T-167-80
Baxter Travenol Laboratories of Canada, Limited;
Travenol Laboratories, Inc. et Baxter Travenol
Laboratories, Inc. (demanderesses)
C.
Cutter (Canada), Ltd. (défenderesse)
Division de première instance, juge Dubé—
Ottawa, 15, 16, 17 et 26 octobre 1984.
Pratique — Outrage au tribunal — Dans un jugement en
date du 11 décembre 1980, la Cour a statué que le brevet des
demanderesses avait été contrefait, a interdit à la défenderesse
de fabriquer ou de vendre des poches pour le sang et lui a
ordonné de détruire ou de remettre les biens contrefaits — Le
jugement formel a été inscrit le 18 décembre 1980 — Dans
l'intervalle, la défenderesse a vendu ses stocks — La Division
de première instance et la Cour d'appel ont statué que la
défenderesse n'avait pas violé le jugement rendu — La Cour
suprême du Canada a statué que même si les actes reprochés
ne constituaient pas une violation de l'injonction, ils pouvaient
constituer un outrage au tribunal — L'affaire a été renvoyée
devant cette Cour afin qu'elle détermine si la partie était au
courant de l'interdiction contenue dans le jugement du 11
décembre et si elle a désobéi à ce jugement — La mens rea
n'est pas requise pour prouver l'outrage au tribunal — Le
mandat donné à la Cour par la Cour suprême du Canada
n'exige pas qu'elle tienne compte de la bonne foi — Les
personnes morales sont responsables des actes de leurs prépo-
sés lorsqu'ils enfreignent, dans l'exécution de leurs fonctions,
une ordonnance judiciaire — La défenderesse est coupable
d'outrage au tribunal — Imposition d'une amende et dépens
— Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
337(2), 355(2).
Pratique — Frais et dépens — Outrage au tribunal —
Aucun avantage matériel pour les demanderesses — Procédu-
res intentées pour assurer la bonne administration de la justice
— Dépens accordés comme entre avocat et client.
Une ordonnance a enjoint à la défenderesse d'exposer les
motifs pour lesquels elle ne devrait pas être condamnée pour
outrage au tribunal. Les motifs écrits du jugement statuant que
le brevet des demanderesses avait été contrefait ont été rendus
le 11 décembre 1980. Ce jugement interdisait à la défenderesse
de fabriquer, de vendre ou de distribuer des poches multiples
pour le sang et lui ordonnait de détruire ou de remettre tous les
biens contrefaits. La minute du jugement a été arrêtée et
inscrite le 18 décembre 1980. Entre le 11 et le 18 décembre, la
défenderesse s'est départie des biens en les vendant ou par
d'autres moyens. Lors de l'audition d'une première ordonnance
de justification, la Division de première instance a statué, sur
une exception préliminaire, que la défenderesse n'avait pas violé
le jugement qui n'avait été prononcé que le 18 décembre; cette
décision a été par la suite confirmée par la Cour d'appel. En
appel de cette décision, la Cour suprême du Canada s'est dite
d'avis que même si les actes reprochés ne constituaient pas une
violation de l'injonction, ils pouvaient quand même constituer
un outrage au tribunal. La Cour a accueilli le pourvoi et a
renvoyé l'affaire devant la présente Cour pour qu'elle rende une
décision sur le fond. Sur présentation d'une requête afin d'obte-
nir des directives, il a été décidé que les faits à établir étaient 1)
que la défenderesse connaissait les interdictions contenues dans
le jugement du 11 décembre et 2) qu'elle a désobéi à l'une de
ces interdictions.
Jugement: la défenderesse est coupable d'outrage au tribunal
et condamnée à une amende de 100 000 $, aux dépens entre
parties et aux dépens des demanderesses calculés comme entre
avocat et client.
La preuve a établi hors de tout doute raisonnable que la
défenderesse était au courant de l'existence des interdictions
contenues dans les motifs de jugement du 11 décembre et
qu'elle a violé ces interdictions en omettant de détruire ou de
remettre les biens.
La défenderesse a fait valoir qu'étant donné que son avocat
n'avait pas une «intention coupable», il ne devrait pas être
déclaré coupable d'outrage au tribunal. La défenderesse s'est
appuyée sur la décision Koffler Stores Ltd. c. Turner, [1971]
C.F. 145; 2 C.P.R. (2d) 221 (1'» inst.), dans laquelle le juge a
refusé de «punir les défendeurs pour avoir, de bonne foi, donné
à une ordonnance de cette Cour une interprétation peut-être
fausse mais non déraisonnable». Dans leur ouvrage intitulé Law
of Contempt, Borrie et Lowe affirment toutefois «[qu']il n'est
pas nécessaire de démontrer que le défendeur ... a l'intention
de gêner l'administration de la justice.»
