T-368-84
Banque fédérale de développement (demande-
resse)
c.
Le navire «Winder 4135», Eiger Booming Ltd., et
Paul Arnold Beltgens (défendeurs)
c.
Workers' Compensation Board de la Colombie-
Britannique (intimée)
RÉPERTORIÉ: BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT C.
«WINDER 4135» (LE)
Division de première instance, juge Walsh—Van-
couver, 9 et 11 avril 1984.
Droit maritime — Privilèges et hypothèques — Requête
visant à obtenir une ordonnance déterminant la priorité de
rang au sujet du produit de la vente du navire aWinder 4135»
— La demanderesse détient une hypothèque enregistrée sur le
navire le 11 février 1981 — Le propriétaire dudit navire, Eiger
Booming Ltd., est un employeur enregistré conformément à la
Workers Compensation Act de la Colombie-Britannique —
L'intimée, la Workers' Compensation Board, a déposé des
certificats contre la défenderesse parce qu'elle n'a pas versé les
cotisations prévues à la Loi — Le navire a été saisi le 31 août
1981 à la suite du dépôt des certificats et il a été mis en vente
— L'intimée a cherché à faire confirmer la vente au co-défen-
deur Beltgens — La demanderesse voulait faire interdire toute
transaction relative au navire jusqu'à la réalisation de l'hypo-
thèque — Une créance fondée sur une loi provinciale a-t-elle
priorité sur une créance reconnue en vertu du droit maritime
canadien? — Cette question n'a jamais été auparavant exami
née dans des affaires de droit maritime au Canada ou en
Angleterre — Il n'existe aucune loi fédérale réglementant
l'ordre de priorité bien que celui-ci fasse partie du droit
maritime canadien — La Workers Compensation Act confère
un privilège qui a priorité sur tous les autres privilèges,
charges ou hypothèques peu importe le moment de leur créa-
tion — L'omission du législateur fédéral d'adopter des dispo
sitions législatives donnant priorité n'a pas créé un champ
inoccupé permettant l'application de la législation provinciale
— La Commission (Board) ne détenait aucun droit précis sur
le navire en vertu de la saisie — Adoption du principe énoncé
dans U.S. v. Flood — Au lieu de découler des actes du
propriétaire, les créances maritimes portent sur le navire lui-
même comme instrument de commerce — La jurisprudence
américaine a établi la primauté des privilèges maritimes sur
les créances garanties non maritimes — L'hypothèque prend
rang avant la créance à l'encontre de l'employeur — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 22(2)a) —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474
(mod. par DORS/79-57, art. 14) — Workers Compensation
Act, R.S.B.C. 1979, chap. 437, art. 45, 49, 52(1) — Loi sur la
marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9,
art. 44.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — DrOit maritime — Ordre de priorité entre une
créance fondée sur une loi provinciale et une créance maritime
en ce qui concerne la répartition du produit de la vente du
navire — Aucune loi fédérale ne fixe l'ordre de priorité mais il
est reconnu que celui-ci fait partie du droit maritime canadien
— La Cour fédérale a compétence en vertu de l'art. 22 de la
Loi pour trancher les questions de droit maritime, notamment
les demandes relatives au produit de la vente d'un navire —
L'ordre de priorité est une question visée à l'art 22(2)a) — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 22.
La présente requête vise à obtenir une ordonnance statuant
sur la question de la priorité de rang entre la Banque fédérale
de développement et la Workers' Compensation Board de la
Colombie-Britannique au sujet du produit de la vente du navire
Winder 4135. La demanderesse détient sur le navire Winder
4135 une hypothèque qui lui a été consentie par la défenderesse
Eiger Booming Ltd. L'hypothèque a été enregistrée le 11
février 1981 et est maintenant en souffrance. L'intimée, la
Workers' Compensation Board, a déposé des certificats le 17
novembre 1980 et le 11 septembre 1981 pour le solde dû par la
défenderesse sur les cotisations prélevées en vertu de l'article 45
de la Workers Compensation Act. À la suite du dépôt de ces
certificats, le navire a été saisi le 31 août 1981 et a été mis en
vente. Après qu'une offre a été faite, l'intimée a déposé une
requête devant la Cour de comté de l'Île de Vancouver afin
d'obtenir une ordonnance confirmant la vente au co-défendeur,
Paul Arnold Beltgens. Souhaitant réaliser son hypothèque, la
demanderesse a donné avis de son intention de demander,
conformément à l'article 44 de la Loi sur la marine marchande
du Canada, une ordonnance interdisant toute transaction rela
tive au navire ou à quelque part dans celui-ci jusqu'à nouvel
avis de la Cour. L'audition de cette requête a été reportée, les
parties s'entendant pour demander à la Cour fédérale du
Canada de trancher la question de la priorité de rang.
Jugement: la créance de la demanderesse, la Banque fédérale
de développement, a priorité sur celle de la Workers' Compen
sation Board.
La question de la priorité de rang entre une créance fondée
sur une loi et une créance maritime n'a jamais fait l'objet d'un
jugement rendu dans une affaire de droit maritime au Canada
ou en Angleterre. Même si aucune loi fédérale ne fixe l'ordre de
priorité, il est généralement reconnu que cet ordre fait partie du
droit maritime canadien. Suivant l'article 22 de la Loi sur la
Cour fédérale, la Cour fédérale a compétence pour statuer sur
toute question de droit maritime que la source de droit invoquée
soit une loi, un règlement ou la common law. C'est en établis-
sant une analogie avec des décisions traitant de l'ordre des
créances maritimes qu'il est possible de trancher le présent
litige.
