A-705-79
Procureur général du Canada (appelant) (interve-
nant)
c.
Québec Ready Mix Inc., Lévis Ready Mix Inc.,
Pierre Viger, Dominion Ready Mix Inc., Jean
Desjardins, Marc Crépin, Verreault Frontenac
Ready Mix Inc., Claude Ferland, Michel Bérubé,
Pierre Legault, Pilote Ready Mix Inc., et Gaston
Pilote (intimés) (défendeurs)
et
Rocois Construction Inc. (mise-en-cause)
(demanderesse)
et
Procureur général de la province de Québec
(mis-en-cause) (intervenant)
Cour d'appel, juges Pratte, Ryan et MacGuigan—
Québec, 3 octobre; Ottawa, 21 novembre 1985.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Échanges
et commerce — Appel du jugement de première instance ayant
statué que l'art. 31.1(1)a) de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions est ultra vires — L'art. 31.1 accorde un droit
d'action au civil à une personne ayant subi un préjudice par
suite d'une infraction relative à la concurrence — L'art. 31.1
constitue-t-il une législation validement adoptée en vertu de la
compétence en matière d'échanges et de commerce — Appel
accueilli — La réglementation des échanges et du commerce
comprend la réglementation générale des échanges s'appli-
quant à tout le Dominion: Citizen Insurance Company of
Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.) — L'argu-
ment selon lequel le recours civil fondé sur un autre chef de
compétence est assujetti aux restrictions applicables aux
recours civils faisant partie du processus criminel, établit que
le recours civil prévu à l'art. 31.1(1)a) ne peut s'appuyer sur la
compétence du fédéral en matière criminelle — Application du
principe de la prépondérance de l'art. 91 sur l'art. 92 lorsque
la compétence fédérale se rapporte strictement à un sujet
énuméré à l'art. 91 ou lorsque des sujets sont accessoirement
nécessaires à une législation effective — La Cour suprême du
Canada n'a pas confirmé la validité d'une législation adoptée
en vertu de la compétence en matière d'échanges et de com
merce, lorsque la disposition en question n'avait pas de lien
avec un système général de réglementation (MacDonald et
autre c. Vapor Canada Ltd., (1977J 2 R.C.S. 134) ou lorsque
le règlement n'avait pas de caractère général (Brasseries
Labatt du Canada Liée c. Procureur général du Canada,
/19801 1 R.C.S. 914) — Parmi les cinq indices de validité en
vertu du volet «réglementation générale du commerce' décrits
dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Transports Na-
tionaux du Canada, Ltée et autre, /1983J 2 R.C.S. 206, seule
la «surveillance exercée par un organisme de réglementation.
est moins étendue dans la mesure où elle est complétée par le
droit conféré aux particuliers de prendre eux-mêmes l'initia-
tive des procédures - L'art. 31.1 se rapporte «strictement» à
un sujet de législation expressément énuméré à l'art. 91 -
Même si la validité est examinée sous l'angle de ce qui est
«accessoirement nécessaire», le caractère nécessaire est bien
exprimé par la notion de «lien rationnel et fonctionnel» avec le
système global de surveillance (Multiple Access Ltd. c.
McCutcheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161) - La question du
dosage de réglementation gouvernementale et d'initiative judi-
ciaire privée, en est une de politique - L'art. 31.! est intra
vires, étant donné le lien rationnel et fonctionnel qui le ratta-
che au plan économique global du fédéral exposé dans la Loi
relativement à la concurrence - Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 31.1 (édicté par
S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12), 31.2, 31.3, 31.4, 31.5,
31.6, 31.7, 31.8, 31.9, 32(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap.
76, art. 14), 34(1)c) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art.
16) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. !! (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91(2),(26),(27), 92(13),(16)
- Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10,
art. 7e) - Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970,
chap. C-32, art. 100.4 (édicté par S.R.C. 1970 (1Q 1 Supp.),
chap. 10, art. 7), 100.5.
Coalitions - Validité constitutionnelle de l'art. 31.1(1) de
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, lequel accorde
un recours civil par suite de la violation d'une prohibition
prévue à l'art. 32(1) - Appel du jugement de première ins
tance ayant conclu que la législation contestée était ultra vires
- Examen historique de l'assimilation de la législation anti -
coalition à une législation criminelle - Jurisprudence contra-
dictoire depuis que le jugement de première instance relative-
ment à la validité constitutionnelle de l'art. 3/.! a été rendu -
Examen de la jurisprudence se rapportant à la compétence en
matière d'échanges et de commerce, à la compétence en
matière de droit criminel et à la suprématie - L'art. 31.! se
rapporte strictement à la compétence en matière d'échanges et
de commerce - L'art. 31.1 est intra vires, étant donné le lien
rationnel et fonctionnel qui le rattache au plan économique
global du fédéral exposé dans la Loi relativement à la concur
rence - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 31.1 (édicté par S.C. 1974-75-76, chap.
76, art. 12).
Compétence - Cour fédérale - Division de première ins
tance - Validité de l'art. 31.1(3) de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions qui confère à la Cour fédérale la
compétence à l'égard d'une action intentée en vertu de l'art.
31.1(1) - La cause d'action prévue à l'art. 31.1(1) constitue
une législation fédérale existante et applicable, sur laquelle on
peut fonder les procédures intentées devant la Cour fédérale
Application des arrêts McNamara Construction (Western) Ltd.
et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Quebec North
Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Limitée et
autre, [1977] 2 R.C.S. 1054 - Absence de compétence à
l'égard de l'action fondée sur l'art. 1053 du Code civil - Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23, art. 31.1(1) (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art.
12), (3) (édicté, idem) - Code civil du Bas-Canada, art. 1053.
Appel est interjeté de la décision préliminaire de la Division
de première instance ayant statué que l'alinéa 31.1(1)a) et le
paragraphe 31.1(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions étaient ultra vires des pouvoirs du Parlement fédéral.
L'action intentée par la demanderesse, Rocois Construction
Inc., était une demande en dommages-intérêts à la suite d'une
entente que les défendeurs avaient conclue entre eux en viola
tion des prohibitions de la Loi. L'article 31.1 confère à toute
personne qui a subi un préjudice par suite de la commission
d'une infraction relative à la concurrence le droit d'intenter, en
Cour fédérale, indépendamment de toute procédure criminelle,
une action en indemnisation contre les auteurs de cette infrac
tion. En Division de première instance, on a défendu l'exercice
du pouvoir législatif du fédéral en se fondant sur le pouvoir que
confère à ce dernier l'article 91 de la Loi constitutionnelle de
1867 de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouverne-
ment du Canada ainsi que sur ses pouvoirs en matière d'échan-
ges et de commerce (91(2)) et de droit criminel (91(27)). A la
prétention de compétence fédérale, on a opposé les pouvoirs
dévolus aux provinces à l'égard de la propriété et des droits
civils (92(13)) et des matières d'une nature purement locale ou
privée dans la province (92(16)). Devant cette Cour, l'appelant
n'a invoqué que la compétence en matière d'échanges et de
commerce pour fonder la compétence du fédéral.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Pratte: Depuis l'arrêt rendu dans BBM Bureau of
Measurement c. Directeur des enquêtes et recherches, [ 1985] 1
C.F. 173; (1984), 52 N.R. 137 (C.A.), où cette Cour a fait
sienne l'opinion exprimée par le juge Dickson dans Procureur
général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Liée
et autre, [1983] 2 R.C.S. 206, il a été établi que les prohibitions
contenues au paragraphe 32(I) ont été validement édictées en
vertu du pouvoir en matière d'échanges et de commerce. Cela
étant, le seul problème est celui de savoir si l'article 31.1 a été
validement édicté. Lorsque la Constitution confère au Parle-
ment le pouvoir d'édicter une prohibition, elle lui attribue aussi
implicitement celui de déterminer quelles seront les conséquen-
ces de la violation de cette règle, que ces conséquences soient
d'ordre civil ou pénal. Ce principe ne s'applique pas lorsqu'une
compétence législative est conférée en des termes qui excluent
son application. Le pouvoir de légiférer en matière de droit
criminel ne comprend pas celui de régir les effets civils des
actes criminels, parce que, par définition, le droit criminel ne
s'étend pas jusque là. Le pouvoir de réglementer les échanges et
le commerce ne saurait être limité de la même façon. Les
décisions rendues dans R. c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940 et
MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S.
134, ne s'appliquent pas. L'arrêt Zelensky concernait le pouvoir
du Parlement de déterminer les effets civils des infractions
criminelles. Tel que mentionné précédemment, les limites rela
tives à la compétence en matière de droit criminel ne s'appli-
quent pas à la compétence en matière d'«échanges et com
merce». L'arrêt Vapor Canada, lequel avait trait à la
constitutionnalité de la prohibition contenue à l'alinéa 7e) de la
Loi sur les marques de commerce, est pertinent lorsque l'on
discute de la validité des prohibitions contenues au paragraphe
32(1), mais ne l'est pas lorsque l'on discute de la validité du
paragraphe 31.1(1).
Le juge Ryan: Dans BBM Bureau of Measurement, le juge
Urie a appliqué les critères qu'avait appliqués le juge Dickson
dans l'arrêt Transports Nationaux du Canada. Ses motifs
permettent de conclure que la validité constitutionnelle de
l'alinéa 32(1)c) se fonde sur le paragraphe 91(2) de la Loi
constitutionnelle de 1867.
L'arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et autres,
[1982] 2 R.C.S. 161 a soulevé la question de savoir si le
Parlement peut accorder un recours civil pour réparer le préju-
dice découlant de la violation d'une disposition législative vali-
dement adoptée en vertu de l'article 91. Le juge Dickson fait
référence à un argument selon lequel le Parlement n'avait pas,
sur le plan constitutionnel, le pouvoir d'adopter l'article 100.4
de la Loi sur les corporations canadiennes puisque ce dernier
accorde une cause d'action au civil et relève par conséquent de
la compétence exclusive des provinces. Il a conclu que les
articles 100.4 et 100.5 étaient intra vires, parce qu'ils ont un
«lien rationnel et fonctionnel» avec le droit corporatif. Le
recours civil prévu à l'article 31.1 possède un «lien rationnel et
fonctionnel» avec le paragraphe 32(1). Le lien entre ces deux
dispositions législatives découle du fait que l'article 31.1 fait
explicitement mention de la Partie V. Le recours civil que
l'article 31.1 met à la disposition des personnes lésées par suite
d'un comportement prohibé par le paragraphe 32(1) est une
incitation à éviter le comportement prohibé et constitue un
moyen de réparer, du moins en partie, les conséquences préjudi-
ciables découlant du comportement prohibé. Ce lien est suffi-
sant pour conclure que l'article 31.1 est à tout le moins
accessoire à la réglementation des échanges et du commerce.
Cette conclusion est appuyée par la déclaration du juge Laskin
dans l'affaire Papp v. Papp, [1970] 1 O.R. 331 (C.A.), selon
laquelle «lorsqu'il existe ... une compétence reconnue de légifé-
rer jusqu'à un certain point, le problème posé par les limites ...
est résolu de meilleure manière en se demandant s'il existe un
rapport rationnel, fonctionnel entre ce que l'on reconnaît
comme valide et ce qui est contesté». Compte tenu de ce lien, il
serait plus approprié de dire de l'article 31.1 qu'il est une
disposition législative qui relève «nettement du» paragraphe
91(2), en tant que disposition se rapportant directement à la
réglementation des échanges et du commerce: Nykorak v. The
Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 331. Un appui plus
large à la validité constitutionnelle de l'article 31.1 pourrait
résider dans le fait que l'article 31.1 s'insère bien dans ce qui
s'avère le cadre législatif exhaustif établi par la Loi, visant la
réglementation générale des échanges s'appliquant à tout le
Dominion. Le présent cas se distingue de l'arrêt Vapor Canada,
où on a jugé que l'alinéa 7e) de la Loi sur les marques de
commerce, était une disposition isolée qui n'avait aucun lien
rationnel ou fonctionnel avec les dispositions de cette Loi qui se
rapportent aux marques de commerce ou à leur réglementation.
Le juge MacGuigan: Historiquement, la législation anti -coa
lition canadienne a été considérée comme une législation crimi-
nelle. Cependant, on s'est montré de plus en plus favorable à la
décriminalisation de la législation anti -coalition. Les modifica
tions apportées à la législation en 1975, l'ont été au lendemain
du rapport du Conseil économique du Canada, lequel recom-
mandait que la législation canadienne sur la politique de con
currence soit fondée sur le droit civil plutôt que sur le droit
criminel et qu'un tribunal spécialisé soit créé. Certaines carac-
téristiques du droit et de la procédure criminels, tel le fardeau
de la preuve au-delà de tout doute raisonnable et le traitement
des accusations par les tribunaux ordinaires selon des moyens
qui ne permettent pas un examen approfondi des faits et
analyses de nature économique, ne sont pas adaptées pour faire
face efficacement à certaines situations et pratiques pertinentes
en matière de politique de concurrence.
Depuis le jugement rendu par la Division de première ins
tance, la question de la validité constitutionnelle de l'article
31.1 a été débattue dans deux autres affaires. Dans Henuset
Bros. Ltd. v. Syncrude Canada Ltd. et al. (1980), 114 D.L.R
(3d) 300 (B.R. Alb.), il a été statué que l'article 31.1 fait partie
intégrante d'un système législatif et réglementaire global visant
la réglementation générale des échanges et du commerce à
travers le Canada. Dans l'affaire City National Leasing Ltd. v.
General Motors of Canada Ltd. (1984), 47 O.R. (2d) 653
(H.C.), il a été jugé que l'article 31.1 était ultra vires parce
qu'il n'était pas vraiment essentiel à l'efficacité de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions.
