A-1336-84
Commission canadienne des droits de la personne
(appelante)
c.
Julie Dalton; Canadian Pacifie Airlines Limited;
Fraternité des commis de chemin de fer et de
lignes aériennes, Conseil de réseau n° 435 et
Bianca Peruzza [sic] (intimées)
RÉPERTORIÉ: DALTON C. COMMISSION CANADIENNE DES
DROITS DE IA PERSONNE (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Ryan—
Toronto, 3 décembre; Ottawa, 16 décembre 1985.
Droits de la personne — Appel est interjeté d'une décision
par laquelle la Division de première instance a accordé un
jugement déclaratoire et une injonction — À l'origine, la
convention collective prévoyait que, en cas d'identité de tous
les autres facteurs, l'âge serait le critère déterminant de l'an-
cienneté — Modification subséquente faisant du processus de
sélection au hasard le critère déterminant pour les employés
embauchés par la suite — Dépôt par l'employée d'une plainte
portant que la détermination de l'ancienneté selon l'âge consti-
tue un acte discriminatoire — L'employeur, le syndicat et la
plaignante ont conclu un règlement, approuvé par la Commis
sion, prévoyant la révision de la liste d'ancienneté conformé-
ment à la modification apportée à la convention collective —
L'intimée Dalton s'est vue assigner un rang inférieur — Le
juge de première instance a déclaré le règlement invalide parce
qu'il y avait eu déni de justice naturelle, Dalton n'ayant pas
été avisée et n'ayant pas eu la possibilité de se faire entendre
avant que la Commission n'approuve le règlement — Appel
accueilli — Les droits de Dalton sont touchés par le règlement
et non par l'approbation qu'a donnée la Commission — Le rôle
de la Commission consiste à déterminer si le règlement per-
mettait d'indemniser adéquatement la victime et s'il empêchait
la répétition de l'acte illicite — Loi canadienne sur les droits
de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3(1) (mod. par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 2), 7b) (mod., idem, art.
3), 9(1)c) (mod., idem, art. 4), 10a) (mod., idem, art. 5), b), 38
(mod. idem, art. 18).
Relations du travail — Dépôt d'une plainte selon laquelle la
détermination de l'ancienneté selon l'âge constitue un acte
discriminatoire contraire à la Loi canadienne sur les droits de
la personne — L'employeur, le syndicat et la plaignante. ont
conclu un règlement, approuvé par la Commission, prévoyant
la révision de façon rétroactive de l'ancienneté selon le proces-
sus de la sélection au hasard — A première vue, un agent
certifié a le pouvoir de renégocier une modalité d'une conven
tion collective sans avoir à consulter tous les employés qui sont
susceptibles d'être touchés — L'art. 136.1 du Code prescrit les
obligations du syndicat — L'intérêt du syndicat n'est pas
contraire à celui de l'employée — Son intérêt est de modifier
la convention collective pour empêcher qu'un motif de discri
mination illicite ne soit utilisé dans l'établissement de l'an-
cienneté — Impossibilité d'identifier à l'avance les employés
susceptibles d'être désavantagés — Le syndicat a agi de
manière juste et équitable — Code canadien du travail, S.R.C.
1970, chap. L-1, art. 136.1 (mod. par S.C. 1984, chap. 39, art.
28).
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — L'employeur, le syndicat et la plaignante ont
conclu un règlement, approuvé par la Commission, prévoyant
la révision de la liste d'ancienneté de façon rétroactive — Le
juge de première instance a statué qu'il y avait eu déni de
justice naturelle parce que l'employée n'avait pas été avisée et
n'avait pas eu la possibilité de se faire entendre avant que la
Commission des droits de la personne n'approuve le règlement
— Appel accueilli — Les droits de l'employée sont touchés par
le règlement et non par l'approbation de la Commission — Le
juge de première instance a commis une erreur en tenant
compte des conséquences que pourrait avoir l'inobservation des
conditions du règlement lors de poursuites intentées en vertu
de l'art. 46 de la Loi — Action civile — Loi canadienne sur les
droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 46.
