T-2590-86
Rohan Gopaul Rajpaul (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: RAJPAUL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Muldoon—
Winnipeg, 2 décembre 1986 et 23 janvier 1987;
Ottawa, 16 avril 1987.
Immigration — Le requérant a parrainé la demande de
résidence permanente présentée par son épouse — Demande
rejetée pour le motif que celle-ci s'était mariée principalement
dans le but d'obtenir l'admission au Canada — Appel interjeté
du rejet de la demande — L'épouse s'est vu refuser un visa lui
permettant d'entrer au Canada pour témoigner au cours de
l'appel — Le requérant sollicite un bref de certiorari annulant
le refus du visa — Requête accueillie — Le désir de l'épouse
de se rendre au Canada pour y témoigner devant la Commis
sion ne constitue pas un motif en vertu duquel l'agent des visas
peut légalement conclure que ladite épouse n'est pas un visi-
teur de bonne foi — Le requérant a droit à une audition
impartiale — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, art. 19(3), 65(2)c) — Règlement sur l'immigration de
1978, DORS/78-172, art. 4(1)a),(3) (mod. par DORS/84-140,
art. 1).
Déclaration des droits — Immigration — L'épouse du
requérant s'est vu refuser la résidence permanente pour le
motif qu'elle s'était mariée pour obtenir l'admission au pays et
qu'elle n'avait pas l'intention de cohabiter en permanence avec
son mari — Le requérant, qui a parrainé la demande, a formé
appel contre le refus — On a refusé d'accorder à l'épouse un
visa lui permettant d'entrer au Canada pour y témoigner au
cours de l'appel — Le refus d'accorder le visa porte atteinte au
droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes
de justice fondamentale, garanti au requérant par l'art. 2e) —
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III,
art.. 2e).
Le requérant a parrainé la demande de résidence permanente
présentée par son épouse. Les fonctionnaires des visas en poste
au Guyana ont rejeté la demande pour le motif que l'épouse
s'était mariée avec le requérant principalement dans le but
d'obtenir l'admission au Canada à titre de membre de la
catégorie de la famille et non avec l'intention de vivre en
permanence avec son conjoint comme le prévoit le paragraphe
4(3) du Règlement sur l'immigration de 1978. Le requérant a
interjeté appel de cette décision devant la Commission d'appel
de l'immigration. L'intimé a refusé d'accorder à l'épouse du
requérant un visa lui permettant de venir au Canada pour
témoigner au cours dudit appel. La présente requête vise à
obtenir un bref de certiorari annulant la décision de l'intimée
de refuser le visa.
Le litige porte sur la question de savoir s'il est possible pour
le requérant d'avoir une audition impartiale de sa cause selon
les principes de justice fondamentale, conformément à l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits, s'il ne peut
bénéficier de la présence de son épouse devant la Commission
pour qu'elle y témoigne au sujet des raisons pour lesquelles elle
l'a épousé.
Jugement: la requête doit être accueillie.
La Cour ne pouvait fonder sa décision sur les arrêts Prata et
Singh prononcés par la Cour suprême du Canada parce que
ceux-ci représentaient deux points de vue diamétralement oppo-
sés dans le cadre de la présente demande. En l'absence d'une
disposition dans la Loi prévoyant une procédure qu'on pourrait
appeler «un visa ad testificandum accompagné d'une ordon-
nance d'expulsion arrêtée d'avance», il fallait solutionner les
prétentions contradictoires en appliquant le droit actuel. La
Cour a examiné les décisions qu'elle avait rendues dans les
affaires Brar, Horbas et Singh et elle a jugé qu'elles se
distinguaient de l'espèce.
