A-1757-83
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
CAE Industries Ltd. et CAE Aircraft Ltd. (inti-
mées) (demanderesses)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et Stone-Winni-
peg, 18, 19, 20, 21 et 22 février; Ottawa, 3 juillet
1985.
Couronne - Contrats - Appel est interjeté d'un jugement
de première instance statuant qu'une lettre signée par des
ministres de la Couronne et fournissant des assurances consti-
tuait un contrat - Cette lettre porte que le ministère de la
Production de défense ne saurait garantir plus de 40 000 â
50 000 heures-travail directes par an, mais que le gouverne-
ment du Canada s'emploiera ..de son mieux. à obtenir du
travail supplémentaire - L'exécution partielle indique l'in-
tention de contracter - Le contrat n'est pas si incomplet qu'il
ne peut être mis à exécution - Il prévoit tout ce qui devait
être déterminé - Le fait qu'il sera nécessaire de conclure des
marchés de service individuels pour la réparation et la révision
des avions ne porte pas atteinte aux engagements de »réserver,
des travaux et de s'employer »de son mieux» à fournir ceux-ci
- Après leur acceptation, les ..assurances. sont devenues des
engagements obligatoires - Interprétation des expressions
»réservés, et »de son mieux» - Explication de l'arrêt Ver-
reault (J. E.) & Fils Ltée c. Le procureur général (Québec),
/19771 / R.C.S. 41 - Un ministre de la Couronne est habilité
à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit
restreint par une loi - L'objet du contrat relève des compéten-
ces générales des ministres - Le Cabinet a autorisé la signa
ture de la lettre - Aucune disposition législative ne restreint
le pouvoir des ministres de lier la Couronne - Le Règlement
ne constituait pas un obstacle à l'exécution du contrat comme
l'indiquent son exécution partielle et la souplesse que revêt le
Règlement - La preuve étaye la conclusion d'inexécution de
contrat à laquelle est arrivé le juge de première instance -
Aucune erreur dans l'évaluation des dommages-intérêts accor
dés pour le manque à gagner - Le juge de première instance a
commis une erreur en retenant le témoignage de l'estimateur
de l'intimée - Les fondements factuels supportant les hypo-
thèses sont trop ténus et trop hypothétiques - En modifiant
l'intérêt après jugement le juge de première instance a agi dans
les limites du pouvoir qui lui est conféré par l'art. 40 de la Loi
sur la Cour fédérale - Loi sur la production de défense,
S.R.C. 1952, chap. 62, art. 1, 3, 9, 15, 17 (mod. par S.C.
1967-68, chap. 27, art. 1) - Loi sur l'aéronautique, S.R.C.
1952, chap. 2, art. 2, 3 - Loi sur le ministère du Commerce,
S.R.C. 1952, chap. 78, art. 2, 3, 5 - Règlement sur les
marchés de l'État, DORS/64-390, art. 2(1)c)(iii), 6, 14 (mod.
par DORS/68-89, art. I) - Loi sur l'administration finan-
cière, S.R.C. 1952, chap. 116, art. 39 - Loi sur l'intérêt,
S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 13 - Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 40 - Loi sur le
ministère des Approvisionnements et Services, S.R.C. 1970,
chap. S-18, art. 3 - Loi de 1969 sur l'organisation du
gouvernement, S.C. 1968-69, chap. 28, art. 103 - Loi sur le
ministère des Transports, S.R.C. 1952, chap. 79, art. 3 - Loi
sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38.
Pratique — Dépens — Appel interjeté du refus du juge de
première instance d'augmenter les frais entre parties au-delà
de ce qui est prévu au tarif B — Le juge de première instance a
bien exercé son pouvoir discrétionnaire — Appel rejeté —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 344, tarif
B.
Pratique — Parties — Les intimées sont-elles parties au
contrat en litige? — Cession en equity — Substitut accepté par
les deux parties — Les intimées possèdent un intérêt suffisant
pour justifier les causes d'action.
Appel est interjeté d'un jugement de première instance qui a
donné gain de cause aux intimées dans une action pour inexécu-
tion de contrat.
Un fonctionnaire du gouvernement est entré en contact avec
CAE Industries Ltd. (CAE) pour que cette dernière prenne en
charge l'exploitation des installations d'Air Canada à Winnipeg
par l'intermédiaire de sa filiale Northwest Industries Ltd.
(Northwest). Northwest s'est montrée intéressée à prendre en
charge les installations à condition que le gouvernement accepte
de lui fournir une quantité minimale de travail (300 000 heures
de production par an). Il a été précisé qu'une telle demande
n'était pas compatible avec la politique gouvernementale de
soumissions obtenues sur une base de concurrence qui s'appli-
quait alors. Cependant, une lettre datée du 26 mars 1969 et
signée par le ministre des Transports, le ministre du Commerce
et le ministre de la Production de défense a été envoyée au
président de CAE. Cette lettre exposait les conditions du
contrat qui aurait été conclu. Elle fournissait notamment les
assurances suivantes: 1) le gouvernement du Canada souscrivait
à l'objectif voulant que les niveaux d'emploi devaient être
maintenus; 2) il reconnaissait aussi que 700 000 heures-travail
directes par an constituaient un objectif réaliste si on voulait
faire de l'exploitation de ces installations une entreprise viable;
3) le ministère de la Production de défense ne pouvait garantir
plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par an, mais le
gouvernement du Canada s'emploierait de son mieux à obtenir
le travail supplémentaire nécessaire afin de respecter l'objectif
de 700 000 heures-travail directes. Se fondant sur ces assuran
ces, CAE a décidé que sa filiale achèterait la base de Winnipeg.
Des arrangements ont été conclus en septembre 1969. Les
choses allèrent bien jusqu'en 1971 lorsque la charge de travail a
commencé à diminuer. Lorsque l'appelante a fait défaut de se
conformer aux engagements contenus dans la lettre du 26 mars,
les intimées ont intenté une action pour inexécution de contrat.
L'appelante allègue 1) que la Couronne n'avait pas l'inten-
tion de conclure un contrat; 2) que le document est si vague ou
incomplet qu'il ne peut être mis à exécution; 3) que s'il n'est pas
trop vague, il ne peut être mis à exécution parce qu'il ne lie pas
l'appelante; 4) que s'il lie l'appelante, il n'y a pas eu inexécution
du contrat, et 5) que le juge de première instance a commis une
erreur en évaluant les dommages-intérêts. Les intimées soutien-
nent dans leur appel incident que le montant des dommages-
intérêts aurait dû être plus élevé.
Une question préliminaire a été soulevée au sujet de l'identité
des parties. Jusqu'au début de 1969, Northwest était considérée
dans les négociations comme l'acheteur et l'exploitant de la
base. L'appelante soutient que c'est Northwest qui est devenue
l'autre partie au contrat et que ni l'une ni l'autre des intimées
n'y sont parties. Les intimées allèguent qu'elles sont les parties
en cause parce que la lettre du 26 mars était adressée à CAE
Industries Ltd. et que CAE Aircraft Ltd. est devenue acheteur
et exploitant de la base de Winnipeg sur l'ordre de sa compa-
gnie mère et au su du gouvernement. Elles font valoir que tous
les droits que Northwest peut avoir possédés ont été conférés à
CAE Aircraft Ltd. par voie d'une cession en equity.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Stone: Il importe peu que l'entente ait été conclue
avec la compagnie mère ou une filiale. On considérait que les
compagnies du groupe CAE étaient habilitées à acheter et à
exploiter la base. Le contrat, s'il existe, a été conclu avec CAE
Industries Ltd., mais les deux parties ont considéré que CAE
Aircraft Ltd. était un substitut valable. Le juge de première
instance a statué à juste titre que la preuve confirme la
transmission à CAE Aircraft Ltd. de tout intérêt que North
west peut avoir acquis dans le contrat. Il a eu également raison
de juger que les intimées possédaient un intérêt suffisant pour
justifier les causes d'action alléguées.
Un contrat ne peut être conclu que s'il existe une intention de
contracter. Mais l'intention de conclure un contrat peut se
déduire des circonstances. Dans un cas de ce genre, le fardeau
de la preuve dont est chargée la personne qui affirme qu'on ne
voulait produire aucun effet est lourd. On ne s'est pas acquitté
de cette obligation en l'espèce. Le gouvernement a lui-même
pris l'initiative de trouver un acheteur dans le secteur privé et il
a fait des démarches auprès de l'intimée à cet égard. Les parties
ont considéré que le document constituait un contrat les liant
dans la mesure où il a été partiellement exécuté. Il existait une
intention de conclure un contrat.
Le contrat n'est pas si incomplet qu'il ne peut être mis à
exécution. Il prévoit tout ce qui devait être déterminé entre les
parties. Le fait qu'il serait nécessaire de conclure des marchés
de service individuels pour l'exécution de travaux de réparation
et de révision des avions ne portait pas atteinte à l'engagement
principal de «réserver» des travaux de réparation et de révision
et de s'employer «de son mieux» à fournir d'autres travaux de ce
genre. Les «assurances» étaient, après acceptation, censées
devenir et sont devenues des engagements obligatoires. Le juge
de première instance a conclu à juste titre que les travaux
«réservés» constituaient une «garantie sans réserve» et que l'ap-
pelante était forcée d'exécuter cette partie de la convention
même s'il lui était nécessaire pour cela «d'enlever des comman-
des à d'autres». Le gouvernement s'était engagé dans l'entente à
faire «de son mieux» pour obtenir du travail additionnel. Si on
interprète cette expression à la lumière du contrat, des parties
contractantes et de son objectif, on constate qu'elle a créé
l'obligation générale de fournir des travaux jusqu'à concurrence
de la limite indiquée. Cela ne signifiait pas que le gouverne-
ment se voyait obligé de ne pas tenir compte des obligations
contractuelles existantes ni de l'intérêt public.
Le juge de première instance a statué que le contrat liait
l'appelante parce qu'il avait été signé par trois ministres qui ou
bien étaient réellement habilités en vertu d'un certain nombre
de lois fédérales à lier la Couronne ou bien possédaient le
pouvoir de le faire suivant le principe énoncé dans l'arrêt
Verreault (J. E.) & Fils Liée c. Le procureur général (Québec),
[1977] 1 R.C.S. 41. L'appelante a soutenu que la Couronne ne
pouvait être liée par contrat que s'il existait un pouvoir à cette
fin dans une loi ou dans un décret. On a fait valoir que les
pouvoirs légaux de «gestion» et de «direction» ne vont pas
jusqu'à autoriser la signature d'un contrat de ce genre.
Les décisions rendues avant celle de l'arrêt Verreault vien-
nent appuyer le principe général voulant que, lorsqu'une loi
réglemente le pouvoir de contracter, un contrat ne peut lier la
Couronne que si les exigences de la loi sont remplies. Dans la
décision qu'elle a rendue dans l'arrêt Verreault, la Cour
suprême du Canada voulait déroger à la prudence juridique en
matière de contrat en statuant que suivant les règles générales
du mandat, et notamment celles concernant le mandat appa
rent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa qualité de
chef d'un ministère, à lier la Couronne par contrat à moins que
ce pouvoir ne soit restreint par la loi. L'objet de ce contrat
tombait dans le champ des responsabilités générales des minis-
tres dont les ministères constitueraient la source des travaux qui
sont visés au contrat. Même si seulement trois ministres ont
signé la lettre, le Cabinet les avait autorisés à le faire. Il appert
que l'intention du gouvernement était de se lier par contrat.
La Loi sur l'aéronautique, la Loi sur le ministère du Com
merce et la Loi sur la production de défense ne restreignaient
pas le pouvoir des ministres de signer la lettre. L'alinéa 17(1)d)
de la Loi sur la production de défense prévoit que le Ministre
ne peut conclure aucun contrat sauf en conformité des règle-
ments établis sous le régime de la Loi sur l'administration
financière qui s'appliquent au contrat. Cette restriction est
inapplicable étant donné que le règlement adopté en vertu de
cette Loi s'applique seulement à un «marché de service».
Le Règlement sur les marchés de l'État n'empêche pas les
parties de donner suite à leur intention de s'engager. L'exécu-
tion des travaux était assujettie aux exigences de ce règlement.
Dans la mesure où il concerne les «marchés de service», le
Règlement revêt une certaine souplesse qui aurait permis au
gouvernement, par l'intermédiaire de ses ministres, et si néces-
saire, du Conseil du Trésor, de fournir le travail indiqué dans le
contrat sans qu'il soit nécessaire de faire des appels d'offres ou
de tenir compte des limites d'ordre financier. L'appelante est
liée par le contrat.
La preuve est venue étayer la position du juge de première
instance qui a conclu que les obligations de fournir du travail
«réservé» et de faire «de son mieux» n'avaient pas été entière-
ment satisfaites et qu'il y avait eu inexécution du contrat.
Le juge de première instance a évalué les dommages-intérêts
à 1 900 000 $ pour le manque à gagner et à 2 400 000 $ pour la
perte de capital. L'appelante allègue que la créance pour perte
de capital n'est pas recouvrable parce qu'elle est trop indirecte
et incertaine. L'appelante soutient également que les sommes
accordées étaient excessives. Le juge de première instance n'a
pas commis d'erreur de principe en accordant des dommages-
intérêts pour le manque à gagner ni en réduisant leur montant.
Pour ce qui est de la perte de capital, le juge de première
instance a retenu l'évaluation faite par le témoin des intimées.
Il est possible que le juge de première instance ait commis une
erreur quant à la qualité de la preuve soumise à l'appui de
certaines hypothèses sous-jacentes faites par le témoin. Les
faits servant de fondement aux hypothèses de l'estimateur
étaient trop ténus et trop hypothétiques pour que l'opinion de ce
dernier puisse servir de preuve. L'appel devrait être accueilli sur
ce point et les dommages-intérêts devraient être réduits en
conséquence.
L'appelante conteste les taux d'intérêt accordés. Le juge de
première instance s'est appuyé sur l'affaire Domestic Conver
ters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211;
(1983), 46 N.R. 195 (C.A.), pour accorder pour la période
postérieure au jugement un intérêt autre que celui de 5 % prévu
à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt. Cette affaire a tranché la
question du pouvoir conféré à la Cour par l'article 40 de la Loi
sur la Cour fédérale et la Cour n'était pas disposée à réexami-
ner cette question.
Le juge de première instance a refusé d'augmenter les frais
entre parties au-delà de ce qui est prévu au tarif B. Suivant la
Règle 344, le tarif s'applique. Le juge de première instance a
bien présenté la question en exerçant sa discrétion.
Le juge Urie: Quand les conditions d'un contrat ont pour
l'essentiel été respectées pendant un certain temps, ce n'est que
lorsque la preuve est claire et indubitable que l'on peut conclure
que les parties n'avaient pas l'intention de contracter et qu'en
fait, elles n'ont pas conclu de contrat. La preuve montre
clairement et indubitablement que les parties avaient l'intention
de conclure et ont conclu un contrat qui les liait.
Le juge Pratte (dissident): Contrairement à ce que soutient
l'appelante, les circonstances n'indiquent pas une intention de
conclure un arrangement politique plutôt qu'un contrat.
Il est étonnant, compte tenu de l'importance de l'affaire, que
les parties n'aient pas donné une forme officielle à leur conven
tion. La lettre n'a pas été écrite pour faire une offre mais pour
donner des assurances. Même si certaines de ces assurances
indiquent une identité de vues et d'objectifs, elles n'ont mani-
festement aucun caractère contractuel.
La Division de première instance a commis une erreur en
concluant à l'existence d'une garantie d'au moins 40 000 heu-
res-travail de travaux «réservés». La lettre portait que «le
ministère de la Production de défense ne saurait garantir plus
de 40 000 à 50 000 heures-travail». Il s'agissait d'une simple
approximation du nombre maximum d'heures de travaux que le
ministère pouvait garantir et non d'une détermination du
nombre minimum que le ministère offrait de garantir.
L'engagement à faire «de son mieux» ne revêtait pas le
caractère certain exigé d'une promesse contractuelle parce qu'il
était limité par l'obligation première du gouvernement d'agir
dans l'intérêt public. Le gouvernement ne pouvait avoir l'inten-
tion de s'obliger à faire des choses préjudiciables à l'intérêt
public.
Les intimées soutiennent qu'on a admis, au cours de l'interro-
gatoire préalable, que chaque ministre avait le pouvoir néces-
saire en vertu de la loi pour lier la Couronne en ce qui concerne
son propre ministère. Mais il s'agit là d'une question de droit
qui ne pouvait faire l'objet d'un aveu. En fait, ce qui a été
admis c'est que le Cabinet a autorisé les trois ministres à signer
et à envoyer la lettre. En l'absence de dispositions législatives
contraires, un décret suffit pour conférer le pouvoir de lier la
Couronne. Le pouvoir exécutif est confié à la Reine qui agit sur
l'avis de ses ministres et exprime ses volontés sous forme de
décrets. Une décision du Cabinet n'est pas une décision de la
Reine qui n'y a pas pris part. Une simple autorisation du
Cabinet ne peut être assimilée à un décret. Aucune loi n'autori-
sait les ministres à conclure le contrat. La Loi sur la production
de défense autorisait le Ministre à conclure des contrats pour la
réparation et l'entretien des approvisionnements de défense (y
compris les avions). La Loi sur l'aéronautique imposait au
ministre des Transports l'obligation «de contrôler et d'adminis-
trer» tous les avions civils «nécessaires à la direction des services
de Sa Majesté». Le contrat dont il s'agit en l'espèce n'était ni
un contrat pour l'entretien d'avions du gouvernement ni un
contrat par lequel le ministre des Transports exerçait son
pouvoir de contrôle et d'administration sur les avions civils
utilisés par le gouvernement. Il s'agissait d'un contrat qui
prévoyait que les contrats d'entretien d'avions seraient négociés
avec les compagnies CAE. Ce contrat, qui ne pouvait avoir
aucune répercussion immédiate sur la réparation et l'entretien
des avions, aurait été conclu dans le seul but d'empêcher la
fermeture de la base d'Air Canada à Winnipeg. La Loi sur le
ministère du Commerce ne décrivait pas la sphère des activités
gouvernementales qui avaient été attribuées à ce Ministère.