Suivant le mandat donné par la Cour suprême du Canada, ni
la bonne foi de la défenderesse ni sa mauvaise interprétation du
droit ne doivent être pris en compte. La Cour suprême était au
courant de l'interprétation juridique donnée par la défenderesse
à la désobéissance au jugement du 11 décembre, mais elle n'a
pas tenu compte de cet élément dans ses directives à la présente
Cour.
La défenderesse soutient qu'elle ne devrait pas être déclarée
coupable à cause des erreurs de ses mandataires légaux étant
donné que le mandat est un concept civil et que les présentes
procédures sont du moins de nature quasi criminelle. Dans les
affaires civiles d'outrage au tribunal, la responsabilité des
personnes morales repose sur le principe de la responsabilité du
fait d'autrui. Les personnes morales sont responsables des actes
de leurs préposés lorsque ceux-ci enfreignent, dans l'exécution
de leurs fonctions, une ordonnance judiciaire. Une compagnie
ne peut opposer comme moyen de défense que ses représentants
ignoraient les modalités d'une ordonnance ou qu'ils ne se sont
pas rendus compte qu'ils violaient l'ordonnance.
La Règle 355(2) prévoit que la peine pour outrage au
tribunal est une amende ou l'emprisonnement. Il y a eu entrave
à la bonne administration de la justice. L'intérêt public com-
mande de sauvegarder l'autorité de la justice, de sorte que le
châtiment doit être suffisamment sévère pour correspondre à la
gravité de l'infraction. Une amende s'élevant à 10 pour cent de
la valeur des biens non remis serait assez élevée pour rendre
compte de la sévérité de la loi et suffisamment modérée pour
démontrer la clémence de la justice.
Les demanderesses ont droit à leur dépens calculés comme
entre avocat et client. Il est normal qu'elles n'aient pas à
supporter les dépens de ces procédures qu'elles ont dû intenter
pour assurer la bonne administration de la justice et dont elles
ne pourront tirer aucun avantage personnel.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Knight v. Clifton, [1971] Ch. 700; [1971] 2 All ER 378
(C.A.); Stancomb v. Trowbridge Urban Council, [1910]
2 Ch. 190; Re Mileage Conference Group of the Tyre
Manufacturers' Conference, Ltd.'s, Agreement, [1966] 2
All E.R. 849 (R.P.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Koffler Stores Ltd. c. Turner, [1971] C.F. 145; 2 C.P.R.
(2d) 221 (1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Giles (C H) & Co Ltd v Morris, [1972] 1 All ER 960
(Ch. D.); In Re Rossminster Ltd and Tucker (1980)
Times, 23 mai; Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian
Broadcasting Corp. et al. (No 2) (1974), 48 D.L.R. (3d)
641 (H.C. Ont.); (1975), 65 D.L.R. (3d) 231 (C.A.
Ont.); Re Gaglardi (1960), 27 D.L.R. (2d) 281
(C.A.C.-B.); Heaton Transport (St. Helens) Ltd. v.
Transport and General Workers' Union, [1973] A.C. 15;
[1972] 2 All ER 1214 (H.L.); Z Ltd. v. A-Z and AA -LL,
[1982] Q.B. 558; [1982] 1 All ER 556 (C.A.); In Re
Garage Equipment Association's Agreement (1964), 4
R.P. 491 (R.P.C.); Re Galvanized Tank Manufacturers'
Association's Agreement, [1965] 2 All E.R. 1003
(R.P.C.).
AVOCATS:
Alan J. Lenczner, c.r. et Colleen E. R. Spring
pour les demanderesses.
Gordon F. Henderson, c.r. et George Fisk
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour les
demanderesses.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE Dust: La défenderesse a comparu
devant la Cour, à Ottawa, les 15, 16 et 17 octobre
1984, conformément à deux ordonnances lui enjoi-
gnant d'exposer les motifs pour lesquels elle ne
devrait pas être condamnée pour outrage au tribu
nal pour avoir agi de façon à gêner la bonne
administration de la justice ou à porter atteinte à
l'autorité ou à la dignité de la Cour relativement
aux motifs du jugement prononcés par le juge
Gibson le 11 décembre 1980 [(1980), 52 C.P.R.
