A-1363-84
Slaight Communications Inc. (exploitée sous le
nom de station de radio Q107 FM) (requérante)
c.
Ron Davidson (intimé)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Marceau—
Toronto, 25 mars; Ottawa, 23 avril 1985.
Relations de travail — Congédiement injuste — L'arbitre a
ordonné à la requérante de fournir à l'intimé une lettre de
recommandation contenant des énoncés de faits exprès et lui a
ordonné de répondre à toute demande de renseignements ulté-
rieure uniquement en fournissant une copie de ladite lettre —
L'arbitre a réservé sa compétence pour trancher les litiges
découlant de l'exécution de l'ordonnance — L'arbitre a agi à
l'intérieur des limites des pouvoirs prévus à l'art. 61.5(9) du
Code — La prétendue réserve de compétence est superflue car
la Cour d'appel fédérale a décidé dans Hunault c. Société
centrale d'hypothèques et de logement que cette réserve ne
conférait pas à l'arbitre le pouvoir de réexaminer, de retirer ou
de modifier son ordonnance — Le fait d'inclure cette ordon-
nance superflue ne vicie pas la décision — L'art. 61.5(9) donne
à l'arbitre le pouvoir d'ordonner le paiement d'une indemnité,
la réintégration ou «toute autre chose (any other like thing) .. .
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier. — L'inclusion du mot «like» dans la version
anglaise ne visait pas à restreindre la nature de la réparation à
quelque chose s'apparentant à une indemnité ou à la réintégra-
tion — Distinction faite avec l'arrêt Banque nationale du
Canada c. Union internationale des employés de commerce car
dans cette affaire on obligeait l'employeur à exprimer des
opinions qu'il ne partageait pas — Cette ordonnance qui exige
la remise d'une lettre énonçant des faits et qui empêche les
tentatives prévisibles de saper son effet favorable constitue un
redressement équitable — La demande d'examen est rejetée
avec dépens conformément à la Règle 1408 étant donné le
harcèlement de l'intimé par la requérante — Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5(9) (édicté par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 21), (12) (édicté, idem), (13) (édicté,
idem) — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
1408.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté d'ex-
pression — La requérante a congédié injustement l'intimé —
L'arbitre a ordonné à la requérante de répondre à toute
demande de renseignements ultérieure concernant l'emploi de
l'intimé uniquement en remettant une lettre de recommanda-
tion énonçant des faits déterminés — L'ordonnance ne porte
pas atteinte à la liberté d'expression et d'opinion garantie par
l'art. 2b) de la Charte — Les droits et libertés prévus à l'art. 2
sont assujettis à l'art. 1 et peuvent être restreints «par une
règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont
la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique» — Comme l'ordonnance est autorisée
par l'art. 61.5(9)c) du Code, les limites sont donc «prescrite[s]
par une règle de droit. — Étant donné que la preuve a révélé
qu'il y avait eu harcèlemement, on a démontré la justification
des limites — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 2b) — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap.
L-1, art. 61.5(9) (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21),
(12) (édicté, idem), (13) (édicté, idem).
On a présenté une demande tendant à l'annulation de la
décision de l'arbitre. Ce dernier a jugé que l'intimé avait été
congédié injustement et a ordonné à la requérante de fournir à
l'intimé une lettre de recommandation contenant cinq énoncés
explicites et de répondre à toute demande de renseignements
ultérieure concernant l'emploi de l'intimé uniquement en four-
nissant une copie de ladite lettre. L'arbitre a également réservé
sa compétence pour trancher tout litige se rapportant à l'exécu-
tion de son ordonnance. La requérante a soutenu que l'arbitre
n'avait pas le pouvoir en vertu du paragraphe 61.5(9) du Code
canadien du travail de rendre de telles ordonnances. La requé-
rante a prétendu que la présence du mot «like» dans la phrase
«any other like thing» à l'alinéa 61.5(9)c) restreignait les
pouvoirs de l'arbitre à celui d'ordonner des redressements simi-
laires au paiement d'une indemnité ou à la réintégration. Elle a
également prétendu que la limite imposée à ce qu'elle peut
répondre aux demandes de renseignements portait atteinte à la
liberté d'expression que lui garantit la Constitution.
Arrêt (le juge Marceau dissident), la demande est rejetée
avec dépens.