La décision rendue dans l'arrêt Verreault n'aide pas la cause
des intimées car elle supporte la proposition voulant que, en
l'absence de dispositions législatives contraires, il n'est pas
nécessaire qu'un ministre soit expressément autorisé par une loi
ou un décret à conclure un contrat au nom de la Couronne, à
condition que ledit contrat concerne directement la sphère des
activités gouvernementales assignées à son ministère. Le con-
trat en question ne concernait pas directement la sphère d'acti-
vités des trois ministères visés. Le Règlement sur les marchés
de l'État prévoyait que, avant de conclure un marché de
service, un ministre devait solliciter des soumissions. Bien que
le contrat invoqué ne constituait pas un marché de service, il
prévoyait que des marchés de service seraient conclus et son
exécution exigeait que ces marchés de service soient accordés
sans tenir compte du Règlement. En l'absence d'une disposition
législative prévoyant expressément le contraire, le pouvoir d'un
ministre de conclure un contrat au nom de la Couronne est
soumis aux restrictions qui lui sont imposées par la loi et les
règlements. Les trois ministres n'étaient pas habilités à conclure
un contrat qui contreviendrait au Règlement sur les marchés de
l'État.
Est indéfendable la prétention suivant laquelle si la Cour
devait conclure qu'il n'existait aucune convention valide et
exécutoire, elle devrait statuer que l'appelante était responsable
envers les intimées en raison des déclarations fausses et négli-
gentes contenues dans la lettre du 26 mars. La lettre ne
contenait aucune fausse déclaration qui pouvait donner lieu à
une responsabilité délictuelle. Même si un délit avait été
commis, il n'existe aucune preuve indiquant que les intimées
ont subi des dommages en conséquence de celui-ci.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Attorney -General for British-Columbia v. Esquimalt
and Nanaimo Railway Company, [1950] A.C. 87 (P.C.);
Lindsey v. Heron & Co. (1921), 64 D.L.R. 92 (C.A.
Ont.); Kelly v. Watson (1921), 61 R.C.S. 482; Hillas and
Co. Limited v. Arcos Limited (1932), 147 L.T. 503
(H.L.); Marquest Industries Ltd. v. Willows Poultry
Farms Ltd. (1969), 66 W.W.R. 477 (C.A.C.-B.); May
and Butcher, Ltd. v. R., [1929] All E.R. Rep. 679 (H.L.);
Murphy v. McSorley, [ 1929] R.C.S. 542; Sheffield Dis
trict Railway Company v. Great Central Railway Com
pany (1911), 27 T.L.R. 451 (Rail and Canal Corn.);
Verreault (J. E.) & Fils Ltée c. Le procureur général
(Québec), [1977] I R.C.S. 41; Town Investments Ltd. v.
Department of the Environment, [1978] A.C. 359 (H.L.);
British Westinghouse Electric and Manufacturing Com-
pany v. Underground Electric Railways Company of
London, [1912] A.C. 673 (H.L.); Penvidic Contracting
Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd.,
[1976] 1 R.C.S. 267; Wood v. Grand Valley Railway Co.
et al. (1915), 51 R.C.S. 283; Domestic Converters Cor
poration c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211;
(1983), 46 N.R. 195 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Joy Oil v. The King, [1951] R.C.S. 624; 3 D.L.R. 582;
Meates v Attorney-General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The King v. McCarthy (1919), 18 R.C.É. 410; The
Quebec Skating Club v. The Queen (1893), 3 R.C.E. 387;
Wood v. The Queen (1877), 7 R.C.S. 634; Drew, Aileen
M. v. The Queen, [1956-1960] R.C.E. 339; Walsh
Advertising Co. Ltd. v. The Queen, [1962] R.C.E. 115;
Jacques-Cartier Bank v. The Queen (1895), 25 R.C.S.
84; The King v. Vancouver Lumber Co. (1914), 41
D.L.R. 617 C. de l'E; R. c. Transworld Shipping Ltd.,
[1976] 1 C.F. 159 (C.A.); Mackay v. Attorney-General
for British Columbia, [1922] 1 A.C. 457 (P.C.); Livings-
ton vs The King (1919), 19 R.C.E. 321; State of New
South Wales v. Bardolph (1933-1934), 52 C.L.R. 455
(Aust. H.C.); Cudgen Rutile (No. 2) Pty. Ltd. v. Chalk,
[1975] A.C. 520 (P.C.); Hadley v. Baxendale (1854), 9
Ex. 341; 156 E.R. 145; Victoria Laundry (Windsor), Ld.
v. Newman Industries Ld., Coulson & Co., Ld. (Third
Parties), [1949] 2 K.B. 528 (C.A.); Czarnikow (C.) Ltd.
v. Koufos, [ 1969] 1 A.C. 350 (H.L.); Freedhoff v. Poma-
lift Industries Ltd. et al., [1971] 2 O.R. 773 (C.A.);
Midway Mfg. Co. c. Bernstein, [1983] 1 C.F. 510 (1re
inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Brandt's (William) Sons & Co. v. Dunlop Rubber Com
pany, [1905] A.C. 454 (H.L.); Rose and Frank Co. v.
Crompton and Brothers, [1923] 2 K.B. 261 (CA.);
Edwards v. Skyways Ltd., [1964] 1 W.L.R. 349 (Q.B.);
Bahamas Oil Refining Co. v. Kristiansands Tankrederei
AIS and Others and Shell International Marine Ltd.
(The «Polyduke»), [1978] 1 Lloyd's Rep. 211 (Q.B.);
Province of Quebec v. Province of Ontario (1909), 42
R.C.S. 161; Attorney-General for Ceylon v. A. D. Silva,
[1953] A.C. 461 (P.C.); Guerin et autres c. La Reine et
autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1985), 55 N.R. 161; Nance
v. British Columbia Electric Ry. Co. Ld., [1951] A.C.
601 (P.C.); Flint v. Lovell, [1935] 1 K.B. 354 (C.A.);
South Australia and A.-G. (S.A.) v. Commonwealth
(1962), 35 A.L.J.R. 460 (H.C.); Australian Woollen
Mills Pty. Ltd. v. The Commonwealth (1954), 92 C.L.R.
424 (Aust. H.C.), confirmée par [1955] 3 All E.R. 711
(P.C.); Milne v. Attorney-General for Tasmania (1956),
95 C.L.R. 460 (Aust. H.C.); Papua and New Guinea
Administration v. Leahy (1961), 34 A.L.J.R. 472 (H.C.);
Terrell v. Mabie Todd & Coy. Ld. (1952), 69 R.P.C. 234
(Q.B.); Randall v. Peerless Motor Car Co., 99 N.E. 221
(S.C. Mass. 1912)—Chaplin v. Hicks, [1911] 2 K.B. 786
(C.A.).
AVOCATS:
E. A. Bowie, c.r. et B. Mclsaac pour l'appe-
lante (défenderesse).
Marc M. Monnin, L. N. Mercury et D. G.
Hill pour les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Aikins, McAuley & Thorvaldson, Winnipeg,
pour les intimées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est interjeté
d'un jugement du juge Collier de la Division de
première instance [[1983] 2 C.F. 616] dans une
action pour inexécution de contrat intentée contre
la Couronne par les intimées. Le jugement a donné
gain de cause aux intimées. Le juge Collier a
conclu que celles-ci avaient conclu avec la Cou-
ronne un contrat dont cette dernière n'a pas exé-
cuté les conditions; il a donc accordé aux intimées
des dommages-intérêts de 4 300 000 $, plus les
dépens.
Un appel incident a également été formé contre
la même décision. Les intimées soutiennent que le
juge de première instance aurait dû être plus géné-
reux dans son évaluation des dommages-intérêts et
qu'il a commis une erreur en n'exerçant pas le
pouvoir discrétionnaire qui lui permettait d'accor-
der des dépens supérieurs à ceux prévus au tarif
applicable.
Le juge Collier a bien résumé la série d'événe-
ments qui ont abouti aux présentes procédures [à
la page 621]:
Autrefois, les activités d'Air Canada (anciennement T.C.A.)
étaient centralisées à Winnipeg. En 1949, on a construit, à
Montréal, des ateliers d'exploitation et d'entretien. En 1959, on
a parachevé la construction d'ateliers importants et modernes
de révision dans cette ville.
En 1962, Air Canada fit connaître son intention de fermer sa
base de Winnipeg. Ce qui suscita de véhémentes protestations.
La fermeture allait causer probablement la perte de plus de
1 000 emplois qualifiés dans la région de Winnipeg. A cette
époque, les principaux travaux de révision et d'entretien effec-
tués à la base d'Air Canada à Winnipeg concernaient sa flotte
d'appareils Viscount.
Le premier ministre de l'époque, fin 1963 début 1964,
déclara que la politique du gouvernement consistait à chercher
d'une façon ou d'une autre à maintenir la base de Winnipeg en
activité. Une commission royale d'enquête fut constituée et
saisie de l'affaire. Elle fit certaines recommandations. Mais les
négociations qui suivirent, afin d'en arriver à une solution
acceptable pour maintenir ouverte la base de Winnipeg,
échouèrent.
Au début d'octobre 1967, Air Canada annonça que sa flotte
d'appareils Viscount serait, vers 1970, réduite à un point tel
qu'il faudrait fermer la base de Winnipeg. Cette annonce
suscita des rencontres entre le ministre fédéral des Transports
et la province du Manitoba. Il en résulta ce qui suit (voir pièces
P. 150 et 151):
[TRADUCTION] (1) Le ministre des Transports confirmait
l'engagement antérieur du premier ministre, mais rappelait
que cela ne signifiait pas nécessairement la continuation des
opérations d'Air Canada quoique cela requérerait nul doute
un appui substantiel d'Air Canada.
(2) On demandait à Air Canada de réexaminer ses besoins
en révision d'appareils à la lumière du changement de cir-
constances survenu depuis la remise du rapport de la Com
mission royale.
(3) Un groupe de travail intergouvernemental était constitué
afin d'étudier les solutions diverses proposées.
Plus tard en 1967, un fonctionnaire du ministère
de l'Industrie a rencontré M. Reekie, qui était
président-directeur général de l'intimée CAE
Industries Ltd. (CAE), afin de savoir si la filiale
de cette dernière, Northwest Industries Ltd.
(Northwest), serait intéressée à prendre en charge
l'exploitation des installations d'Air Canada à
Winnipeg. Northwest s'occupait de la réparation
et de la révision d'avions à Edmonton. M. Reekie
s'est montré intéressé et de longues négociations
ont suivi avec les fonctionnaires fédéraux et Air
Canada.
Dès le départ, Northwest s'est montrée intéres-
sée à prendre en charge les ateliers d'Air Canada à
Winnipeg à condition que le gouvernement accepte
de lui fournir une quantité minimum de travail
pour plusieurs années à venir. Par contre, les fonc-
tionnaires du gouvernement fédéral ont précisé
rapidement au cours des négociations qu'une telle
demande n'était pas compatible avec la politique
gouvernementale de soumissions obtenues sur une
base de concurrence qui s'appliquait alors'.
' Le Règlement sur les marchés de l'État (DORS/64-390,
modifié par DORS/68-89, art. 1) imposait aux divers ministè-
res l'obligation de solliciter des soumissions avant de conclure
des marchés de service.
En janvier 1969, Northwest a présenté [TRA-
DUCTION] «à Air Canada un projet d'achat et de
prise en charge de l'exploitation de la base d'entre-
tien de cette dernière à l'aéroport international de
Winnipeg». Ce document stipulait:
[TRADUCTION] Nous devons répéter à nouveau qu'à moins
d'un engagement ferme pour un total de 300 000 heures de
production par an, jusqu'à 1976, nous ne serons pas intéressés à
prendre en charge et à exploiter les installations d'entretien de
Winnipeg. Notre projet, donc, est présenté sous la condition
suspensive de l'engagement par Air Canada et le gouvernement
canadien de fournir 300 000 heures de travail productif annuel-
lement, jusqu'en 1976, en sus du travail que générera North
west Industries Limited elle-même. Sans cet engagement, nous
ne saurions promettre de maintenir un niveau d'emploi compa
rable à celui existant, ni ne pouvons-nous prétendre développer
une industrie saine et durable au Manitoba.
Le 28 février 1969, le président de CAE, M.
Reekie, a écrit à M. E. L. Hewson, directeur de la
Direction de la politique en matière de transport et
de recherche au ministère des Transports, afin de
lui exposer les demandes de CAE:
[TRADUCTION] Nous croyons comprendre qu'Air Canada a
informé le gouvernement canadien que, à la suite de l'évalua-
tion des projets soumis par les parties intéressées en janvier
dernier, la compagnie Northwest Industries Limited est l'entre-
preneur qu'elle a choisi pour prendre en charge et exploiter sa
base d'entretien à Winnipeg. Nous croyons en outre compren-
dre que le gouvernement du Canada souhaite maintenant négo-
cier avec l'entrepreneur choisi afin de déterminer les exigences
de ce dernier face au gouvernement canadien, exigences qui
avaient été exposées d'une manière générale dans le projet
susmentionné.
Afin de faciliter la solution de ce problème, nous voulons
préciser les engagements que nous demandons au gouvernement
du Canada et qui, en corrélation avec les engagements exigés
d'Air Canada et les contributions que devra faire Northwest
Industries, devraient nous permettre d'atteindre les objectifs de
toutes les parties intéressées. Ces objectifs se résument briève-
ment à développer à long terme une importante industrie
aéronautique au Manitoba et à maintenir un niveau d'emploi
comparable à celui existant.
Depuis presque deux ans, nous avons souvent exposé nos exi-
gences. Nous considérons qu'elles constituent les minimums
nécessaires pour maintenir le niveau d'emploi pendant une
période suffisante, à notre avis, pour nous permettre de créer
d'autres sources de travail. Nous sommes bien conscients des
problèmes que cela cause à Air Canada et au gouvernement du
Canada de s'engager à fournir du travail ou à remplir leurs
autres engagements; il faut cependant admettre que, sans l'ap-
pui essentiel d'Air Canada et du gouvernement du Canada, il
n'y a aucune chance que le niveau d'emploi désiré puisse être
maintenu.
Tout indique jusqu'à maintenant que la garantie de 300 000
heures-travail par an jusqu'en 1976 que nous avons demandée à
Air Canada et au gouvernement du Canada ne sera pas fournie.
Air Canada a offert des garanties de 150 000 heures-travail par
an jusqu'en 1976 et le gouvernement du Canada a offert pour
sa part environ 50 000 heures-travail par an jusqu'en 1976, ce
qui donne un total de 200 000 heures-travail par an. Cela
équivaut à environ 100 000 heures-travail de moins par année
que le total demandé, c'est-à-dire l'équivalent du travail d'ap-
proximativement 50 personnes. Ces engagements s'ajoutent au
travail de révision des Viscount qui s'effectue actuellement à la
base.
La politique du gouvernement a été exposée par l'ex-Premier
ministre du Canada, le très honorable Lester B. Pearson, et par
le ministre des Transports, l'honorable Paul Hellyer, qui ont
déclaré que le niveau d'emploi serait maintenu et que l'on
continuerait à exploiter une industrie aéronautique viable à la
base d'entretien d'Air Canada à Winnipeg. Il est difficile à
notre avis d'établir un parallèle entre ces déclarations et le peu
d'empressement du gouvernement du Canada à s'engager à
fournir les ressources pour procurer du travail à cinquante
personnes. Nous savons très bien que les politiques et les
procédures à suivre pour la conclusion de marchés au ministère
de la Production de défense et au ministère de l'Industrie ne
prévoient pas le genre de solution que nous proposons, mais si
l'on veut que les assurances données aux employés de la base
d'Air Canada, au gouvernement du Manitoba et aux citoyens
de cette province aient un sens, ces politiques et ces pratiques
doivent alors être modifiées.
Pour aider à solutionner ce problème, nous aimerions faire les
suggestions suivantes:
1. Une lettre portant que l'objectif du gouvernement est de
maintenir le niveau d'emploi actuel et d'aider à développer
une industrie aéronautique viable et durable à Winnipeg
devrait être envoyée à Northwest Industries Limited.
2. Cette lettre reconnaîtrait que nous sommes justifiés de
vous demander de fournir 300 000 heures-travail pour
atteindre les fins désirées.
3. La lettre indiquerait le nombre d'heures-travail et les
programmes de travail pour lesquels un engagement peut
présentement être pris, compte tenu des renseignements
actuels.
4. La lettre reconnaîtrait que le gouvernement du Canada
s'emploiera de son mieux à obtenir, pour la période
requise, le travail supplémentaire couvrant la différence
entre celui offert et la quantité prévue dans notre
proposition.
5. La lettre reconnaîtrait que tout travail confié à la base
d'entretien de Winnnipeg ne proviendra pas des contrats
de travail ou des programmes aéronautiques que North
west Industries exécute actuellement à Edmonton.
6. La lettre porterait que la politique du gouvernement con-
sistera à encourager un seul entrepreneur en réparation et
en révision d'avions dans la région de Winnipeg, et qu'au-
cun autre entrepreneur ne sera admissible aux futurs
programmes de réparation et de révision d'avions dans
cette région.