(2d) 163 (C.F. 1 inst.)] (lesquels ont été suivis
par une injonction prononcée le 18 décembre
1980).
C'est moi qui ai accordé la première ordonnance
de justification le 12 janvier 1981. La deuxième
ordonnance est beaucoup plus récente et a été
prononcée par le juge Strayer le 16 juillet 1984.
Ces ordonnances ont, chacune de leur côté, suivi
un chemin procédural tortueux qui a abouti au
présent procès pour outrage. Il est nécessaire, pour
bien comprendre les motifs du présent jugement,
de donner un bref aperçu général des faits et des
procédures antérieures.
1. Historique du litige.
En novembre 1980, le juge Gibson a entendu
l'action en contrefaçon de brevet mettant en cause
les demanderesses («Baxter») et la défenderesse
(«Cutter»). Il a rendu les motifs écrits de sa déci-
sion le 11 décembre 1980 et a déclaré que le brevet
était valide et qu'il avait été contrefait. En conclu
sion des motifs de son jugement [à la page 172], le
juge Gibson a déclaré que «Baxter obtient gain de
cause contre Cutter et le présent jugement déclare
et ordonne ce qui suit». Suivent sept paragraphes
dans lesquels, notamment, il est interdit à Cutter
«de fabriquer, d'offrir en vente, de vendre ou de
distribuer des poches multiples pour le sang» et où
il est ordonné à Cutter «de détruire ou de remettre»
aux demanderesses tous les biens contrefaits qui
sont en sa «possession, sous sa garde ou son con-
trôle». Au dernier paragraphe, le juge Gibson
demande aux avocats de «préparer, dans les deux
langues officielles, un jugement approprié pour
donner effet aux conclusions qui précèdent» et
déclare que les parties «peuvent demander que
jugement soit prononcé en conformité avec la règle
337(2)b)». La minute du jugement a été arrêtée et
inscrite le 18 décembre 1980.
Les actes qui auraient été posés au cours de la
période allant du 11 au 18 décembre 1980 font
l'objet des deux ordonnances de justification et de
la présente audition.
Le 12 janvier 1981, j'ai rendu à la demande de
Baxter une ordonnance ex parte enjoignant à
Cutter d'expliquer pourquoi elle ne devait pas être
condamnée pour outrage au tribunal pour avoir
défié l'injonction prononcée le 11 décembre 1980
en vendant des sacs de sang et en négligeant de les
détruire sur-le-champ ou de les remettre aux
demanderesses. Le 3 février 1981, le juge Catta-
nach a statué, sur une exception préliminaire sou-
levée par Cutter, que les actes reprochés ne pou-
vaient constituer une violation du jugement du
juge Gibson, car ce jugement n'avait pas été pro-
noncé le 11, mais bien le 18 décembre 1980. La
Cour d'appel fédérale a confirmé ce jugement.
Cette décision a été portée en appel devant la
Cour suprême du Canada. Dans son jugement du 3
novembre 1983 [[1983] 2 R.C.S. 388], la Cour
suprême s'est dite d'avis que même si les actes
reprochés ne constituaient pas une violation de
l'injonction prononcée par le juge Gibson, ils pou-
vaient quand même constituer un outrage au tribu
nal. La Cour a accueilli le pourvoi et a renvoyé
l'affaire devant la présente Cour pour qu'elle rende
une décision sur le fond.
Entre-temps, Baxter a obtenu du juge Strayer
le 16 juillet 1984 une ordonnance de justification
ex parte. Le but de cette deuxième ordonnance de
justification était de clarifier le fondement sur
lequel les preuves devaient être produites à l'au-
dience relative à la première ordonnance de justifi
cation. Cutter a formé un appel contre cette ordon-
nance. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel
le 12 octobre 1984 et l'instruction de la deuxième
ordonnance de justification a été fixée à la même
date que celle de la première ordonnance, savoir, le
15 octobre 1984.
2. Les faits à établir.
J'en reviens au jugement' de la Cour suprême
du Canada pour me guider dans ma décision de la
présente affaire. Le juge Dickson (alors juge
puîné), qui s'exprimait au nom de la Cour, s'est dit
d'accord avec Cutter qu'il ne pouvait y avoir déso-
béissance à l'injonction avant le 18 décembre
1980, date à laquelle le jugement du juge Gibson
est devenu exécutoire conformément à la Règle
337 de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédé-
rale, C.R.C., chap. 663]. II a d'autre part affirmé
(à la page 396 R.C.S.; à la page 7 C.P.R.) que
«L'outrage relatif à des injonctions a toujours été
de portée plus générale que la violation réelle
' Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et autres c.
Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; 75 C.P.R. (2d) 1.
d'une injonction». En l'espèce, le juge a conclu que
la conduite de Cutter pouvait constituer un
outrage au tribunal parce qu'elle «tend à entraver
le cours de la justice», et ce, même s'il ne s'agissait
pas formellement de la violation d'une injonction.
Il en est venu à la conclusion suivante, à la page
398 R.C.S.; aux pages 8 et 9 C.P.R.:
Je conclus donc qu'il peut y avoir eu, en droit, entre le 11
décembre et le 18 décembre 1980, outrage au tribunal parce
qu'on a agi de façon à gêner la bonne administration de la
justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la
Cour (règle 355). Cela serait visé par l'alinéa b) de l'ordon-
nance de justification. Puisque la question a été soulevée à titre
d'exception préliminaire, il n'y a jamais eu de constatation de
fait que Cutter ou Maxwell, ou les deux, ont, en toute connais-
sance de leur existence, désobéi aux interdictions contenues
dans les motifs de jugement rendus par le juge Gibson le 11
décembre. Il n'appartient pas à cette Cour de se prononcer sur
ce point; il faudrait reprendre l'audience de la Division de
première instance de la Cour fédérale.
L'alinéa b) de l'ordonnance de justification que
j'ai rendue et que cite le juge Dickson [à la page
392 R.C.S.; à la page 4 C.P.R.] porte:
b) Agi de façon à gêner la bonne administration de la justice,
ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour
en concluant, après le début du présent procès, une entente
hors du cours ordinaire du commerce, en vertu de laquelle
des poches multiples pour le sang et ses dérivés, munies de
clapets, comme ceux que l'on trouve dans les modèles
produits sous les cotes P-8 et P-8A au cours du présent
procès, ont été transférées à la Croix-Rouge canadienne,
contrairement aux observations faites, au début du présent
procès, à l'avocat des demanderesses à titre d'officier de la
Cour et en vue d'entraver le processus judiciaire et à
rendre futile toute injonction ou ordonnance devant être
rendue par la Cour.
Une fois que la décision de la Cour suprême du
Canada a été rendue, Cutter a demandé une
ordonnance pour casser l'ordonnance de justifica
tion et subsidiairement pour obtenir des précisions
sur l'accusation pour laquelle elle était tenue de se
justifier. Le juge Cattanach, qui a entendu la
requête, a rejeté la première partie de la demande
mais a accepté de donner des précisions. Le savant
juge a déclaré à la page 6 que «les faits qui doivent
être établis» sont:
1) que Cutter et Maxwell connaissaient les interdictions énon-
cées dans les motifs de jugement prononcés par le juge Gibson
le 11 décembre 1980;
2) qu'il y eu violation des interdictions qui y étaient énoncées.
Les deux ordonnances de justification s'adres-
sent notamment à Thomas Maxwell, tant à titre
personnel qu'en sa qualité de président-directeur
général de la défenderesse. Les parties sont conve-
nues, peu de temps après le commencement de
l'audition, d'abandonner l'accusation portée contre
M. Maxwell afin de lui permettre de témoigner
sans s'incriminer. La Cour a accédé à cette
demande et Thomas Maxwell a été appelé à témoi-
gner comme premier témoin de Baxter.
3. Connaissance des interdictions.
La preuve administrée à l'audience indique clai-
rement que Cutter connaissait, par l'entremise de
ses avocats et de ses cadres supérieurs, l'existence
des motifs du jugement du juge Gibson. L'avocat
James D. Kokonis du cabinet Smart & Biggar
d'Ottawa, qui a représenté Cutter dans toutes les
procédures dans la présente affaire, a été appelé à
témoigner pour le compte de Cutter. Il a déclaré
qu'il avait lu les motifs du juge Gibson dès leur
prononcé et qu'il avait téléphoné aux bureaux de
Cutter Lab. Inc. de Berkeley, en Californie, la
société-mère américaine (qui avait retenu les servi
ces de son cabinet en premier lieu) et qu'il avait
mis l'avocat du contentieux de cette société, lui-
même un avocat de brevets, au courant de tous les
points importants du jugement. M. Kokonis a con-
seillé à la société américaine de se départir de tous
les biens contrefaits qui étaient en la possession de
Cutter au Canada, vu qu'une injonction devait être
prononcée le 18 décembre 1980.
