T-272-87
John Mattia (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada et Michael Sloan (intimés)
RÉPERTORIÉ: MATTIA c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge McNair—
Halifax, 10, 11 et 12 février; Ottawa, 16 mars
1987.
Immigration — Statut de réfugié — Ordonnance d'expul-
sion — Requête en ordonnance enjoignant au ministre d'exa-
miner la demande de statut de réfugié ou de rouvrir l'enquête
sous le régime de l'art. 35 — Le requérant a été atteint d'une
maladie mentale — Il ne pouvait apprécier l'importance
d'exercer son droit d'être représenté par un avocat ni se rendre
compte qu'il devait faire valoir sa revendication du statut de
réfugié au cours de l'enquête — Le refus par l'arbitre de
rouvrir l'enquête, la condition posée par l'art. 45 selon laquelle
une telle revendication ne peut être faite qu'au cours de
l'enquête et l'ordonnance d'expulsion rendue sont manifeste-
ment injustes — Requête accueillie — Loi sur l'immigration
de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2, 19(1)a)(ii), 27(2)a),e),
32(6), 35, 104(2) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2 e Supp.), chap. 10, art. 18, 28.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Enquête en matière d'immigration — Ordonnance
d'expulsion — La maladie mentale du requérant a porté
atteinte à sa capacité d'apprécier les conséquences d'une omis
sion de satisfaire à la condition de l'art. 45(1) selon laquelle
une revendication du statut de réfugié doit être faite seulement
au cours d'une enquête — Le refus par l'arbitre de rouvrir
l'enquête prévue à l'art. 35, la condition posée par l'art. 45(1)
et l'ordonnance d'expulsion violent les droits garantis par l'art.
7 de la Charte — Application de l'arrêt Singh et autres c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [19851 1 R.C.S. 177
— L'art. / de la Charte ne justifie pas la violation de l'art. 7
— Selon toute vraisemblance, la vie du requérant sera menacé
si on le force à retourner dans son pays d'origine — La requête
en ordonnance enjoignant au ministre d'examiner la revendica-
tion du statut de réfugié est accueillie — Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 24(1) — Déclaration
canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e).
Une ordonnance d'expulsion a été rendue contre le requérant
à la suite d'une enquête tenue pour déterminer s'il faisait partie
d'une catégorie non admissible au sens du sous-alinéa
19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration de 1976, qui interdit
l'admission de personnes souffrant de détérioration de la santé
qui pourrait entraîner un fardeau excessif pour les services
médicaux ou sociaux. Le requérant ne s'est pas fait représenter
par un avocat à l'enquête, et il n'a pas fait valoir une revendica-
tion du statut de réfugié.
Le requérant a reçu un traitement pour maladie mentale au
cours de son séjour au Canada. Il soutient qu'il était atteint de
maladie mentale au cours de l'enquête. Le requérant conclut à
un bref de mandamus enjoignant au ministre d'examiner sa
revendication du statut de réfugié avant l'exécution de l'ordon-
nance d'expulsion ou, subsidiairement, de faire rouvrir l'en-
quête prévue à l'article 35 de la Loi afin qu'il puisse formuler
une demande de statut de réfugié. Il conclut en outre à une
ordonnance interdisant l'exécution de l'ordonnance d'expulsion.
La question se pose de savoir si, à la lumière de l'arrêt rendu
par la Cour suprême dans l'affaire Singh, le requérant s'est vu
refuser les droits garantis par l'article 7 de la Charte.
Jugement: la requête en bref de mandamus et en bref de
prohibition devrait être accueillie.
La preuve, compte tenu de la prépondérance des probabilités,
permet de conclure que le requérant atteint d'une maladie
mentale telle qu'il ne pouvait pas vraiment apprécier l'impor-
tance d'exercer son droit d'être représenté par un avocat ni
connaître les conséquences d'une renonciation à ce droit. Il ne
pouvait pas non plus se rendre compte qu'il devait faire valoir
sa revendication du statut de réfugié au cours de l'enquête,
étant donné le libellé du paragraphe 45(1) ("une enquête, au
cours de laquelle") et le sens que les tribunaux lui ont donné.