C'est dans l'opinion incidente du juge Mahoney dans l'arrêt
Kahlon c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
[1986] 3 C.F. 386 (C.A.), que l'on trouve la solution du présent
litige. Dans cet arrêt, l'intimé a interjeté appel du refus d'accor-
der des visas de visiteurs à des membres de sa famille pour le
motif qu'ils n'étaient pas réputés être des visiteurs de bonne foi
au Canada. Le juge Mahoney a fait droit à l'appel formé par le
ministre contre l'octroi d'un mandamus, mais il a fait remar-
quer que l'issue de l'appel aurait pu être différent si l'intimé
avait demandé un bref de certiorari au motif que le souhait des
membres de la famille de se rendre au Canada pour y témoi-
gner ne constituait pas un motif en vertu duquel l'agent des
visas pouvait légalement conclure qu'ils n'étaient pas des visi-
teurs de bonne foi. C'est pour cette même fin que le requérant
cherche à obtenir un certiorari. L'alinéa 2e) conférait au
requérant un droit fondamental à une audition impartiale qui
subsumait le droit à une telle audition garanti par la common
law. L'épouse du requérant pouvait être autorisée à entrer au
Canada par l'octroi d'un permis du ministre, d'un visa de
visiteur ou d'une autorisation de séjour limité, conformément
au paragraphe 19(3) de la Loi.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
C. K. Singh (Saran) c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration (1987), 6 F.T.R. 15 (C.F. 1te inst.); Brar c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 C.F.
914 (C.A.); Horbas c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, [1985] 2 C.F. 359 (1'° inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kahlon c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1986] 3 C.F. 386 (C.A.); Prata c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376;
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; 17 D.L.R. (4th) 422; (1985),
58 N.R. 1.
DÉCISION CITÉE:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Rabbins,
[1984] 1 C.F. 1104 (C.A.).
AVOCATS:
David Matas pour le requérant.
Brian H. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Le requérant cherche à
obtenir un bref de certiorari pour faire annuler la
décision de l'intimé qui a refusé un visa de visiteur
à Sumintra Ramdas et empêché ainsi cette der-
nière d'entrer au Canada et de témoigner au cours
de l'appel formé par ledit requérant, qui est son
répondant; il demande en outre que l'affaire soit
renvoyée à l'intimé pour que celui-ci la réexamine.
Le requérant avait auparavant demandé de par-
rainer Sumintra Ramdas, qu'il prétend être son
épouse, en soumettant un engagement à fournir de
l'aide daté du 11 octobre 1985. Sumintra Ramdas
a présenté une demande de résidence permanente
le 16 janvier 1986, mais celle-ci lui a été refusée
dans une lettre datée du 3 mars 1986 et rédigée
par un conseiller en immigration du Canada en
poste à Georgetown (Guyana). Ce dernier a
motivé sa décision en disant que Sumintra Ramdas
s'était mariée principalement dans le but d'obtenir
l'admission au Canada à titre d'immigrante de la
catégorie de la famille et non avec l'intention de
vivre en permanence avec son conjoint, comme le
prévoit le paragraphe 4(3) du Règlement sur l'im-
migration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par
DORS/84-140, art. 1)] qui est cité en l'espèce. Il a
également exposé les faits accessoires sur lesquels
il fondait sa décision.
Le requérant a interjeté appel de ce refus devant
la Commission d'appel de l'immigration (la Com
mission). À sa demande, la Commission a assigné
Sumintra Ramdas (Ramdas) le 2 octobre 1986 et
cet acte d'assignation lui a été expédié par lettre
quatre jours plus tard. L'avocat du requérant a
écrit le même jour au bureau des visas du Canada
à Georgetown afin de demander qu'on remette à
Ramdas un visa lui permettant de se rendre à
Winnipeg pour témoigner au cours de l'appel et, si
cette demande était rejetée, qu'on lui fournisse les
motifs écrits de ce refus.