M. Kokonis a également communiqué avec
Thomas Maxwell, l'a informé de l'issue du procès
et lui a dit qu'il disposait de quelques jours seule-
ment pour se défaire des poches contrefaites. M.
Kokonis a également discuté de la chose avec son
associé, Nicholas H. Fyfe, et lui a demandé d'insis-
ter auprès de Maxwell pour que celui-ci obtienne
l'avis d'un avocat albertain et se procure les docu
ments nécessaires pour réaliser la transmission
juridique des poches de sang. Le siège social de
Cutter est situé à Calgary (Alberta).
M. Kokonis n'estime pas avoir porté atteinte à la
dignité de la Cour. Il est d'avis que le juge Gibson
avait délibérément laissé «une porte ouverte», pour
que la défenderesse puisse disposer des biens con-
trefaits avant le prononcé formel de l'ordonnance.
M. Kokonis est un avocat de brevets expérimenté;
il a été président de l'Institut des brevets du Canda
et a plaidé en matière de brevets au cours des vingt
dernières années devant la Cour de l'Échiquier et
la Cour fédérale du Canada.
Au cours du contre-interrogatoire serré auquel
l'avocat de Baxter l'a soumis, M. Kokonis a conti-
nué à soutenir qu'en vertu de la Règle 337 de la
Cour fédérale, les motifs de jugement ne consti
tuent pas un jugement formel et qu'ils ne prennent
effet qu'à la date du prononcé du jugement formel.
C'est la raison pour laquelle il s'est cru justifié de
conseiller à son client de vider ses entrepôts de tous
les biens contrefaits avant le 18 décembre 1980.
À l'appui de son argument, il se réfère à la
décision du juge Cattanach et à celles des trois
juges de la Cour d'appel fédérale qui ont tous
statué que le prononcé des motifs de jugement ne
constituent pas une injonction formelle.
Thomas Maxwell n'a jamais effectivement lu les
motifs du jugement mais reconnaît que M. Koko-
nis lui a téléphoné vers le 11 décembre 1980 pour
l'informer qu'il n'avait pas obtenu gain de cause à
son procès et pour lui conseiller de liquider ses
stocks aussi vite que possible. M. Fyfe lui a dit,
quatre ou cinq jours avant le 18 décembre 1980, de
faire sortir les stocks en infraction avant le 18
décembre 1980. Il est évident que Thomas Max-
well était au courant des litiges en cours et qu'il
savait que Baxter cherchait à obtenir une
injonction.
4. La désobéissance aux interdictions.
Il ressort de la preuve, tant documentaire qu'o-
rale, que Cutter n'a pas détruit les poches pour le
sang et ne les a pas remises aux demanderesses
mais qu'elle a pris des mesures pour s'en départir
très rapidement et très efficacement entre le 11 et
le 18 décembre 1980.
Les pièces P-lA, P-3, P-6A, P-7A, P-8A et P-9
sont des factures de Cutter et des documents
versés à l'appui qui démontrent que Cutter a reçu
des commandes de la Croix-Rouge canadienne à
l'égard des poches pour le sang contrefaites, que
Cutter les a exécutées et qu'elle a facturé la Croix-
Rouge au cours de la période en cause. Les mon-
tants en jeu s'élèvent à environ 150 000 $. Ainsi
qu'en font foi les factures, le prix de vente doit
normalement être payé dans les trente jours. Ces
factures portent toutefois la mention suivante
ajoutée à la machine à écrire: [TRADUCTION] «Le
règlement peut être reporté jusqu'au ler avril
1981».
Les pièces P-4A et P-5A sont des factures sur
lesquelles figurent respectivement des totaux de
8 121,60 $ et de 27 764,64 $. Ces factures font
suite à des commandes placées par la Croix-Rouge
en octobre qui n'ont été exécutées que le 12
décembre et pour lesquelles des factures ont été
envoyées le 16 décembre 1980. Sur chaque facture,
une note indique que [TRADUCTION] «le titre sur
la marchandise indiquée aux présentes passe à
l'acheteur au moment de la livraison à destina
tion». Certaines des livraisons précitées devaient
être faites aux centres de l'Ouest canadien alors
que d'autres devaient être acheminées à l'entrepôt
central de la Croix-Rouge à Toronto.