Il s'agit d'un appel formé à l'encontre d'une décision de la
Division de première instance. Une convention collective pré-
voyait que, en certaines circonstances, l'ancienneté serait déter-
minée en fonction de l'âge. La convention collective a ultérieu-
rement été modifiée de façon à ce que l'ancienneté des
employés embauchés par la suite soit déterminée selon le
processus de sélection au hasard. Une plainte a été déposée
selon laquelle la détermination de l'ancienneté en fonction de
l'âge constitue un acte discriminatoire. L'employeur, le syndi-
cat et la plaignante ont conclu un règlement, approuvé par la
Commission, prévoyant la révision de la liste d'ancienneté
conformément à la modification. L'intimée Dalton s'est vue
assigner un rang inférieur. Elle a intenté des poursuites afin
d'obtenir un jugement déclaratoire portant que la décision de la
Commission était sans effet pour ce qui est des modifications
rétroactives apportées à la liste d'ancienneté, une injonction
interdisant de réviser la liste d'ancienneté et ses dépens. Le juge
de première instance a accueilli l'action de Dalton parce que,
selon lui, les règles de la justice naturelle exigeaient de la
Commission qu'elle avise Julie Dalton et lui donne la possibilité
de se faire entendre avant d'approuver un règlement qui touche
son ancienneté. Il a également statué que, en raison des sanc
tions prévues à l'article 46 pour inobservation des conditions
d'un règlement, le règlement doit être interprété de manière
stricte et que, ainsi interprété, il ne permet pas le réajustement
de la liste d'ancienneté.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge de première instance a commis une erreur en consi-
dérant comme très important le fait qu'en vertu de l'article 46
de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'inobserva-
tion est une infraction. Il s'agissait d'une action civile. L'inten-
tion claire des parties au règlement était établie par une preuve
incontestée, admissible et extrinsèque. La liste d'ancienneté
devrait être révisée conformément à la proposition du syndicat,
laquelle avait été acceptée par l'employeur et par l'employée, et
non d'après une interprétation littérale des modalités du règle-
ment. De plus, ce sont l'employeur et le syndicat qui sont
passibles d'amendes, non les tierces parties comme Julie
Dalton.
Le juge de première instance a commis une erreur en sta-
tuant qu'il y a eu déni de justice naturelle parce que la
Commission n'a pas donné à Dalton la possibilité de se faire
entendre avant d'approuver le règlement. Ce n'est pas l'appro-
bation de la Commission qui a affecté les droits d'ancienneté de
Dalton, mais seulement le règlement. La Commission n'était
pas tenue, en rendant sa décision, de lui donner la possibilité de
se faire entendre. Les seules fonctions de la Commission consis-
taient à déterminer si le règlement permettait d'indemniser
adéquatement la plaignante et s'il empêchait, pour l'avenir, la
répétition de l'acte discriminatoire illicite.
Le syndicat était autorisé à négocier la modification sans
fournir à Dalton la possibilité de participer aux négociations.
La seule exception à ce droit prima facie se présenterait si le
syndicat agissait de manière arbitraire, discriminatoire ou de
mauvaise foi, en contravention de l'article 136.1 du Code
canadien du travail. Les causes mentionnées, où le syndicat
n'était pas en mesure de représenter de bonne foi les employés,
sont différentes. Dans ces affaires, les intérêts du syndicat
étaient opposés à ceux de l'employé. En l'espèce, le syndicat
n'avait aucun intérêt opposé à celui de Dalton. Il visait seule-
ment à conclure un règlement avec la plaignante et à modifier
la convention collective de façon à ce qu'elle cesse de prévoir un
motif de discrimination illicite. Il était impossible d'identifier à
l'avance, les employés ou les groupes qui seraient avantagés ou
désavantagés. Le syndicat a représenté équitablement et de
bonne foi les employés susceptibles d'être désavantagés.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hoogendoorn v. Greening Metal Products and Screening
Equipment Company et al., [1968] R.C.S. 30; Appleton
c. Eastern Provincial Airways Ltd., [1984] I C.F. 367
(C.A.); Re Winnipeg Police Association et al. and City of
Winnipeg et al. (1980), 110 D.L.R. (3d) 196 (C.A.
Man.).
AVOCATS:
Russell G. Juriansz et J. R. Hendry pour
l'appelante.
George A. Lane pour l'intimée Julie Dalton.
Katharine F. Braid pour l'intimée CP Air.
Donald W. Muldoon pour l'intimée la Frater-
nité des commis de chemin de fer et de lignes
aériennes, Conseil de réseau n° 435.
A COMPARU:
Bianca Perruzza pour son propre compte.
PROCUREURS:
Avocat général, Commission canadienne des
droits de la personne, Ottawa, pour l'appe-
lante.
