A-1517-84
Le navire Cielo Bianco, ses propriétaires D'Amico
Societa di Navigazione, S.A. (appelants) (défen-
deurs et demandeurs reconventionnels)
c.
Algoma Central Railway (intimée) (demande-
resse)
RÉPERTORIÉ: ALGOMA CENTRAL RAILWAY c. CIELO BIANCO
(LE)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte
et MacGuigan—Toronto, 24, 25, 26, 27 et 28
novembre, 3 et 4 décembre 1986; Ottawa, 26
février 1987.
Droit maritime — Responsabilité délictuelle — Appel inter-
jeté à l'encontre d'une décision statuant que le navire Cielo
Bianco des appelants est entièrement responsable d'un abor-
dage — Le défaut du Cielo Bianco d'assurer une veille appro-
priée l'a conduit à virer sur bâbord directement en travers du
chemin du navire Algobay de l'intimée sans donner de signal et
sans établir de contact par radio — Le Règlement sur les
abordages ne permet pas au capitaine de se fonder sur la
présomption qu'un navire qui approche agira conformément
aux bons usages maritimes et au Règlement — Le Règlement
exige que tous les moyens disponibles qui sont adaptés aux
circonstances soient utilisés afin de déterminer s'il existe un
risque d'abordage S'il y a un doute quant au risque
d'abordage, on doit considérer qu'un tel risque existe —
L'Algobay a agi en se fondant sur des renseignements insuffi-
sants — L'équipement radar n'a pas été utilisé de façon
appropriée — L'Algobay aurait dû agir plus tôt pour prévenir
le risque d'abordage — La responsabilité du Cielo Bianco est
fixée à 75 % et celle de l'Algobay à 25 % — Appel accueilli
— Règlement sur les abordages, C.R.C., chap. 1416, Règles 4,
5, 7, 8, 14, 34a) — Règlement sur les quarts à la passerelle des
navires, C.R.C., chap. 1481.
Pratique — Intérêts — Abordage — La responsabilité des
appelants est réduite â 75 % — Ceux-ci auront droit au
recouvrement de dommages-intérêts réclamés dans leur
demande reconventionnelle — Fixation du taux de l'intérêt
couru avant jugement applicable à la période s'étendant de la
décision de la Division de première instance à la décision
d'appel Le principe selon lequel une cour d'appel peut
modifier un jugement de première instance fondé sur une
prévision qui ne s'est pas réalisée est suffisamment large pour
s'appliquer à l'intérêt couru après le jugement — Le taux
afférent à l'intérêt couru après le jugement, qui avait été fixé â
14 %, est réduit à 10,50 % — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 52b)(i).
Le présent appel est formé à l'encontre d'un jugement pro-
noncé par la Division de première instance dans le cadre d'une
action intentée à la suite d'un abordage survenu dans la baie de
Sept-Ïles, située dans la province de Québec. Lors de l'abor-
dage, le navire de l'intimée, l'Algobay, a frappé le remorqueur
Pointe-Marguerite, l'écrasant contre le navire des appelants, le
Cielo Bianco, auquel il était amarré. Le juge de première
instance a conclu que le Cielo Bianco, sans donner de signal et
sans établir de contact par radio, avait viré sur bâbord directe-
ment en travers du chemin de l'Algobay. Le Cielo Bianco avait
fait défaut d'assurer une veille appropriée. Ce navire a été tenu
entièrement responsable de l'abordage et le taux de l'intérêt
couru avant et après le jugement a été fixé à 14 %. Le juge de
première instance a conclu que le capitaine de l'Algobay, qui
avait clairement vu le Cielo Bianco, était en droit de conclure
que son propre navire avait été observé par le Cielo Bianco.
Le litige concerne les prétentions des appelants selon lesquel-
les l'Algobay a fait défaut de lancer un appel de sécurité,
négligé de signaler au moyen du sifflet son changement de cap
de 135° 145° de manière à éviter de se trouver en situation
très rapprochée, et ne s'est pas conformé au Règlement sur les
quarts à la passerelle des navires. L'appel soulève également la
question des taux des intérêts courus avant et après le
jugement.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le capitaine de l'Algobay n'était pas légalement obligé de
lancer un appel de sécurité pour avertir les navires entrant dans
la baie qu'il s'apprêtait à en sortir. De plus, la prépondérance
des probabilités voulait qu'un tel appel n'eût point été reçu.
La prétention que l'Algobay a commis une faute en négli-
geant de signaler son changement de cap au moyen du sifflet
repose sur l'applicabilité à l'espèce des Règles 14 et 34a) du
Règlement sur les abordages. Les situations visées aux alinéas
a) et b) de la Règle 14 étaient présentes: les circonstances
révélaient que les navires suivaient des routes directement
opposées et devaient passer par bâbord l'un de l'autre (Règle
14a)) et le capitaine de l'Algobay a modifié le cap de ce navire
lorsque les feux de tête de mât du Cielo Bianco se sont fermés
au point qu'il les a vus presque l'un par l'autre (Règle 14b)).
Les conditions d'application de la Règle 34a) étaient respec-
tées. Cependant, bien que le défaut de signaler le changement
de cap ait constitué un manquement à la Règle, un tel défaut
n'a pas été une des causes de l'abordage puisqu'il est probable
que le coup de sifflet n'aurait pas été entendu par le Cielo
Bianco.
L'Algobay n'a pas maintenu un quart en service à la passe-
relle conformément au Règlement sur les quarts à la passerelle
des navires. Personne n'était responsable du quart à la passe-
relle. Le premier officier, posté par le capitaine dans le compar-
timent du guindeau, n'était pas effectivement responsable du
quart à la passerelle. Plus important encore, aucun membre du
quart n'était en mesure de remplir les obligations imposées par
les Règles 5 et 7 du Règlement sur les abordages, c'est-à-dire
d'assurer une veille convenable et de déterminer s'il existait un
risque d'abordage. Malgré cela, la preuve n'établissait pas
qu'une veille supplémentaire assurée par d'autres personnes que
le capitaine lui-même aurait permis à celui-ci d'être informé de
la fermeture des feux de tête de mât du Cielo Bianco avant le
moment où il l'a lui-même constatée. Un tel défaut ne peut être
considéré comme une des causes de l'abordage.
Le juge de première instance a eu raison de conclure que les
mesures prises par le capitaine de l'Algobay à partir du
moment où il s'était rendu compte qu'une situation dangereuse
se présentait étaient appropriées. Cette conclusion ne tranchait
cependant pas la question de savoir si le capitaine de ce navire
aurait dû constater le risque d'abordage plus tôt qu'il ne l'avait
fait. Le juge de première instance a eu tort de conclure que le
capitaine de l'Algobay pouvait présumer à bon droit que le
Cielo Bianco lui permettrait de le dépasser. Le Règlement sur
les abordages n'autorise pas les capitaines à se fonder sur la
présomption voulant que les responsables d'un navire qui s'ap-
proche agiront conformément aux bons usages maritimes ainsi
qu'au Règlement. En vertu de l'article 4 du Règlement, le
responsable d'un bâtiment doit s'assurer que ce bâtiment est
conforme aux règles de l'annexe I du Règlement, qui a pour
titre Règlement international de 1972 pour prévenir les abor-
dages en mer. Ces règles, qui sont entrées en vigueur en juillet
1977, ont édicté un nouveau code, particulièrement en ce qui a
trait aux circonstances dans lesquelles on doit présumer l'exis-
tence d'un risque d'abordage. Ces règles exigent non seulement
qu'une veille appropriée soit assurée mais encore que soient
utilisés ((tous les moyens disponibles qui sont adaptés aux
circonstances et conditions existantes» pour déterminer s'il
existe un risque d'abordage. À cette fin, on doit utiliser l'équi-
pement radar de façon appropriée et éviter de tirer des conclu
sions de renseignements insuffisants. S'il y a un doute, on doit
considérer que ce risque existe, et le navire doit agir en
conséquence.
Face à de tels principes, l'Algobay ne pouvait être considéré
comme n'ayant commis aucune faute contribuant à l'abordage.
Au cours de la période décisive pendant laquelle ce navire
suivait un cap de 135°, partir du moment où on a vu les feux
de tête de mât du Cielo Bianco se fermer, la veille assurée par
l'Algobay n'a pas satisfait au critère établi par la Règle 5
puisque tous les moyens disponibles n'ont pas été utilisés de
manière à permettre une pleine appréciation du risque d'abor-
dage. Le radar n'était pas utilisé de façon constante pour
vérifier la route ainsi que la vitesse du Cielo Bianco. Le
radiotéléphone, contrairement aux prescriptions de la Règle
7a), n'était pas utilisé pour vérifier quelles étaient les intentions
du Cielo Bianco et déterminer s'il existait un risque d'abordage.
L'Algobay s'est fondé sur des conclusions tirées de renseigne-
ments insuffisants. Il n'a pas tenu compte de la considération
énoncée à la Règle 7d)(ii) selon laquelle, lorsque l'on s'appro-
che d'un grand navire, un risque d'abordage peut exister même
si l'on observe une variation appréciable du relèvement. L'AI-
gobay aurait dû prendre des mesures beaucoup plus tôt qu'il ne
l'a fait pour communiquer avec le Cielo Bianco par radiotélé-
phone et, à défaut d'entrer en communication avec ce navire,
réduire sa vitesse conformément à la Règle 8e). La responsabi-
lité pour cet abordage devrait être imputée à 75 % au Cielo
Bianco et à 25 % à l'Algobay.
Le juge de première instance ne s'est pas trompé en décidant
que les intérêts courus avant le jugement, selon l'entente des
parties, devaient être fixés à 14 % et être calculés à partir de la
date à laquelle les dépenses avaient été encourues. Le présent
jugement devrait fixer à 10,50 % le taux des intérêts courus
avant jugement relatifs à la période s'étendant de la date du
jugement de première instance à la date de la décision rendue
en appel.
Le principe suivant lequel une cour d'appel peut modifier un
jugement de première instance fondé, dans une certaine
mesure, sur une prévision qui ne s'est pas réalisée, est assez
large pour être applicable au taux afférent à l'intérêt couru
après jugement qui, jusqu'à un certain point, a été fixé sur le
fondement d'une prévision dont le caractère erroné est établi au
moment où l'appel est entendu. Le taux de l'intérêt couru après
jugement, qui a été fixé à 14 % par le juge de première
instance, devrait donc être réduit à 10,50 %.
JURISPRUDENCE
DECISIONS EXAMINEES:
Stein et autres c. .Kathy Ku et autres (Le navire), [1976]
2 R.C.S. 802; The Uskmoor (1902), 9 Asp. M.L.C.
(N.S.) 316 (Adm.); The Anselm (1907), 10 Asp. M.L.C.
(N.S.) 438 (C.A.); The Hero, [1911] P. 128 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Schreiber Brothers Ltd. c. Currie Products Ltd. et autre,
[1980] 2 R.C.S. 78; Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2
R.C.S. 694; Jaegli Enterprises Ltd. et autre c. Taylor et
autres, [1981] 2 R.C.S. 2; Bank of England v. Vagliano
Brothers, [1891] A.C. 107 (H.L.): Davie Shipbuilding
Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.); Mercer et
al. v. Sijan et al. (1977), 14 O.R. (2d) 12 (C.A.);
McCann v. Sheppard, [1973] 2 All ER 881 (C.A.);
Curwen v. James, [1963] 2 All E.R. 619 (C.A.); Murphy
v. Stone Wallwork (Charlton) Ltd., [1969] 2 All E.R.
949 (H.L.); Attorney -General v. Birmingham, Tame and
Rea District Drainage Board, [1912] A.C. 788 (H.L.).
AVOCATS:
Jean Brisset, c.r. et David Colford pour les
appelants (défendeurs et demandeurs recon-
ventionnels).
George Strathy et Kristine Connidis pour l'in-
timée (demanderesse).
PROCUREURS:
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal,
pour les appelants (défendeurs et demandeurs
reconventionnels).