7. Le gouvernement consentirait à céder les baux de terrain
existants à Northwest Industries comme dans le projet que
nous avons présenté à Air Canada.
Nous désirons faire en sorte que cette entreprise dans la région
de Winnipeg se poursuive sur une base solide et durable. Nous
demandons que la présente lettre soit signée par les ministres de
la Couronne et les sous-ministres qui seront chargés de s'assu-
rer que les engagements de fournir du travail sont respectés
comme prévu.
Le 20 mars 1969, le Cabinet a approuvé une
réponse à la lettre de M. Reekie. Il s'agissait d'une
lettre adressée à M. Reekie et signée par l'honora-
ble Paul Hellyer, ministre des Transports, l'hono-
rable J.-L. Pépin, ministre du Commerce, et l'ho-
norable D. C. Jamieson, ministre de la Production
de défense. Cette lettre était datée du 26 mars
1969. Elle mérite d'être citée en totalité parce que,
selon les intimées, elle expose les conditions du
contrat conclu par les parties:
[TRADUCTION] LE MINISTRE DES TRANSPORTS
OTTAWA, le 26 mars 1969
M. C. D. Reekie,
Président,
CAE Industries Ltd.,
C.P. 6166,
Montréal 3, P.Q.
Cher monsieur Reekie,
Le 28 février 1969, vous avez écrit à M. E.L. Hewson du
ministère des Transports pour demander certaines assurances
au sujet du projet d'achat de la base d'entretien d'Air Canada à
Winnipeg par Northwest Industries Ltd., une filiale de CAE
Industries Ltd. Vu l'accord signé par votre firme et par Air
Canada, le soussigné est autorisé à fournir les assurances
suivantes dans cette affaire:
a) Le gouvernement du Canada souscrit à l'objectif voulant
que les niveaux d'emploi actuels soient maintenus et que
tous les efforts possibles soient faits pour aider à dévelop-
per une industrie aérospatiale viable et durable à
Winnipeg.
b) Il reconnaît aussi, d'une part, que 700 000 heures-travail
directes par an constituent un objectif réaliste si l'on veut
faire de l'exploitation de ces installations une entreprise
viable et, d'autre part, que les évaluations actuelles de la
charge de travail future suggèrent qu'éventuellement les
niveaux minimums fixés pourraient différer des niveaux
réels entre 1971 et 1976 moins que de nouveaux contrats
de réparation et de révision ou de fabrication aérospatiales
ne soient souscrits.
c) Le ministère de la Production de défense ne saurait garan-
tir plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par an
dans la période 1971-1976 au titre de travaux de répara-
tion et de révision «réservés», mais le gouvernement du
Canada s'emploiera de son mieux à obtenir le travail
supplémentaire nécessaire d'autres ministères ou de socié-
tés de la Couronne afin de respecter l'objectif de 700 000
heures-travail directes.
d) Dans l'exécution de l'engagement souscrit en c) ci-dessus,
le gouvernement du Canada reconnaît que tout travail
supplémentaire confié à la base d'entretien de Winnipeg ne
proviendra pas des contrats de travail gouvernementaux
que Northwest Industries exécute actuellement à Edmon-
ton.
e) Il donne en outre son agrément à ce que le bail liant
actuellement Air Canada et le ministère des Transports
soit cédé à NWI, aux conditions, financières- et autres,
actuelles, pour dix ans.
Veuillez accepter l'expression de mes sentiments distingués.
Paul T. Hellyer
Contresigné par:
L'honorable J. L. Pépin
Ministre du Commerce
L'honorable D. C. Jamieson
Ministre de la Production de défense
Se fondant sur les assurances contenues dans
ladite lettre, CAE a décidé que sa filiale achèterait
et exploiterait les installations d'Air Canada à
Winnipeg. Le 2 avril 1969, Northwest a conclu
une entente préliminaire avec Air Canada. Peu
après cependant, CAE a décidé que ces installa
tions seraient acquises non par Northwest mais par
une nouvelle filiale qu'elle possédait en propriété
exclusive, CAE Aircraft Ltd. (Aircraft). Au début
de septembre, la nouvelle filiale a conclu avec Air
Canada les arrangements nécessaires, a pris en
charge la base et commencé ses opérations. Au
départ, les choses allèrent bien mais, en 1971, la
charge de travail a commencé à diminuer. Les
intimées ont alors demandé à l'appelante de se
conformer aux engagements contenus à l'alinéa c)
de la lettre du 26 mars et de fournir du travail à
Aircraft. Leurs demandes n'ont pas été satisfaites.
Elles ont par conséquent intenté une action pour
inexécution de contrat.
Il faut tout d'abord déterminer si le juge de
première instance a statué à juste titre que la lettre
du 26 mars 1969 a créé un contrat ayant force
exécutoire en vertu duquel:
a) le ministère de la Production de défense avait
l'obligation de fournir aux intimées au moins
40 000 heures-travail par an de 1971 1976 au
titre de travaux de réparation et de révision (réser-
vés» 2 , et
b) le gouvernement du Canada était obligé de
s'employer de son mieux à obtenir le travail sup-
plémentaire nécessaire d'autres ministères ou de
sociétés de la Couronne afin de respecter pour
cette période l'objectif annuel de 700 000 heures-
travail directes.
2 Il est admis que l'expression «travaux réservés» se rapportait
à des travaux [TRADUCTION] «confiés à certains fournisseurs»
sans appels d'offres.
Les intimées soutiennent que la lettre du 26
mars contenait une offre faite à CAE par les trois
ministres agissant au nom de la Couronne. Elles
affirment que cette offre a été implicitement
acceptée lorsque Aircraft a acquis les installations
d'Air Canada à Winnipeg.
Les avocats de l'appelante ne nient pas que les
intimées et les trois ministres agissant au nom du
Cabinet ont conclu une convention; ils ne contes-
tent pas non plus que, suivant ladite convention, le
gouvernement aurait pu être obligé du point de vue
moral ou du point de vue politique de fournir du
travail à Aircraft. Ils sont cependant d'avis que
cette convention ne constituait pas un contrat et
qu'elle n'a pas créé d'obligation exécutoire liant
l'appelante.
À l'appui de leur position, les avocats de l'appe-
lante affirment qu'il ressort de l'examen des cir-
constances entourant l'envoi de la lettre du 26
mars que les parties avaient l'intention de conclure
un arrangement purement politique plutôt qu'un
contrat; ils soutiennent aussi que les termes de la
lettre du 26 mars indiquent que ses auteurs
n'avaient jamais eu l'intention de conclure un con-
trat ayant force exécutoire; comme dernier argu
ment, ils affirment que de toute façon la conven
tion conclue par les trois ministres et les intimées
ne pouvait lier Sa Majesté parce que les trois
ministres n'étaient pas habilités à contracter en
son nom.
Il peut exister des ententes de nature politique
qui, comme les ententes à caractère social ou
familial, ne donnent pas naissance à des obliga
tions légales (voir: Attorney -General for British
Columbia v. Esquimalt and Nanaimo Railway
Company, [1950] A.C. 87 (P.C.); Meates y Attor-
ney -General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.); South
Australia and A.-G. (S.A.) v. Commonwealth
(1962), 35 A.L.J.R. 460 (H.C.); Australian
Woollen Mills Pty. Ltd. v. The Commonwealth
(1954), 92 C.L.R. 424 (Aust. H.C.), confirmée
par [1955] 3 All E.R. 711 (P.C.); Milne v. Attor-
ney -General for Tasmania (1956), 95 C.L.R. 460
(Aust. H.C.); Papua and New Guinea Adminis
tration v. Leahy (1961), 34 A.L.J.R. 472 (H.C.)).
Cependant, si je m'en tiens simplement aux cir-
constances entourant la rédaction de la lettre
du 26 mars, je ne peux pas affirmer en toute
assurance qu'elles indiquent une intention de con-
dure un arrangement politique plutôt qu'un con-
trat. La politique du gouvernement d'alors consis-
tait manifestement à essayer d'empêcher la
fermeture de la base d'Air Canada à Winnipeg.
Cela ne veut toutefois pas dire que toute entente
conclue par le gouvernement pour atteindre cet
objectif politique était une entente à caractère
purement politique.
Il est par conséquent nécessaire d'examiner les
termes de la lettre du 26 mars pour déterminer
s'ils indiquent une intention de conclure un contrat
ayant force exécutoire.
On peut faire quelques remarques préliminaires.
La première, qui est loin d'être concluante, est que
si les parties avaient l'intention de conclure un
contrat, il est un peu étonnant, compte tenu de
l'importance de l'affaire, qu'elles n'aient pas choisi
de donner une forme officielle à leur convention.
La deuxième remarque, qui est peut-être un peu
plus pertinente, est qu'à première vue, la lettre
du 26 mars ne semble pas avoir été écrite pour
faire une offre mais plutôt pour donner certaines
«assurances». Ce n'est pas le langage habituelle-
ment utilisé dans une offre de conclure un contrat
important. Comme troisième remarque, on peut
souligner que, même si elles indiquent une identité
de vues et d'objectifs de la part des parties, les
assurances contenues aux alinéas a) et b) de la
lettre n'ont manifestement aucun caractère con-
tractuel.
La partie importante de la lettre est l'alinéa c)
qui, selon les intimées, énonçait deux promesses
contractuelles que l'appelante aurait omis de rem-
plir. La première de ces deux promesses se trouve
dans la première partie dudit alinéa:
c) Le ministère de la Production de défense ne saurait garan-
tir plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par an
dans la période 1971-1976 au titre de travaux de répara-
tion et de révision «réservés» ...
La deuxième promesse figure dans la dernière
partie du même alinéa c):
mais le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à
obtenir le travail supplémentaire nécessaire d'autres ministères
ou de sociétés de la Couronne afin de respecter l'objectif de
700 000 heures-travail directes.
Examinons maintenant l'un après l'autre chacun
de ces deux engagements.
1. La garantie de travaux «réservés»
La Cour de première instance a considéré que la
première partie de l'alinéa c) constituait une
garantie d'au moins 40 000 heures-travail de tra-
vaux «réservés». À mon avis, cette interprétation
est erronée. Dans cette partie de l'alinéa c), les
auteurs de la lettre du 26 mars n'ont pas donné
l'assurance à M. Reekie que le ministère de la
Production de défense garantissait ou offrait de
garantir à sa compagnie un minimum de 40 000
heures-travail de travaux «réservés»; ils lui ont
simplement assuré que «le ministère de la Produc
tion de défense ne saurait garantir plus de 40 000 à
50 000 heures-travail». En d'autres termes, ils ne
lui ont donné qu'une simple approximation du
nombre maximum d'heures de travaux «réservés»
que le ministère pouvait garantir; on ne peut, à
mon avis, conclure qu'il s'agit d'une détermination
du nombre minimum d'heures que le ministère
offrait de garantir.
Pour cette raison, j'estime que la première partie
de l'alinéa c) n'exprimait pas la ferme intention de
garantir un nombre précis d'heures-travail de tra-
vaux «réservés»; par conséquent, elle ne contenait
pas une offre que les intimées pouvaient accepter
de manière à créer la garantie contractuelle qu'el-
les invoquent.
2. L'engagement à faire «de son mieux»
Dans la dernière partie de l'alinéa c) de leur
lettre du 26 mars adressée à M. Reekie, les trois
ministres lui ont donné l'assurance que
le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à obtenir
le travail supplémentaire nécessaire d'autres ministères ou de
sociétés de la Couronne afin de respecter l'objectif de 700 000
heures-travail directes.
Selon moi, le problème consiste à déterminer si
cet engagement était suffisamment précis pour
exprimer une intention de conclure un contrat. En
fait, pour qu'un contrat existe, il faut que ses
conditions soient suffisamment déterminées'.
Ce problème n'a causé aucune difficulté au juge
de première instance. Il n'a fait aucune différence
entre le présent cas et ceux où les tribunaux ont
reconnu la validité de l'engagement contractuel
3 Voir Fridman, The Law of Contract in Canada, Carswell,
1976, p. 33 et ss.
d'une personne à faire de son mieux ou à faire tout
son possible pour atteindre un résultat précis 4 .
Toutefois, l'engagement à faire «de son mieux»
n'a pas toujours nécessairement la même portée.
Celle-ci peut changer suivant les circonstances. À
mon avis, on ne peut assimiler l'engagement con-
tenu dans la dernière partie de l'alinéa c) à un
engagement semblable pris par un individu au
cours d'une opération commerciale ordinaire.
L'engagement en l'espèce visait à garantir que
les contrats du gouvernement seraient accordés
aux compagnies CAE de préférence à d'autres
compagnies. Cet engagement a toutefois été pris
au nom du gouvernement du Canada dont l'obliga-
tion première était d'agir dans l'intérêt public, tel
qu'il le percevait. Je ne peux concevoir qu'en pro-
mettant de s'employer de son mieux à atteindre un
certain résultat, le gouvernement pût souhaiter
s'obliger à faire des choses qu'il considérait préju-
diciables à l'intérêt public. Et plus précisément, en
promettant de s'employer de son mieux à fournir
du travail aux compagnies CAE, le gouvernement
ne pouvait pas à mon avis vouloir s'obliger à
fournir du travail à ces compagnies si les circons-
tances étaient telles que, selon lui, l'intérêt public
exigeait que le travail soit donné à d'autres. On
doit donc considérer que l'obligation de faire «de
son mieux» contenue dans la dernière partie de
l'alinéa c) dépend de cette très importante limite
subjective. Interprété ainsi, ledit alinéa ne revêt
pas à mon avis le caractère certain exigé d'une
promesse contractuelle.
J'estime par conséquent que, comme l'ont sou-
tenu les avocats de l'appelante, le texte de l'alinéa
c) de la lettre du 26 mars n'indiquait pas une
intention d'assumer des obligations contractuelles.
À mon avis la prétention de l'appelante selon
laquelle les trois ministres n'étaient pas habilités à
lier la Couronne par le genre de contrat invoqué
par les intimées vient renforcer cette conclusion et
j'estime, en fait, que cette prétention est bien
fondée.
4 Le juge a cité les causes Sheffield District Railway Com
pany v. Great Central Railway Company (1911), 27 T.L.R.
451 (Rail and Canal Corn.); Terrell v. Mabie Todd & Coy. Ld.
(1952), 69 R.P.C. 234 (Q.B.); Randall v. Peerless Motor Car
Co., 99 N.E. 221 (S.C. Mass. 1912).
Le juge de première instance était d'avis con-
traire. Les avocats des intimées ont avancé plu-
sieurs arguments à l'appui de son opinion. Ils ont
affirmé:
(1) que la Couronne a reconnu que les trois
ministres avaient le pouvoir requis;
(2) que le Cabinet avait autorisé les ministres à
envoyer la lettre du 26 mars;
(3) que, comme l'a décidé le juge de première
instance, la Loi sur la production de défense
[S.R.C. 1952, chap. 62], la Loi sur le ministère du
Commerce [S.R.C. 1952, chap. 78] et la Loi sur
l'aéronautique [S.R.C. 1952, chap. 2] autorisaient
les ministres à agir ainsi;
(4) que, en vertu de la décision de la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Verreault, les
trois ministres pouvaient lier la Couronne même si
aucune loi ni aucun décret ne leur avaient conféré
ce pouvoir; et
(5) que, compte tenu des circonstances, la Cou-
ronne n'était pas admise à invoquer l'absence de
pouvoir.
L'argument voulant que le présent problème ait
été réglé par un aveu est, à mon avis, sans fonde-
ment. Suivant l'aveu en question, qui a été fait par
un représentant de l'appelante au cours d'un inter-
rogatoire préalable, chaque ministre avait le pou-
voir nécessaire en vertu de la loi régissant son
ministère. Il s'agit là d'une question de droit qui ne
pouvait faire l'objet d'un aveu.
En fait, ce qui a été admis au cours de l'interro-
gatoire préalable c'est que le Cabinet avait, le 20
mars 1969, autorisé les trois ministres à signer et à
envoyer la lettre. Les intimées se fondent sur cet
aveu pour soutenir que cette autorisation du Cabi
net suffisait pour conférer aux trois ministres le
pouvoir de lier la Couronne. À mon avis, cet
argument devrait être rejeté. En l'absence de dis
positions législatives contraires, un décret suffit
pour conférer le pouvoir de lier la Couronne parce
que, en vertu de notre système de gouvernement, le
pouvoir exécutif est confié à la Reine qui agit sur
l'avis de ses ministres et exprime ses volontés sous
forme de décrets. Si importante que puisse être
une décision du Cabinet, elle n'est pas une décision
de la Reine qui n'y a pas pris part. Pour cette
raison, une simple autorisation du Cabinet ne peut
être assimilée à un décret.
J'estime également sans fondement la préten-
tion, à laquelle le juge de première instance a
souscrit, voulant que les trois ministres ont pu agir
comme ils l'ont fait en vertu de la Loi sur la
production de défenses, la Loi sur l'aéronautique 6
et la Loi sur le ministère du Commerce'.