Keyser/Mason/Coleman/MacTavish & Lewis,
Mississauga, Ontario, pour l'intimée Julie
Dalton.
Contentieux du Canadien Pacifique, Toronto,
pour l'intimée CP Air.
P. Michael Bolton & Assoc., Vancouver, pour
l'intimée, la Fraternité des commis de chemin
de fer et de lignes aériennes, Conseil de réseau
n° 435.
L'INTIMÉE POUR SON PROPRE COMPTE:
Bianca Perruzza.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est interjeté d'une
décision par laquelle la Division de première ins
tance [[1985] 1 C.F. 37] a accordé un jugement
déclaratoire et une injonction dans une action
intentée par l'intimée, Julie Dalton, relativement à
une modification des clauses d'ancienneté de la
convention collective régissant son emploi par l'in-
timée, Canadien Pacific Airlines Limited, ci-après
appellée «CP Air». CP Air et l'intimée, la Frater-
nité des commis de chemin de fer et lignes aérien-
nes, Conseil de réseau n° 435, ci-après appellée «le
syndicat», avaient donné leur accord à cette modi
fication, et l'appelante, ci-après appellée «la Com
mission» l'avait approuvée conformément à l'arti-
cle 38 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, S.C. 1976-77, chap. 33, par suite d'une
plainte formée par l'intimée Bianca Perruzza, éga-
lement une employée de CP Air. Le syndicat, qui
est une «association d'employés» aux termes de la
Loi, était, pendant toute la période pertinente,
dûment certifié à titre d'agent négociateur de
l'unité de négociation à laquelle appartenaient
Julie Dalton et Bianca Perruzza.
La clause en litige devait être incorporée dans la
convention collective parce qu'il est fréquent qu'à
la suite d'un cours de formation, un groupe de
nouveaux employés soient embauchés à la même
date, et qu'il faille alors déterminer l'ancienneté
relative des membres de chacun des groupes.
Au moment où Bianca Perruzza a été engagée,
le 4 mai 1981, la convention collective prévoyait:
[TRADUCTION] 7.08 Au cas où plus d'un employé appartenant
à la même classification d'ancienneté auraient la même date
d'ancienneté, l'employé ayant travaillé le plus longtemps sera
considéré comme le plus ancien; advenant un nombre égal
d'années de service, l'employé le plus âgé sera considéré comme
le plus ancien.
Les conventions collectives précédentes compor-
taient une disposition similaire qui s'appliquait
avant et après l'entrée en vigueur des dispositions
pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de
la personne, le 1er mars 1978. En octobre 1982, la
convention 22 a maintenu en vigueur la disposition
déjà citée, et ce qui suit a été ajouté à l'article
7.08:
[TRADUCTION] La détermination du classement selon l'ancien-
neté des employés qui sont engagés après la signature de la
convention 22, qui appartiennent à la même classification
d'ancienneté et qui ont le même nombre d'années de service
sera faite selon le processus de sélection au hasard.
Le 10 février 1983, Bianca Perruzza a saisi la
Commission d'une plainte portant que la détermi-
nation de son ancienneté et la mise à pied projetée
qu'elle entraîne, sur le fondement de cette disposi
tion constituaient des actes discriminatoires con-
traires à la Loi. Les dispositions pertinentes de la
Loi [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art.
2, 3, 4, 5] sont les suivantes:
3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de
distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe,
l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne
graciée ou la déficience.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
9. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'associa-
tion d'employés
c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à
l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une conven
tion collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'associa-
tion, des restrictions, des différences ou des catégories ou de
prendre toutes autres mesures susceptibles
(i) de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement,
ou
(ii) de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou,
d'une façon générale, de nuire à sa situation
pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
La Commission a commencé une enquête sur la
plainte. Préalablement à la constitution d'un tribu
nal des droits de la personne, CP Air et le syndi-
cat, ainsi que Bianca Perruzza, ont convenu du
règlement suivant:
[TRADUCTION] 1. En consultation avec le bureau régional de
l'Ouest de la Commission canadienne des droits de la personne,
BRAC établira une liste d'ancienneté révisée fondée sur l'appli-
cation rétroactive de l'article 7.08 de la convention n° 22, et
présentera ladite liste à CP Air pour que celle-ci l'adopte.
2. ci' Air adoptera la liste d'ancienneté révisée mentionnée au
paragraphe 1. ci-dessus.