Suivant le paragraphe 52(1) de la Workers Compensation
Act de la Colombie-Britannique, le privilège sur le navire
découlant du non-paiement des cotisations aurait priorité sur
tous les autres privilèges, charges ou hypothèques qu'ils existent
déjà ou qu'ils doivent être créés par la suite. Cependant, dans
l'ouvrage The Law of Admiralty de Gilmore et Black, il est dit
que les créances de caractère non maritime prennent rang après
tous les privilèges maritimes même lorsque la créance du
gouvernement donne lieu au privilège avant le privilège mari-
time. L'affaire U.S. v. Flood a établi le principe que [TRADUC-
TION] «le fondement théorique de la prééminence des créances
maritimes est qu'elles "portent sur le navire lui-même comme
instrument de commerce" tandis que les autres créances ne
découlent que des actes du propriétaire». De plus, contraire-
ment à l'hypothèque consentie à la demanderesse, le privilège
de l'intimée n'est pas enregistré contre le navire Winder 4135 et
il n'existait aucun droit précis sur le navire jusqu'au moment de
la saisie. Si on donnait la priorité à la créance de l'intimée, la
demanderesse n'aurait aucun moyen de se protéger contre les
créances non enregistrées dont elle ignore l'existence.
La Cour ne peut retenir l'argument de l'intimée qui prétend
que l'omission du législateur fédéral d'adopter des dispositions
législatives fixant l'ordre de priorité entraîne l'application du
droit provincial dans le présent litige. Étant donné que l'ordre
de priorité est reconnu en droit maritime canadien, le choix du
législateur de ne pas légiférer dans ce domaine ne crée pas un
champ inoccupé faisant passer les créances fondées sur des lois
provinciales avant les créances maritimes. L'hypothèque de la
demanderesse a priorité sur la créance de la Workers' Compen
sation Board.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
U.S. V. Flood, 247 F.2d 209 (1st Cir. 1957).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Associated Metals & Minerals Corp. c. L'«Evie W»,
[1978] 2 C.F. 710 (C.A.); Aris Steamship Co. Inc. c.
Associated Metals & Minerals Corporation, [1980] 2
R.C.S. 322; Comeau's Sea Foods Ltd. c. Le «Frank and
Troy», [1971] C.F. 556 (1' inst.); W.C.B. v. Kinross
Mtge. Corp., [1982] 1 W.W.R. 87 (C.A.C.-B.); Gulf
Coast Marine Ways v. The J.R. Hardee, 107 F.Supp. 379
(5th Cir. 1952); U.S. v. Jane B. Corp., 167 F.Supp. 352
(1st Cir. 1958); U.S. vs. «Cape Flattery I», 1972 A.M.C.
345 (W.D. Wash. 1972); Royal Bank of Canada v.
Workmen's Compensation Board of Nova Scotia, [1936]
R.C.S. 560; [1936] 4 D.L.R. 9; North West Life Assur.
Co. of Can. v. Westridge Const. Ltd. (1980), 21 B.C.L.R.
235 (C.S.); Eastern and Chartered Trust Company and
Perry Nelson Holmes Limited et al. (jugement non
publié de la Colombie-Britannique, rendu le 31 mars
1965); Workmen's Compensation Board v. Sumas Oil &
Gas Co., [1933] 2 W.W.R. 121 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Triglav, Zavarovalna Skupnost, (Insurance Community
Triglav Ltd.) c. Terrasses Jewellers Inc. et autre, [1983]
1 R.C.S. 283; Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire &
Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157.
AVOCATS:
John W. Bromley pour la demanderesse.
Personne n'a comparu pour les défendeurs.
G. W. Massing pour l'intimée.
PROCUREURS:
Ray, Connell, Lightbody; Reynolds & Heller,
Vancouver, pour la demanderesse.
G. W. Massing, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Sur requête datée du 6 avril
1984, présentée par la demanderesse, visant à
obtenir que la Cour rende une ordonnance «sta-
tuant sur la question de la priorité de rang entre la
Banque fédérale de développement et la Workers'
Compensation Board de la Colombie-Britannique,
au sujet du produit de la vente du navire "Winder
4135", conformément à la Règle 474 des Règles
de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663 (mod. par
DORS/79-57, art. 14)]».
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Les faits sur lesquels la Cour doit se fonder pour
trancher cette question sont les suivants:
La Workers' Compensation Board de la Colom-
bie-Britannique ([TRADUCTION] Commission des
accidents du travail) a été ajoutée comme partie
intimée à la présente action de la demanderesse
par une ordonnance datée du 26 mars 1984. La
Cour a ordonné la saisie du navire Winder 4135 en
vertu de procédures in rem intentées le 20 février
1984. Aucune défense n'a été présentée à l'action.
Eiger Booming Ltd. est un employeur enregistré
conformément à la Partie I de la Workers Com
pensation Act' et a été enregistrée comme telle le
8 avril 1975, en vertu de la classification indus-
trielle du flottage du bois. C'est en conséquence de
cet enregistrement que des cotisations ont été per-
çues conformément à la Loi; les soldes dus sont les
suivants:
Solde des cotisations pour 1977 1 955,34 $
Solde des cotisations pour 1980 1 350,00 $
Solde des cotisations pour 1981 1 620,23 $
Cotisations de pénalisation 1 537,55 $
Cotisations de pénalisation mensuelles 1 890,62 $
Total 8 353,74 $
Le 26 janvier 1981, la défenderesse Eiger Booming
Ltd. a consenti à la demanderesse une hypothèque
au montant de 13 000 $ sur le navire ainsi qu'une
hypothèque mobilière sur certains de ses biens.
' R.S.B.C. 1979, chap. 437.
