T-2726-84
Donald Oag (demandeur)
c.
La Reine du chef du Canada, Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, William
Outerbridge, Kenneth W. Howland, Keith Wright,
Norman J. Fagnou et Robert Benner (défendeurs)
Division de première instance, juge Muldoon—
Toronto, 18 mars; Ottawa, 25 octobre 1985.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Le
demandeur s'est fait illégalement «consigner» — Action en
dommages-intérêts intentée conformément à l'art. 24(1) de la
Charte pour le motif qu'on a violé les droits constitutionnels
garantis par les art. 7 et 9 de la Charte — L'art. 24(1) signifie
que l'État est obligé d'accorder un redressement à un individu
auquel lui-même, ses offices, ses commissions ou d'autres
tribunaux ont causé un préjudice — L'art. 24(1) permet de
contourner la Loi sur la responsabilité de la Couronne sinon
l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'a aucun sens —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9, 24(1) — Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52.
Libération conditionnelle — Détenu «consigné» au moment
où il a été libéré sous surveillance obligatoire — Action en
dommages-intérêts pour arrestation illégale, emprisonnement
arbitraire et voies de fait — Action rejetée à l'égard de la
Commission nationale des libérations conditionnelles — La
Commission n'est assujettie à aucune loi ordinaire en vigueur
au Canada — Suivant le raisonnement qui a permis de mettre
en cause l'État dans l'affaire Maharaj v Attorney -General of
Trinidad and Tobago (No. 2), 11978J 2 All ER 670 (P.C.), elle
ne peut pas être défenderesse — La Commission n'est pas le
représentant de l'État qui peut être tenu responsable lorsque la
responsabilité de ce dernier est allégué — La Commission ne
possède pas les ressources suffisantes pour lui permettre
d'exécuter un jugement — Loi sur la libération conditionnelle
de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 3(1),(2),(6),(9),
4(1),(2), 23 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 2.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Requête présen-
tée en vue d'obtenir la radiation de la déclaration à l'égard des
défendeurs autres que la Couronne — Le demandeur s'est fait
illégalement «consigner» — Action en dommages-intérêts pour
arrestation illégale et voies de fait, ou en dommages-intérêts
sur le fondement de l'art. 24 de la Charte — Requête accueil-
lie — La Cour n'a pas compétence à l'égard des particuliers
désignés comme défendeurs — L'action ne repose pas sur le
«droit fédéral» au sens de l'art. 101 de la Loi constitutionnelle
de 1867 — L'action reste valide à l'égard de la Couronne —
Les dispositions législatives servant de fondement à l'espèce
sont les art. 3(1) et 4(2) de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, no 51 (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 101 — Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art.
3(1), 4(2) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.),
chap. 10, art. 64(2).
La présente requête vise à obtenir la radiation de la déclara-
tion à l'égard des défendeurs autres que Sa Majesté et la
radiation de la déclaration et le rejet total de l'action parce que
ladite déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Le demandeur s'est fait illégalement «consigner» lorsqu'il a
été arrêté aux deux occasions où il a été libéré sous surveillance
obligatoire. Le demandeur intente une poursuite en dommages-
intérêts pour arrestation illégale et voies de fait, ou il réclame
des dommages-intérêts sur le fondement du paragraphe 24(1)
de la Charte pour le motif qu'on a porté atteinte aux droits qui
lui sont garantis par les articles 7 et 9.
Jugement: la déclaration doit être radiée à l'égard des défen-
deurs autres que Sa Majesté, mais la requête visant à faire
rejeter l'action doit être rejetée.
La Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action
intentée contre les particuliers désignés comme défendeurs car
cette action n'est pas fondée sur le adroit fédéral» au sens de
l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 comme l'ont
expliqué la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale dans
de nombreuses décisions.
Les dispositions qui servent de fondement à l'action à l'égard
de la Reine sont les paragraphes 3(1) et 4(2) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne. De plus, suivant les modifica
tions apportées à cette Loi (conformément au paragraphe 64(2)
de la Loi sur la Cour fédérale), la Cour fédérale a compétence
dans la présente action intentée contre la Reine.