L'audition de l'appel a commencé le 14 octobre
1986. La Commission a refusé d'invoquer l'alinéa
65(2)c) de la Loi [Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, chap. 52] pour recevoir la communi
cation téléphonique d'une voix féminine provenant
de Georgetown, celle-ci ne pouvant être catégori-
quement identifiée comme celle de Ramdas qui,
d'après les membres de la Commission, ne pouvait
de toute manière être assermentée. (Il semble,
d'après la transcription, que personne n'a songé â
essayer d'obtenir l'aide du ou d'un conseiller cana-
dien à Georgetown pour identifier la personne et
lui faire prêter serment ou lui faire faire une
déclaration solennelle.) Après avoir examiné la
possibilité que le témoignage de Ramdas soit reçu
sous forme d'affidavit ou encore qu'il soit recueilli
par une commission rogatoire, la Commission a
finalement ajourné les procédures sine die afin de
donner le temps au requérant de soumettre la
présente requête à cette Cour.
Dans un télex daté du 21 octobre 1986, le
bureau des visas de Georgetown a indiqué à la
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada à Winnipeg les motifs de son refus de
délivrer des visas de visiteur en l'espèce et dans
l'affaire connexe. Les fonctionnaires de George-
town estimaient pour l'essentiel que Ramdas ne
retournerait pas volontairement au Guyana.
[TRADUCTION] Elle n'est pas admissible au Canada en raison
de l'alinéa 19(7)[sic]h). Sa demande de résidence permanente
présentée à titre de membre de la catégorie de la famille a été
rejetée parce qu'on estime qu'elle s'est mariée principalement
dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de membre
de la catégorie de la famille. Elle est actuellement non admissi
ble en raison de l'alinéa 19(2)d) de la Loi.
L'audition de la présente demande et de l'affaire
connexe Stuart c. Canada (ministre de l'Emploi et
de l'Immigration) [Cour fédérale, Division de pre-
mière instance, T-2591-86, ordonnance en date du
14 avril 1987, non encore publiée] dans laquelle les
mêmes avocats représentent les parties, a eu lieu à
Winnipeg (Manitoba) les 2 décembre 1986 et 23
janvier 1987, et, par la suite, les deux avocats ont
présenté des arguments écrits de façon sporadique
jusque vers la fin du mois de février 1987. S'ils
s'étaient montrés plus concis et avaient condensé
leurs arguments, la décision aurait été prononcée
plus rapidement.
L'avis de requête déposé par le requérant expose
les motifs allégués au soutien de sa demande de
certiorari:
[TRADUCTION] a) Il faut interpréter et appliquer la Loi sur
l'immigration de manière à ne pas porter atteinte au droit d'une
personne à une audition impartiale de sa cause selon les princi-
pes de justice fondamentale, droit qui lui est garanti par l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits.
b) Lorsqu'un conjoint étranger se voit refuser l'admission au
Canada à titre d'immigrant en vertu du paragraphe 4(3) du
Règlement, le refus de lui accorder le permis du ministre ou le
visa de visiteur qu'il sollicite aux fins de témoigner au cours de
l'appel en matière d'immigration interjeté par son répondant,
porte atteinte au droit dudit répondant à une audition impar-
tiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale.
c) Si on présume que Sumintra Ramdas fait partie de la
catégorie de personnes non admissibles prévue à l'alinéa
19(1)h) de la Loi, le fonctionnaire responsable du bureau des
visas à Georgetown (Guyana) possède le pouvoir délégué de
délivrer à ladite Sumintra Ramdas un permis du ministre lui
permettant d'entrer au Canada aux fins de témoigner au cours
de l'appel en matière d'immigration interjeté par son répon-
dant, c'est-à-dire le requérant.
d) Il appartient à un arbitre et non à un agent des visas de
déterminer si une personne est visée par l'alinéa 19(1)h) de la
Loi sur l'immigration.
e) Une personne qui n'est pas admissible à titre d'immigrant en
vertu du paragraphe 4(3) du Règlement et de l'alinéa 19(2)d)
de la Loi peut néanmoins être un visiteur véritable aux fins de
témoigner à l'audition de l'appel en matière d'immigration
interjeté par son répondant et époux, et elle est donc admissible
en vertu du paragraphe 19(3) de la Loi.