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour
l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le présent appel
est formé à l'encontre d'un jugement prononcé par
la Division de première instance [T-5213-78,
T-1283-81, juge Addy, jugement en date du 22
novembre 1984, non publié] dans le cadre d'une
action intentée à la suite d'un abordage survenu
dans la baie de Sept-Îles vers 5 h 42 le 14 novem-
bre 1978. Lors de l'abordage, l'étrave et l'avant à
bâbord du navire Algobay, qui appartient à l'inti-
mée, a frappé le remorqueur Pointe Marguerite à
tribord, l'écrasant sur le flanc tribord du navire
appelant Cielo Bianco, auquel il était amarré. Peu
après le choc, les lignes retenant le Pointe Mar-
guerite se sont rompues et celui-ci a coulé. Deux
membres de son équipage ont perdu la vie. L'AI-
gobay et le Cielo Bianco ont tous deux subi des
dommages, lé premier à son étrave et le second sur
son flanc tribord, au point où le Pointe Marguerite
s'y trouvait amarré, c'est-à-dire à environ 100 à
150 pieds de l'étrave.
À la demande des parties, le juge de première
instance a ordonné que les questions relatives au
montant des dommages subis fassent l'objet d'un
renvoi après le procès dans l'éventualité où un tel
renvoi serait nécessaire, et les questions tranchées
dans sa décision ont été celles de la responsabilité
des parties en ce qui avait trait à l'abordage, du
taux de l'intérêt applicable à la période précédant
le jugement ainsi que du taux d'intérêt applicable
au montant adjugé jusqu'à son paiement. Le juge
de première instance, après avoir conclu que le
Cielo Bianco devait être tenu entièrement respon-
sable de cet abordage, a fixé à 14 % le taux
d'intérêt applicable aussi bien aux périodes anté-
rieure que postérieure au jugement. Chacune de
ces trois conclusions est visée par le présent appel.
La baie de Sept-Îles est une étendue d'eau située
du côté nord du Golfe du St-Laurent. Elle s'étend
sur presque six milles d'est en ouest et sur quelque
quatre milles du nord au sud. Les navires à fort
tirant d'eau peuvent y naviguer sur une longueur
de quelque cinq milles d'est en ouest et de quelque
2 1 / 2 milles sur l'axe nord-sud. Elle est accessible
par le Chenal du Milieu, qui mesure près de deux
milles de large entre Pointe à la Marmite à l'ouest
et, du côté est, Île Grande Basque. Pour les navires
à fort tirant d'eau, le canal est navigable jusqu'à .3
milles de Pointe à la Marmite. A Pointe Noire,
quelque deux milles à l'ouest de Pointe à la Mar-
mite sur la rive sud de la baie, se trouve le quai de
chargement de Wabush Mines. À quatre encablu-
res au nord-ouest de Pointe à la Marmite se situe
une bouée, dite D15. Les navires qui entrent dans
la baie en direction du bassin de Wabush Mines
passent au nord de cette bouée. Les navires qui
arrivent du milieu du chenal et entrent dans la
baie doivent, pour contourner cette bouée et se
diriger vers le bassin, effectuer sur bâbord un
important changement de cap de l'ordre de
soixante-quinze degrés.
Du côté est de la baie, à environ 2,75 milles au
nord-est de Pointe à la Marmite, se situent les
bassins de chargement de la Iron Ore Company of
Canada. Plus au nord, le long de la rive est, se
trouve la ville de Sept-Îles.
Les installations portuaires de la Iron Ore Com
pany of Canada et de Wabush Mines fonctionnent
toutes deux vingt-quatre heures par jour, et, géné-
ralement, des navires se trouvent au mouillage
dans ces installations jour et nuit. Des navires
entrent et sortent de la baie jour et nuit, assistés
par des pilotes et des remorqueurs, qui les aident à
entrer au bassin ou à en sortir.
La nuit de l'abordage en l'espèce, les navires
Eastern Hazel et Sir James Dunn se trouvaient
respectivement à environ un demi-mille et deux
milles au nord-ouest de la bouée D15, alors qu'un
troisième navire, le Montcalm, était à l'ancre à
deux milles au nord-est de la bouée. Le Franckliffe
Hall, qui avait également été au mouillage dans la
partie nord-est de la baie, avait, vers 4 h 20, com-
mencé à se déplacer vers l'est en direction d'un
bassin de la Iron Ore Company et était entré dans
ce bassin vers 5 h 20. La température était clé-
mente et, bien qu'il fit noir, la visibilité nocturne
n'était pas réduite. Soufflait un vent du sud-est
d'environ 15 noeuds. La marée était descendante
mais avait peu ou n'avait point d'effet sur le
mouvement ou la manoeuvrabilité des navires.
L'abordage est survenu lorsque le Cielo Bianco,
qui avait atteint l'embouchure de la baie et y
entrait pour se rendre au bassin Wabush, après
avoit fait monter un pilote à son bord, a viré sur
bâbord et a croisé 1'Algobay qui, à partir d'un
point situé entre deux et trois milles au nord-ouest
de Pointe à la Marmite, se dirigeait hors de la
baie.
Ces navires sont tous deux de grands vraquiers.
L'Algobay était un nouveau navire effectuant son
premier voyage à Sept-Îles. Il mesure 730 pieds de
longueur et 76 pieds de largeur. Il jauge 22 466,25
tonneaux bruts. Ses machines sont contrôlées
directement à partir du pont. Il était entré dans la
baie de Sept-Îles le 11 novembre, avait pris à bord
une cargaison de 35 739 tonnes de boulettes de
minerai de fer et s'était ensuite mis au mouillage
dans la partie ouest de la baie, au sud-est du Sir
James Dunn, pour attendre que soient complétées
les réparations faites à une de ses machines. Il est
demeuré à cet endroit jusqu'au 14 novembre, à
4 h 20, alors que, à la demande du technicien
réparateur, il a commencé à effectuer des manoeu
vres dans la baie afin de vérifier le bon fonctionne-
ment de ses machines. Ces manoeuvres consistaient
à se déplacer vers l'est de son point de mouillage
sur une distance de 1,65 milles, à virer sur tribord
à 180° et à se diriger vers l'ouest sur une distance
à peu près semblable à la précédente, pour ensuite
avancer en direction nord-ouest, contourner l'ar-
rière du Sir James Dunn et avancer à nouveau vers
l'est. Ces manoeuvres ont été effectuées à divers
régimes, en marche avant comme en marche
arrière. À un point précédant le contournement de
l'arrière du Sir James Dunn, le mécanicien a
demandé une marche d'essai des appareils moteurs
sur régime [TRADUCTION] «en avant toute» pen
dant au moins une demi-heure, une manoeuvre qui,
selon le capitaine, supposait que le navire sorte de
la baie pour voguer au large dans le Golfe. Après
avoir contourné l'arrière du Sir James Dunn, les
machines de l'Algobay ont été placées sur régime
[TRADUCTION] «en avant demi» et son cap a été
modifié sur tribord, pour être porté à 135°, ce qui
devait permettre au navire de traverser le Chenal
du Milieu en passant à .7 milles à l'est de Pointe à
la Marmite. Avec un plein chargement, à demi
régime, l'Algobay voguait à une vitesse d'environ
huit noeuds et demi. Le juge de première instance
a conclu que l'Algobay, en effectuant cette
manoeuvre, s'était déplacé à une vitesse «de sept à
huit noeuds».
Peu de temps avant 5 h 30, et peu avant ou
pendant son changement de cap sur tribord, le
capitaine Carlsen, qui était responsable de l'Algo-
bay, a pour la première fois repéré la présence du
Cielo Bianco, soit par radar ou visuellement, à 40°
sur son tribord avant et à une distance de 2,8 à 2,9
milles. Il avait, auparavant, entendu plusieurs des
appels effectués par le Cielo Bianco à la station de
pilotage, et il appert qu'il vit les feux d'un remor-
queur faisant cap sur ce navire à partir du nord-est
au moment même où il aperçut ce navire ou après
ce moment. Ayant précédemment aperçu le Cielo
Bianco dans la baie de Sept-Îles, il savait qu'il
s'agissait d'un navire de haute mer.
Lorsqu'il a repéré pour la première fois le Cielo
Bianco, le capitaine Carlsen a estimé que ce navire
devait se situer quelque part entre Pointe à la
Marmite et Île Grande Basque, à l'extrémité en
amont du Chenal du Milieu. Le juge de première
instance a conclu que ce navire avait dû être situé
sur la ligne centrale de ce canal ou à l'est de cette
ligne. Concernant cette question, comme pour plu-
sieurs autres points, le juge de première instance,
lorsqu'il a tiré sa conclusion, a préféré le témoi-
gnage du capitaine de l'Algobay à celui du capi-
taine et du pilote du Cielo Bianco. Le capitaine
Carlsen a, en fait, vu les feux de tête de mât du
Cielo Bianco qui étaient ouverts avec, à gauche, la
lumière avant de ce navire; ceux-ci, selon son
interprétation, indiquaient que le cap du Cielo
Bianco divergeait de son propre cap de 135°. Le
cap du Cielo Bianco se situant aux environs de
338° (le capitaine Carlsen a estimé que celui-ci
devait être de 3371°) lorsqu'il a fait monter son
pilote, la différence entre les caps des deux navires
serait de l'ordre de 28°. À ce stade, les machines
du Cielo Bianco se trouvaient à l'état d'arrêt et la
vitesse de ce navire était d'environ deux noeuds.
Poursuivant son cap de 135°, le capitaine de l'Al-
gobay a remarqué que les feux de tête de mât du
Cielo Bianco commençaient à se fermer même si le
relèvement de ce navire s'amplifiait sur bâbord.
Lorsque les feux de tête de mât du Cielo Bianco
furent presque visibles l'un par l'autre, afin d'évi-
ter ce qu'il a appelé une situation très rapprochée,
il a ordonné que le cap soit modifié sur tribord
pour être porté à 145°, après avoir calculé que ce
nouveau cap permettrait à son navire de passer à
0,5 mille de Pointe à la Marmite. Le capitaine
Carlsen a évalué à environ un mille la distance
séparant les navires à ce moment-là. Il ne pouvait
l'apprécier de façon certaine. Sa déposition tend à
indiquer que le navire avait suivi son cap de 135°
sur une distance d'environ un mille, un parcours
qui, à une vitesse que nous supposerons être de
sept noeuds, aurait pris environ huit minutes et
demie—un temps qu'il faut allonger en supposant
une vitesse moins grande. Lorsque l'Algobay a été
fixé sur le cap de 145°, son capitaine a observé que
les feux du Cielo Bianco se fermaient toujours et,
lorsqu'ils furent visibles ou presque visibles l'un
par l'autre, il a reculé la manette du régulateur
pour ralentir les machines de son navire et a appelé
le Cielo Bianco au moyen de son téléphone radio
en utilisant le canal 16, puis le canal 12, sans que
celui-ci ne lui réponde. Il a alors viré complète-
ment sur tribord, réglé les machines sur le régime
«en avant toute» pendant plusieurs secondes afin de
faire pivoter le navire, il a actionné le signal
d'alarme et il a réglé ensuite les machines sur le
régime [TRADUCTION] «en arrière toute» en tour-
nant le gouvernail au milieu du navire. De plus,
utilisant le canal des pilotes (18A), il a tenté de
nouveau, en vain, de rejoindre le Cielo Bianco. Le
sifflet n'a pas été utilisé pour indiquer que le cap
passerait de 135° à 145°, mais un unique coup de
sifflet avait été donné quelque temps après cette
manoeuvre, peu avant l'utilisation du signal
d'alarme. Ce coup de sifflet n'avait pas été donné
pour indiquer un virage sur tribord mais afin
d'attirer l'attention du premier officier qui effec-
tuait une veille près du guindeau, sous le gaillard.