La Constitution porte que le Canada est fondé sur des
principes qui reconnaissent la primauté du droit. Suivant la
primauté du droit, même l'État est obligé d'accorder un redres-
sement à un individu auquel lui-même, ses offices, ses commis
sions ou d'autres tribunaux ont causé un préjudice. Tels sont le
sens et l'objet du paragraphe 24(1) de la Charte. Le paragra-
phe 24(1) doit permettre de tourner la Loi sur la responsabilité
de la Couronne sinon l'article 52 de la Loi constitutionnelle de
1982 n'a aucun sens. Autrement, la responsabilité de la Cou-
ronne telle qu'elle existe actuellement imposerait des limites
étroites aux réparations qui semblent convenables et justes au
sens du paragraphe 24(1) de la Charte.
Si l'auteur du préjudice n'est pas un préposé de la Couronne
ou, comme la Commission nationale des libérations condition-
nelles, n'est même pas visé par la Loi sur la responsabilité de la
Couronne de 1953, il semble qu'il n'existe aucun redressement.
Il n'est pas certain que la Commission puisse faire l'objet d'une
poursuite en responsabilité délictuelle devant une cour.
Dans l'affaire Maharaj y Attorney -General of Trinidad and
Tobago (No. 2), [1978] 2 All ER 670 (P.C.), le Conseil privé a
statué, à la majorité, qu'un jugement erroné et susceptible
d'être annulé en appel pour une erreur de fait ou de droit positif
ne porte atteinte ni aux droits de la personne ni aux libertés
fondamentales. De plus, une demande de redressement pour les
actes accomplis par un juge (ou, comme en l'espèce, par un
oranisme administratif) est une demande adressée contre
l'Etat pour les actes qui ont été faits dans l'exercice du pouvoir
judiciaire de l'État. Il s'agit de la responsabilité de l'Etat en
vertu du droit public.
Même si le requérant a le droit de chercher à obtenir un
autre redressement, il faut rejeter l'action intentée contre la
Commission. La Commission n'est assujettie à aucune loi ordi-
naire en vigueur au Canada. Suivant le raisonnement qui a
permis de mettre en cause l'État dans l'affaire Maharaj, la
Commission ne peut être défenderesse car elle n'est pas le
représentant de l'État qui peut être tenu responsable lorsque la
responsabilité de ce dernier est alléguée; en outre, elle ne
possède pas les ressources suffisantes pour lui permettre d'exé-
cuter un jugement si la responsabilité de l'État est prouvée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La
Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper
Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977]
2 R.C.S. 1054; Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232
(1"° inst.); Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (l'° inst.);
Maharaj y Attorney -General of Trinidad and Tobago
(No. 2), [1978] 2 All ER 670 (P.C.); Germain v. The
Queen (1984), 10 C.R.R. 234 (B.R. Alb.).
DÉCISION CITÉE:
Oag c. La Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658.
AVOCATS:
D. Fletcher Dawson pour le demandeur.
B. R. Evernden pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Cohen, Melnitzer, London, pour le deman-
deur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: En l'espèce, la Cour est
saisie d'une requête, présentée au nom des défen-
deurs, en vue d'obtenir une ordonnance radiant en
premier lieu la déclaration à l'égard des défen-
deurs autres que Sa Majesté et rejetant l'action
intentée contre eux, et concluant en second lieu à
la radiation de la déclaration et au rejet total de
l'action. Les défendeurs allèguent dans le premier
cas que la Cour n'a pas compétence pour connaître
de l'action intentée contre eux et dans le deuxième
cas, que la déclaration ne révèle aucune cause
raisonnable d'action. Subsidiairement, ils cher-
chent à obtenir un délai pour déposer une ou des
défenses.
Lorsqu'il s'agit d'une telle requête, les alléga-
tions contenues dans la déclaration sont censées
être vraies, qu'elles puissent ou non être prouvées
au moment de l'instruction de l'action. Pour
reprendre les termes mêmes du demandeur,
celui-ci s'est fait [TRADUCTION] «consigner» lors-
qu'il a été arrêté aux deux occasions où il a été
libéré sous surveillance obligatoire. La décision de
la Cour suprême du Canada dans des appels con-
nexes portant sur le même sujet indique clairement
qu'une telle action a été engagée à tort contre lui.
Le cas du requérant est publié dans l'arrêt Oag c.
La Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658. Le
demandeur intente une poursuite en dommages-
intérêts pour arrestation illégale, emprisonnement
arbitraire et voies de fait. Il réclame en outre, ou
subsidiairement, des dommages-intérêts sur le fon-
dement du paragraphe 24(1) de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] pour le motif qu'on a porté atteinte
aux droits constitutionnels qui lui sont garantis par
les articles 7 et 9 de ladite Charte.
Laissons de côté, pour les fins de la requête
présentée par les défendeurs en l'espèce, les para-
graphes de l'acte de procédure contesté qui concer-
nent les réclamations de dommages-intérêts pour
préjudice, anxiété et humiliation, et portons notre
attention sur les autres allégations de la déclara-
tion qui sont pertinentes pour le litige:
[TRADUCTION] 10. À la suite d'un nouveau calcul des peines, la
Commission nationale des libérations conditionnelles désignée
comme défenderesse a décidé que le demandeur avait le droit
d'être libéré sous surveillance obligatoire conformément à la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970,
chap. P-2 (modifiée), le 6 décembre 1982.
11. Aux environs du 6 décembre 1982, le demandeur, menottes
aux mains, a été emmené par des membres de la police de la
ville d'Edmonton ou par des membres de la Gendarmerie royale
du Canada de l'Établissement d'Edmonton à la station de
police Londonderry (Service de police de la ville d'Edmonton).
Une fois arrivé à cet endroit, le demandeur est sorti du véhicule
de la police et un autre agent de police lui a remis une lettre
dans laquelle le défendeur Norman J. Fagnou, qui est agent
exécutif régional de la Commission nationale des libérations
conditionnelles à son bureau régional des Prairies, lui indiquait
que sa libération sous surveillance obligatoire avait été «suspen-
due» par le président de la Commission nationale des libérations
conditionnelles. Dès que cette lettre lui a été remise, le deman-
deur a été «arrêté» et ramené à l'Établissement d'Edmonton.
12. Le demandeur n'a jamais indiqué à la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, à ses préposés ou à ses
agents qu'il ne désirait pas être libéré sous surveillance obliga-
toire conformément aux dispositions de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2 (modifiée).
14. Une demande d'habeas corpus a été présentée au nom du
demandeur à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, district
judiciaire d'Edmonton. Ladite demande a été accueillie aux
environs du 23 décembre 1982 et le juge D.C. McDonald a
ordonné la libération du demandeur.
15. Il a été prévu avant le 4 janvier 1983 que le demandeur ...
devrait quitter l'aéroport international d'Edmonton à 17 h 30 ce
même jour. Aux environs du 4 janvier 1983, le demandeur a été
prié de signer un certificat de libération sous surveillance
obligatoire qui prévoyait certaines conditions spéciales, ce qu'il
a fait.
16. Aux environs du 4 janvier 1983, le demandeur a été
emmené par deux agents des services correctionnels fédéraux
de l'Établissement d'Edmonton à l'aéroport international d'Ed-
monton. Ceux-ci l'ont accompagné jusqu'à la cafétéria de
l'aéroport d'Edmonton et l'ont laissé s'asseoir à une table. Peu
après, le demandeur s'est rendu dans le hall principal de
l'aéroport où il a été abordé par des officiers de la Gendarmerie
royale du Canada qui l'ont arrêté en vertu d'un mandat d'arres-
tation et de suspension de sa libération sous surveillance obliga-
toire, lancé par la défenderesse, la Commission nationale des
libérations conditionnelles au nom du président de ladite Com
mission, le défendeur William Outerbridge, et signé par le
défendeur Keith Wright.
17. Le demandeur n'a violé aucune des conditions prévues dans
le certificat de libération sous surveillance obligatoire.
18. La Commission nationale des libérations conditionnelles a
informé le demandeur qu'il devrait subir des examens psychia-
triques et psychologiques avant qu'il soit décidé de le libérer
une nouvelle fois. Le demandeur a été transféré au centre
psychiatrique régional de la ville de Saskatoon (Saskatchewan)
et il y a subi des tests psychiatriques et psychologiques.
19. Le 17 mars 1983, une demande d'habeas corpus a été
présentée au nom du demandeur à la Cour du Banc de la Reine
de l'Alberta, district judiciaire d'Edmonton. Ladite demande a
été accueillie par le juge R.P. Foisy qui a ordonné la libération
du demandeur.