Dans l'affaire R. v. Hoffman-LaRoche Ltd. (Nos. I & 2)
(1981), 125 D.L.R. (3d) 607 (C.A. Ont.), la validité de l'alinéa
34(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, a été
confirmée en vertu de la compétence en matière d'échanges et
de commerce. Dans l'arrêt Transports Nationaux du Canada,
le juge Dickson a confirmé la validité de l'alinéa 32(1)c) tant
en vertu de la compétence en matière de droit criminel que de
celle en matière d'échanges et de commerce. Les juges Beetz et
Lamer ont souscrit à l'opinion du juge Dickson selon laquelle le
texte législatif avait été validement adopté en vertu de la
compétence en matière de droit criminel. Finalement, dans
l'affaire BBM Bureau of Measurement, la validité de l'article
31.4 a été confirmée en vertu de la compétence en matière
d'échanges et de commerce. Le juge Urie a déclaré que la
compétence fédérale en matière d'échanges et de commerce et
la compétence provinciale en matière de propriété et de droits
civils, ne s'excluent pas l'une l'autre, mais sont complémentai-
res.
Le point de départ d'une analyse de cette question est l'arrêt
Citizen Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7
App. Cas. 96 (P.C.), dans lequel il a été statué que la »régle-
mentation des échanges et du commerce ... compren[d] la
réglementation générale des échanges s'appliquant à tout le
Dominion».
Les intimés ont fait valoir que même un recours civil fondé
sur un autre chef de compétence est assujetti aux restrictions
applicables aux recours civils faisant partie du processus crimi-
nel, telles que les a définies la Cour suprême du Canada dans
R. c. Zelensky, [ 1978] 2 R.C.S. 940. On a plaidé qu'un point
de vue semblable se dégage de la décision de la Cour suprême
dans l'arrêt Vapor Canada. L'interprétation soumise par les
intimés relativement au pouvoir en matière de droit criminel n'a
pas d'autres conséquences que d'établir que le genre de recours
civil prévu à l'alinéa 31.1(1)a) ne pourrait s'appuyer sur la
compétence du fédéral en matière criminelle. Il n'y a aucune
raison d'avoir recours au droit criminel pour interpréter le
pouvoir distinct en matière d'échanges et de commerce. L'inter-
prétation faite par les intimés repose sur l'argument selon
lequel le redressement civil autorisé par la Loi est un droit de
nature civile relevant de la compétence exclusive des provinces
aux termes des paragraphes 92(13) et 92(16). En d'autres
termes, ce caractère exclusif repose sur la priorité de l'article 92
sur l'article 91. Toutefois, dans l'arrêt Attorney -General for
Canada v. Attorney -General for British Columbia, [1930]
A.C. 111 (P.C.), on a statué que la législation du Parlement
fédéral, tant qu'elle se rapporte strictement à des sujets de
législation énumérés expressément dans l'article 91, est prépon-
dérante même si elle empiète sur des sujets assignés aux
législatures provinciales par l'article 92. De plus, le Parlement
peut statuer sur des questions qui, bien qu'étant à d'autres
égards de la compétence législative des provinces, sont accessoi-
rement nécessaires à une législation effective du Parlement
fédéral sur un sujet de législation expressément mentionné à
l'article 91. Si l'arrêt Vapor Canada pose quelques difficultés à
l'appelant, cela est dû à la réticence de la Cour de voir dans le
paragraphe 91(2) le fondement de la compétence fédérale pour
des motifs autres que son absence de rattachement au processus
de détermination de la peine en matière criminelle. La législa-
tion contestée a été invalidée parce que même si elle s'appli-
quait à l'ensemble du pays, il s'agissait d'une disposition isolée
sans lien avec un système général de réglementation. Comme
l'arrêt Vapor Canada s'est soldé par une réponse négative et
que la Cour ne s'est pas interrogée, de façon générale, sur la
justification d'un recours civil en vertu du pouvoir en matière
d'échanges et commerce au-delà de ce qui était nécessaire à sa
décision dans l'affaire, il est difficile d'élaborer une théorie
générale du pouvoir en matière d'échanges et de commerce en
s'appuyant sur l'arrêt Vapor Canada.
L'affaire Brasseries Labatt du Canada Liée c. Procureur
général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914, a également donné
lieu à une semblable réponse négative. Il s'agissait, dans cette
affaire, de l'étiquetage visant la teneur en alcool de la «bière
légère». Le jugement était fondé sur l'absence de caractère
général du règlement, découlant du caractère singulièrement
local de la production destinée à un marché lui-même local. On
ne trouve pas de définition plus complète du droit susceptible de
constituer un guide sûr dans d'autres affaires.
Le juge Dickson a énuméré, dans l'arrêt Transports Natio-
naux du Canada, certains indices possibles de validité en vertu
du volet «réglementation générale du commerce» du pouvoir en
matière d'échanges et de commerce. Ils ont été résumés de la
façon suivante dans l'arrêt BBM: 1) l'existence d'un système de
réglementation national; 2) la surveillance exercée par un
organisme de réglementation; 3) le fait de viser le commerce en
général plutôt qu'un seul aspect d'une entreprise particulière; 4)
l'absence de dispositions constitutionnelles qui habilitent les
provinces, conjointement ou séparément, à adopter une telle loi;
et 5) l'omission d'inclure une seule province ou localité, qui
aurait pour effet de compromettre l'application de ladite loi
dans les autres parties du pays.
En ce qui concerne l'article 31.1, quatre des cinq indices sont
présents. La seule chose que distingue la législation jugée valide
dans les arrêts Transports Nationaux du Canada et BBM et
celle que l'on trouve à l'article 31.1, est la surveillance exercée
par l'organisme de réglementation, surveillance qui, dans le
présent cas, est moins étendue dans la mesure où elle est
complétée par le droit conféré aux particuliers de prendre
eux-mêmes l'initiative des procédures.
L'article 31.1 se rapporte «strictement» à un sujet de législa-
tion expressément énuméré dans l'article 91 (par opposition au
fait d'être «accessoirement nécessaire» à une législation effec
tive). Toutefois, même si sa validité devait être évaluée en se
demandant s'il s'agissait d'une législation «accessoirement
nécessaire», le caractère nécessaire d'un moyen dépend de la
nature des fins qu'il vise. Il n'existe pas de domaine fixe en
matière d'échanges et de commerce. Ce que l'on estime néces-
saire dans le cadre d'une vision interventionniste de l'économie
différera de ce qui est considéré l'être dans la perspective d'un
libre marché. Le caractère nécessaire d'un moyen est fonction
de la fin recherchée. Le caractère nécessaire est bien exprimé
par la notion de "lien rationnel et fonctionnel» adoptée dans
l'arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et autres, [1982] 2
R.C.S. 161.
Un recours civil doit véritablement faire partie intégrante du
système global de surveillance. La recherche de ce juste dosage
de réglementation gouvernementale et d'initiative judiciaire
privée devient une question qui ressortit au Parlement. Le
Parlement doit jouir, dans les limites raisonnables énoncées plus
haut, de la liberté d'adopter et même d'expérimenter diverses
approches en matière de réglementation de l'économie.
L'alinéa 31.1(1)a) relève donc de la compétence du Parle-
ment du Canada, étant donné le lien rationnel et fonctionnel
qui le rattache au plan économique global du fédéral exposé
dans la Loi relativement à la concurrence, plan qui satisfait
également tous les critères de validité en vertu de la compétence
fédérale en matière d'échanges et de commerce.
Comme la cause d'action prévue à l'article 31.1 constitue une
législation fédérale existante et applicable, sur laquelle on peut
fonder les procédures devant la Cour, le paragraphe 31.1(3) est
valide.
La Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action de la
demanderesse fondée sur l'article 1053 du Code civil.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Transports Nationaux
du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206; Attor-
ney -General for Canada v. Attorney -General for British
Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.); Multiple Access Ltd.
c. McCutcheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161; McNa-
mara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine,
[1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. et
autre c. Canadien Pacifique Limitée et autre, [1977] 2
R.C.S. 1054.
DISTINCTION FAITE AVEC:
MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2
R.C.S. 134; Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procu-
reur général du Canada, [1980] I R.C.S. 914; R. c.
Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Henuset Bros. Ltd. v. Syncrude Canada Ltd. et al.
(1980), 114 D.L.R. (3d) 300 (B.R. Alb.); City National
Leasing Ltd. v. General Motors of Canada Ltd. (1984),
47 O.R. (2d) 653 (H.C.); R. v. Hoffman- LaRoche Ltd.
(Nos. 1 & 2) (1981), 125 D.L.R. (3d) 607 (C.A. Ont.);
BBM Bureau of Measurement c. Directeur des enquêtes
et recherches, [1985] 1 C.F. 173; (1984), 52 N.R. 137
(C.A.); Citizens Insurance Company of Canada v. Par
sons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.); Papp v. Papp, [1970]
1 O.R. 331 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Proprietary Articles Trade Association v. Attorney -
General for Canada, [1931] A.C. 310 (P.C.); Goodyear
Tire and Rubber Company of Canada Limited v. The
Queen, [1956] R.C.S. 303; R. v. Campbell (Note)
(1966), 58 D.L.R. (2d) 673 (C.S.C.); Renvoi sur la Loi
anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Attorney -General
for Canada v. Attorney -General for Alberta, [ 1916] 1
A.C. 588 (P.C.); In re Board of Commerce Act, 1919,
and Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C.
191 (P.C.); Nykorak v. The Attorney General of Canada,
[1962] R.C.S. 331.
AVOCATS:
Gaspard Côté, c.r. pour l'appelant.
Gérald Tremblay et Jean-Pierre Belhumeur
pour les intimés Dominion Ready Mix Inc.,
Jean Desjardins et Marc Crépin.
Henri-Louis Fortin pour les intimés Québec
Ready Mix Inc., Lévis Ready Mix Inc., Pierre
Viger, Verreault Frontenac Ready Mix Inc.,
Claude Ferland, Michel Bérubé et Pierre
Legault.
Normand Gagnon pour la mise-en-cause
Rocois Construction Inc.
Jean-François Jobin pour le mis-en-cause le
procureur général de la province de Québec.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour les intimés Dominion Ready
Mix Inc., Jean Desjardins et Marc Crépin.
Stein, Monast, Pratte & Marseille, Québec,
pour les intimés Québec Ready Mix Inc.,
Lévis Ready Mix Inc., Pierre Viger, Verreault
Frontenac Ready Mix Inc., Claude Ferland,
Michel Bérubé et Pierre Legault.
Gaudreau & St -Cyr, Québec, pour la
mise-en-cause Rocois Construction Inc.
Boissonneault, Roy & Poulin, Montréal, pour
le mis-en-cause le procureur général de la
province de Québec.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Je partage l'opinion de mon
sieur le juge MacGuigan. Je veux seulement ajou-
ter quelques mots pour dire que, suivant moi, on
peut aussi arriver au même résultat par un chemi-
nement beaucoup plus simple.
Depuis l'arrêt rendu dans BBM Bureau of
Measurement c. Directeur des enquêtes et recher-
ches', où cette Cour a fait sienne l'opinion expri-
mée par messieurs les juges Dickson (tel était alors
son titre), Beetz et Lamer dans Procureur général
du Canada c. Transports Nationaux du Canada,
Ltée et autre 2 , il me paraît établi, dans la mesure
où cette Cour est concernée, que les prohibitions
contenues au paragraphe 32(1) de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970,
chap. C-23 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76,
art. 14)] ont été valablement édictées par le Parle-
ment fédéral en vertu du pouvoir que lui confère le
paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de
1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)] de légiférer
en matière d'échanges et de commerce.
Cela étant, le seul vrai problème que soulève
cette affaire est celui de savoir si le Parlement
avait le pouvoir d'édicter le paragraphe 31.1(1)
[édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12] de
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions qui
oblige ceux qui violent l'une ou l'autre des prohibi
tions contenues au paragraphe 32(1) indemniser
ceux à qui cette violation a causé préjudice. Cette
question ne me paraît soulever aucune difficulté. À
mon avis, lorsque la Constitution attribue au Par-
lement le pouvoir d'édicter une prohibition, elle lui
attribue implicitement celui de déterminer quelles
seront les conséquences de la violation de cette
règle, que ces conséquences soient d'ordre civil ou
pénal. Ce principe, qui me paraît avoir été appli-
qué par la Cour suprême dans Multiple Access
Ltd. c. McCutcheon et autres', ne s'applique évi-
demment pas lorsqu'une compétence législative est
conférée en des termes qui excluent son applica
tion. Ainsi, le pouvoir accordé au Parlement par le
paragraphe 91(27) de légiférer en matière de droit
criminel ne l'autorise pas à régir les effets civils
des offenses criminelles 4 parce que, par définition,
le droit criminel ne s'étend pas jusque-là. Cepen-
dant, le pouvoir accordé au Parlement par le para-
' [1985] 1 C.F. 173; (1984), 52 N.R. 137 (C.A.).
2 [1983] 2 R.C.S. 206.
3 [1982] 2 R.C.S. 161, aux pages 182 et 183.
Sauf dans la mesure où ces effets sont considérés comme
faisant partie des peines imposées.
graphe 91(2) de réglementer les échanges et le
commerce ne saurait être limité de même façon.
Les deux arrêts de la Cour suprême que les
intimés ont le plus souvent invoqués au cours de
leurs plaidories, R. c. Zelensky 5 et MacDonald et
autre c. Vapor Canada Ltd. 6 , ne me semblent
avoir aucune application en l'espèce. La première
de ces affaires concerne le pouvoir du Parlement,
en vertu du paragraphe 91(27), de légiférer sur les
effets civils des offenses criminelles; j'ai déjà dit
pourquoi les limites dont est assorti le pouvoir
conféré par ce paragraphe ne s'appliquent pas au
pouvoir que confère le paragraphe 91(2). Quant à
l'affaire MacDonald et autre c. Vapor Canada
Ltd., la Cour suprême y a jugé inconstitutionnelle
la prohibition contenue à l'alinéa 7e) de la Loi sur
les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap.