La formule 7512 des douanes américaines inti-
tulée «Transportation Entry and Manifest of
Goods Subject to Customs Inspection and Permit»
montre que les biens expédiés en douane ont été
transportés par la Canadian Freightways Ltd. par
l'entremise de la Consolidated Freightways Corpo
ration et qu'ils ont passé la frontière à Sweetgrass
(Montana) le 17 décembre 1980 à destination de
Ogden (Utah).
Suivant la déposition de Donald James Chap-
man, exploitant de terminal à la Canadian
Freightways, il faut compter trois jours pour expé-
dier des marchandises de Sweetgrass à Ogden. Ces
factures portent également une note que le titre
passe à l'acheteur au moment de la livraison. Le
témoin a reconnu que les pièces versées au dossier
sont des documents utilisés en relation avec les
cargaisons en question, qu'elles avaient été prépa-
rées dans la pratique normale des affaires de la
compagnie et provenaient des dossiers de sa
compagnie.
Les pièces P-12A, P-13A et P-14A sont des
factures établies par Cutter à la même époque à
l'égard de poches pour le sang vendues à [TRADUC-
TION] «Cutter Labs, Guilford (Surrey), Angle-
terre», mais qui ont été envoyées à 'TRADUCTION]
«Cutter Labs Inc., Ogden (Utah), Etats-Unis». La
pièce P-15, en date du 15 décembre 1980, indique
que la marchandise qui y figure a été vendue à
Cutter Labs Inc., à Emeryville (Californie) et
qu'elle devait être envoyée à Cutter Labs à Ogden
(Utah). Cette facture P-15 mentionne que les fac-
tures susvisées ont été [TRADUCTION] «facturées
en premier lieu à Cutter - Angleterre».
Les pièces P-40, P-41, P-42 et P-43 sont des
factures qui indiquent que Cutter a expédié le 15
décembre 1980 quatre livraisons à l'entrepôt de la
société-mère à Ogden (Utah). La valeur de ces
livraisons s'élève à 774 000 $. L'avis suivant figure
sur les factures:
[TRADUCTION] RÉSERVÉ À L'ENTREPOSAGE ENTRE SOCIÉTÉS
AUX ÉTATS-UNIS
ARTICLES HORS COMMERCE
AUCUN FRAIS AU CLIENT
À RETOURNER AU CANADA
Baxter a assigné comme témoin M. Ian James
Winslow, directeur des Services centraux de la
Croix-Rouge à Toronto. M. Winslow a déclaré
que, jusqu'en décembre 1980, Cutter n'avait
approvisionné la Croix-Rouge que dans l'Ouest du
Canada. Les livraisons reçues à Toronto en décem-
bre 1980 devaient être réexpédiées aux bureaux de
la Croix-Rouge dans l'Ouest canadien. En temps
normal, le siège social de Toronto tient un nombre
de poches pour le sang suffisant pour soixante à
quatre vingt-dix jours. En décembre 1980, la
Croix-Rouge a dû louer des locaux dans un autre
entrepôt exploité par Central Warehousing (1968),
en raison de l'arrivée inopinée de ce surplus de
poches pour le sang.
5. Conclusions de fait.
Les preuves sont accablantes. Je suis convaincu
hors de tout doute raisonnable, d'une part que la
défenderesse était au courant de l'existence des
interdictions contenues dans les motifs du juge-
ment du juge Gibson et, d'autre part, que la
défenderesse a violé ces interdictions en omettant
de détruire les biens ou de les remettre à la
demanderesse, notamment en se débarrassant des
biens par vente ou autre mode d'aliénation pen
dant la période considérée. Voilà qui tranche les
questions que la Cour suprême du Canada a sou-
mises à la présente Cour. Certaines questions de
droit importantes ont toutefois été soulevées et
elles méritent un examen attentif.
6. La mens rea est-elle requise?
M. Kokonis se croyait manifestement fondé en
droit à agir comme il l'a fait. Il ne possédait pas
par conséquent l'élément d'«intention coupable»
nécessaire à la perprétation d'un crime. La défen-
deresse (son mandant) fait valoir qu'on ne saurait,
par conséquent, la déclarer coupable d'outrage au
tribunal.
La défenderesse s'appuie particulièrement sur la
décision Koffler Stores Ltd. c. Turner', dans
laquelle le juge Pratte (qui siégeait alors à la
Division de première instance) a refusé de «punir
les défendeurs pour avoir, de bonne foi, donné à
une ordonnance de cette Cour une interprétation
peut-être fausse mais non déraisonnable». L'ordon-
nance en question était une injonction interdisant
au défendeur de contrefaire la marque de com
merce de la demanderesse.