Aucun des membres de l'équipage du Cielo Bianco
n'a entendu les coups de sifflet donnés par l'Algo-
bay. Le capitaine de l'Algobay, dans une ultime
manœuvre pour éviter l'abordage, a tenté en vain
de libérer les ancres de la proue en utilisant la
commande à distance située sur le pont. Le juge de
première instance, faisant sienne l'opinion de ses
assesseurs, a conclu que, dans les circonstances de
l'espèce, l'abaissement des ancres n'aurait eu d'ef-
fet ni sur l'angle de l'impact ni sur la vitesse du
bateau au moment de la collision. Il a également
conclu que, du moment où les feux du Cielo
Bianco ont commencé à se fermer jusqu'au
moment où ils ont commencé à s'ouvrir pour lais-
ser voir son flanc tribord, le capitaine de l'Algobay
était encore justifié de présumer que le Cielo
Bianco lui permettrait de le dépasser et de virer
sur bâbord autour de son arrière; il a également
conclu que, lorsqu'il a commencé à sentir que les
navires étaient trop rapprochés, le capitaine de
l'Algobay a agi correctement en diminuant la
vitesse et en tentant de prendre contact avec le
Cielo Bianco par radio pour déterminer ce qui se
passait et quelle était son intention.
Le Cielo Bianco mesure 835 pieds de longueur
et 129 pieds de largeur. Il jauge 51 579 tonneaux.
Il transportait 28 000 tonnes de lest et environ
1 700 tonnes d'huile de soute. Ainsi que l'a conclu
le juge de première instance, à 5 h 27, lorsque son
pilote est monté à bord, il avait atteint un point de
l'embouchure de la baie situé sur la ligne médiane
du Chenal du Milieu ou à l'est de celle-ci. Bien que
ses machines aient été alors arrêtées, ce navire
continuait d'avancer à une vitesse d'environ deux
noeuds. Le pilote, le capitaine Lapierre, qui était
monté sur le pont vers 5 h 30, a donné l'ordre de
virer [TRADUCTION] «à gauche doucement» et, peu
de temps après, [TRADUCTION] «à gauche 10 0 » et
«en avant demi». Il cherchait ainsi à faire pivoter le
navire sur bâbord et à le diriger vers le nord de la
bouée D15 de façon à lui faire abandonnner le cap
de 338° qu'il suivait à l'embouchure de la baie
pour lui faire adopter un cap de 261° et le con-
duire à Pointe Noire. Ce navire, au régime «en
avant demi», se déplaçait à une vitesse se situant
entre six et sept noeuds. Le juge de première
instance a conclu que, lorsqu'il avait fait marche
arrière, peu de temps avant l'abordage, ce navire
avait atteint une vitesse de six à sept noeuds. Dans
l'intervalle d'environ quatre minutes entre 5 h 27
et l'ordre d'adopter le demi-régime, le navire a dû
avancer et réduire d'environ 800 pieds la distance
le séparant de l'Algobay. Au cours de ces quatre
minutes, l'Algobay, qui se déplaçait à une vitesse
d'environ six noeuds, a dû couvrir environ 2 400
pieds ou même davantage, sa vitesse augmentant,
et réduire d'autant l'écart entre les navires.
Après avoir permis au pilote de monter à bord
du navire au niveau du pont ou près de la hauteur
du pont, à l'extrémité arrière, le Pointe Marguerite
s'est déplacé le long du flanc tribord du Cielo
Bianco et y a été amarré à un point se situant à
entre 100 et 150 pieds de l'avant. Un autre remor-
queur, le Pointe-aux-Basques, a contourné la
partie arrière du Cielo Bianco dans le but de
s'amarrer sur son tribord, juste passé le pont. Il
n'avait pas encore réussi à le faire lorsqu'il est
devenu évident qu'un abordage était sur le point de
se produire; il a donc largué ses amarres pour se
retirer de là.
Aucun des responsables du pilotage du Cielo
Bianco n'a vu ou perçu le rapprochement de l'Al-
gobay avant que le capitaine du Cielo Bianco, qui
se trouvait à l'extérieur de l'abri de navigation, du
côté tribord, n'aperçoive un reflet dans la vitre de
la porte de l'abri de navigation et, se retournant,
ne voie les feux de l'Algobay, qui se trouvait alors
à quelque 500 ou 600 mètres de son navire et
arrivait à environ 20° sur l'arrière de l'endroit où il
se tenait debout. On a dit qu'à ce moment-là, le
Cielo Bianco faisait route à 261° depuis environ
une minute. Le capitaine a immédiatement réagi,
donnant le commandement [TRADUCTION] «à
droite toute» et le commandement d'urgence [TRA-
DUCTION] «en arrière toute», et donnant deux son:
brefs suivis de trois sons brefs. Il était cependant
trop tard pour éviter l'abordage, qui se produisit
environ deux minutes plus tard.
Le juge de première instance, après avoir exa-
miné les éléments de preuve de façon minutieuse e1
détaillée, a conclu:
À partir du moment où le pilote a embarqué sur le navire, le:
manoeuvres du Cielo Bianco peuvent être directement attri-
buées au fait qu'une veille appropriée n'était pas assurée et que
ceux qui étaient chargés de la navigation ne savaient absolu-
ment pas que l'Algobay se trouvait à côté d'eux.
Plus loin, il dit:
Le défaut d'assurer une veille visuelle appropriée a certaine-
ment constitué une faute de la part du pilote et du capitaine qui
étaient les deux seules personnes chargées de contrôler la
navigation. Ceci les a conduit à faire virer le Cielo Bianco sui
bâbord, en travers du chemin de l'Algobay sans donner de
signal et même sans établir de contact préalable par radio, ni
s'entendre sur la manoeuvre. Cette manoeuvre a été la cause
directe et réelle de l'accident, et elle constitue aussi en elle-
même un manquement grave aux bons usages maritimes. Ce
actes et omissions entraînent nécessairement une responsabilité.
Le Cielo Bianco a reconnu que, dans la mesure
où il n'avait pas exercé par radar une surveillance
adéquate permettant de déceler la présence d'au-
tres navires, il avait commis une faute en n'assu-
rant ,pas une veille appropriée. Lorsque le Cielc
Bianco naviguait dans le Chenal du Milieu, la
portée de son radar avait été réglée à deux milles,
de sorte que, lorsque ce navire a atteint l'embou-
chure de la baie et a effectué les manoeuvres
permettant au pilote de monter à bord, son radar
n'aurait pas révélé la présence de l'Algobay, qui se
trouvait à une distance de deux milles et demi à
trois milles du Cielo Bianco. Quoi qu'il en soit, sa
présence n'a pas non plus été détectée lorsqu'il
s'est trouvé à deux milles ou moins de portée.
Cependant, le Cielo Bianco n'a pas su à d'autres
égards assurer une veille appropriée. Son capitaine
et son pilote semblent s'être préoccupés de con-
tourner en toute sécurité la bouée D15 et ni l'un ni
l'autre n'a aperçu l'Algobay ou ses feux avant que,
ainsi que nous l'avons déjà mentionné, le capitaine
ne les repère à quelque 500 600 mètres. Il ne
ressort pas non plus qu'aucune des personnes ayant
la responsabilité d'assurer une veille pour repérer
la présence d'autres navires ait détecté ou rapporté
la présence de l'Algobay.
Évidemment, si les feux de l'Algobay n'avaient
pas été allumés au moment de son rapprochement
du Cielo Bianco, cela expliquerait pourquoi les
responsables de la navigation du Cielo Bianco ne
les ont pas vus. Lors du procès, la question de
savoir si les feux de tête de mât de l'Algobay
étaient allumés au moment où ce navire s'est
approché du Cielo Bianco a donné lieu à un débat
important. La position de ses feux de couleur
rouge et de couleur verte a également été débattue.
Ces feux étaient installés à environ 18 pieds des
côtés du navire, vers l'intérieur, et ont été déplacés
vers l'extérieur pour être installés plus près des
côtés du navire ou sur ses côtés quelque temps
après l'abordage. Le juge de première instance a
conclu que, au moment de l'abordage, l'emplace-
ment de ces feux était conforme au Règlement, et
je ne vois pas pourquoi je concluerais qu'il a fait
erreur ou que l'emplacement du feu rouge, même
s'il ne respectait pas tout à fait le Règlement en ce
qui avait trait à sa visibilité sur l'arrière du travers,
a, de quelque façon, contribué à l'abordage puis-
que ce feu a dû être continûment visible du Cielo
Bianco à compter du moment où les bateaux se
trouvaient encore à presque trois milles de distance
jusqu'à l'abordage.
Concernant l'autre question, les appelants ont
présenté en preuve le témoignage d'un pilote, qui a
déclaré que, se dirigeant à bord d'une remorque
vers le Frankcliffe Hall afin de le conduire jusqu'à
son bassin, il avait vu la vague d'étrave de l'Algo-
bay ainsi que ce navire lui-même au moment où il
effectuait des manoeuvres dans la partie nord de la
baie, et qu'il avait alors aperçu le feu situé sur son
côté bâbord mais non ses feux de tête de mât. Ce
témoin, qui n'avait pas été cité à témoigner lors de
l'enquête ni à l'enquête du coroner au sujet du
décès des hommes d'équipage du Pointe Margue-
rite, a déclaré ne s'être pas rendu compte sur le
moment qu'il n'avait pas vu les feux de tête de mât
de l'Algobay mais l'avoir réalisé en réfléchissant à
cet abordage au cours de la nuit qui l'a suivi.
Certains éléments de preuve indiquent toutefois
que ces feux avaient été allumés au moment où
l'Algobay avait commencé ses manoeuvres; le capi-
taine du Frankcliffe Hall a en outre déclaré avoir
vu ces feux allumés lorsque l'Algobay était passé
non loin de son navire, c'est-à-dire au moment où
l'Algobay effectuait ou était sur le point d'effec-
tuer le virage sur tribord qui lui a permis d'aban-
donner la direction est pour faire à nouveau cap
vers l'ouest. Les appelants ont également cité à
témoigner le second officier du Cielo Bianco qui a
déclaré que, se trouvant sur la passerelle du navire
pour superviser les matelots qui avaient entrepris
de tirer les câbles du remorqueur Pointe-aux-
Basques afin de l'amarrer sur le flanc tribord du
Cielo Bianco juste en avant du pont, il avait vu un
feu de couleur rouge, qui s'est avéré appartenir à
l'Algobay, et il avait vu tout de suite après s'allu-
mer une lumière de couleur blanche, suivie d'une
autre lumière blanche, située un peu plus bas que
la précédente. Il a estimé la distance séparant son
navire de l'Algobay à ce moment-là à environ
quatre encablures, c'est-à-dire quelque 2 400
pieds. Ce témoin, comme celui dont nous venons
de parler, n'avait pas témoigné précédemment.
Le juge de première instance, en des termes qui
laissaient percevoir son mécontentement, a rejeté
le témoignage de chacun des témoins des appelants
au motif que leur déclaration avait été fabriquée
pour les besoins du procès et était manifestement
fausse. Ayant vu et entendu ces témoins, il était
manifestement beaucoup mieux placé qu'une cour
d'appel pour apprécier leur crédibilité, et que
ceux-ci aient ou non mérité la critique qu'ils ont
reçue (et je ne me prononce pas à ce sujet), il est
selon moi évident que sa conclusion que les feux de
tête de mât de l'Algobay étaient allumés à tous les
moments pertinents est bien appuyée par la preuve
et est inattaquable.
Sont également inattaquables les conclusions
tirées par le juge de première instance sur le
caractère grave du défaut du Cielo Bianco d'assu-
rer une veille appropriée et sur le lien de causalité
entre ce défaut et le désastreux virage à bâbord
effectué par ce navire pour contourner la bouée
D15 au moment où les feux de l'Algobay étaient
visibles, une manœuvre dont à la fois le capitaine
et le pilote du Cielo Bianco ont déclaré qu'ils ne
l'auraient pas effectuée eussent-ils su que l'Algo-
bay se rapprochait de leur navire.
J'examinerai à présent la conclusion du juge de
première instance que l'Algobay n'a commis
aucune faute.