T-10]; cette décision est pertinente lorsque l'on
discute de la constitutionnalité des prohibitions
contenues au paragraphe 32(1) de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions; elle ne l'est pas
lorsque l'on discute de la constitutionnalité du
paragraphe 31.1(1) de cette même Loi.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: J'ai eu l'avantage de pouvoir
lire les motifs de jugement des juges Pratte et
MacGuigan et comme eux, je suis d'avis d'accueil-
lir l'appel et d'annuler le jugement contre lequel il
a été formé. Je répondrais également aux deux
questions de la façon que propose le juge MacGui-
gan. Enfin, je suis d'accord pour ne pas accorder
de dépens. Je vais énoncer mes motifs concourants
le plus succinctement possible.
La présente action a été intentée en Division de
première instance de la Cour fédérale par la
demanderesse, Rocois Construction Inc., qui
réclame des dommages-intérêts par suite du préju-
dice que lui aurait présumément causé une entente
à laquelle les défendeurs étaient parties, entente
qui serait prohibée par l'article 32 de la Loi rela
tive aux enquêtes sur les coalitions («la Loi») et
plus précisément par l'alinéa 32(1)c). La déclara-
tion renferme également une demande fondée sur
le droit civil du Québec. Les deux questions préli-
5 [1978] 2 R.C.S. 940.
6 [1977] 2 R.C.S. 134.
minaires qui ont été formulées pour faire l'objet
des débats en Division de première instance ont
reçu des réponses négatives. Le juge de première
instance a conclu que l'alinéa 31.1(1)a) de la Loi,
qui permet d'intenter une action au civil afin de
recouvrer les dommages subis par suite d'un com-
portement prohibé par la Partie V de la Loi, et le
paragraphe 31.1(3), qui confère à la Cour fédérale
du Canada compétence pour connaître d'une telle
action, sont inconstitutionnels et que la Cour fédé-
rale n'a par conséquent pas compétence pour
entendre la présente action. Je suis d'accord avec
le juge MacGuigan que la question fondamentale
consiste à déterminer si le Parlement a constitu-
tionnellement le pouvoir, en vertu de sa compé-
tence législative en matière de réglementation des
échanges et du commerce, d'accorder un droit
d'action au civil à une personne qui prétend avoir
subi préjudice par suite d'un comportement consti-
tuant une infraction visée à la Partie V de la Loi et
plus particulièrement un comportement prohibé
par le paragraphe 32(1) de la Loi.
Le juge MacGuigan a cité les dispositions perti-
nentes de la Loi constitutionnelle de 1867, notam-
ment les paragraphes 91(2), 92(13) et (16), de
même que les dispositions pertinentes de la Loi,
dont l'article 31.1 et le paragraphe 32(1). Il a
également analysé la jurisprudence dominante sur
le pouvoir en matière d'échange et de commerce,
en particulier les arrêts plus récents. Cela étant, je
vais m'efforcer d'éviter les répétitions.
Dans l'affaire Procureur général du Canada c.
Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre,
[1983] 2 R.C.S. 206, on a contesté le droit du
procureur général du Canada de mener des pour-
suites relativement à une infraction présumée visée
au paragraphe 32(1), de la Loi relative aux enquê-
tes sur les coalitions. La Cour a majoritairement
conclu que le procureur général a le pouvoir de
poursuivre et ce, même en présumant que la Loi ne
repose, aux fins de la Constitution, que sur le
pouvoir en matière de droit criminel que confère le
paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de
1867. Le juge Dickson (alors juge puîné) a souscrit
au résultat, mais il a donné son accord en s'ap-
puyant sur sa conclusion suivant laquelle la Loi
trouve également appui, au plan constitutionnel,
sur le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle
de 1867, c'est-à-dire le pouvoir du Parlement de
légiférer en matière de réglementation des échan-
ges et du commerce. Les juges Beetz et Lamer ont,
pour l'essentiel, souscrit à cette conclusion.
Cette Cour, dans BBM Bureau of Measurement
c. Directeur des enquêtes et recherches, [1985] 1
C.F. 173; (1984), 52 N.R. 137 (C.A.), un arrêt
portant sur la constitutionnalité de l'article 31.4
(la disposition relative aux «ventes liées») de la Loi,
a conclu que cet article est valide puisqu'il repose
sur le pouvoir du Parlement de légiférer en matière
de réglementation des échanges et du commerce.
Le juge Urie, qui parlait au nom de la Cour, a
appliqué les mêmes critères que le juge Dickson
dans l'arrêt Transports Nationaux du Canada.
Suivant mon interprétation des motifs du juge
Urie, ces critères permettraient non seulement de
conclure à la constitutionnalité de l'article 31.4 de
la Loi en vertu du paragraphe 91(2), mais égale-
ment à la constitutionnalité de l'alinéa 32(1)c) en
vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitution-
nelle de 1867. Je n'ai aucune hésitation à conclure
de la sorte; en toute déférence, je suivrais les
motifs du juge Dickson dans l'arrêt Transports
Nationaux du Canada.
Je reconnais que le paragraphe 31.1(1) n'était
pas visé directement dans les arrêts Transports
Nationaux du Canada et BBM Bureau of Measu
rement. Toutefois, l'arrêt Multiple Access Ltd. c.
McCutcheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161, a
soulevé et tranché la question de savoir si le Parle-
ment peut accorder un recours civil pour réparer le
préjudice découlant de la violation d'une disposi
tion législative validement adoptée en vertu de
l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Cette affaire mettait en cause la constitutionnalité
des articles 100.4 et 100.5 de la Loi sur les corpo
rations canadiennes [S.R.C. 1970, chap. C-32
(mod. par S.R.C. 1970 (1°r Supp.), chap. 10, art.
7)], qui visent à protéger les compagnies et les
actionnaires contre les gestes préjudiciables de
leurs dirigeants. Aux termes du paragraphe
100.4(1), les dirigeants sont tenus d'indemniser la
personne qui a subi une perte directe du fait d'une
opération relative aux valeurs de la compagnie
lorsqu'ils utilisent des renseignements confidentiels
à propos d'une opération. En vertu de ce paragra-
phe, le dirigeant doit également rendre compte à la
compagnie de tout avantage direct qui a pd lui
échoir du fait de l'opération. L'article 100.5 pré-
voit une procédure permettant de faire intenter
une action par le Directeur de la Direction des
Corporations lorsqu'il existe des raisons de croire
que la compagnie est fondée à intenter une action
en vertu de l'article 100.4, mais a soit refusé ou
omis d'intenter une action, soit omis de continuer
avec diligence l'action qu'elle a préalablement
intentée.
Le juge Dickson (alors juge puîné) a conclu,
pour la majorité de la Cour, que les articles 100.4
et 100.5 sont valides en vertu du pouvoir du Parle-
ment de faire, aux termes des premiers mots de
l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, des
lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du
Canada. Après avoir examiné ces articles dans leur
contexte, au sein de la Partie I de la Loi, il a
conclu à leur validité en tant que législation rela
tive aux compagnies ayant des objets autres que
provinciaux. Il les a décrits comme étant du «droit
corporatif». Il a déclaré (à la page 176): «Ils
s'insèrent bien dans la partie I de la Loi sur les
corporations canadiennes ... Leur adoption par le
Parlement constitue un exercice de son pouvoir en
matière de droit corporatif.»
Dans ses motifs, le juge Dickson fait référence à
un argument selon lequel que le Parlement n'avait
pas constitutionnellement le pouvoir d'adopter l'ar-
ticle 100.4 puisque ce dernier accorde une cause
d'action au civil et relève par conséquent de la
compétence exclusive des provinces. Il a dit, aux
pages 182 et 183:
Dans les articles contestés de la loi fédérale, on peut apporter
une réserve dans le cas de l'imposition de responsabilité civile
prévue au par. 100.4(1). L'imposition d'une responsabilité civile
dans une loi fédérale empiète-t-elle sur le domaine provincial au
point de rendre ultra vires les articles qui imposent cette
responsabilité? C'est là, en substance, l'argument des appelan-
tes. Mais comme le font remarquer les professeurs Anisman et
Hogg: «Des décisions judiciaires intéressant un certain nombre
de domaines divers tels que les élections fédérales, les chemins
de fer, les corporations fédérales et même le divorce ont con
firmé le pouvoir qu'a le Parlement de faciliter l'application de
ses politiques législatives en prévoyant la possibilité de recours
en matière civile» (»Les aspects constitutionnels de la législation
fédérale sur les valeurs mobilières» dans Avant-projet d'une loi
canadienne sur le marché des valeurs mobilières (1979), vol. 3,
chap. III, à la p. 215). A mon avis, les art. 100.4 et 100.5 visent
les compagnies de façon générale et ont, avec le droit corpora-
tif, un «lien rationnel et fonctionnel». Je suis d'avis que ces
articles sont intra vires du Parlement du Canada.
Le recours civil prévu à l'article 31.1 de la Loi
possède, à mon avis, «un lien rationnel et fonction-
nel» avec le paragraphe 32(1). Le lien entre ces
deux dispositions législatives découle du fait que
l'article 31.1 fait explicitement mention de la
Partie V. De plus, le recours civil que l'article 31.1
met à la disposition des personnes lésées par suite
d'un comportement prohibé par le paragraphe
32(1) est une incitation à éviter le comportement
prohibé, incitation qui vient s'ajouter à celle que
constitue la sanction prescrite. En outre, ce recours
civil s'avère un moyen de réparer, du moins en
partie, les conséquences préjudiciables découlant
du comportement prohibé. Ce lien qui existe entre
la disposition réparatrice, c'est-à-dire l'article 31.1,
et la disposition de fond, en l'occurrence le para-
graphe 32(1), qui décrit le comportement prohibé,
est, à mon avis, suffisant pour conclure que l'arti-
cle 31.1 est à tout le moins accessoire à la régle-
mentation des échanges et du commerce. Compte
tenu de la nature du redressement prévu à l'article
31.1, certains problèmes auraient pu, je suppose, se
présenter si la constitutionnalité de cette disposi
tion avait reposé uniquement sur le pouvoir en
matière de droit criminel: voir R. c. Zelensky,
[1978] 2 R.C.S. 940. Les restrictions que pour-
raient entraîner le fait de s'appuyer sur le droit
criminel sont toutefois inexistantes dans les cas où,
comme en l'espèce, on peut s'appuyer, au plan
constitutionnel, sur le paragraphe 91(2).
J'ajouterais que dans Papp v. Papp, [ 1970] 1
O.R. 331 (C.A.), on a conclu que les dispositions
relatives à la garde des enfants de la Loi sur le
divorce [S.R.C. 1970, chap. D-8] avaient été vali-
dement adoptées en vertu du paragraphe 91(26) de
la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge Laskin
(tel était alors son titre), parlant à titre de membre
de la Cour d'appel de l'Ontario, a déclaré, aux
pages 335 et 336:
[TRADUCTION] La Constitution est un outil de travail à l'inten-
tion des organismes législatifs et sa mise en vigueur dans la
législation doit être perçue comme une définition sociale, par
l'organe législatif, de l'étendue du pouvoir invoqué dans chaque
cas. Lorsqu'il existe, comme c'est le cas ici, une compétence
reconnue de légiférer jusqu'à un certain point, le problème posé
par les limites (lorsque ce point est dépassé) est résolu de
meilleure manière en se demandant s'il existe un rapport
rationnel, fonctionnel entre ce que l'on reconnaît comme valide
et ce qui est contesté.
J'ai déjà fait part de mon opinion (opinion con-
forme à la décision de cette Cour dans l'arrêt BBM
Bureau of Measurement) suivant laquelle le para-
graphe 32(1) de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions est valide, au plan constitutionnel, en
vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitution-
nelle de 1867. J'ai en outre conclu qu'il existe un
lien rationnel et fonctionnel entre le paragraphe
32(1) et l'article 31.1. Ma conclusion suivant
laquelle l'article 31.1 est valide au plan constitu-
tionnel trouve donc appui dans la citation tirée du
jugement du juge Laskin, suivant l'interprétation
que j'en donne.
J'ajouterais également ceci. J'ai affirmé que
l'article 31.1 de la Loi pouvait, en raison du lien
fonctionnel et rationnel qui le rattache au paragra-
phe 32(1), être considéré à tout le moins accessoire
à la réglementation des échanges et du commerce.
Toutefois, compte tenu de ce lien, il serait à vrai
dire plus opportun de qualifier l'article 31.1 de
législation relevant «nettement du» paragraphe
91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, en tant
que législation se rapportant directement à la
réglementation des échanges et du commerce: voir
les motifs du juge Judson dans l'arrêt Nykorak v.
The Attorney General of Canada, [ 1962] R.C.S.
331, la page 335.
Je ferais remarquer, de façon plus générale, que
même s'il fallait, pour pouvoir conclure que l'arti-
cle 31.1 . est valide sur le plan constitutionnel,
trouver un appui plus large que le lien qui existe
entre l'article 31.1 et le paragraphe 32(1) de la
Loi, il me semble qu'un tel fondement pourrait fort
bien découler du fait que, pour adopter les propos
du juge Dickson dans Multiple Access, l'article
31.1 s'insère bien dans ce qui s'avère le cadre
législatif exhaustif établi par la Loi, cadre qui
comprend des sanctions pénales, des mécanismes
administratifs et des recours civils et qui vise [TRA-
DUCTION] «la réglementation générale des échan-
ges s'appliquant à tout le Dominion»: voir l'arrêt
Citizen Insurance Company of Canada v. Par
sons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.), à la page 113.
A mon avis, l'article 31.1 fait partie intégrante
d'une loi portant sur la «réglementation des échan-
ges»: cet article constitue du droit fédéral en
matière de «réglementation des échanges» et ce,
sensiblement de la même façon que les articles
100.4 et 100.5 de la Loi sur les corporations
canadiennes [S.R.C. 1970, chap. C-32 (mod. par
S.R.C. 1970 (1 ° ' Supp.), chap. 10, art. 7)] sont du
«droit corporatif» fédéral.
Je dois dire que je suis d'accord avec les juges
Pratte et MacGuigan que le présent cas se distin-
gue nettement de l'arrêt MacDonald et autre c.
Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134. Dans
l'arrêt Vapor, on a jugé que l'alinéa 7e) de la Loi
sur, les marques de commerce, la disposition légis-
lative en litige, était une disposition isolée qui
n'avait aucun lien rationnel ou fonctionnel avec les
dispositions de cette Loi qui se rapportent aux
marques de commerce ou à leur réglementation.
Dès le départ, j'ai souligné que l'on devrait
répondre à la «seconde question» concernant la
compétence de la Cour fédérale en vertu du para-
graphe 31.1(3) de la Loi de la manière que pro
pose le juge MacGuigan: je fais donc miens ses
motifs à cet égard.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: La principale question
qui doit être tranchée en l'espèce consiste à déter-
miner si le Parlement du Canada a, en vertu de sa
compétence sur la réglementation des échanges et
du commerce, le pouvoir constitutionnel d'accorder
un droit d'action au civil à une personne ayant subi
une perte ou un préjudice par suite d'une infrac
tion relative à la concurrence.
I
Le présent appel, qui fut marqué par de longs
délais, a été formé à l'encontre d'une décision
préliminaire rendue le 4 décembre 1979 par la
Division de première instance qui a conclu que
l'alinéa 31.1(1)a) et le paragraphe 31.1(3) de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions («la
Loi») étaient ultra vires des pouvoirs du Parle-
ment: cette décision est publiée sous l'intitulé
Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix
Inc., [1980] 1 C.F. 184. Dans son action, la
demanderesse, Rocois Construction Inc., réclame
des dommages-intérêts à la suite d'une entente que
les défendeurs auraient conclue entre eux en viola
tion des prohibitions de la Loi. Voici le libellé
exact des questions auxquelles la Division de pre-
mière instance a répondu dans sa décision prélimi-
naire (précitée, à la page 186):
1. La constitutionnalité de l'alinéa 31.1(I)a) et du paragra-
phe 31.1(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
S.R.C. 1970, chap. C-23 et amendements; et
2. La compétence de la Cour fédérale d'entendre la réclama-
tion de la demanderesse-intimée.
Les dispositions législatives en litige sont ainsi
rédigées:
31.1 (1) Toute personne qui a subi une perte ou un préjudice
par suite
a) d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de
la Partie V, ou
b) du défaut d'une personne de se conformer à une ordon-
nance rendue par la Commission ou une cour en vertu de la
présente loi,
peut, devant toute cour compétente, réclamer et recouvrer de la
personne qui a eu un tel comportement ou a omis de se
conformer à l'ordonnance, une somme égale au montant de la
perte ou du préjudice qu'elle est reconnue avoir subis, ainsi que
toute somme supplémentaire que la cour peut fixer et qui
n'excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relative-
ment à l'affaire et des procédures engagées en vertu du présent
article.
(2) Dans toute action intentée contre une personne en vertu
du paragraphe (1), les procès-verbaux relatifs aux procédures
engagées devant toute cour qui a déclaré cette personne coupa-
ble d'une infraction visée par la Partie V ou l'a déclarée
coupable du défaut de se conformer à une ordonnance rendue
en vertu de la présente loi par la Commission ou par une cour,
ou qui l'a punie pour ce défaut, constituent, sauf preuve con-
traire, la preuve que la personne contre laquelle l'action est
intentée a eu un comportement allant à l'encontre d'une dispo
sition de la Partie V ou a omis de se conformer à une ordon-
nance rendue en vertu de la présente loi par la Commission ou
par une cour, selon le cas, et toute preuve fournie lors de ces
procédures quant à l'effet de ces actes ou omissions sur la
personne qui intente l'action constitue une preuve de cet effet
dans l'action.
(3) La Cour fédérale du Canada a compétence aux fins d'une
action prévue au paragraphe (1).
(4) ll ne peut être intenté d'action en vertu du paragraphe
(I),
a) dans le cas d'une action fondée sur un comportement qui
va à l'encontre d'une disposition de la Partie V, plus de deux
ans après
(i) la date du comportement en question, ou
(ii) la date de clôture définitive des procédures pénales y
relatives, si cette dernière date est postérieure à la date
visée au sous-alinéa (i); et,
b) dans le cas d'une action fondée sur le défaut d'une
personne de se conformer à une ordonnance de la Commis
sion ou d'une cour, plus de deux ans après
(i) la date où a eu lieu la violation de l'ordonnance de la
Commission ou de la cour, ou
(ii) la date de clôture définitive des procédures pénales y
relatives, si cette dernière date est postérieure à la date
visée au sous-alinéa (i).
Cet article confère à toute personne qui a subi un
préjudice par suite de la perpétration d'un acte
prohibé par la Partie V, le droit d'intenter, en
Cour fédérale, indépendamment de toute procé-
dure criminelle, une action en indemnisation
contre les auteurs de cet acte. La Partie V, qui est
intitulée «Infractions relatives à la concurrence»,
fait de certains comportements des infractions,
notamment: le complot ou l'association d'intérêts
pour diminuer indûment la concurrence à certains
égards; le truquage des offres; les complots relatifs
au sport professionnel; la création de monopoles;
les ventes discriminatoires; la publicité trompeuse;
le double étiquetage; les ventes pyramidales; les
ventes par recommandation; les ventes à prix d'oc-
casion sans avoir suffisamment d'articles à vendre;
la vente au-dessus du prix annoncé; certaines
manœuvres dans les concours publicitaires. Le
paragraphe 32(1) traite précisément de comporte-
ments du type dont ont été accusés les défendeurs:
32. (1) est coupable d'un acte criminel et passible d'un
emprisonnement de cinq ans ou d'une amende d'un million de
dollars, ou de l'une et l'autre peine, toute personne qui com-
plote, se coalise, se concerte ou s'entend avec une autre
a) pour limiter indûment les facilités de transport, de produc
tion, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage ou de
négoce d'un produit quelconque;
b) pour empêcher, limiter ou diminuer, indûment, la fabrica
tion ou production d'un produit ou pour en élever déraisonna-
blement le prix;
c) pour empêcher ou diminuer, indûment, la concurrence
dans la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente,
l'entreposage, la location, le transport ou la fourniture d'un
produit, ou dans le prix d'assurances sur les personnes ou les
biens; ou
d) pour restreindre ou compromettre, indûment de quelque
autre façon, la concurrence.
Voici comment le juge de première instance a
répondu à ces questions (précitée, à la page 211):
À la première question, je réponds: non. L'alinéa 31.1(1)a) et
le paragraphe 31.1(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions ne sont pas valides parce que ultra vires des pouvoirs
du Parlement.
À la deuxième question, je réponds aussi, par voie de consé-
quence: non. Le paragraphe 31.1(3) ne pouvant avoir d'effet,
cette Cour n'a pas compétence pour entendre la réclamation
que fait valoir l'action telle qu'intentée.
Je ne dispose pas de l'action elle-même ni ne me prononce sur
les dépens, puisque aucune demande n'a été soumise à cet effet.
En Division de première instance, on a défendu
l'adoption de l'alinéa 31.1(1)a) par le fédéral en se
fondant sur le pouvoir de ce dernier, aux termes de
l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, de
faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouver-
nement du Canada ainsi que sur ses pouvoirs en
matière d'échanges et de commerce (91(2)) et de
droit criminel (91(27)). À cette prétention de com-
pétence fédérale, on a opposé les pouvoirs dévolus
aux provinces par les paragraphes 92(13) et
92(16) de la Loi de 1867. Ces dispositions sont
ainsi rédigées:
91. Il sera loisible à la Reine, sur l'avis et avec le consente-
ment du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des
lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada,
relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les
catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des
provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans
toutefois restreindre la généralité des termes employés plus
haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que
(nonobstant toute disposition de la présente loi) l'autorité légis-
lative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les
matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci-des-
sous, à savoir:
2. la réglementation des échanges et du commerce;
27. le droit criminel, sauf la constitution des tribunaux de
juridiction criminelle, mais y compris la procédure en
matière criminelle;
Et aucune des matières ressortissant aux catégories de sujets
énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la
catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises
dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assi
gnés par la présente loi aux législatures des provinces.
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusive-
ment légiférer relativement aux matières entrant dans les caté-
gories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
13. la propriété et les droits civils dans la province;
16. généralement, toutes les matières d'une nature purement
locale ou privée dans la province.
Devant cette Cour, l'avocat de l'appelant, le
procureur général du Canada, qui était intervenant
en Division de première instance, bien qu'il n'ait
pas renoncé à ses autres arguments fondés sur
l'article 91, s'est contenté de plaider que le fédéral
avait compétence en vertu de son pouvoir de régle-
mentation sur les échanges et le commerce et les
parties ont convenu que ce serait sur cette seule
base que cette Cour déciderait du litige.
II
À l'origine (1889) [Acte à l'effet de prévenir et
supprimer les coalitions formées pour gêner le
commerce, 1889 S.C., chap. 41], la législation
anti -coalition canadienne relevait purement et sim-
plement du droit criminel et, effectivement, en
1892, elle fut incorporée au Code criminel [Code
criminel, 1892, 1892 S.C., chap. 29] où elle est
demeurée intégralement jusqu'en 1910. Depuis,
elle existe sous forme de législation distincte dans
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
mais le Conseil privé n'en a pas moins jugé qu'il
s'agissait d'une législation criminelle: Proprietary
Articles Trade Association v. Attorney -General
for Canada, [1931] A.C. 310 (P.C.). Divers ajouts
apportés à la loi anti -coalition fédérale ont par la
suite été jugés valides par la Cour suprême du
Canada en tant que législation criminelle: Good-
year Tire and Rubber Company of Canada Limi
ted v. The Queen, [ 1956] R.C.S. 303; R. v. Camp-
bell (Note) (1966), 58 D.L.R. (2d) 673 (C.S.C.).
Au fil des ans, cependant, on s'est montré de plus
en plus favorable à la décriminalisation de la
législation anti -coalition afin de pouvoir prohiber
de façon plus sélective les activités commerciales
jugées indésirables. Cela a amené le gouvernement
à commander une étude au Conseil économique du
Canada qui, dans son Interim Report on Competi
tion Policy de 1969 (Ottawa, Imprimeur de la
Reine) a recommandé l'adoption d'une politique
de concurrence laissant libre cours aux forces con-
currentielles du marché. L'opinion du Conseil
quant au but fondamental d'une politique de con
currence est énoncée dans un passage qui, selon
moi, décrit tout autant qu'il prescrit (aux pages 8
et 9):
[TRADUCTION] II est possible de voir dans l'instauration et le
maintien d'une politique de concurrence semblable à celle qui
existe actuellement au Canada une manifestation de la convic
tion suivant laquelle, pour la majeure partie de l'économie, les
forces concurrentielles du marché sont potentiellement en
mesure d'assurer une meilleure répartition des ressources et ce,
à un coût moindre et pour des frais généraux moins onéreux,
que toute autre solution de rechange telle que la propriété et le
contrôle étatiques complets, la réglementation minutieuse des
entreprises par le gouvernement ou encore l'auto-réglementa-
tion de grands ensembles industriels au sein d'un État corpora-
tif ... De cette façon, c'est le marché qui accomplit le boulot et
la principale responsabilité du gouvernement en ce qui a trait à
la répartition efficace des ressources consiste à veiller à ce que
le marché reste libre d'accomplir le meilleur travail dont il est
capable. On compte sur la concurrence comme principal méca-
nisme de contrôle social ...
S'appuyant là-dessus, le Conseil a recommandé
(aux pages 195 et 196):
[TRADUCTION] Afin, dans une certaine mesure, de donner
corps à ces divers principes, nous recommandons qu'une part
importante de la législation canadienne sur la politique de
concurrence repose sur le droit civil plutôt que sur le droit
criminel et qu'un tribunal spécialisé soit créé. En proposant ces
modifications, nous avons surtout à l'esprit le fait que certaines
caractéristiques du droit et de la procédure criminels, telles le
fardeau de preuve au-delà de tout doute raisonnable et le
traitement des accusations par les tribunaux ordinaires selon
des moyens qui ne permettent pas un examen approfondi des
faits et analyses de nature économique, ne sont pas adaptées
pour faire face efficacement à certaines situations et pratiques
pertinentes en matière de politique de concurrence. Pour cette
raison, nous suggérons que cinq pratiques commerciales seule-
ment demeurent des infractions criminelles et que la loi défi-
nisse lesdites infractions dans un langage offrant un plus grand
degré de certitude et un meilleur avertissement que ce n'est le
cas actuellement. Pour ce qui est du reste, nous avons présumé
qu'il serait possible pour le gouvernement fédéral, sur le plan
constitutionnel, de créer un tribunal civil, peut-être en vertu de
son pouvoir de réglementation des échanges et de commerce.
Ce tribunal s'occuperait des fusions, des pratiques commercia-
les, des exportations et des ententes de spécialisation. Contrai-
rement aux cinq cas où le droit criminel nous apparaît toujours
une approche valable, la plupart des pratiques dont sera saisi le
tribunal sont, dans certaines circonstances, susceptibles d'être à
l'avantage du public, mais il est possible que pour pouvoir
distinguer les conséquences probablement favorables des consé-
quences probablement défavorables, il faille s'adonner à une
évaluation complexe de certaines circonstances et probabilités
pertinentes en matière économique, et donc qu'il faille avoir
recours à une expertise que seul un organisme professionnel
multidisciplinaire est en mesure de fournir. Le tribunal aurait
le pouvoir d'accorder des injonctions, de recommander d'autres
redressements et, de façon générale, d'enquêter.
Il est quelque peu regrettable que malgré l'invi-
tation qui lui a été adressée en ce sens, l'avocat de
l'appelant ne se soit pas appliqué, à l'aide d'une
documentation extrinsèque du genre de celle
admise dans le Renvoi sur la Loi anti-inflation,
[ 1976] 2 R.C.S. 373, indiquer à la Cour quel
était le «malaise» visé par les importantes modifi
cations apportées à la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions en 1975. Cependant, nous pou-
vons prendre connaissance judiciaire du fait que
les modifications de 1975 ont été apportées au
lendemain du rapport du Conseil économique. Ces
modifications ont enrichi la loi d'une nouvelle ins
tance civile, ayant surtout recours à la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce qui
existait alors («CPRC» ou «la Commission») qu'elle
dotait d'une nouvelle attribution quasi judiciaire.