L'hypothèque maritime a été enregistrée au
bureau d'enregistrement des navires à Vancouver,
C.-B., le 11 février 1981. Cette hypothèque est
maintenant en souffrance et le montant dû et
exigible s'élève à 12 992,76 $, plus les intérêts au
taux de 18,25 % depuis le 24 octobre 1981.
Le 17 novembre 1980, la Workers' Compensa
tion Board a déposé un certificat, conformément à
l'article 45 de la Workers Compensation Act,
devant la Cour de comté de l'île de Vancouver,
greffe de Campbell River sous le numéro de greffe
251/80 au montant de 4 752,51 $, certificat qui est
devenu une ordonnance au moment de son dépôt.
Un bref de saisie et de vente a été lancé ce même
jour au greffe de Campbell River. Le 11 septembre
1981, devant la Cour de comté de l'île de Vancou-
ver, greffe de Nanaimo sous le numéro de greffe
CC4022, un autre certificat au montant de
3 601,23 $ a été déposé, en conséquence de quoi un
bref de saisie et de vente a été lancé.
Le 31 août 1981, le navire a été saisi sur le
fondement du jugement du 17 novembre 1980; sa
vente a été annoncée pour les 18 et 19 janvier
1982, et le défendeur Paul Arnold Beltgens a fait
une offre s'élevant à 11 000 $ pour l'achat dudit
navire. Le 30 janvier 1984, la Workers' Compen
sation Board a déposé un avis de requête devant la
Cour de comté de l'île de Vancouver, au greffe de
Campbell River, afin d'obtenir une ordonnance
confirmant la vente du navire Winder 4135 à M.
Beltgens.
Le 8 février 1984, la demanderesse a engagé les
présentes procédures devant cette Cour afin de
concrétiser l'hypothèque maritime de la banque, et
le 20 février 1984, elle a donné avis qu'elle deman-
derait une ordonnance interdisant toute transac
tion elative au navire ou à quelque partie de
celui-ci jusqu'à ce que la Cour ait rendu une autre
ordonnance conformément à l'article 44 de la Loi
sur la marine marchande du Canada [S.R.C.
1970, chap. S-9]. L'audition de cette requête a été
ajournée et, le 24 février 1984, les avocats de la
Banque fédérale de développement et de la Wor
kers' Compensation Board se sont entendus pour
que la question de la priorité de rang entre la
Banque et la Commission soit tranchée par la
Cour fédérale du Canada; en conséquence de cet
accord, la mainlevée de la saisie du navire Winder
4135 a été accordée. Le 26 mars 1984, la requête a
été accueillie comme suit:
[TRADUCTION] La requête est accueillie étant donné qu'il est
entendu que les deux parties acceptent que la question de la
priorité de rang soit tranchée par la Cour sans qu'il ne soit fait
renvoi aux procédures engagées devant la Cour de comté de
l'île de Vancouver, que la Workers Compensation Board de la
Colombie-Britannique, qui détient actuellement les fonds résul-
tant de la vente du navire conformément au jugement de ladite
Cour de comté, versera à la Banque fédérale de développement,
sous réserve de son droit d'appel, ces fonds ou partie de ceux-ci
comme pourra l'ordonner le jugement de la présente Cour, et
que les deux parties admettent que l'acheteur du navire confor-
mément au jugement de la Cour de comté de l'île de Vancouver
détient un titre de propriété valable et qu'elles consentent à ce
que la Cour de comté de l'île de Vancouver ordonne, par
jugement, au registrateur des navires d'effectuer ledit transfert
immédiatement après qu'une décision finale aura été rendue sur
la question de l'ordre de priorité des réclamations au sujet du
produit de la vente. Les dépens suivront le sort de la cause.
Pendant les plaidoiries sur cette requête visant à
déterminer la priorité de rang, l'avocat de la
demanderesse a fait remarquer qu'en conséquence
de cette entente, sa cliente n'aurait plus de recours
contre le navire en raison de son hypothèque une
fois que le titre de propriété aura été transféré à
l'acheteur, Paul Arnold Beltgens, qui recevrait le
navire libre de toute hypothèque, malgré le fait
que les annonces de la vente devant la Cour de
comté de l'île de Vancouver ne mentionnaient
aucunement que le navire était vendu libre de
toute charge; qu'en outre, si la vente avait été
effectuée devant cette Cour à la suite de l'enregis-
trement de l'hypothèque de la demanderesse, elle
n'aurait pas entraîné la libération de l'hypothèque,
peu importe la décision rendue sur la question de
la priorité de rang, à moins que ladite hypothèque
n'ait été acquittée en totalité. Étant donné ces
circonstances et cette entente, M. Beltgens n'était
pas représenté à l'audience, vu qu'il n'avait aucun
intérêt à l'égard de la manière dont les 11 000 $
qu'il avait versés pour le navire seraient répartis.
Il semble, selon les avocats des parties, que le
présent litige n'a jamais fait l'objet d'un jugement
rendu dans une affaire de droit maritime dans ce
pays ni d'ailleurs en Angleterre. Il ne fait aucun
doute que, en vertu de l'alinéa 22(2)a) de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10], la Cour fédérale a compétence relative-
ment à toute demande portant sur le titre, la
possession ou la propriété d'un navire ou d'un droit
de propriété partiel y afférent ou relative au pro-
duit de la vente d'un navire ou d'un droit de
propriété partiel y afférent. Dans l'arrêt Associa-
ted Metals & Minerals Corp. c. L'«Evie W» 2 , le
juge en chef Jackett, parlant au nom de la Cour
d'appel fédérale, a déclaré à la page 716 qu'«il
n'est pas facile de définir l'amirauté et de faire son
historique.» Il poursuit en mentionnant que des
aspects du droit de l'amirauté sont obscurs, et il est
d'avis [à la page 717] que (notamment):
c) le droit de l'amirauté coexiste avec d'autres législations
«provinciales» relatives à la propriété et aux droits civils, et
parfois les chevauche, et, au moins dans certains cas, l'issue
des procès varie suivant qu'on invoque l'une ou l'autre légis-
lation; et
d) le droit de l'amirauté ne fait pas partie intégrante du droit
municipal ordinaire des diverses provinces, et il est suscepti
ble d'être «révoqué, aboli ou modifié» par le Parlement du
Canada.