Le juge de première instance a conclu que, dans
les circonstances de l'espèce, puisqu'il était évident
que le capitaine de l'Algobay avait vu le Cielo
Bianco sur une distance de près de trois milles, il
était:
... clairement justifié qu'il présume que le Cielo Bianco avait
aussi pu voir son propre navire pendant toute cette période. Il
pouvait aussi présumer que les responsables savaient non seule-
ment qu'il était là mais connaissaient aussi son cap et sa vitesse
et qu'ils agiraient de façon prudente et légale conformément
aux règlements. L'avocat des défendeurs soutient que, si l'AI-
gobay avait maintenu son cap initial de 135 degrés, il n'y aurait
pas eu d'abordage et que, par conséquent son capitaine aurait
dû maintenir ce cap. Pour retenir un tel argument, il faudrait
totalement laisser de côté ce qui semble s'être produit devant
les yeux du capitaine lorsque les feux du Cielo Bianco qui
étaient grand ouverts à l'origine ont commencé à se fermer.
Comme il a été dit précédemment, le changement de cap à 145
degrés visait seulement à éviter une situation de dépassement
très serré et non pas à éviter un abordage lors d'un croisement.
Lorsqu'on a compris que le Cielo Bianco allait effectivement
virer sur bâbord, il existait déjà une situation d'abordage
imminente et dangereuse. Pour comprendre, avant cette étape,
que le Cielo Bianco avait l'intention de virer devant le navire, il
aurait fallu que le capitaine de l'Algobay ait beaucoup plus
qu'une bonne connaissance des principes des usages maritimes
et de la navigation, c'est-à-dire une certaine clairvoyance.
Cette soudaine situation d'urgence était très grave et résul-
tait essentiellement de la faute et de l'inobservation des bons
usages maritimes de ceux qui étaient responsables du Cielo
Bianco. Par conséquent, les manoeuvres du capitaine de l'A lgo-
bay à partir de ce moment-là ne doivent pas être appréciées
après le fait d'après une échelle très mince de possibilités, mais
doivent être considérées dans le contexte de l'urgence. Il a
immédiatement adopté ce qu'il considérait comme, les mesures
d'urgence requises pour éviter un abordage ou pour réduire son
impact. Les manoeuvres ont dû évidemment permettre de
réduire l'angle d'impact, et elles ont en fait coïncidé avec les
mesures d'urgence adoptées par le Cielo Bianco. Je ne peux
conclure à aucun manque de compétence grave ni à aucune
violation des principes des bons usages maritimes et de la
navigation dans les mesures prises par l'A lgobay.
Dans l'exposé de ses points d'argument, comme
au cours du débat, l'avocat des appelants a soulevé
et fait valoir dix prétentions visant des erreurs
qu'aurait commises le juge de première instance en
tirant sa conclusion sur la question de la faute. En
résumé, ces prétentions étaient les suivantes:
1. Le juge de première instance a eu une vision
déformée de la preuve, n'a pas tenu compte de
certains aveux faits par l'intimée dans l'acte
préliminaire ainsi que de certains aveux du capi-
taine de l'Algobay et s'est appuyé sur une décla-
ration faite par le Cielo Bianco dans son acte
préliminaire qui constituait manifestement une
faute de copiste.
2. Le juge de première instance n'a pas analysé
de façon critique le témoignage du capitaine de
l'Algobay sur le cap de son navire au moment où
il a aperçu le Cielo Bianco, et il aurait dû
conclure que la position du Cielo Bianco était, à
ce moment-là, quelque peu à l'ouest de la posi
tion que le juge lui a attribuée et qu'il a quali-
fiée de milieu du chenal.
3. Le juge de première instance n'a pas compris
que le capitaine de l'Algobay aurait dû se rendre
compte beaucoup plus tôt qu'il ne l'a fait que le
Cielo Bianco faisait cap vers Pointe Noire, n'a
attaché aucune importance au fait que c'est
l'Algobay qui a frappé le Cielo Bianco et n'a pas
tenu compte du fait que l'abordage étant sur-
venu à l'ouest de Pointe à la Marmite et de la
bouée D15, un changement de cap important sur
tribord devait s'effectuer pour faire quitter à
l'Algobay son cap de 135° et le diriger vers le
lieu de l'abordage et que, si l'Algobay avait
maintenu son cap de 135°, il n'y aurait pas eu
d'abordage.
4. Le juge de première instance n'a pas conclu
que l'Algobay contrevenait au Règlement sur
les quarts à la passerelle des navires [C.R.C.,
chap. 1481 ] et que ce manquement constituait la
cause réelle de l'abordage.
5. Le juge de première instance n'a pas conclu
que l'Algobay était responsable de l'abordage
parce qu'il avait négligé de lancer un appel de
sécurité pour avertir les navires entrant dans la
baie qu'il s'apprêtait à en sortir.
6. Le juge de première instance aurait dû con-
clure que l'Algobay était responsable de l'abor-
dage parce qu'il avait négligé de signaler au
moyen du sifflet son changement de cap sur
tribord de 135°à 145°.
7. Le juge de première instance a manifesté une
méconnaissance totale de la nature humaine en
refusant de croire ce que disaient les deux
témoins des appelants au sujet des feux de l'Al-
gobay, et il n'a pas compris que ceux-ci
n'avaient rien à gagner par leur témoignage.
8. Les commentaires sévères prononcés par le
juge de première instance lors de son analyse des
dépositions des témoins des appelants au sujet
de l'angle de l'abordage étaient injustifiés.
9. Le juge de première instance n'a pas tenu
compte des éléments de preuve démontrant que
l'emplacement des feux de côté rouge et vert de
l'Algobay n'était pas conforme aux prescriptions
du Règlement sur les abordages [C.R.C., chap.
1416].
10. Le juge de première instance a commis une
erreur en n'écartant pas totalement le témoi-
gnage du capitaine du Frankcliffe Hall puisque
celui-ci était rempli de contradictions, illogique
et en opposition avec le témoignage du capitaine
de l'Algobay et parce que l'original du journal
de bord du Frankcliffe Hall n'a pas été déposé
ainsi que la Cour l'avait ordonné.
À mon avis, toutes les prétentions qui précèdent,
sauf celles portant les cotes 4, 5 et 6, soulèvent des
questions ayant trait soit à la crédibilité des
témoins soit à l'appréciation de la preuve et des
faits. Les conclusions tirées par le juge de première
instance, procédant en grande partie de l'apprécia-
tion de témoignages contradictoires, sont de celles
que le juge de première instance doit prendre après
avoir entendu les témoins et avoir observé leur
comportement au moment de leur témoignage.
Seulement dans des circonstances exceptionnelles,
comme, par exemple, lorsque le jugement du juge
de première instance est entaché d'une erreur
manifeste ou dominante, est-il permis à une cour
d'appel de réexaminer la preuve et de substituer sa
propre opinion à celle de ce juge. Dans l'arrêt
Stein et autres c. Kathy« K» et autres (Le navire)',
le juge Ritchie, prononçant les motifs de la Cour
suprême, après avoir examiné la jurisprudence, a
écrit:
On ne doit pas considérer que ces arrêts signifient que les
conclusions sur les faits tirées en première instance sont intan
gibles, mais plutôt qu'elles ne doivent pas être modifiées à
moins qu'il ne soit établi que le juge du procès a commis une
erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des
faits. Bien que la Cour d'appel ait l'obligation de réexaminer la
preuve afin de s'assurer qu'aucune erreur de ce genre n'a été
commise, j'estime qu'il ne lui appartient pas de substituer son
appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclu
sions tirées par le juge qui a présidé le procès.
Voir également Schreiber Brothers Ltd. c. Currie
Products Ltd. et autre 2 ; Lewis c. Todd et McClu-
re; et Jaegli Enterprises Ltd. et autre c. Taylor et
autres 4 .
I [1976] 2 R.C.S. 802, la p. 808.
2 [1980] 2 R.C.S. 78.
3 [1980] 2 R.C.S. 694.
" [1981] 2 R.C.S. 2.
Compte tenu de ces arrêts, je suis d'avis non
seulement que les prétentions numéros 1, 2, 3, 8 et
10 des appelants ne sont aucunement fondées mais
encore qu'il ne peut être raisonnablement soutenu
que les points ainsi soulevés constituent un fonde-
ment permettant à la Cour de modifier les conclu
sions du juge de première instance et que ces
prétentions n'appellent pas une analyse détaillée.
Les points soulevés par les prétentions figurant
sous les cotes 7 et 9, pour les motifs qui ont déjà
été prononcés à leur égard, sont également insoute-
nables. Il reste donc à examiner les prétentions
numéros 4, 5 et 6.
Le point numéro 5 est, à mon avis, également
insoutenable. Si nous tenons pour acquis que le
capitaine de l'Algobay aurait fait montre de pru
dence en lançant un appel de sécurité pour avertir
les navires se dirigeant vers l'intérieur de la baie
qu'il s'apprêtait à en sortir, il reste que celui-ci
n'était soumis à aucune obligation légale d'agir de
la sorte, et puisque l'appel de sécurité qu'il avait
lancé antérieurement n'a pas semblé être reçu et
que ni le Cielo Bianco ni le pilote n'avait capté ses
appels subséquemment lancés par radio, la prépon-
dérance des probabilités veut qu'un tel appel n'eût
point été reçu.
La sixième prétention repose sur l'applicabilité
des Règles 14 et 34a) [du Règlement international
de 1972 pour prévenir les abordages en mer,
annexe I] du Règlement sur les abordages aux
circonstances de l'espèces. Ces dispositions por
tent:
RÈGLE 14
Navires qui font des routes directement opposées
a) Lorsque deux navires à propulsion mécanique font des
routes directement opposées ou à peu près opposées de telle
sorte qu'il existe un risque d'abordage, chacun d'eux doit
venir sur tribord pour passer par bâbord l'un de l'autre.
b) On doit considérer qu'une telle situation existe lorsqu'un
navire en voit un autre devant lui ou pratiquement devant
lui, de sorte que, de nuit, il verrait les feux de mât de
l'autre navire, l'un par l'autre ou presque et/ou ses deux
feux de côté et que, de jour, il verrait l'autre navire sous un
angle correspondant.
c) Lorsqu'un navire ne peut déterminer avec certitude si une
telle situation existe, il doit considérer qu'elle existe effec-
tivement et manoeuvrer en conséquence.
Règlement sur les abordages, C.R.C., chap. 1416.
RÈGLE 34
Signaux de manoeuvre et signaux d'avertissement
a) Lorsque des navires sont en vue les uns des autres, un
navire à propulsion mécanique faisant route doit, lorsqu'il
effectue des manoeuvres autorisées ou prescrites par les
présentes règles, indiquer ces manoeuvres par les signaux
suivants, émis au sifflet:
— un son bref pour dire: «Je viens sur tribord»;
— deux sons brefs pour dire: «Je viens sur bâbord»;
— trois sons brefs pour dire: «Je bats en arrière».
La Règle 34a), selon ses termes mêmes, s'appli-
que à des navires à propulsion mécanique faisant
route et effectuant des manœuvres «autorisées ou
prescrites par» les règles en question. Dans l'arrêt
The Uskmoor 6 , le président sir Francis Jeune,
parlant de ce qu'il a appelé la [TRADUCTION]
«règle relative à l'utilisation du sifflet», a dit [à la
page 317]:
[TRADUCTION] Il n'est pas facile de l'interpréter de façon à la
rendre applicable à toutes les situations possibles. Le sens des
termes de cette règle n'est aucunement facile à préciser. Deux
exigences limitent son application. Les navires doivent se trou-
ver dans le champ de vision l'un de l'autre et doivent «effectuer
toute manœuvre autorisée ou prescrite par les présentes règles»
(«taking any course authorised or required by these rules»). Si
la première de ces conditions est assez facile à comprendre, la
seconde est difficile à interpréter clairement. Cette règle n'est
pas applicable aux navires qui, alors qu'ils effectuent certaines
manœuvres dans le cadre ordinaire de leur navigation, considè-
rent approprié de tourner la barre sur bâbord ou sur tribord
indépendamment du fait qu'ils aperçoivent quelqu'autre navire.