Qui plus est, aux termes de l'article 31.1, le nou-
veau recours civil dont dispose la personne lésée ne
se limite pas aux cas où il y a eu condamnation
pour une infraction prévue à la Partie V de la Loi.
Aux termes du paragraphe (2), une déclaration de
culpabilité constitue, à première vue, la preuve
d'un comportement contraire aux dispositions de la
Partie V, mais les recours civils prévus au paragra-
phe (1) ne se limitent pas aux situations où il y a
eu condamnation en vertu de la Partie V. Il n'est
pas nécessaire pour exercer le recours civil prévu
au paragraphe 31.1(1) que la Partie V ait au
préalable été invoquée ou que la CPRC ait posé
quelque geste que ce soit. Il s'agit d'un droit de
prendre des initiatives personnelles qui, au dire des
intimés, existe indépendamment du système régle-
mentaire fédéral alors que, selon l'appelant, il en
fait partie.
Au cours des six années qui se sont écoulées
depuis que la Division de première instance a
rendu sa décision, le droit a évolué considérable-
ment. Soulignons d'abord que cette même question
a été débattue dans deux autres affaires. Dans
Henuset Bros. Ltd. v. Syncrude Canada Ltd. et al.
(1980), 114 D.L.R. (3d) 300 (B.R. Alb.), à la
page 308, le juge Rowbotham a conclu de la façon
suivante ':
[TRADUCTION] Si on lit l'article 31.1 en corrélation avec les
autres dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions et ses modifications, on s'aperçoit qu'il fait partie
intégrante d'un système législatif et réglementaire global visant
la réglementation générale des échanges et du commerce à
travers le Canada et, bien qu'il touche, dans une certaine
mesure, au pouvoir des provinces en matière de propriété et de
droit civil, il relève néanmoins de la compétence législative du
Parlement du Canada conformément au paragraphe 91(2) de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867.
Cependant, dans l'affaire City National Leasing
Ltd. v. General Motors of Canada Ltd. (1984), 47
O.R. (2d) 653 (H.C.), à la page 662, le juge
Rosenberg, de l'Ontario, a soutenu la thèse
contraire:
[TRADUCTION] Manifestement, l'article 31.1 ne fait pas
partie du système complexe mis en place par la Loi. Il n'est
tributaire d'aucune conclusion de la part du Directeur ou de la
Commission. La Loi s'est appliquée pendant plus de 75 ans sans
une telle disposition. On ne peut en justifier l'existence au motif
7 L'instruction de l'affaire Henuset s'est déroulée du 4 au 7
septembre 1979, soit un mois avant l'instruction du présent cas
en Division de première instance. Toutefois, la décision dans
cette affaire n'a été rendue que six mois après la décision de la
Division de première instance. Manifestement, le tribunal
albertain n'a pas été informé de la décision de la Cour fédérale
durant cette longue période.
qu'elle serait une composante essentielle d'un système adminis-
tratif mis en place par la Loi.
La seule façon de justifier l'existence de l'article 31.1 est de
dire qu'il s'agit d'une législation «nécessairement accessoire» ou
«vraiment accessoire» aux autres dispositions de la Loi ou à la
réglementation des échanges et du commerce.
Dans l'arrêt Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et
autre, [1982] 2 R.C.S. 9; 139 D.L.R. (3d) 14; 42 N.R. 572
(C.S.C.), le juge Martland a examiné le paragraphe 22 de la
Loi sur les jeunes délinquants. Ce paragraphe prévoyait qu'a-
près avoir conclu que l'enfant était un jeune délinquant, le juge
pouvait ordonner qu'il soit placé dans une situation particulière
ou dans une famille d'accueil. Cette disposition prévoyait égale-
ment que le juge pouvait déterminer qui devait assurer l'entre-
tien de l'enfant. La validité de la Loi elle-même avait été
confirmée bon nombre d'années auparavant et l'on prétendait
que le paragraphe 20(2) était une disposition nécessairement
accessoire puisque le juge instruisant l'affaire devait s'assurer,
lorsqu'il ordonnait le placement du jeune délinquant dans un
foyer de groupe, que quelqu'un en assumerait les coûts. Le juge
Martland a déclaré à la p. 22 R.C.S., aux pp. 24 et 25 D.L.R.
et à la p. 585 N.R.:
Il ne s'agit pas d'une disposition relative au droit criminel ou
à la procédure criminelle, et cette disposition n'est pas vrai-
ment nécessaire à l'exercice efficace de l'autorité législative
du Parlement dans ces domaines ... Ce paragraphe n'est pas
justifié en l'absence d'un lien direct avec le pouvoir législatif
fédéral en vertu de l'article 91(27). Il n'y a pas de lien direct
entre la municipalité «à laquelle il [l'enfant] appartient» et la
question de la criminalité de l'enfant. L'obligation que la Loi
cherche à imposer à la municipalité se présente uniquement
une fois les procédures criminelles complétées et la sentence
imposée. (C'est moi qui souligne.)
Je suis d'avis que l'arrêt Peel c. MacKenzie s'applique en
l'espèce. Le droit d'un particulier d'intenter une poursuite n'est
pas vraiment essentiel à l'efficacité de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions. En conséquence, l'article 31.1 est
ultra vires des pouvoirs du Parlement du Canada.
On nous a informés que cette affaire est présente-
ment devant la Cour d'appel de l'Ontario.
Dans l'affaire R. v. Hoffman-LaRoche Ltd.
(Nos. 1 & 2) (1981), 125 D.L.R. (3d) 607, la
page 649, la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé
une condamnation pour avoir réduit sensiblement
la concurrence en violation de l'alinéa 34(1)c) de
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Voici en quels termes s'exprimait le juge d'appel
Martin pour la Cour:
[TRADUCTION] ... il est sans importance, pour ce qui est de la
question constitutionnelle en l'espèce, qu'une infraction particu-
lière créée par cette loi puisse à bon droit être qualifiée de
disposition en matière de droit criminel ou qu'elle aurait pu être
adoptée en vertu de la compétence en matière de droit criminel.
Le savant juge du procès a conclu, avec raison selon moi, que la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions peut se fonder aussi
bien sur la compétence en matière d'échanges et de commerce
que sur le par. 91(27). Il a déclaré (aux pp. 191 et 192 O.R.,
pp. 28 et 29 C.C.C., pp. 32 et 33 D.L.R. et p. 175 C.P.R.):
[TRADUCTION] ... j'estime que l'alinéa 34(1)c) peut aussi
avoir pour fondement constitutionnel le paragraphe 91(2). Il
fait partie d'un régime législatif visant à empêcher toute une
variété de pratiques déloyales en matière de concurrence qui
touchent les échanges et le commerce en général dans tout le
Canada et qui ne se limitent pas à une seule industrie, denrée
ou région. En règle générale, la conduite interdite a une
portée à la fois nationale et internationale. L'économie de
tout le pays peut se ressentir de la présence ou de l'absence
d'une saine concurrence. Il est donc de la compétence du
Parlement fédéral de tenter de réglementer la concurrence
dans l'intérêt de tous les Canadiens. (Toutefois, il en serait
vraisemblablement autrement si la concurrence réglementée
revêtait un caractère purement local, auquel cas la compé-
tence fédérale en matière d'échanges et de commerce pour-
rait ne pas s'appliquer.)
Dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre,
[1983] 2 R.C.S. 206, aux pages 277 et 278, le juge
Dickson (tel était alors son titre) a, dans un juge-
ment concourant, conclu que l'alinéa 32(1)c) de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions avait
été validement adopté par le fédéral tant en vertu
de son pouvoir en matière de droit criminel qu'en
vertu de son pouvoir en matière d'échanges et le
commerce. De plus, dans le cours de ses motifs de
jugement, il a commenté défavorablement la
crainte exprimée dans le présent cas par le juge de
première instance suivant laquelle ce genre d'inter-
prétation du pouvoir en matière d'échanges et de
commerce est susceptible de porter atteinte à l'au-
tonomie locale envisagée par la Constitution dans
le domaine de la réglementation économique.
(Voilà un point sur lequel je reviendrai plus loin).
Les juges Beetz et Lamer ont souscrit à l'opinion
du juge Dickson selon laquelle le texte législatif
avait été validement adopté en vertu du paragra-
phe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Finalement, dans l'arrêt BBM Bureau of Mea
surement c. Directeur des enquêtes et recherches,
[1985] 1 C.F. 173; (1984), 52 N.R. 137 (C.A.),
cette Cour a déclaré valide l'article 31.4 de la Loi
qui traite des ventes liées. Le juge Urie a écrit, au
nom de la Cour (aux pages 188 et 189 C.F.; à la
page 147 N.R.):
Je suis d'avis que l'article 31.4 est conforme à tous les
critères susmentionnés et qu'il constitue une disposition législa-
tive valide sous le régime du paragraphe 91(2) de la Loi
constitutionnelle de 1867. Lu en corrélation avec les autres
dispositions de la Loi, il fait manifestement partie d'un système
complexe de réglementation qui ne vise pas une entreprise ou
une industrie en particulier mais qui réglemente les échanges et
le commerce en général dans l'ensemble du Canada au bénéfice
des Canadiens en général. Il s'appliquera inévitablement aux
entreprises individuelles. Mais si cela devait déterminer sa
validité et signifier qu'il est nul, la nécessité évidente de cet
article pour le mieux-être des Canadiens en général n'aurait pas
de sens, ce serait un tigre dépourvu de dents. En même temps,
son existence légitime n'empiète pas sur le pouvoir des provin
ces d'adopter des lois (comme plusieurs l'ont fait) en vue de
réglementer les pratiques commerciales de ces entreprises elles-
mêmes, et de protéger les citoyens de ces provinces dans le
cadre de la propriété et des droits civils. Dans ce contexte, les
pouvoirs conférés par les paragraphes 91(2) et 92(13) me
paraissent complémentaires. L'un n'exclut pas l'autre. On peut
avoir recours à chacun d'eux dans le but de s'assurer a) que
d'une part la concurrence demeure juste et qu'elle offre à tous
les acheteurs du pays des options adéquates et réelles et b) que
d'autre part ces acheteurs sont protégés contre les pratiques
commerciales astucieuses et contraires à l'éthique lorsqu'ils
traitent avec des entreprises ou des industries individuelles.
Dans toutes les récentes décisions de la Cour
suprême du Canada sur le pouvoir en matière
d'échanges et de commerce, il apparaît constant
que le point de départ d'une analyse de cette
question est l'arrêt Citizen Insurance Company of
Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.)
et que certaines décisions du Conseil privé rédigées
par vicomte Haldane telles le Renvoi sur les assu
rances de 1916, Attorney -General for Canada v.
Attorney -General for Alberta, [1916] 1 A.C. 588
(P.C.) et In re Board of Commerce Act, 1919, and
Combines and Fair Prices Act, 1919, [ 1922] 1
A.C. 191 (P.C.) ont perdu une grande partie de
leur caractère déterminant. Dans l'arrêt MacDo-
nald et autre c. Vapor Canada Ltd., [ 1977] 2
R.C.S. 134, à la page 163, le juge en chef Laskin
affirme sans détour que l'affaire Proprietary Arti
cles Trade Association v. Attorney -General for
Canada, précitée, a «mis fin» au processus de
restriction du pouvoir fédéral en matière d'échan-
ges et de commerce. Par ailleurs, dans l'arrêt
Brasseries Labatt du Canada Liée c. Procureur
général du Canada, [ 1980] 1 R.C.S. 914, à la page
942, le juge Estey affirme que «la compétence en
matière d'échanges et de commerce a été sauvée
du quasi-oubli». Par conséquent, je me propose,
d'une manière générale, de m'appuyer sur les
récentes décisions de la Cour suprême, étant con-
vaincu qu'elles renferment les éléments encore per-
tinents de l'approche du vicomte Haldane. Néan-
moins, les propos de Sir Montague Smith dans
l'arrêt Citizen Insurance (précité, à la page 113),
fournissent ce que le juge en chef Laskin a décrit
dans l'arrêt Vapor Canada (précité, à la page 164)
comme étant «un guide dans l'étude de la question
constitutionnelle». Voilà pourquoi ces propos
demeurent importants:
[TRADUCTION] Par conséquent, si l'on interprète les mots
«réglementation des échanges et du commerce» en s'aidant des
divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu'ils devraient
inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui
requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des
échanges dans les matières d'intérêt interprovincial. Il se pour-
rait qu'ils comprennent la réglementation générale des échan-
ges s'appliquant à tout le Dominion. Leurs Seigneuries s'abs-
tiennent dans la présente circonstance de tenter d'établir les
limites de l'autorité du Parlement du Dominion dans ce
domaine. Pour juger la présente affaire, il suffit, d'après Elles,
de dire que le pouvoir fédéral de légiférer pour réglementer les
échanges et le commerce ne comprend pas le pouvoir de
légiférer pour réglementer les contrats d'un échange ou d'un
commerce en particulier, tel que les affaires d'assurance-incen-
die dans une seule province, et que, par conséquent, l'autorité
législative du parlement fédéral n'entre pas ici en conflit avec le
pouvoir sur la propriété et les droits civils attribué par le
paragraphe 13 de l'article 92 à la législature de l'Ontario.
[C'est moi qui souligne.]
Les mots soulignés sont souvent désignés comme
étant le «second volet» de la description que donne
l'arrêt Citizens Insurance des échanges et du
commerce.