Le refus par l'arbitre de rouvrir l'enquête prévue à l'article 35
de la Loi qui lui aurait permis de recevoir d'autres preuves à
l'appui de la revendication du statut de réfugié, la condition
posée par le paragraphe 45(1) selon laquelle une revendication
ne peut être faite qu'au cours d'une enquête et l'ordonnance
rendue sont manifestement injustes dans les circonstances et
violent les droits que le requérant tient de l'article 7 de la
Charte. En fin de compte, les prescriptions législatives qui vont
à l'encontre de sa prétention au statut de réfugié et la décision
appropriée rendue à cet égard sous le régime de la Loi sont
devenues inopérantes.
Il ressort du raisonnement adopté dans l'affaire Singh que la
Loi sur l'immigration de 1976 accorde effectivement aux réfu-
giés au sens de la Convention certains droits qui ne sont pas
donnés à d'autres, notamment le droit de ne pas être forcés de
retourner dans un pays où leur vie, leur liberté ou leur sécurité
seront vraisemblablement en danger. L'article 1 de la Charte ne
saurait justifier la violation de l'article 7 en l'espèce compte
tenu du fait que, selon toute vraisemblance, la vie, la liberté ou
la sécurité du requérant seront menacées si on le force à
retourner dans son pays d'origine.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 58 N.R. 1; 12 Admin.
L.R. 137.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Hudnik,
[1980] 1 C.F. 180; (1979), 103 D.L.R. (3d) 308 (C.A.);
Mensinger c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), [1987] 1 C.F. 59; (1986), 5 F.T.R. 64 (1" inst.);
Ramnarain c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(1985), 55 N.R. 67 (C.A.F.); Saprai c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration (1986), 3 F.T.R. 215 (C.F.
1" inst.); Ragunauth c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, jugement en date du 28 juin 1985, Cour
fédérale, Division de première instance, T-1295-85, non
publié.
AVOCATS:
Vincent Calderhead pour le requérant.
Martin Ward pour les intimés.
PROCUREURS:
Metro Community Law Clinic, Halifax, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance prononcés à l'audience par
LE JUGE MCNAIR: Le requérant s'est fondé sur
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10] pour introduire la
présente requête visant à obtenir le redressement
suivant, c'est-à-dire une ordonnance:
[TRADUCTION] (i) de la nature d'un bref de mandamus enjoi-
gnant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de recevoir et
d'examiner sa demande de statut de réfugié;
(ii) de la nature d'un bref de mandamus enjoignant à l'intimé
Michael Sloan, ou à un autre arbitre, de rouvrir l'enquête tenue
en vertu de l'art. 29 de la Loi sur l'immigration afin qu'il puisse
formuler sa demande de réfugié;
(iii) de la nature d'un bref de prohibition interdisant à l'intimé
ou à ses délégués d'exécuter l'ordonnance d'expulsion en date
du 24 octobre 1986 jusqu'à ce que sa demande de réfugié au
sens de la Convention ait été prise en considération;
(iv) ou tout autre redressement prévu au par. 24(1) de la
Charte des droits que la Cour juge nécessaire pour faire droit à
la demande.
Diplômé du Sierra Leone, le requérant est entré
au Canada le 21 août 1985 grâce à un visa d'étu-
diant. Il s'est inscrit à un cours donné par l'Univer-
sité de Toronto. Il a dû interrompre ses études à
mi-chemin en raison d'une maladie mentale. Au
printemps 1986, il a quitté l'hôpital de Toronto
pour reprendre ses cours à l'Université. En septem-
bre 1986, il a décidé de s'inscrire à des cours de
troisième cycle donnés à l'Université de Dalhousie.
En juillet, le requérant s'est adressé aux autori-
tés d'immigration de Toronto pour demander une
prorogation de son visa, qui lui a été refusée. Le
Ministère a établi un rapport sur le requérant en
vertu de l'alinéa 27(2)a) de la Loi [Loi sur l'im-
migration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52], et il a
ordonné la tenue d'une enquête pour déterminer si
le requérant était une personne visée par cet alinéa
et faisant partie d'une catégorie non admissible au
sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii). Ce dernier interdit
l'admission de personnes souffrant de maladie ou
de détérioration de la santé qui pourrait vraisem-
blablement entraîner un fardeau excessif pour les
services médicaux ou sociaux. Le visa du requérant
devait expirer le 31 août 1986.