Le juge Mahoney: La prétendue réserve de compétence n'a
eu aucune utilité car la Cour d'appel fédérale a jugé dans
Huneault c. La Société centrale d'hypothèques et de logement
qu'une telle réserve de compétence ne confère pas à l'arbitre le
pouvoir de réexaminer, d'annuler ou de modifier une ordon-
nance déjà rendue. Le fait d'inclure cette réserve, même dans
les cas ou cela est superflu, ne vicie pas la décision. Le
paragraphe 61.5(9) du Code confère à l'arbitre le pouvoir
d'ordonner à un employeur de payer une indemnité, de réinté-
grer la personne congédiée, et de faire «toute autre chose (any
other like thing) ... afin de contrebalancer les effets du
congédiement ou d'y remédier.» Le mot «like» ne trouve pas
d'équivalent dans la version française. Le mot «like» n'a pas
pour but de restreindre étroitement la nature de la réparation
permise à des mesures analogues aux indemnités monétaires ou
à la réintégration. L'alinéa 61.5(9)c) n'est que l'expression de
la règle d'interprétation ejusdem generis.
La décision de la Cour suprême du Canada dans Banque
nationale du Canada c. Union internationale des employés de
commerce se distingue du présent cas en ce que l'employeur
dans cette affaire était contraint d'exprimer des opinions qu'il
ne partageait pas. Le fait d'ordonner de fournir une lettre de
recommandation portant uniquement sur des faits et d'empê-
cher que son effet soit sapé, éventualité parfaitement prévisible
dans les circonstances révélées par la preuve, semble être un
redressement équitable, non punitif et autorisé par l'alinéa
61.5(9)c).
La liberté d'expression et d'opinion garantie par la Constitu
tion à l'alinéa 2b) de la Charte est sujette à la restriction prévue
à l'article 1. L'article 1 n'est pas qu'une simple introduction
mais plutôt une disposition de fond.
Comme l'ordonnance était autorisée par l'alinéa 61.5(9)c),
les limites imposées aux libertés de la requérante procèdent
d'une règle de droit. La preuve a révélé qu'il s'agissait de
limites dont la justification peut se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique.
La présente demande n'était qu'une autre des tactiques de
harcèlement auxquelles la requérante soumettait l'intimé. Par
conséquent, la Cour s'est prévalue du pouvoir discrétionnaire
que lui confère la Règle 1408 pour rejeter la demande avec
dépens.
Le juge Urie: Comme il s'avère difficile de trouver dans
l'expression «toute autre chose (any other like thing)» un
dénominateur commun avec les redressements prévus aux ali-
néas 61.5(9)a) et b), il est préférable de ne pas appliquer la
règle d'interprétation ejusdem generis. La présence du mot
«like» à l'alinéa 61.5(9)c) illustre le but visé par cette disposi
tion, savoir élargir la gamme des redressements traditionnels et
tombant sous le sens qui peuvent être accordés en matière de
congédiement injuste.
Le juge Marceau (dissident): La demande devrait être
accueillie. L'arbitre n'avait pas le pouvoir de réserver sa compé-
tence. Lorsqu'une décision est rendue sans que rien ne reste à
faire, l'arbitre a épuisé ses attributions. Toutefois, le fait d'in-
clure dans la décision une stipulation n'emportant aucune
conséquence juridique ne peut en lui-même vicier la décision.
Certains des redressements ordonnés sont positifs en ce qu'ils
consistent en l'accomplissement de quelque chose (une lettre de
recommandation énonçant certains faits sera fournie à l'intimé
et des copies seront par la suite envoyées à ceux qui présente-
ront des demandes de renseignements) tandis que d'autres sont
négatifs en ce qu'ils empêchent l'accomplissement de quelque
chose (la lettre de recommandation ne renfermera que les
énoncés prescrits et, à l'avenir, seuls les renseignements conte-
nus dans la lettre seront fournis). L'arbitre pouvait rendre les
«redressements positifs» mais non les redressements «négatifs»;
d'une part, parce que ces derniers n'étaient pas autorisés en
vertu de la Loi et d'autre part, parce qu'ils portaient atteinte à
la liberté d'opinion et d'expression garantie à la requérante par
la Constitution.
Le mot «like» ne restreint pas étroitement la nature de la
réparation. Il est même difficile d'appliquer la règle d'interpré-
tation ejusdem generis car il n'existe pas de catégorie commune
englobant les mots «indemnités» et «réintégration» eu égard à la
nature des redressements. Cependant, les mots utilisés plus loin,
«afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier» indiquent que les mesures de redressement doivent
viser à dédommager la victime d'un congédiement injuste.
La lettre visait clairement à remédier aux effets dommagea-
bles d'un congédiement injuste, mais les redressements négatifs
visaient l'animosité que pouvait entretenir la requérante et sa
direction à l'égard de l'intimé.
Les limites imposées par l'article 1 de la Charte doivent être
déterminées par les règles d'application générale, d'où l'expres-
sion «règle de droit» et la référence aux caractéristiques d'une
société libre et démocratique.