C'est cette dernière mise en liberté ordonnée par la
Cour qui a été Confirmée le 17 mai 1983 dans la
décision précitée de la Cour suprême du Canada.
En ce qui concerne les particuliers désignés
comme défendeurs, la décision â rendre au sujet de
leur requête est simple. Leur avocat allègue que
l'action intentée contre eux ne repose ni sur le
«droit fédéral» ni sur les «lois du Canada» au sens
de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)]. Ces dernières
expressions ont été définies par la Cour suprême
du Canada dans les arrêts McNamara Construc
tion (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654, et Quebec North Shore Paper Co. et
autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977]
2 R.C.S. 1054 et, depuis ce temps, ces deux déci-
sions ont été suivies dans les affaires Tomossy c.
Hammond, [1979] 2 C.F. 232 (l re inst.), et
Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (1re inst.), pour ne
citer que deux des nombreuses décisions de cette
Cour.
Par conséquent, la déclaration doit être radiée
en ce qui concerne William Outerbridge, Kenneth
W. Howland, Keith Wright, Norman J. Fagnou et
Robert Benner, et l'action dont ils sont l'objet est
rejetée pour le motif que la Division de première
instance de la Cour fédérale du Canada n'a pas
compétence pour connaître de l'action intentée
contre eux.
Les allégations contenues dans la déclaration
expliquent pourquoi il faut conserver Sa Majesté
la Reine comme partie défenderesse. La loi du
Canada qui sert de fondement à l'espèce est la Loi
sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,
chap. C-38. Les dispositions pertinentes de cette
Loi sont les suivantes:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle
serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne, ou
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la pro-
priété, l'occupation, la possession ou la garde d'un bien.
4....
(2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en
vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission
d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendamment de la
présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une
poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa
succession.
Dans cette Loi, le terme «Couronne» désigne évi-
demment Sa Majesté du chef du Canada et «pré-
posé comprend un mandataire». De plus, suivant
les modifications apportées à cette Loi (conformé-
ment au paragraphe 64(2) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]), cette
Cour a compétence dans la présente action inten-
tée contre Sa Majesté la Reine. Les termes «du
chef du Canada» sont redondants dans l'intitulé
d'une cause inscrite en Cour fédérale du Canada.
Il semble qu'au moins quelques-uns des particu-
liers libérés de leur assignation comme défendeurs
soient des fonctionnaires fédéraux. Si les défen-
deurs autres que Wright, Fagnou et Renner, qui
ont pour leur part été libérés, étaient préposés de
la Couronne, il faudrait, si possible, les identifier
et, s'il y a lieu, mofidier la déclaration afin d'y
préciser leur qualité.
En fin de compte, Sa Majesté reste partie défen-
deresse et les particuliers désignés dans l'intitulé
de la cause sont libérés parce que l'action intentée
contre eux est rejetée. Qu'y a-t-il lieu de faire en
ce qui concerne la requête présentée au nom de la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les? Celle-ci peut-elle faire l'objet d'une poursuite
en dommages-intérêts par le demandeur devant
cette Cour?
La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles (appelée ci-après la Commission ou la
CNLC) a été créée par une loi du Parlement du
Canada, la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, dont l'article 3
[mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 18] prévoit:
3. (1) Est établie, sous le nom de Commission nationale des
libérations conditionnelles, une Commission composée de
[nombre] membres nommés à titre inamovible par le gouver-
neur en conseil ...
(2) Le gouverneur en conseil désigne l'un des membres pour
la présidence, et un autre pour la vice-présidence.
(6) Sur approbation du gouverneur en conseil, la Commission
peut établir des règles visant la conduite de ses délibérations, y
compris la fixation d'un quorum à ses assemblées ou auditions,
et à l'accomplissement des devoirs et fonctions que lui attri-
buent les lois du Parlement, notamment la présente.
(9) Les membres de la Commission qui sont à l'emploi de la
Fonction publique, au moment de leur nomination, sont mis en
congé sans traitement par leur ministère et reçoivent la rému-
nération prévue pour leurs nouvelles fonctions.