Il est vrai que les articles 15 et 17 de la Loi sur
la production de défense autorisaient le ministre
de la Production de défense à conclure des con-
trats, au nom de Sa Majesté, pour la réparation et
l'entretien des approvisionnements de défense (y
compris les avions) et que les articles 2 et 3 de la
Loi sur l'aéronautique imposaient au ministre des
Transports l'obligation «de contrôler et d'adminis-
trer» tous les avions civils «nécessaires à la direc
tion des services de Sa Majesté». Toutefois, le
contrat qui aurait été conclu au nom de Sa
Majesté en l'espèce n'était ni un contrat pour
l'entretien d'avions du gouvernement ni un contrat
par lequel le ministre des Transports exerçait son
pouvoir de contrôle et d'administration sur les
avions civils utilisés par le gouvernement. Il s'agis-
sait d'un contrat qui prévoyait que les contrats
d'entretien d'avions seraient négociés avec les com-
pagnies CAE; ce contrat, qui ne pouvait avoir
aucune répercussion immédiate sur la réparation
et l'entretien des avions, aurait été conclu dans le
seul but d'empêcher la fermeture de la base d'Air
Canada à Winnipeg en incitant les compagnies
CAE à l'acquérir et à l'exploiter. Ce n'était pas, à
mon avis, un contrat que le ministre de la Produc
tion de défense et le ministre des Transports
étaient autorisés à conclure en vertu de la Loi sur
la production de défense et de la Loi sur
l'aéronautique.
En ce qui concerne le ministre du Commerce,
qui a aussi signé la lettre du 26 mars, je ne vois pas
comment on pouvait considérer que la Loi sur le
ministère du Commerce 8 l'autorisait à conclure un
contrat du genre de celui invoqué par les intimées.
Ladite loi ne contenait aucune description de la
sphère des activités gouvernementales qui ont été
S.R.C. 1952, chap. 62 et ses modifications.
6 S.R.C. 1952, chap. 2.
S.R.C. 1952, chap. 78.
8 S.R.C. 1952, chap. 78.
attribuées au ministère du Commerce. Elle créait
simplement un ministère appelé «ministère du
Commerce», prévoyait que le ministre du Com
merce était chargé de «la direction et du contrôle»
de ce ministère et décrivait comme suit les obliga
tions et les pouvoirs du Ministre:
5. Les fonctions et attributions du ministre du Commerce
s'étendent à la mise à exécution des lois du Parlement du
Canada et des arrêtés du gouverneur en conseil, concernant les
matières qui se rattachent au commerce et à l'industrie en
général, et qui ne sont assignées par la loi à aucun autre
ministère du gouvernement du Canada, ainsi qu'à la direction
de tous corps publics, fonctionnaires et préposés employés à
l'exécution de ces lois et arrêtés.
Il est admis qu'il n'existait aucune loi ni aucun
décret prévoyant la conclusion d'un contrat tel que
celui dont il est question en l'espèce. C'est pour-
quoi, à mon avis, le ministre du Commerce n'était
pas habilité par la loi à lier la Couronne par un
contrat du genre de celui invoqué par les intimées.
Si je comprends bien, la décision de la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Verreault 9 n'aide
pas la cause des intimées car elle supporte la
proposition voulant que, en l'absence de disposi
tions législatives contraires, il n'est pas nécessaire
qu'un ministre soit expressément autorisé par une
loi ou un décret à conclure un contrat au nom de la
Couronne, à condition que le contrat en question
concerne directement cette partie des activités
gouvernementales qui sont assignées à son minis-
tère. En l'espèce, le contrat invoqué par les inti-
mées ne concernait pas directement, comme je l'ai
déjà dit, la sphère d'activités des trois ministères
visés.
En outre, même si on considérait que le lien
entre ledit contrat et la sphère d'activités assignées
à ces ministères était suffisant pour justifier l'ap-
plication du principe dégagé dans l'arrêt Ver-
reault, je statuerais quand même qu'il ne s'appli-
que pas. Le Règlement sur les marchés de l'État 10
prévoyait que, avant de conclure un marché de
service, un ministre devait normalement solliciter
des soumissions. Il est évident que le contrat invo-
9 Verreault (J. E.) & Fils Liée c. Le procureur général
(Québec), [1977] 1 R.C.S. 41.
10 DORS/64-390, art. 14 et suivants, modifié par DORS/
68-89, art. 1.
qué par les intimées ne constituait pas en soi un
marché de service. Il prévoyait toutefois que des
marchés de service seraient conclus dans le futur et
son exécution exigeait que ces marchés de service
soient accordés sans tenir compte du Règlement
sur les marchés de l'État. En l'absence d'une
disposition législative prévoyant expressément le
contraire, le pouvoir d'un ministre de conclure un
contrat au nom de la Couronne est soumis aux
restrictions qui lui sont imposées par la loi et les
règlements; c'est pourquoi les trois ministres
n'étaient pas habilités à conclure un contrat qui ne
pouvait être exécuté sans contrevenir au Règle-
ment sur les marchés de l'État.
Enfin, je rejetterais l'argument des intimées
fondé sur l'irrecevabilité. En autant que je sache,
une personne ne peut, par ses propres affirmations,
se constituer mandataire d'une autre personne.
J'estime donc que l'action en inexécution de
contrat intentée par les intimées devrait être reje-
tée. Cela ne tranche toutefois pas l'appel étant
donné que les intimées ont fondé leur action à la
fois sur le contrat et sur la négligence de l'appe-
lante. Ayant conclu que l'appelante était liée par
contrat, le juge de première instance n'a pas jugé
nécessaire d'examiner le deuxième aspect du litige.
Nous ne pouvons toutefois laisser de côté cet élé-
ment parce que les avocats des intimées ont pré-
tendu que si la Cour devait conclure qu'il n'existait
aucune convention valide et exécutoire, elle devait
néanmoins statuer que l'appelante était responsa-
ble envers les intimées en raison des déclarations
fausses et négligentes contenues dans la lettre du
26 mars 1969. Cette prétention est indéfendable.
La lettre ne contenait aucune fausse déclaration
qui pouvait donner lieu à une responsabilité délic-
tuelle. En outre, même si en signant la lettre et en
l'envoyant les trois ministres avaient commis un
délit qui pouvait entraîner la responsabilité de la
Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne", il n'existe aucune preuve indi-
quant que les intimées ont subi des dommages par
suite de ce délit. En fait, si la lettre du 26 mars
1969 n'avait pas été envoyée, il est probable qu'au-
cune compagnie CAE n'aurait acheté la base d'Air
Canada à Winnipeg; cependant, le dossier ne
montre pas que la situation actuelle des intimées
" S.R.C. 1970, chap. C-38.
est pire qu'elle l'aurait été si l'achat n'avait pas eu
lieu.
J'accueillerais l'appel avec dépens; je rejetterais
l'appel incident avec dépens, j'annulerais le juge-
ment de la Division de première instance et je
rejetterais avec dépens l'action des intimées.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire les
projets de motifs de jugement de mes collègues
Pratte et Stone. Je souscris aux motifs du juge
Stone ainsi qu'à sa manière de trancher l'appel. Je
désire simplement ajouter le commentaire suivant.
Il ressort très clairement de la preuve que vers la
fin de 1973, quatre ans après les engagements pris
le 26 mars 1969, toutes les personnes qui s'étaient
employées à les exécuter considéraient que la lettre
avait le caractère d'un contrat. Comme le juge
Stone l'a souligné, ses conditions ont pour l'essen-
tiel été respectées, c'est-à-dire que les obligations
réciproques qui y étaient prévues ont été en partie
remplies. Il faut tenir compte de ce fait pour
déterminer si l'intention de contracter existait et
s'il en a résulté un contrat. Dans de telles circons-
tances, ce n'est que lorsque la preuve est claire et
indubitable que l'on peut conclure que les parties
n'avaient pas l'intention de contracter et qu'en fait,
elles n'ont pas conclu de contrat. Pour les motifs
énoncés par le juge Stone, je suis d'avis que la
preuve montre clairement et indubitablement que
les parties avaient l'intention de conclure et ont
conclu un contrat qui les liait.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: J'ai eu l'avantage de lire le
projet des motifs de jugement rédigé par le juge
Pratte. Étant donné que le juge de première
instance 12 , tout comme le juge Pratte d'ailleurs, a
exposé en détail les faits de l'espèce dans ses motifs
de jugement, il n'est pas nécessaire de les répéter.
12 [1983] 2 C.F. 616 (1tC inst.).
Le présent appel et l'appel incident soulèvent
cinq questions importantes. On a allégué pour le
compte de l'appelante que les parties n'avaient pas
l'intention de conclure un contrat ayant force exé-
cutoire et que, même si elles avaient eu une telle
intention, le document en question est si vague,
incertain ou incomplet qu'il ne peut être mis à
exécution et que, dans le cas contraire, il ne peut
être mis à exécution parce qu'il ne lie pas l'appe-
lante; on a aussi soutenu que si le document lie
l'appelante, le juge de première instance a commis
une erreur en statuant qu'il y avait eu inexécution
du contrat et, finalement, que le juge a commis
une erreur en évaluant les dommages-intérêts
découlant de l'inexécution et en fixant le taux
d'intérêt. Pour leur part, les intimées lient contes-
tation sur ces questions et invoquent un autre
argument fondé sur des déclarations fausses et
négligentes. Elles font aussi valoir dans leur appel
incident qu'une erreur a été commise dans l'éva-
luation des dommages-intérêts et elles affirment
qu'on aurait dû accorder des dommages-intérêts et
des dépens plus élevés.
Avant d'aborder ces questions, je dois d'abord
examiner un point préliminaire qui a été soulevé
devant la Cour au sujet de l'identité de la
deuxième partie au contrat en présumant à cette
fin qu'un contrat a été conclu. Comme la preuve
administrée sur ce point a été mentionnée et exa
minée par le juge de première instance, il n'est pas
nécessaire de la reprendre en détail. L'intimée
CAE Industries Ltd. est la compagnie mère de
deux filiales. L'une de ces filiales est Northwest
Industries Ltd. qui, pendant toute la période en
cause, s'occupait d'une entreprise d'entretien
d'avions à Edmonton. La seconde intimée, CAE
Aircraft Ltd., a été constituée en compagnie quel-
ques semaines après le 26 mars 1969 dans le but
exprès d'acheter et d'exploiter la base d'entretien
d'avions d'Air Canada à Winnipeg, ce qu'elle a
fait. CAE Industries Ltd. a exploité pendant un
certain temps le même genre d'entreprise à ses
installations de Montréal. Comme le juge l'a
conclu, il est clair que peu de temps après le
premier contact avec Northwest, le président de
CAE Industries Ltd., M. C. D. Reekie, s'est acti-
vement occupé des négociations qui ont conduit à
la lettre du 26 mars 1969.
Il ressort cependant du dossier que, pratique-
ment jusqu'au début de 1969, la compagnie North
west était considérée dans les négociations comme
le futur acheteur et exploitant de la base. En fait,
même si elle est adressée à M. Reekie, président de
CAE Industries Ltd., la lettre du 26 mars 1969
renvoie au «projet d'achat de la base d'entretien
d'Air Canada à Winnipeg par Northwest Indus
tries Ltd., une filiale de CAE Industries Ltd.»
L'appelante soutient en se fondant sur la preuve
que c'est donc Northwest qui est devenue l'autre
partie au contrat et que ni CAE Industries Ltd. ni
sa filiale CAE Aircraft Ltd. ne sont parties. Elle
allègue donc que Northwest était la partie légitime
à l'action car elle seule pouvait recouvrer des
dommages-intérêts pour inexécution du contrat ou,
subsidiairement, pour faute délictuelle.
Les intimées prétendent que le juge de première
instance les a traitées à juste titre comme les
parties en cause parce que la lettre du 26 mars
1969 était adressée à CAE Industries Ltd. et que
CAE Aircraft Ltd. est entrée en jeu à titre d'ache-
teur et d'exploitant de la base de Winnipeg sur
l'ordre de sa compagnie mère et au su du gouver-
nement. Elles soutiennent, et le juge de première
instance est d'accord avec elles, que tous les droits
que Northwest peut avoir possédés ont été conférés
à CAE Aircraft Ltd. par voie d'une cession en
equity.
Ce qui me frappe le plus en ce qui concerne la
preuve administrée, c'est que tout au long des
négociations le gouvernement désirait conclure
avec CAE Industries Ltd. une entente sous une
forme ou une autre et en outre, qu'il semblait
importer peu que l'entente soit conclue avec la
compagnie mère ou une filiale. On considérait que
les compagnies du groupe CAE étaient habilitées à
acheter et à exploiter la base, ce qui est demeuré
l'objectif principal tout au long des négociations.
Dans ce contexte, je ne crois pas que nous devrions
chercher une réponse légaliste sur ce point, l'inten-
tion générale étant évidente. Je tends à croire que
le contrat, s'il existe, a été conclu avec CAE
Industries Ltd. mais que, par ailleurs, les deux
parties aux négociations considéraient que CAE
Aircraft Ltd., même si elle a été constituée en
compagnie une fois l'offre faite, était un substitut
valable. Dans ce dernier cas, je conclurais, comme
le juge de première instance, que la preuve con-
firme la transmission à CAE Aircraft Ltd. de tout
intérêt que Northwest peut avoir acquis dans le
contrat. (Voir par exemple Brandt's (William)
Sons & Co. v. Dunlop Rubber Company, [1905]
A.C. 454 (H.L.), lord Macnaghten, à la page 462.)
J'estime que le juge de première instance a consi-
déré à juste titre que CAE Industries Ltd. et sa
filiale CAE Aircraft Ltd., les intimées aux présen-
tes, possédaient un intérêt suffisant pour justifier
les causes d'action alléguées. Pour des raisons d'or-
dre pratique, je désignerai les deux intimées en
utilisant simplement l'expression «l'intimée».
Examinons maintenant les questions importan-
tes dégagées plus haut.
Avait-on l'intention de conclure un contrat?
L'appelante prétend que, compte tenu des cir-
constances, la lettre du 26 mars 1969 n'était pas
censée devenir un contrat ayant force exécutoire si
on présume qu'elle constituait essentiellement une
offre qui a été acceptée par l'intimée et qu'il
existait une contrepartie suffisante en droit. C'est
la question de l'intention de conclure un contrat
qui se pose dans ce cas. Je prends comme point de
départ la règle de droit énoncée dans l'affaire
Attorney -General for British Columbia v. Esqui-
malt and Nanaimo Railway Company, [1950]
A.C. 87 (P.C.), à la page 108:
[TRADUCTION] Outre la nécessité d'une offre et d'une accep-
tation (qui, selon le cas, peuvent s'exprimer par des mots ou par
un acte) et l'existence d'une contrepartie, un contrat ne peut
être conclu que s'il existe une intention de contracter.
Voir aussi Rose and Frank Co. v. Crompton and
Brothers, [1923] 2 K.B. 261 (C.A.).
Je souscris à l'opinion du juge Pratte voulant
que les circonstances entourant la rédaction de la
lettre n'indiquent pas une intention de conclure
une entente à caractère purement politique plutôt
qu'un contrat. Il est possible de déduire des cir-
constances l'intention de conclure un contrat,
comme le juge Middleton l'a souligné dans Lind-
sey v. Heron & Co. (1921), 64 D.L.R. 92 (C.A.
Ont.), aux pages 98 et 99 alors qu'il citait Corpus
Juris, vol. 13, la page 265:
[TRADUCTION] L'assentiment mutuel apparent des parties,
qui est essentiel à la formation d'un contrat, doit découler des
termes qu'elles ont employés et le législateur prête à une
personne l'intention correspondant au sens ordinaire que l'on
peut donner à ses actes ou à ses paroles. Il juge son intention à
partir de ses expressions extérieures et il exclut toutes les
questions concernant son intention inexprimée.
Le gouvernement d'alors faisait face à une décision
d'Air Canada de fermer progressivement sa base
d'entretien d'avions à Winnipeg. C'est le gouverne-
ment lui-même qui a pris l'initiative de trouver un
acheteur dans le secteur privé et qui a fait des
démarches auprès de l'intimée pour qu'elle se porte
acquéreur de cette base, cherchant ainsi à solution-
ner un problème particulier. Il était désireux de
trouver un acheteur pour que subsistent la base
d'entretien à Winnipeg et les emplois qui y étaient
rattachés.
À mon avis, les circonstances entourant la
rédaction de la lettre distinguent l'espèce des
autres cas où on a jugé qu'il n'existait aucune
intention de conclure un contrat. (Voir par exem-
ple Joy Oil v. The King, [1951] R.C.S. 624; 3
D.L.R. 582, et Meates y Attorney -General, [1979]
1 NZLR 415 (S.C.)). Il ressort de la preuve
soumise que les parties ont considéré que le docu
ment constituait un contrat les liant dans la
mesure où il a été partiellement exécuté. En outre,
comme on l'a souligné, le fardeau de la preuve
dans un cas de ce genre [TRADUCTION] «incombe
à la personne qui affirme qu'on ne voulait produire
aucun effet juridique et ce fardeau est très lourd»
(Edwards v. Skyways Ltd., [1964] 1 W.L.R. 349
(Q.B.), à la page 355; voir aussi Bahamas Oil
Refining Co. v. Kristiansands Tankrederei AIS
and Others and Shell International Marine Ltd.
(The «Polyduke»), [1978] 1 Lloyd's Rep. 211
(Q.B.)). J'estime qu'on ne s'est pas acquitté, de
cette obligation. Je conclus sur le fondement de la
preuve et des conclusions du juge de première
instance qu'il existait de la part des deux parties
une intention de conclure un contrat ayant force
exécutoire.
Le contrat est-il vague, incertain ou incomplet?
Ma conclusion selon laquelle les parties ont eu
l'intention de conclure un contrat ayant force exé-
cutoire ne signifie pas qu'elles ont réussi à le faire.
L'appelante soutient énergiquement que les termes
utilisés par les parties sont si vagues et incertains
ou que le document est si incomplet que le contrat
est non exécutoire. Le juge de première instance
n'a pas souscrit à cette opinion.
Il ne fait aucun doute que les parties ont choisi
de donner à leur convention, conclue après de
longues négociations, une forme et un style quel-
que peu inhabituels. Mais ce fait en lui-même ne
doit pas nous empêcher d'y donner effet si les
parties se sont exprimées en des termes suffisam-
ment clairs pour créer des droits et des obligations
pouvant être exercés devant une cour de justice.