Même si on a voulu que l'article 1 s'applique cas par cas, à la
lumière des circonstances particulières de chacun, il ne peut
valider l'atteinte portée en l'espèce à la liberté d'opinion et
d'expression. Il est même injustifiable, dans une société libre et
démocratique, d'interdire à un employeur d'exprimer dans
l'avenir quelque opinion que ce soit, même en privé, à propos
d'un ex-employé, pour le motif qu'il existe certaines raisons de
croire que cet employeur pourrait exprimer une opinion partiale
ou malhonnête en raison du ressentiment qu'il éprouverait à
l'égard de cet ex-employé.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Huneault c. La Société centrale d'hypothèques et de
logement (1982), 41 N.R. 214 (C.F. Appel).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Banque Nationale du Canada c. Union internationale des
employés de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S. 269.
DÉCISION EXAMINÉE:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S.
145; 55 N.R. 241.
DÉCISIONS CITÉES:
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2
C.F. 535; 55 N.R. 255 (C.A.); R. v. Big M. Drug Mart
Ltd. (1983), 7 C.R.R. 92 (C.A. Alb.); Re Reynolds and
Attorney General of British Columbia (1984), 11 D.L.R.
(4th) 380 (C.A.C.-B.); Rauca v. R. et al. (1983), 4
C.R.R. 42 (C.A. Ont.); Procureur général du Québec c.
Quebec Association of Protestant School Boards et
autres, [ 1984] 2 R.C.S. 66.
AVOCATS:
Brian A. Grosman, c.r., pour la requérante.
Morris Cooper pour l'intimé.
PROCUREURS:
Brian A. Grosman, c.r., Toronto, pour la
requérante.
Morris Cooper, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu la chance de lire les
projets de motifs de jugement de mes collègues les
juges Mahoney et Marceau. Bien que les motifs du
juge Marceau soient convaincants, j'avoue, en
toute déférence, être davantage en accord avec
ceux du juge Mahoney si ce n'est pour une légère
réserve quant à son opinion suivant laquelle l'ali-
néa c) du paragraphe 61.5(9) du Code canadien
du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 21)] n'est que l'expression
de «la règle d'interprétation ejusdem generis géné-
ralement applicable». Comme je ne suis pas certain
que cette règle s'applique dans le contexte de ce
paragraphe, j'aimerais mieux ne pas fonder ma
décision sur cette dernière. Le problème que me
pose l'application de la règle en l'espèce découle de
la difficulté que j'éprouve à trouver dans l'expres-
sion «toute autre chose» un dénominateur commun
avec les redressements entièrement différents
prévus aux alinéas précédents, les alinéas a) et b).
Toutefois, que la règle s'applique ou non, je n'ai
aucun doute quant à l'interprétation qu'il faut
donner à cette disposition.
La présence du mot «like» à l'alinéa c) n'a pas
pour effet, à mon avis, de restreindre la nature des
redressements possibles à un ou plusieurs redresse-
ments qui devraient ressembler à ceux qu'autori-
sent les alinéas a) et b) et qui, comme je l'ai dit,
n'ont pas de dénominateur commun. Sa présence
illustre plutôt le but visé par l'alinéa, c'est-à-dire
élargir au-delà du cadre des redressements tradi-
tionnels et tombant sous le sens la gamme des
redressements dont devrait bénéficier l'employé
qui a été congédié injustement.
Dans son ensemble, le paragraphe vise à confé-
rer le pouvoir d'accorder des redressements qui,
pour autant que peut le faire un dédommagement,
rétabliront la situation de l'employé qui a été traité
injustement par son employeur. Ce but est atteint
en partie grâce au moyen envisagé par les pouvoirs
conférés par l'un ou l'autre des alinéas a) ou b) ou
encore par les deux. Le dernier permet d'accorder
à un employé congédié un redressement qui n'était
pas prévu par la common law. Il en est de même
de l'alinéa c). Il s'agit d'un pouvoir qui, selon moi,
ne devrait pas être interprété restrictivement.
Réparer le préjudice qu'a subi une personne
dépend de l'étendue du préjudice qui lui a été
infligé eu égard aux circonstances de chaque cas.
À la lumière des faits de la présente espèce, l'arbi-
tre a jugé opportun d'exercer ce pouvoir pour faire
ce qui lui apparaissait équitable afin d'assurer que
l'employé lésé ne devienne pas à nouveau la vic-
time de ce qui semble avoir été une vendetta à son
égard. Pour les autres motifs donnés par le juge
Mahoney, je suis d'avis que le libellé de l'alinéa c)
est suffisamment large pour autoriser l'arbitre à
rendre l'ordonnance attaquée et que le paragraphe
ne contrevient pas à la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Je suis également d'accord avec le dispositif
proposé par le juge Mahoney.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La présente demande
fondée sur l'article 28 tend à l'annulation de la
décision d'Edward B. Joliffe, c.r., arbitre nommé
en vertu de la Partie III du Code canadien du
travail, qui a conclu que l'intimé avait été congé-
dié injustement. Respectueusement, je suis d'avis,
à la lumière des conclusions de fait de l'arbitre,
que l'ordonnance rendue par ce dernier était plei-
nement justifiée.
