A-456-85
Gerlando Lagiorgia (intimé) (demandeur)
c.
La Reine et l'honorable Perrin Beatty (appelants)
(défendeurs)
A-245-85
Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd. et Société de
distribution Rossignol du Canada Ltée (appelan-
tes)
c.
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et
recherches nommé sous le régime de la Loi rela
tive aux enquêtes sur les coalitions, et J. C. Thi-
vierge, sous-directeur des enquêtes et recherches
nommé sous le régime de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions,
et
A. Brantz, R. Annan et H. Lalonde agissant sous
le régime de l'article 10 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions en leur qualité de
représentants du directeur des enquêtes et recher-
ches nommé sous le régime de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions (intimés)
et
Procureur général du Canada (mis en cause)
RÉPERTORIE: LAGIORGIA C. CANADA
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et
Lacombe—Montréal, 12 et 13 mai 1987.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouilles, perquisitions ou saisies
Restitution de documents saisis illégalement sous le régime de
la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, alors qu'on en a besoin aux fins
d'une instance criminelle pendante — Appels formés contre
des jugements de la Division de première instance ordonnant
de rendre les documents — Biens saisis en violation de l'art. 8
de la Charte — La question soulevée relève des art. 8 et 24(1)
de la Charte — La question de l'irrecevabilité ou de la
recevabilité des éléments de preuve sous le régime de l'art.
24(2) ne concerne aucunement la Cour dans le contexte d'une
poursuite criminelle pendante — La réparation appropriée
dans le cas d'une saisie illégale est d'ordonner la remise
immédiate des biens saisis à leur propriétaire légitime —
Moins que cela serait nier le droit de la personne dépossédée et
lui refuser la réparation prévue — Pour que le redressement
accordé soit efficace, l'ordonnance doit s'étendre à toutes les
copies et à tous les extraits des documents saisis — La simple
assertion que les biens saisis sont nécessaires à une poursuite
ne suffit pas pour permettre à la Couronne de tirer profit d'une
saisie interdite par la Charte — La Cour ne traite pas de la
question de la saisie de nouveau de documents ou de l'utilisa-
tion de documents ou de renseignements contenus à titre
d'éléments de preuve — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.- U.), art. 8, 24(1),(2).
Impôt sur le revenu — Saisies — Fouilles, perquisitions et
saisies effectuées sous le régime de l'art. 231(4) de la Loi en
violation de l'art. 8 de la Charte — La Division de première
instance a ordonné la remise immédiate des documents saisis à
leur propriétaire — La Couronne s'oppose à cette décision et
cherche à conserver des documents qui seraient nécessaires aux
fins d'une instance criminelle pendante — L'intimé, dans son
appel incident, demande que l'ordonnance s'étende à toutes les
copies et à tous les extraits des documents saisis — L'appel
formé par la Couronne est rejeté — L'appel incident est
accueilli — Pour que le redressement accordé soit efficace,
l'ordonnance doit s'étendre aux copies et aux extraits des
documents saisis — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art. 231(4).
Coalitions — Fouilles, perquisitions et saisies effectuées
sous le régime de l'art. 10 de la Loi en violation de l'art. 8 de
la Charte — La Division de première instance a ordonné de
rendre tous les documents saisis ainsi que tous les extraits et
les copies de ceux-ci, à l'exception de ceux qui sont nécessaires
à la poursuite criminelle — Appel — Il est ordonné à la
Couronne de rendre tous les extraits et les copies immédiate-
ment — Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 10(1),(3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Re Dobney Foundry Ltd. v. A.G. Can., [1985] 3 W.W.R.
626; [1985] 19 C.C.C. (3d) 465 (C.A.C.-B.); Re Mandel
et al. and The Queen, [1986] 25 C.C.C. (3d) 461 (H.C.
Ont.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Re Chapman and the Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65; 9
D.L.R. (4th) 244; [1984] 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A.);
Lefebvre v. Morin, jugement en date du 4 février 1985,
Cour d'appel du Québec, n° 200-10-000-174-83, résumé à
J.E. 85-366.
DÉCISIONS CITÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2
C.F. 535 (C.A.).
AVOCATS:
A-456-85
Guy Du Pont et Basile Angelopoulos pour
l'intimé (demandeur).