Il ne fait aucun doute que le premier motif
invoqué par le requérant est fondé. Les audiences
que tient ou doit tenir la Commission doivent
respecter les exigences de l'alinéa 2e) de la Décla-
ration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appen-
dice III]. Une telle conclusion ne répond toutefois
pas aux questions de savoir quels sont les critères
d'une audition impartiale et de la justice fonda-
mentale compte tenu des circonstances, et quelles
sont les personnes dont les droits sont définis.
Le requérant prétend répondre à ces questions à
l'alinéa b) de ses motifs. L'alinéa 4(1)a) du Règle-
ment [mod. par DORS/84-140, art. 1] est clair
pour ce qui est des procédures d'appel engagées
devant la Commission et la Division d'appel de
cette Cour a confirmé, dans l'arrêt Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration c. Robbins, [ 1984] 1
C.F. 1104, aux pages 1106 et 1107, que le droit de
parrainer une demande d'établissement présentée
par son conjoint appartient au requérant. C'est
donc la définition de ce droit qui entraîne l'appli-
cation de l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits.
Il semble que l'arrêt Robbins ait précipité l'adop-
tion du paragraphe 4(3) du Règlement qui retire,
ou rend inapplicable, le droit conféré par l'alinéa
4(1)a) de parrainer un «conjoint qui s'est marié
principalement dans le but d'obtenir l'admission
au Canada à titre de membre de la catégorie de la
famille et non avec l'intention de vivre en perma
nence avec son conjoint». Il est évident qu'il s'agit
de déterminer le droit de parrainer une demande
d'établissement présentée par l'épouse du requé-
rant et non le droit d'obtenir le droit d'établisse-
ment ou d'exiger celui-ci pour son épouse.
Mais le droit du requérant de parrainer la
demande d'établissement présentée par son épouse
n'est pas mis en doute dans la mesure où il n'est ni
modifié ni retiré par l'invocation du paragraphe
4(3) du Règlement. La présente procédure ne con-
cerne pas l'invocation ou l'applicabilité dudit para-
graphe 4(3), car cette question devra être détermi-
née par la Commission lorsque son audience
reprendra. Le litige porte plutôt sur la question de
savoir s'il est possible pour le requérant d'avoir une
audition impartiale de sa cause selon les principes
de justice fondamentale s'il ne peut bénéficier de la
présence de son épouse devant la Commission pour
qu'elle y témoigne.
L'avocat du requérant cite les propos de
madame le juge Wilson dans l'arrêt de la Cour
suprême du Canada Singh et autres c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S.
177; 17 D.L.R. (4th) 422; (1985), 58 N.R. 1 (aux
pages 213 et 214 R.C.S.; 465 D.L.R.; 63 N.R.):
Je ferai cependant remarquer que, même si les auditions
fondées sur des observations écrites sont compatibles avec les
principes de justice fondamentale pour certaines fins, elles ne
donnent pas satisfaction dans tous les cas. Je pense en particu-
lier que, lorsqu'une question importante de crédibilité est en
cause, la justice fondamentale exige que cette question soit
tranchée par voie d'audition. Les cours d'appel sont bien cons-
cientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des
questions de crédibilité sont en jeu et elles sont donc très peu
disposées à réviser les conclusions des tribunaux qui ont eu
l'avantage d'entendre les témoins en personne: voir l'arrêt Stein
c. Le navire .Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802, aux pp. 806 à
808 (le juge Ritchie). Je puis difficilement concevoir une
situation où un tribunal peut se conformer à la justice fonda-
mentale en tirant, uniquement à partir d'observations écrites,
des conclusions importantes en matière de crédibilité.