3. Au cas où la révision indiquée aux paragraphes 1. et 2.
ci-dessus attribuerait à Bianca Perruzza un rang d'ancienneté
plus élevé que celui qu'elle occupe actuellement, CP Air et
BRAC partageront le remboursement du salaire qu'elle a perdu
en raison de son ancienneté antérieure inférieure.
Il était de toute évidence inutile d'incorporer l'en-
semble de l'article 7.08, tel qu'il existait, au règle-
ment. L'application de son premier paragraphe
prescrivait un acte discriminatoire. La conduite
subséquente du syndicat, de CP Air et de la Com
mission indique uniquement que le but du règle-
ment était de modifier de façon rétroactive l'article
7.08 pour qu'il ait l'effet suivant:
[TRADUCTION] Au cas où un ou plus d'un employé appartenant
à la même classification d'ancienneté aurait la même date
d'ancienneté, l'employé ayant travaillé le plus longtemps sera
considéré comme le plus ancien, et le classement des employés
qui ont le même nombre d'années de service sera fait selon le
processus de sélection au hasard.
Le règlement a été soumis à la Commission qui,
conformément à l'article 38 [mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 143, art. 18] de la Loi, y a
donné son approbation.
38. (1) Les parties qui conviennent d'un règlement à toute
étape postérieure au dépôt de la plainte mais avant le début de
l'audience d'un tribunal des droits de la personne, doivent en
présenter les conditions à l'approbation de la Commission.
(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission
certifie sa décision et la communique aux parties.
46. (1) Est coupable d'une infraction quiconque:
a) ne se conforme pas aux conditions approuvées et certifiées
par la Commission en vertu de l'article 38;
(2) Quiconque est reconnu coupable d'une infraction prévue
au paragraphe (1) est passible, sur déclaration sommaire de
culpabilité,
a) d'une amende maximale de cinquante mille dollars, dans
le cas d'un employeur, d'une association patronale ou d'une
association d'employés, ou
b) d'une amende maximale de cinq mille dollars, dans les
autres cas.
Julie Dalton, qui avait été classée au mille deux
cent vingt-septième rang sur la liste d'ancienneté,
a été reclassée au mille deux cent trentième rang
par suite de la modification. Alors qu'elle avait été
classée deuxième d'un groupe de onze personnes
engagées le 20 mai 1980, le processus de la sélec-
tion au hasard l'a fait reculer au cinquième rang.
Elle a intenté des poursuites afin d'obtenir a) un
jugement déclaratoire portant que la décision ou
l'ordonnance de la Commission était sans effet
pour ce qui est des modifications rétroactives
apportées à la liste d'ancienneté; b) une injonction
interdisant à CP Air et au syndicat de réviser la
liste d'ancienneté existante ou de la modifier de
quelqu'autre manière en application de la décision
ou de l'ordonnance de la Commission et c) ses
dépens. Il faut souligner que les faits de l'espèce
sont entièrement établis par un exposé conjoint des
faits; aucune défense n'a été déposée, aucun témoi-
gnage oral n'a été entendu et aucune question de
crédibilité ne se pose.
Le juge de première instance a tiré un certain
nombre de conclusions, lesquelles ne sont pas
toutes contestées dans le présent appel. J'estime
que la présente Cour se doit d'indiquer clairement
qu'elle ne se prononce pas sur celles-ci et, en
particulier, sur la conclusion selon laquelle la
modification de la convention collective, si elle
avait eu un effet quelconque, aurait modifié les,
rangs assignés sur la liste d'ancienneté établie
avant le ler mars 1978, date à laquelle les disposi
tions pertinentes de la Loi sont entrées en vigueur.
Ni Julie Dalton, ni Bianca Perruzza ne sont des
personnes dont le rang aurait été modifié. La
question pourrait devoir être tranchée, peut-être
lors de procédures intentées devant un autre tribu
nal, si la mise en vigueur de cette modification a
effectivement cet effet et si une personne touchée
par cette mesure dépose une plainte.
Le juge de première instance a en fait conclu
que:
1. Les règles de justice naturelle et d'équité exigent de la
Commission qu'elle avise Julie Dalton et lui donne la possibilité
de se faire entendre avant d'approuver un règlement qui touche
son ancienneté; cette obligation n'est pas écartée du fait que le
syndicat est l'agent négociateur de Julie Dalton et qu'il n'est
pas tenu, en vertu de ses statuts, d'obtenir la ratification de la
convention collective par ses membres.