Bien qu'il ne l'ait pas déclaré expressément,
l'arbitre était manifestement d'avis que l'intimé
avait été victime d'un coup monté imaginé par le
directeur général de son employeur et mis à exécu-
tion par la gérante des ventes qui fut le seul témoin
de la requérante. L'arbitre a déclaré: «les éléments
de preuve qu'elle a fournis doivent être considérés
comme trompeurs». Il n'y a pas de transcription de
l'audience qui s'est déroulée devant l'arbitre. Nous
devons nous en remettre à son exposé de la preuve.
Voici deux passages importants de sa décision:
On a eu beau laisser entendre que d'autres vendeurs étaient
plus efficaces, mais aucun chiffre n'a été fourni pour prouver la
chose. Mme Stitt a déclaré que M. G. Slaight, le directeur
général de la compagnie, «se préoccupait du rendement de M.
Davidson». Elle a affirmé que M. Slaight s'était plaint à elle et
lui avait dit qu'il fallait faire quelque chose. S'il n'avait pas
exécuté son budget, j'en aurais entendu parler. Si, au contraire,
il l'avait exécuté, on lui en demanderait alors davantage.
La conclusion est inéluctable: il n'a pas été prouvé que le
rendement du plaignant en tant que vendeur de temps d'an-
tenne à la radio a été insatisfaisant. Si un vendeur a un
rendement «insatisfaisant» lorsqu'il double ses ventes en deux
ans seulement, faisant passer ainsi ses commissions de
31 428,92 $ à 62 171,95 $, il est difficile d'imaginer en quoi
consisterait exactement un niveau suffisant de ventes.
L'arbitre a conclu que les autres motifs allégués
pour justifier le congédiement étaient tout aussi
simplistes compte tenu de la preuve.
L'arbitre a jugé bon de ne pas réintégrer l'intimé
dans son emploi, mais il lui a accordé une indem-
nité de 46 628,96 $ à laquelle s'ajoutaient les inté-
rêts et les dépens. Les seules questions dont il nous
faut traiter et que l'avocat de l'intimé a été appelé
à débattre, sont celles découlant de ce qui suit:
En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragra-
phe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:
Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à
moi-même, une lettre de recommandation attestant:
(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station Q107 à
titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin
1980 au 20 janvier 1984;
(2) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à
248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;
(3) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1982 se
montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;
(4) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1983 était de
402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;
(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier
1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après
avoir entendu les témoignages et les observations des deux
parties, a décrété que le congédiement en question avait été
injuste.
J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par
voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite
à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une
personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron
Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à
l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmention-
née.
Je reste à la disposition des parties au cas où elles auraient
besoin de mon aide pour exécuter les ordonnances susdites.
Cette prétendue réserve de compétence est, sem-
ble-t-il, assez courante dans les décisions des arbi-
tres. Quel que soit le but qu'elle visait, elle n'a eu
aucune utilité en l'espèce; l'arbitre n'a pas pré-
tendu s'en prévaloir. Comme l'a décidé cette Cour
dans Huneault c. La Société centrale d'hypothè-
ques et de logement (1982), 41 N.R. 214 (C.F.
Appel), une telle réserve de compétence ne confère
pas à l'arbitre le pouvoir de réexaminer, d'annuler
ou de modifier une ordonnance déjà rendue. Je me
contenterais de dire qu'à mon avis, le fait de
prévoir cette réserve, même dans les cas où cela est
superflu, ne vicie pas en lui-même la décision.
La requérante soutient que l'arbitre n'avait pas
le pouvoir de lui ordonner de remettre la lettre de
recommandation ni de restreindre sa réponse aux
demandes de renseignements à la simple communi
cation d'une copie de cette lettre. En outre, elle
soutient que le fait de restreindre ainsi ses réponses
aux demandes de renseignements porte atteinte à
la liberté d'expression que lui garantit la
Constitution.
Le Code prévoit:
61.5.. .
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe
(8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut,
par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas
la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma-
lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier.
La version anglaise de l'alinéa c) prévoit:
(c) do any other like thing that it is equitable to require the
employer to do in order to remedy or counteract any conse
quence of the dismissal.
Le mot «like» apparaissant dans le texte anglais
ne trouve pas d'équivalent dans la version fran-
çaise. À mon avis, le mot «like» du texte anglais
n'a pas pour but de restreindre étroitement la
nature de la réparation permise à des mesures
analogues aux indemnités monétaires ou à la réin-
tégration. L'alinéa a) impose un plafond à l'indem-
nité, ce qui rend virtuellement illusoire le pouvoir
d'accorder tout autre redressement du même
genre. La réintégration c'est la réintégration. Elle
entraîne le fait d'être réembauché par le même
employeur. Il semble y avoir peu de place pour
autre chose de très ressemblant. Selon moi, l'alinéa
c) n'est que l'expression de la règle d'interprétation
ejusdem generis généralement applicable. Le para-
graphe 61.5(9) a pour but de confier à l'arbitre le
pouvoir de faire en sorte, dans la mesure du possi
ble, que l'employé lésé n'ait pas à subir de préju-
dice en matière d'emploi par suite de son congédie-
ment injustifié.