À la mi-août de cette même année, le requérant
s'est rendu à Halifax pour reprendre ses études à
l'Université de Dalhousie. Il a vainement tenté de
faire proroger son visa. Il a de nouveau été atteint
de maladie mentale. Il a été arrêté chez lui le 22
octobre 1986 et incarcéré au Centre de correction
du comté de Halifax en vertu du paragraphe
104(2) de la Loi.
Une enquête a été tenue le 24 octobre 1986. Le
requérant a comparu en personne, mais n'était pas
représenté par un avocat. Au terme de l'enquête,
on a ajouté un autre motif de renvoi prévu à
l'alinéa 27(2)e), savoir que le requérant était entré
au Canada en qualité de visiteur et y était demeuré
après avoir perdu cette qualité. A la suite de
l'enquête, il a été décidé que le requérant devrait
être expulsé en vertu du paragraphe 32(6).
Le requérant soutient qu'il était malade au
moment de son arrestation et de son incarcération
et au cours de l'enquête. Le mot «malade» doit être
entendu dans le sens de «malade mental» en raison
de la preuve sous forme d'affidavit concernant les
antécédents médicaux du requérant, notamment le
diagnostic de schizophrénie fait le 17 juillet 1986
par deux médecins du Ministère, et plus particuliè-
rement les déclarations mêmes du déposant dans
ce sens aux paragraphes 30, 31 et 32 de l'affidavit
qu'il a déposé à l'appui de sa requête. Cela est
confirmé par le fait que le requérant a été trans-
féré, au cours de la troisième semaine de novem-
bre, du Centre de correction au Nova Scotia Hos
pital pour malades mentaux. Il y est resté jusqu'à
la mi-janvier 1987, date à laquelle son médecin a
attesté par lettre que le requérant était suffisam-
ment rétabli et que les soins hospitaliers ne lui
étaient plus nécessaires. Dans la lettre, on deman-
dait également qu'il ne soit plus interné.
Le 14 janvier 1987, l'avocat du requérant a
déposé un avis fondé sur l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale en vue de faire examiner et
annuler l'ordonnance d'expulsion rendue par l'ar-
bitre. Il avait l'impression que le Ministère différe-
rait l'exécution de l'ordonnance d'expulsion jus-
qu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait statué sur
la demande fondée sur l'article 28. Le 6 février
1987, on l'a informé que le Ministère allait procé-
der à l'exécution de ladite ordonnance. Le 9 février
1987, le requérant a reçu de la main de W. J.
Woods, agent d'immigration supérieur, une lettre
dont le corps est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Monsieur,
La présente porte sur l'ordonnance d'expulsion rendue contre
vous le 24 octobre 1986.
Comme vous le savez, l'exécution de cette ordonnance a été
ajournée en raison du dépôt devant la Cour d'appel fédérale
d'une demande fondée sur l'article 28.
Nous vous informons par la présente que, après avoir consulté
nos conseillers juridiques, nous avons décidé de procéder à
l'exécution de l'ordonnance d'expulsion malgré le fait que la
Cour fédérale est saisie d'une demande fondée sur l'article 28.
Cette décision repose sur les jugements rendus par la Cour
fédérale dans des cas semblables (p. ex. Robert Leslie Mensin-
&er et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, n° du greffe
T-1093-86).
Vous devez donc vous présenter en personne au bureau des
agents d'immigration au 5151, chemin Terminal, Halifax
(Nouvelle-Écosse), le vendredi 13 février 1987, 15 h 30.
L'ordonnance d'expulsion dont vous faites l'objet sera exécutée
à cette date.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos senti
ments les meilleurs.
(signé) «W. J. Woods»
W. J. WOODS
Agent d'immigration supérieur
L'avocat du requérant s'appuie dans une grande
mesure sur le récent arrêt de la Cour suprême du
Canada Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 58
N.R. 1; 12 Admin.L.R. 137, et il soutient que la
jurisprudence antérieure relative aux procédures
d'immigration et à l'exécution d'ordonnances d'ex-
pulsion qui en découle doit faire place au raisonne-
ment d'une très grande portée de l'affaire Singh,
où il y avait eu violation de la justice fondamentale
à l'égard des droits garantis par l'article 7 de la
Charte [Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.)] ou accordés par l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits
[S.R.C. 1970, Appendice III]. Partant de cette
prémisse, l'avocat du requérant fait valoir qu'il y a
à trancher trois points litigieux en l'espèce:
[TRADUCTION] (1) Y a-t-il lieu d'accorder au requérant une
ordonnance enjoignant au Ministère de recevoir et d'examiner
sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention avant
que l'ordonnance d'expulsion ne soit exécutée?