2. Vu les infractions et les amendes prévues par l'article 46 de
la Loi pour le défaut de se conformer aux conditions d'un
règlement approuvé et certifié en vertu de l'article 38, le
règlement doit être interprété de manière stricte et, ainsi inter-
prété, il ne permet pas le réajustement projeté de la liste
d'ancienneté.
Par conséquent, il a été interdit à CP Air et au
syndicat d'appliquer le règlement; on a déclaré
qu'il ne permettait pas le réajustement de la liste
d'ancienneté et que, dans la mesure où il visait à
altérer les droits d'ancienneté de Julie Dalton, il
était sans effet, cette dernière n'ayant pas été
avisée et n'ayant pas eu la possibilité de se faire
entendre.
Pendant l'audition de l'appel, seule Julie Dalton
s'est opposée à l'appelante qui conteste les deux
conclusions susmentionnées et qui demande que
l'appel soit accueilli et que l'action soit rejetée avec
dépens. Le syndicat s'est entièrement rallié à la
thèse de l'appelante. CP Air ne s'est pas prononcée
sur le fond, demandant seulement que, si l'appel
était accueilli, on lui accorde un délai de quatorze
jours pour donner suite à la nouvelle liste d'ancien-
neté. Bianca Perruzza était présente, mais elle ne
s'est pas prévalue de la possibilité qui lui était
offerte de présenter des observations.
Quant à la seconde conclusion du juge de pre-
mière instance, celui-ci a fait remarquer que «cet
argument ne faisait pas partie de la preuve présen-
tée par la demanderesse». Julie Dalton n'a pas
essayé de le soutenir devant nous. Tout simple-
ment, c'est que la procédure dont était saisi le juge
de première instance était une action civile. L'in-
tention claire des parties au règlement était pleine-
ment établie par une preuve incontestée, admissi
ble, et extrinsèque. La pièce G de l'exposé conjoint
des faits, qui est la proposition du syndicat à
laquelle Bianca Perruzza et CP Air ont donné leur
accord et dont l'approbation a été recommandée à
la Commission par son enquêteur, est ainsi
rédigée:
[TRADUCTION] Le but de la présente est de vous aviser que le
syndicat propose de réviser de façon rétroactive les dates d'an-
cienneté de tous les membres dont l'ancienneté était déterminée
par l'âge. Les nouvelles dates seront fixées au moyen du
processus de sélection par hasard.
Toutefois, aucun membre ne sera touché de manière rétroactive
par suite de ce changement, à l'exception de Mme Bianca
Perruzza qui a été mise à pied en raison de son âge.
Le syndicat accepte de partager avec CP Air les frais engagés
et espère que cela réglera la plainte.
La liste d'ancienneté devait effectivement être réa-
justée conformément à cette proposition et non
d'après une interprétation littérale des modalités
du règlement. Le juge de première instance a
commis une erreur en statuant que pour interpré-
ter correctement le règlement pour les fins de la
présente action, il fallait tenir compte des effets
qu'il pourrait avoir s'il était interprété littérale-
ment lors de poursuites criminelles consécutives à
son inobservation.
Je vais maintenant examiner la première conclu
sion. Après le dépôt de la plainte de Bianca Per-
ruzza, CP Air et le syndicat étaient désormais
conscients que la convention collective comprenait
une disposition impliquant manifestement un acte
discriminatoire non seulement à l'égard de Bianca
Perruzza, mais également à l'égard de tous les
employés dont l'ancienneté avait été établie par
l'âge, du moins depuis le 1 °r mars 1978. La liste
d'ancienneté devait être réajustée par une formule
n'impliquant pas d'acte discriminatoire. Peu
importe la formule choisie, il était certain que
toute amélioration de la position d'un employé sur
la liste nuirait à la position d'au moins un autre
employé.
À première vue, un agent négociateur certifié a
le pouvoir de renégocier une modalité d'une con
vention collective sans avoir à consulter tous les
employés qui sont susceptibles d'être touchés par
la modification. Il existe cependant une exception.
Dans la présente espèce, l'exception se présenterait
si, à l'égard des employés qu'il représente, l'agent
négociateur n'avait pas respecté, dans les faits, les
exigences de l'article 136.1 du Code canadien du
travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C.
1984, chap. 39, art. 28)], ou si, dans les circons-
tances, on ne pouvait considérer qu'il les avaient
respectées.