III
Le Parlement ne possède pas, comme c'est le cas
en vertu de sa compétence en matière de création
d'infractions criminelles aux termes du paragraphe
91(27), de pouvoir exprès d'établir des recours
civils. A supposer qu'on ne puisse le ranger d'une
façon ou d'une autre sous le pouvoir général de
faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouver-
nement, un exercice législatif du genre de celui qui
nous intéresse n'est défendable qu'au titre d'un
autre chef de compétence fédérale. En l'espèce,
l'appelant soutient que le paragraphe 91(2), qui
confère au Parlement son pouvoir en matière
d'échanges et de commerce, est la source de sa
compétence constitutionnelle.
Tous les intimés nous ont néanmoins soumis
avec insistance une analogie avec le droit criminel,
savoir que même un recours civil fondé sur un
autre chef de compétence est assujetti aux restric
tions applicables aux recours civils faisant partie
du processus criminel, telles que les a définies la
Cour suprême du Canada, en particulier dans R. c.
Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940. Dans cette affaire,
la Cour, dans un jugement partagé 6 contre 3, a
confirmé la validité d'une ordonnance de dédom-
magement accordée à l'employeur de l'accusé en
vertu de l'article 653 du Code criminel [S.R.C.
1970, chap. C-34].
Devant nous, on a prétendu que les motifs de
jugement de la majorité dans Zelensky, rédigés
par le juge en chef Laskin, ont limité les recours
civils valides à ceux qui font «partie du processus
de sentence» (à la page 960) et que le juge en chef
a expressément prévenu que «Ce serait ... une
erreur d'assouplir de quelque façon l'exigence vou-
lant que la demande de dédommagement soit
directement associée à la sentence imposée à titre
de réprobation publique de l'infraction» (ibid.).
Devant nous, on a plaidé qu'un point de vue
semblable se dégage de la décision de la Cour
suprême dans l'arrêt Vapor Canada, où la Cour a
invalidé, à l'unanimité, le redressement civil prévu
à la Loi sur les marques de commerce [S.R.C.
1970, chap. T-10]. Le juge en chef Laskin énonce
ce point de vue en des termes on ne peut plus clairs
(aux pages 145 et 146):
Même en présumant que l'al. e) de l'art. 7 (comme d'ailleurs
les autres alinéas de l'art. 7) interdit des méthodes d'affaires
antisociales susceptibles de la sanction générale prévue à l'art.
115 du Code criminel pour désobéissance à une loi fédérale, on
dépasse vraiment les bornes en prétendant fonder sur le Code
criminel le redressement civil prévu à l'art. 53 de la Loi sur les
marques de commerce. Le principe qui en découlerait aurait
pour conséquence d'ouvrir la voie toute large à la législation
fédérale sur le redressement civil à l'égard de nombreux articles
du Code criminel et, vu la vaste compétence fédérale en matière
de droit criminel, affaiblirait l'autorité législative provinciale et
la juridiction des tribunaux provinciaux de façon à transformer
nos arrangements constitutionnels sur le partage des compéten-
ces au point de les rendre méconnaissables. Il n'est sûrement
pas nécessaire d'examiner dans les détails une attitude si dérai-
sonnable. L'arrêt de cette Cour dans Goodyear Tire and
Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine, qui a maintenu la
validité d'une loi fédérale autorisant l'émission d'une ordon-
nance d'interdiction à l'occasion d'une déclaration de culpabi-
lité d'infraction relative aux coalitions, fait voir que le pouvoir
fédéral en matière de droit criminel permet l'adoption de
mesures préventives pour renforcer une déclaration de culpabi-
lité. A la poursuite pour une infraction, on a joint une sanction
effective. Cela ne favorise aucunement une législation fédérale
qui, en l'absence de toute procédure criminelle, prévoit des
procédures purement civiles en dommages-intérêts avec
demande d'injonction.
Je fais aussi remarquer que l'art. 115 du Code criminel est,
pour ainsi dire, une disposition supplétive qui ne s'applique que
lorsqu'aucune .peine ou châtiment» n'est expressément prévu,
et je ne puis souscrire à la proposition que l'art. 115 soit, en
vertu de la compétence fédérale en droit criminel, le fondement
d'un recours civil entièrement distinct exclusivement à l'ins-
tance des particuliers qui se croient lésés.
Même si je souscris à l'interprétation soumise
par les intimés relativement au pouvoir en matière
de droit criminel, elle n'a pas, selon moi, d'autre
conséquence que d'établir que le genre de recours
civil prévu à l'alinéa 31.1(1)a) de la Loi ne pour-
rait s'appuyer sur la compétence du fédéral en
matière criminelle. Je ne vois aucune raison d'avoir
recours au droit criminel pour interpréter le pou-
voir distinct en matière d'échanges et de
commerce.
Cette interprétation repose, je crois, sur le prin
cipal argument formulé par tous les intimés dans
leur mémoire, savoir que le redressement civil
autorisé par la Loi est un droit de nature civile
relevant de la compétence exclusive des provinces
aux termes des paragraphes 92(13) et 92(16). En
d'autres termes, cet argument revient à dire que ce
caractère exclusif repose sur la priorité de l'article
92 de la Loi de 1867 sur l'article 91.
C'est le Conseil privé qui, même durant la
période où il interprétait de façon restrictive les
compétences fédérales, a établi que c'est plutôt
l'inverse qui est vrai lorsqu'il est question d'un
pouvoir énuméré à l'article 91. Cela ressort claire-
ment des propos devenus classiques de lord Tomlin
dans l'affaire des Conserveries de poisson, Attor-
ney -General for Canada v. Attorney -General for
British Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.), à la
page 118:
[TRADUCTION] La Chambre de Leurs Seigneuries a été
souvent saisie de conflits de juridiction entre le parlement du
Dominion et les assemblées législatives des provinces, et les
décisions de la Chambre permettent d'énoncer les propositions
suivantes:
(1.) La législation du parlement fédéral, tant qu'elle se
rapporte strictement à des sujets de législation énumérés
expressément dans l'art. 91, est prépondérante même si elle
empiète sur des sujets assignés aux législatures provinciales par
l'art. 92: voir Tennant c. Union Bank of Canada ([1894] A.C.
31).
(2.) Le pouvoir général de législation accordé au parlement
du Canada par l'art. 91 de l'Acte, en plus des pouvoirs de
légiférer sur les sujets expressément énumérés dans cet article
est limité exclusivement aux questions ayant de toute évidence
un caractère d'intérêt et d'importance au point de vue national
et il ne doit pas empiéter sur les sujets énumérés dans l'art. 92
comme étant du ressort des gouvernements provinciaux, à
moins que ces questions n'aient pris une telle ampleur qu'elles
touchent à l'organisme de l'État: voir Attorney -General for
Ontario v. Attorney -General for the Dominion ([1894] A.C.
348).
(3.) Il est de la compétence du parlement fédéral de statuer
sur des questions qui, bien qu'étant à d'autres égards de la
compétence législative des provinces, sont accessoirement
nécessaires à une législation effective du parlement fédéral sur
un sujet de législation expressément mentionné à l'art. 91: voir
Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for the
Dominion ([1894] A.C. 189); et Attorney -General for Ontario
v. Attorney -General for the Dominion ([1896] A.C. 348).
(4.) Il peut y avoir un domaine dans lequel les législations
provinciale et fédérale chevaucheraient, auquel cas ni l'une ni
l'autre ne serait anticonstitutionnelle, si le champ est libre, mais
si le champ n'est pas libre et que les deux législations viennent
en conflit, celle du Dominion doit prévaloir: voir Grand Trunk
Ry. of Canada v. Attorney -General of Canada ([1907] A.C.
65).
Évidemment, la question de savoir ce qui est
«accessoirement nécessaire[s]» s'est avérée un sujet
fertile en litiges, comme en témoigne le jugement
dissident du juge Pigeon dans l'arrêt Zelensky
(aux pages 979 984):
Par sa nature même, cette disposition traite manifestement
d'une question qui relève à première vue de la compétence
provinciale, car il s'agit de «perte de biens ou dommage à des
biens». «La propriété et les droits civils dans la province» est
l'une des catégories les plus importantes des matières de compé-
tence provinciale énumérées à l'art. 92 de l'A.A.N.B..
Contrairement à presque toutes les autres dispositions du
Code criminel sur la procédure, le recours prévu à l'art. 653 a
les caractéristiques d'un recours civil. Il n'entre en jeu que «sur
la demande d'une personne lésée». Il n'est sanctionné d'aucune
peine mais le jugement «peut être exécuté ... de la même
manière ... qu'un jugement rendu ... dans des procédures
civiles», bref l'art. 653 permet à une personne lésée dans ses
biens par un acte criminel d'obtenir, devant une cour de
juridiction criminelle, un jugement civil contre l'accusé ...
Je ne vois rien qui permette de considérer les par. 653(1) et
(2) du Code criminel nécessairement accessoires au plein exer-
cice par le Parlement de ses pouvoirs en matière de droit
criminel et de procédure criminelle.
Toutefois, non seulement cette approche n'a-t-elle
pas reçu l'assentiment de la majorité de la Cour,
mais le juge en chef Laskin a expressément
repoussé l'idée d'un domaine de droit criminel fixe
susceptible de s'adapter à un domaine de compé-
tence provinciale fixe (à la page 951):
On ne peut ... aborder la validité de l'art. 653 comme si les
domaines du droit criminel, de la procédure criminelle et des
modes de prononcé de sentence avaient été gelés à une époque
déterminée. L'évolution due à de nouvelles situations sociales,
ou la réévaluation des solutions antérieures due à celles-ci,
autorisent cette Cour à réexaminer l'orientation des décisions
relatives à l'étendue du pouvoir législatif lorsque de nouvelles
questions lui sont présentées, sans oublier, bien sûr, qu'on lui a
confié le rôle très délicat de maintenir l'intégrité des limites
constitutionnelles imposées par l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique.
De même, il ressort clairement des motifs de juge-
ment du juge Dickson dans l'arrêt Transports
Nationaux du Canada (précité), dont je vais bien-
tôt traiter, que le pouvoir en matière d'échanges et
de commerce ne doit pas être interprété par le
biais de la compétence du fédéral sur le droit
criminel.
Si l'arrêt Vapor Canada pose quelque difficulté
à l'appelant, ce n'est pas dû au fait que la Cour
rejette l'argument du fédéral fondé sur le paragra-
phe 91(27) mais plutôt à la réticence de cette
dernière à voir dans le paragraphe 91(2) le fonde-
ment de la compétence fédérale pour des motifs
autres que son absence de rattachement au proces-
sus de détermination de la peine en matière crimi-
nelle. Voici de quelle façon le juge en chef Laskin
a exprimé son point de vue sur l'application du
pouvoir en matière d'échanges et de commerce
(aux pages 156, 164 et 165):
En définitive, soit que l'on considère l'al. e) de l'art. 7
isolément ou mieux, comme partie d'un petit système visé par
l'art. 7 dans son ensemble, la conclusion doit être que le
Parlement du Canada a, par une loi, embrassé ou élargi des
droits d'action reconnus en matière civile relevant de la juridic-
tion des tribunaux provinciaux et touchant des questions de
compétence législative provinciale. En l'absence d'organisme
administratif pour contrôler l'observation des interdictions
décrétées à l'art. 7 (et sans conclure que l'existence d'un tel
organisme serait un facteur important ou décisif de constitu-
tionnalité), je ne puis rien trouver dans les pouvoirs fédéraux
qui fournisse un fondement incontestable à l'art. 7 dans son
ensemble ou à l'al. e) considéré isolément. Le fait que la loi
s'applique dans tout le Canada ne saurait constituer un point
d'appui suffisant lorsque rien d'autre ne justifie sa validité.
A vrai dire l'al. e) de l'art. 7 n'est pas une réglementation et
il ne vise pas le commerce dans son ensemble ni le commerce en
général. Dans un sens très large toute disposition législative est
réglementaire, même celles du Code criminel, mais je n'inter-
prète pas le par. (2) de l'art. 91 comme autorisant par lui-même
l'adoption d'une loi fédérale qui ne fait que créer un délit
statutaire, sanctionné par voie de poursuite civile privée et
applicable, comme en l'espèce, à l'ensemble des relations com-
merciales dans n'importe quelle activité, même si elle ne relève
pas de la compétence législative fédérale. S'il y a eu des arrêts
qui ont semblé aller trop loin dans la restriction du pouvoir
fédéral en matière d'échanges et de commerce, une conclusion
affirmative, en l'espèce, irait à mon avis, encore plus loin dans
la direction opposée.
Il est évident qu'ici le Parlement du Canada a simplement
donné plus d'ampleur et d'importance à la notion de responsa-
bilité délictuelle reconnue par le droit civil et la common law en
adoptant une loi qui prescrit en même temps les redressements
civils ordinaires que la victime pouvait déjà réclamer. Le
Parlement du Canada ne peut pas plus élargir son autorité
législative en ajoutant à la responsabilité civile existante, qui est
du ressort des tribunaux provinciaux en tant que matière de
compétence provinciale, que les législatures provinciales peu-
vent élargir leur autorité législative en ajoutant au droit crimi-
nel fédéral: voir Johnson c. Le procureur général d'Alberta.
C'est en vain qu'on cherche dans l'art. 7, à plus forte raison
dans l'al. e), un système de réglementation. L'application en est
laissée à l'initiative des particuliers, sans contrôle public par un
organisme qui surveillerait de façon permanente l'application
des règlements, ce qui donnerait au moins quelque apparence
de fondement à la prétention que l'al. e) de l'art. 7 est de portée
nationale ou qu'il vise tout le Canada. L'objet de la disposition
n'est pas le commerce mais l'éthique des personnes qui s'adon-
nent au commerce ou aux affaires, et, à mon avis, on ne peut
maintenir une semblable disposition seule et sans lien avec un
système général régissant les relations commerciales dépassant
l'intérêt local. Même en disant qu'elle vise des pratiques com-
merciales, son application pour action civile à l'instance des
particuliers lui donne un caractère local parce qu'elle vise, dans
ses termes, des concurrents locaux ou à l'intérieur d'une même
province aussi bien que des concurrents au niveau interprovin-
cial.