(2) Si la première question reçoit une réponse «affirmative», y
a-t-il lieu d'ordonner que l'enquête soit rouverte en vertu de
l'art. 35 de la Loi ou par quelqu'autre moyen?
(3) Subsidiairement, y a-t-il lieu de surseoir à l'exécution de
l'ordonnance d'expulsion jusqu'à ce que la demande fondée sur
l'art. 28 ait été tranchée?
Il s'appuie également sur la définition générale de
«réfugié au sens de la Convention» donnée par
l'article 2 de la Loi sur l'immigration de 1976.
Il est bien établi qu'il faut interpréter la Charte
de façon générale et de manière à atteindre une
fin, et que les questions de procédure stricte et de
commodité ou de nécessité administratives doivent
inéluctablement céder le pas aux prescriptions de
fond de la Charte lorsqu'on peut démontrer, selon
la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu
violation d'un droit garanti par la Charte. Il ne
s'agit pas d'un cas où les tribunaux reformulent le
droit du pays, mais plutôt d'un cas où ii y a lieu
d'annuler ou de déclarer inopérantes les lois qui,
lorsqu'elles sont appliquées de manière stricte, por
tent atteinte aux droits garantis par la Charte.
Le requérant invoque la primauté de l'article 7
de la Charte et de l'alinéa 2e) de la Déclaration
canadienne des droits, et s'appuie sur les motifs
sous-jacents de la décision Singh pour se prévaloir
de l'article 18. Il cherche à faire trancher sa
revendication du statut de réfugié avant l'exécu-
tion de l'ordonnance d'expulsion ou subsidiaire-
ment à faire rouvrir l'enquête prévue à l'article 35
afin que l'arbitre puisse entendre de nouveaux
témoignages ou recevoir d'autres preuves à l'appui
de sa revendication.
L'avocat des intimés fait valoir que la revendica-
tion du statut de réfugié n'est rien d'autre qu'une
tentative désespérée du requérant pour prévenir
l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. Il doute
de sa bonne foi en raison du fait que, jusqu'à
maintenant, il n'a jamais été fait état de la ques
tion de statut de réfugié. Il soutient en outre qu'il
appartenait au requérant de présenter une preuve
médicale indépendante de son incapacité de com-
prendre et d'apprécier parfaitement la nature de
l'enquête et l'importance du droit de se faire repré-
senter par avocat. En l'absence d'une telle preuve
médicale, l'arbitre a eu raison de refuser de rouvrir
l'enquête parce qu'il
[TRADUCTION] ... était convaincu que M. Mattia comprenait
la nature des procédures, après avoir observé son comportement
et ses réactions à ce jour. [Voir pièce G]
L'avocat des intimés invoque, ainsi que l'a fait
l'arbitre, la décision Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration c. Hudnik, [1980] 1 C.F. 180;
(1979), 103 D.L.R. (3d) 308 (C.A.) et d'autres
décisions antérieures pour étayer l'idée que la Loi
sur l'immigration de 1976 n'impose nullement
l'obligation d'examiner et de trancher une revendi-
cation du statut de réfugié qui n'est pas faite dans
le cadre d'une enquête. Il soutient également que
le redressement impératif demandé en l'espèce
constitue une violation classique du principe de
longue date selon lequel on ne peut recourir à un
bref de mandamus pour forcer l'exercice d'un
pouvoir discrétionnaire administratif d'une
manière particulière. Il a cité une jurisprudence
assez considérable pour étayer sa prétention. Il me
suffit de commenter brièvement quelques-unes de
ces causes, parce que je suis limité par le temps.
Dans la décision Mensinger c. Canada (ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F.
