A-1260-84
Télécommunications CN -CP (appelante)
c.
Alberta Government Telephones et Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes (intimés)
et
Procureur général du Canada (intervenant)
RÉPERTORIÉ: ALBERTA GOVERNMENT TELEPHONES C. CON-
SEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
CANADIENNES (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Urie—Cal-
gary, 28 et 29 octobre; Ottawa, 4 décembre 1985.
Télécommunications — Interconnexion — L'entreprise
d'Alberta Government Telephones (AGT) est exploitée comme
partie intégrante d'un système de télécommunications national
— Elle fournit un service local et un service interurbain — Des
tours micro-ondes sont utilisées pour transmettre des messa
ges à l'extérieur de l'Alberta — Le juge de première instance
s'est trompée en concluant que, à titre de mandataire de la
Couronne, AGT n'est pas soumise à la Loi sur les chemins de
fer et que, par conséquent, le CRTC n'a pas compétence en ce
qui la concerne — La législature de l'Alberta avait, lorsqu'elle
a constitué AGT, l'intention que cette société exploite une
entreprise de nature locale — Par son exploitation d'une
entreprise fédérale, AGT a outrepassé ses pouvoirs en n'agis-
sant pas conformément aux fins pour lesquelles elle a été
constituée, et elle ne peut invoquer sa qualité de mandataire de
la Couronne pour se soustraire à l'application des lois qui
régissent les entreprises fédérales — Alberta Government
Telephones Act, R.S.A. 1980, chap. A-23, art. 1c),d) (mod. par
S.A. 1983, chap. 5, art. 2), 2(1) (mod., idem, art. 3), (2), 3(1)
(mod., idem, art. 4), (2),(3), 4(1), 9(1)d), 24, 42(1) — Public
Utilities Board Act, R.S.A. 1980, chap. P-37, art. li),j),
70(1)c), 77(1), 81a) — Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970,
chap. R-2, art. 5 — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap.
I-23, art. 16.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Les dispo
sitions de la Loi sur les chemins de fer sont applicables aux
télécommunicateurs soumis à la compétence législative du
Parlement — Alberta Government Telephones (AGT) est-elle
une entreprise de nature locale que le Parlement ne serait pas
compétent à régir? — Le juge de première instance a conclu
que l'entreprise d'ACT reliait la province aux autres provinces
— AGT est membre d'une organisation dénuée de personnalité
morale (RTT) permettant l'établissement d'un réseau télépho-
nique intégré d'un océan à l'autre — Il est faux que, relative-
ment à la prestation de ces services, l'on doive uniquement
considérer le rôle d'AGT — Des tours micro-ondes sont
utilisées pour transmettre des messages à l'extérieur de l'Al-
berta — AGT n'est pas une entreprise de nature locale — Le
CRTC est compétent à décider de la demande d'interconnexion
du CN -CP — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5J (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91(29),
92(10)a),b),c) — Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap.
R-2, art. 5.
Couronne — Prérogatives — À titre de mandataire de la
Couronne, Alberta Government Telephones (AGT) est-elle liée
par les dispositions de la Loi sur les chemins de fer? — L'art.
16 de la Loi d'interprétation porte que nul texte législatif ne
lie Sa Majesté à moins de le mentionner — Le juge de
première instance a conclu que la Couronne n'était pas men-
tionnée dans la Loi sur les chemins de fer — L'arrêt Eldorado
Nucléaire Liée appuie la proposition selon laquelle un manda-
taire de la Couronne ne peut bénéficier de l'immunité de la
Couronne que lorsqu'il agit dans les limites de son mandat —
AGT a été constituée pour exploiter une entreprise provinciale
— Discussion de l'arrêt Eldorado — AGT n'a pas exercé ses
pouvoirs conformément aux fins pour lesquelles elle a été
constituée — Elle a ainsi perdu sa qualité de mandataire de la
Couronne — Alberta Government Telephones Act, R.S.A.
1980, chap. A-23, art. 42(1) — Public Utilities Board Act,
R.S.A. 1980, chap. P-37 — Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 32(1)c) — Code
criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 159(1) — Loi sur la
radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11 — Loi d'interpréta-
tion, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 16 — Loi sur les chemins de
fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art. 5.