Cette règle est cependant également limitée par la condition
voulant que le navire doive «effectuer toute manœuvre autorisée
ou prescrite par les présentes règles». On a tenté de donner à
cette règle une interprétation plutôt étroite. Le sens du terme
«required» («prescrite») est évidemment assez clair. Les règles
exigent l'accomplissement de certains actes. Le terme «authori-
sed» («autorisée») est cependant beaucoup plus large, aussi
suis-je enclin à croire qu'il faut lui donner une interprétation
large et que seraient autorisées toutes les manœuvres qui, selon
les règles définissant les bons usages maritimes, sont nécessaires
et appropriées, bien qu'il existe certes certaines circonstances
où s'imposerait une autorisation plus précise. Par exemple, le
navire qui en rattrape un autre et doit s'écarter de la route du
navire qu'il rattrape serait autorisé à virer sur bâbord ou sur
tribord, selon les circonstances, et, évidemment, en vertu de la
règle applicable aux navires dont les routes se croisent, le navire
qui doit s'écarter de la route d'un autre navire peut le faire en
effectuant la manœuvre offerte qui semble appropriée dans les
circonstances. Je ne crois pas que cette question doive être
assujettie à une interprétation étroite de la règle. Cependant,
même si c'était le cas, j'estime qu'il conviendrait de dire en
l'espèce que les manœuvres effectuées par le Minnetonka
étaient, selon sa propre narration des faits, autorisées par les
6 (1902), 9 Asp. M.L.C. (N.S.) 316 (Adm.).
règles. Selon sa plaidoirie, lorsque le navire qui s'approchait de
lui a viré sur bâbord, il a cru qu'il convenait de faire de même,
et il n'est pas du tout certain que cette manoeuvre ne soit pas
conforme à la règle relative aux navires qui se croisent, qui
impose à un navire l'obligation de s'écarter de la route de
l'autre navire et autorise le navire devant effectuer cette
manœuvre à utiliser, pour ce faire, tous les moyens appropriés;
il me semble cependant clair que, au sens large, sa manœuvre
était autorisée par la règle. En conséquence, tout étant bien
considéré, il me semble que, dans les circonstances de l'espèce,
le Minnetonka était tenu de donner des coups de sifflet plus tôt
que ne l'a considéré l'officier responsable du navire. Il a
actionné le sifflet à un moment subséquent et a eu raison de le
faire. Selon lui, le motif pour lequel il n'a pas agi plus tôt, et je
n'ai pas l'intention de lui en faire reproche, bien que cette
attitude soit probablement partagée par un bon nombre de
marins, est qu'il n'estimait pas nécessaire de se conformer à la
règle sauf dans les cas où des navires se rencontraient dans des
passages étroits. Je désire souligner que cette règle ne comporte
pas une telle limite et il est nécessaire d'insister sur ce point, car
il ressort de l'expérience de cette Cour que le milieu maritime
n'a pas observé cette règle aussi strictement que ne l'exige son
libellé. Si les capitaines doivent désobéir cette règle, je souhaite
que ce soit en manifestant un excès de zèle.
Cette opinion a été approuvée par la Cour d'ap-
pel dans l'arrêt The Anselm 7 , dans lequel lord
Alverstone, le juge en chef, a dit au nom de la
Cour [à la page 440]:
[TRADUCTION] Au sujet de l'interprétation du terme «authori-
sed» (autorisée), on nous a cité une décision rendue par l'émi-
nent et très expérimenté lord St. Helier, lorsqu'il était président
de la Division de l'amirauté. Ce juge, dans l'affaire The Usk-
moor (voir plus haut), a donné au terme «authorised» (autori-
sée) une interprétation à laquelle je souscris sans hésitation, et
qu'il m'apparaîtrait souhaitable de maintenir, pour le motif
qu'il est vital qu'un navire effectuant une manœuvre non
absolument prescrite mais «autorisée» et, en conséquence, per-
mise, le signale à l'autre navire.
Dans l'affaire The Hero 8 , l'on a prétendu que
cette règle n'était pas applicable lorsque le change-
ment de cap était erroné ou dû à la négligence
puisqu'une telle manoeuvre n'était pas «autorisée»
(«authorized») par les règles. La Cour a conclu
différemment. Lord judge Kennedy a écrit:
[TRADUCTION] Nous ne pouvons accepter une telle prétention.
Si celle-ci était exacte, il s'ensuivrait curieusement que, dans la
présente affaire, comme dans toutes les affaires semblables, un
navire qui effectuerait une manœuvre soit prescrite par les
règles, soit autorisée par elles parce que respectueuse des bons
usages maritimes, mais qui omettrait de donner le signal sonore
approprié conformément à l'art. 28, serait en défaut aux yeux
de la loi, tandis qu'un navire qui, dans des circonstances tout à
fait semblables, aurait effectué une manœuvre erronée et non
respectueuse des bons usages maritimes, ni prescrite ni autori-
(1907), 10 Asp. M.L.C. (N.S.) 438 (C.A.).
8 [1911] P. 128 (C.A.), à la p. 159.
sée par les règles, et n'aurait donné aucun signal pour annoncer
cette manoeuvre n'encourrait aucune peine pour avoir négligé
de donner le signal approprié. Nous ne croyons pas qu'une
interprétation juste et raisonnable du libellé de l'art. 28 con-
duise à une telle conclusion. Nous ne croyons pas que les termes
«taking any course authorized or required by these rules»
(«effectuer toute manoeuvre autorisée ou prescrite par les pré-
sentes règles») restreignent l'application de cette règle aux
situations dans lesquelles la manoeuvre effectuée est, lors du
procès relatif à un abordage, considérée par la Cour comme
ayant été autorisé ou prescrite par les règles. Nous devons, nous
semble-t-il, interpréter ces termes comme comprenant toute
manoeuvre dont il est allégué qu'elle a été effectuée par un
navire cherchant, soit en vertu des art. 27 ou 29, soit en vertu
d'autres articles, à éviter une situation de danger immédiat.
Ainsi lorsqu'un navire, comme celui en l'espèce, est poursuivi
dans une action pour avoir causé un abordage ou y avoir
contribué en effectuant—pour un autre navire—une manoeuvre
non appropriée, et que ce navire affirme dans le cadre de cette
action, comme le Hero le fait en l'espèce, que la manoeuvre
respectait les règles, il ne peut prétendre avec succès que la
conclusion de la Cour que sa version des faits est fabriquée et
que, en réalité, la manoeuvre qu'il a effectuée n'était ni pres-
crite ni autorisée par les règles, lui permet d'échapper à la
sanction prévue par la loi pour ne pas avoir signalé sa manoeu
vre de la manière appropriée. C'est une manoeuvre que les
responsables du navire ont à l'époque déclaré avoir faite, et que
les propriétaires de ce navire ont tenté de justifier dans le cadre
de l'action, parce qu'elle aurait été soit autorisée soit prescrite
par les règles.
La plaidoirie de l'intimée, telle que je la conçois,
procède du postulat voulant que la situation visée
en l'espèce ait été une situation de rencontre ou de
routes directement opposées dans laquelle les navi-
res devaient passer bâbord sur bâbord. Pour le
capitaine de l'Algobay, il s'agissait donc d'une
situation visée par la Règle 14a). Au moment où le
cap de l'Algobay est passé de 135° 145°, le
capitaine de ce navire a jugé nécessaire de virer sur
tribord pour éviter une situation très rapprochée. Il
a effectué les changements lorsque les feux de tête
de mât du Cielo Bianco se sont fermés au point
qu'il les a vus presque l'un par l'autre. C'est la
situation décrite à la Règle 14b). En conséquence,
il m'apparaît que les conditions d'application de la
Règle 34a) étaient respectées s'il devait procéder
de la conclusion que le Cielo Bianco était au
courant du rapprochement de l'Algobay et que ce
dernier avait le droit de venir sur tribord.
À mon avis, après avoir décidé de venir sur
tribord, l'Algobay devait, conformément à la
Règle 34a), signaler ce changement de cap au
Cielo Bianco au moyen de son sifflet. Le sifflet
eût-il été utilisé, il aurait peut-être été entendu par
les responsables du Cielo Bianco, qui auraient été
ainsi avisés à la fois qu'un navire se dirigeait vers
le leur en suivant le cap de l'Algobay et que ce
navire venait sur tribord. Un tel signal aurait très
bien pu suffire à permettre au Cielo Bianco d'évi-
ter l'abordage. Mais, pour avoir un tel effet, ce
signal, s'il avait été donné, aurait dû être entendu;
or, comme environ un mille séparait les deux navi-
res à ce moment-là et comme le sifflet de l'Algo-
bay, utilisé ultérieurement lorsque les navires
étaient beaucoup plus proches l'un de l'autre,
n'avait pas été entendu par le Cielo Bianco, il
semble que selon la prépondérance des probabili-
tés, le sifflet n'aurait pas été entendu. En consé-
quence, bien que je sois d'avis que le défaut de
signaler la venue du navire sur tribord au moyen
du sifflet constitue un manquement à la règle, je
suis incapable de conclure qu'un tel défaut a été
une des causes de l'abordage.
La quatrième prétention voulait que l'Algobay
n'ait pas maintenu un quart en service à la passe-
relle conformément au Règlement sur les quarts à
la passerelle des navires et que, si un tel quart
avait été en service et avait exécuté ses fonctions
correctement, le capitaine aurait été mieux en
mesure de surveiller les déplacements du Cielo
Bianco et n'aurait pas effectué ses changements de
cap sur tribord. Cette prétention a soulevé une
question dont le juge de première instance a parlé
au début de ses motifs en exposant le détail des
allégations de négligence visant l'Algobay mais
dont il n'a pas discuté par la suite.
Le Règlement sur les quarts à la passerelle des
navires, tel que je le comprends, exigeait que soit
de service à la passerelle de l'Algobay un quart ne
comprenant pas le capitaine mais formé d'une
personne responsable du quart à la passerelle,
d'une autre personne ainsi que d'une personne
qualifiée pour utiliser un radiotéléphone. Par défi-
nition, le quart à la passerelle désigne la partie de
l'effectif d'un navire qui est nécessaire pour assu-
rer sa navigation et sa sécurité. Les obligations
reliées à la navigation d'un navire comprennent
celles qui se trouvent définies aux Règles 5 et 7 du
Règlement sur les abordages, qui visent la veille et
le risque d'abordage.
Les membres de l'équipage qui pouvaient être
considérés comme formant le quart à la passerelle
de l'Algobay au cours de la période pertinente
étaient le premier officier ainsi que l'homme
d'équipage qui se trouvait avec lui dans le compar-
timent du guindeau sous le gaillard et, peut être,
l'homme de barre qui, avec le capitaine, se trouvait
dans l'abri de navigation. À mon avis, ainsi orga-
nisé, le quart à la passerelle ne respectait pas les
exigences posées par le Règlement. L'officier fai-
sant partie du quart, posté par le capitaine dans le
compartiment du guindeau, n'était pas effective-
ment responsable du quart à la passerelle. Il était
tout au plus responsable de l'homme d'équipage
qui se trouvait avec lui dans le compartiment du
guindeau. D'aucune façon était-il, en qualité d'of-
ficier membre du quart, responsable de l'homme à
la barre ou des actions de ce dernier. De plus, le
capitaine, qui était qualifié pour utiliser un radio-
téléphone, n'était pas assujetti au contrôle de cet
officier et, de toute façon, ne pouvait être consi-
déré comme un membre du quart de façon à
respecter cette exigence.
Plus important encore, ni l'officier du quart ni
un autre membre de celui-ci n'était en mesure de
remplir les obligations imposées par les Règles 5 et
7 du Règlement sur les abordages, c'est-à-dire
d'assurer une veille convenable et de déterminer
s'il existait un risque d'abordage—risque qui s'est
finalement réalisé.