Manifestement, la législation contestée a été inva-
lidée parce que même si elle s'appliquait à l'ensem-
ble du pays, il s'agissait d'une disposition isolée
sans lien avec un système général de réglementa-
tion et dont l'objet n'était pas du tout le commerce
mais plutôt l'éthique des personnes qui s'adonnent
au commerce ou aux affaires.
Comme l'arrêt Vapor Canada s'est soldé par
une réponse négative et que la Cour n'a pas jugé
nécessaire de s'interroger, de façon générale, sur la
justification d'un recours civil en vertu du pouvoir
en matière d'échanges et de commerce au-delà de
ce qui était nécessaire à sa décision dans l'affaire,
il serait difficile d'élaborer une théorie générale du
pouvoir en matière d'échanges et de commerce en
s'appuyant sur l'arrêt Vapor Canada. L'affaire
Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur
général du Canada, [ 1980] 1 R.C.S. 914, publiée
tout juste après le prononcé du jugement de pre-
mière instance en l'espèce, a également donné lieu
à une semblable réponse négative. La Cour a
conclu, dans une décision partagée, au caractère
ultra vires de dispositions fédérales en matière
d'étiquetage visant la teneur en alcool de la «bière
légère». On peut correctement affirmer que les
motifs principaux sont ceux du juge Estey, qui a
traité de la question des échanges et du commerce
de la façon suivante (aux pages 939, 943 et 944):
Les articles de la Loi des aliments et drogues et ceux du
règlement d'application qui sont contestés, ne visent pas la
réglementation et le contrôle du mouvement des articles de
commerce dans les réseaux de distribution, mais plutôt la
production et la vente locale de produits déterminés de l'indus-
trie de la bière. Le défenseur de ces dispositions isolées de la
Loi des aliments et drogues et du Règlement y afférent n'a pas
établi d'aspect interprovincial pour cette industrie. Les étiquet-
tes produites au dossier révèlent que l'appelante fabrique ces
boissons dans toutes les provinces à l'exception du Québec et de
l'Ïle-du-Prince-Edouard. Vu leur nature, il est évident, sans
besoin de le démontrer, que le transport vers des points de vente
éloignés serait dispendieux d'où la nature locale de la produc
tion. Cette distinction entre le mouvement commercial et la
production et la vente locale est, soit dit avec égards, mise en
relief par le juge Pigeon dans le Renvoi relatif' à la Loi sur
l'organisation du marché des produits agricoles, à la page
1293:
A mon avis, le contrôle de la production, agricole ou indus-
trielle, constitue de prime abord une question locale, de
compétence provinciale. Les exploitations avicoles, si je puis
utiliser cette expression pour désigner ce genre d'usine où des
aliments sont transformés en volailles et en oeufs, constituent
des entreprises locales assujetties à la compétence provinciale
en vertu de l'art. 92(10) de l'A.A.N.B.. .
et à la p. 1296:
... la commercialisation ne comprend pas la production et,
en conséquence, la réglementation provinciale de la produc
tion est de prime abord valide.
En fin de compte, l'effort déployé par l'intimé vise simple-
ment à faire reconnaître à ces dispositions réglementaires une
validité essentiellement fondée sur l'embryon de définition, que
l'on trouve dans l'arrêt Citizen Insurance, précité, quant à
l'application du chef sur les échanges et le commerce. Cette
observation et les renvois ultérieurs dont elle a fait l'objet
reposent entièrement sur l'exigence que la prétendue législation
en matière d'échanges et de commerce ait trait à l'industrie et
au commerce en général ou dans un sens général fondamental.
Dans le contexte de la Loi des aliments et drogues, il s'ensuit
que même si cette loi devait s'appliquer à une partie importante
de l'activité économique canadienne, à une industrie ou à un
commerce à la fois, par le biais d'un éventail de règlements ou
de codes commerciaux applicables à chaque secteur en particu-
lier, cela n'aboutirait pas en droit à une réglementation des
échanges et du commerce au sens général global où l'entend
l'arrêt Citizen Insurance, précité. C'est là, à mon avis, le coeur
même du problème avec lequel l'intimé est aux prises en
l'espèce. Ainsi, les dispositions qui réglementent les liqueurs de
malt visent soit une seule industrie soit un secteur de cette
industrie alors que d'autres dispositions semblent être ratta-
chées de la même manière à d'autres industries en particulier;
les premières sont interdites par l'arrêt Citizen Insurance,
précité, et les dernières ne sauvent pas les dispositions régle-
mentaires sur les liqueurs de malt vu l'arrêt Commission de
commerce, précité.
Par conséquent, je conclus dans cette partie que les articles
contestés quand ils se rapportent aux liqueurs de malt ne
relèvent pas du chef de compétence relatif aux échanges et au
commerce.
De toute évidence, c'est l'absence de caractère
général du règlement, découlant du caractère sin-
gulièrement local de la production destinée à un
marché lui-même local, qui a fait pencher la
balance aux yeux du juge Estey et des trois juges
qui ont concouru avec lui. Une fois encore, on ne
trouve pas de définition plus complète du droit
susceptible de constituer un guide sûr dans d'au-
tres affaires.
Heureusement, nous disposons maintenant, dans
les motifs de jugement du juge Dickson dans l'af-
faire Transports Nationaux du Canada (précitée),
d'une analyse plus approfondie que tout ce que
nous avions jusque là. Déjà, cette Cour a eu l'occa-
sion de souscrire au raisonnement du juge Dickson
et de l'appliquer dans l'affaire BBM (précitée) en
déclarant valides les dispositions relatives aux
ventes liées prévues à l'article 31.4 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions.
Dans l'arrêt Transports Nationaux du Canada,
(précité), la Cour suprême a notamment confirmé
le bien-fondé d'accusations d'avoir comploté illéga-
lement en vue de diminuer la concurrence dans le
transport provincial au sens de l'alinéa 32(1)c) de
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Les
juges de la majorité ont appuyé leur décision en ce
sens sur le paragraphe 91(27) alors que le juge
Dickson a déclaré la législation valide tant en vertu
du paragraphe 91(27) que du paragraphe 91(2).
Tout en jugeant que la validité ne se rattachait pas
à la compétence en matière criminelle, les juges
Beetz et Lamer ont souscrit à l'opinion du juge
Dickson suivant laquelle la disposition avait été
validement adoptée en vertu de la compétence sur
les échanges et le commerce. Étant donné que le
libellé des questions posées à la Cour ne faisait état
que du paragraphe 91(27), le juge en chef n'a pas
jugé nécessaire, dans les motifs principaux, de
traiter de la question de la validité en vertu du
pouvoir en matière d'échanges et de commerce.
Le juge Dickson a conclu son examen appro-
fondi du droit en énumérant certains indices possi
bles de validité en vertu du volet «réglementation
générale du commerce» du pouvoir en matière
d'échanges et de commerce (aux pages 266 à 268):
Toute loi générale a forcément des répercussions locales et,
s'il est vrai qu'une conception trop littérale de l'.intérêt général»
met en danger l'idée même de l'intérêt local, l'inverse est tout
aussi dangereux. Il ne faut pas qu'à force d'insister sur le
particulier on vienne à négliger l'ensemble. Quels qu'aient pu
être les défauts constitutionnels de la Loi de la Commission de
commerce et de la Loi des coalitions et des prix raisonnables,
1919, ils ne peuvent être attribués, contrairement à ce que
semble prétendre le juge Duff, au fait qu'une ordonnance
rendue par la Commission toucherait une entreprise ou un
commerce dans une province. Si c'était là le critère applicable,
aucune législation d'ordre économique ne pourrait jamais rele-
ver de la compétence générale en matière d'échanges et de
commerce. Ce point de vue constitue simplement le contre-pied
de la proposition tout aussi inacceptable qui porte qu'une telle
législation relève de la catégorie des échanges et du commerce
en général tout simplement parce qu'elle s'applique de façon
égale et uniforme dans tout le pays.
Si la réglementation d'un seul commerce dans une province
ne peut constituer une question d'intérêt général pour tout le
Dominion, cela tient à ce que cette réglementation constitue un
aspect fondamental de l'autonomie locale envisagée dans la Loi
constitutionnelle de 1867. Qu'un texte fédéral ait pour but
d'appliquer une telle réglementation uniformément dans toutes
les provinces ou conjointement avec d'autres codes de réglemen-
tation visant d'autres échanges ou commerces, il n'en reste pas
moins qu'il en résulte un véritable chevauchement et, partant,
une annulation de la compétence conférée aux provinces par la
Constitution. Il en va autrement, cependant, lorsqu'on se trouve
en présence d'une législation d'application générale ayant pour
objet l'économie non pas en tant que série d'entreprises locales
distinctes, mais en tant qu'entité nationale intégrée. Du point
de vue qualitatif, une pareille législation est différente de ce que
les provinces, agissant séparément ou conjointement, pourraient
pratiquement ou constitutionnellement adopter. Une législation
de ce type revêt un caractère d'ordre surtout général, même si
elle a évidemment, au niveau local, des effets particuliers qui
peuvent toucher «la propriété et les droits civils dans la pro
vince». Il s'agit néanmoins d'une législation qui, de par son
caractère véritable, porte sur des questions d'intérêt général
pour tout le Dominion. La ligne de démarcation est claire entre
les mesures qui visent légitimement une réglementation géné-
rale de l'économie nationale et celles qui ont simplement pour
objet d'assurer un contrôle centralisé sur un grand nombre
d'entités économiques locales. La réglementation en cause dans
l'arrêt Labatt se situait probablement près de cette ligne. Il se
peut bien aussi, compte tenu de l'état de l'économie en 1920 et
du mode d'application de la législation, que la Loi de la
Commission de commerce et la Loi des coalitions et des prix
raisonnables, 1919 n'aient constitué qu'une tentative d'autori-
ser une série non coordonnée d'ordonnances et de prohibitions
locales.
Lorsqu'on aborde ce problème difficile de caractérisation, il
est utile de noter les observations qu'a faites le Juge en chef
dans l'arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., précité, à la p.
165, ou il mentionne comme indices possibles d'un exercice
valide de la compétence générale en matière d'échanges et de
commerce l'existence d'un système de réglementation nationale,
la surveillance exercée par un organisme de réglementation et
le fait de viser le commerce en général plutôt qu'un seul aspect
d'une entreprise particulière. À cette liste j'ajouterais ce qui, à
mon avis, constituerait des indices encore plus sûrs d'une
réglementation générale valide des échanges et du commerce
savoir: (i) que la Constitution n'habilite pas les provinces,
conjointement ou séparément, à adopter une telle loi et (ii) que
l'omission d'inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités
compromettrait l'application de ladite loi dans d'autres parties
du pays.
Ce qui précède ne se veut pas une énumération exhaustive; de
plus, la présence de l'un ou l'autre ou de la totalité de ces
indices n'est pas nécessairement concluante. La bonne façon
d'aborder la caractérisation est encore celle proposée dans
l'arrêt Parsons, c'est-à-dire qu'on doit procéder à une apprécia-
tion méticuleuse de chaque cas qui se présente. Néanmoins, la
présence de tels facteurs rend tout au moins beaucoup plus
probable que ce que vise la loi fédérale en cause est vraiment
une question économique d'intérêt national plutôt que simple-
ment une série de questions d'intérêt local.
Ces indices de validité ont été résumés de la façon
suivante par le juge Urie de cette Cour dans l'arrêt
BBM (aux pages 187 et 188 C.F.; à la page 147
N.R.):
a) L'existence d'un système de réglementation nationale;
b) la surveillance exercée par un organisme de réglementa-
tion;
c) le fait de viser le commerce en général plutôt qu'un seul
aspect d'une entreprise particulière;
d) l'absence de dispositions constitutionnelles qui habilitent
les provinces, conjointement ou séparément, à adopter
une telle loi; et
e) l'omission d'inclure une seule province ou localité, qui
aurait pour effet de compromettre l'application de ladite
loi dans d'autres parties du pays.
Je ne crois pas que le juge Dickson ait eu
l'intention d'ajouter le facteur de l'équilibre consti-
tutionnel pour en faire le critère ultime de validité
lorsqu'il a déclaré (aux pages 277 279):
... il est encore nécessaire, même en présence de tous ces
facteurs, d'examiner la question de l'équilibre constitutionnel et
de se demander si une conclusion de validité fondée sur le
pouvoir en matière d'échanges et de commerce n'est pas suscep
tible de porter atteinte à l'autonomie locale envisagée par la
Constitution dans le domaine de la réglementation économique.
C'est la crainte qu'exprime le juge Marceau dans la décision
Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc., [ 1980] 1
C.F. 184 (Division de première instance), à la p. 203:
C'est parce qu'une loi générale sur la concurrence en tant
que telle, donc une loi qui réglementerait la concurrence
par-delà la détection, la prévention et la sanction d'actes
réprouvés et prohibés, permettrait un tel accaparement [des
pouvoirs provinciaux] qu'il ne me paraît pas possible de
l'appuyer sur le pouvoir du Parlement en matière d'échanges
et de commerce. La concurrence, en tant que moteur de
notre système de production et de circulation des biens et des
services, dépend de tant d'éléments et se présente sous telle-
ment d'aspects qu'elle peut donner lieu à des législations
aussi vastes que diversifiées. Admettre que, comme telle, elle
est couverte par le pouvoir du Parlement en vertu du para-
graphe (2) de l'article 91, ce serait ouvrir la porte à une
possibilité d'empiétement sur les pouvoirs des provinces que
la jurisprudence a, à mon sens, malgré ses hésitations persis-
tantes, définitivement condamnée.