Comme l'a souligné avec justesse l'avocat du
requérant, la détermination du droit du requérant
devant la Commission dépend indubitablement de
sa crédibilité et de celle de son épouse—en particu-
lier, de la crédibilité de cette dernière—quant au
but pour lequel elle s'est mariée avec lui.
Pour sa part, l'avocat de l'intimé a eu raison de
faire remarquer que madame le juge Wilson a fait
cette observation dans le cadre d'une procédure
par laquelle les requérants, qui se trouvaient déjà
au Canada, réclamaient le statut de réfugiés au
sens de la Convention, situation tout à fait diffé-
rente de l'espèce. Il souligne également les propos
de madame le juge Wilson dans l'arrêt Singh (aux
pages 189 R.C.S.; 446 D.L.R.; 33 N.R.) qui, à son
avis, énoncent correctement la règle de droit
applicable:
Les appelants ne tentent pas de revendiquer un droit d'entrer
et de demeurer au Canada, qui soit semblable au droit reconnu
aux citoyens canadiens par le par. 6(1) de la Charte. De même,
sous le régime de la common law, un étranger n'a pas le droit
d'entrer au Canada ou d'y demeurer sauf avec l'autorisation de
Sa Majesté: Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376. Dans l'arrêt Prata, le juge
Martland a énoncé, à la p. 380, la règle selon laquelle «Le droit
des étrangers d'entrer et de demeurer au Canada, est régi par la
Loi sur l'immigration» et le par. 5(1) prévoit que «Seules les
personnes visées à l'article 4 ont le droit d'entrer au Canada et
d'y demeurer».
La Cour suprême a rendu une décision unanime
dans l'arrêt Singh, mais ses membres se sont divi-
sés en deux groupes égaux sur la question de savoir
s'il fallait fonder cette décision sur la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) ou sur la Déclaration canadienne des
droits. Le juge Beetz a rédigé le jugement au nom
de ceux qui ont appuyé leur décision sur la Décla-
ration des droits.. li a. écrit (aux pages 228 R.C.S.;
433 D.L.R.; 12 et 13 N.R.):
En conséquence, la procédure d'examen et de réexamen des
revendications du statut de réfugié des appelants comporte la
définition de droits et d'obligations à l'égard desquels les appe-
lants ont droit, en vertu de l'al. 2e) de la Déclaration cana-
dienne des droits, à une audition impartiale selon les principes
de justice fondamentale. Il s'ensuit également que cette affaire
peut être distinguée de celles où un simple privilège a été refusé
ou révoqué comme, par exemple, dans les affaires Prata c.
Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] I
R.C.S. 376, et Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570.
[Non souligné dans le texte original.]
Le juge Beetz a également fait remarquer dans
l'arrêt Singh (aux pages 229 R.C.S.; 434 D.L.R.;
14 N.R.):
Je ne veux pas laisser entendre que les principes de justice
fondamentale exigent la tenue d'audition dans tous les cas.
Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat
of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, la p. 747, le juge Estey,
s'exprimant au nom de la Cour, cite l'opinion du lord juge
Tucker dans l'arrêt Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1 All
E.R. 109 (C.A.), à la p. 118:
[TRADUCTION] Les exigences de la justice naturelle doivent
varier selon les circonstances de l'affaire, la nature de l'en-
quête, les règles qui régissent le tribunal, la question traitée,
etc.
Les facteurs les plus importants lorsqu'il s'agit de déterminer
le contenu de la justice fondamentale sur le plan de la procé-
dure dans un cas donné sont la nature des droits en cause et la
gravité des conséquences pour les personnes concernées.
Le passage précité, bien qu'il concerne les reven-
dications du statut de réfugié, et la règle de droit
exposée dans l'arrêt Prata [Prata c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S.
376] représentent deux points de vue diamétrale-
ment opposés dans le cadre de la présente
demande. En l'absence de toute disposition dans la
Loi prévoyant un document ou une procédure que
l'on pourrait appeler [TRADUCTION] «un visa ad
testificandum accompagné d'une ordonnance d'ex-
pulsion arrêtée d'avance», il faut solutionner les
prétentions contradictoires en appliquant le droit
actuel.