Je connais, il va de soi, la décision Banque
Nationale du Canada c. Union internationale des
employés de commerce et autre, [ 1984] 1 R.C.S.
269. La lettre dont on ordonnait l'envoi dans cette
affaire obligeait l'employeur à formuler, ou à tout
le moins à sous-entendre, des opinions qu'il ne
partageait pas nécessairement. En l'espèce, on a
tout simplement ordonné à la requérante de dire la
vérité. La lettre énonce simplement des faits qui ne
sont ni trompeurs ni contestés.
Le fait d'ordonner l'envoi d'une lettre de recom-
mandation portant uniquement sur des faits et
d'empêcher que son effet ne soit sapé, éventualité
manifestement prévisible dans les circonstances
révélées par la preuve, me semble être un redresse-
ment équitable et non punitif. Il s'agit d'un redres-
sement approprié accordé à l'employé lésé et qui
ne porte d'aucune façon préjudice à l'employeur. À
mon avis, l'alinéa 61.5(9)c) autorisait l'ordon-
nance.
L'ordonnance impose sans conteste des limites à
la liberté d'opinion et d'expression garantie à la
requérante par la Constitution, d'une part en lui
dictant ce qu'elle doit écrire dans la lettre et
d'autre part en lui interdisant d'en dire davantage.
Cette liberté fondamentale garantie par l'alinéa
2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés
n'est sujette qu'à la restriction prévue à l'article 1.
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication;
Malgré tout le respect que je dois à ceux qui
sont d'avis contraire, je ne crois pas que l'article 1
de la Charte soit une simple introduction, c'est-à-
dire quelque chose comme un exposé ou un préam-
bule. Je suis d'avis qu'il s'agit d'une disposition de
fond. Il semble avoir été considéré comme tel par
la majorité de cette Cour dans Ministre du Revenu
national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535; 55
N.R. 255 (C.A.), et il a certainement été inter-
prété de cette façon par un certain nombre de
cours d'appel provinciales: par exemple, R. v. Big
M. Drug Mart Ltd. (1983), 7 C.R.R. 92 (C.A.
Alb.), aux pages 112 et suivantes; Re Reynolds
and Attorney General of British Columbia (1984),
11 D.L.R. (4th) 380 (C.A.C.-B.) et Rauca v. R. et
al. (1983), 4 C.R.R. 42 (C.A. Ont.), aux pages 58
et suivantes. Bien que la Cour Suprême du Canada
ne semble pas avoir encore statué définitivement
sur la question, il ressort de ses obiter dicta qu'elle
est d'accord avec cette approche, par exemple dans
Procureur général du Québec c. Quebec Associa
tion of Protestant School Boards et autres, [ 1984]
2 R.C.S. 66, aux pages 77 et 78; 10 D.L.R. (4th)
321, la page 330. Dans Hunter et autres c.
Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la page 169;
55 N.R. 241, la page 254, le juge Dickson, tel
était alors son titre, prononçant le jugement de la
Cour, a déclaré:
L'expression «dont la justification puisse se démontrer»
impose à la partie qui cherche à limiter un droit ou une liberté
énoncés dans la Charte l'obligation de justifier cette limite.
Je vois mal comment une disposition qui ne serait
pas une disposition de fond pourrait être interpré-
tée de façon à imposer légalement un fardeau de
preuve.
Comme il s'agit d'une ordonnance que l'arbitre
avait le pouvoir de rendre en vertu de l'alinéa
61.5(9)c), les limites en litige procèdent d'une
règle de droit. À la lumière de la preuve consignée
par l'arbitre, il s'agit de limites dont la justifica
tion peut se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique.
La Règle 1408 [des Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] prévoit:
Règle 1408. Il n'y aura pas de dépens entre parties à une
demande, à moins que la Cour, à sa discrétion, ne l'ordonne
pour une raison spéciale.
À mon avis, la présentation de cette demande
n'était qu'une autre des tactiques de harcèlement
systématique auxquelles la requérante soumettait
l'intimé.
Je rejetterais la présente demande avec dépens.