Toutefois, le défaut de mettre à la passerelle un
quart conforme au Règlement sur les quarts à la
passerelle des navires n'engendrerait pas en soi la
responsabilité d'un navire, sauf s'il était établi qu'il
était une cause de l'abordage. En l'espèce, cette
inobservance, à mon point de vue, a rendu le
capitaine seul responsable de la navigation du
navire, y compris de l'obligation de respecter les
règles, sans l'aide des hommes d'équipage qui
auraient pu être affectés au quart et faire part de
la situation au fur et à mesure des constatations
que leur aurait permises leur veille visuelle ou leur
utilisation du radar. Il a dû effectuer seul, en
utilisant la carte et le radar, les calculs nécessaires
à la détermination de son cap de 135° et, plus tard,
de son cap de 145°. Il a dû seul assurer la veille
destinée à éviter l'abordage avec le Cielo Bianco et
avec tous les autres navires se trouvant dans la
baie. Il a dû seul manoeuvrer les machines et
actionner le sifflet, et seul encore, tenter d'établir
un contact par radiotéléphone avec le Cielo
Bianco. Il était toujours seul à observer de façon
continue et à apprécier l'évolution de la situation
et seul à déterminer les mesures qui s'imposaient.
Et, ultimement, lorsque la situation est devenue
critique, sinon beaucoup plus tôt, il s'est trouvé
débordé. Au sujet du signal qu'il a donné par
sifflet au premier officier, le capitaine de l'Algo-
bay a dit:
[TRADUCTION]
Q. Et vous avez indiqué que l'officier vous a appelé lorsque
vous avez actionné le sifflet.
R. Il a appelé.
Q. Quel appareil a-t-il utilisé pour vous appeler?
R. Il a utilisé le walkie-talkie.
LE JUGE: Je ne ... je ne comprends pas pourquoi vous avez
effectué un appel ... vous avez effectué cet appel au moyen
du sifflet. Je ne comprends pas que vous n'ayez pas eu
l'intention ... que vous n'ayez pas informé le ... vous n'avez
pas effectué cet appel dans le but de communiquer quelque
information à l'autre navire, vous entendiez seulement appe-
ler votre officier. Vous aviez un walkie-talkie et il en avait un
aussi, et je ne comprends pas pourquoi vous ne l'avez pas
simplement rejoint à l'aide de cet appareil.
R. Eh bien, à ce stade, je n'en n'avais plus le temps. Je
devais manoeuvrer les machines, m'occuper du change-
ment de cap sur tribord, appeler l'autre navire. À ce
moment-là, je n'avais pas ... pas le temps d'étendre le
bras pour prendre le walkie-talkie. Je voulais seulement
attirer son attention—à ce jour, je ne saurais même pas
dire si je voulais lui demander de s'enlever de là, si je
voulais lui demander de demeurer près des ancres ... je
ne saurais dire exactement ce que je voulais de lui à ce
stade.
Malgré cela, toutefois, je ne crois pas que la
preuve établisse qu'une veille supplémentaire assu
rée par d'autres personnes que le capitaine lui-
même, postées sur le pont ou ailleurs, aurait
permis au capitaine d'être informé de la fermeture
des feux de tête de mât du Cielo Bianco avant le
moment où il l'a lui-même constaté. Une telle
conclusion serait fondée sur des conjectures. En
conséquence, je ne crois pas que le défaut de
maintenir en service à la passerelle un quart satis-
faisant aux conditions posées par le Règlement sur
les quarts â la passerelle des navires puisse, en soi,
être considéré comme une des causes de l'abor-
dage. L'on peut toutefois noter que la veille que le
capitaine Carlsen a pu assurer n'était pas aussi
constante qu'elle aurait pu l'être puisqu'il n'a pas
vu les feux rouge et vert du Cielo Bianco au cours
de l'intervalle pendant lequel ils auraient été tous
les deux visibles, et il ne s'est pas rappelé avoir vu
le feu vert du Cielo Bianco.
La question de savoir si une faute a été commise
n'est cependant pas tranchée pour autant. Au
cours de la plaidoirie, qui a duré presque sept
jours, on a prétendu que le capitaine de l'Algobay
aurait dû constater l'existence d'un risque d'abor-
dage et prendre des mesures visant à l'éviter plus
tôt qu'il ne l'a fait, et on a soutenu que l'abordage
avait été causé par sa venue sur tribord.
Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, au
moment où l'Algobay s'est présenté en •suivant son
cap de 135°, le cap du Cielo Bianco divergeait de
celui de l'Algobay par environ 28°. Vus de l'Algo-
bay, les feux de tête de mât du Cielo Bianco
semblaient bien ouverts. Durant la période d'envi-
ron huit minutes qui s'est écoulée entre ce moment
et celui du changement de cap pour le porter à
145°, l'angle de cette divergence a été réduit au
point que les feux de tête de mât du Cielo Bianco
pouvaient presque être vus l'un par l'autre. Relati-
vement à cette question, le capitaine Carlsen, en
interrogatoire principal, fait la déposition suivante:
[TRADUCTION]
R. Alors que je suivais le cap de 135°, le Cielo Bianco faisait
toujours route vers l'intérieur de la baie, et, sur le cap de
135°, je l'ai vu commencer à arriver.
LE JUGE: Excusez-moi. Par «arriver», vous voulez dire
revenir?
R. Oui.
Q. Revenir en direction de votre route?
R. Dans ma direction.
Q. Oui.
R. Ce qui, initialement, ne modifiait aucunement la rencon-
tre des navires puisque son relèvement continuait de
s'amplifier pendant que je me dirigeais vers l'extérieur de
la baie; l'arrière du navire se rapprochait et son relève-
ment devenait de plus en plus important.
Q. Oui, je comprends.
R. Lorsque j'ai presque pu voir ses feux de mât l'un par
l'autre, il était arrivé et, après avoir vérifié le radar, j'ai
changé la route de mon navire pour passer à .5 de Pointe
M e HYNDMAN: Je n'ai pas entendu cela.
LE TÉMOIN: J'ai changé de cap pour passer à .5 de Pointe à
la Marmite, portant mon cap à 145°.
LE JUGE: Lorsque vous dites .5, vous voulez parler d'une
distance de un demi ('h) mille?
R. C'est exact.
Q. Vous avez donc porté votre cap pour passer à .5 de Pointe
à la Marmite. C'est alors que vous l'avez vu—quand
avez-vous dit avoir fait cela?
R. th bien, je crois que c'était au moment ... si je me
souviens bien ... au moment où ses feux s'approchaient
de plus en plus du point où l'on pourrait les voir l'un par
l'autre.
Le juge de première instance a conclu que les
mesures prises par le capitaine de l'Algobay dès
qu'il s'était rendu compte qu'une situation dange-
reuse se présentait étaient appropriées. Je ne vois
pas pourquoi je serais en désaccord avec cette
opinion. A ce stade, il existait une situation d'ur-
gence. Cette conclusion ne tranche cependant pas
la question de savoir si le capitaine Carlsen aurait
dû constater plus tôt qu'il ne l'a fait le risque
d'abordage et prendre les mesures permettant de
l'éviter. Le juge de première instance a également
conclu que le changement de route par lequel
l'Algobay était passé d'un cap de 135° un cap de
145° avait été effectué pour éviter de passer trop
près de l'autre navire à un moment où son capi-
taine «n'avait pas prévu, ni n'avait aucune raison
de prévoir ... que le Cielo Bianco virerait plus loin
sur bâbord et qu'il se produirait un danger immé-
diat d'abordage». L'appréciation suivant laquelle le
capitaine n'avait pas prévu que le Cielo Bianco
virerait plus loin sur bâbord m'apparaît une con
clusion de fait valable. Cependant, outre le fait que
le Cielo Bianco continuait de virer sur bâbord, le
capitaine Carlsen n'avait reçu de ce navire aucune
indication concernant la manoeuvre qu'il effec-
tuait, et la conclusion voulant qu'il n'eût aucune
raison de prévoir que le Cielo Bianco virerait
davantage sur bâbord ne s'appuie point, selon mon
interprétation des motifs du jugement, sur les ren-
seignements dont disposait le capitaine Carlsen à
ce moment-là mais sur l'opinion suivante du juge
de première instance, énoncée dans l'extrait de ses
motifs que j'ai déjà cité ainsi que dans un passage
antérieur, que je cite à présent:
... même si l'Algobay avait effectivement été informé de
l'intention du Cielo Bianco d'avancer vers Pointe Noire, tant
que les feux du Cielo Bianco demeuraient ouverts pour l'Algo-
bay, compte tenu de la distance entre les navires à ce
moment-là et même lorsqu'ils ont commencé à se fermer jus-
qu'au moment où ils ont commencé à s'ouvrir sur bâbord,
l'Algobay pouvait encore présumer à bon droit que le Cielo
Bianco lui permettrait de le dépasser et virerait sur bâbord
autour de son arrière. [Les soulignements sont ajoutés.]
Il ressort de façon évidente du témoignage du
capitaine de l'Algobay qu'il se fondait effective-
ment sur de telles conclusions. Il a décrit la
manière dont lui sont initialement apparus les feux
de tête de mât du Cielo Bianco en disant que
[TRADUCTION] «au moment où il entrait, ils
étaient bien ouverts»; il considérait que les navires
faisaient des routes directement opposées et qu'ils
se rencontreraient simplement sur bâbord à moins
que le Cielo Bianco, par radiotéléphone, ne cher-
che à obtenir que les navires passent tribord sur
tribord. En réponse à une question posée en contre-
interrogatoire, il a dit:
[TRADUCTION]
R. Je crois que je devrais supposer qu'il a donné le comman-
dement d.ï tourner vers la gauche et a réglé les machines
à demi-régime ... je sais cela à présent. Lors de l'inci-
dent, cependant, à aucun moment m'a-t-il été possible de
concevoir que cet homme avait donné le commandement
de tourner à gauche et de régler les machines à demi-
régime dans son transmetteur, en particulier au moment
où l'arrière du navire s'avançait sur moi. Il m'était impos
sible de concevoir que cet homme effectuât une telle
manoeuvre. Il me semble que, dans ces circonstances,
j'étais en droit de conclure que, les navires se trouvant
l'un devant l'autre, je pouvais certainement présumer que
cet homme pouvait voir mon navire aussi bien que je
pouvais voir le sien et que je lui apparaîtrais exactement
de la même façon qu'il m'apparaissait lui-même.
En conséquence, se fondant sur cette conclusion
et sur le fait que le relèvement du Cielo Bianco
semblait prendre de l'ampleur, le capitaine Carl-
sen, tout en observant alors qu'il suivait son cap de
135° que les feux du Cielo Bianco avaient com-
mencé à se fermer et continuaient à se fermer au
point où il les a presque vus l'un par l'autre, n'a
pris aucune mesure pour vérifier quelle manoeuvre
effectuait effectivement le Cielo Bianco jusqu'à ce
que, quelque temps après avoir adopté un cap de
145°, voyant que les feux s'ouvraient et montraient
le côté tribord du Cielo Bianco, il ait tenté de le
rejoindre par radiotéléphone. À ce stade, toutefois,
il ne pouvait réellement rien faire pour éviter le
Cielo Bianco. Il a fait ce qu'il pouvait pour atté-
nuer l'abordage et, en regard des conclusions du
juge de première instance, il ne doit pas être blâmé
pour les mesures qu'il a prises. Il semble cependant
évident que, s'il ne s'était fié aux conclusions qu'il
avait tirées sur les manoeuvres que le Cielo Bianco
était en train d'effectuer ou effectuerait, il aurait
constaté et aurait dû constater par le changement
de cap continu qui orientait ce navire vers le sien
qu'il était en train de se produire une situation
différente du passage habituel sur bâbord. Le
risque d'abordage aurait pu disparaître à tout
moment au cours de cette période si le Cielo
Bianco s'était fixé sur sa route, mais le capitaine
Carlsen, bien qu'il ait pu espérer et anticiper ce
dénouement, n'a pu se fonder que sur une telle
conclusion pour décider de continuer à suivre un
cap de 135° une vitesse croissante et, ensuite,
d'adopter un cap de 145° tandis que le Cielo
Bianco, comme l'indiquait son arrivée, effectuait
un changement de cap de l'ordre de 25 28 degrés
pour se diriger sur la route de l'Algobay.
