T-1398-85
Lin Trading Co. Ltd. (appelante)
c.
CMB Kabushiki Kaisha faisant également affaire
sous la raison sociale Japan CBM Corporation et
le registraire des marques de commerce (intimés)
RÉPERTORIÉ: LIN TRADING CO. c. CBM KABUSHIKI KAISHA
Division de première instance, juge Joyal—
Ottawa, 8 décembre 1986 et 26 janvier 1987.
Marques de commerce — Enregistrement — Opposition —
La société japonaise intimée commercialise des montres sous
la marque de commerce »Q & Q. dont elle est titulaire depuis
1976 — Contrats de vente et d'achat de montres au Canada
conclus entre l'intimée et la société commerciale canadienne
appelante — L'appelante a par la suite demandé l'enregistre-
ment au Canada de la marque de commerce »Q & Q.
employée en liaison avec des marchandises identiques — L'op-
position de l'intimée a été confirmée — L'observation des
procédures prévues par la loi ne saurait justifier de faire
obstacle à l'objet et aux fins de la Loi — Le comportement de
l'appelante était déraisonnable étant donné les rapports parti-
culiers qui ont existé entre les parties — Un tel comportement
fait en sorte qu'il serait injuste qu'on invoque une loi — Loi
sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art.
16, 29.
La société intimée est une société japonaise qui lance des
montres sur le marché intérieur et extérieur. Les montrés sont
vendues sous la marque de commerce «Q & Q» dont l'intimée
est titulaire depuis 1976. En 1980, l'appelante, société commer-
ciale torontoise, a, en réponse à des demandes de renseigne-
ments faites par une banque pour le compte de l'intimée qui
avait décidé de s'infiltrer dans le marché canadien, fait savoir
qu'elle s'intéressait à la vente de ces montres au Canada. Des
cargaisons de ces marchandises ont par la suite été envoyées à
l'appelante et facturées à son nom. En 1981, l'appelante a
demandé l'enregistrement au Canada de la marque «Q & Q»
employée en liaison avec des marchandises identiques à celles
de l'intimée. L'opposition à l'enregistrement faite par l'intimée
a été confirmée. L'appelante prétend qu'elle était la première à
employer au Canada la marque de commerce et que, quel que
soit l'usage que l'intimée a pu faire de celle-ci, il ne s'agit pas
d'un «emploi» au sens de la Loi sur les marques de commerce.
Jugement: l'appel devrait être rejeté.
La Loi sur les marques de commerce vise à empêcher la
concurrence déloyale et l'appropriation illicite d'un objet intel-
lectuel. Faire droit à la prétention de l'appelante fondée sur les
dispositions législatives et les extraits des précédents reviendrait
à approuver la proposition selon laquelle l'observation des
procédures prévues par la loi pourrait faire obstacle à l'objet de
la Loi et aux fins qu'elle devait atteindre. Cela équivaudrait à
forcer le sens des articles 16 et 29 de la Loi.
Cela ne veut pas dire que le fait pour l'intimée d'être
propriétaire de la marque de commerce dans d'autres pays
empêche un requérant d'obtenir l'enregistrement au Canada
d'une marque identique. Le litige dont est saisie la Cour
découle des rapports particuliers entre les parties qui ont signé
des contrats d'achat et de vente de ces montres au Canada, et
qui ont discuté de la possibilité de désigner l'appelante comme
concessionnaire exclusive. Compte tenu de ces rapports, le
comportement de l'appelante était déraisonnable. Normale-
ment, un tel comportement fait en sorte qu'il serait injuste
qu'une personne invoque une loi pour se justifier.
Le pouvoir discrétionnaire résiduel qui revient à un regis-
traire ou à une cour de trancher la question de savoir si
l'appelante peut prétendre au premier emploi au Canada parce
qu'elle était la première à faire connaître la marque aux
détaillants ou consommateurs ne devrait pas, dans les circons-
tances, être exercé en faveur de l'appelante.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Applegate v. Moss, [1971] 1 Q.B. 406 (C.A.).
AVOCATS:
Donald M. Cameron pour l'appelante.
Joseph A. Day pour CBM Kabushiki Kaisha,
intimée.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour l'appelante.