136.1 Le syndicat ou ses représentants ayant fonction d'agent
négociateur d'une unité de négociation ne peuvent pas agir de
manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi envers
quelque employé de l'unité quant à leurs droits dans le cadre de
la convention collective qui leur est applicable.
Une des causes qui fait autorité sur cette question
est l'arrêt Hoogendoorn v. Greening Metal Pro
ducts and Screening Equipment Company et al.,
[1968] R.C.S. 30. Il suffit pour exposer les faits et
la conclusion de cette affaire de citer l'extrait
suivant tiré de la page 39:
[TRADUCTION] Il était inutile que le syndicat et la compagnie
aient recours à l'arbitrage. Tous deux comprenaient très bien et
étaient d'accord que la convention collective obligeait Hoogen-
doorn à remplir la formule requise autorisant la déduction des
cotisations syndicales mensuelles versées par les membres du
syndicat et à la remettre à la compagnie. Le syndicat et la
compagnie voulaient tous deux qu'il le fasse. Il n'était pas
nécessaire d'avoir recours à l'arbitrage pour décider que Hoo-
gendoorn était tenu de le faire. Tous deux savaient qu'il s'y
refusait catégoriquement. La procédure visait à obtenir le
congédiement de Hoogendoorn en raison de son refus soit
d'adhérer au syndicat soit de payer les cotisations. On ne peut
dire que Hoogendoorn était représenté par le syndicat lors de la
procédure d'arbitrage. Le syndicat a pris activement une atti
tude défavorable à Hoogendoorn; il voulait qu'il soit congédié.
Dans la cause Appleton c. Eastern Provincial Air
ways Ltd., [1984] 1 C.F. 367 (C.A.), la présente
Cour s'est penchée sur une situation similaire ou
un agent négociateur représentait un groupe d'em-
ployés possédant des intérêts diamétralement
opposés aux siens. Dans cette affaire, le Conseil
canadien des relations de travail avait tenu une
audition afin d'enquêter sur des allégations selon
lesquelles l'employeur n'avait pas négocié de bonne
foi parce qu'il avait entre autres tenté d'attribuer
aux remplaçants embauchés pendant une grève
une ancienneté plus grande qu'aux grévistes. Les
deux groupes étaient représentés par le même
syndicat.
Dans la cause Re Winnipeg Police Association
et al. and City of Winnipeg et al. (1980), 110
D.L.R. (3d) 196, la Cour d'appel du Manitoba a
examiné une procédure de grief comportant trois
étapes: premièrement, examen de la question par
le chef de police; deuxièmement, examen par les
commissaires de la ville et, finalement, l'arbitrage
lui-même. La Cour a vu des différences importan-
tes entre chacune des trois étapes et a déclaré, à la
page 210:
[TRADUCTION] Les règles de justice naturelle obligent à
donner un avis suffisant préalablement à la tenue d'une audi
tion d'un conseil arbitral lorsque la question en litige vise les
droits d'un employé particulier ou d'un groupe d'employés.
C'est ce qui ressort du jugement de la majorité dans la cause
Re Hoogendoorn . Il me semble toutefois qu'il existe une
différence fondamentale entre une audition d'arbitrage et les
réunions qui la précèdent visant à résoudre le litige.
À mon avis, les étapes 1 et 2 de la procédure se veulent des
procédures informelles au cours desquelles l'employeur et le
syndicat ouvrier s'efforceront sérieusement de régler les griefs
et d'échapper ainsi à l'obligation de tenir une audience arbitrale
formelle. Le processus de règlement qui est implicite dans les
étapes 1 et 2 de la procédure de grief est un processus de
discussion, de négociation et de coopération plutôt qu'une
procédure judiciaire ou quasi judiciaire.
Puisque le règlement d'un grief pouvait avoir lieu
préalablement à l'arbitrage et entraîner des consé-
quences néfastes pour un employé particulier ou
un groupe d'employés, il semble que la portée de
ce jugement est de les priver du droit à une
représentation distincte au cours de négociations
entre le syndicat et l'employeur. En l'espèce, seul
l'article 136.1 du Code impose au syndicat une
obligation envers Julie Dalton.
