T-1858-84
Pacific Fishermen's Defence Alliance, Prince
Rupert Fishermen's Co-operative Association,
Co-op Fishermen's Guild, Pacific Trollers Asso
ciation, Pacific Gillnetters Association, Pacific
Coast Fishing Vessel Owners' Guild, Northern
Trollers Association, Gulf Trollers Association,
Fishing Vessel Owners' Association of British
Columbia et Deep Sea Trawlers Association of
B.C. et B.C. Wildlife Federation (demanderesses)
c.
La Reine du chef du Canada, ministre des Affaires
indiennes et du Nord canadien, et Fred Walchli
(négociateur fédéral intérimaire, revendications
foncières des Nishgas) (défendeurs)
et
Conseil tribal des Nishgas (intervenant)
RÉPERTORIE: PACIFIC FISHERMEN'S DEFENCE ALLIANCE C.
CANADA
Division de première instance, juge Dubé—Van-
couver, 4 et 12 février 1987.
Peuples autochtones — Droits ancestraux — Droits de
pêche — Négociations — Injonction interlocutoire refusée —
Les demanderesses n'ont pas le droit d'intervenir dans les
négociations entre la Couronne et les Indiens — Inexistence
d'une question sérieuse à trancher — Les pêcheries et les
droits ancestraux relèvent exclusivement de la compétence du
Parlement — Aucune obligation d'agir équitablement à l'égard
de tiers — Le gouvernement national représente toutes les
parties intéressées — Consultations suffisantes — L'octroi
d'une injonction porterait atteinte aux négociations — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 25 — Loi constitution-
nelle de 1867, 30 & 31 Viet., chap. 3 (R.-U.) IS.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 91(12), 92 — Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 35(1),(3) (ajouté par la Proclamation modifiant la Consti
tution, TR/84-102) — Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970,
chap. F-14.
Pêcheries — Les associations de pêcheurs commerciaux
sollicitent une injonction qui interdirait la signature d'un
accord sur des revendications territoriales entre un conseil
tribal et la Couronne fédérale — La Couronne a-t-elle le droit
d'abolir le droit de pratiquer la pêche en mer — Le transfert à
des Indiens du pouvoir fédéral de gérer les pêcheries est-il
ultra vires? — Les droits ancestraux comprennent les pêcheries
— Le droit du public de pêcher dans les eaux à marée peut
être réglementé par le gouvernement fédéral — Les demande-
resses ne sauraient s'opposer au règlement des droits ances-
traux qui sont enchâssés dans la constitution — Le ministre
peut émettre et révoquer des permis de pêche — Il n'y a pas
préjudice irréparable puisque la nouvelle attribution de pêche-
ries aux Indiens doit se faire par voie d'achat de permis selon
la juste valeur marchande.
Pratique — Parties — Intervention — Les associations de
pêcheurs commerciaux n'ont pas le droit d'intervenir dans les
négociations entre la Couronne et les Indiens sur les droits
ancestraux de pêche — Inexistence d'une question sérieuse à
trancher — Aucun préjudice irréparable — Compte tenu de la
règle du plus grand préjudice, il n'y a pas lieu à injonction
interlocutoire — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663, Règle 469.
La Couronne du chef du Canada et les Indiens Nishgas de
Colombie-Britannique négociaient un accord sur des revendica-
tions territoriales. Le négociateur a fait savoir qu'il proposait
d'accorder une partie des pêcheries en marée aux Nishgas pour
régler certaines de leurs revendications.
Toutes les demanderesses sauf une sont des associations de
pêcheurs commerciaux autorisés qui se livrent à la pêche en
marée en Colombie-Britannique. Pour protéger leurs intérêts
avant qu'il ne soit trop tard, elles invoquent la Règle 469 pour
solliciter une injonction interlocutoire qui interdirait aux défen-
deurs de conclure un accord avec les Nishgas jusqu'au procès
ou jusqu'à nouvel ordre.