Ce jugement a été mentionné par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Triglav, Zavaro-
valna Skupnost, (Insurance Community Triglav
Ltd.) c. Terrasses Jewellers Inc. et autre, [1983] 1
R.C.S. 283, aux pages 300 à 302, qui mentionnait
le jugement du juge Ritchie de la Cour suprême
rendu dans l'arrêt Evie W 3 , où il déclare à la page
324 [citant Tropwood A.G. et autres c. Sivaco
Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157, à
la page 161]:
Il est important de remarquer que les chefs de compétence
énumérés au par. 22(2) sont alimentés, dans le cadre du droit
applicable, par le droit maritime canadien ou toute autre loi
du Canada en matière de navigation et de marine
marchande.
Vu cet arrêt, je suis convaincu que la conclusion
du juge en chef Jackett sur la question de la
compétence est bien fondée.
Il n'existe aucune loi fédérale fixant l'ordre de
priorité, mais il est généralement reconnu qu'il fait
partie du droit maritime canadien. Il semble
cependant qu'il n'existe aucun arrêt ayant tranché
la question de la priorité qu'il faut accorder à une
créance fondée sur une loi provinciale valide et à
son rang relativement aux créances reconnues en
vertu du droit maritime; c'est pourquoi, il n'est
possible de trancher le litige qu'en procédant par
analogie avec les différents arrêts traitant de l'or-
dre de priorité des créances en droit maritime. Cet
2 [1978] 2 C.F. 710 (C.A.).
3 [sous le nom de Anis Steamship Co. Inc. c. Associated
Metals & Minerals Corporation,] [ 1980] 2 R.C.S. 322.
ordre a été . clairement énoncé dans l'arrêt
Comeau's Sea Foods Ltd. c. Le «Frank and
Troy»°, où le juge suppléant Keirstead a déclaré
aux pages 557 et 558:
Les privilèges qui peuvent grever un navire, une cargaison ou
le fret d'un navire en vertu des principes du droit maritime
peuvent être classés de la façon suivante:
1. les privilèges maritimes;
2. les privilèges possessoires;
3. les privilèges légaux.
Il définit ensuite les privilèges maritimes et les
privilèges possessoires, qui ne peuvent s'appliquer à
la demande présentée par la Workers' Compensa
tion Board de la Colombie-Britannique. Il déclare
à la page 559 relativement aux privilèges légaux:
Un privilège légal diffère d'un privilège maritime sur deux
points:
(1) Le privilège légal ne court qu'à partir du jour de la
saisie-arrêt et dépend des réclamations déjà existantes sur la
chose: Voir l'affaire The Cella (1888) 13 P.D. 82, et
(2) Le privilège légal est annulé par la cession de bonne foi et
à titre onéreux des biens: Voir l'affaire The Henrich BjSrn
(1886) 11 A.C. 270.
Les privilèges légaux viennent après tous les privilèges mari-
times, les privilèges possessoires et les hypothèques enregistrées
qui existent à l'époque où le navire est saisi en vue de faire
valoir le privilège légal.
Même si on reconnaissait que le privilège que la
Workers' Compensation Board de la Colombie-
Britannique réclame en vertu de la Workers Com
pensation Act de la Colombie-Britannique est un
privilège valide grevant le navire, en vertu de cette
décision, il prendrait rang après les hypothèques
enregistrées qui existaient à l'époque où le navire a
été saisi en vue de faire valoir ledit privilège. En
l'espèce, l'hypothèque de la demanderesse a été
enregistrée le 11 février 1981, après le dépôt le 17
novembre 1980 du premier certificat de la Wor
kers' Compensation Board, mais avant le dépôt
le 11 septembre 1981 du second certificat et avant
la saisie du navire, le 31 août 1981, par application
du jugement de la Cour de comté de la Colombie-
Britannique en date du 17 novembre 1980.
L'article 45 de la Workers Compensation Act de
la Colombie-Britannique prévoit que, lorsqu'un
employeur fait défaut de payer une cotisation, la
Commission a le droit de le poursuivre; à la suite
de son enregistrement, un certificat indiquant la
somme qui reste impayée tient lieu d'un jugement
4 [1971] C.F. 556 (1" inst.).
de la cour contre cet employeur et peut être exé-
cuté pour la somme indiquée dans le certificat. Le
paragraphe 52(1) de la Loi porte:
[TRADUCTION] 52. (1) Nonobstant les dispositions de toute
autre loi, le montant dû par un employeur à la Commission ou,
lorsqu'il y eu cession conformément au paragraphe (4), à son
mandataire, sur une cotisation prélevée en vertu de la présente
Loi, ou sur une somme que l'employeur est tenu de payer à la
Commission aux termes de la présente Loi, ou sur un jugement
y afférent, constitue un privilège en faveur de la Commission ou
de sa cessionnaire, ayant priorité sur tous les autres privilèges,
charges ou hypothèques de toute personne, qu'ils existent déjà
ou qu'ils doivent être créés par la suite, relativement aux biens
réels, personnels et mixtes servant directement ou indirecte-
ment à l'industrie pour laquelle l'employeur a été cotisé ou le
montant est devenu exigible, ou au produit de leur vente,
exception faite des privilèges relatifs aux salaires dus aux
employés par leur employeur; le privilège sur le montant dû à la
Commission ou à sa cessionnaire continue à être valide et
exécutoire en ce qui concerne chaque cotisation jusqu'à l'expi-
ration d'un délai de cinq ans après la fin de l'année civile pour
laquelle la cotisation a été prélevée.