Appel est interjeté d'une ordonnance de la Division de pre-
mière instance, publiée à [1985] 2 C.F. 472, qui interdit au
CRTC d'entendre une demande présentée par Télécommunica-
tions CN -CP. CN -CP sollicitait différentes ordonnances por-
tant que Alberta Government Telephones (AGT) devait lui
fournir des services d'interconnexion. Le juge de première
instance a décidé qu'AGT était soumise à la compétence légis-
lative fédérale puisqu'elle n'était pas une entreprise de nature
locale. Elle a cependant conclu que le CRTC n'avait pas
compétence en la matière parce qu'AGT, en tant que manda-
taire de la Couronne, n'était pas soumise à l'application de la
Loi sur les chemins de fer. En conséquence, le juge Reed a
accueilli la demande d'AGT concluant à un bref de prohibition.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le paragraphe 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867
confère au Parlement le pouvoir exclusif de légiférer en ce qui
concerne les catégories de sujets exceptés de la compétence des
législatures provinciales, telles les entreprises «reliant la pro
vince à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà
des limites de la province», prévues à l'alinéa 92(10)a) de la Loi
constitutionnelle de 1867. Le juge de première instance a
décidé qu'AGT exerçait «un degré important d'activités inter-
provinciales continues et régulières» et devait, par conséquent,
être considérée comme une entreprise de nature non locale. Le
juge de première instance n'a pas fondé sa conclusion sur la
nature des services fournis par le Réseau téléphonique transca-
nadien (RTT), une entité dénuée de toute personnalité morale
dont sont membres diverses sociétés de télécommunication,
dont AGT. Sa conclusion était plutôt fondée sur le fait que
l'entreprise d'AGT était exploitée en tant que partie intégrante
d'un système de télécommunication national. Selon l'opinion de
la Cour, ce fait, qui n'a pas été sérieusement contesté, appuyait
sa conclusion. Cette conclusion est également soutenue par
l'utilisation régulière par AGT de ses tours micro-ondes pour
transmettre, dans le cadre de l'exploitation de son entreprise,
des messages à des points situés à l'extérieur de l'Alberta. Cela
démontre clairement que l'entreprise d'AGT relie l'Alberta à
d'autres provinces.
La prétention de l'appelante voulant que la Couronne soit
liée par la Loi sur les chemins de fer s'appuie sur la décision de
la Cour suprême du Canada dans l'affaire The Queen in the
Right of the Province of Ontario v. Board of Transport Com
missioners ainsi que sur le libellé de l'article 5 de la Loi sur les
chemins de fer. L'arrêt Board of Transport Commissioners ne
s'applique pas en l'espèce puisque le libellé de l'article 16 de la
Loi d'interprétation qui était applicable dans ce cas-là était
différent de celui de l'article 16 actuel.
L'article 5 de la Loi sur les chemins de fer dispose que cette
Loi s'applique à toutes les personnes sauf «les chemins de fer de
l'État». Il est prétendu que cette exclusion n'aurait pas été
nécessaire si le mot «personnes» n'avait pas compris Sa Majesté.
Même si l'exclusion en question est peut-être nécessaire, il ne
peut en être inféré que le Parlement avait clairement l'intention
que la Loi sur les chemins de fer s'applique à la Couronne. Les
lois regorgent de dispositions et d'exclusions non strictement
nécessaires insérées ex abundanti cautela.
L'argument principal de l'appelante veut qu'AGT n'ait pas
agi conformément aux fins de l'État qu'elle était légalement
autorisée à poursuivre en exploitant son entreprise comme elle
l'a fait et que, par conséquent, elle ne puisse bénéficier de
l'immunité de la Couronne. Cet argument s'appuie sur les
principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
R. c. Eldorado Nucléaire Liée. Il y était déclaré que les
organismes d'origine législative ne peuvent se prévaloir de
l'immunité de l'État que lorsqu'ils agissent conformément aux
fins de l'État, puisqu'ils agissent alors pour le compte de l'État.
Le paragraphe 42(1) de l'Alberta Government Telephones Act
a fait d'AGT un mandataire de la Couronne; celle-ci n'a
toutefois pas été expressément constituée mandataire de la
Couronne «à ses fins» au sens donné à cette expression dans les
dispositions législatives constituant les sociétés dont il est ques
tion dans l'arrêt Eldorado mandataires de Sa Majesté. Cette
différence dans le libellé des dispositions visées ne rend cepen-
dant pas les principes énoncés dans l'arrêt Eldorado inapplica-
bles à l'espèce. Lorsqu'une législature crée une société à certai-
nes fins et la constitue mandataire de la Couronne, il faut
présumer que la législature n'avait pas l'intention que la société
en question agisse en tant que mandataire de la Couronne si
elle «outrepassait les fins pour lesquelles elle a été constituée».
Les mots «à ses fins» doivent être considérés comme contenus de
façon implicite dans le paragraphe 42(1).
Il ressort des dispositions de l'Alberta Government Telepho
nes Act que la législature de l'Alberta avait, lorsqu'elle a
constitué AGT, l'intention que cette société établisse et entre-
tienne dans la province un système de télécommunications qui
serait régi par la Public Utilities Board Act de cette province.
Comme cette loi ne peut régir que les entreprises qui ne sont
pas décrites aux alinéas 92(10)a),b) et c) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867, il s'ensuit que la législature avait l'intention
qu'AGT exploite une entreprise de nature locale et qu'AGT, en
exploitant une entreprise de nature fédérale, a outrepassé ses
pouvoirs en n'agissant pas conformément aux fins pour lesquel-
les elle a été constituée. En conséquence, elle ne peut invoquer
sa qualité de mandataire de la Couronne pour se soustraire à
l'application des lois qui régissent les entreprises fédérales.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551.
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Queen in the Right of the Province of Ontario v.
Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118.
DÉCISION EXAMINÉE:
Société Radio-Canada, la station de télévision
C.B.O.F.T. et autre c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 339.