Les demanderesses soutiennent que la Couronne ne saurait
restreindre leur droit de pratiquer la pêche en mer, que le droit
à la pêche en mer est du ressort de la Couronne du chef de la
Colombie-Britannique, que la Couronne fédérale ne saurait
renoncer à son pouvoir législatif souverain relatif aux pêcheries
au profit des Nishgas, ou qu'accorder des pêcheries exclusives
aux Nishgas les priverait de la liberté garantie par l'article 7 de
la Charte. Elles prétendent qu'un accord avant le procès les
priverait de leur recours, mais qu'une injonction ne causerait
aucun préjudice aux défendeurs.
En réponse, la Couronne fait valoir que les pêcheries relèvent
de la compétence exclusive du Parlement fédéral, que le droit
temporaire des demanderesses à des pêcheries déterminées est
assujetti à la gestion et au contrôle du gouvernement fédéral et
que les pêcheries sont comprises dans les droits ancestraux que
la Constitution reconnaît et confirme et que le gouvernement
fédéral est tenu de négocier avec les Indiens en vue de les
établir. La Couronne souligne que la prétention des demande-
resses est nouvelle, et elle fait valoir que si elle était tenue de
faire intervenir des groupes étrangers ayant des intérêts privés
pour qu'ils participent aux négociations, celles-ci en seraient
perturbées. L'information et la consultation devraient suffire.
De plus le négociateur n'est pas autorisé à finaliser les accords.
Il a en outre été soumis que, le négociateur n'étant ni un office
ni un fonctionnaire qui préside une audience, les demanderesses
n'ont pas droit à une audience impartiale dans une procédure
de négociation entre deux autres parties. La Couronne soutient
en dernier lieu que l'interruption des négociations causerait un
préjudice irréparable.
Jugement: la demande est rejetée.
Les droits ancestraux comprennent les pêcheries, et les deux
relèvent de la compétence exclusive du Parlement.
Puisque ces négociations se poursuivent depuis dix ans, le
statu quo exige de les continuer. Rien ne garantit que, si les
demanderesses obtiennent l'injonction, mais qu'elles n'obtien-
nent pas gain de cause au procès, elles seront en mesure de
réparer le préjudice causé par le retard qui surviendra dans les
négociations. D'autres négociations avec d'autres tribus seraient
perturbées par le spectre d'une injonction qui menacerait toutes
ces tables de négociation.
L'arbitre n'est pas un tribunal et les négociations ne consti
tuent pas une audition, ce qui fait qu'il n'existe aucune obliga
tion envers les parties étrangères aux négociations. Consulta
tion n'est pas participation. De plus, seul le gouvernement
national peut représenter tous les tiers intéressés.
Étant donné la preuve sous forme d'affidavit selon laquelle
toute modification de l'attribution des pêcheries se ferait par
l'achat de permis selon leur juste valeur marchande, il ne
s'agissait pas d'une situation donnant lieu à un préjudice
irréparable.
Les demanderesses n'ont pas établi l'existence d'une question
sérieuse à trancher ou d'un préjudice irréparable, et la règle du
plus grand préjudice joue en faveur des défendeurs.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kruger et autre c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104;
Sparrow v. R. (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 300 (C.A.);
Attorney -General for the Dominion of Canada v. Attor-
neys -General for the Provinces of Ontario, Quebec, and
Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.); Procureur général
du Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of
B.C., [1985] 1 C.F. 791 (CA.); American Cyanamid Co.
v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c.
Conseil national de commercialisation des produits de
ferme, [1986] 2 C.F. 247; (1986), 65 N.R. 392 (C.A.);
MacMillan Bloedel Ltd. v. Mullin; Martin v. R. in Right
of B.C., [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C-B.).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney -General for British Columbia v. Attorney -
General for Canada, [1914] A.C. 153 (P.C.); Gulf Trol-
lers Assn. c. Canada (ministre des Pêches et Océans),
[1987] 2 C.F. 93 (C.A.).
AVOCATS:
C. Harvey pour les demanderesses.
G. O. Eggertson pour les défendeurs.
J. R. Aldridge pour l'intervenant.
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les
demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Rosenbloom & Aldridge, Vancouver, pour
l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: La présente demande vise à
obtenir une ordonnance, sous le régime de la Règle
469 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663], qui interdirait aux défendeurs de conclure,
de parapher ou d'annoncer un accord sur des
revendications territoriales avec le conseil tribal
des Nishgas jusqu'au procès ou jusqu'à nouvel
ordre.