Robert Marc hi pour les appelants (défen-
deurs).
A-245-85
Bruno J. Pateras, c.r. pour les appelantes.
James L. Brunton pour les intimés et le mis
en cause.
PROCUREURS:
A-456-85
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour l'in-
timé (demandeur).
Ministère fédéral de la Justice, Montréal,
pour les appelants (défendeurs).
A-245-85
Pateras & lezzoni, Montréal, pour les
appelants.
Ministère fédéral de la Justice, Montréal,
pour les intimés et le mis en cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE HUGESSEN: Ces appels ne soulèvent
qu'une seule question, qui peut être exposée
succinctement:
La Couronne peut-elle exiger que les biens saisis
en violation de l'article 8 de la Charte [Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue
la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] ne soient pas rendus à la
personne qui en avait légalement possession au
moment de leur saisie?
Dans l'affaire portant le numéro de greffe
A-456-85, la Couronne agissant sous le régime du
paragraphe 231(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 1)] tel qu'il était alors
rédigé (le 8 juillet 1982), a saisi certains livres et
documents appartenant à l'intimé Lagiorgia.
Celui-ci a demandé à la Division de première
instance d'annuler la saisie et de lui faire rendre
les documents saisis. Dans sa décision [[1985] 1
C.F. 438], dont il est interjeté appel, le juge Joyal
accordait le redressement sollicité. La Couronne
s'oppose à cette décision et cherche à conserver
certains documents dont elle affirme avoir besoin
aux fins d'une instance criminelle pendante. L'in-
timé, dans son appel incident, demande que l'or-
donnance s'étende à toutes les copies et à tous les
extraits des documents saisis, et qu'il soit interdit à
la Couronne de faire usage des renseignements
qu'elle en a tirés.
Dans l'affaire portant le numéro de greffe
A-245-85 (Skis Rossignol Canada Ltée/Ltd.), la
saisie a été effectuée sous le régime des disposi
tions des paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C.
1970, chap. C-23] telles qu'elles étaient rédigées le
23 août 1982. Le juge Denault [[1985] 1 C.F.
162], tout en accueillant la demande des appelan-
tes visant l'annulation de la saisie, a permis à la
Couronne de conserver des copies de documents
qu'elle affirmait nécessaires aux fins d'une ins
tance pendante; c'est ce dernier aspect de l'ordon-
nance du juge Denault que les appelantes contes-
tent en l'espèce.
Il est reconnu que les deux saisies ont été à bon
droit déclarées illégales parce qu'elles se fondaient
sur des dispositions légales incompatibles avec l'ar-
ticle 8 de la Charte. C'est là la conséquence inéluc-
table des décisions rendues respectivement par la
Cour suprême dans l'affaire Hunter et autres c.
Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, et par notre
Cour dans l'affaire Ministre du Revenu national c.
Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535. Il n'est pas non
plus contesté que la Cour a effectué les saisies de
bonne foi, en se fondant sur ce que l'on croyait à
l'époque être des dispositions légales valides. En
dernier lieu, on peut difficilement douter que les
documents saisis seraient utiles à la Couronne dans
le cadre de poursuites qu'elle a engagées.
Nous estimons que la question soulevée par ces
appels relève exclusivement de l'article 8 et du
paragraphe 24(1) de la Charte. La question de
l'irrecevabilité ou de la recevabilité des éléments
de preuve ne nous concerne aucunement; c'est là
une question dont traite le paragraphe 24(2) et à
l'égard de laquelle, dans le contexte des poursuites
criminelles pendantes, cette Cour n'aurait aucune
compétence.
L'article 8 protège la vie privé et les biens contre
l'intrusion «abusive» de l'État. Les droits respectifs
des particuliers et du public sont soupesés lorsque
l'on établit si une fouille ou une saisie donnée est
contraire à cet article. Cette question a déjà été
réglée et ne se pose plus en l'espèce.
Le paragraphe 24(1) impose à la Cour l'obliga-
tion d'accorder réparation de la violation des droits
garantis par la Charte. Bien que les mots
24. (1) ... la réparation que le tribunal estime convenable
et juste eu égard aux circonstances.
laissent certes place à l'exercice d'un vaste pouvoir
discrétionnaire, nous estimons qu'il s'agit-là du
pouvoir de choisir le redressement et non de celui
de le refuser entièrement.