Ogilvy, Renault, Ottawa, pour CBM Kabu-
shiki Kaisha, intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: L'appelante est une société
commerciale exerçant ses activités à Toronto. La
société intimée est une société japonaise qui vend
des montres et d'autres pièces d'horlogerie sous les
marques de commerce «Q & Q» (Modèle) et «Q
and Q».
Ces produits sont fabriqués au Japon par Citi
zen Watch Company, la société mère de la société
intimée, sur commande de celle-ci. Le fabriquant
se fonde sur les mémoires descriptifs de l'intimée
et appose sur ces articles la marque de commerce
«Q and Q» ou «Q & Q». Ceux-ci sont alors embal-
lés pour être livrés à l'intimée qui entreprend alors
de les lancer sur le marché intérieur et extérieur.
Les marques elles-mêmes ont été conçues par le
président de la société intimée, M. Taijiro Futa-
gami et ont été utilisées pour la première fois en
avril 1976. Elles ont été enregistrées au Japon peu
de temps après. D'après la preuve, les lettres Q &
Q signifient Qualité et Quantité.
Depuis lors, la société intimée a présenté une
demande pour que ces marques soient enregistrées
dans quelque soixante-six pays. Elle en a obtenu
l'enregistrement dans treize d'entre eux, notam-
ment aux États-Unis d'Amérique.
Au cours de l'année 1980, la société intimée a
décidé de s'infiltrer dans le marché canadien. Elle
s'est renseignée auprès de ses banquiers japonais
qui ont alors pris contact avec la Banque Royale
du Canada. Par la suite, deux sociétés canadien-
nes, à savoir Microsonic Digital Systems Ltd. et
Lin Trading, l'appelante, toutes deux de Toronto,
ont fait savoir qu'elles s'intéressaient à la vente de
ces montres.
À la demande de renseignements formulée par
Lin Trading le 3 octobre 1980, l'intimée a répondu
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Monsieur,
Par l'entremise de Fuju Bank Limited de Tokyo, nous avons
obtenu le nom de votre société en nous adressant à la Banque
Royale du Canada.
Nos montres, qui portent la marque Q & Q, sont fabriquées par
Citizen au Japon et elles ont commencé à faire concurrence aux
montres faites à HK, qui sont de moins bonne qualité. Jus-
qu'ici, nous avons obtenu beaucoup de succès aux E.-U. et en
Europe.
Vous trouverez ci-joints la liste de nos prix et des brochures qui
indiquent les différents produits que nous offrons actuellement.
A partir de janvier 1981, nous aurons plus de trente nouveaux
modèles, notamment les montres Analogue Quartz, au prix de
4 000 yens. Ces nouveaux modèles seront introduits au moyen
de photos ou de nouvelles brochures vers la fin de cette année.
Nous vous remercions de l'attention que vous porterez- aux
documents ci-joints et nous vous prions de nous faire part de
vos commentaires dès que possible.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments
distingués.
CITIZEN BUSINESS MACHINES INC.
Hideaki Jinno
Division internationale
pJ•
Par la suite, Lin Trading a envoyé des messages
par télex les 3 et 25 novembre auxquels l'intimée a
répondu également par télex en date du 5 novem-
bre et du 6 décembre 1980.
L'intimée a reçu de Microsonic Digital Systems
Ltd. une demande de renseignements semblable
datée du 6 octobre 1980 dans laquelle celle-ci
demandait qu'on lui envoie des échantillons de
montres portant la marque «Q and Q». Voici la
réponse de l'intimée en date du 11 novembre 1980:
[TRADUCTION] Monsieur,
Nous accusons réception de votre lettre du 6 octobre et nous
vous en remercions.
En réponse à votre demande, nous disposons actuellement
d'échantillons des modèles pour dames et nous comptons vous
les faire parvenir dans une semaine. Comme la production des
modèles pour dames vient de commencer, nous vous saurions
gré de nous permettre de satisfaire partiellement à votre
commande.
Pour ce qui est des modèles Analog Quartz, nous sommes
heureux de vous faire parvenir notre liste des prix et des photos
de nos nouveaux produits qui apparaîtront sur le marché à
compter de janvier 1981. Nous vous faisons remarquer que vous
ne pourrez profiter de notre liste des prix que si vous achetez au
moins 10 000 unités qui sont offertes à un prix très spécial.