Comme je l'ai déjà souligné, c'est particulièrement
le cas lorsque le contrat a été exécuté en partie car
alors, pour reprendre les propos du juge Mignault
dans l'arrêt Kelly v. Watson (1921), 61 R.C.S.
482, la page 490, moins qu'il ne soit incomplet
[TRADUCTION] «la cour ... s'opposera à toutes les
difficultés résultant de l'imprécision du contrat».
Comme dans l'arrêt Hillas and Co. Limited v.
Arcos Limited (1932), 147 L.T. 503 (H.L.), il
s'agit en l'espèce d'un contrat à caractère commer
cial et comme lord Wright l'a souligné dans ce cas
(à la page 514):
[TRADUCTION] Les hommes d'affaires consignent souvent
d'une manière sommaire les ententes les plus importantes; les
modes d'expression qui leur paraissent suffisants et clairs dans
la marche de leurs affaires peuvent sembler loin d'être complets
ou précis à ceux qui ne sont pas familiers avec ce domaine
d'activités. La Cour a par conséquent l'obligation d'interpréter
de tels documents d'une manière équitable et large, sans cher-
cher de façon trop pointilleuse les imprécisions ...
Pour décider s'il existe un contrat exécutoire, j'es-
time que nous devrions faire tous les efforts pour
trouver un sens aux termes utilisés par les parties.
C'est, à mon avis, ce que demande la jurispru
dence. Ainsi, dans l'arrêt Marquest Industries Ltd.
v. Willows Poultry Farms Ltd. (1969), 66
W.W.R. 477 (C.A.C.-B.), la cour a statué (aux
pages 481 et 482):
[TRADUCTION] En premier lieu, il faut examiner le devoir
d'une cour et les règles qu'elle devrait appliquer lorsqu'on vise à
faire annuler une partie d'un accord commercial entre deux
parties contractantes en raison de son caractère incertain ou, en
d'autres termes, de son absence de sens. La première règle
d'interprétation est la maxime «ut res magis valeat quam
pereat» ou «un contrat ne devrait jamais être annulé lorsqu'il est
possible de l'interpréter dans le sens qui assure sa validité.»
Cette maxime a servi de fondement à des décisions qui ont fait
jurisprudence comme Scammell & Nephew Ltd. v. Ouston
[1941] AC 251, 110 LJKB 197, [1941] 1 All ER 14; Wells v.
Blain [1927] 1 WWR 223, 21 Sask LR 194 (C.A.); Ottawa
Elec. Co. v. St. Jacques (1902) 31 RCS 636, infirmant 1 OLR
73, ainsi qu'à plusieurs autres décisions qui établissent qu'une
cour devrait faire tous les efforts possibles pour trouver un sens
en examinant le contenu et non simplement la forme, et que les
difficultés d'interprétation ne rendent pas une clause nulle
parce qu'il n'est pas possible de l'interpréter tant qu'on peut en
extraire un sens déterminé. En d'autres termes, on doit si
possible donner effet à chaque clause d'un contrat. En outre,
comme il a été statué dès 1868 dans Gwyn v. Neath Canal
Navigation Co. (1868) LR 3 Exch 209, 37 LJ Ex 122, s'il est
possible de découvrir à partir des termes utilisés dans le docu
ment les intentions réelles des parties, la cour doit donner effet
à ces intentions en suppléant ce qui doit nécessairement être
déduit et en rejetant ce qui est contraire à ces intentions réelles
ainsi établies.
Par contre, j'admettrais également que le con-
trat dont nous avons été saisis ne serait pas valide
s'il était vague et incertain au point de ne pas être
exécutoire, ou s'il était incomplet comme dans
l'affaire May and Butcher, Ltd. v. R., [1929] All
E.R. Rep. 679 (H.L.), à la page 682, où lord
Buckmaster a écrit:
[TRADUCTION] Depuis de nombreuses années, c'est un principe
bien connu du droit des obligations que lorsque deux parties
s'engagent à signer une entente dans laquelle une partie déci-
sive de l'objet du contrat sera déterminée ultérieurement, cet
engagement ne vaut nullement contrat.
Le vicomte Dunedin a ajouté les remarques sui-
vantes (aux pages 683 et 684):
[TRADUCTION] En droit des obligations, un contrat n'est valide
que s'il est parfait, et un contrat parfait est un contrat où est
prévu tout ce qui est nécessaire, et où les parties n'auront rien
encore à déterminer par accord. Évidemment, il est possible
qu'il reste quelque chose à déterminer, mais alors cette détermi-
nation ne doit pas dépendre de l'accord entre les parties.
Ici, la Cour suprême du Canada a statué qu'un
contrat d'achat d'un terrain qui prévoyait que le
solde du prix d'achat devait [TRADUCTION] «être
fixé plus tard» était non exécutoire parce que la
Cour ne pouvait conclure l'accord que les parties
n'avait pas elles-mêmes conclu (Murphy v.
McSorley, [1929] R.C.S. 542).
Le contrat en cause est-il si incomplet qu'il est
non exécutoire au sens de ces principes? Je suis
d'avis que non. Contrairement aux cas mentionnés
plus haut, il prévoit tout ce qui devait être déter-
miné entre les parties. Il constitue un contrat
complet et valide. A mon avis, le fait qu'après son
exécution, il serait nécessaire de conclure des mar-
chés de service individuels pour l'exécution des
travaux de réparation et de révision des avions ne
portait pas atteinte à son engagement principal
qui, dans le contexte de la lettre du 26 mars 1969,
consistait à «réserver» des travaux de réparation et
de révision et à s'employer «de son mieux» à four-
nir à l'intimée d'autres travaux de ce genre.
Il me semble plus difficile de déterminer si le
contrat peut être exécuté malgré l'existence de ce
qui constitue à mon avis une certaine imprécision
comme, par exemple, la présence du mot «assuran-
ces» au premier alinéa de la lettre et des expres
sions «saurait garantir», «réservés» et «de son
mieux» à l'alinéa c) de ladite lettre. En ce qui
concerne le premier terme, je n'ai aucune difficulté
à conclure, compte tenu des circonstances, que ces
«assurances» étaient, après acceptation de l'inti-
mée, censées devenir et sont devenues des engage
ments obligatoires. La partie de l'alinéa d) suivant
immédiatement les termes «Dans l'exécution de
l'engagement souscrit en c) ci-dessus» confirme ce
fait. Il est évident que les ministres considéraient
que l'alinéa c) constituait un «engagement» malgré
l'emploi du terme «assurances» au premier alinéa
de la lettre. Je considérerais de la même manière
l'expression «saurait garantir» qui était censée indi-
quer et indiquait effectivement la quantité limitée
de travaux de réparation et de révision «réservés»
que l'intimée pouvait s'attendre à obtenir si elle
décidait d'accepter ce qui à ce moment était une
contre-proposition. Après acceptation, la proposi
tion est devenue un engagement obligatoire garan-
tissant du travail «réservé». Il faut en même temps
interpréter cet engagement d'une manière raison-
nable à la lumière des termes utilisés car je serais
d'accord pour dire que, à titre de garantie, sa
portée devait être déterminée. J'estime que, sui-
vant les termes utilisés, les parties donnaient à
entendre qu'au moins 40 000 heures-travail direc-
tes de travail «réservé» seraient fournies. Comme
les deux parties l'ont admis devant nous, tout
nombre d'heures excédant ce chiffre ne serait pas
visé par la garantie dite de «réserve».
Le terme «réservés» a lui-même fait l'objet de
preuves à l'instruction établissant qu'il désignait
des travaux devant être confiés à l'intimée sans
appel d'offres et être exécutés à l'usine avec droit à
un plein coefficient d'imputation des frais géné-
raux. D'autres éléments de preuve portaient qu'il
s'agissait simplement de travaux effectués sans
concurrence et sans participation aux frais géné-
raux. Il semble que le juge de première instance ait
admis les premiers éléments de preuve et rejeté les
autres. Il a statué (à la page 638), sur le fonde-
ment de ces preuves, que les travaux «réservés»
constituaient «une garantie sans réserve» et que
l'appelante était forcée d'exécuter cette partie de
la convention même s'il lui était nécessaire pour
cela «d'enlever des commandes à d'autres». Il m'est
impossible de ne pas souscrire à sa conclusion à cet
égard ou à son interprétation de cette expression
fondée sur la preuve qui lui a été soumise. Compte
tenu de toutes les circonstances qui ont entouré
l'opération, l'explication donnée par les témoins de
l'appelante quant au sens de l'expression «réservés»
n'est tout simplement pas raisonnable. C'est en fait
la conclusion que le juge de première instance a
tirée dans ses motifs, peut-être pas expressément
mais implicitement.
Passons enfin à l'expression «de son mieux», le
gouvernement s'étant engagé à agir de cette
manière pour garantir du travail additionnel. L'ap-
pelante s'en prend à cette expression pour le motif
qu'elle est si imprécise qu'elle ne peut légalement
créer des droits et des obligations pouvant être
exécutés devant une cour de justice. Je reconnais
qu'il s'agit d'une expression plutôt générale mais
notre tâche en l'espèce consiste à découvrir, si
possible, ce que les parties ont voulu dire en l'utili-
sant. Selon le juge de première instance, elle équi-
valait à l'expression «tout son possible» (best
endeavours) telle qu'elle a été interprétée dans
l'affaire Sheffield District Railway Company v.
Great Central Railway Company (1911), 27
T.L.R. 451 (Rail and Canal Corn.) où le juge A.
T. Lawrence (siégeant à la Commission des che-
mins de fer et des canaux) a déclaré (à la page
452) que, sous réserve de certaines limites, cette
expression signifiait, généralement parlant, «ne
laisser aucune avenue inexplorée». A mon avis, il
faut interpréter l'expression «de son mieux» à la
lumière du contrat lui-même, des parties contrac-
tantes et de l'objectif général du contrat tel qu'il
ressort des termes qui y sont utilisés. Le contrat a
créé l'obligation générale de fournir à l'intimée des
travaux de réparation et de révision jusqu'à con
currence de la limite indiquée.
Cela ne signifiait pas, et on n'a pas laissé enten-
dre le contraire, que le gouvernement se voyait
obligé de ne pas tenir compte des obligations con-
tractuelles existantes ni, bien sûr, de l'intérêt
public. Dans la mesure où cet intérêt exigeait que
des travaux soient effectués par d'autres personnes
que l'intimée, on ne pouvait pas prétendre que le
contrat serait de ce fait inexécuté. En fait, il
semble que les termes du contrat contiennent
implicitement cette limite puisque l'appelante s'est
engagée non pas à fournir du travail à l'intimée
mais seulement à s'employer «de son mieux» à lui
en obtenir. Je ne peux donc trouver dans les termes
du contrat de dispositions visant à obliger l'appe-
lante à agir d'une manière contraire à l'intérêt
public.
En résumé, je souscrirais à la conclusion du juge
de première instance selon laquelle cet élément du
contrat obligeait le gouvernement à s'employer «de
son mieux» à obtenir d'autres ministères ou de
sociétés de la Couronne le travail supplémentaire
«pour combler toute carence, jusqu'à 700 000
heures par année, pour les années 1971 1976». Il
a précisé plus loin (à la page 635):
L'accord souscrit par la défenderesse visait la fourniture d'un
nombre fixe d'heures-travail par le MPD à quoi s'ajoutait
l'obligation pour elle (la Couronne) de s'employer de son mieux
à combler le fossé entre ce que les demanderesses obtenaient en
termes d'heures par an de cette source et d'autres sources, et
700 000 heures. J'ai déjà résumé les lignes directrices de la
convention. En droit strict, il n'était pas nécessaire de convenir
d'autre chose. La défenderesse devait s'employer de son mieux
à fournir les heures nécessaires. Quand devait-elle s'employer
de son mieux? Quand cela serait nécessaire et uniquement si
cela le devenait; c'était à la défenderesse de le discerner. Les
nécessités commerciales et pratiques exigeraient bien sûr que
des consultations et des négociations au sujet du travail à
fournir, jusqu'à combler un déficit de 700 000 heures, et de son
coût, aient lieu. En fait c'est ce qui se produisit. Mais, en droit,
aucun accord ultérieur n'était requis pour valider la lettre du 26
mars.
Le contrat lie-t-il la Couronne?
Il est maintenant nécessaire d'examiner si le
contrat en cause lie l'appelante. Le juge de pre-
mière instance était d'avis que ledit contrat liait
l'appelante et que l'intimée avait droit à des dom-
mages-intérêts en raison de son inexécution. En
statuant ainsi, il estimait que la signature du con-
trat par les trois ministres constituait un acte du
gouvernement en ce sens que ou bien ces ministres
étaient réellement habilités en vertu d'un certain
nombre de lois fédérales 13 à lier la Couronne, ou
bien ils possédaient le pouvoir apparent d'agir ainsi
suivant le principe énoncé par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Verreault (J. E.) & Fils Liée
c. Le procureur général (Québec), [1977] 1
13 Les dispositions législatives invoquées se trouvent dans la
Loi sur la production de défense, S.R.C. 1952, chap. 62,
modifiée, la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1952, chap. 2 et la
Loi sur le ministère du Commerce, S.R.C. 1952, chap. 78.
R.C.S. 41. L'appelante soutient que les ministres
ne pouvaient par leurs actes lier la Couronne car
ils n'avaient ni le pouvoir réel ni le pouvoir appa
rent pour ce faire. Elle fait valoir qu'elle ne peut
être liée par un contrat que s'il existe un pouvoir à
cette fin dans une loi ou dans un décret. Elle
allègue que le pouvoir réel des ministres de lier la
Couronne en vertu des pouvoirs légaux de «gestion»
et de «direction» des ministères qu'ils dirigent ne va
pas jusqu'à les autoriser à signer un contrat du
genre de celui qui est en cause.
Afin de situer cette question dans son contexte,
il est nécessaire d'examiner les décisions qui ont
été rendues avant l'arrêt Verreault et de décider
ensuite si le principe dégagé dans cette décision est
applicable en l'espèce. Dans une série de décisions
remontant jusqu'au siècle dernier, la Cour de
l'Échiquier du Canada a sans cesse jugé que le
pouvoir de lier la Couronne par contrat doit trou-
ver son fondement soit dans une loi soit dans un
décret. C'est ce qu'a affirmé le juge Audette dans
l'arrêt The King v. McCarthy (1919), 18 R.C.É.
410, à la page 414:
[TRADUCTION] À moins qu'un décret ou qu'une loi ne l'y
autorise, un ministre de la Couronne ne peut lier son
gouvernement 14 .
14 J'estime que le terme «gouvernement» est tout à fait appro-
prié dans ce contexte même si cela laisse en suspens la question
principale qui consiste à déterminer si le «gouvernement» ou la
«Couronne» (suivant le terme qui est utilisé) est lié par un
contrat. Lord Diplock a manifesté devant la Chambre des lords
une certaine répugnance à établir une distinction entre ces deux
termes dans l'affaire Town Investments Ltd. v. Department of
the Environment, [1978] A.C. 359 (à la p. 381):
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, nous avons à
nous pencher sur le caractère légal de l'exercice des pouvoirs
exécutifs du gouvernement, je crois qu'il aurait été possible
d'éliminer certaines caractéristiques athanasiennes du débat
tenu devant la Chambre si au lieu de parler de la «Cou-
ronne», nous parlions du «gouvernement», un terme approprié
pour englober à la fois collectivement et individuellement
tous les ministres de la Couronne et tous les secrétaires
parlementaires sous la direction desquels le travail adminis-
tratif du gouvernement est effectué par les fonctionnaires des
différents ministères. C'est par l'intermédiaire de ceux-ci que
les pouvoirs exécutifs du gouvernement de Sa Majesté au
Royaume-Uni s'exerçent, au nom de Sa Majesté lorsqu'il
s'agit des affaires administratives les plus importantes, mais
le plus souvent en leur nom officiel. Les décisions exécutives
prises par chacun d'eux constituent des décisions de la «Cou-
ronne» au sens conventionnel où ce terme est maintenant
utilisé en droit public anglais.
Le juge a cité plusieurs décisions à l'appui de ce
point de vue, la plus ancienne étant The Quebec
Skating Club v. The Queen (1893), 3 R.C.E. 387.
Selon moi, en raison des restrictions imposées par
la loi, les terrains que le requérant avait consenti à
accepter en remplaçement des siens ne pouvaient
être transférés par le gouverneur en conseil et il
fallait recourir à une autre loi. C'est pourquoi une
convention conclue entre le ministre et l'appelante
en l'absence de dispositions législatives ne revêtait
aucun caractère obligatoire. Néanmoins, les vues
du juge Audette ont été ultérieurement acceptées
comme [TRADUCTION] «principe élémentaire»
(Drew, Aileen M. v. The Queen, [1956-1960]
R.C.E. 339, la page 350) et [TRADUCTION]
«comme principe général» (Walsh Advertising Co.
Ltd. v. The Queen, [1962] R.C.E. 115, la page
123) 15 . I1 faut remarquer que ces décisions repo-
saient sur l'existence de restrictions expresses
imposées par la loi et réglementant le pouvoir de
contracter 16 .
15 Dans Wood v. The Queen (1877), 7 R.C.S. 634, le juge en
chef du Canada, William B. Richards, siégeant comme membre
de la Cour de l'Échiquier du Canada, a dit (à la p. 644):
[TRADUCTION] Le ministère des Travaux publics de ce
Dominion étant un ministère d'État dirigé par un ministre de
la Couronne responsable devant le Parlement de la conduite
des affaires de son ministère, peut, je n'en doute pas, en tant
que mandataire représentant la Couronne pour toutes les
questions dont ledit ministère est chargé, conclure des enten
tes et des contrats qui lieraient la Couronne, à moins qu'il
n'existe une disposition législative ou encore, des décrets,
contrôlant ou limitant un tel pouvoir.