Avec déférence et, certes, avec également une
certaine hésitation, puisque le juge de première
instance a bénéficié des conseils de deux assesseurs
expérimentés, je suis d'avis que le juge de première
instance, dans les passages de ses motifs que j'ai
cités, a énoncé un principe erroné sur lequel il s'est
fondé dans son appréciation des actions posées par
le capitaine de l'Algobay. Un capitaine se trouvant
dans la situation du capitaine de l'Algobay pouvait
être fortement tenté de tenir pour acquis que les
responsables d'un navire qui s'approchait avaient
vu son navire et agiraient conformément aux bons
usages maritimes ainsi qu'au Règlement. Le capi-
taine Carlsen a certes pu trouver inconcevable que,
dans les circonstances, un navire du tonnage du
Cielo Bianco n'assurerait pas une veille appro-
priée, ne détecterait pas la présence de l'Algobay
et au lieu de maintenir son cap, virerait sur bâbord
pour croiser la route de l'Algobay.
Mais le Règlement sur les abordages, selon mon
interprétation, n'autorise pas les capitaines à se
fonder sur de telles conclusions.
Ce Règlement s'intitule «Règlement pour préve-
nir les abordages». À l'article 4, il porte:
4. Le propriétaire, capitaine ou responsable du bâtiment doit
s'assurer que le bâtiment est conforme aux Règles de l'annexe I
et aux dispositions des annexes II à VII. [Le soulignement est
ajouté.]
L'annexe I de ce Règlement a pour titre «Règle-
ment international de 1972 pour prévenir les
abordages en mer», et son article 3 le rend applica
ble à tous les bâtiments canadiens ou étrangers
naviguant dans les eaux dans lesquelles est survenu
l'abordage.
Ces règles sont entrées en vigueur le 15 juillet
1977 [DORS/77-579]. Elles diffèrent sensiblement
des règles qu'elles ont remplacées et doivent être
considérées comme un nouveau code. La jurispru
dence élaborée en fonction des règles antérieures
doit donc être considérée avec prudence puisque
l'entrée en vigueur des nouvelles règles a eu pour
effet de rendre périmée au moins une partie de ces
jugements. Voir Bank of England v. Vagliano
Brothers 9 . Sont particulièrement touchées les déci-
sions ayant trait aux circonstances dans lesquelles
on doit présumer l'existence d'un risque d'abor-
dage.
Les Règles 5, 7 et 8, qui figurent sous le titre
«Règles de barre et de route», portent:
RÈGLE 5
Veille
Tout navire doit en permanence assurer une veille visuelle et
auditive appropriée, en utilisant également tous les moyens
disponibles qui sont adaptés aux circonstances et conditions
existantes, de manière à permettre une pleine appréciation de la
situation et du risque d'abordage.
RÈGLE 7
Risque d'abordage
a) Tout navire doit utiliser tous les moyens disponibles qui
sont adaptés aux circonstances et conditions existantes
pour déterminer s'il existe un risque d'abordage. S'il y a
doute quant au risque d'abordage, on doit considérer que
ce risque existe.
b) S'il y a à bord un équipement radar en état de marche, on
doit l'utiliser de façon appropriée en recourant, en particu-
lier, au balayage à longue portée afin de déceler à l'avance
un risque d'abordage, ainsi qu'au «plotting» radar ou à
toute autre observation systématique équivalente des objets
détectés.
c) On doit éviter de tirer des conclusions de renseignements
insuffisants, notamment de renseignements radar insuffi-
sants.
d) L'évaluation d'un risque d'abordage doit notamment tenir
compte des considérations suivantes:
(i) il y a risque d'abordage si le relèvement au compas
d'un navire qui s'approche ne change pas de manière
appréciable;
(ii) un tel risque peut parfois exister même si l'on observe
une variation appréciable du relèvement, particulière-
ment lorsque l'on s'approche d'un très grand navire,
d'un train de remorque ou d'un navire qui est à courte
distance.
RÈGLE 8
Manoeuvre pour éviter les abordages
a) Toute manoeuvre entreprise pour éviter un abordage doit,
si les circonstances le permettent, être exécutée franche-
ment, largement à temps et conformément aux bons usages
maritimes.
b) Tout changement de cap ou de vitesse, ou des deux à la
fois, visant à éviter un abordage doit, si les circonstances le
9 [1891] A.C. 107 (H.L.), aux p. 144 et 145.
permettent, être assez important pour être immédiatement
perçu par tout navire qui l'observe visuellement ou au
radar; une succession de changements peu importants de
cap ou de vitesse, ou des deux à la fois, est à éviter.
c) Si le navire a suffisamment de place, le changement de cap
à lui seul peut être la manoeuvre la plus efficace pour
éviter de se trouver en situation très rapprochée à condi
tion que cette manoeuvre soit faite largement à temps,
qu'elle soit franche et qu'elle n'aboutisse pas à une autre
situation très rapprochée.
d) Les manoeuvres effectuées pour éviter l'abordage avec un
autre navire doivent être telles qu'elles permettent de
passer à une distance suffisante. L'efficacité des manoeu
vres doit être attentivement contrôlée jusqu'à ce que l'au-
tre navire soit définitivement paré et clair.
e) Si cela est nécessaire pour éviter un abordage ou pour
laisser plus de temps pour apprécier la situation, un navire
doit réduire sa vitesse ou casser son erre en arrêtant son
appareil propulsif ou en battant en arrière au moyen de cet
appareil.
La Règle 5 est de droit nouveau. Les règles
antérieures ne prétendaient pas établir une norme
concernant la veille que devaient assurer les navi-
res; elles se contentaient simplement de dire que
rien dans les règles en question ne devait dégager
la responsabilité d'un navire qui n'avait pas assuré
une veille «appropriée». Voir la Règle 29 des
Règles de 1965, C.P. 1965-1552 [DORS/65-395].
La Règle 2 du présent Règlement traite d'une
partie des questions visées à la Règle 29 des règles
de 1965 mais ne mentionne plus. la veille.
La Règle 7 est, elle aussi, essentiellement nou-
velle. En fait, seul le sous-alinéa (i) de l'alinéa d)
figurait dans les règles antérieures.
La Règle 8, sauf son alinéa a), est également de
droit nouveau. L'alinéa e) de la Règle 8, en parti-
culier, innove en exigeant de tout navire—non
seulement d'un navire tenu de s'écarter de la route
d'autres navires—qu'il réduise sa vitesse ou casse
son erre si «cela est nécessaire ... pour laisser plus
de temps pour apprécier la situation». L'on peut
comparer cette disposition avec celle de la règle
antérieure, la Règle 23, qui imposait cette obliga
tion aux seuls navires tenus d'après les Règles de
s'écarter de la route d'autres navires.
Ces règles, selon mon interprétation, tiennent
compte du développement d'instruments mécani-
ques et électriques dont sont équipés les navires
modernes de grand et de petit tonnage, et qui
contribuent à la sécurité de la navigation. Le
Règlement, à la Règle 5, exige non seulement que
l'on assure une veille de manière à permettre une
pleine appréciation de la situation et du risque
d'abordage mais encore que tous les moyens dispo-
nibles qui sont adaptés aux circonstances et aux
conditions existantes soient utilisés afin de déter-
miner s'il existe un risque d'abordage. S'il y a
doute quant au risque d'abordage, on doit considé-
rer que ce risque existe et le navire doit agir en
conséquence. A cette fin, on doit utiliser l'équipe-
ment radar de façon appropriée et éviter de tirer
des conclusions de renseignements insuffisants.
En l'espèce, au moment où il a vu les feux du
Cielo Bianco se fermer, comme au cours de la
période d'environ huit minutes qui a précédé son
adoption d'un cap de 145° et par la suite jusqu'à ce
que les feux du Cielo Bianco soient devenus visi-
bles l'un par l'autre, puis se soient ouverts pour
découvrir le flanc tribord de ce navire, le capitaine
Carlsen ne savait pas quelles étaient les manoeu
vres effectuées par le Cielo Bianco. Il ne savait pas
pourquoi ses feux se fermaient. Il ne connaissait
pas sa vitesse. Absolument rien ne lui indiquait
que son navire avait été vu par le Cielo Bianco et
personne n'utilisait le radar de l'Algobay afin de
préciser quelle était la manoeuvre effectuée par le
Cielo Bianco ou la vitesse à laquelle ce navire se
déplaçait de façon à déceler à l'avance le risque
d'abordage. Bref, ses renseignements étaient insuf-
fisants. Et bien que le capitaine Carlsen sût que le
cap du Cielo Bianco était en train de changer de
façon à rapprocher ce navire du sien, et qu'il sût
également qu'il s'agissait d'un navire à fort ton
nage, il a continué, contrairement aux prescrip
tions de la Règle 7d)(ii), à se fonder uniquement
sur l'accroissement du relèvement du Cielo Bianco.
À mon avis, le capitaine Carlsen, dans la situation
qu'il a décrite, était tenu, peu après que les feux du
Cielo Bianco ont commencé à se fermer, et donc à
indiquer que celui-ci changeait de cap, c'est-à-dire
alors que l'Algobay suivait son cap de 135° et bien
avant qu'il n'adopte un cap de 145°, de présumer
ou de considérer qu'il existait un risque d'abor-
dage, comme c'était effectivement le cas, et,
comme il ne pouvait, à cause de sa vitesse et parce
qu'il naviguait dans des eaux fermés, entreprendre
seul une manoeuvre du genre de celles qui sont
envisagées par les Règles 8b) et 8c), il était tenu
d'agir conformément à la Règle 8e) en réduisant
sa vitesse et, si nécessaire, en cassant l'erre de son
navire jusqu'à ce que, par radiotéléphone ou autre-
ment, il puisse vérifier les intentions du Cielo
Bianco et faire disparaître le risque d'abordage.
Je suis donc d'avis que l'Algobay ne peut être
considéré comme n'ayant commis aucune faute
contribuant à l'abordage. Au cours de la période
décisive pendant laquelle ce navire suivait un cap
de 135°, à partir du moment où on a vu les feux de
tête de mât du Cielo Bianco se fermer, la veille
assurée par l'Algobay n'a pas satisfait au critère
établi par la Règle 5 puisque «tous les moyens
disponibles ... adaptés aux circonstances et condi
tions existantes» n'ont pas été utilisés de manière à
permettre une pleine appréciation du risque
d'abordage. Le radar n'était pas surveillé et utilisé
de façon constante pour relever ou vérifier la route
ainsi que la vitesse du Cielo Bianco. L'Algobay n'a
pas respecté l'obligation que lui imposait la Règle
7a) d'utiliser le radiotéléphone pour prendre con
tact avec le Cielo Bianco afin de vérifier quelles
étaient ses intentions et de déterminer s'il existait
un risque d'abordage. Ainsi que nous l'avons déjà
indiqué, l'Algobay s'est fondé sur des conclusions
tirées de renseignements insuffisants. Il n'a pas
tenu compte de la considération énoncée à la Règle
7d)(ii) selon laquelle, lorsque l'on s'approche d'un
grand navire, un risque d'abordage peut exister
même si l'on observe une variation appréciable du
relèvement. Il aurait dû considérer qu'un risque
d'abordage existait peu après avoir observé que les
feux de tête de mât du Cielo Bianco se fermaient,
et il aurait dû prendre des mesures beaucoup plus
tôt qu'il ne l'a fait pour communiquer avec le Cielo
Bianco par radiotéléphone, et, à défaut d'entrer en
communication avec ce navire, réduire sa vitesse
ou casser son erre afin de laisser plus de temps
pour apprécier la situation.
Cependant, à mon avis, la faute de l'Algobay
était beaucoup moindre que celle du Cielo Bianco.
Je répartirais la responsabilité pour cet abordage
en en imputant 75 % au Cielo Bianco et 25 % à
l'Algobay. Je modifierais le jugement de première
instance en conséquence.