DÉCISIONS CITÉES:
Province of Bombay v. Municipal Corporation of the
City of Bombay and Another, [1947] A.C. 58 (P.C.); Sa
Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commis
sion canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61.
AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r. et Michael Ryan pour
l'appelante.
John Rooke, C. K. Irving et Peter McIntyre
pour Alberta Government Telephones, inti-
mée.
Gregory van Koughnett pour le Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, intimé.
Eric Bowie, c.r. et Donald Rennie pour
l'intervenant.
PROCUREURS:
Contentieux du Canadien Pacifique, Toronto,
pour l'appelante.
Burnett, Duckworth & Palmer, Calgary, pour
Alberta Government Telephones, intimée.
Contentieux du Conseil de la radiodiffusion
et des télécommunications canadiennes, pour
le Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes, intimé.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Appel est interjeté d'une
ordonnance de la Division de première instance
[[1985] 2 C.F. 472] interdisant au Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes d'entendre une demande présentée par
Télécommunications CN -CP.
Par cette demande, CN -CP sollicitait contre
Alberta Government Telephones (AGT) différen-
tes ordonnances dans le but de réaliser l'échange
des télécommunications entre le système de télé-
communication exploité par CN -CP et celui qu'ex-
ploite AGT. Cette demande était fondée sur cer-
taines dispositions de la Loi sur les chemins de fer
[S.R.C. 1970, chap. R-2] qui s'appliquent aux
télécommunicateurs relevant de la compétence
législative du Parlement fédéral.
AGT a demandé à la Division de première
instance la délivrance d'un bref de prohibition.
Elle soutenait que le CRTC n'avait pas compé-
tence en l'espèce, tout d'abord parce qu'AGT est
une entreprise de nature provinciale et locale rela-
tivement à laquelle la Constitution ne confère au
Parlement aucun pouvoir de réglementation et, en
second lieu, parce qu'AGT est un mandataire de la
Couronne du chef de l'Alberta et, à ce titre, n'est
pas touchée par les dispositions pertinentes de la
Loi sur les chemins de fer. La demande a été
entendue par Madame le juge Reed de la Division
de première instance. Dans ses motifs, qui ont été
rédigés avec beaucoup de soin, elle a rejeté l'argu-
ment constitutionnel d'AGI et conclu qu'AGT
n'était pas une entreprise de nature locale; toute-
fois, elle a souscrit à la seconde prétention d'AGT
et conclu que le CRTC n'avait pas compétence en
la matière parce qu'AGT, en tant que mandataire
de la Couronne, n'était pas soumise à l'application
des dispositions pertinentes de la Loi sur les che-
mins de fer. En conséquence, elle a accueilli la
demande d'AGT et rendu l'ordonnance à l'encon-
tre de laquelle a été interjeté l'appel en l'espèce.
L'appelante prétend que le juge de première
instance s'est trompée en décidant qu'AGT, en
tant que mandataire de la Couronne, n'était pas
soumise aux dispositions pertinentes de la Loi sur
les chemins de fer. Ainsi qu'il apparaîtra plus tard,
l'argument principal présenté par l'appelante au
soutien de cette prétention est fondé sur l'hypo-
thèse selon laquelle le juge a eu raison de conclure
qu'AGT n'était pas une entreprise de nature
locale. Comme cette conclusion est contestée par
AGT, il sera nécessaire d'étudier cette question
avant d'examiner les motifs d'appel de l'appelante.
I—AGT EST-ELLE UNE ENTREPRISE DE NATURE
LOCALE?
En vertu du paragraphe 91(29) de la Loi consti-
tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)], le Parlement fédéral possède le pou-
voir exclusif de légiférer en ce qui concerne:
91....
29. les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énu-
mération des catégories de sujets exclusivement assignés par la
présente loi aux législatures des provinces.
Ainsi, le Parlement se voit conférer le pouvoir
exclusif de légiférer en ce qui a trait, notamment,
aux entreprises visées à l'alinéa 92(10)a), lequel
établit certaines exceptions à la compétence des
législatures provinciales de faire des lois relatives
aux «travaux et entreprises d'une nature locale»:
92. Dans chaque province, la législature pourra exclusive-
ment légiférer relativement aux matières entrant dans les caté-
gories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
10. les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que
ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:
a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins
de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entrepri-
ses reliant la province à une autre ou à d'autres provinces,
ou s'étendant au-delà des limites de la province;
AGT prétend que son entreprise est de nature
purement locale et, par conséquent, sujette à la
compétence législative exclusive de la province de
l'Alberta.
La prétention de l'appelante, que le juge de
première instance a acceptée, veut que l'entreprise
d'AGT soit soumise à la compétence législative
fédérale parce qu'elle est une entreprise «reliant la
province à une autre ou à d'autres provinces, ou
s'étendant au-delà des limites de la province».
AGT a été créée en 1958 par une loi albertaine,
la Alberta Government Telephones Act', dans le
but d'exploiter un système téléphonique et télégra-
phique dans la province. En fait, AGT possède et
exploite un tel système en fournissant à ses clients
à la fois un service local et un service interurbain.