Le juge Thurlow (tel était alors son titre) était cependant d'avis
en rendant son jugement dans l'affaire Walsh Advertising que
certaines affirmations tirées de l'affaire Wood ne pouvaient
avoir préséance sur les points de vue différents exprimés dans
Drew, Aileen M. v. The Queen, The King v. McCarthy et,
peut-être, Livingston vs The King (1919), 19 R.C.É. 321.
16 La dernière déclaration faite à ce sujet devant cette Cour est
l'opinion incidente du juge en chef Jackett dans l'arrêt R. c.
Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.) où il a dit
(à la p. 163):
En ce qui concerne le pouvoir d'agir pour un ministère
en matière de contrat, comme le pouvoir d'une personne
passant un contrat en qualité de mandataire d'un particulier,
si une personne contracte au nom de Sa Majesté, le manda-
taire doit avoir la capacité d'agir au nom de son commettant;
et, s'agissant d'un gouvernement dans notre système de gou-
vernement responsable, un tel pouvoir est ordinairement
conféré soit par une loi, soit par une ordonnance en conseil. A
cet égard, on doit noter que les actes ordinaires du gouverne-
ment au Canada sont répartis parmi des ministères créés par
la loi, ayant chacun à sa tête un ministre de la Couronne
chargé, de par la loi, de la «gestion» et de la direction de son
(Suite à la page suivante)
Les décisions de la Cour suprême du Canada
dans les arrêts Jacques-Cartier Bank v. The
Queen (1895), 25 R.C.S. 84 et The King v. Van-
couver Lumber Co. (1914), 41 D.L.R. 617 (C. de
l'É.) [confirmée en appel à la Cour suprême du
Canada, 4 décembre 1914] sont également citées à
l'appui du principe invoqué dans l'affaire McCar-
thy. Dans le premier de ces arrêts, la Cour a statué
qu'un ministre n'était pas habilité à lier la Cou-
ronne lorsque l'objet du présumé contrat (l'impres-
sion de certains documents) n'avait pas été auto-
risé par la Chambre qui avait déjà pris certaines
mesures quant à cette question, mais sans aller
jusqu'à autoriser l'impression. Dans l'arrêt Van-
couver Lumber (confirmé ultérieurement par le
Conseil privé (1919), 50 D.L.R. 6), il a été statué
qu'un ministre n'était pas habilité à modifier un
contrat conclu en vertu d'un décret en l'absence
d'un autre décret l'autorisant à agir ainsi. La
décision du Conseil privé dans Mackay v. Attor-
ney -General for British Columbia, [1922] 1 A.C.
457 est au même effet. Dans cette affaire, le
pouvoir de conclure un contrat avait été conféré
par la loi au lieutenant-gouverneur en conseil ce
qui a amené leurs seigneuries à conclure (aux
pages 461 et 462) qu'en l'absence d'un décret ou
d'une résolution du lieutenant-gouverneur en con-
seil, [TRADUCTION] «le simple consentement des
ministres d'alors à la conclusion du contrat ne
pouvait ... en faire un contrat ayant force exécu-
toire ...» Voir aussi l'arrêt Province of Quebec v.
Province of Ontario (1909), 42 R.C.S. 161.
Il me semble que les décisions invoquées plus
haut viennent appuyer le principe général voulant
que lorsqu'une loi réglemente le pouvoir de con-
tracter, un contrat liant la Couronne ne peut exis-
ter que si les exigences de la loi sont remplies. La
décision de la Cour de l'Échiquier du Canada dans
Livingston vs The King (1919), 19 R.C.É. 321 ne
semble pas d'une portée aussi restreinte; la Cour y
a statué que la conclusion d'un contrat devant lier
la Couronne pour un nombre déterminé d'années
devait être autorisée par le gouverneur en conseil.
Cette question n'a pas été examinée davantage
dans cette espèce et on n'y a pas invoqué de
(Suite de la page précédente)
ministère. À mon avis, sauf les restrictions légales qui peu-
vent par ailleurs être imposées, un ministre a légalement le
pouvoir de passer les contrats d'usage, relatifs à cette partie
de l'activité du gouvernement fédéral qui est assignée à son
ministère.
décisions antérieures. À mon avis, le juge Rich a
bien exposé le principe susmentionné dans State of
New South Wales v. Bardolph (1933-1934), 52
C.L.R. 455 (Aust. H.C.) (à la page 496):
[TRADUCTION] Lorsque l'administration de fonctions particu-
lières du gouvernement est réglementée par la loi et que cette
réglementation vise expressément ou implicitement le pouvoir
de contracter, toutes les conditions prévues par la loi doivent
être remplies et il ne fait aucun doute que ce pouvoir n'a pas
une portée plus large que celle qui était envisagée par la loi.
Ce passage a été cité et endossé par lord Wilber-
force dans l'affaire Cudgen Rutile (No. 2) Pty.
Ltd. v. Chalk, [1975] A.C. 520 (P.C.), à la page
533.
En concluant que les ministres en cause étaient
habilités à contracter au nom de la Couronne, le
juge de première instance s'est fondé sur l'arrêt
Verreault qui, selon lui (à la page 630), avait
rejeté comme trop restrictive «l'interprétation selon
laquelle les contrats administratifs ne sont valides
que si autorisés par un décret ou par la législation»
et qui appliquait (à la page 631) la doctrine du
«pouvoir ... apparent et manifeste». Suivant les
principes ordinaires du droit applicable au mandat,
le pouvoir apparent exige que le commettant indi-
que l'étendue du pouvoir de son mandataire. (Voir
par exemple Attorney -General for Ceylon v. A. D.
Silva, [1953] A.C. 461 (P.C.), à la page 479.)
Les faits de l'arrêt Verreault étaient simples.
Le 7 juin 1960, le sous-ministre du Bien-être social
du Québec a signé un contrat avec l'appelante
pour la construction d'un foyer pour personnes
âgées. Le 22 juin de la même année, des élections
générales ont eu lieu dans la province et un nou-
veau gouvernement a été élu. Deux mois plus tard,
le nouveau gouvernement ordonnait à l'appelante
de cesser les travaux prévus au contrat. Le mois
suivant, le contrat a été résilié et des soumissions
publiques ont été demandées pour les travaux.
L'appelante a intenté une action pour perte de
profits et pour dommages à sa réputation. Elle a eu
gain de cause en première instance mais a perdu
en appel. La Cour d'appel du Québec a statué que,
en vertu de l'article 10 de la Loi constituant le
département du bien-être social, S.Q. 1958-59,
chap. 27, le ministre du Bien-être social, au nom
duquel le contrat avait été signé, n'était pas habi-
lité à conclure un contrat de construction mais
qu'il était autorisé à conclure un contrat pour
l'achat de terrains. L'article 10 de la Loi porte:
10. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut autoriser, aux
conditions qu'il détermine, le ministre du bien-être social à
organiser des institutions du bien-être social administrées par le
département du bien-être social.
Il peut aussi l'autoriser à acquérir, de gré à gré ou par
expropriation, des terrains ou des immeubles nécessaires à ces
fins.
L'article 8 de la Loi prévoyait aussi qu'un contrat
ne liait pas le département à moins qu'il n'ait été
signé par le ministre ou le sous-ministre.
Comme le juge Pigeon l'a dit (à la page 46), il
s'agissait de déterminer dans cette affaire «si vrai-
ment, en l'absence d'une législation restrictive, un
ministre est incapable de contracter au nom du
Gouvernement». Après avoir cité et endossé le
principe de droit suivant tiré de l'ouvrage de Grif-
fith et Street intitulé Principles of Administrative
Law (3 e éd., 1963, à la page 269):
... Un contrat signé par un représentant du gouvernement
agissant dans les limites de son mandat apparent est un contrat
valide obligeant le gouvernement; en l'absence de crédits affec
tés expressément ou implicitement au contrat par le Parlement,
le contrat n'est pas exécutoire.
et après avoir fait remarquer que suivant l'article 9
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5]] (aujourd'hui appelé la
Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)]), «le pouvoir exécutif est
attribué à la Reine», il a répondu comme suit (à la
page 47) à cette question au nom de tous les
membres de la Cour suprême (c'est-à-dire le juge
en chef Laskin et les juges Pigeon, Dickson, Beetz
et de Grandpré):
Sa Majesté est évidemment une personne physique, et je
cherche en vain le principe d'après lequel les règles générales du
mandat, y compris celles du mandat apparent, ne lui seraient
pas applicables. A cet égard, la situation des ministres et autres
fonctionnaires du Gouvernement est fondamentalement diffé-
rente de celle des fonctionnaires municipaux. Dans notre sys-
tème, les municipalités sont des créatures de la loi, par consé-
quent, la doctrine de l'ultra vires doit recevoir sa pleine
application.
En ce qui concerne certaines décisions antérieures,
la Cour suprême estimait (à la page 48) que «dans
presque tous les cas, l'opinion exprimée sur cette
question est un simple obiter et non pas le fonde-
ment de la conclusion». En particulier, elle a dit au
sujet de l'affaire Walsh Advertising (à la page 49):
... il faut noter que la décision a été rendue sous le régime de
la Loi sur l'Administration financière S.R.C. 1952, c. 116.
Dans cette espèce de code sur le sujet, on trouve relativement
aux contrats du Gouvernement des dispositions restrictives sur
lesquelles il y avait lieu de s'appuyer sans qu'il soit vraiment
nécessaire de recourir aux principes généraux. Comme l'a
signalé l'avocat de l'appelante à l'audition, ce n'est qu'en 1961
que la Législature du Québec a décrété des dispositions analo
gues à celles de cette loi fédérale (1960-61 (Qué.), c. 38).
En fin de compte, la Cour suprême a conclu que le
contrat en cause liait les parties et que l'appelante
avait droit à des dommages-intérêts pour sa
résiliation.
Je suis convaincu que dans la décision qu'elle a
rendue dans l'affaire Verreault, la Cour suprême
du Canada voulait déroger à ce qui était considéré
comme la prudence juridique en matière de con-
trat, c'est-à-dire qu'un ministre de la Couronne
n'est pas habilité à lier la Couronne par contrat à
moins que le pouvoir d'agir ainsi ne soit prévu dans
une loi ou un décret. Si je comprends bien, il est
statué que, suivant les règles générales du mandat
et notamment celles concernant le mandat appa
rent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa
qualité de chef d'un ministère, à lier la Couronne
par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint
par une loi". À mon avis, l'objet du contrat qui
nous préoccupe tombait sous le coup des responsa-
bilités générales des ministres dont les ministères
fournissaient ou constitueraient la source des tra-
vaux qui sont visés au contrat. Certes, seulement
trois ministres ont signé la lettre mais, comme le
juge de première instance a conclu (à la page 625),
«Le Cabinet de l'époque avait, le 20 mars 1969,
autorisé les trois Ministres à signer la lettre du 26
mars.» Il me semble qu'en agissant ainsi, chacun
d'eux a exercé son pouvoir dans la mesure requise,
même si la lettre n'a été signée que par trois de
leurs collègues. Il appert que l'intention générale
du gouvernement était de se lier par contrat.
" En tant que société formée d'un seul membre et non consti-
tuée en vertu de la loi, la Couronne est habilitée à contracter
sans que des dispositions législatives précises soient nécessaires
à cet effet; néanmoins, comme l'ont souligné les auteurs de
l'ouvrage Chitty on Contracts (25e éd., vol. 1) (1983) par. 685
aux pp. 369 et 370, ce pouvoir reste assujetti à toute loi le
limitant ou apportant des restrictions à l'étendue du pouvoir de
chacun des ministres:
(Suite à la page suivante)
Il reste à déterminer si, compte tenu des circons-
tances, la loi restreignait le pouvoir des ministres
de signer ou d'approuver la lettre du 26 mars 1969
et faisait en sorte que leurs actes ne liaient pas la
Couronne. Il faut pour ce faire examiner la législa-
tion pertinente. Suivant l'alinéa 3d) de la Loi sur
l'aéronautique, il incombe au ministre des Trans
ports et, dans les questions relatives à la défense,
au ministre de la Défense nationale «de contrôler
et d'administrer tous les aéronefs et tout l'équipe-
ment nécessaires à la direction des services de Sa
Majesté». À mon avis, les termes de cet alinéa ne
restreignent nullement le pouvoir des ministres en
qualité de chef de leur ministère respectif. Je ne
trouve non plus aucune restriction de ce genre dans
le libellé de la Loi sur le ministère du Commerce.
En particulier, je ne crois pas que les dispositions
de l'article 5 de ladite Loi limitent le pouvoir
général conféré par l'article 3. Ces articles
prévoient:
3. Le ministre du Commerce est membre du Conseil privé de
la Reine pour le Canada; il occupe sa charge à titre amovible et
a la direction et le contrôle du ministère du Commerce.
5. Les fonctions et attributions du ministre du Commerce
s'étendent à la mise à exécution des lois du Parlement du
Canada et des arrêtés du gouverneur en conseil, concernant les
matières qui se rattachent au commerce et à l'industrie en
général, et qui ne sont assignées par la loi à aucun autre
ministère du gouvernement du Canada, ainsi qu'à la direction
de tous corps publics, fonctionnaires et préposés employés à
l'exécution de ces lois et arrêtés.
(Suite de la page précédente)
[TRADUCTION] Les contrats de la Couronne, en tant que
société formée d'un seul membre et non constituée en vertu
de la loi, ne sont pas visés par la doctrine de l'ultra vires.
Dans certains cas, les pouvoirs de chacun des ministres ont
été définis par la loi ... ou par des documents à caractère
législatif ... Ceux-ci peuvent limiter le pouvoir de la Cou-
ronne elle-même (Cugden Rutile (No. 2) Ltd. v. Chalk,
[1975] A.C. 520), ou l'étendue des pouvoirs des mandataires
de la Couronne (Daintith (1979) 32 Current Legal Problems
41, 42 45; voir après § 695). Mises à part ces restrictions
législatives, la Couronne est habilitée à contracter sans que
des dispositions législatives précises soient nécessaires à cette
fin. On a laissé entendre que ce pouvait être le cas seulement
des contrats qui sont accessoires aux fonctions ordinaires et
reconnues du gouvernement (New South Wales v. Bardolph
(1934) 52 C.L.R. 455, 474 496, 502 et 503, 508, 518)
même s'il semble que rien ne justifie en principe une telle
restriction (Verreault & Fils Ltée c. P. G. du Québec (1975)
57 D.L.R. (3d) 403 (C.S. du Canada); Campbell (1970) 44
A.L.J. 14; Hogg, Liability of the Crown (1971), p. 120 et
121; Turpin, Government Contracts (1972), p. 19).
Il vaut la peine de souligner que les dispositions de
l'article 5 ne limitent en aucune manière le pouvoir
général du Ministre. Au contraire, il ressort à la
lecture dudit article, où on emploie l'expression
«s'étendent à», qu'il visait à étendre les fonctions et
attributions dudit Ministre aux matières qui y
étaient mentionnées plutôt qu'à les restreindre. En
sa qualité de chef de son ministère, le Ministre
avait un mandat général «de direction et de
contrôle» 180
L'examen des dispositions de la Loi sur la pro
duction de défense ne m'a pas convaincu que cette
dernière apportait des restrictions au pouvoir de
contracter du ministre responsable de cette ques
tion. Comme l'article 15 l'indiquait clairement, le
ministre était habilité à «réparer ou entretenir des
approvisionnements de défense» et suivant l'article
1, un aéronef faisait partie des approvisionnements
de défense. L'alinéa 17(1)d) [mod. par S.C.
1967-68, chap. 27, art. 1] de la loi s'appliquait à
tout contrat conclu par le ministre au nom de Sa
Majesté:
17. (1) ...
d) le Ministre ne peut conclure aucun contrat sauf en
conformité des règlements établis sous le régime de la Loi sur
l'administration financière qui s'appliquent au contrat.
18 Le libellé utilisé dans les dispositions législatives concer-
nant la création des ministères du gouvernement, la nomination
du Ministre et son mandat général n'est pas uniforme (voir les
articles 2 et 3 de la Loi sur le ministère du Commerce, les
articles 3 et 9 de la Loi sur la production de défense et l'article
3 de la Loi sur le ministère des Approvisionnements et Servi
ces, S.R.C. 1970, chap. S-18 (portant que le 1e' avril 1969 ce
Ministre devient suivant l'article 103 de la Loi de 1969 sur
l'organisation du gouvernement, S.C. 1968-69, chap. 28, res-
ponsable de l'application de la Loi sur la production de
défense) et l'article 3 de la Loi sur le ministère des Transports,
S.R.C. 1952, chap. 79 (ce Ministre étant responsable de l'appli-
cation de la Loi sur l'aéronautique); il semble néanmoins
évident que le Ministre, nommé par commission sous le grand
sceau du Canada, dirige le ministère, occupe sa charge à titre
amovible et a la «gestion et la direction» du ministère. En tant
que membre du Conseil privé de la Reine (voir par exemple
l'article 3 de la Loi sur le ministère du Commerce), le Ministre
prête un serment par lequel il s'engage notamment à «servir Sa
Majesté avec loyauté et fidélité au sein de son Conseil en ce
Dominion du Canada».
Je ne crois pas cependant que cette restriction soit
applicable étant donné que, pour les fins qui nous
intéressent, le règlement adopté en vertu de cette
Loi s'appliquait seulement à un «marché de ser
vice» tel qu'il y est défini 19 . Le contrat dont nous
sommes saisis n'est pas visé par cette définition.