Nous vous remercions de l'attention que vous portez à cette
affaire.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments
distingués.
JAPAN CBM CORPORATION
Hideaki Jinno
Division internationale
Il ressort de la preuve que, en temps utile, divers
lots de montres Q & Q ont été livrés aux sociétés
canadiennes. Trois cargaisons totalisant seize mon-
tres ont été envoyées à Microsonic Digital Systems
Ltd. les 8, 9 et 10 décembre 1980 et facturées à
son nom. Lin Trading a reçu elle aussi une plus
grande quantité de montres Q & Q qui ont été
facturées à son nom. Le 19 janvier 1981, quelque
62 montres, auxquelles on avait joint de la docu
mentation, ont été envoyées à Lin Trading et
facturées à son nom. Une autre cargaison de quel-
que 2 380 bracelets de marque «Q & Q» a été
expédiée le 27 mars 1981, et une cargaison de
moindre importance, le 19 octobre 1981.
Le 24 avril 1981, Lin Trading a demandé au
registraire des marques de commerce d'enregistrer
la marque de commerce «Q & Q» employée en
liaison avec des marchandises identiques. La
requérante a déclaré qu'elle utilisait la marque au
Canada depuis janvier 1981, en liaison avec des
montres, horloges, mécanismes d'horlogerie et
mouvements d'horlogerie, et qu'elle était convain-
cue d'avoir le droit d'utiliser cette marque. La
demande a été présentée sous le numéro d'ordre
469,134. Plusieurs mois plus tard, soit le 17 février
1982, la demande a paru dans le Journal des
marques de commerce. L'intimée a déposé son
opposition le 12 mars 1982.
Après que les parties se furent livrées à une
joute oratoire au moyen de plaidoiries, d'affidavits,
de contre-interrogatoires et d'argumentation orale,
le fonctionnaire présidant l'audience au nom du
registraire a confirmé l'opposition de l'intimée, et
il a déclaré que l'appelante Lin Trading n'était pas
une personne qui avait le droit d'obtenir un enre-
gistrement sous le régime de l'alinéa 16(1)a) de la
Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970,
chap. T-10].
Dans sa décision qui est publiée dans 5 C.P.R.
(3d) 27, le fonctionnaire qui présidait l'audience,
M. Troicuk, a examiné toutes les questions de fond
dont il était saisi. Il a conclu que l'opposante avait
antérieurement employé la marque de commerce
au Canada dans le cours normal du commerce,
qu'elle n'avait pas abandonné sa marque de com
merce et que celle-ci était réputée. Il a décidé que
l'envoi de montres à la requérante faisait partie
d'une activité globale et possédait tous les éléments
commerciaux nécessaires pour faire de la vente ou
du transfert des montres à la requérante une vente
ou un transfert dans le cours normal du commerce.
L'appelante à l'instance n'est pas d'accord avec
cette décision. Son avocat soutient que l'utilisation
de la marque par l'intimée au Canada antérieure-
ment au 31 janvier 1981 ne s'est pas faite dans le
cours normal du commerce. Il prétend en fait que
le fonctionnaire présidant l'audience ne disposait
d'aucun élément de preuve permettant de savoir ce
qu'était le cours normal du commerce pour ces
marchandises. D'une manière générale, dit-il, le
cours normal du commerce est la vente commer-
ciale de marchandises par le fabriquant au gros-
siste et par le grossiste au détaillant. Il prétend
toutefois que ces éléments font défaut en l'espèce
et que, par conséquent, quel que soit l'usage que
l'intimée a pu faire de la marque de commerce, il
ne s'agit pas d'un «emploi» au sens de la Loi sur les
marques de commerce.
La façon dont l'avocat de l'appelante a abordé le
problème fait voir jusqu'à quel point on peut
recourir à des astuces pour défendre les intérêts
d'une partie. Avec tout le respect que je dois à
l'avocat et pour sa cause, le cas dont je suis saisi
dénote une tentative de s'approprier les biens
d'autrui.