L'article 4 de la Loi prévoit en outre:
4. (1) Chaque membre de la Commission reçoit, pour ses
services, la rémunération fixée par le gouverneur en conseil. Il a
droit de toucher les frais raisonnables de voyage et de subsis-
tance par lui supportés losrqu'il est absent de son lieu de
résidence ordinaire, dans l'exercice de ses fonctions.
(2) Les fonctionnaires, commis et employés nécessaires au
bon fonctionnement de la Commission doivent être nommés en
conformité de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
La CNLC est manifestement un «office, com
mission ou autre tribunal fédéral» comme le définit
l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Malgré
les dispositions de l'article 23 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, la CNLC est
soumise au pouvoir de contrôle de cette Cour en ce
qui concerne l'équité de ses procédures, l'exercice
présumé de sa compétence et la constitutionnalité
de ses décisions.
La Constitution porte que le «Canada est fondé
sur des principes qui reconnaissent ... la primauté
du droit» et possède «une constitution semblable
dans son principe à celle du Royaume-Uni». En
1885, alors que le Canada était encore un pays
jeune, le professeur A. V. Dicey a publié en Angle-
terre une étude portant sur cette autre constitution
à laquelle ressemble celle du Canada dans son
principe, et il a continué la mise à jour et la
révision de son étude jusqu'en 1908. Le professeur
Dicey a expliqué ce qu'on voulait dire par l'expres-
sion «la primauté du droit» («the rule of law») alors
que notre Constitution était récente et son explica
tion est encore valable dans les années 1980.
Il ne fait aucun doute que ce que l'on trouve
dans la dixième édition de Dicey [The Law of the
Constitution] (1959; réimpression à Londres:
Macmillan, 1975) au sujet de la primauté du droit
constitue pour l'essentiel l'intention des rédacteurs
de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Voici ce qu'il est dit aux pages 202 et 203 au sujet
de l'autre constitution très ressemblante telle
qu'elle existait au début du siècle actuel:
[TRADUCTION] La «primauté du droit» qui constitue un
principe fondamental de la constitution a trois sens ou peut être
envisagée sous trois points de vue différents.
Elle a pour premier sens la suprématie ou la prédominance
absolue du droit ordinaire par opposition au pouvoir arbitraire
et elle exclut l'existence de l'arbitraire, de prérogatives ou
même l'exercice par le gouvernement d'un pouvoir discrétion-
naire étendu. Les citoyens anglais sont gouvernés par le droit et
par le droit seul; un individu peut être puni pour avoir contre-
venu au droit, mais il ne peut être puni pour un autre motif.
Un autre sens est celui d'égalité devant la loi ou d'assujettis-
sement égal de toutes les classes au droit commun du pays
appliqué par les tribunaux ordinaires; la «primauté du droit»,
dans ce sens, exclut l'idée d'une exemption de fonctionnaires ou
d'autres personnes du devoir d'obéissance à la loi auquel sont
assujettis les autres citoyens, ou de la compétence des tribunaux
ordinaires ... Le concept qui sous-tend le «droit administratif»
connu dans les pays étrangers est que les différends auxquels
sont parties le gouvernement ou ses préposés ne relèvent pas de
la compétence des tribunaux civils et doivent être tranchés par
des organismes spéciaux plus ou moins officiels. Ce concept est
complètement inconnu en droit anglais et il est, en fait, fonda-
mentalement incompatible avec nos traditions et nos coutumes.
Ce dernier extrait est souvent cité avec ironie pour
montrer comment le domaine du droit administra-
tif est apparu subitement et s'est étendu énormé-
ment dans les deux royaumes depuis l'époque de
Dicey. Le droit canadien a conservé cette notion
jusqu'à ce jour, c'est-à-dire que même l'État n'est
pas à l'abri de l'obligation d'accorder un redresse-
ment à un individu auquel lui-même, ses offices,
ses commissions ou d'autres tribunaux ont causé
un préjudice. Tels sont sûrement le sens et l'objet
du paragraphe 24(1) de la Charte.
Est-il possible que le paragraphe 24(1) con-
tourne la Loi sur la responsabilité de la Couronne
qu'on peut considérer comme une sorte de mesure
constitutionnelle accessoire? Ce doit être possible
sinon l'article 52 de la Loi constitutionnelle de
1982 n'a aucun sens. La responsabilité de la Cou-
ronne telle qu'elle existe actuellement semblerait
autrement imposer des limites étroites aux répara-
tions qui semblent «convenables et justes» au sens
du paragraphe 24(1) de la Charte.