À notre sens, il serait difficile d'imaginer répa-
ration plus appropriée de la saisie abusive et donc
illégale de biens que d'ordonner la remise immé-
diate de ceux-ci à leur propriétaire légitime et à
leur possesseur légal. Moins que cela serait nier le
droit de la personne dépossédée et lui refuser la
réparation prévue. La seule circonstance à laquelle
nous songeons qui justifierait un tribunal de refu-
ser une telle ordonnance serait l'illégalité de la
possession initiale des biens saisis par la personne
qui en a été dépossédée, comme par exemple dans
le cas de drogues ou d'armes prohibées. Bien que
cette éventualité puisse ne pas être la seule, il ne
fait aucun doute pour nous que lorsque la Cou-
ronne tente, comme c'est le cas en l'espèce, de tirer
profit d'une saisie interdite par la Charte, elle
assume un fardeau très lourd (voir les arrêts Re
Chapman and the Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65;
9 D.L.R. (4th) 244; [1984] 12 C.C.C. (3d) 1
(C.A.); Lefebvre c. Morin, n° 200-10-000-174-83,
C.A. de la province de Québec, en date du 4
février 1985, résumée à J.E. 85-366). En toute
déférence pour les arrêts qui semblent exposer le
point de vue opposé (Re Dobney Foundry Ltd. v.
A.G. Can., [1985] 3 W.W.R. 626; [1985] 19
C.C.C. (3d) 465 (C.A.B.-C.); Re Mandel et al.
and The Queen, [1986] 25 C.C.C. (3d) 461 (H.C.
Ont.)), nous ne croyons pas qu'il puisse être
actuellement satisfait à ce fardeau par la simple
assertion que les biens saisis sont nécessaires à une
poursuite.
Il n'est pas contesté en l'espèce que la Charte,
loi suprême du pays, a été violée. Nous ne pouvons
interpréter le paragraphe 24(1) comme s'il accor-
dait le pouvoir discrétionnaire de statuer qu'il peut
être passé outre à une telle violation pour faciliter
une simple poursuite pour fraude fiscale ou pour
fixation du prix de revente.
Nous soulignons de nouveau que la décision que
nous rendons aujourd'hui ne vise que le redresse-
ment civil approprié à la violation reconnue de
droits garantis par la Charte. Rien de ce que nous
disons ne doit s'interpréter comme ayant trait de
quelque manière à la question de savoir si la
Couronne peut ou devrait pouvoir saisir de nou-
veau les documents en cause ou les utiliser, ou les
renseignements qu'ils contiennent, à titre d'élé-
ments de preuve.
En conséquence, dans l'affaire Lagiorgia, por-
tant le numéro de greffe A-456-85, l'appel sera
rejeté avec dépens. Quant à l'appel incident, l'avo-
cat qui représentait Lagiorgia à l'audience a
renoncé à solliciter une ordonnance restrictive, et il
ne reste à régler que la question des extraits ou des
copies des documents saisis. Le fait que le juge de
première instance ne les ait pas mentionnés nous
semble un simple oubli; assurément, si le redresse-
ment accordé doit être efficace, il doit s'étendre
aussi à eux. La rétention de copies ou d'extraits
non autorisés porte atteinte à la vie privée et aux
biens au même titre que la saisie originale. L'appel
incident sera par conséquent accueilli de façon à
modifier l'ordonnance du juge de première ins
tance pour l'étendre à toutes les copies et à tous les
extraits tirés des documents saisis. Puisque la Cou-
ronne s'est opposée à l'appel incident, l'intimé qui
l'a formé a droit à ses frais à cet égard.
Dans l'affaire portant le numéro de greffe
A-245-85, l'appel sera accueilli avec dépens et
l'ordonnance du juge de première instance sera
modifiée par la radiation de la partie qui autorise
la Couronne à conserver certains documents aux
fins de la poursuite qu'elle a engagée. Le juge de
première instance a aussi, sans en donner les
motifs, adjugé les dépens en faveur de la Cou-
ronne; puisque le dossier ne révèle aucun motif
pour lequel les demanderesses ayant eu gain de
cause pourraient à bon droit avoir été condamnées
aux dépens, l'ordonnance sera également modifiée
de façon à leur accorder leurs dépens en Division
de première instance.
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