Dans la lettre-contrat du 26 mars 1969, on s'est
engagé à «réserver» des travaux de réparation et de
révision et à s'employer «de son mieux» à obtenir
du travail supplémentaire. Ces engagements étant
respectés, il fallait conclure à l'occasion pendant la
durée du contrat, des marchés de service indivi-
duels au sujet de l'exécution de ces travaux. Néan-
moins, je ne considère pas que le Règlement sur
les marchés de l'État constituait un obstacle
empêchant les parties de donner suite à leur inten
tion et il semble effectivement qu'il n'ait pas eu cet
effet. Je ne doute pas que l'exécution réelle des
travaux mentionnés dans le contrat était assujettie
aux exigences contenues dans ce Règlement et
qu'il faut tenir pour acquis que l'intimée devait
connaître leur existence lorsque le contrat a été
conclu. Il est cependant très clair, même si on
allègue qu'il y a inexécution du contrat, que l'ap-
pelante a en fait fourni à l'intimée une quantité
importante de travail conformément à ses engage
ments contenus au contrat. On ne nous a soumis
aucune preuve montrant qu'un problème s'était
présenté à cet égard ni que, d'une manière ou
d'une autre, l'existence de ce Règlement a empê-
ché l'intimée d'obtenir ce genre de travail. Cela
s'explique peut-être par le fait que le Règlement
sur les marchés de l'État, dans la mesure où il
concerne les «marchés de service», revêt une cer-
taine souplesse qui aurait permis au gouvernement,
par l'intermédiaire de ses ministres, et si néces-
saire, du Conseil du Trésor, de fournir le travail
indiqué dans le contrat sans qu'il soit nécessaire de
19 Le règlement est celui intitulé Règlement sur les marchés
de l'État, DORS/64-390 modifié, pris conformément à l'article
39 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1952, chap.
116. Le sous-alinéa 2(1)c)(iii) du Règlement définit cette
expression comme «un marché pour la fourniture ou l'accom-
plissement d'un service de quelque genre que ce soit».
faire des appels d'offres ou de tenir compte des
limites d'ordre financier 20 .
Je conclus de mon analyse des circonstances de
l'espèce que l'appelante est liée par le contrat en
question. Étant donné cette conclusion, je m'abs-
tiendrai d'examiner l'argument subsidiaire avancé
par l'intimée qui a prétendu qu'elle avait aussi une
cause d'action en responsabilité fondée sur les
affirmations fausses et négligentes qui auraient été
faites. C'est mieux ainsi vu qu'une décision que
l'appelante invoque à l'appui de la proposition
voulant qu'une telle cause d'action n'existe pas
(Meates y Attorney -General, [1979] 1 NZLR 415
(S.C.)) a été plus tard infirmée en appel ((1983)
NZLR 308 (C.A.)).
Y a-t-il eu inexécution du contrat?
Le juge de première instance a répondu à cette
question en disant que, tant en ce qui concerne le
travail «réservé» qu'en ce qui concerne l'obligation
de faire «de son mieux», le contrat a été inexécuté.
Il a conclu que l'obligation de fournir du travail
«réservé» n'a été respectée que pendant l'année
financière 1972-1973. Il a également statué que,
sauf pour l'année financière 1972-1973, l'obliga-
tion de faire «de son mieux» n'a pas été remplie au
cours des années prévues au contrat. Pour en
arriver à ces conclusions, il a montré une nette
préférence pour les témoignages des témoins de
l'intimée, et en particulier pour celui de M. D. A.
Race, vice-président-directeur-général de CAE
Aircraft Ltd., qu'il a manifestement cru puisqu'il
l'a décrit dans ses motifs comme «un excellent
témoin». M. Race a conservé des notes détaillées
sur les discussions et les conversations qu'il a eues
20 Ainsi, suivant l'article 14 dudit Règlement, le ministre
compétent en tant qu'«autorité contractante» pouvait ne pas se
conformer aux exigences concernant la sollicitation de soumis-
sions «dans les cas ou catégories de cas où l'autorité contrac-
tante considère que la sollicitation de soumissions n'est pas
d'intérêt public»; la restriction apportée au pouvoir d'un minis-
tre de conclure un marché de service suivant le montant qui y
était payable ainsi que la nécessité dans certaines circonstances
de faire des appels d'offres, ne s'appliquait que lorsqu'un
ministre agissait «sans l'agrément du Conseil du Trésor». On ne
nous a soumis aucune preuve montrant que l'approbation que le
Conseil du Trésor pouvait donner en vertu de l'article 6 du
Règlement (si elle était en fait requise) n'a pas été donnée. On
peut trouver certains éléments de preuve concernant l'approba-
tion du Conseil du Trésor dans le dossier du procès (Voir la
preuve, p. 532, lignes 19 à 24; p. 2191, lignes 19 à 26; p. 2848,
lignes 17 à 31; p. 3055, lignes 10 à 21).
à ce sujet avec les ministres du Cabinet et les hauts
fonctionnaires du gouvernement. Le juge a écrit
aux pages 28 et 29 de la partie non publiée de ses
motifs de jugement au sujet du témoignage de
celui-ci concernant les efforts faits par l'intimée
pour obtenir du travail du gouvernement et le
manque à gagner dû à l'inexécution du contrat:
. je le crois quand il affirme avoir constamment pressé la
défenderesse, ou plutôt ses ministres et leurs subordonnés, de
lui fournir du travail de façon à atteindre les 700,000 heures, et
quand il dit avoir suggéré et présenté des plans de travaux à
confier à l'Aircraft. Je le crois aussi, ainsi que M. L. H. Prokop,
au sujet du calcul du manque à gagner des demanderesses ...
Pendant la première partie de la durée du con-
trat, la charge de travail de l'intimée à la base de
Winnipeg a connu une croissance considérable.
Mais ce fut de courte durée en raison de la perte
de deux contrats importants. En 1969, Northwest
Industries Ltd. s'est vu adjuger par un entrepre
neur principal, Canadian Commercial Corpora
tion, un contrat de révision et de réparation d'un
certain nombres d'appareils militaires américains
appelés «T-39»; le contrat a par la suite été trans-
féré à CAE Aircraft Ltd. Il a été résilié à compter
de la fin de 1971. Selon le juge de première
instance, la résiliation du contrat «fut un coup dur»
pour l'intimée. S'ajouta à cela, à la fin de l'année
financière 1970-1971, la réduction progressive des
travaux de réparation et de révision de la flotte
d'appareils Viscount d'Air Canada. Le juge de
première instance était satisfait des mesures prises
par l'intimée pour réagir à ces revers car, aux
pages 30 et 31 de la partie non publiée de ses
motifs de jugement, il dit:
À la suite de ces revers, l'Aircraft, en les personnes de Race
et de Reekie, exerça une pression continuelle sur la défende-
resse et les divers ministères du gouvernement. Race s'adressa à
des ministres et à d'autres hauts fonctionnaires pour obtenir le
respect des engagements de fourniture de travail prévus par la
convention du 26 mars 1969. On a administré au nom des
demanderesses une preuve fort importante, littérale et testimo-
niale, à ce sujet.
Cette preuve peut être résumée en peu de mots. À part ce
qu'on pourrait qualifier d'engagements symboliques, nul travail
important n'a été confié à l'Aircraft en exécution des engage
ments souscrits.
Il semble inutile d'examiner en détail la preuve
sur laquelle le juge de première instance s'est
fondé pour conclure à l'inexécution du contrat. On
a admis que certains des programmes de travail
satisfaisaient aux obligations de fournir du travail
«réservé» comme le prévoyait le contrat. L'appe-
lante soutient que d'autres programmes auraient
dû être considérés de la même manière, mais le
juge de première instance a indiqué son désaccord
à ce sujet. Il n'a pas voulu admettre non plus que
plusieurs programmes satisfaisaient à l'obligation
de faire «de son mieux». Par contre, il était d'avis
que les programmes individuels contenus dans un
projet de charge de travail (pièce P-150(19), en
date du 23 avril 1971) préparé par le directeur de
la Direction de l'aéronautique et de l'espace du
ministère des Approvisionnements et Services peu
de temps après qu'on eut appris que le programme
de travail des T-39 serait annulé, auraient consti-
tué une exécution de l'obligation de faire «de son
mieux» s'ils avaient été offerts à l'intimée. Étant
donné que de nombreux éléments de preuve
étayaient ses conclusions, je n'entends pas les
modifier et je souscris à la conclusion générale à
laquelle il est arrivé.
Le juge de première instance était également
d'avis que l'appelante a été amenée à ne pas
remplir les engagements pris le 26 mars 1969
parce qu'elle croyait que ceux-ci n'avaient pas
force obligatoire. Cette opinion se fonde dans une
certaine mesure sur la preuve concernant la réac-
tion du ministère des Approvisionnements et Servi
ces au projet de CAE Aircraft Ltd. d'établir un
centre d'entretien pour appareils à réaction à Win-
nipeg. Un mémoire daté du 29 novembre 1973 et
adressé par le directeur de la Direction de l'aéro-
nautique et de l'espace à un autre fonctionnaire de
cette direction portait que le projet était [TRADUC-
TION] «incompatible avec la position actuelle du
ministère» qui était [TRADUCTION] «d'abandonner
progressivement cette compagnie et de respecter
l'engagement du gouvernement face à Winnipeg
en réaffectant la charge de travail provenant du
gouvernement à l'industrie aéronautique et aéros-
patiale à Winnipeg». De toute façon, il est clair
que le juge de première instance a considéré parti-
culièrement révélateur la manière dont le gouver-
nement a accueilli la tentative de CAE Aircraft
Ltd. d'obtenir les travaux de réparation et de
révision de la flotte d'appareils Boeing 707 du
ministère de la Défense nationale. Pendant la
durée du contrat, ces travaux devaient être confiés
à l'entreprise privée. CAE Aircraft Ltd. avait reçu
de la part du ministre responsable la promesse
orale qu'elle obtiendrait ces travaux et cette pro-
messe avait été confirmée par un collègue membre
du cabinet. Le juge de première instance a conclu
que la compagnie avait accordé une grande impor
tance à cette promesse car celle-ci constituait la
pierre d'assise de son projet d'établissement d'un
centre d'entretien pour appareils à réaction à Win-
nipeg. À l'automne 1974, le ministère des Approvi-
sionnements et Services et le Conseil du Trésor ont
tous deux donné leur approbation pour que la
compagnie obtienne les travaux, mais cette déci-
sion a été renversée peu après et les travaux ont été
accordés à une compagnie concurrente, la Tran-
sair. Aux pages 40 et 41 de la partie non publiée
de ses motifs de jugement, le juge de première
instance a fait les commentaires suivants sur la
tournure des événements:
La décision, on le comprendra, consterna l'Aircraft ainsi que
Race et Reekie. Reekie rencontra le ministre des Approvision-
nements et Services, M. Goyer, le 23 décembre 1974. Le
sous-ministre était aussi présent. Goyer informa Reekie de la
décision de confier l'entretien des 707 la Transair. Reekie
prétendit sans ambages que c'était contraire aux engagements
souscrits dans la lettre du 26 mars 1969. Goyer répondit à
Reekie qu'en ce qui le concernait (lui, Goyer), aucune obliga
tion n'avait été contractée envers l'Aircraft en vertu de la lettre
de mars, laquelle d'ailleurs ne valait rien et qu'il n'avait nulle-
ment l'intention de faire quoi que ce soit à son égard.
Reekie répliqua à Goyer que cela ne laissait à la compagnie
d'autre choix que d'ester. D'après Reekie, voici quelle fut la
réponse de Goyer:
[TRADUCTION] M. Goyer m'a alors informé que—il m'a dit
qu'il serait fort peu sage de la part de notre compagnie d'agir
en justice contre le gouvernement sur le fondement de la
lettre du 26 mars 1969; il me détruirait alors, moi et ma
compagnie. Ce sont ses termes mêmes.
Q. Et qu'avez-vous répondu à M. Goyer?
R. J'ai dit à M. Goyer qu'il pouvait faire ce qu'il voulait
quant à lui; quant à nous, nous savions ce qu'il nous
restait à faire, et là-dessus je me suis levé et je suis sorti.
Et il a ajouté à la page 44:
Race a poursuivi:
[TRADUCTION] M. D.G. HILL:
Q. Outre ces contrats, qu'avez-vous discuté de plus avec M.
Goyer?
R. Et bien, M. Goyer, fort explicitement, m'a dit, pour
reprendre ses mots, que si je choisissais de «déchirer la
maudite lettre» cela ne pourrait qu'améliorer les relations
entre le gouvernement fédéral et la CAE et en particulier
entre le M.A.S. et la CAE.
La «maudite lettre», c'est la lettre du 26 mars 1969.
Cette preuve montre que le ministre des Approvisionnements
et Services de l'époque ne considérait pas la lettre de 1969
comme un contrat. Ses gestes démontrent tout ce que l'on
voudra, sauf que son ministère s'est employé à faire «de son
mieux».
L'examen de l'affaire m'amène à souscrire à
l'opinion du juge de première instance voulant que
l'appelante n'ait pas exécuté le contrat. C'est pour-
quoi il devient nécessaire de me pencher sur les
divers arguments et contre-arguments avancés par
les parties, et portant que les dommages-intérêts
accordés étaient soit trop élevés soit trop bas. Il
faut aussi examiner la prétention de l'appelante
voulant que, de toute façon, il n'y avait pas lieu
d'accorder des dommages-intérêts pour la perte de
capital.
Les dommages-intérêts
L'intimée a réclamé des dommages-intérêts au
montant de 2 520 000 $ pour le manque à gagner
et de 3 400 000 $ pour la perte de capital. Le juge
de première instance a évalué les dommages-inté-
rêts à 1 900 000 $ pour le manque à gagner et à
2 400 000 $ pour la perte de capital. Il a agi ainsi
parce qu'il estimait que la réclamation pour le
manque à gagner ainsi que celle pour la perte de
capital devaient être réduites, la première d'envi-
ron un quart et la seconde, d'environ un tiers. Il a
admis par ailleurs les autres éléments de preuve
présentés par l'intimée. L'appelante allègue que la
créance pour perte de capital n'est pas recouvrable
parce qu'elle est trop indirecte et incertaine. Les
deux parties ont présenté des témoignages d'opi-
nion au sujet du calcul des dommages-intérêts
réclamés sous cette rubrique. L'appelante soutient
de toute façon que les sommes accordées étaient
excessives compte tenu de la preuve. L'intimée
prétend que les dommages-intérêts réduits par le
juge de première instance devraient être rétablis.
Il n'appartient évidemment pas à cette Cour
siégeant en appel d'évaluer les dommages-intérêts
car si elle agissait ainsi, elle enlèverait au juge de
première instance cette fonction qui lui revient de
plein droit. Il a déjà été statué à plusieurs reprises
qu'une cour d'appel ne devrait pas infirmer la
décision d'un juge de première instance quant au
montant des dommages-intérêts pour la simple
raison qu'elle estime que, si elle avait été saisie de
l'affaire en première instance, elle aurait accordé
une somme inférieure ou supérieure. Pour que la
cour soit justifiée d'infirmer la décision du juge de
première instance quant à son évaluation des dom-
mages-intérêts, il faut démontrer qu'il s'est fondé
sur un principe erroné. (Voir par exemple Guerin
et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335; (1985), 55 N.R. 161, le juge Dickson aux
pages 390 et 391 R.C.S.; 178 N.R.; et le juge
Wilson à la page 364 R.C.S.; 191 N.R.; Nance v.
British Columbia Electric Ry. Co. Ld., [1951]
A.C. 601 (P.C.), à la page 613; Flint v. Lovell,
[1935] 1 K.B. 354 (C.A.) le lord juge Greer à la
page 360.)
Gardant ces principes à l'esprit, je vais mainte-
nant examiner les prétentions portant que les dom-
mages-intérêts accordés sous ces deux rubriques
étaient trop bas ou trop élevés, et que la réclama-
tion concernant la perte de capital n'aurait pas dû
être accueillie.
a) Manque à gagner
On ne m'a pas convaincu que le juge de pre-
mière instance a commis une erreur de principe en
évaluant les dommages-intérêts ou en réduisant le
montant des dommages-intérêts accordés. Il a pris
soin d'expliquer les motifs qui l'avaient amené à
les réduire et le fait que, vu l'absence d'éléments
de preuve, il pouvait être difficile de calculer préci-
sément la diminution ne constitue pas une raison
de rejeter celle-ci parce qu'elle aurait été erronée.
Il était d'avis que les dommages-intérêts ne pou-
vaient et ne devaient pas «être évalués sur une base
purement mathématique.» Malgré cette difficulté,
l'intimée avait le droit [TRADUCTION] «[d'être
remise] dans une situation aussi avantageuse, pour
autant que cela puisse se faire par l'allocation
d'une somme d'argent, que si le contrat avait été
exécuté» (le vicomte Haldane L.C., dans British
Westinghouse Electric and Manufacturing Com
pany v. Underground Electric Railways Company
of London, [1912] A.C. 673 (H.L.), à la page 689,
cité par le juge Spence dans Penvidic Contracting
Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada
Ltd., [ 1976] 1 R.C.S. 267, la page 278). A mon
avis, les remarques du juge Davies dans l'arrêt
Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915),
51 R.C.S. 283, la page 289, au sujet de l'affaire
Chaplin v. Hicks, [1911] 2 K.B. 786 (C.A.), s'ap-
pliquent aussi en l'espèce:
[TRADUCTION] À la lumière des faits de cette cause, c'était
vraiment impossible d'évaluer avec grande précision le préju-
dice subi par la demanderesse, mais il me semble que les
savants juges ont clairement établi qu'une telle impossibilité ne
«décharge pas pour autant l'auteur du préjudice de l'obligation
de payer des dommages pour la rupture du contrat» et que
d'autre part, le tribunal doit évaluer le préjudice même si, en
pareilles circonstances, le jury ou le juge doit «agir au mieux»,
et sa conclusion ne sera pas infirmée même si le montant
accordé n'est en fait que le fruit de conjectures.