Dans un document où elle fait une analyse
approfondie et prospective, le Document de travail
40 intitulé Le statut juridique de l'administration
fédérale (1985), la Commission de réforme du
droit du Canada fait des observations incisives sur
ce sujet:
Rien dans la Charte ne préserve expressément les droits et
privilèges de l'Exécutif et de la Couronne. Bien plus, l'article 32
dispose que «[1]a présente charte s'applique ... au Parlement et
au gouvernement du Canada». Dans la mesure où la Charte
s'impose comme une véritable charte des relations État-indivi-
dus, il est tout à fait logique que la Couronne soit assujettie à
ses dispositions. Il existe par ailleurs une volonté très nette de
conférer à la Charte une valeur «universelle» et une portée
générale, les principes énoncés s'appliquant à tous (Gibson,
1982). Faut-il dès lors conclure que les diverses composantes de
la fonction exécutive doivent recevoir le même traitement que
les individus? [Page 51.]
Avec l'adoption en 1953 de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, la maxime «The King can do no wrong» ne présente
plus qu'une portée réduite. La traditionnelle immunité de la
Couronne en la matière n'en subsiste pas moins sur le plan des
principes, sous réserve des modifications apportées par la «Loi
de 1953» et de l'existence de régimes d'immunités dans des lois
particulières. Une réforme globale mieux adaptée à l'évolution
du droit contemporain paraît devoir s'imposer. En effet, la
complexité et la confusion qui caractérisent la situation actuelle
nécessitent l'adoption d'un régime plus simple et plus cohérent.
Il apparaît nécessaire aussi qu'un tel régime puisse être mieux
adapté à certains types de dommages ou de faits dommageables
pour lesquels il est actuellement difficile d'obtenir compensa
tion. Il faudrait notamment s'interroger sur la possibilité de
traiter les demandes plus rapidement et plus simplement. Sur
ce point précis, il serait préférable de ne pas s'en remettre
uniquement au seul bon vouloir des autorités pour indemniser
les victimes de délits et quasi-délits, comme le prévoit le
chapitre 525 du Manuel de la politique administrative du
Conseil du Trésor du Canada:
lorsque cela semble approprié en tant que geste de bienveil-
lance entièrement gracieux, posé dans l'intérêt du public, le
gouvernement peut indemniser un employé ou toute autre
personne ... bien que la Couronne ne soit nullement tenue de
le faire.
Cette procédure est plus connue sous le nom de paiements ex
gratia. Elle vise notamment des dommages pour lesquels la «Loi
de 1953» ne donne ouverture à aucun recours ... L'existence
d'une pratique informelle de ce type montre qu'il existe effecti-
vement des lacunes auxquelles les autorités administratives ont
tenté de remédier. [Pages 72 et 73.]
Le principe essentiel proposé dans la «Loi de 1953» est
l'assimilation de la responsabilité de la Couronne à celle d'un
particulier dans la perspective d'un lien de préposition entre
maître (l'Administration responsable de la marche d'un service)
et commettant (le subordonné qui agit dans l'exercice de ses
fonctions) ... Certains auteurs prétendent d'ailleurs que cette
exigence d'individualisation de la faute ne rendrait la Couronne
responsable sous l'empire de la «Loi de 1953» que si ses activités
s'assimilaient à celles d'une personne privée (Ouellette, 1985)
... Dans le seul cas de la propriété, de l'occupation, de la
possession ou de la garde d'un bien, l'alinéa 3(1)b) de la «Loi de
1953» admet le principe de la responsabilité directe de la
Couronne.
Cette dépersonnalisation de la notion de faute, admise pour
les biens, paraît correspondre mieux à la nature des activités
administratives. L'Administration n'est-elle pas justement un
tout organique, une institution, un corps organisé, avant même
d'être un ensemble d'individus?