Afin de pouvoir fournir plus que le seul service
local, elle s'est jointe à huit autres sociétés de
télécommunication pour former une organisation
sans personnalité morale initialement appelée
Réseau téléphonique transcanadien (RTT), qui
permettrait l'établissement d'un réseau téléphoni-
que interurbain intégré entièrement canadien d'un
océan à l'autre.
Le juge Reed a décrit dans ses motifs de juge-
ment l'entreprise d'AGT d'une façon que tous les
avocats ont reconnue juste et exhaustive. Cette
description est trop longue pour que nous la repro-
duisions dans les présents motifs. Toutefois, le juge
l'a résumée comme suit [aux pages 478 et 479]:
Résumons certains des faits importants: les installations de
télécommunications d'AGT sont matériellement reliées aux
systèmes de télécommunications des entreprises situées à l'exté-
rieur de la province de l'Alberta soit par micro-ondes, en deux
points à la frontière de la Saskatchewan, en deux points à la
frontière de la Colombie-Britannique, en un point à la frontière
américaine et en un point à la frontière des Territoires du
Nord-Ouest, soit par câbles souterrains franchissant les frontiè-
res en divers points. Quand je dis que le lien micro-ondes est
matériel, j'utilise ce terme dans son sens le plus large. Je
n'oublie pas les commentaires de lord Porter dans l'arrêt Attor-
ney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 541
(P.C.) à la page 574, suivant lesquels qualifier l'écoulement
d'une décharge électrique à travers la frontière d'une province
de lien matériel est exagéré. Mais il est clair, comme l'a montré
l'arrêt de la Cour suprême Capital Cities Communications Inc.
et autre c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne,
[1978] 2 R.C.S. 141, la page 159, que la technologie de
transmission n'est pas un facteur de validité législative
important.
AGT reçoit les signaux émis par les téléphones de ses abon-
nés et les transmet à l'extérieur de l'Alberta; elle reçoit des
signaux en provenance de l'extérieur de l'Alberta et les trans-
met à leurs destinataires en Alberta et, dans certains cas, elle
retransmet à l'extérieur de l'Alberta certaines transmissions
provenant elles-mêmes de l'extérieur.
Les installations matérielles de télécommunications d'AGT
sont raccordées aux frontières, et il existe en outre une intégra-
tion plus complète. Les mêmes appareils, lignes et réseaux
micro-ondes téléphoniques servent à des fins locales, interpro-
vinciales et même internationales. Il est clair que de nombreux
employés d'AGT travaillent à fournir un service autant extra-
provincial qu'intraprovincial, sans distinction.
Au niveau de l'organisation, il existe une entité dénuée de
toute personnalité morale, le RTT [Réseau téléphonique trans-
i S.A. 1958, chap. 85, maintenant R.S.A. 1980, chap. A-23
et ses modifications.
canadien], dont sont membres les diverses entreprises de télé-
communications, chacune ayant une voix égale. Cet organisme,
dont AGT fait partie intégrante, tant au niveau du conseil
d'administration qu'au niveau du personnel cadre apparem-
ment, planifie le développement et l'exploitation d'un réseau
global composé des installations de chacun de ses membres, fixe
les normes techniques, ainsi que les conditions et modalités
selon lesquelles les services de télécommunications seront four-
nis par ses membres, assure une mise en marché commune, fixe
les tarifs, sert d'intermédiaire dans les négociations et l'exécu-
tion des accords relatifs aux services internationaux et voit à la
mise en œuvre d'un système de partage des revenus grâce à sa
chambre de compensation.
Le juge Reed a décidé [à la page 482] qu'AGT
exerçait «un degré important d'activités interpro-
vinciales continues et régulières» et devait, par
conséquent, être considérée comme une entreprise
de nature non locale au sens de l'alinéa 92(10)a).
Elle en est arrivée à cette conclusion malgré la
situation des installations matérielles d'AGT en
Alberta, en se fondant sur le fait que l'entreprise,
grâce à la participation d'AGT dans le RTT, était
exploitée comme partie intégrante d'un service de
télécommunications national.
L'avocat d'AGT a contesté cette conclusion,
prétendant que le juge avait confondu la nature de
l'entreprise d'AGT avec celle des services fournis à
ses clients. Il ne fait aucun doute, a-t-il dit, que les
clients d'AGT, en raison des arrangements con-
tractuels intervenus entre AGT et d'autres sociétés
de télécommunications, bénéficient de services na-
tionaux et internationaux. Il a soutenu toutefois
que pour qualifier l'entreprise d'AGT, il faut, rela-
tivement à la prestation de ces services, unique-
ment considérer le rôle d'AGT, sans tenir compte
de celui que remplissent d'autres sociétés. Selon
l'avocat de l'intimée, si nous examinons la question
sous cet angle, il devient évident que les activités
d'AGT sont d'une nature purement locale.