Ces remarques ont été adoptées à l'unanimité par
la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Penvidic
à la page 279.
Je rejetterais par conséquent l'appel ainsi que
l'appel incident sur cet aspect de l'affaire.
b) Perte de capital
Trois motifs ont été invoqués pour contester le
montant des dommages-intérêts accordés sous
cette rubrique. L'appelante soutient d'abord
qu'une erreur a été commise dans le calcul du
montant desdits dommages-intérêts. Ensuite, l'inti-
mée prétend que le juge de première instance a
commis une erreur en réduisant le montant des
dommages-intérêts qui avaient été calculés d'une
manière différente. Enfin, l'appelante fait valoir
que de toute façon il n'y avait pas lieu d'accorder
des dommages-intérêts de la nature de ceux récla-
més sous cette rubrique. Étant donné ma conclu
sion concernant le troisième point de contestation,
il devient inutile d'examiner les deux autres.
Ce troisième point a été débattu longuement et
mérite qu'on s'y arrête. L'appelante allègue que la
réclamation est trop indirecte et indéterminée pour
qu'il soit possible d'accorder des dommages-inté-
rêts pour inexécution de contrat. L'exposé classi-
que des principes régissant le recouvrement de
dommages-intérêts découlant de l'inexécution de
contrat se trouve dans le jugement de la Cour de
l'Échiquier Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex.
341; 156 E.R. 145 où le baron Alderson a dit (aux
pages 354 et 355 Ex.; 151 E.R.):
[TRADUCTION] Nous croyons que la règle équitable dans un
cas tel que celui en cause est la suivante: Lorsque deux parties
ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que
l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle
qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme
celle qui découle naturellement, c'est-à-dire selon le cours
normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle
que les deux parties pouvaient raisonnablement et probable-
ment envisager, lors de la passation du contrat, comme consé-
quence probable de sa rupture. Cependant, si les demandeurs
avaient porté à la connaissance des défendeurs les circonstances
spéciales dans lesquelles le contrat avait été conclu et qu'elles
aient été connues des deux parties, les dommages-intérêts exigi-
bles par suite de la rupture du contrat et envisagés par les deux
parties seraient donc directement fondés sur le préjudice décou-
lant normalement d'une rupture de contrat dans les circons-
tances particulières telles qu'elles étaient connues et avaient été
révélées. Mais d'un autre côté, si ces circonstances spéciales
étaient totalement inconnues de la partie qui rompt le contrat,
tout au plus pourrait-on considérer qu'elle avait en vue le
préjudice qui découlerait généralement et dans la majorité des
cas, abstraction faite de toutes circonstances particulières, à la
suite d'une rupture de contrat. Car, si les circonstances particu-
lières avaient été connues, on peut supposer que les parties
auraient stipulé des clauses spéciales quant aux dommages-inté-
rêts exigibles en cas de rupture de contrat; et il serait très
injuste de les priver de cet avantage. Voilà les principes que les
jurés devraient suivre lorsqu'il s'agit d'estimer les dommages
résultant d'une rupture de contrat.
Cette règle a été appliquée en de nombreuses
occasions au Canada. Elle a été reformulée par la
Cour d'appel d'Angleterre dans Victoria Laundry
(Windsor), Ld. v. Newman Industries Ld., Coulson
& Co., Ld. (Third Parties), [ 1949] 2 K.B. 528,
formulation qui à son tour a fait l'objet de réserves
par la Chambre des lords dans Czarnikow (C.)
Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350. Dans cette
dernière affaire, la majorité des lords a de manière
générale appuyé la sixième proposition (invoquée
par l'intimée) avancée par lord juge Asquith dans
l'affaire Victoria Laundry (à la page 540):
(6.) Enfin, pour qu'une perte particulière puisse être indem-
nisée, il n'est pas non plus nécessaire de prouver que, d'après
certains renseignements donnés, le défendeur pouvait, agissant
en homme raisonnable, prévoir qu'une rupture entraînerait
nécessairement cette perte. Il suffit qu'il puisse prévoir qu'elle
pouvait vraisemblablement en découler. Il suffit en fait ... que
la perte (ou quelque facteur l'ayant provoquée) constitue une
«possibilité sérieuse» ou «un danger réel». Pour être bref, nous
avons utilisé le terme «susceptible» d'en découler.
L'appelante affirme que la réclamation pour
perte de capital ne tombe pas sous le coup de ces
principes et aurait dû être rejetée à l'instruction.
Elle invoque en particulier l'affaire Freedhoff v.
Pomalift Industries Ltd. et al., [1971] 2 O.R. 773
(C.A.). Dans cette affaire, le demandeur cherchait
à obtenir une indemnité pour la perte matérielle
résultant de l'inexécution d'un contrat de vente et
d'installation d'un remonte-pente. Le juge de pre-
mière instance a admis qu'il y avait eu inexécution
du contrat et qu'une indemnité pour perte maté-
rielle ainsi que pour d'autres pertes pouvait être
accordée. La Cour d'appel a toutefois statué que,
compte tenu des circonstances de l'opération, les
dommages résultant de la perte matérielle étaient
trop indirects pour qu'une indemnité soit accordée.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que je me
prononce sur la question de savoir si, en vertu des
principes concernant le caractère indirect susmen-
tionnés, une indemnité peut être accordée pour la
perte de capital. L'intimée a présenté le témoi-
gnage d'un expert, un nommé Kent, au sujet de
l'évaluation de l'entreprise et il est clair que le juge
de première instance a préféré son témoignage à
celui de l'expert de l'appelante. Il a affirmé dans
son témoignage que si le contrat avait été exécuté,
la valeur maximum d'exploitation de CAE Air
craft Ltd. au 31 mars 1976 (qui était la date finale
du contrat) aurait été de 3 600 000 $ alors qu'elle
avait une valeur d'exploitation réelle de 200 000 $
à cette date, soit une perte de capital de
3 400 000 $. Le juge de première instance a conclu
à la page 54 de la partie non publiée de ses motifs
de jugement que même si «les méthodes et les
prémisses de Kent étaient bonnes», il fallait pour
les raisons qu'il a indiquées réduire à 2 400 000 $
les dommages-intérêts pour perte de capital.
En toute déférence, l'argument de l'appelante
selon lequel la décision portant qu'une indemnité
pouvait être accordée pour les dommages résultant
de la perte de capital comportait en l'espèce une
erreur de principe de la part du juge de première
instance me paraît fondé. Cette erreur réside à
mon avis dans la qualité de la preuve soumise à
l'appui de certaines hypothèses sous-jacentes faites
par M. Kent lorsqu'il a exprimé son opinion. Ces
hypothèses, dont il a dit expressément que son
opinion dépendait, sont énoncées à la pièce P-151
qui figure aux pages 5917 et 5918 du dossier
d'appel:
[TRADUCTION] Choix du taux de capitalisation et hypothèses
sous-jacentes
Nous avons choisi les taux de capitalisation de 11,1 % à 14,3 %
pour l'évaluation de l'exploitation de la compagnie projetée
au 31 mars 1976 en nous fondant sur notre examen des
conditions économiques et des conditions du marché boursier et
du marché monétaire au Canada au 31 mars 1976 (voir
l'annexe E). Il a aussi été nécessaire de formuler certaines
hypothèses quant aux conditions qui auraient probablement un
effet sur ladite compagnie projetée à la date de l'évaluation et
qui, par conséquent, influenceraient le choix d'un taux appro-
prié de capitalisation.
À cet égard, il était nécessaire de prendre comme hypothèse
que la compagnie continuerait, après la date d'évaluation, à
obtenir à la fois du secteur public et du secteur privé des
travaux en quantité suffisante pour maintenir des niveaux
d'exploitation égaux ou supérieurs à ceux que l'on estimait
avoir atteints de 1971 à 1976 inclusivement. Il semblerait
raisonnable de présumer que la compagnie aurait acquis au
cours de la période allant de 1971 à 1976 une réputation
d'exploitation rentable et que cette réputation lui permettrait
d'obtenir de nouveaux travaux dans les années à venir. En
outre, nous avons présumé que ces nouveaux travaux pourraient
être effectués aux installations de la compagnie. Dans l'éven-
tualité où il n'aurait pas existé suffisamment de travail compa
tible, la direction nous a indiqué que les fonds nécessaires pour
transformer les installations et permettre d'effectuer le travail
offert auraient pu facilement être obtenus à condition qu'une
entreprise viable soit en place.
Il est ressorti de nos discussions avec la direction au sujet de la
situation de concurrence que peu ou pas d'autres compagnies
au Canada auraient la même capacité, les mêmes possibilités et
les mêmes installations que CAE Aircraft Ltd. Étant donné que
les installations de la compagnie sont nombreuses et uniques
dans cette industrie, la compagnie était à même d'effectuer tous
les travaux nécessaires de réparation et de révision sur les
avions à turbopropulseur, les avions à moteur à pistons et les
avions militaires et les avions à réaction civils de petite ou de
moyenne grandeur. La possibilité que d'autres compagnies
deviennent des concurrents sérieux dans ce domaine était faible
étant donné que les coûts et les efforts requis pour reproduire
de telles installations auraient été énormes, et c'est pourquoi il
existait peu de risques que la compagnie voit son chiffre
d'affaires diminuer au profit de nouveaux concurrents.
Il était en outre nécessaire de présumer que les installations de
la compagnie seraient d'une capacité suffisante pour effectuer
700000 heures-travail par année. En 1970 et 1971, la compa-
gnie a prouvé qu'elle pouvait atteindre un niveau d'exploitation
de plus de 900 000 heures-travail dans les installations de base
équivalentes telles qu'elles existaient de 1971 1976 et ont
continué d'exister après la date d'évaluation.
Nous avons également présumé que la compagnie n'aurait
aucune difficulté majeure à obtenir les travaux et les matériaux
nécessaires pour fonctionner à un rythme de 700 000 heures-
travail. Il est ressorti de nos discussions avec la direction que la
compagnie maintiendrait vraisemblablement avec l'Association
internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastro-
nautique, loge 2397, les relations amicales qu'elle a entretenues
avec celle-ci pendant ses premières années d'exploitation. Nous
avons en outre pris pour hypothèse que la compagnie serait
capable d'obtenir de diverses sources fiables les pièces d'avions
et autres matériaux.
L'expression «la compagnie projetée» est décrite
comme suit ailleurs dans la même partie de
l'opinion:
[TRADUCTION] Aux fins de la présente partie, la compagnie
projetée est censée être la compagnie actuelle, CAE Aircraft
Ltd., si on suppose que son exploitation à un rythme de 700 000
heures-travail directes au titre de travaux effectués sur des
avions, ce qui aurait respecté l'engagement allégué du gouver-
nement, ainsi qu'au titre d'autres travaux divers effectués
depuis la création de la compagnie lui aurait permis de réaliser
certains gains pour la période du 1e" avril 1971 au 31 mars
1976.
L'intimée a attiré notre attention sur certains
éléments de preuve qui, à son avis, supportent ces
hypothèses sous-jacentes. Mais, dans l'ensemble,
j'estime qu'ils sont trop ténus et trop hypothétiques
pour qu'on admette qu'ils servent de fondement
factuel aux hypothèses de l'estimateur. C'est parti-
culièrement le cas, par exemple, des hypothèses au
sujet des niveaux d'exploitation et des gains que la
compagnie pourrait continuer à réaliser une fois
que le contrat aurait pris fin le 31 mars 1976. Il
m'est impossible de conclure en me fondant sur ces
éléments de preuve que l'on a démontré de
manière satisfaisante les faits servant de fonde-
ment à ces hypothèses importantes et que l'opinion
de l'estimateur pourrait servir de preuve devant
une cour de justice.
Je conclus que l'appel devrait être accueilli sur
ce point et que les dommages-intérêts accordés en
première instance devraient être réduits en
conséquence.
Intérêts et dépens
L'appelante conteste les taux d'intérêt accordés
par le juge de première instance dans son jugement
rendu le 31 juillet 1982. A la page 7 de ses motifs
de jugement prononcés le 18 novembre 1983 au
sujet d'une demande présentée par l'intimée afin
d'obtenir des directives spéciales concernant les
frais taxables et les frais des témoins experts ainsi
qu'une augmentation du taux d'intérêt fondée sur
la décision rendue par cette Cour dans l'affaire
Domestic Converters Corporation c. Arctic
Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211; (1983), 46
N.R. 195 (C.A.), le juge a dit:
Le jugement rendu dans l'affaire Domestic Converters m'au-
torise à accorder un taux d'intérêt autre que 5 % pour la
période postérieure au jugement. A ma demande, l'avocat des
demanderesses m'a fourni les taux de la Banque du Canada
pour plusieurs années jusqu'au mois d'avril 1983 inclusivement.
J'ai obtenu les taux pour les mois de mai à juillet de l'année en
cours.
Les taux hebdomadaires du mois d'août 1983 (sic) à la fin du
mois de juillet 1983 varient de 15,60 % à 9,27 %. Le taux
hebdomadaire moyen est de 10,9 % environ.
Le taux d'intérêt pour la période postérieure au jugement
s'étendant du 31 juillet 1982 au 30 juillet 1983 sera fixé à
10,9%.
Après le 31 juillet 1983, le taux d'intérêt annuel sera de 5 %
ou le taux moyen de la Banque du Canada selon le plus élevé de
ces taux, jusqu'à ce que le jugement soit exécuté.
Le taux d'intérêt de 5 % est évidemment celui
prévu à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt, S.R.C.
1970, chap. I-18.
L'appelante prétend en fait que la décision
rendue dans l'arrêt Domestic Converters était erro-
née et que la Cour devrait la réviser. Je ne peux
accepter cette prétention. Cet arrêt concernait le
pouvoir conféré à la Cour par l'article 40 de la Loi
sur la Cour fédérale:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
et il portait, suivant les termes mêmes du juge
Pratte (à la page 229 C.F.; à la page 208 N.R.),
que cet article donne le pouvoir à la Cour «d'or-
donner qu'un jugement porte ou ne porte pas
intérêt et, dans le premier cas, de fixer le taux de
cet intérêt et le moment après le jugement à
compter duquel il commencera à courir». Les juges
Le Dain et Lalande qui connaissaient également
de cette affaire ont souscrit à cette opinion. En
fixant les taux d'intérêt pour les périodes posté-
rieures au jugement, le juge de première instance a
agi, à mon avis, dans les limites du pouvoir qui lui
a été conféré. Je ne peux souscrire à la prétention
de l'appelante selon laquelle ce pouvoir se limite à
ordonner que le jugement porte ou ne porte pas
intérêt et qu'il n'autorise pas la Cour à fixer un
taux d'intérêt supérieur à celui prévu à l'article 3
de la Loi sur l'intérêt. En ce qui nous concerne,
cette question a été tranchée par l'arrêt Domestic
Converters. Je rejetterais donc cet élément de
l'appel.
Dans sa décision du 18 novembre 1983, le juge
de première instance a refusé d'augmenter les frais
entre parties à l'instruction au-delà de ce qui est
prévu au tarif B des Règles de la Cour fédérale
[C.R.C., chap. 663]. L'instruction a duré plusieurs
jours et a nécessité des frais considérables. Selon
les calculs de l'intimée, près de 650 000 $ ont été
engagés au titre de frais juridiques seulement. Elle
a extrapolé en disant que, compte tenu du tarif, il
serait possible de recouvrer de 11 000 $ à 12 000 $.
Au titre de frais entre parties plus les déboursés.
Devant une cour supérieure d'une province comme
l'Ontario par exemple, l'intimée aurait peut-être
pu obtenir un montant plus élevé de frais entre
parties qu'en vertu des Règles de la Cour. Mais le
juge de première instance devait appliquer ces
Règles qui prévoient, sous réserve d'un certain
pouvoir discrétionnaire, que le tarif s'applique
(Règle 344).
À mon avis, le juge de première instance a bien
présenté la question en exerçant sa discrétion. Il a
invoqué deux décisions antérieures de cette Cour et
sa propre décision dans l'arrêt Midway Mfg. Co. c.
Bernstein, [1983] 1 C.F. 510 (ire inst.), à la page
519, où il a dit:
Personnellement, bien que je souscrive aux critiques que les
tarifs sont très bas, je n'ai jamais jusqu'à maintenant augmenté
les tarifs dans aucun cas ... Je suis d'avis qu'une augmentation
doit rarement être accordée. J'appuie cette décision sur deux
arrêts de la Cour d'appel ... Je suis d'accord que les tarifs sont
très bas. Mais je suis d'avis que le remède consiste à modifier
les Règles relatives aux tarifs, plutôt qu'à demander au juge de
contourner les tarifs en les augmentant dans un cas particulier.
Même si je partage sa «sympathie» dans le cas
présent, il m'est impossible d'affirmer qu'il a
exercé sa discrétion à tort alors qu'il ne considérait
pas que cette affaire faisait exception à sa pratique
habituelle. Je rejetterais donc cet élément de l'ap-
pel incident.
En fin de compte, je rejetterais tous les éléments
de l'appel ainsi que l'appel incident sauf l'appel
visant les dommages-intérêts accordés pour la
perte de capital. Étant donné que les parties ont eu
gain de cause de manière égale, il n'y aura pas
d'adjudication de dépens en cette Cour.
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