* * *
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (dissident): C'est sans
aucune difficulté que je me rallie à la plupart des
opinions exprimées par mon collègue le juge
Mahoney dans ses motifs de jugement. En fait, je
ne trouve absolument aucun fondement à la pré-
tention de la requérante suivant laquelle l'arbitre a
fondé sa décision sur des conclusions de fait erro-
nées tirées sans tenir compte des éléments portés à
sa connaissance: l'employeur avait manifestement
échoué dans sa tentative d'invoquer le rendement
insatisfaisant de son ex-employé et on était pleine-
ment justifié de conclure que le congédiement était
injuste. Toutefois, il m'est malheureusement
impossible de partager l'opinion du juge Mahoney
sur le caractère légitime de toutes les ordonnances
qu'a rendues l'arbitre après avoir conclu que le
congédiement était injuste. Par conséquent, je dois
respectueusement exprimer mon désaccord avec sa
conclusion suivant laquelle la présente demande
d'examen devrait tout simplement être rejetée.
Le problème découle évidemment des ordonnan-
ces qu'a rendues l'arbitre en plus de l'indemnité de
46 628,96 $ qu'il a accordée. Pour des raisons de
commodité, voici à nouveau les paragraphes perti-
nents de la décision:
En vertu du pouvoir que me confère l'alinéa c) du paragra-
phe (9) de l'article 61.5, j'ordonne également ce qui suit:
Que l'employeur remette au plaignant, avec un double à
moi-même, une lettre de recommandation attestant:
(1) Que M. Ron Davidson a été engagé par la station QI07 à
titre de vendeur de temps d'antenne à la radio, et ce de juin
1980 au 20 janvier 1984;
(2) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1981 s'élevait à
248 000 $ et qu'il a atteint 97,3 % de ce même budget;
(3) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1982 se
montait à 343 500 $ et qu'il a atteint 100,3 % de ce budget;
(4) Que son «budget» ou quota de ventes pour 1983 était de
402 200 $ et qu'il a atteint 114,2 % de ce budget;
(5) Qu'à la suite de son congédiement survenu en janvier
1984, un arbitre (nommé par le ministre du Travail), après
avoir entendu les témoignages et les observations des deux
parties, a décrété que le congédiement en question avait été
injuste.
J'ordonne en outre que toute demande de renseignements par
voie de communication épistolaire, téléphonique ou autre faite
à la station Q107, à sa direction ou à son personnel par une
personne ou compagnie relativement à l'emploi de M. Ron
Davidson à ladite station doit donner lieu pour toute réponse à
l'envoi d'un double de la lettre de recommandation susmention-
née.
Je reste à la disposition des parties au cas où elles auraient
besoin de mon aide pour exécuter les ordonnances susdites.
Point n'est besoin d'insister sur le caractère
inapproprié du dernier paragraphe de la décision.
L'arbitre n'avait pas le pouvoir de réserver sa
compétence pour trancher les contestations décou-
lant de l'exécution de ses ordonnances. La question
de l'exécution d'une ordonnance prononcée en
vertu du paragraphe (9) de l'article 61.5 du Code
canadien du travail est traitée aux paragraphes 12
et 13 de cet article qui prévoient le dépôt, l'enre-
gistrement et l'exécution de l'ordonnance devant
cette cour'. Dans les cas où l'arbitre ne juge pas
' Ces paragraphes sont ainsi rédigés:
61.5...
(12) Toute personne concernée par une ordonnance d'un
arbitre en vertu du paragraphe (9), ou le Ministre, à la
demande de cette personne, peut, après l'expiration d'un
délai de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou
de la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est posté-
rieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du
dispositif de l'ordonnance.
(13) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué
en vertu du paragraphe (12), une ordonnance d'un arbitre
doit être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui
confère la même force et le même effet que s'il s'agissait d'un
jugement émanant de la Cour et toutes les procédures y
faisant suite peuvent dès lors être engagées en conséquence.
approprié d'énoncer tous les éléments constitutifs
de sa décision, par exemple lorsque reste à faire le
calcul du montant d'une indemnité suivant des
modalités déterminées, il a peut-être raison de
déclarer (comme il le fait souvent apparemment)
qu'il désire être saisi de tout litige se rapportant à
la nature exacte des [TRADUCTION] «éléments qui
manquent». Cependant, il s'agit alors de parfaire la
décision, non de l'exécuter, et cette prétendue
réserve de compétence sur l'affaire indique tout
simplement que la décision ne sera ni finale ni
définitive tant que les éléments qui manquent
n'auront pas été établis. Lorsqu'une décision est
rendue sans que rien ne reste à faire, comme c'est
le cas en l'espèce, il n'y a aucun doute dans mon
esprit que l'arbitre a épuisé ses attributions: tout
geste que poserait ce dernier le serait sans compé-
tence aucune. Il n'en reste pas moins, comme l'a
souligné mon collègue, que le fait d'inclure dans la
décision une telle stipulation n'emportant aucune
conséquence juridique ne peut en lui-même vicier
la décision.