À part la B.C. Wildlife Federation, qui repré-
sente plusieurs pêcheurs sportifs et clubs de
pêcheurs sportifs qui s'intéressent aux pêches en
eau douce de la Colombie-Britannique, les deman-
deresses sont des associations de pêcheurs commer-
ciaux autorisés qui se livrent à la pêche en marée
sur la côte ouest du Canada.
Dans leur déclaration, les demanderesses sou-
tiennent qu'elles ont le droit de pratiquer la pêche
en mer qui, sur le plan juridique, constitue une
liberté que la Couronne, dans l'exercice de ses
prérogatives, ne saurait restreindre ni supprimer.
Elles soutiennent subsidiairement que le droit à la
pêche en mer est du ressort de la Couronne du chef
de la province de la Colombie-Britannique et que
le pouvoir fédéral ne saurait abolir ce droit. Tou-
jours selon les demanderesses, tout acte visant à
répartir ou à octroyer le droit exclusif d'attribuer
ces pêcheries est ultra vires, et il en est ainsi pour
tout acte visant à transférer à la tribu des Nishgas
le pouvoir fédéral d'organiser ou de réglementer
ces pêcheries, car cela revient à renoncer au pou-
voir législatif souverain que le Parlement tient de
la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1)]. Elles prétendent en outre que
tout accord conclu avec la tribu des Nishgas pour
lui accorder des pêcheries exclusives dans ces eaux
les privera d'une liberté garantie par l'article 7 de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)].
Il ressort des affidavits déposés à l'appui de la
présente requête que les demanderesses ont, le 3
mai 1984, écrit au ministre des Affaires indiennes
et du Nord de l'époque («le ministre») en disant
qu'elles avaient le droit d'être entendues équitable-
ment dans les négociations sur les revendications
foncières des Nishgas, car elles craignaient qu'à la
suite de ces négociations, le Conseil tribal des
Nishgas ne se voie offrir une partie des pêcheries.
Le 8 juin 1984, le négociateur fédéral principal,
John Bene («le négociateur») a répondu qu'aucune
entente n'avait été conclue et que les négociations
se poursuivaient. (Le défendeur Fred Walchli est
l'actuel négociateur.) Le 26 juin 1984, le ministre
de l'époque a fait savoir que [TRADUCTION] «à ce
stade préliminaire, les discussions entre les diffé-
rentes parties, le gouvernement fédéral, le gouver-
nement de la Colombie-Britannique et le Conseil
tribal des Nishgas se déroulent à huis clos». Trois
réunions ont eu lieu entre les bureaux des revendi-
cations des autochtones et les représentants des
demanderesses. On a transmis à ces derniers des
instructions générales, mais aucun document n'a
été produit.
Il y a eu par la suite un échange de correspon-
dance. Au cours d'une action en injonction inten-
tée devant la Cour suprême de la Colombie-Bri-
tannique, on a déposé un document selon lequel le
négociateur proposait d'accorder une partie des
pêcheries au Conseil tribal des Nishgas pour régler
certaines de leurs revendications.
Les demanderesses disent qu'elles sont très
préoccupées par l'éventualité d'une entente conclue
par le négociateur avec le Conseil tribal des Nish-
gas à qui il céderait une partie des pêcheries, et
craignent que, lorsqu'une entente de principe aura
été conclue après une décennie ou plus de négocia-
tions, il n'y aura vraisemblablement plus d'autres
négociations. Elles souhaitent que la Cour statue
sur leur action avant que les défendeurs ne soient
autorisés à parvenir à une entente sans qu'elles y
participent.
Les demanderesses font également état d'un dis-
cours que l'actuel ministre a récemment prononcé
à la Chambre des communes le 18 décembre 1986
et au cours duquel il a annoncé «une politique sur
les revendications foncières globales des autochto-
nes»; elles citent en outre un document d'orienta-
tion publié dans lequel le ministre désirait [TRA-
DUCTION] «préciser que le mandat de tous les
négociateurs fédéraux exigera explicitement une
consultation des tiers».
Il est de droit constant que, pour obtenir une
injonction interlocutoire, le requérant doit établir
1) qu'il existe une question sérieuse à trancher, 2)
qu'il va subir un préjudice irréparable, 3) que la
règle du plus grand préjudice joue en sa faveur.