Selon la loi de la Colombie-Britannique, le privi-
lège de la Workers' Compensation Board a donc
priorité sur tous les autres privilèges, charges ou
hypothèques qu'ils existent déjà ou qu'ils doivent
être créés par la suite, et il semble qu'il s'applique
en l'espèce puisque le navire en question était un
bien servant indirectement à l'industrie pour
laquelle l'employeur a été cotisé. Évidemment, cela
ne confère pas à la Commission un droit d'action
in rem sur le navire comme le reconnaît le droit
maritime dans des actions intentées devant la Cour
fédérale. Les tribunaux de la Colombie-Britanni-
que ont ordonné à bon droit la saisie du navire
comme bien du débiteur tout comme n'importe
lequel autre bien du débiteur aurait pu être saisi et
était susceptible d'être grevé du privilège. En tant
que demande relative au produit de la vente d'un
navire, la question de l'ordre de priorité est du
ressort de la Cour par application de l'alinéa
22(2)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
La demanderesse établit une certaine analogie
avec l'arrêt W.C.B. v. Kinross Mtge. Corp. 5 dans
lequel il a été jugé que le privilège de la Workers'
Compensation Board était sans effet parce qu'un
privilège légal créé par une loi provinciale cessait
d'être valide et exécutoire lorsque le débiteur fai-
sait faillite. L'article 107 de la Loi sur la faillite
5 [1982] 1 W.W.R. 87 (C.A.C.-B.).
[S.R.C. 1970, chap. B-3] ne désignait pas la Com
mission comme créancier garanti et, par consé-
quent, sa créance n'a pas priorité sur la première
hypothèque. Cet arrêt était cependant fondé sur la
Loi sur la faillite et la Workers' Compensation
Board soutient que c'est ce qui la distingue de
l'espèce où il n'existe pas de dispositions législati-
ves fédérales fixant l'ordre de priorité des créances
pour la répartition du produit de la vente aux
termes de l'alinéa 22(2)a) de la Loi sur la Cour
fédérale.
La demanderesse a également invoqué plusieurs
décisions et textes de doctrine américains. Il est dit
dans Gilmore and Black 6 , à la page 758:
[TRADUCTION] Depuis le début des années cinquante, les tribu-
naux fédéraux d'instance inférieure ont, sans exception, statué
dans les cas relativement peu nombreux qui se sont présentés
que les créances de l'État fédéral, des gouvernements des
différents États et des gouvernements locaux étant de caractère
non maritime prennent rang après tous les privilèges maritimes
(y compris le privilège résultant d'une hypothèque privilégiée
sur un navire), que ces privilèges maritimes soient créés avant
ou après le moment où la créance gouvernementale donne lieu
au privilège ou à la priorité de rang en vertu de la loi de l'État
fédéral ou des différents États applicable. La campagne en
faveur d'une loi réparatrice a finalement entraîné l'adoption de
la Federal Tax Lien Act de 1966 (80 Stat. 1125 (1966), 26
U.S.C.A. art. 6323 et seq.) qui était destinée à accorder une
meilleure protection contre les créances fiscales du gouverne-
ment fédéral aux détenteurs de garanties et autres privilèges
que celle dont ils avaient bénéficié en vertu de la doctrine suivie
par la Cour suprême. En rédigeant la Loi de 1966, le Congrès
aurait fort bien pu conférer le statut de privilège maritime aux
créances fiscales grevant les navires et opposables à leurs
propriétaires. Étant donné que cette Loi ne contient aucune
disposition au sujet de ces créances fiscales, on peut raisonna-
blement présumer que le Congrès a décidé de respecter l'accord
unanime découlant des textes de jurisprudence et selon lequel
les créances fiscales étant de caractère non maritime, prenaient
rang après tous les privilèges maritimes.
Cette assertion est fondée sur divers jugements
rendus aux États-Unis dont Gulf Coast Marine
t Ways v. The J.R. Hardee 7 dans lequel on trouve
ceci à la page 385:
[TRADUCTION] Le «privilège naissant avant l'enregistrement
et l'endossement d'une hypothèque privilégiée» défini à l'alinéa
a)(1) désigne incontestablement un privilège maritime. Étant
donné que le privilège fiscal du gouvernement est de caractère
non maritime, je ne crois pas, même si un avis est déposé
conformément aux dispositions législatives de l'un des États,
qu'il a priorité sur les privilèges maritimes en général et
sûrement pas sur les privilèges maritimes créés en vertu de la
Ship Mortgage Act. Le Congrès n'a manifesté aucune intention
claire de lui accorder un tel statut.
6 The Law of Admiralty, 2 0 éd., p. 757.
7 107 F.Supp. 379 (5th Cir. 1952).