Dans les affaires Hoogendoorn et Appleton,
l'agent négociateur ne pouvait représenter, de
bonne foi, un membre ou un groupe identifié de
membres devant un tribunal au cours de procédu-
res visant à déterminer leurs droits ou leurs obliga
tions, ou les deux. Dans chacun de ces cas, ses
propres intérêts étaient opposés aux leurs, ce qui
n'était pas le cas en l'espèce. Le syndicat n'avait
aucun intérêt opposé à ceux de Julie Dalton. Son
seul intérêt était de parvenir à un règlement avec
Bianca Perruzza et de modifier la convention col
lective de manière à ce que celle-ci cesse de prévoir
un motif de distinction illicite dans le processus de
détermination de l'ancienneté. Même s'il était à
peu près mathématiquement certain que, quelle
que soit la modification adoptée, certains individus
seraient désavantagés tandis que d'autres seraient
avantagés, aucun d'entre eux ne pouvaient être
identifié à l'avance, que ce soit individuellement ou
en tant que groupe. On ne peut vraiment pas dire
que le syndicat n'a pas, en fait, représenté de
bonne foi les employés qui étaient susceptibles
d'être désavantagés par suite de la négociation
d'une nouvelle clause d'ancienneté, de même qu'il
était impossible de dire, à l'avance, qu'il ne pouvait
les représenter équitablement.
Quoi qu'il en soit, ce qui a été plaidé et ce que le
juge de première instance a décidé, c'est que le
déni de justice naturelle vient de ce que la Com
mission n'a pas donné à Julie Dalton la possibilité
de se faire entendre avant d'approuver le règle-
ment, et non du fait qu'elle a été écartée des
négociations entre CP Air et le syndicat. Cette
décision est sans fondement à moins que l'approba-
tion par la Commission du règlement ne constitue
une décision, indépendante du règlement, qui
affecte les droits de Julie Dalton. A mon avis, il ne
s'agissait pas d'une décision de ce genre. Ses droits
ont été affectés par le règlement et non par l'ap-
probation qu'en a faite la Commission.
Sans essayer de déterminer les facteurs que la
Commission pourrait prendre en considération
lorsqu'elle décide de l'application ou du rejet d'un
règlement, il me semble que, en l'espèce, ses seules
fonctions consistaient à déterminer si le règlement
permettait d'indemniser adéquatement la plai-
gnante, Bianca Perruzza, et s'il empêchait, pour
l'avenir, la répétition de l'acte discriminatoire illi-
cite. Je ne crois pas que les règles de justice
naturelle garantissent à Julie Dalton la possibilité
de se faire entendre sur l'une ou l'autre de ces
questions.
Je répète qu'en décidant que les tierces parties
auraient dues être avisées et qu'on aurait dû leur
donner la possibilité de se faire entendre, le juge de
première instance paraît avoir considéré comme
très important le fait qu'en vertu de l'article 46,
l'inobservation des conditions visées à l'article 38
est une infraction. La pertinence de ce fait
m'échappe. Ce sont CP Air et le syndicat qui sont
passibles d'amendes, non les tierces parties comme
Julie Dalton.
En résumé, les droits d'ancienneté de Julie
Dalton, lesquels, pour les fins du présent appel, je
reconnais être des droits de propriété, ont été
altérés par suite de la modification de la conven
tion collective régissant son emploi. Son agent
négociateur était autorisé à négocier la modifica
tion sans lui fournir l'occasion de participer aux
négociations. Ces droits n'ont pas été touchés par
l'approbation par la Commission du règlement
prévoyant la modification de la convention collec
tive, cette démarche signifiant uniquement, en l'es-
pèce, que la Commission devait s'assurer de la
conformité des règlements avec la Loi canadienne
sur les droits de la personne. La décision de la
Commission n'a pas défini les droits ou les obliga
tions de Julie Dalton, et la Commission n'était pas
tenue, en décidant s'il y avait lieu d'approuver le
règlement, de fournir à Julie Dalton la possibilité
de se faire entendre.
Le jugement de première instance a accordé à
Julie Dalton ses dépens. Dans son mémoire, la
Commission a demandé à ce que l'appel soit
accueilli et que l'action soit rejetée avec dépens. À
part cela, la question des dépens n'a pas été abor-
dée en termes exprès. Il ressort du dossier que ni le
syndicat ni Bianca Perruzza n'ont comparu ou
n'étaient représentés à l'instance.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel et de condam-
ner Julie Dalton à verser à la Commission les
dépens de l'action, en appel et en première ins
tance, si celle-ci en fait la demande. Je rejetterais
en outre l'action et j'annulerais l'adjudication des
dépens en première instance.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
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