À l'appui de leur requête en injonction, les
demanderesses soutiennent qu'il existe effective-
ment une question sérieuse à trancher. Elles affir-
ment que le fait de leur soustraire une portion
importante des pêcheries de la côte ouest et de
l'attribuer à la tribu des Nishgas constitue un
préjudice irréparable. Elles soutiennent que la
règle du plus grand préjudice joue en leur faveur,
puisque les négociations pourraient se poursuivre
jusqu'au procès, pourvu qu'aucune entente ne soit
signée avant cette date.
Dans l'affaire MacMillan Bloedel Ltd. v.
Mullin; Martin v. R. in right of B.C., [1985] 3
W.W.R. 577, la Cour d'appel de la Colombie-Bri-
tannique a accordé une injonction à deux bandes
indiennes, interdisant à MacMillan Bloedel de se
livrer à l'abattage du bois sur une île qui s'étend au
large de la côte ouest de Vancouver. L'injonction a
soulevé deux questions auxquelles la Cour a
répondu par l'affirmative: il s'agissait de savoir s'il
existe une question juste qu'on peut soulever con-
cernant l'existence du droit des requérantes et s'il
y a lieu de maintenir le bien-fonds dans son état
actuel jusqu'à ce que la question soit tranchée au
procès. La Cour a statué que si une injonction
empêche MacMillan Bloedel de se livrer à l'abat-
tage du bois en attendant le procès, et que si elle
décide en fin de compte que MacMillan Bloedel a
le droit de le faire, le bois sera toujours là et
celle-ci n'aura pas subi de préjudice irréparable.
Dans le même ordre d'idées, les demanderesses
prétendent que, en l'espèce, si l'injonction est
accordée et que leur action soit rejetée au procès,
les négociations pourront toujours se poursuivre,
alors que si une entente est conclue entre le gou-
vernement et le Conseil tribal des Nishgas avant le
procès, il sera alors trop tard pour qu'elles plaident
leur cause.
Les demanderesses font valoir qu'elles ont en
l'espèce un intérêt pour agir. Elles exercent un
droit public qui consiste à pêcher dans les eaux à
marée canadiennes et auquel le règlement des
revendications va porter atteinte. Elles ont droit à
une audience impartiale et ce droit a été confirmé
par la politique gouvernementale, prétendent-elles.
Les demanderesses ont examiné minutieusement
l'arrêt Attorney -General for British Columbia v.
Attorney -General for Canada, [1914] A.C. 153,
que le Conseil privé a rendu en 1913. La Cour a
statué que le droit de pêche en mer est un droit
public qui ne dépend nullement d'un droit de
propriété, et que le Dominion a le droit exclusif de
légiférer à cet égard. Elles s'appuient surtout sur
les propos tenus par le vicomte Haldane (à la page
167):
[TRADUCTION] Mais dans le cas des eaux à marée (que ce soit
sur les lais, dans les estuaires ou les rivières à marée), le
caractère exclusif du titre est atténué par un autre droit qui est
primordial et qui appartient de prime abord au public.
et (à la page 169):
[TRADUCTION] Mais leurs seigneuries souscrivent entièrement
à sa proposition principale selon laquelle les sujets de la Cou-
ronne peuvent de plein droit non seulement naviguer mais aussi
pêcher dans les hautes mers et les eaux à marée ... Le droit qui
a cristallisé cette pratique ressemble à certains égards au droit
de naviguer sur les mers ou d'utiliser une rivière navigable
comme une voie publique ...
Les demanderesses soutiennent donc qu'elles
disposent d'arguments solides et qu'elles ont droit
au statu quo en attendant le procès. Si les négocia-
tions aboutissaient avant le procès, elles seraient
privées de leur recours, alors qu'une injonction ne
causerait aucun préjudice aux défendeurs. L'in-
jonction aurait pour simple conséquence de remet-
tre à plus tard une déclaration quant à l'aspect
«pêche» des négociations, et celles-ci pourraient
suivre leur cours avec la conclusion d'accords sur
d'autres éléments qui sont négociés, à savoir les
terres, forêts, etc.