On peut examiner aussi l'arrêt U.S. v. Flood 8 où
il est déclaré aux pages 211 et 212:
[TRADUCTION] Le privilège du gouvernement pour le recou-
vrement des impôts est fondé sur les dispositions de l'article
3670 du Internai Revenue Code de 1939, 26 U.S.C.A., qui
porte:
«Si une personne assujettie au paiement de l'impôt néglige
ou refuse de payer cet impôt après que demande lui ait été
faite à cet effet, le montant dû (y compris l'intérêt, la
pénalité et tout montant additionnel s'ajoutant à celui de
l'impôt ainsi que tous les frais qui peuvent en outre s'accu-
muler) constitue un privilège en faveur des États-Unis sur
tous les biens ou droits sur des biens, réels ou personnels, que
possède cette personne.»
On trouve plus loin à la page 212:
[TRADUCTION] Tout au cours de la longue histoire du droit
maritime général, on a régulièrement accordé préférence aux
privilèges maritimes sur les créances garanties non maritimes
de toutes sortes, qu'elles soient antérieures ou subséquentes.
Voir par exemple, The Favorite, D.C.D.Or.1875, 8 Fed.Cas.
1104, N° 4699 (hypothèque subséquente); The J.E. Rumbell,
1893, 148 U.S. 1, 13 S.Ct. 498, 37 L.Ed. 345 (hypothèque
antérieure). Le fondement théorique de la prééminence des
créances maritimes est qu'elles «portent sur le navire lui-même
comme instrument de commerce» tandis que les autres créances
ne découlent que des actes du propriétaire.
Il a également été fait mention de deux décisions
où des tribunaux américains ont statué qu'une
créance fiscale venait après un privilège maritime
pour approvisionnement même si elle le précédait
dans le temps.
Ces décisions étaient mentionnées à la page 356
de l'affaire U.S. v. Jane B. Corp. 9 :
[TRADUCTION] L'article 3670, 26 U.S.C.A., ne donne pas
priorité à un privilège fiscal. Il s'agit manifestement d'un
privilège non maritime. United States v. Flood, précité. Il n'a
donc pas priorité sur une hypothèque privilégiée grevant un
navire, enregistrée postérieurement. Gulf Coast Marine Ways
v. The J.R. Hardee, D.C., 107 F.Supp. 379.
On a aussi mentionné l'affaire U.S. vs. «Cape
Flattery I» 10 , qui porte à la page 348:
[TRADUCTION] Le privilège fiscal du Comté de Clallam est
un privilège non maritime et comme tel, il ne confère pas le
droit de participer à la répartition du produit de la vente du
navire de la défenderesse tant que tous les privilèges maritimes
connus et existants n'auront pas été liquidés. United States vs.
Flood, 1957 A. M. C. 1715, 247 F.(2d) 209, 211 (1 Cir., 1957);
Gulf Coast Marine Ways vs. J.R. Hardee, 1952 A. M. C. 1124,
107 F.Supp. 379, 384-385 (S.D. Tex., 1952)
8 247 F.2d 209 (1st Cir. 1957).
9 167 F.Supp. 352 (1st Cir. 1958).
10 1972 A.M.C. 345 (W.D. Wash. 1972).
Il semble que dans toutes ces décisions, l'expres-
sion «privilège maritime» a un sens plus large que
celui que lui confère notre droit maritime et com-
prend les hypothèques enregistrées. L'avocat de la
Workers' Compensation Board souligne cependant
que les décisions rendues dans ces cas particuliers
reposaient sur le fait que les autorités fédérales
américaines auraient pu légiférer, si elles l'avaient
souhaité, de manière à donner priorité à leurs
créances fiscales sur les hypothèques grevant les
navires, mais qu'elles ne l'ont pas fait. Il allègue en
l'espèce que le législateur fédéral aurait pu adopter
des dispositions législatives donnant priorité aux
créances de droit maritime à l'encontre du produit
de la vente d'un navire de la même manière qu'il a
établi un ordre de priorité à l'article 107 de la Loi
sur la faillite, pour l'application duquel il a aussi
compétence, mais qu'il a omis de le faire.
J'estime toutefois difficile de conclure que son
omission d'adopter de telles dispositions législati-
ves a créé un champ inoccupé et que, par consé-
quent, une législation provinciale pourrait s'appli-
quer dans un litige suivant que cette législation
provinciale relative à la propriété et aux droits
civils (et qui coexiste avec le droit de l'amirauté
fédéral et parfois le chevauche, comme le juge en
chef Jackett le suggère dans le jugement rendu
dans l'affaire Evie W (précité)) aurait pour résul-
tat de faire passer le privilège que la Commission
possède pour les montants dus tout au moins avant
l'enregistrement de l'hypothèque de la demande-
resse, sinon pour la totalité de ces montants, avant
la créance de la demanderesse au moment de la
répartition du produit de la vente du navire.
À l'appui de cette proposition, la Workers'
Compensation Board a invoqué de nombreuses
décisions. Dans l'affaire Royal Bank of Canada v.
Workmen's Compensation Board of Nova
Scotia", il s'agissait de déterminer si l'intimée
avait le droit de participer à la distribution du prix
d'une quantité de bois dur à planchers et de bois de
construction en ayant priorité de rang sur la
garantie que possédait la Banque en vertu de
l'article 88 de la Loi des banques [S.R.C. 1927,
chap. 12]. Le jugement porte à la page 563 R.C.S.;
12 D.L.R.:
" [1936] R.C.S. 560; [1936] 4 D.L.R. 9.