59; (1986), 5 F.T.R. 64 (1« inst.), il semble qu'au-
cun argument fondé sur la Charte n'ait été invo-
qué. L'affaire Ramnarain c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration a précédé l'adoption de la
Charte. Dans cette affaire, le juge Walsh [Cour
fédérale, Division de première instance,
T-4914-81, ordonnance en date du 27 octobre
1981, non publiée] a statué que l'expression «une
enquête, au cours de laquelle» figurant au paragra-
phe 45(1) implique que la demande de statut de
réfugié doit être déposée avant la conclusion de
l'enquête. La Cour d'appel fédérale [(1985), 55
N.R. 67] a décidé que l'arbitre n'avait pas commis
d'erreur de droit en déboutant le requérant qui
avait demandé que l'enquête soit rouverte pour lui
permettre de revendiquer le statut de réfugié au
sens de la Convention, demande formulée un an
après la conclusion de l'enquête. Dans l'affaire
Saprai c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion (1986), 3 F.T.R. 215 (C.F. 1" inst.), le statut
de réfugié a été revendiqué après l'enquête, et on
n'a présenté aucun fait ni aucun motif pour étayer
cette revendication. De plus, il y avait des aspects
touchant à la criminalité. Le juge a statué que ces
faits ne semblaient pas justifier «le recours aux
jugements rendus dans l'affaire Singh». Dans l'af-
faire Ragunauth c. ministre de l'Emploi et de
l'Immigration [jugement en date du 28 juin 1985,
Division de première instance de la Cour fédérale,
T-1295-85, non publié] la requérante a repoussé
trois occasions antérieures d'assister à l'enquête où
elle aurait pu faire valoir sa revendication du
statut de réfugié. De plus, il faut souligner que,
dans l'affaire Le ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration c. Hudnik précitée, on n'a présenté
aucun élément de preuve pour étayer la revendica-
tion de statut de réfugié, à l'exception de la simple
affirmation qu'il s'agissait d'«une revendication du
statut de réfugé présentée conformément à la Con
vention des Nations-Unies relative au statut des
réfugiés». La Cour a statué que la Convention des
Nations-Unies ne faisait pas partie du droit cana-
dien et qu'il était évident qu'elle n'imposait aucune
obligation au ministre. De plus, la décision Hudnik
a été rendue avant l'avènement de la Charte, et ne
peut, à mon avis, qu'énoncer la règle de droit
antérieure au 17 avril 1982.
Le requérant s'appuie dans une grande mesure
sur l'article 7 de la Charte et sur l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits pour faire valoir
sa demande de redressement, et j'aborde mainte-
nant la question de savoir si l'article 7 de la Charte
et les motifs sous-jacents de la décision Singh
exigent que l'on prenne en considération la reven-
dication de statut de réfugié au sens de la Conven
tion en se demandant si le ministre est tenu de
procéder à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion.
Je vais essayer d'expliquer comment je perçois le
principe dégagé dans l'affaire Singh en mettant
l'accent sur le point litigieux fondé sur la Charte,
et ce qui, selon moi, constitue le fondement de
cette décision.
Dans l'affaire Singh, trois membres de la Cour
ont statué que les procédures de réexamen des
revendications du statut de réfugié prescrites par
l'article 71 de la Loi sur l'immigration de 1976,
qui empêchent les requérants d'être entendus, vio-
laient leurs droits sous le régime de cet article. Les
autres membres de la Cour se sont par contre
fondés sur la Déclaration canadienne des droits
pour décider que les procédures violaient effective-
ment le droit à une audience impartiale, selon les
principes de justice fondamentale, droit qui est
protégé par l'alinéa 2e) de la Déclaration cana-
dienne des droits. Les membres de la Cour qui ont
invoqué la Charte ont conclu que les procédures
prescrites par la Loi ne respectaient pas les normes
de l'équité dans la procédure imposées par les
principes de justice fondamentale en obligeant les
requérants à établir que la décision initiale du
ministre de refuser le statut de réfugié était mal
fondée, alors qu'on ne leur avait pas permis d'avoir
accès aux motifs de ladite décision.
À mon avis, il ressort du raisonnement adopté
dans l'affaire Singh que la Loi sur l'immigration
de 1976 accorde effectivement aux réfugiés au
sens de la Convention certains droits qui ne sont
pas donnés à d'autres, notamment le droit de ne
pas être forcés de retourner dans un pays où leur
vie, leur liberté ou leur sécurité seront vraisembla-
blement en danger. En particulier, l'expression
«sécurité de la personne» comprend la garantie de
ne pas être menacé de sanction ou de persécution,
ainsi que la protection contre l'exécution de telles
menaces.