On ne saurait vraiment contester les faits eux-
mêmes. L'intimée est propriétaire du modèle Q &
Q depuis 1976. Depuis des années, elle commercia
lise des pièces d'horlogerie dans plusieurs pays du
monde. Dans treize de ces pays, elle fait en sorte
que sa marque de commerce soit protégée par la
loi. Dans ses négociations initiales avec l'appelante
Lin Trading, ainsi qu'avec Microsonic Digital Sys
tems Ltd., elle décrit clairement ses marchandises
comme des montres Q & Q. Les factures de
l'intimée indiquent également que ses marchandi-
ses visent cette partie du marché que sont les
montres-bracelets bon marché.
De plus, l'intimée envoie à l'appelante des illus
trations, catalogues et spécifications qui décrivent
la gamme tout entière de ses montres sous l'éti-
quette Q & Q.
Il suffit certainement d'un minimum de bon sens
pour conclure que les marchandises de l'intimée
ont été commercialisées sous le modèle Q & Q, et
que c'est elle qui est propriétaire de ce modèle du
moins en common law. Il suffit également d'un
minimum de bon sens pour conclure que l'action
intentée par l'appelante pour faire enregistrer la
marque au Canada était déraisonnable, compte
tenu des rapports qui ont existé entre les parties
pendant plusieurs mois. Normalement, un tel com-
portement fait en sorte qu'il serait injuste qu'une
personne invoque une loi pour se justifier (voir
Applegate v. Moss, [1971] 1 Q.B. 406 (C.A.)).
À mon avis, il est évident que la Loi sur les
marques de commerce vise à empêcher la concur
rence déloyale et l'appropriation illicite d'un objet
intellectuel. Accueillir l'argument de l'appelante
fondé sur les dispositions législatives et les extraits
des précédents reviendrait à approuver la proposi
tion selon laquelle l'observation des procédures
prévues par la loi pourrait faire obstacle à l'objet
même de la Loi et aux fins qu'elle devait atteindre.
Ce serait utiliser les règles de la loi pour porter
atteinte aux droits du titulaire.
Je ne veux pas dire par là que le fait pour
l'intimée d'être propriétaire de la marque de com
merce ailleurs qu'au Canada empêche nécessaire-
ment un requérant d'obtenir l'enregistrement au
Canada d'une marque de commerce identique. Je
répète que le litige dont je suis saisi découle des
rapports particuliers entre les parties qui ont non
seulement signé des contrats d'achat et de vente de
montres Q & Q au Canada, mais qui ont aussi
échangé de la correspondance pour que l'appelante
puisse devenir concessionnaire exclusive de cel-
les-ci et mettre sur pied un système d'assemblage
des pièces d'horlogerie au Canada. Étant donné
ces faits, je doute que l'appelante puisse soutenir
avec succès qu'une autre personne n'avait pas fait
connaître la marque de commerce au Canada. Elle
ne peut pas non plus prétendre qu'elle est la per-
sonne ayant droit à l'enregistrement. Toute autre
conclusion reviendrait à passer sous silence les
circonstances dans lesquelles l'appelante aurait
adopté la marque de commerce en premier lieu. Ce
serait louanger un comportement louche et légiti-
mer ce que je considère comme une pratique com-
merciale douteuse.
Pour ceux qui souscrivent à la théorie du droit
de Kelsen et qui prétendent que l'interprétation
législative ne laisse aucune place à la moralité, je
me permets d'ajouter que ce serait aller à l'encon-
tre de l'intérêt public et forcer le sens des disposi
tions des articles 16 et 29 de la Loi sur les
marques de commerce que de faire droit à la
demande de l'appelante.
Le principal point de droit dont je suis saisi
consiste à savoir si l'appelante peut prétendre avoir
été la première à employer la marque de com
merce au Canada parce qu'elle a été la première à
faire connaître la marque aux détaillants ou con-
sommateurs. À supposer qu'il s'agisse d'un cas
limite, compte tenu de la preuve, j'estime que le
pouvoir discrétionnaire résiduel qui revient à un
registraire ou à une cour de trancher le point
litigieux ne devrait pas, dans les circonstances, être
exercé en faveur de l'appelante.
Je devrais peut-être aller plus loin. Même si je
devais juger le comportement de l'appelante d'une
façon plus conciliante et lui accorder une excel-
lente note pour son flair d'entrepreneur, je souscri-
rais néanmoins aux conclusions de fait et de droit
soigneusement tirées par le fonctionnaire présidant
l'audience lorsqu'il a rejeté la demande.
L'appel est rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.