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que les dispositions de
l'article 88 de la Loi des banques portent exclusivement sur les
opérations bancaires et relèvent, par conséquent, du Parlement
du Dominion en vertu de l'article 91(15); cependant, la Cour
est d'avis qu'en adoptant ces dispositions, le Parlement n'avait
pas l'intention de soustraire les biens, qui pourraient être
transportés à une banque à titre de sûreté, à l'application de
toute disposition adoptée par l'Assemblée législative de la pro
vince où se trouvent les biens, dans l'exercice légitime de son
pouvoir relatif à la taxation directe à des fins provinciales prévu
à l'article 92(2).
et aux pages 564 et 565 R.C.S.; 13 D.L.R.:
[TRADUCTION] L'article 88 de la Loi des banques ne crée
pas un privilège; cependant, il prévoit qu'une banque peut
prêter de l'argent aux marchands de certains produits sur la
garantie de ces produits consentie dans un document revêtant la
forme prévue à l'annexe c) et qu'en vertu d'une telle garantie,
la banque obtient les mêmes droits et pouvoirs sur ces produits
que si elle les avait acquis aux termes d'un récépissé d'entrepôt.
Il n'existe aucun privilège à moins que la banque conclue une
entente avec son client. Le paragraphe 79(2) de la loi provin-
ciale, la Workmen's Compensation Act, crée directement un
privilège pour les taxes ou charges publiques. Il n'existe donc
pas de contradiction entre les dispositions elles-mêmes des
textes législatifs fédéraux et provinciaux ni de conflit dans leur
application, comme le montre l'espèce, sauf que l'article 88 de
la Loi des banques prévoit qu'aucun bien cédé à une banque en
vertu de ses dispositions ne doit être soumis à la taxation
directe prévue au paragraphe 92(2) de l'A.A.N.B. La Cour
estime que telle n'est pas l'intention des dispositions fédérales et
que les dispositions provinciales doivent donc l'emporter.
J'ai cependant quelques doutes quant à la perti
nence de cette décision étant donné que l'article 88
de la Loi des banques ne retire pas à une société
l'usage et la possession du bien ni n'empêche la
création d'un privilège sur ce bien comme c'est le
cas pour les cotisations relatives aux accidents du
travail. En l'espèce, il semble que ce n'est pas le
navire qui est assujetti au paiement de la demande
de la Commission des accidents du travail mais
plutôt ses propriétaires, le navire faisant simple-
ment partie avec d'autres biens des propriétaires
de leurs biens grevés d'un privilège.
Il a également été fait mention d'autres déci-
sions dans lesquelles aucun navire n'était concerné.
Dans l'affaire North West Life Assur. Co. of Can.
v. Westridge Const. Ltd. 12 , la Cour a statué que les
dispositions de l'article 49 de la Workers Compen
sation Act qui crée un privilège sur les biens réels
d'un employeur donne priorité à ce privilège sur les
hypothèques enregistrées antérieurement.
' 2 (1980), 21 B.C.L.R. 235 (C.S.).
On a aussi invoqué une décision apparemment
non publiée rendue en Colombie-Britannique par
le juge Dryer dans l'affaire Eastern and Chartered
Trust Company and Perry Nelson Holmes Limi
ted et al., le 31 mars 1965. Il s'agissait de détermi-
ner si le créancier hypothécaire demandeur avait
priorité sur les droits de la Workers' Compensation
Board. La Cour a jugé que non et que la Commis
sion n'avait pas à choisir entre l'exécution du
jugement et la revendication du privilège, ces deux
recours étant distincts.
L'avocat de la Commission a aussi invoqué l'ar-
rêt Workmen's Compensation Board v. Sumas Oil
& Gas Co. 13 dans lequel la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique a jugé qu'une créance de la
Workmen's Compensation Board avait priorité sur
la créance d'un créancier hypothécaire de rang
antérieur. Le juge en chef Macdonald a dit à la
page 123 au sujet de ce qui était alors l'article 46
de la Loi:
[TRADUCTION] Il confère par son libellé même priorité au
débiteur de l'appelante sur tous les «privilèges, charges ou
hypothèques» grevant le bien en question, «qu'ils existent déjà
ou qu'ils doivent être créés par la suite» sauf les salaires dus aux
travailleurs, et ce, nonobstant toute loi à l'effet contraire. Par
conséquent, lorsqu'un appelant détient un privilège sur le bien
saisi par le shérif, l'article 46 déclare expressément que ce
privilège aura priorité sur toute hypothèque peu importe le
moment od elle a été prise, c'est-à-dire peu importe que le
privilège ait pris naissance avant ou après l'hypothèque. Bref, le
privilège des appelantes prime l'hypothèque de l'intimée. Les
appelantes en l'espèce cherchent à faire valoir leurs droits par
l'exécution du jugement et les créanciers hypothécaires essaient
de les empêcher de le faire. Il ne fait aucun doute qu'elles sont
propriétaires du bien en raison de l'hypothèque qu'elles ont
obtenu du débiteur, mais si l'appelante a, en raison de l'exécu-
tion du jugement, un privilège sur le bien, comme je crois que
c'est le cas, ce privilège a priorité sur l'hypothèque en vertu
dudit article. L'Assemblée législative peut rendre loi ce qui ne
l'était pas auparavant, et elle peut mettre fin aux droits acquis
en droit et en equity si elle exprime son intention de le faire.
et aussi,
[TRADUCTION] Rien n'empêche donc l'appelante de faire valoir
un privilège qu'elle ne posséderait pas en equity et en l'absence
de l'article 46, mais compte tenu de cet article, elle a un droit
de priorité sur le bien saisi et non sur le droit de rachat.
L'Assemblée législative a la compétence de leur octroyer la
totalité du bien et je pense qu'elle a eu l'intention de le faire
pour leur assurer une garantie pour leur privilège.
Une fois encore cette décision ne portait que sur le
droit de propriété en Colombie-Britannique,
aucune hypothèque sur un navire n'étant en cause
et c'est pourquoi elle n'est pas vraiment pertinente
en l'espèce.
13 [1933] 2 W.W.R. 121 (C.A.C.-B.).