Dans l'affaire C. K. Singh (Saran) c. Ministre
de l'Emploi et de l'Immigration (1987), 6 F.T.R.
15, décision prononcée par le juge Cullen de cette
Cour en juillet 1986, une épouse a cherché à faire
annuler le refus du ministre de permettre à son
mari d'entrer au Canada pour venir témoigner
devant la Commission. Les points de droit en cause
ressemblent beaucoup à ceux de l'espèce, mais les
faits sont très différents. Le juge Cullen a terminé
ses motifs écrits avec le passage suivant au sujet du
mari [à la page 22]:
Il a ainsi prétendu être un non-immigrant authentique, et a
versé un cautionnement sous condition de se présenter à une
enquête, ce qu'il a omis de faire. Il a travaillé illégalement, s'est
procuré une carte d'assurance sociale au nom de Raja Gill et,
lorsqu'on l'a arrêté, a affirmé être Raja Gill et avoir employé ce
nom pour se soustraire aux autorités de l'immigration. On l'a
reconnu coupable et il a été condamné. Il n'a pas hésité à
fournir des renseignements mensongers quant au fait qu'il
s'était vu refuser l'admission au Canada ou qu'on l'avait
expulsé.
Les motifs peuvent être déduits. Le redressement demandé
est discrétionnaire. Je ne vois aucun fondement sur lequel
s'appuyer pour exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur de
la requérante.
La demande est rejetée. Les dépens sont à la charge de la
requérante.
En l'espèce, on n'a pas avancé une telle litanie de
plaintes contre l'épouse du requérant.
Dans l'arrêt Brar c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 C.F. 914 (C.A.), cité pour
le compte de l'intimé, la requérante ne pouvait pas
agir comme répondant et, pour ce motif parmi
d'autres, sa demande a été rejetée. Cependant,
quant à l'application de l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion des droits, toute l'attention était centrée sur la
requérante qui n'avait pas le droit d'interjeter
appel devant la Commission parce qu'elle ne satis-
faisait pas aux exigences du Règlement. Elle avait
cherché à former un appel contre la décision d'un
agent d'immigration de refuser le droit d'établisse-
ment à ses parents et frères et soeurs. Le juge
Stone, qui a rédigé la décision de la Division
d'appel de cette Cour, a tenu le raisonnement
suivant (aux pages 921 et 922):
Il semble plutôt que la décision du 10 août 1983 ait été prise en
tenant pour acquis que les personnes appartenant à la catégorie
de la famille qui faisaient l'objet de la demande de droit
d'établissement n'ont pas «satisfait ... aux exigences de la
présente Loi ou des règlements» comme le prévoit l'alinéa
79(1)b) de la Loi. En conséquence, je suis d'avis que même si la
requérante possédait indéniablement un intérêt personnel dans
le sort de la demande de droit d'établissement, le rejet de cette
demande n'a pas, à strictement parler, porté atteinte à ses
droits en tant que répondant. Il n'y a donc pas eu «définition de
ses droits» au sens de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne
des droits lui donnant droit à une audition impartiale de sa
cause par voie d'appel.