Le problème porte sur les ordres de faire conte-
nus dans les autres dispositions et qui se veulent
exécutoires immédiatement. La requérante doit
fournir sur-le-champ à son ex-employé une «lettre
de recommandation» renfermant cinq énoncés
précis et sa direction et son personnel ont ordre de
fournir, «pour toute réponse» à toute demande
ultérieure de renseignements relativement à l'em-
ploi de l'intimé à la station de radio, une copie de
ladite lettre. La question est on ne peut plus claire:
l'arbitre avait-il le pouvoir de rendre ces ordonnan-
ces? Respectueusement, je ne partage pas l'opinion
suivant laquelle il avait ce pouvoir. Les redresse-
ments proposés par l'arbitre dans ses ordonnances
sont de deux types: certains sont positifs en ce
qu'ils consistent en l'accomplissement de quelque
chose (une lettre de recommandation énonçant
certains faits sera fournie sur-le-champ à l'intimé
et des copies seront par la suite envoyées à ceux
qui présenteront des demandes de renseigne-
ments); les autres sont négatifs en ce qu'ils empê-
chent l'accomplissement de quelque chose (la
lettre de recommandation ne renfermera que les
énoncés prescrits et, à l'avenir, seuls les renseigne-
ments contenus dans la lettre seront fournis). À
mon avis, l'arbitre pouvait rendre les «redresse-
ments positifs» mais non les redressements «néga-
tifs», d'une part, parce que ces derniers n'étaient
pas autorisés en vertu de la Loi et, d'autre part,
parce que, à tout événement il était impossible de
les imposer sans porter atteinte à la liberté d'ex-
pression et d'opinion garantie à la requérante par
la Constitution.
1. Les pouvoirs conférés à l'arbitre qui conclut
qu'un plaignant a été congédié injustement par son
employeur sont exprimés dans les termes suivants
au paragraphe (9) de l'article 61.5 du Code cana-
dien du travail:
61.5...
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe
(8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut,
par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas
la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma-
lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier.
On a invoqué à l'appui de la prétention suivant
laquelle l'arbitre n'avait pas le pouvoir d'exiger la
rédaction de la lettre un argument reposant princi-
palement sur la présence du mot «like» dans la
phrase «any other like thing» à l'alinéa c). Ce mot,
a-t-on dit, restreignait l'étendue de la compétence
de l'arbitre en limitant son pouvoir à celui de
rendre des ordonnances s'apparentant au verse-
ment d'une indemnité ou à la réintégration. L'ar-
gument n'est pas convaincant. Tout comme le juge
Mahoney, je suis d'avis que le mot «like»,—qui,
comme l'a fait remarquer ce dernier, n'a pas
d'équivalent dans la version française 2 , — ne
semble pas avoir été utilisé afin de restreindre
étroitement la nature de la réparation à laquelle
peut donner lieu un congédiement injuste en vertu
du Code. Il est possible qu'il serve, comme on l'a
suggéré, à renforcer d'une certaine façon la règle
d'interprétation ejusdem generis, mais même cette
2 Dans la version anglaise, l'alinéa c) est ainsi rédigé:
61.5(9)...
(c) do any other like thing that it is equitable to require
the employer to do in order to remedy or counteract any
consequence of the dismissal.
règle serait difficile à appliquer puisqu'il ne semble
pas exister de catégorie commune qui engloberait
les mots «indemnité» et «réintégration» eu égard à
la nature des redressements (voir E. A. Driedger,
Construction of Statutes, deuxième édition, aux
pages 111 et suivantes). Par conséquent, il ne
faudrait pas voir dans la présence du mot «like»
une quelconque restriction de la réparation envisa
gée par la disposition. Cependant, certains mots
utilisés plus loin, plus précisément les mots «afin de
contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier» ne peuvent être interprétés autrement.
La disposition dans son ensemble fait ressortir
l'existence d'une limite claire et sans équivoque
aux pouvoirs de l'arbitre, limite que commandait
déjà le sens commun, étant donné le rôle confié à
l'arbitre, mais que le Parlement a néanmoins choisi
de souligner: les mesures que peut imposer un
arbitre doivent viser strictement à indemniser le
congédiement injuste, à en contrebalancer les
effets ou à les réparer.