Dans l'affaire Singh, madame le juge Wilson
estimait [aux pages 216 R.C.S.; 66 N.R.; 242 et
243 Admin.L.R.]:
... que la procédure d'examen des revendications du statut de
réfugié énoncée dans la Loi sur l'immigration de 1976 consti-
tue, pour les personnes qui revendiquent le statut de réfugié, un
déni de justice fondamentale en ce qui concerne l'arbitrage de
ces revendications et qu'elle est de ce fait incompatible avec
l'art. 7 de la Charte.
Elle a exprimé cet avis au sujet de la question de
savoir si, du point de vue de la justice fondamen-
tale, les procédures d'immigration actuelles offrent
à la personne qui revendique le statut de réfugié
une possibilité raisonnable d'exposer sa cause et de
savoir ce qu'elle devait prouver pour convaincre la
Commission d'appel de l'immigration que le minis-
tre a eu tort de rejeter sa revendication. Dans la
plupart des cas, comme dans l'affaire Singh, cela
présuppose la tenue d'une audience à un stade
quelconque, mais l'absence d'une telle audience ne
serait pas nécessairement fatale dans tous les cas,
pourvu que le requérant ait la possibilité d'exposer
sa cause et de savoir ce qu'il doit prouver.
Les membres de la Cour qui ont tranché l'af-
faire Singh en se fondant sur l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits ont recouru au
critère de l'audience impartiale selon les principes
de justice fondamentale pour définir les droits et
obligations de la personne qui revendique le statut
de réfugié. La menace à la vie ou à la liberté de la
part d'une puissance étrangère justifierait au
moins une audience complète dans les circons-
tances.
À propos du raisonnement fondé sur la Charte
dans l'affaire Singh, la question est de savoir si,
dans les circonstances de la présente affaire, on a
refusé d'accorder au requérant les droits reconnus
par l'article 7 de la Charte. J'estime que oui.
La preuve, compte tenu de la prépondérance des
probabilités, permet de conclure que le requérant
était atteint d'une maladie mentale telle qu'il ne
pouvait pas vraiment apprécier l'importance
d'exercer son droit d'être représenté par un avocat
ni connaître les conséquences d'une renonciation à
ce droit. Il ne pouvait pas non plus se rendre
compte qu'il devait faire valoir sa revendication du
statut de réfugié au cours de l'enquête même, étant
donné le libellé du paragraphe 45(1) et le sens que
les tribunaux lui ont donné. L'avocat des intimés
soutient qu'aucun fait concret ne permet de con-
clure à l'incapacité mentale et à l'incapacité de
comprendre. Ainsi que je l'ai dit, je ne suis pas
d'accord. À mon avis, le refus par l'arbitre de
rouvrir l'enquête prévue à l'article 35 de la Loi qui
lui aurait permis de recevoir d'autres preuves à
l'appui de la revendication du statut de réfugié, la
condition posée par le paragraphe 45(1) selon
laquelle une telle revendication ne peut être faite
qu'au cours de l'enquête même et l'ordonnance
d'expulsion rendue en l'espèce sont manifestement
injustes dans les circonstances et violent les droits
que le requérant tient de l'article 7 de la Charte.
En fin de compte, les prescriptions législatives qui
vont à l'encontre de sa prétention au statut de
réfugié et la décision appropriée rendue à cet
égard sous le régime de la Loi sont devenues
inopérantes.
L'avocat des intimés n'a pas expressément
abordé la question du fardeau de la preuve prévu à
l'article 1. Quoi qu'il en soit, rien dans la preuve
produite devant moi ne montre que les effets prohi-
bitifs des dispositions législatives susmentionnées
peuvent être justifiés selon les préceptes reconnus
dans une société libre et démocratique. J'estime
que l'article 1 de la Charte ne justifie pas les
violations de l'article 7 en l'espèce, compte tenu
également du fait que, selon toute vraisemblance,
la vie, la liberté ou la sécurité du requérant seront
menacées si on le force à retourner maintenant
dans son pays d'origine. De plus, le paragraphe
24(1) de la Charte confère une certaine latitude
qui permet de concevoir un recours convenant au
droit.
En conséquence, une ordonnance sera rendue
conformément aux présents motifs.
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