D'autre part, je dois souscrire à la première
proposition de la Couronne selon laquelle les droits
aborigènes existent vraiment et comprennent les
pêcheries. Dans l'arrêt Kruger et autre c. La
Reine, [1978] 1 R.C.S. 104, le juge Dickson
(maintenant juge en chef de la Cour suprême du
Canada) s'est prononcé en ces termes [à la page
109]:
Les revendications de titres aborigènes reposent aussi sur l'his-
toire, les légendes, la politique et les obligations morales.
L'arrêt rendu par la Cour d'appel de la Colombie-
Britannique dans l'affaire Sparrow v. R. (1986), 9
B.C.L.R. (2d) 300 est également pertinent. Au
début, la Cour fait cette déclaration:
[TRADUCTION] La règle établie est que, avant le mois d'avril
1982, la pêche à laquelle se livraient les Indiens, même s'ils
exerçaient un droit de pêche ancestral, était soumise aux con-
trôles imposés par la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap.
F-14, et ses règlements d'application.
Dans cet appel, il s'agissait de savoir si le paragra-
phe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
[annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] limite maintenant ce pouvoir de
réglementation.
Dans son arrêt de 1898 Attorney -General for
the Dominion of Canada v. Attorneys -General for
the Provinces of Ontario, Quebec, and Nova
Scotia, [1898] A.C. 700, le Conseil privé a statué
notamment que l'adoption de règlements et de
restrictions sur les pêcheries relève, non pas des
législatures provinciales, mais de la compétence
exclusive du Parlement fédéral.
Pour ce qui est de l'arrêt rendu par le Conseil
privé en 1913 et que les demanderesses ont cité
ci-dessus, il est reconnu dans cet arrêt que le
public a le droit général de pêcher, mais que ce
droit sur les eaux à marée peut être réglementé par
le gouvernement fédéral. Le vicomte Haldane a
fait cette remarque (à la page 169):
[TRADUCTION] Mais il a existé et il existe encore des limites
ou peut-être, dirait-on, des exceptions qui s'imposent à la
pratique et au droit.
et (à la page 170):
[TRADUCTION] ... Le droit public de pêcher dans ces eaux, qui
existait à l'époque, ne saurait être supprimé que par un texte
législatif applicable. (C'est moi qui souligne.)
Or, la loi applicable est, à l'évidence, la Loi sur les
pêcheries [S.R.C. 1970, chap. F-14].
Dans l'arrêt Gulf Trollers Assn. c. Canada
(ministre des Pêches et Océans), [1987] 2 C.F. 93,
rendu par la Cour d'appel fédérale le 3 novembre
1986, le juge Marceau a, au nom de la Cour,
statué que, dans l'exercice de la compétence légis-
lative que lui confère le paragraphe 91(12) de la
Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement peut
établir des périodes d'ouverture et de fermeture
concernant la prise du poisson non seulement pour
des fins de conservation mais encore dans un but
de nature socio-économique. À propos de la distri
bution des pouvoirs législatifs entre le Parlement
central et les législatures provinciales, prévue aux
articles 91 et 92, il a déclaré que cette distribution
avait été établie à partir de catégories de sujets et
ne visait pas des intérêts ou des préoccupations.
La Couronne fait valoir que le Parlement peut
administrer les pêcheries pour des raisons socio-
économiques ou pour d'autres fins, dont la réparti-
tion des pêcheries aux Indiens. Si cela cause un
préjudice à d'autres parties, celles-ci pourront
alors réclamer une indemnité: à cet égard, l'attri-
bution de quotas ou de permis ne cause pas un
préjudice irréparable aux détenteurs actuels de
permis de pêche.
La Partie 1 modifiée de la Loi constitutionnelle
de 1982 (c. -à-d. la Charte canadienne des droits et
libertés) prévoit maintenant, sous le régime de
l'article 25, que la garantie dans la Charte ne porte
pas atteinte aux droits ancestraux, issus de traités
ou autres, des peuples autochtones. Le paragraphe
35(1) dispose que les droits existants—ancestraux
ou issus de traités—des peuples autochtones du
Canada sont reconnus et confirmés. Le paragraphe
35(3) [ajouté par la Proclamation de 1983 modi-
fiant la Constitution, TR/84-102] définit les
«droits issus de traités» comme comprenant les
droits «existants issus d'accords sur des revendica-
tions territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi
acquis».