Pour les raisons déjà mentionnées, je suis porté de toute
manière à rejeter ce point de vue. Le retenir équivaudrait à
toujours refuser au Parlement la possibilité d'exercer valide-
ment son pouvoir général en matière d'échanges et de com
merce, pouvoir qui, à condition de bien l'interpréter et de lui
imposer les restrictions appropriées, complète l'autonomie
locale plutôt que de la miner. Je tiens toutefois à mentionner un
autre facteur. Un système visant à réglementer la concurrence
est, selon moi, un exemple du genre de législation qu'il serait
pratiquement et constitutionnellement impossible à un gouver-
nement provincial d'adopter. Étant donné le libre mouvement
des échanges interprovinciaux que garantit l'art. 121 de la Loi
constitutionnelle de 1867, le Canada constitue, du point de vue
économique, un seul vaste marché. Si jamais la concurrence
doit être réglementée, c'est au fédéral qu'il appartient de le
faire. Cela mène au syllogisme formulé par Hogg et Grover
dans The Constitutionality of the Competition Bill (1977), I
Can. Bus. L.J. 197, à la p. 200:
[TRADUCTION] ... le fédéral est seul à pouvoir réglementer
d'une manière efficace la concurrence dans l'économie. Si le
fédéral n'a pas compétence pour adopter une politique en
matière de concurrence, il s'ensuit que le Canada ne peut
avoir de politique dans ce domaine. Le déni du pouvoir
constitutionnel fédéral a donc pour conséquence pratique la
création d'une lacune dans le partage des pouvoirs législatifs.
On a laissé entendre que, dans l'arrêt The King v. Eastern
Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434, à la p. 448, [1925]
3 D.L.R. 1, à la p. 12, le juge Duff a reconnu l'existence d'une
telle lacune lorsqu'il a qualifié d'erreur cachée dans un argu
ment fédéral la proposition selon laquelle [TRADUCTION] «le
Dominion a ce pouvoir parce que ni une seule province ni,
d'ailleurs, toutes les provinces réunies ne pourraient mettre en
vigueur un programme d'une telle envergure». Selon moi, le
juge Duff parle dans cet extrait d'obstacles d'ordre logistique
ou pécuniaire à l'action provinciale. S'il a voulu aller plus loin
et identifier un domaine où, selon la Constitution, ni le gouver-
nement fédéral ni le gouvernement d'une province n'est habilité
à légiférer, alors, avec les plus grands égards, j'estime qu'il a
commis une erreur. Cette même erreur aurait pour effet de nier
au fédéral le pouvoir constitutionnel de légiférer en vertu de sa
compétence générale en matière d'échanges et de commerce.
Toutes ces considérations mènent à la conclusion que l'al.
32(1)c) a été validement adopté par le fédéral tant en vertu du
par. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, qu'en vertu du
par. 91(27). Le procureur général du Canada soutient égale-
ment que l'al. 32(1)c) est valide en vertu de la compétence en
matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement, mais, vu la
conclusion de validité en vertu du par. 91(2), il n'est pas
nécessaire d'examiner cet argument.
À mon avis, cette analyse ne constitue pas un
obstacle supplémentaire, elle est plutôt un exposé
du quatrième indice portant sur l'incapacité des
provinces à atteindre collectivement le même
objectif ou peut-être même un résumé de toutes les
considérations invoquées. Quoi qu'il en soit, la
manière dont le juge Dickson traite la question fait
voir qu'il en décide au moyen du même type de
considérations que celles que renferment déjà ses
cinq indices. Il va de soi, comme il le souligne, que
cette énumération n'est pas exhaustive et que la
présence de quelque signe ou indice particulier
n'est pas concluante.
Je dois donc faire ce que cette Cour a déjà fait
dans l'arrêt BBM (précité), c'est-à-dire analyser la
disposition législative en question à la lumière de
ces indices. Ce faisant, il importera de garder à
l'esprit ce conseil du juge Dickson dans l'arrêt
Transports Nationaux du Canada (précité, aux
pages 270 et 271):
Il est évident au départ qu'une disposition inconstitutionnelle
ne sera pas sauvée par son insertion dans une loi par ailleurs
valide, même si cette loi comporte un système de réglementa-
tion établi en vertu de la compétence générale en matière
d'échanges et de commerce que confère le par. 91(2). La bonne
méthode, lorsque l'on doute que la disposition contestée ait la
même caractérisation constitutionnelle que la loi dont elle fait
partie, est de prendre pour point de départ ladite disposition
plutôt que de commencer par démontrer la validité de la loi
dans son ensemble. Je ne crois pas toutefois que cela signifie
qu'il faille interpréter isolément la disposition en cause. Si
l'argument de validité constitutionnelle se fonde sur la préten-
tion que la disposition contestée fait partie d'un système de
réglementation, il semblerait alors nécessaire de l'interpréter
dans son contexte. Si, en fait, elle peut être considérée comme
faisant partie d'un tel système, il faudra alors examiner la
constitutionnalité de ce système dans son ensemble. Il s'agit là
essentiellement de la méthode que propose le Juge en chef dans
son examen de la constitutionnalité de ce qui était alors l'al. 7e)
de la Loi sur les marques de commerce, dans l'arrêt MacDo-
nald c. Vapor Canada Ltd .. .
IV
Parmi les modifications apportées à la Loi (S.C.
1974-75-76, chap. 76) en 1975, on comptait non
seulement l'article 31.1 qui venait s'ajouter à la
Partie IV concernant les Recours spéciaux, mais
également la toute nouvelle Partie IV.1, portant
sur les Affaires que la Commission peut examiner,
qui regroupe les articles 31.2, 31.3, 31.4, 31.5,
31.6, 31.7, 3L8 et 31.9, de même qu'une nouvelle
rubrique (Infractions relatives à la concurrence) et
bon nombre d'ajouts aux infractions prévues à la
Partie V. La Partie IV.1 a pour effet de permettre
à la Commission sur les pratiques restrictives du
commerce d'intervenir directement afin d'empê-
cher certaines personnes de s'adonner à des activi-
tés ou pratiques enfreignant les règles de la libre
concurrence. Le recours personnel en dommages-
intérêts prévu au paragraphe 31.1(1) a de toute
évidence été conçu pour faire partie intégrante
d'un système global permettant aux personnes
lésées de prendre l'initiative des procédures si la
Commission n'a pas encore agi ou de compléter
l'action de cette dernière lorsque le responsable ne
s'y est pas conformé. La Loi visait manifestement
à mettre en place un mécanisme de sanction beau-
coup plus complet et efficace qui permette de
conjuguer les initiatives publiques et privées en vue
d'inciter au respect de la Loi et, le cas échéant, de
l'assurer.
L'arrêt BBM a déjà effectivement confirmé la
validité de toute la Partie IV.1 et des infractions
prévues à l'article 32. En ce qui concerne l'article
31.1 en particulier, quatre des cinq indices énoncés
par le juge en chef Dickson sont clairement pré-
sents: l'existence d'un système de réglementation
nationale; le fait de viser le commerce en général
plutôt qu'un seul aspect d'une entreprise particu-
lière; l'absence de dispositions constitutionnelles
habilitant les provinces conjointement ou séparé-
ment; la nécessité de viser l'ensemble du pays dans
la législation de façon à s'assurer qu'elle s'applique
partout. En fait, je ne verrais qu'une seule distinc
tion possible entre la législation jugée valide dans
les arrêts Transports Nationaux du Canada et
BBM et celle que l'on trouve à l'article 31.1: il
s'agit de la surveillance exercée par l'organisme de
réglementation, surveillance qui, dans le présent
cas, est moins étendue dans la mesure où elle est
complétée par le droit conféré aux particuliers de
prendre eux-mêmes l'initiative des procédures.
Est-ce là une distinction suffisamment importante
pour caractériser différemment le système de
réglementation et dire qu'il s'agit de réglementa-
tion générale des échanges et du commerce?
Suivant la troisième proposition formulée dans
l'affaire des Conserveries de poissons (précitée), le
critère de validité qui a souvent été retenu consis-
tait à se demander si la loi fédérale était «accessoi-
rement nécessaire[s] à une législation effective» du
Parlement en vertu d'un chef de compétence men-
tionné à l'article 91. À mon avis, la législation dont
il est question en l'espèce tombe plutôt sous le coup
de la première proposition des Conserveries de
poissons en ce qu'elle se rapporte «strictement» à
un sujet de législation énuméré expressément à
l'article 91. Toutefois, même si sa validité devait
être évaluée en fonction de la troisième proposi
tion, je ferais remarquer que, quoi qu'il en soit, le
caractère nécessaire d'un moyen dépend de la
nature des fins qu'il vise. Il n'existe pas plus de
domaine fixe en matière d'échanges et de com
merce qu'il n'en existe en matière de droit crimi-
nel. Ce que l'on estime nécessaire dans le cadre
d'une vision interventionniste de l'économie diffé-
rera de ce qui est considéré l'être dans la perspec
tive d'un libre marché. Le caractère nécessaire
d'un moyen est fonction de la fin recherchée. Ainsi
perçue, c'est-à-dire comme un concept relationnel,
il est possible de voir dans la notion de «lien
rationnel et fonctionnel» adoptée par le juge Dick-
son dans l'arrêt Multiple Access Ltd. c. McCut-
cheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161, la page
183, une formulation adéquate de ce caractère
nécessaire exigé par la troisième proposition des
Conserveries de poissons. Dans l'affaire Multiple
Access, il s'agissait de déterminer si les articles
100.4 et 100.5 de la Loi sur les corporations
canadiennes, qui visaient à protéger les compa-
gnies et les actionnaires contre les transactions
préjudiciables des dirigeants, étaient ultra vires du
Parlement. La majorité de la Cour (qui s'est parta-
gée 6-3 sur cette question) a conclu que le fait
d'imposer une responsabilité civile à l'article 100.4
avait un lien rationnel et fonctionnel avec le droit
corporatif et ne constituait donc pas un geste ultra
vires. Voici en quels termes le juge Dickson a
formulé cette conclusion au nom de la majorité
(aux pages 182 et 183) 8 :
Dans les articles contestés de la loi fédérale, on peut apporter
une réserve dans le cas de l'imposition de responsabilité civile
prévue au par. 100.4(1). L'imposition d'une responsabilité civile
dans une loi fédérale empiète-t-elle sur le domaine provincial au
point de rendre ultra vires les articles qui imposent cette
responsabilité? C'est là, en substance, l'argument des appe-
lants. Mais comme le font remarquer les professeurs Anisman
et Hogg: «Des décisions judiciaires intéressant un certain
nombre de domaines divers tels que les élections fédérales, les
chemins de fer, les corporations fédérales et même le divorce
ont confirmé le pouvoir qu'a le Parlement de faciliter l'applica-
tion de ses politiques législatives en prévoyant la possibilité de
recours en matière civile» («Les aspects constitutionnels de la
législation fédérale sur les valeurs mobilières» dans Avant-pro-
jet d'une loi canadienne sur le marché des valeurs mobilières
(1979), vol. 3, chap. III, à la p. 215). A mon avis, les art. 100.4
et 100.5 visent les compagnies de façon générale et ont, avec le
droit corporatif, un «lien rationnel et fonctionnel». Je suis d'avis
que ces articles sont intra vires du Parlement du Canada.
s Le juge Dickson a également décidé (à la p. 175) qu'«ll faut
déterminer la validité de la loi fédérale sans tenir compte de la
loi ontarienne.», écartant ainsi l'inquiétude qu'entretenait, en
l'espèce, le juge de première instance à l'égard du fait qu'un
recours civil ne saurait être proprement accessoire à la compé-
tence en matière d'échanges et de commerce s'il existe déjà
dans le droit provincial.
Je crois qu'il veut dire par là qu'un tel recours
civil doit véritablement faire partie intégrante du
système global de surveillance. La recherche de ce
juste dosage de réglementation gouvernementale et
d'initiative judiciaire privée devient alors une ques
tion qui ressortit au Parlement. L'immixtion d'un
tribunal dans l'exercice par le Parlement de son
pouvoir discrétionnaire légitime constituerait une
intrusion injustifiée du pouvoir de surveillance des
tribunaux dans le domaine de la politique. Cela ne
revient pas à dire que jamais un tribunal ne con-
clura à l'existence d'un système de réglementation
gouvernementale tellement restreint ou à la pré-
sence d'un lien si étroit qu'il n'est ni rationnel ni
fonctionnel, mais tel n'est pas le cas en l'espèce.
Le Parlement doit jouir, dans les limites raison-
nables énoncées plus haut, de la liberté d'adopter
et même d'expérimenter diverses approches en
matière de réglementation de l'économie. Tant les
tribunaux que le Parlement se doivent de respec-
ter, selon leur point de vue respectif, ces limites
raisonnables. Voilà, me semble-t-il, le fondement
même du cadre fédéral qui constitue l'expression
de la démocratie au Canada.
V
L'alinéa 31.1(1)a) relève donc, selon moi, de la
compétence du Parlement, étant donné le lien
rationnel et fonctionnel qui le rattache au plan
économique global du fédéral exposé dans la Loi
relativement à la concurrence, plan qui satisfait
également tous les critères de validité en vertu de
la compétence fédérale en matière d'échanges et de
commerce.
Pour ce qui est de l'exercice par la Cour fédérale
du Canada de sa compétence en vertu du paragra-
phe 31.1(3), la condition préalable est l'existence
d'une législation fédérale applicable sur laquelle on
puisse fonder les procédures: McNamara Cons
truction (Western) Ltd. et autre c. La Reine,
[1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper
Co. et autre c. Canadien Pacifique Limitée et
autre, [ 1977] 2 R.C.S. 1054. Comme, en l'espèce,
la cause d'action prévue au paragraphe 31.1(1)
satisfait cette condition préalable, la validité de
l'alinéa 31.1(1)a) entraîne celle du paragraphe
31.1(3).
J'accueillerais donc l'appel et je répondrais oui à
la première question.
La réponse à la seconde question, qui porte sur
la compétence de la Cour de connaître de l'action
de la demanderesse, appelle une réserve. Cette
action, comme l'indique la déclaration, repose en
partie sur l'article 1053 du Code civil de la pro
vince de Québec. Comme la Cour fédérale n'a pas
compétence pour statuer sur cette partie de l'ac-
tion, voici de quelle façon je répondrais à la
seconde question: oui, mais seulement à l'égard des
procédures intentées en vertu d'une législation
fédérale applicable.
Je n'accorderais pas de dépens en appel.
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