La décision prononcée dans l'arrêt Brar a été
suivie par le juge Strayer de cette Cour dans
l'affaire Horbas c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 2 C.F. 359 (l ie inst.). Le
point central du litige est encore une fois différent
de l'espèce. Le juge Strayer a dit (à la page 363):
Il faut d'abord souligner qu'en l'espèce la décision en cause
concerne l'admissibilité du conjoint non canadien, et non celle
du parrain. Par conséquent, seuls les droits de la requérante
sont en cause. Voir Brar ... Je ne crois pas que sa situation soit
visée par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
En l'espèce, le répondant fait valoir qu'on lui
refuse une audition impartiale de son appel parce
que, bien qu'il semble être en mesure et désireux
de présenter un témoin, son épouse non cana-
dienne, afin qu'elle témoigne devant la Commis
sion sur une question essentielle de crédibilité et à
cette fin seulement, l'intimé l'empêche d'exercer
son droit à une telle audition. L'objet de son appel
est manifestement important et le résultat de
celui-ci dépendra de la façon dont la Commission
évaluera la crédibilité de l'épouse du requérant
relativement à son but principal en se mariant,
compte tenu du paragraphe 4(3) du Règlement.
L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Kahlon c.
Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1986] 3 C.F. 386 contraste avec les affaires
Brar et Horbas. Dans cette affaire, l'intimé avait
parrainé l'admission au Canada de ses parents et
de sa soeur. Un agent des visas en poste à l'étran-
ger a décidé que leur admission devait être refusée.
Tout comme le requérant en l'espèce, l'intimé a
interjeté appel de ce refus devant la Commission et
il a demandé des visas de visiteurs pour les mem-
bres de sa famille afin de leur permettre de témoi-
gner devant la Commission. Les visas en question
ont été refusés pour le motif que les membres de la
famille [TRADUCTION] «m'étaient pas réputés être
des visiteurs de bonne foi au Canada». La décision
a été rendue par les mêmes juges de la Cour
d'appel qui ont prononcé le jugement dans l'arrêt
Brar. Le jugement a été rédigé par le juge Maho-
ney qui a fait droit à l'appel formé contre l'octroi
d'un mandamus par le juge de première instance
([1985] 2 C.F. 124). Le juge Mahoney a toutefois
fait les observations suivantes au nom du banc
unanime de la Cour (à la page 387):
L'intimé eût-il demandé et obtenu un bref de certiorari qui
annulait le refus de délivrer des visas de visiteurs et renvoyait
l'affaire pour un nouvel examen au motif que le souhait des
requérants de se rendre au Canada pour y témoigner devant la
Commission ne constituait pas un motif en vertu duquel l'agent
des visas pouvait légalement conclure qu'ils n'étaient pas des
visiteurs de bonne foi, l'issue du présent appel pourrait fort bien
être tout autre.
C'est précisément ce sur quoi porte l'espèce, où le
requérant cherche à obtenir un certiorari pour
cette même fin. Compte tenu du fait que l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits s'ap-
plique au droit du requérant à une audition impar-
tiale de l'appel interjeté devant la Commission
pour que celle-ci définisse ses droits, il a le droit
d'obtenir un certiorari. L'alinéa 2e) confère au
répondant un droit fondamental à une audition
impartiale qui subsume le droit à une telle audition
garanti par la common law. On ne doit pas refuser
de donner au requérant l'occasion de présenter à la
Commission une preuve et un témoignage cru-
ciaux. Ce but pourrait être atteint si un permis du
ministre, un visa de visiteur ou une autorisation de
séjour limité était accordé conformément au para-
graphe 19(3) de la Loi.
L'avocat du requérant a souligné que l'article
104 de la Loi prévoit la détention d'une personne
pour assurer sa comparution à une enquête. Il a
déclaré que les conjoints non canadiens en l'espèce
et dans l'affaire Stuart (T-2591-86) accepteraient
de se soumettre à une telle détention, même s'il a
fait valoir qu'il n'existait aucun danger qu'ils dis-
paraissent au Canada. Cette possibilité semble
constituer la principale préoccupation de l'intimé.
Étant donné que les conjoints affirment, par l'in-
termédiaire de leur avocat, qu'ils acceptent volon-
tiers de se soumettre à une telle détention, celle-ci
constituera une condition du certiorari accordé en
l'espèce, que l'intimé pourra invoquer à sa
discrétion.
L'intimé devra verser au requérant les dépens et
autres frais de la présente demande.
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