En ce qui concerne la conduite de la défende-
resse en l'espèce, le juge Cattanach a déclaré ce
qui suit dans son jugement du 3 février 1981 (à la
page 9):
À l'audience, j'ai exprimé le point de vue selon lequel la
conduite de la défenderesse par le biais de son président-direc-
teur général, constitue une pratique peu honnête et peut-être
même trompeuse et que ceux-ci ont fait fi de toute éthique mais
que selon toute vraisemblance, cette éthique ne fait pas partie
de la jungle du monde des affaires et que les personnes qui font
preuve de ruse obtiennent probablement le plus.
Dans leur ouvrage intitulé Law of Contempt, 2°
éd., Borrie et Lowe examinent les éléments consti-
tutifs de la mens rea au chapitre 13, intitulé Civil
Contempt. La réponse est on ne peut plus claire:
[TRADUCTION] «il n'est pas nécessaire de démon-
trer que le défendeur est sciemment récalcitrant ou
qu'il a l'intention de gêner l'administration de la
justice». Les auteurs citent, à la page 400, le lord
juge Sachs qui déclarait dans l'arrêt Knight v.
Clifton: 3
[TRADUCTION] ... lorsqu'une injonction interdit de faire
quelque chose, l'interdiction est absolue et ne doit pas être
rattachée à l'intention sauf si l'ordonnance déclare expressé-
ment le contraire.
Les auteurs citent le juge Warrington qui a
2 [1971] C.F. 145, à la p. 148; 2 C.P.R. (2d) 221 (1"e inst.), à
la p. 223.
3 [1971] Ch. 700, à la p. 721; [1971] 2 All ER 378 (C.A.), à
la p. 393.
déclaré dans Stancomb v. Trowbridge Urban
Council 4 que si une personne [TRADUCTION] «a
effectivement commis l'acte, il est inutile de dire
qu'elle l'a fait sans intention de désobéir aux
ordres de la Cour ...» Dans la décision Re Agree
ment of Mileage 5 , la Cour a conclu qu'on avait
démontré l'existence de l'outrage et ce, même si les
actes avaient été posés [TRADUCTION] «de manière
raisonnable et malgré tous les soins et l'attention
nécessaires, sur la conviction, fondée sur une con
sultation juridique, qu'ils ne constituaient pas une
contravention.»
Finalement, le mandat donné par la Cour
suprême du Canada à la présente Cour est tout à
fait clair. Deux faits seulement doivent être établis:
premièrement, la défenderesse connaissait-elle les
motifs du jugement du juge Gibson et deuxième-
ment, il y a-t-il eu désobéissance à ce jugement?
Ni la bonne foi de la défenderesse ni sa mauvaise
interprétation du droit ne doivent être pris en
compte. La Cour suprême était manifestement
bien au courant de l'interprétation juridique
donnée par la défenderesse à la désobéissance aux
motifs du jugement du juge Gibson. Malgré cela,
elle n'a pas tenu compte de ces éléments dans ses
directives à la présente Cour.
7. Le mandat et l'outrage au tribunal.
La défenderesse prétend que le mandat est un
concept civil qui ne trouve pas application dans les
procédures criminelles. La défenderesse ne devrait
pas être déclarée coupable à cause des erreurs
(hypothèse qui est écartée) de ses mandataires
légaux, étant donné que les procédures pour
outrage sont de nature criminelle ou du moins
quasi criminelle. Étant donné que M. Maxwell est
l'âme dirigeante de la défenderesse, c'est l'autre
partie qui doit supporter le fardeau de démontrer
qu'il connaissait le jugement et qu'il était de mau-
vaise foi.
4 [1910] 2 Ch. 190, à la p. 194, citée et approuvée par lord
Wilberforce dans l'arrêt Heatons Transport, ibid., à la p. 109.
5 Re Mileage Conference Group of the Tyre Manufacturers'
Conference, Ltd.'s Agreement, [1966] 2 All E.R. 849 (R.P.C.),
à la p. 862, citée et approuvée par le juge Megarry dans la
décision Giles (C H) & Co Ltd y Morris, [1972] 1 All ER 960
(Ch. D.), à la p. 970 et dans l'arrêt In Re Rossminster Ltd and
Tucker, The London Times, 23 mai 1980, p. 10. Au Canada,
voir Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting
Corp. et al. (No 2) (1974), 48 D.L.R. (3d) 641 (H.C. Ont.), à
la p. 661, infirmée sur un autre point par (1975), 65 D.L.R.
