sauf dans certains cas. C'est ce que le juge
Archambault a voulu faire dans Rochat lorsqu'il a
dit que les droits d'exécution incluaient les droits
d'enregistrement «pour fin de diffusion publique à
la radio ou à la télévision», mais non «pour fins
commerciales». Sauf erreur, la Loi ne contient
aucune disposition à cet effet. Il me semble qu'il
s'agit d'une caractérisation ou d'une distinction
qui, le cas échéant, devrait être faite par le législa-
teur et non par les tribunaux. Il est significatif
qu'on ait adopté aux États-Unis et au Royaume-
Uni des lois permettant l'enregistrement pour fins
de diffusion sans qu'il soit nécessaire de détenir
une licence de droit d'auteur distincte, mais sous
réserve de certaines restrictions quant aux fins
pour lesquelles l'enregistrement peut être utilisé et
quant à la durée ou au but pour lequel il peut être
conservé: voir la loi intitulée Copyrights, 1976,
U.S. Code, 1909, Titre 17, § 112 (E.-U.); et le
Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. 2, chap. 74, art.
6(7) (R.-U.). Ce sont là des restrictions arbitraires
qui, si raisonnables qu'elles puissent être au point
de vue de l'intérêt public, ne peuvent pas être
définies par les tribunaux. En l'absence d'une
intervention du pouvoir législatif au Canada, les
titulaires et les utilisateurs des droits mécaniques
peuvent régir ces arrangements par contrat, d'une
manière qui reconnaît adéquatement leurs intérêts
respectifs.
Je conclus, par conséquent, que la licence confé-
rée par la loi dont jouissait la défenderesse Télé-
Métropole relativement aux droits d'exécution de
la chanson Stay ne comportait pas l'autorité de
préenregistrer ladite chanson. En l'absence d'une
licence permettant d'utiliser la musique à des fins
d'enregistrement, le préenregistrement de celle-ci
par la défenderesse équivalait dans les deux occa
sions à la violation du droit d'auteur de Bishop.
e) Redressements
Les dommages-intérêts compensatoires de-
vraient être fixés à 150 $.
Pour ce qui est des dommages-intérêts exem-
plaires, ils sont accordés dans les cas où l'on
peut qualifier la conduite reprochée au défendeur
d'insouciante ou de délibérée. En l'espèce, la
station de télévision a agi de bonne foi en suppo-
sant que Stevens avait le droit d'enregistrer la
chanson dans son studio.
Il n'y avait pas lieu non plus d'accorder une
injonction car aucune preuve ne montrait que la
défenderesse continuerait à violer le droit d'au-
teur des demandeurs.
Quant à l'argument de la défenderesse voulant
que l'article 21 de la Loi sur le droit d'auteur (qui
prévoit la remise des exemplaires contrefaits et
des planches qui ont servi à leur confection) soit
ultra vires parce qu'il définit ou modifie le droit de
propriété, question qui relève de la compétence
des législatures provinciales, il ne pouvait être
accepté. Dans l'exercice de sa compétence en
matière de «droits d'auteur» prévue à la rubrique
91(23), le Parlement pouvait modifier accessoire-
ment des droits de propriété qui, par ailleurs,
relèvent de la compétence des provinces. La
Cour ordonne donc que les portions des bandes
magnétoscopiques contenant l'enregistrement de
la chanson Ne t'en vas pas soient effacées sans
qu'aucune autre copie en soit faite.
Aucun des arguments avancés n'a convaincu la
Cour qu'il y avait lieu d'accorder des frais extraju-
diciaires; c'est pourquoi les demandeurs n'auront
droit qu'aux frais entre parties.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.