Dans cette perspective, la faute serait un manquement aux
obligations du service: retard, inexécution, faux renseignement
(Pelletier, 1982), abstention, défaillance dans l'organisation et
le fonctionnement, erreur dans une opération matérielle, adop
tion d'une décision illégale, agissements illicites, vice d'incom-
pétence. Elle devrait être appréciée objectivement par référence
au fonctionnement normal d'une Administration moderne.
[Pages 73 et 74.]
Une telle réforme ne serait pas une nouveauté complète,
puisque de toute façon, dans le régime actuel, c'est l'Adminis-
tration qui est responsable en dernier ressort pour la faute de
ses préposés. En toute logique, cette évolution historique entre-
prise avec la «Loi de 1953» devrait être menée à terme en
admettant directement la responsabilité de la seule Administra
tion. [Page 74.]
Si l'auteur du préjudice n'est pas un préposé de
la Couronne ou, comme la CNLC, n'est même pas
visé par la «Loi de 1953»» [Loi sur la responsabilité
de la Couronne, S.C. 1952-53, chap. 30], il semble
qu'il n'existe aucun redressement à moins de pro-
céder par une action en responsabilité délictuelle et
que jugement soit rendu par une cour supérieure
d'une province ou une autre cour visée par «l'arti-
cle 96». Étant donné les opérations interprovincia-
les effectuées simultanément par la CNLC et les
autres offices, commissions et tribunaux fédéraux,
le moins que l'on puisse dire est que de tels recours
pourraient se multiplier. Il n'est même pas certain
que la CNLC (en tant qu'entité distincte de ses
membres et de ses employés) puisse faire l'objet
d'une poursuite en responsabilité délictuelle devant
une cour.
Le Comité judiciaire du Conseil privé a élaboré
récemment diverses théories sur les dispositions
enchâssées dans la constitution qui prévoient des
redressements. Dans l'affaire Maharaj y Attor-
ney -General of Trinidad and Tobago (No. 2),
[1978] 2 All ER 670 (P.C.), le fonctionnaire qui a
porté atteinte à un droit du demandeur garanti par
la constitution était juge d'une Haute Cour,
c'est-à-dire l'exemple par excellence d'une per-
sonne qui exerce en toute immunité un pouvoir
conféré par l'État. Le juge a illégalement con-
damné le demandeur, un avocat portant le même
nom de famille, à la prison pour outrage au tribu
nal. Le Comité judiciaire avait, dans une décision
antérieure, prononcé l'illégalité du jugement rendu
par le juge. La décision a été prononcée à la
majorité par lord Diplock, lord Hailsham étant le
seul dissident. Des extraits des motifs de lord
Diplock, tirés des pages 679 et 680, révèlent suffi-
samment le point de vue du Conseil privé sur ce
sujet:
[TRADUCTION] On a fait valoir à leurs Seigneuries au nom
du procureur général qu'une telle décision équivaudrait à ren-
verser le principe d'ordre public depuis longtemps établi suivant
lequel un juge ne peut être tenu personnellement responsable
dans une action en justice, pour des actes faits par lui dans
l'exercice ou l'exercice présumé de ses fonctions judiciaires ...
Leurs Seigneuries estiment toutefois que ces craintes sont
exagérées.
En premier lieu, un jugement ou une ordonnance erronés et
susceptibles d'être annulés en appel pour une erreur de fait ou
de droit positif ne portent atteinte à aucun droit de la personne
ni à aucune liberté fondamentale reconnus par le Chapitre I de
la Constitution, même lorsque la personne en cause a dû purger
une peine d'emprisonnement à la suite de cette erreur. Le
recours disponible dans de tels cas est l'appel à un tribunal
supérieur. Lorsqu'il n'y a pas de tribunal supérieur devant qui
on peut interjeter appel, personne ne peut alors dire qu'il y a eu
une erreur. Les droits fondamentaux de la personne ne s'inscri-
vent pas dans un système juridique infaillible mais dans un
système équitable. Seules les erreurs de procédure peuvent
porter atteinte aux droits protégés par l'al. la) et une simple
irrégularité de procédure n'est pas suffisante, même si elle porte
sur la compétence; l'erreur doit équivaloir à omettre d'observer
une des règles fondamentales de la justice naturelle. Leurs
Seigneuries estiment que cela ne peut se produire que très
rarement.