Je ne suis pas d'accord avec cet argument. À la
lecture des motifs du juge Reed, je suis d'avis
qu'elle n'a pas fondé sa conclusion sur la nature
des services fournis par le RTT mais sur le fait que
l'entreprise d'AGT était exploitée en tant que
partie intégrante d'un système de télécommunica-
tions national. Selon mon opinion, ce fait, qui n'a
pas été sérieusement contesté devant nous,
appuyait sa conclusion. Mais, même si ce n'était
pas le cas, il existerait, selon moi, un autre motif
soutenant cette conclusion: dans le cadre de l'ex-
ploitation de son entreprise, AGT utilise régulière-
ment ses tours micro-ondes pour transmettre des
messages à des points situés à l'extérieur de l'Al-
berta. A mon avis, cela démontre clairement que
l'entreprise d'AGT n'est pas purement locale mais
est une entreprise reliant l'Alberta à d'autres
provinces.
Pour ces motifs, je suis d'avis que le juge de
première instance a eu raison de décider que l'en-
treprise d'AGT n'était pas une entreprise locale.
De cette première conclusion découlerait norma-
lement qu'AGT est soumise à la législation fédé-
rale relative aux sociétés de télécommunications et,
plus particulièrement, aux dispositions de la Loi
sur les chemins de fer traitant de cette question.
Toutefois, comme je l'ai déjà dit, le juge de pre-
mière instance a décidé qu'il en était autrement
parce que, selon elle, AGT étant un mandataire de
la Couronne, n'était pas liée par les dispositions
pertinentes de la Loi sur les chemins de fer. C'est
cette partie de sa décision que conteste l'appelante.
II—AGT EST-ELLE LIÉE PAR LES DISPOSITIONS
PERTINENTES DE LA LOI SUR LES CHEMINS DE
FER?
Le paragraphe 42(1) de l'Alberta Government
Telephones Act déclare expressément qu'AGT est
un mandataire de la Couronne:
[TRADUCTION] 42(1) La Commission est mandataire de la
Couronne du chef de l'Alberta et ne peut exercer ses pouvoirs
qu'à ce titre.
Selon le jugement contesté, il en découle
qu'AGT bénéficie de l'immunité de la Couronne
et, plus particulièrement, de la règle énoncée à
l'article 16 de la Loi d'interprétation 2 :
2 S.R.C. 1970, chap. I-23. L'article 16 donne la dimension
législative à la règle de common law énoncée dans l'arrêt
Province of Bombay v. Municipal Corporation of the City of
Bombay and Another, [1947] A.C. 58 (P.C.) en la formulant
autrement. Il est traditionnellement considéré qu'une mention
de Sa Majesté dans une loi fédérale est une mention tant des
«Couronnes provinciales» que des «Couronnes fédérales»; selon
ce point de vue, les «Couronnes provinciales» et les «Couronnes
fédérales» peuvent se prévaloir de la protection offerte par
l'article 16. Supposant que cette façon de voir soit considérée
comme entachée d'erreur et que, par conséquent, il soit décidé
que la mention de Sa Majesté à l'article 16 ne vise que Sa
Majesté du chef du Canada, il semble que les «Couronnes
provinciales» auraient malgré tout le droit d'invoquer la règle
de common law énoncée dans l'arrêt Bombay. (Voir Sa
Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commission
canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61.)
16. Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa
Majesté ni n'a d'effet à l'égard de Sa Majesté ou sur les droits
et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mention-
née ou prévue.
Le juge de première instance étant d'avis que la
Couronne n'est mentionnée ni expressément ni
tacitement dans la Loi sur les chemins de fer, a
conclu que ni la Couronne ni ses mandataires—
dont AGT—ne sont liés par cette Loi.
L'avocat de l'appelante a attaqué cette conclu
sion en se fondant sur deux motifs. Tout d'abord—
et c'était là son argument principal—il a soutenu
qu'AGT ne pouvait prétendre bénéficier de l'im-
munité de la Couronne en tant que mandataire de
la Couronne parce qu'elle avait, dans l'exploitation
de son entreprise, poursuivi d'autres fins que celles
qui lui avaient été assignées; en second lieu, il a dit
que, en supposant qu'AGT puisse invoquer l'im-
munité de la Couronne, elle est néanmoins liée par
les dispositions de la Loi sur les chemins de fer
parce qu'il ressort clairement des termes de cette
Loi que le Parlement avait l'intention qu'elle lie la
Couronne.
Je traiterai tout d'abord de la seconde préten-
tion, selon laquelle la Couronne est liée par la Loi
sur les chemins de fer. L'avocat a présenté deux
arguments pour la soutenir: un de ceux-ci s'appuie
sur la décision de la Cour suprême dans l'affaire
The Queen in the Right of the Province of Ontario
v. Board of Transport Commissioners 3 ; l'autre est
fondé sur le libellé de l'article 5 de la Loi sur les
chemins de fer.
Il est vrai que la Cour suprême a décidé en 1968
que l'article 16 de la Loi d'interprétation n'empê-
chait pas la Loi sur les chemins de fer de s'appli-
quer à Sa Majesté du chef de l'Ontario. Toutefois,
cette décision ne s'applique pas en l'espèce puisque
le libellé de l'article 16 qui était applicable dans ce
cas-là était différent de celui de l'article 16
actuel °.