En bref, les demanderesses ne sauraient en prin-
cipe s'opposer au règlement des droits ancestraux
qui sont reconnus par les tribunaux et enchâssés
dans la Constitution. Le règlement et les négocia-
tions sont évidemment la meilleure façon de procé-
der, et il est impossible pour tous les groupes
intéressés d'y assister. C'est le gouvernement du
Canada qui représente leurs intérêts.
La Couronne soutient essentiellement que les
provinces n'ont pas le droit de réglementer les
pêcheries dans les eaux à marée et que ce droit
appartient exclusivement au gouvernement fédéral.
Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de
1982 reconnaît et confirme les droits existants—
ancestraux ou issus de traités—des peuples autoch-
tones du Canada. Il incombe donc au gouverne-
ment fédéral de négocier avec les Indiens pour
tenter d'établir ces droits. Les demanderesses n'ont
pas de droit absolu sur des pêcheries déterminées.
Elles jouissent simplement d'un droit temporaire,
qui est toujours assujetti à la gestion et au contrôle
du gouvernement fédéral. En vertu de la Loi sur
les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, le ministre
peut émettre et révoquer des permis de pêche et il
peut attribuer aux demanderesses ou aux Indiens
certains territoires et permis de pêche. Le gouver-
nement a pour tâche de déterminer, de définir, de
reconnaître et de confirmer les droits ancestraux
existants. Il ne peut pas ne pas en tenir compte
sous prétexte de protéger ce qu'on appelle les
droits de pêche du public.
La Couronne soutient que les demanderesses
tentent de créer une nouvelle situation: dans leurs
rapports avec des tribus indiennes relativement
aux droits ancestraux ou issus de traités, les négo-
ciateurs du gouvernement n'ont jamais été tenus
de faire intervenir des groupes étrangers ayant des
intérêts privés pour qu'ils participent aux négocia-
tions. À l'évidence, si ce principe est accepté pour
ce qui est des pêcheries, il s'appliquera de la même
façon aux terres ou aux forêts, ou à tout autre
aspect des droits ancestraux. De par leur nature
même, ces droits attirent ou perturbent d'autres
droits établis. La Couronne prétend qu'on devrait,
en général, informer et consulter les parties inté-
ressées mais sans leur demander de participer à la
table de négociation.
La Couronne estime également que le négocia-
teur n'est pas autorisé à finaliser les accords. Il est
simplement habilité à négocier avec les Nishgas
pour voir si on peut parvenir à un règlement. Tout
règlement provisoire qu'il a négocié sera soumis à
l'approbation du ministre et d'autres ministres de
la Couronne intéressés dans leurs champs de com-
pétence respectifs et à l'approbation finale du
Cabinet. Si une loi s'impose pour donner effet à un
règlement comme cela est arrivé dans d'autres cas,
le pouvoir de décision finale appartient au
Parlement.
Le Ministère a actuellement pour politique,
selon les propos tenus par le ministre et dont il a
été fait mention ci-dessus, de consulter les parties
dont les droits sont touchés et de négocier séparé-
ment avec elles. La Couronne fait valoir que si une
personne ou un groupe de personnes visé par la
myriade de négociations gouvernementales qui se
déroulent au pays avait le droit d'y participer, une
telle mesure paralyserait le gouvernement. Les
négociations avec la tribu des Nishgas se déroulent
depuis quelque dix ans et ne sont pas sur le point
d'aboutir. On ne saurait poursuivre ce processus en
invitant toutes les parties intéressées à la table de
négociation.
Selon le Directeur régional du Ministère, les
Indiens de la tribu des Nishga cesseraient de négo-
cier avec la Couronne si des tiers participaient à
ces négociations. Cet avis n'a cependant pas été
confirmé par les Nishgas et l'avocat de l'interve-
nant ne le partage pas.
Quant au droit à une audience impartiale, la
Couronne affirme que le négociateur n'a nullement
le pouvoir de contraindre des témoins à déposer,
d'exiger des documents, ou de rendre des décisions.