Le taux des intérêts courus avant le jugement
En traitant de cette question, le juge de pre-
mière instance a noté que les parties avaient con-
venu que l'intérêt devant être compris dans les
dommages-intérêts serait calculé à partir de la
date à laquelle les dépenses avaient été engagées et
de la date à laquelle les revenus avaient été perdus,
selon le cas. Les parties avaient également convenu
que le «taux privilégié» moyen—c'est-à-dire le taux
auquel les banques à charte prêtent aux emprun-
teurs ayant les meilleurs cotes de crédit—déter-
miné et publié par la Banque du Canada était de
14,43 % pour la période allant de novembre 1978 à
la conclusion du procès en mars 1984. Notant
également que l'intimée avait déclaré acceptable
un taux se situant entre 14 et 14,43 %, et que les
taux d'intérêt avaient baissé dans une certaine
mesure au cours des quelques mois ayant suivi
l'instruction, le juge a fixé ce taux à 14 %.
Les appelants ont prétendu que le juge de pre-
mière instance, au lieu de fonder sa conclusion sur
le taux privilégié moyen, aurait dû fixer un taux
équivalent à celui de l'intérêt payé mensuellement
sur les argents consignés à la Cour. L'avocat des
appelants appuie cette prétention sur la décision
rendue par cette Cour dans l'affaire Davie Ship
building Limited c. La Reine 10 , dans laquelle, en
l'absence d'autres éléments sur lesquels appuyer sa
conclusion, la Cour a adopté un taux d'intérêt
fondé sur le taux payé sur l'argent consigné à la
Cour.
Le juge de première instance, après avoir exa-
miné le principe selon lequel, dans les litiges de
droit maritime, il est considéré que l'intérêt couru
avant jugement fait partie des dommages-intérêts
adjugés, a établi quatre distinctions entre le litige
qui lui était soumis et l'affaire Davie Shipbuilding,
pour conclure que, selon la preuve et les circons-
tances de l'espèce, le taux d'intérêt le plus équita-
ble serait la moyenne des taux d'intérêts
privilégiés.
Il est bien établi que la question du taux des
intérêts devant faire partie de la somme adjugée
doit être tranchée par le juge de première instance
dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, et
rien ne m'incite à penser que le juge de première
instance se soit trompé de quelque manière en
fixant à 14 % le taux des intérêts relatifs à la
période s'étendant du moment convenu par les
parties au 22 novembre 1984, date de son juge-
ment. En conséquence, je confirmerais cette
conclusion.
Toutefois, comme le juge de première instance
n'a accordé aucuns des dommages-intérêts récla-
més par les appelants dans leur demande reconven-
tionnelle, il n'a pas eu l'occasion de traiter du taux
10 [1984] 1 C.F. 461.
des intérêts devant faire partie de tels dommages-
intérêts à compter de la date de son jugement
jusqu'au moment précis où cette Cour aurait
décidé de leur adjudication. Ayant eu à établir le
taux des intérêts courus après le jugement, il l'a
fixé à 14 % en se fondant sur les renseignements
dont il disposait. Toutefois, comme tout le monde
sait, les taux d'intérêt ont chuté considérablement
entre temps, une tendance que le juge de première
instance avait observée lorsqu'il fixa le taux des
intérêts à 14 % bien que le taux privilégié moyen
s'élevât à 14,43 %.
Les renseignements fournis par le greffe, qui
figurent dans l'appendice annexé aux présents
motifs, révèlent que, au cours de la période s'éten-
dant de novembre 1978 octobre 1984, le taux
mensuel d'intérêt de l'argent consigné à la Cour
s'est élevé, avec quelques oscillations, de 9,24 % en
novembre 1978 18,77 % en août 1981, a chuté
pour atteindre 8,21 % en mai 1983 et a ensuite
recommencé à monter, pour se situer à 10,64 % en
octobre 1984. La moyenne de ces taux mensuels au
cours de cette période était de 11,44 %, c'est-à-dire
inférieure de 2,56 % au taux de 14 % fixé par le
juge de première instance pour cette même
période.
Au cours de la période qui a suivi, c'est-à-dire de
novembre 1984 février 1987, le taux d'intérêt
moyen de l'argent consigné à la Cour a été de
8,34 %. Tenant pour acquis que le taux privilégié
moyen de cette même période a été supérieur à
celui que nous venons de mentionner et que la
différence entre ces deux taux a été à peu près la
même que celle qui a prévalu au cours de la
période antérieure, je crois qu'il serait équitable de
fixer à 10,50 % le taux des intérêts courus avant le
jugement au cours de la période s'étendant de
novembre 1984 à février 1987. Les appelants
auront donc le droit d'inclure dans les dommages-
intérêts qui leur sont adjugés relativement à leur
demande reconventionnelle des intérêts simples au
taux de 14 % par année sur ces dommages-intérêts
pour la période s'étendant du moment où les
dépenses ou les pertes de revenu ont été subies
jusqu'au 22 novembre 1984, et au taux de 10,50 %
par année pour la période s'étendant de cette date
à celle du présent jugement.
Les intérêts courus après le jugement
Ceci m'amène à traiter de la question de l'inté-
rêt couru après le jugement, intérêt que le juge de
première instance a fixé à 14 % en se fondant sur
les taux privilégiés moyens de la période s'étendant
à peu près sur les cinq années et demie qui ont
précédé le procès. Cette décision comportait évi-
demment une certaine supputation du niveau pro
bable des taux d'intérêt au cours des mois à venir.
En fait, les taux d'intérêt se sont situés à un niveau
sensiblement inférieur à 14 % dans l'intervalle.
Il semble bien établi qu'une cour d'appel peut
modifier un jugement de première instance fondé,
dans une certaine mesure, sur une prévision qui ne
s'est pas réalisée. Voir Mercer et al. v. Sijan et
al."; McCann v. Sheppard' 2 ; Curwen v. James";
et Murphy v. Stone Wallwork (Charlton) Ltd. 14 .
Ces affaires concernent toutes des montants adju-
gés à titre de dommages-intérêts, mais le principe
en jeu est d'application large. La Chambre des
lords l'a appliqué dans l'arrêt Attorney -General v.
Birmingham, Tame and Rea District Drainage
Board'', une décision dans laquelle elle a confirmé
un jugement de la Cour d'appel annulant une
injonction permanente prononcée lors du procès.
Selon mon opinion, ce principe est assez large pour
être applicable au taux afférent à l'intérêt couru
après jugement qui, dans une certaine mesure, a
été fixé sur le fondement d'une prévision dont le
caractère erroné est établi au moment où l'appel
est entendu. Je suis également d'avis que le pou-
voir de rendre le jugement que la Division de
première instance aurait dû rendre qui est conféré
à cette Cour par le sous-alinéa 52b)(i) de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10] est assez large pour autoriser la Cour à
rendre le jugement qu'elle considère approprié à la
situation qui prévaut au moment de l'audition de
l'appel.
On nous a informés que les appelants, afin de
mettre fin à l'accumulation des intérêts au taux de
14 %, ont, en fait, payé le 6 septembre 1985 les
dommages-intérêts adjugés par la Division de pre-
mière instance. Au cours des neuf mois qui ont
" (1977), 14 O.R. (2d) 12 (C.A.).
12 [1973] 2 All ER 881 (C.A.).
13 [1963] 2 All E.R. 619 (C.A.).
14 [1969] 2 All E.R. 949 (C.A.).
15 [1912] A.C. 788 (H.L.), à la p. 801.
précédé ce paiement, le taux mensuel moyen de
l'intérêt payé sur l'argent consigné à la Cour a été
de 8,93 %. Entre septembre 1985 et février 1987,
ce taux a été de 8 %. L'addition de 2,56 % confére-
rait certes des taux supérieurs à ceux que je pro
pose; cependant, comme j'ai apprécié à 10,50 % le
taux de l'intérêt compris dans les dommages-inté-
rêts qui seront accordés aux appelants relativement
à leur demande reconventionnelle, qui courra du
22 novembre 1984 la date du présent jugement,
et vu les faits se rapportant à la baisse des taux
d'intérêt survenue depuis que le jugement a été
prononcé en novembre 1984, faits qui n'étaient pas
connus du juge de première instance, j'estime qu'il
serait équitable pour les deux parties en l'espèce
que le taux de l'intérêt couru après le jugement,
c'est-à-dire à partir du 22 novembre 1984, soit, lui
aussi, fixé à 10,50 %, et je modifierais le jugement
en conséquence.
J'accueillerais donc l'appel avec dépens et
(1) je modifierais le jugement en décidant que
l'Algobay est responsable de l'abordage dans
une proportion de 25 % et que le Cielo Bianco
en est responsable à 75 %;
(2) je modifierais le jugement en décidant que
l'intimée a le droit de recouvrer 75 % de ses
dommages-intérêts ainsi que 75 % des dépens
qu'elle a subis dans l'action, que les appelants
ont le droit de recouvrer 25 % de leurs domma-
ges-intérêts ainsi que 25 % des dépens qu'ils ont
subis dans l'action, qu'une compensation s'opé-
rera entre lesdits montants et qu'un jugement
sera inscrit pour la différence entre ces montants
en faveur de la partie qui y aura droit;
(3) je modifierais le taux de l'intérêt dû par les
appelants relativement à la période subséquente
au jugement du 22 novembre 1984, auquel
seraient apportées les modifications prévues au
paragraphe (2), en le portant à 10,50 % par
année;
(4) je fixerais le taux de l'intérêt devant être
compris dans les dommages-intérêts recouvra-
bles par les appelants à 14 % par année pour la
période s'étendant du moment où les dépenses et
les pertes de revenu ont été subies jusqu'au 22
novembre 1984, et à 10,50 % par année pour la
période s'étendant de ladite date à la date du
jugement en l'espèce;
(5) je fixerais à 10,50 % par année le taux de
l'intérêt à être payé sur le montant adjugé dans
le jugement qui sera inscrit pour la différence
mentionnée au paragraphe (2).
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
APPENDIX
STATISTICAL DATA
Interest Rate on Security Deposits (P.C. 1970-300)
1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987
January 9.70 12.19 15.14 13.02 8.58 8.76 8.56 9.02 6.93
February 9.71 12.19 15.18 13.09 8.46 8.78 9.51 10.40
March 9.80 12.91 14.97 13.35 8.29 9.20 9.97 9.44
April 9.76 14.18 15.13 13.56 8.29 9.51 8.93 8.32
May 9.75 11.76 16.52 13.57 8.21 10.14 8.60 7.57
June 9.74 9.77 16.95 14.45 8.32 10.48 8.42 7.74
July 9.84 9.10 17.34 14.24 8.32 11.53 8.25 7.46
August 10.19 9.16 18.77 12.97 8.41 10.99 8.12 7.50
September 10.41 9.57 17.81 11.93 8.34 10.87 8.06 7.49
October 11.40 10.41 16.58 10.60 8.30 10.64 7.72 7.49
November 9.24 12.25 11.46 14.28 9.65 8.38 9.83 7.85 7.45
December 9.37 12.27 14.52 13.33 9.23 8.72 9.12 8.17 7.39
APPENDICE
DONNÉES STATISTIQUES
Taux de l'intérêt payé sur les dépôts de garantie (C.P. 1970-300)
1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987
Janvier 9,70 12,19 15,14 13,02 8,58 8,76 8,56 9,02 6,93
Février 9,71 12,19 15,18 13,09 8,46 8,78 9,51 10,40
Mars 9,80 12,91 14,97 13,35 8,29 9,20 9,97 9,44
Avril 9,76 14,18 15,13 13,56 8,29 9,51 8,93 8,32
Mai 9,75 11,76 16,52 13,57 8,21 10,14 8,60 7,57
Juin 9,74 9,77 16,95 14,45 8,32 10,48 8,42 7,74
Juillet 9,84 9,10 17,34 14,24 8,32 11,53 8,25 7,46
Août 10,19 9,16 18,77 12,97 8,41 10,99 8,12 7,50
Septembre 10,41 9,57 17,81 11,93 8,34 10,87 8,06 7,49
Octobre 11,40 10,41 16,58 10,60 8,30 10,64 7,72 7,49
Novembre 9,24 12,25 11,46 14,28 9,65 8,38 9,83 7,85 7,45
Décembre 9,37 12,27 14,52 13,33 9,23 8,72 9,12 8,17 7,39
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.