L'autre argument de l'appelante est fondé sur le
libellé de l'article 5 de la Loi sur les chemins de
fer, qui dispose que:
3 [1968] R.C.S. 118.
Voir: Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c.
Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61, à
la page 75.
5.... la présente loi s'applique à toutes les personnes ... qui
relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada ...
sauf les chemins de fer de l'État ...
Selon l'appelante, l'exclusion expresse des «che-
mins de fer de l'État», qui sont des chemins de fer
appartenant à Sa Majesté du chef du Canada,
n'aurait pas été nécessaire si le mot «personnes», à
l'article 5, n'avait pas compris Sa Majesté. Selon
moi, la réponse à cet argument est que l'exclusion
en question est peut-être nécessaire. Mais nos lois
regorgent de dispositions et d'exclusions non stric-
tement nécessaires qui sont insérées «ex abundanti
cautela». En conséquence, je ne puis conclure de la
mention de cette exclusion à l'article 5 que le
Parlement avait clairement l'intention que la Loi
sur les chemins de fer s'applique à la Couronne.
Comme je l'ai déjà dit, l'argument principal de
l'appelante veut qu'AGT ne puisse invoquer l'im-
munité de la Couronne en qualité de mandataire
de la Couronne. L'appelante prétend que la déci-
sion rendue par la Cour suprême dans l'affaire R.
c. Eldorado Nucléaire Ltée 5 appuie la proposition
selon laquelle lorsqu'une législature adopte une
disposition portant expressément qu'une société est
un mandataire de la Couronne, cette société ne
peut bénéficier de l'immunité de la Couronne rela-
tivement à l'application des lois que lorsqu'elle agit
dans les limites de son mandat. L'avocat de l'appe-
lante soutient qu'en l'espèce, l'examen des princi-
pales dispositions de l'Alberta Government Tele
phones Act démontre qu'AGT a été constituée
dans le but d'exploiter une entreprise de nature
purement provinciale et que la législature n'a
jamais prévu qu'elle exploiterait une entreprise du
genre décrit à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867; selon sa prétention, il s'ensuit
qu'AGT n'a pas agi conformément aux fins de
l'État qu'elle était autorisée à poursuivre en exploi-
tant son entreprise comme elle l'a fait et que, par
conséquent, elle ne peut bénéficier de l'immunité
de la Couronne.
À cet argument, l'avocat d'AGT a répondu que
cette dernière exerçait les pouvoirs mêmes que lui
avait conférés la législature albertaine en dévelop-
pant et en exploitant son entreprise.
Nous devons d'abord examiner la décision
rendue par la Cour suprême dans R. c. Eldorado
5 [1983] 2 R.C.S. 551.
Nucléaire Liée. Dans cette affaire, deux sociétés,
Eldorado Nucléaire Limitée et Uranium Canada
Limitée, ont été accusées d'avoir comploté avec
d'autres personnes pour diminuer indûment la con
currence dans la production ou la vente de produits
d'uranium au Canada et d'avoir ainsi contrevenu à
l'alinéa 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions 6 . Des dispositions statutaires fai-
saient de chacune de ces deux compagnies un
mandataire de Sa Majesté. Ces deux dispositions
statutaires étaient similaires, chacune portant que
la société [voir page 565 de la décision Eldorado]:
... est, à toutes ses fins, mandataire de Sa Majesté, et elle ne
peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs dont elle est investie.
La Cour devait décider de la question de savoir si
les deux sociétés, en leur qualité de mandataires de
la Couronne, ne pouvaient être poursuivies au
criminel en vertu de l'alinéa 32(1)c) de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions. La Cour a
répondu à cette question par la négative. Le juge
Dickson (aujourd'hui juge en chef), qui a énoncé
les motifs de la majorité de la Cour, a tout d'abord
décidé que la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions ne s'appliquait pas à la Couronne. Il a
ensuite étudié la question de savoir si les deux
sociétés en cause pouvaient bénéficier de l'immu-
nité de la Couronne. Après avoir rappelé que
l'article 16 de la Loi d'interprétation s'applique
aux mandataires de la Couronne, il a cité les deux
dispositions statutaires faisant d'Eldorado
Nucléaire Limitée et de Uranium Canada des
mandataires de la Couronne, et il a dit [aux pages
565 et 566]:
Le fait que ces dispositions législatives font de chaque compa-
gnie intimée un mandataire de l'État «à toutes ses fins» ne
signifie pas cependant que ces compagnies agissent en qualité
de mandataires de l'État dans tout ce qu'elles font.
La loi crée des organismes comme Uranium Canada et
Eldorado à des fins précises. Lorsqu'un mandataire de l'État
agit conformément aux fins publiques qu'il est autorisé légale-
ment à poursuivre, il a le droit de se prévaloir de l'immunité de
l'État à l'encontre de l'application des lois parce qu'il agit pour
le compte de l'État. Cependant, lorsque le mandataire outre-
passe les fins de l'État, il agit personnellement et non pour le
compte de l'État, et il ne peut invoquer l'immunité dont bénéfi-
cie le mandataire de l'État. Cela découle du fait que l'art. 16 de
la Loi d'interprétation s'applique à l'avantage de l'État et non à
l'avantage du mandataire personnellement. Seul l'État, par
l'intermédiaire de ses mandataires et pour ses propres fins, ne
peut être poursuivi en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions.