L'avocat de la Commission a aussi mentionné le
n° 418 du volume 14 des British Shipping Laws
traitant des privilèges maritimes, qui porte que:
[TRADUCTION] «Jusqu'à maintenant, à part avoir
accordé une priorité légale au privilège maritime
du sauveteur de personnes, le pouvoir législatif n'a
pas essayé de fixer un ordre précis de priorité. Le
pouvoir judiciaire n'a pas non plus été tenté de le
faire. Au contraire, les juridictions d'appel et
d'amirauté ont adopté une méthode largement dis-
crétionnaire, le rang des créances concurrentes
étant établi en fonction de considérations d'équité,
d'intérêt public et d'opportunité commerciale, le
but ultime étant de faire ce qui est juste dans les
circonstances de chaque cas.»
Il est cependant intéressant de souligner le n°
454 intitulé «Créancier saisissant»:
[TRADUCTION] Le créancier saisissant qui fait saisir par un
shérif, en vertu d'un bref de fieri facias ou un autre moyen
semblable, les biens d'un débiteur condamné par jugement est
dans la même position qu'un créancier garanti, c'est-à-dire qu'il
est légalement habilité à obtenir que les biens soient vendus et
que le jugement soit exécuté sur le produit de la vente. La
possession de biens par le shérif n'empêche pas leur saisie par le
prévôt en matière d'amirauté, mais comme c'est le cas pour le
détenteur d'un privilège possessoire, le tribunal protégera par la
suite les intérêts et l'ordre de priorité du créancier saisissant. La
saisie en cour d'amirauté ne prive donc pas le créancier saisis-
sant de sa garantie.
Le créancier saisissant ne peut saisir en exécution de sa
créance que ce qui appartient au débiteur condamné par juge-
ment. Lorsqu'il existe une charge de rang antérieur, comme par
exemple un privilège maritime ou un privilège légal ou encore
une hypothèque, le créancier saisissant ne peut saisir les biens
que grevés de ces charges. Les privilèges et charges qui s'atta-
chent aux biens après leur saisie par le shérif viennent toutefois
après la garantie du créancier saisissant.
En l'espèce, le premier bref de saisie a été lancé
par le tribunal de première instance le 17 novem-
bre 1980, mais le navire n'a pas été saisi avant le
31 août 1981 et l'hypothèque de la demanderesse a
été enregistrée contre le navire le 11 février 1981,
de sorte que si la question de la priorité faisait
l'objet du litige, la créance de la demanderesse
aurait de toute façon priorité. Bien que la Wor
kers' Compensation Board avait, comme je l'ai
déjà dit, le droit de saisir le navire parce qu'il
faisait partie des biens de la défenderesse Eiger
Booming Ltd., sa débitrice, elle ne détenait aucun
droit précis sur le navire jusqu'au moment de la
saisie. Le privilège qu'elle détenait en vertu de la
Workers Compensation Act n'avait pas été enre-
gistré contre le navire contrairement à l'hypothè-
que sur le navire consentie à la demanderesse. Il
n'y a pas lieu de déterminer si ce privilège pouvait
être enregistré ou non étant donné qu'il n'y a pas
eu enregistrement.
Comme l'avocat de la Commission le fait remar-
quer, il est possible qu'il existe sur un navire de
nombreuses créances qui n'apparaissent pas dans
le registre, mais cela ne modifie en rien leur vali-
dité. C'est pourquoi au cours des dernières années,
la Cour fédérale a affirmé que dans les annonces
de vente et dans les ventes, la Cour ne garantit pas
que l'acheteur d'un navire l'obtient libre de toutes
charges autres que celles qui paraissent dans le
registre des navires. Les annonces de la vente en
l'espèce n'indiquaient pas que le navire était vendu
libre de toute charge. Compte tenu des faits de
l'espèce, il est admis que l'acheteur, Paul Arnold
Beltgens, n'ignorait pas l'existence de la créance de
la Workers' Compensation Board ni, très proba-
blement, que le navire servait pour le flottage du
bois à l'aide d'estacades flottantes et que ses pro-
priétaires pouvaient être tenus de payer des cotisa-
tions pour les accidents du travail, mais règle
générale, ce ne serait pas le cas et l'acheteur
ignorerait l'existence d'une telle créance éven-
tuelle. La même situation s'applique à la demande-
resse, qui est le prêteur hypothécaire. En règle
générale, un prêteur qui consent de bonne foi un
tel prêt n'a aucun moyen de se protéger contre les
créances non enregistrées dont il ignore l'existence.
Je souscris à cet énoncé tiré de la décision rendue
aux États-Unis dans l'affaire Flood (précitée):
[TRADUCTION] «le fondement théorique de la
prééminence des créances maritimes est qu'elles
"portent sur le navire lui-même comme instrument
de commerce" tandis que les autres créances ne
découlent que des actes du propriétaire». Je crois
que c'est le principe qu'il faudrait suivre et que,
par conséquent, en raison de son hypothèque enre-
gistrée, la réclamation de la demanderesse doit
primer celle de la Workers' Compensation Board
de la Colombie-Britannique découlant de sa
créance à l'encontre du propriétaire du navire pour
les cotisations pour les accidents du travail. Le
produit de la vente du navire devrait être réparti
en conséquence, avec dépens en faveur de la
demanderesse.
ORDONNANCE
La créance de la demanderesse, la Banque fédé-
rale de développement, a priorité sur celle de la
Workers' Compensation Board de la Colombie-
Britannique en ce qui concerne le produit de la
vente du navire Winder 4135.
La Workers' Compensation Board de la Colom-
bie-Britannique devra payer les dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.