(3d) 231 (C.A. Ont.). Voir également la décision Re Gaglardi
(1960), 27 D.L.R. (2d) 281 (C.A.C.-B.).
Je ne peux souscrire à cet argument. Dans les
affaires civiles d'outrage au tribunal, la responsa-
bilité des personnes morales repose sur le principe
de la responsabilité du fait d'autrui 6 . Les person-
nes morales sont responsables des actes de leurs
préposés lorsque ceux-ci enfreignent, dans l'exécu-
tion de leurs fonctions, une ordonnance judiciaire.
Il a été jugé qu'une compagnie ne peut opposer
comme moyen de défense que ses représentants
ignoraient les modalités d'une ordonnance judi-
ciaire ou qu'ils ne se sont pas rendus compte qu'ils
violaient l'ordonnance'.
8. Recevabilité des éléments de preuve.
L'avocat de la défenderesse a soulevé plusieurs
objections quant à la recevabilité des éléments de
preuve fournis aux autres étapes de la présente
affaire, tels que les affidavits, les transcriptions des
contre-interrogatoires, les interrogatoires préala-
bles, etc. Les règles interdisant le ouï-dire et
l'auto-incrimination ont été soigneusement étu-
diées. La Charte des droits [Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] a été
invoquée. Il a été convenu que, si c'était nécessaire,
je statuerais ultérieurement sur ces objections. Il
n'est plus nécessaire de me prononcer sur ces
questions, étant donné que mes conclusions repo-
sent exclusivement sur les témoignages à l'au-
dience et les pièces qui ont alors été produites.
9. La peine.
Suivant la Règle 355(2), quiconque est coupable
d'outrage au tribunal est passible d'une amende
(qui, dans le cas d'un particulier, ne doit pas
dépasser 5 000 $) ou d'un emprisonnement d'un an
au plus.
Vu les circonstances de l'espèce, je ne crois pas
qu'il convienne d'appliquer la loi dans toute sa
rigueur et de condamner à l'emprisonnement. Il
6 Voir Heatons Transport (St. Helens) Ltd. v. Transport and
General Workers' Union, [1973] A.C. 15; [1972] 2 All ER
1214 (H.L.); Z Ltd. v. A-Z and AA -LL, [1982] Q.B. 558, la
p. 581; [1982] 1 All ER 556 (C.A.), à la p. 569, le lord juge
Eveleigh et Miller Contempt of Court, p. 251, cité dans Law of
Contempt (précité).
7 In Re Garage Equipment Association's Agreement
(1964), 4 R.P. 491 (R.P.C.), à la p. 505 et Re Galvanized Tank
Manufacturers' Association's Agreement, [1965] 2 All E.R.
1003 (R.P.C.), à la p. 1009, le président Megaw.
n'en reste pas moins qu'il y a eu à mon avis entrave
à la bonne administration de la justice et atteinte à
l'autorité et à la dignité de la Cour. L'intérêt
public commande manifestement de sauvegarder
l'autorité de la justice, de sorte que le châtiment
doit être suffisamment sévère pour correspondre à
la gravité de l'infraction.
La défenderesse a omis de remettre aux deman-
deresses ou de détruire les biens contrefaits qui
sont évalués à environ 1 million de dollars. Une
amende s'élevant à 10 pour cent de cette somme
m'apparaît assez élevée pour rendre compte de la
sévérité de la loi et suffisamment modérée pour
démontrer la clémence de la justice.
10. Dépens.
Les demanderesses ont demandé qu'on leur
accorde leurs dépens comme entre avocat et client
en faisant valoir qu'elles ne pouvaient tirer aucun
avantage matériel des présentes procédures pour
outrage. Elles avaient formulé la même demande
en Cour suprême et le juge Dickson a statué qu'il
n'y avait pas lieu de rendre pareille ordonnance à
cette étape de la procédure. Je suis d'avis qu'il
convient, à cette étape-ci, d'adjuger ces dépens aux
demanderesses. Après tout, il est normal qu'elles
n'aient pas à supporter les dépens de ces procédu-
res qu'elles ont dû intenter pour assurer la bonne
administration de la justice et dont elle ne pour-
ront tirer aucun avantage personnel.
Par ces motifs, la défenderesse est condamnée à
une amende de 100 000 $, aux dépens entre parties
et aux dépens des demanderesses calculées comme
entre avocat et client.
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