6 S.R.C. 1970, chap. C-23.
Le juge Dickson a alors fait référence à la
décision rendue par la Cour dans l'affaire Société
Radio-Canada, la station de télévision C.B.O.F.T.
et autre c. La Reine', affirmant qu'elle appuyait ce
point de vue. Dans cette affaire, la Société Radio-
Canada, dont la Loi sur la radiodiffusion [S.R.C.
1970, chap. B-11] faisait un mandataire de Sa
Majesté «pour tous les objets de la présente loi»,
invoquait l'immunité à l'égard de l'accusation
d'avoir présenté un film obscène contrairement au
paragraphe 159(1) du Code criminel [S.R.C.
1970, chap. C-34]. La Cour a décidé que la
Société Radio-Canada pouvait être poursuivie en
vertu du Code criminel parce que, en diffusant un
film obscène, la Société ne poursuivait pas les
objets que lui conférait la Loi puisqu'un règlement
adopté en vertu de cette Loi interdisait de diffuser
toute «présentation . .. obscène ... indécent [e] ou
blasphématoire». Le juge Dickson a rappelé [aux
pages 566 et 567] que dans cette affaire [à la page
353] la Cour avait adopté expressément le passage
suivant de l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario
[(1980), 30 O.R. (2d) 239, la page 244]:
[TRADUCTION] À mon avis, lorsque la Société exerce ses
pouvoirs en vue de réaliser les objectifs de la Loi sur la
radiodiffusion, elle agit en sa qualité de mandataire de Sa
Majesté et en cette qualité seulement. Mais lorsqu'elle exerce
ses pouvoirs d'une façon incompatible avec les objectifs de la
Loi, elle n'exerce plus son rôle de mandataire. Ce rôle ne
subsiste que dans la mesure où les émissions de la Société
mettent en oeuvre la politique énoncée dans la Loi. C'est là, me
semble-t-il, l'effet du par. 40(1).
Après ces prémisses, le juge Dickson a examiné,
à partir de leurs lettres patentes, les objets des
deux sociétés en question; cet examen l'a conduit à
la conclusion que les sociétés avaient agi conformé-
ment à leurs fins et pouvaient donc, en tant que
mandataires de l'État, invoquer l'immunité.
Les principes exposés dans cette décision sont-ils
applicables en l'espèce?—Je ne peux trouver qu'un
seul motif pour lequel ils ne le seraient pas: le
libellé de la disposition faisant d'AGI un manda-
taire de l'État est différent de ceux .des dispositions
applicables aux deux sociétés dont traitait le juge
Dickson. Pour chacune de ces deux sociétés, une
loi disposait expressément que la société:
... est, à toutes ses fins, mandataire de Sa Majesté, et elle ne
peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs dont elle est investie.
7 [1983] 1 R.C.S. 339.
Le paragraphe 42(1) de l'Alberta Government
Telephones Act, qui fait d'AGT un mandataire de
Sa Majesté, est rédigé différemment; il dit:
42(1) La Commission est mandataire de la Couronne du chef
de l'Alberta et ne peut exercer ses pouvoirs qu'à ce titre.
AGT a donc été constituée mandataire de la Cou-
ronne; elle n'a pas été expressément constituée
mandataire de la Couronne «à ses fins». Est-ce
qu'il s'ensuit qu'AGI peut invoquer sa qualité de
mandataire de la Couronne même si elle agit en
visant d'autres fins que celles pour lesquelles elle a
été créée? Je ne le crois pas. À mon avis, lors-
qu'une législature crée une société à certaines fins
et la constitue mandataire de la Couronnne, il faut
présumer que cette législature n'avait pas l'inten-
tion que la société en question agisse en tant que
mandataire de la Couronne si elle «outrepassait les
fins pour lesquelles elle a été constituée». Selon
moi, les mots «à ses fins» doivent être considérés
comme contenus de façon implicite dans le para-
graphe 42(1); en conséquence, je suis d'avis que les
principes énoncés par le juge Dickson dans l'arrêt
Eldorado sont applicables en l'espèce.
Il nous faut donc à présent déterminer si AGT a
exercé ses pouvoirs d'une manière non conforme
aux fins pour lesquelles elle a été créée et a ainsi
perdu sa qualité de mandataire de la Couronne.
Pour décider de cette question, il faut examiner
certaines des dispositions de l'Alberta Government
Telephones Act', qui a constitué AGT:
[TRADUCTION] 1 Dans la présente loi,
c) «système» désigne un système de télécommunications et
comprend tous les terrains, installations, fournitures, bâti-
ments, ouvrages, droits, concessions, servitudes, actifs et
biens de quelque nature possédés, détenus, requis ou utilisés
pour les fins du système de télécommunications ou relative-
ment à ce système ou pour l'exploitation de ce système;
d) «télécommunication» désigne la télécommunication telle
que la définit la Public Utilities Board Act.