En deuxième lieu, il n'y a eu aucun changement dans la règle
voulant qu'un juge ne peut être tenu personnellement responsa-
ble de ses actes alors qu'il agissait ou qu'il était censé agir en sa
capacité de magistrat. Une demande de redressement fondée
sur le paragraphe 6(1) pour les actes accomplis par un juge est
une demande adressée contre l'État pour les actes qui ont été
faits dans l'exercice du pouvoir judiciaire de l'État. Il ne s'agit
pas de la responsabilité du fait d'autrui mais de la responsabi-
lité de l'État lui-même. Il ne s'agit pas du tout de la responsabi-
lité délictuelle mais de la responsabilité de l'État en vertu du
droit public et non de celle du juge, responsabilité qui a été
récemment créée par les par. 6(1) et (2) de la Constitution.
En troisième lieu, même l'omission par un juge d'observer
une des règles fondamentales de la justice naturelle ne permet
pas d'appliquer l'art. 6 à moins qu'elle n'ait entraîné, n'entraîne
ou ne risque d'entraîner une atteinte au droit d'une personne à
la vie, à la liberté, à la sécurité de sa personne ou à la
jouissance de ses biens. Ce n'est que lorsqu'une peine d'empri-
sonnement ou un châtiment corporel ont été subis avant qu'un
appel puisse être entendu qu'il n'est pas possible de remédier
aux conséquences d'un jugement ou d'une ordonnance en inter-
jetant appel à une juridiction d'appel.
La décision rendue dans l'affaire Maharaj mon-
tre-t-elle qu'on devrait aussi au Canada, dans le
cas d'une violation de la Charte par des organis-
mes administratifs (sinon par des juges), intenter
des poursuites conformément au paragraphe 24(1)
afin d'engager la responsabilité du procureur géné-
ral malgré les restrictions expresses imposées par
la Loi sur la responsabilité de la Couronne? Le
moyen d'obtenir un redressement prévu par la
constitution l'emporte-t-il sur tous les autres? Aux
prises avec une situation semblable, le juge D. C.
McDonald de la Cour du Banc de la Reine de
l'Alberta a refusé, dans l'affaire Germain v. The
Queen (1984), 10 C.R.R. 234, de suspendre les
procédures ou d'ordonner un non-lieu concernant
l'infraction dont le requérant avait été accusé en
l'espèce. Le juge McDonald a toutefois reporté
l'audition de la demande afin de donner l'occasion
au requérant d'examiner les autres recours et peut-
être même de chercher à obtenir un autre redresse-
ment du genre de celui expliqué par lord Diplock.
Même si cette possibilité est offerte au requé-
rant en l'espèce, elle ne pourra empêcher le rejet
de l'action intentée contre la CNLC. La Commis
sion n'est assujettie à aucune loi ordinaire en
vigueur au Canada. Suivant le raisonnement qui a
permis de mettre en cause l'État dans l'affaire
Maharaj, la CNLC ne peut pas en soi être défen-
deresse car elle n'est pas le représentant de l'État
qui peut être tenu responsable lorsque la responsa-
bilité de ce dernier est alléguée; en outre, elle ne
possède pas les ressources suffisantes pour lui per-
mettre d'exécuter un jugement si la responsabilité
de l'État est prouvée. Par conséquent, la CNLC ne
peut continuer à être partie défenderesse en l'es-
pèce. Si on applique le raisonnement suivi dans les
affaires Tomossy et Nichols, précitées, elle ne peut
pas être tenue responsable; et, compte tenu des
circonstances révélées dans les affaires Maharaj et
Germain, précitées, elle ne devrait pas être partie
défenderesse à l'action.
Les défendeurs ont gain de cause en ce qui
concerne le premier volet de leur requête; la
requête additionnelle ou subsidiaire visant le rejet
de l'action est pour sa part rejetée. Un délai rai-
sonnable devra être accordé au demandeur afin de
lui permettre de modifier sa déclaration, s'il le juge
à propos, compte tenu du fait qu'il a perdu son
recours contre plusieurs parties défenderesses; un
délai devra aussi être accordé à la défenderesse
pour lui permettre de préparer et de déposer une É
défense s'il y a lieu. tant donné que, malgré les
apparences, les parties ont en fait eu gain de cause
également, il n'y aura pas d'adjudication de
dépens.
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