Il ne semble faire aucun doute que les «redresse-
ments positifs» proposés par l'arbitre sont restés, à
cet égard, dans les limites de son pouvoir. La lettre
énonçant des faits prouvés visait clairement à
«remédier» ou à «contrebalancer» l'effet domma-
geable qu'un congédiement présumément fondé
sur un rendement insuffisant pourrait avoir sur les
chances de l'intimé de se trouver un nouvel emploi
adéquat et, à ce compte-là, sur sa carrière. Toute-
fois, je ne crois pas qu'on puisse en dire autant des
«redressements négatifs». Le fait d'imposer le
silence à la requérante et à son personnel ne visait
pas, il me semble, à remédier à l'effet du congédie-
ment lui-même. L'arbitre avait de toute évidence à
l'esprit l'animosité que pouvaient ressentir la
requérante et sa direction envers l'intimé, le res-
sentiment qu'elles pourraient éprouver suite au
dépôt de la plainte ou même leur aversion pour
l'homme lui-même, autant de motifs susceptibles
d'inciter à la partialité sinon carrément à la mau-
vaise foi lorsque des demandes de renseignements
seraient présentées à son sujet. En toute déférence,
je suis d'avis que l'arbitre, malgré toutes ses
bonnes intentions, n'avait pas le droit de tenter de
contrebalancer les effets que pourraient avoir sur
l'intimé de tels maux éventuels, sans compter qu'il
agissait sur la foi d'hypothèses ne se rapportant
d'aucune façon à son enquête et à sa décision.
Selon moi, les mesures négatives que renfermait
l'ordonnance débordaient complètement le cadre
de la Loi.
2. Même si l'on pouvait dire que de telles mesu-
res tombaient théoriquement à l'intérieur des limi-
tes du pouvoir conféré à l'arbitre par le Code,
j'estime que de toute façon on ne pouvait y recou-
rir car elles constituaient un empiétement direct et
prohibé sur la liberté de pensée, de croyance,
d'opinion et d'expression garantie à la requérante,
à sa direction et à son personnel dans la Constitu
tion par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des
droits et libertés. On prétend que la liberté fonda-
mentale garantie par cet alinéa 2b) de la Charte
est soumise à la réserve prévue à l'article 1, c'est-à-
dire qu'elle ne peut être restreinte que «par une
règle de droit, dans des limites qui soient raisonna-
bles et dont la justification puisse se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique»,
et que les limites imposées par l'arbitre à la liberté
d'opinion et d'expression de la requérante en l'es-
pèce étaient, à la lumière de la preuve consignée
par ce dernier, des limites «raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique».
J'ai eu l'occasion, dans le passé, d'exprimer cer-
tains doutes quant à l'objet et au sens exacts qu'il
faut donner à l'article 1 de la Charte et plus
précisément quant à la question de savoir si l'on a
voulu que la disposition qu'il renferme soit appli-
quée cas par cas, chacun devant être examiné dans
son contexte particulier et en tenant juste compte
de ses caractéristiques distinctives. Il me semblait
-que le contrôle à assurer était sur le processus
législatif de l'État et que les limites visées étaient
celles déterminées de façon expresse par des règles
d'application générale, d'où l'expression «règle de
droit» et la référence aux caractéristiques d'une
société libre et démocratique. Si tel était le cas, la
justification requise devait être celle provenant des
règles elles-mêmes telles qu'elles ont été adoptées
et rendues applicables et non celles découlant de
leur application dans un cas particulier (ce qui
incidemment semble être l'interprétation de Peter
W. Hogg dans Canada Act 1982 Annotated, aux
pages 10 et 11). Je ne crois pas que la Cour
suprême ait eu l'occasion de se pencher directe-
ment sur la question et par conséquent, mes doutes
persistent encore. Quoi qu'il en soit cependant,
même si je devais écarter ces doutes et reconnaître
que l'on a voulu que l'article 1 de la Charte ait
pour rôle de valider, dans certains cas et à la
lumière de leurs circonstances particulières, une
atteinte à un droit ou à une liberté garantis par les
articles de la Charte qui le suivent, je suis néan-
moins dans l'obligation d'exprimer respectueuse-
ment mon désaccord avec l'opinion suivant
laquelle cela a pu être le cas en l'espèce. Je ne peux
tout simplement pas me convaincre qu'il soit un
jour justifié, dans le cadre d'une société libre et
démocratique, d'interdire à l'ex-employeur d'un
individu d'exprimer dans l'avenir, même en privé
(en supposant qu'il soit possible en pratique d'assu-
rer l'exécution d'une telle ordonnance), quelque
opinion à propos de cet individu et de ses qualités
en tant qu'employé, pour le seul motif qu'il existe
certaines raisons de croire que cet employeur pour-
rait éprouver du ressentiment à l'égard de son
ancien employé et pourrait par conséquent expri-
mer une opinion qui serait partiale ou malhonnête.
Voilà les motifs pour lesquels, à mon avis, l'arbi-
tre ne pouvait interdire à la requérante, en plus de
l'obliger à fournir la lettre de recommandation,
d'exprimer quelque opinion que ce soit sur l'in-
timé. En recourant à un tel redressement, l'arbitre
agissait sans aucun pouvoir légal et en contraven
tion de la Charte. Sa décision doit être modifiée.
Par conséquent, j'accueillerais la demande, annule-
rais la décision et renverrais l'affaire devant l'arbi-
tre pour qu'il réexamine les redressements qu'il
devrait imposer dans les limites de son pouvoir de
contrebalancer le congédiement injuste de l'intimé.
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