2(1) Le Ministre est responsable de l'application de la présente
Loi.
(2) Le Ministre est autorisé à contrôler tous les services de
télécommunications relevant de la compétence de la législature
et à fournir ou à ordonner la fourniture de ces services.
3(1) Est instituée une commission, appelée la Commission des
services téléphoniques du gouvernement de l'Alberta, composée
8 R.S.A. 1980, chap. A-23, et ses modifications [S.A. 1983,
chap. 5, art. 2, 3, 4].
du Ministre, des membres de la direction et des membres que le
lieutenant-gouverneur en conseil nommera à l'occasion.
(2) La Commission est une société dotée du pouvoir d'acquérir,
de posséder et d'aliéner des biens immobiliers.
(3) La Commission peut également être appelée «Services
téléphoniques du gouvernement de l'Alberta».
4(1) La Commission peut acheter, construire, étendre, entrete-
nir, fabriquer, exploiter et louer d'autres personnes ou à d'au-
tres personnes un système ou des systèmes en Alberta, notam-
ment des systèmes privés de communications.
9(1) La Commission devra
d) dresser à l'occasion des listes officielles de taux qui seront
déposées auprès de la Public Utilities Board ou approuvées
par cette dernière ...
24 La Commission peut participer avec quiconque à une
entente prévoyant la liaison, l'intercommunication, l'exploita-
tion en commun, l'utilisation réciproque ou la transmission des
services entre tous systèmes appartenant aux parties à l'entente
ou exploités par ces parties, et prévoyant toute répartition
subséquente des recettes, dépenses ou profits ou tous rajuste-
ments financiers ou autres pouvant s'avérer opportuns ou néces-
saires pour les fins de l'entente.
42(1) La Commission est mandataire de la Couronne du chef
de l'Alberta et ne peut exercer ses pouvoirs qu'à ce titre.
La Public Utilities Board Act 9 , à laquelle l'Al-
berta Government Telephones Act fait référence,
contient les dispositions suivantes:
[TRADUCTION] 1 Dans la présente loi,
i) «service public» désigne
(i) un système, des ouvrages, une installation, de l'équipe-
ment ou un service ayant pour objet l'acheminement des
télécommunications,
j) «télécommunication» désigne la transmission, l'émission ou
la réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons
ou d'informations de toute nature par fil, par radio ou par
d'autres systèmes électromagnétiques ou optiques;
70(1) La présente Partie s'applique
c) à toutes les entreprises d'utilité publique, qu'elles appar-
tiennent à la Couronne ou qu'elles soient exploitées ou diri-
gées par la Couronne, ou par un mandataire de la Couronne,
du chef de l'Alberta;
77(1) La Commission exercera un contrôle général sur toutes
les entreprises d'utilité publique ainsi que sur ce qui concerne
leurs propriétaires et pourra rendre les ordonnances relatives à
l'extension d'ouvrages ou de systèmes, aux comptes rendus et
9 R.S.A. 1980, chap. P-37.
aux autres questions qui sont nécessaires à la commodité du
public ou pour la bonne exécution des dispositions de tout
contrat, de toute charte ou de tout contrat de concession
comportant l'utilisation de biens publics ou l'exercice de droits
publics.
81 La Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande
d'un intéressé, par ordonnance écrite, rendue après qu'elle aura
avisé et entendu les parties intéressées,
a) fixer à un niveau juste et raisonnable des taux individuels,
des taux, droits ou taxes communs ou des listes officielles de
ceux-ci, de même que des taux de commutation, des alloca
tions de voyage et autres taux spéciaux, qui devront ensuite
être imposés, observés et suivis par le propriétaire de l'entre-
prise d'utilité publique;
Il ressort de ces dispositions que la législature de
l'Alberta avait, lorsqu'elle a constitué l'AGT, l'in-
tention que cette société établisse et entretienne
dans la province un système de télécommunica-
tions qui serait régi par la Public Utilities Board
Act de cette province. A mon avis, comme cette loi
ne peut régir que les entreprises qui ne sont pas
décrites aux alinéas 92(10)a),b) et c) de la Loi
constitutionnelle de 1867, il s'ensuit que la législa-
ture avait l'intention qu'AGT exploite une entre-
prise de nature locale et qu'AGI, en exploitant
une entreprise de nature fédérale, a outrepassé ses
pouvoirs en n'agissant pas conformément aux fins
pour lesquelles elle a été constituée. En consé-
quence, elle ne peut invoquer sa qualité de manda-
taire de la Couronne pour se soustraire à l'applica-
tion des lois qui régissent les entreprises fédérales.
Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, annule-
rais l'ordonnance de la Division de première ins
tance et rejetterais la demande de bref de prohibi
tion présentée par Alberta Government
Telephones. J'ordonnerais à Alberta Government
Telephones de payer les dépens de l'appelante tant
devant cette Cour que devant la Division de pre-
mière instance, mais je ne rendrais aucune ordon-
nance en ce qui concerne les dépens des autres
parties.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Je déciderais de l'appel ainsi que
le propose le juge Pratte et souscris à ses motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.