Il n'est ni un office ni un fonctionnaire qui préside
une audience. Il n'est qu'un négociateur. La loi ne
confère pas aux demanderesses le droit à une
audience impartiale dans une procédure de négo-
ciation entre deux autres parties.
Puisque ces négociations confidentielles se pour-
suivent depuis dix ans, il faut non pas les restrein-
dre mais les continuer jusqu'à ce qu'elles aboutis-
sent. Dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Fishing Vessel Owners' Association of B.C.,
[1985] 1 C.F. 791, rendu en 1985 par la Cour
d'appel fédérale, le juge Pratte a, au nom de la
Cour et à propos d'une affaire d'injonction, dit à la
page 795 que c'était à tort que le juge de première
instance avait tenu pour acquis que le fait d'accor-
der l'injonction ne causerait aucun tort au
gouvernement:
Lorsqu'on empêche un organisme public d'exercer les pouvoirs
que la loi lui confère, on peut alors affirmer, en présence d'un
cas comme celui qui nous occupe, que l'intérêt public, dont cet
organisme est le gardien, subit un tort irréparable.
Il a conclu que le juge de première instance n'avait
pas pris en considération le fait que la demande
des intimés visait, dans un certain cas, à modifier
plutôt qu'à préserver le statu quo.
Je note également que, si l'injonction est accor-
dée et si les demanderesses n'obtiennent pas gain
de cause au procès, rien ne garantit que celles-ci
seront en mesure de réparer le préjudice causé par
le retard qui surviendra dans les procédures de
négociation. L'espèce présente n'est pas un cas
isolé. D'autres négociations se déroulent avec d'au-
tres tribus indiennes dans d'autres provinces relati-
vement à d'autres droits ancestraux. Le spectre
d'une injonction qui menace toutes ces tables de
négociation pourrait perturber gravement le pro-
grès de ces négociations et y porter sérieusement
atteinte.
Quant à l'obligation d'agir équitablement dans
une audience, la Cour d'appel a statué dans l'af-
faire Conseil canadien des fabricants des produits
du tabac c. Conseil national de commercialisation
des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247; (1986),
65 N.R. 392, que le Conseil national de commer
cialisation des produits de ferme, qui tenait une
audience publique sur la question de savoir s'il y
avait lieu de recommander au ministre l'établisse-
ment d'un office de commercialisation du tabac,
était tenue d'agir équitablement, bien qu'il fût
simplement autorisé à faire enquête et à donner
des conseils, parce que ses recommandations pour-
raient toucher les droits et intérêts des fabricants.
La Cour a également décidé que l'équité exigeait
que l'étude fût produite et examinée parce qu'il
s'agissait d'une étude opportune, professionnelle et
touchant à une question d'une importance cruciale
relativement au rapport que le Conseil devait pré-
senter au ministre. Le juge Mahoney a dit aux
pages 257 C.F.; 398 N.R.:
Un tribunal qui fait enquête et formule des recommandations
mais ne prend pas de décisions peut être contraint de respecter
l'équité dans la procédure. La question de savoir si cette
exigence existe dans une situation donnée dépend de l'une ou
l'autre ou des deux considérations suivantes: (1) le rôle vérita-
ble de l'enquête dans le processus décisionnel; et (2) les consé-
quences possibles de la recommandation elle-même si aucune
décision n'en découle.
J'estime que l'arbitre n'est pas un tel tribunal. Il
est simplement un négociateur qui tente de mettre
en contact deux parties désirant négocier leurs
droits et obligations respectifs. Il n'est tenu à
aucune obligation envers les parties étrangères aux
négociations.
En bref, l'obligation d'agir équitablement s'ap-
plique à une audience et non aux procédures de
négociation. Consultation ne signifie pas participa
tion. On consulte actuellement des tiers intéressés.
Si ce processus se révèle insuffisant, il faudrait
peut-être que ces tiers intéressés informent davan-
tage le ministre et vice versa. Cela peut se faire au
cours de séances distinctes sans que les négocia-
tions soient perturbées.
Dans ces négociations, seul le gouvernement
national peut représenter les tiers intéressés. En
Colombie-Britannique, il existe vingt-six tribus et
seuls les droits ancestraux de la tribu des Nishgas
font l'objet de négociations. Les tribunaux sont
inondés d'affaires portant sur d'autres droits.
Étant donné leur nature socio-économique et poli-
tique, il est en fait préférable de déterminer les
droits ancestraux par voie de négociations plutôt
que par voie judiciaire.
Il est vrai que, en l'espèce, le juge Collier
[ordonnance en date du 18 décembre 1986,
T-1858-84, encore inédite] a déjà rejeté une
requête en annulation de l'action des demanderes-
ses puisque selon lui, il n'était pas [TRADUCTION]
«manifeste et évident» qu'il n'y avait pas de cause
d'action. Toutefois, le critère de base en matière
d'injonction est d'une portée beaucoup plus
grande. L'ancien critère obligeait le requérant à
établir une «preuve prima facie». Maintenant,
étant donné l'arrêt American Cyanamid Co. v.
Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.), le requé-
rant doit seulement prouver qu'il existe une «ques-
tion sérieuse à trancher». Ce critère est encore plus
exigeant que le critère «manifeste et évident» qui
s'applique aux procédures d'annulation.
Les demanderesses concluent à une injonction
qui interdirait aux défendeurs de conclure, de
parapher ou d'annoncer un accord sur des revendi-
cations territoriales avec le Conseil tribal des
Nishgas, et ce jusqu'au procès. Le fait de conclure,
de parapher ou d'annoncer un tel accord ne consti-
tue pas en soi un préjudice réel, imminent ou
appréhendé. Il n'existe pas de preuve concluante
selon laquelle l'augmentation éventuelle de la prise
du poisson qui serait attribuée aux Indiens porte-
rait atteinte aux droits des pêcheurs commerciaux
actuels. Il y a une preuve sous forme d'affidavit
selon laquelle toute modification de l'attribution
des pêcheries se ferait par l'achat des permis
actuels, selon leur juste valeur marchande, et par
le transfert volontaire de ces permis aux pêcheurs
de la tribu des Nishgas par les pêcheurs commer-
ciaux actuels. Si le cédant d'un permis n'est pas
satisfait du montant de l'indemnité offerte, il peut,
bien entendu, s'adresser aux tribunaux pour
demander un redressement. Autrement dit, il n'y a
pas de préjudice irréparable ni même de préjudice
réel ou imminent à craindre.
Tel n'est pas le cas de l'injonction dans l'affaire
MacMillan Bloedel invoquée par les demanderes-
ses et dans laquelle on s'est servi des bouteurs pour
travailler dans une forêt. L'extrait suivant de l'ar-
rêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
(à la page 607) étaie mon point de vue:
[TRADUCTION] Le fait qu'il existe un litige entre les Indiens
et la province, reposant sur des revendications d'autochtones, ne
devrait surprendre personne ... Le gouvernement fédéral a
convenu de négocier certaines revendications. D'autres revendi-
cations sont en voie d'être formulées ... Il importe de souligner
qu'aucune injonction n'a été sollicitée dans cette action. J'es-
time qu'il est juste de dire que, à la fin, le public s'attend à ce
que les revendications soient réglées par voie de négociation et
d'accord. Cette procédure judiciaire ne forme qu'une petite
partie du processus global qui aboutira à une solution, c'est-à-
dire à un échange raisonnable entre les gouvernements et les
nations indiennes. (C'est moi qui souligne.)
J'estime donc que les demanderesses n'ont pas
prouvé à ma satisfaction l'existence d'une question
sérieuse à trancher, bien qu'il ne soit peut-être pas
évident et manifeste qu'elles n'ont aucune cause
raisonnable d'action. Certes, cette conclusion tran-
che la demande en l'espèce; mais je dois ajouter
que, même si elles avaient établi l'existence d'une
question sérieuse à trancher, j'aurais quand même
exercé mon pouvoir discrétionnaire pour refuser
l'injonction parce qu'elles n'ont pas fait la preuve
d'un préjudice irréparable et que, de plus, la règle
du plus grand préjudice joue en faveur des
défendeurs.
La demande est donc rejetée, et les dépens
suivront l'issue de la cause.
ORDONNANCE
La demande est rejetée. Les dépens suivront
l'issue de la cause.
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