A-778-86
Colette Laberge (requérante)
c.
Procureur général du Canada (intimé)
et
Guy Saint-Hilaire et Louise Moissan (mis-en-
cause)
RÉPERTORIÉ: LA BERGE C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Cour d'appel, juges Pratte, Lacombe et Desjar-
dins—Québec, 29 septembre; Ottawa, 24 novem-
bre 1987.
Fonction publique — Processus de sélection — Principe du
mérite — Le ministère ne peut pas obliger le comité de
sélection à évaluer l'aptitude des candidats qu'en regard de
certaines des exigences du poste — Omission du comité de
sélection d'évaluer l'aptitude des candidats à remplir l'une des
fonctions décrites dans l'avis de concours — Cette omission ne
vicie le résultat du concours que dans les cas où, à cause de
cette irrégularité, le principe de la sélection au mérite n'a pas
été respecté.
Un concours a eu lieu pour remplir le poste de «coordonna-
teur de solutions de problèmes* au ministère du Revenu natio-
nal—Impôt. Les fonctions décrites dans l'avis de concours
comprenaient la coordination des demandes faites en vertu de
la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection
des renseignements personnels. Cette fonction avait été ratta-
chée au poste en cause depuis peu de temps et une période de
formation devait être donnée. La liste des qualités et connais-
sances que devaient posséder les candidats, rédigée par le
ministère à l'intention du comité de sélection, ne mentionnait
pas qu'un coordonnateur devait connaître les lois susmention-
nées. Par conséquent, le comité de sélection ne s'enquit nulle-
ment des connaissances des candidats dans ce domaine. La
présente demande fondée sur l'article 28 vise l'annulation de la
décision d'un comité d'appel établi par la Commission de la
Fonction publique qui a rejeté l'appel de la requérante contre la
nomination de la candidate heureuse. La requérante a fait
valoir que le principe de la sélection établie au mérite n'avait
pas été respecté parce que le comité de sélection n'avait pas
évalué l'aptitude des candidats à remplir toutes les fonctions du
poste à combler. Le comité d'appel était d'avis que le rôle du
jury de sélection consistait seulement à évaluer les candidats en
regard des critères de sélection déjà préétablis par la gestion.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le principe de la sélection au mérite exige que le candidat
qui est le plus apte à remplir toutes les fonctions mentionnées
dans l'avis de concours soit choisi. Le ministère concerné doit
définir les postes et les qualités qu'il exige. Il ne peut demander
au comité de sélection de n'apprécier la valeur des divers
candidats qu'en regard de certaines des exigences du poste. Le
comité de sélection n'est qu'un outil utilisé par la Commission
de la Fonction publique pour remplir la tâche que lui impose
l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Le
ministère n'a pas le pouvoir de modifier les obligations que
cette disposition impose à la Commission.
Ce n'est pas à dire, cependant, que les connaissances des
candidats doivent être directement évaluées pour décider de
leur capacité à remplir immédiatement toutes les fonctions du
poste. Dans bien des cas, l'aptitude d'un candidat à remplir une
fonction peut s'inférer de son aptitude à remplir une autre
fonction. Cela n'exclut pas que le candidat puisse bénéficier de
la période normale de formation pour se familiariser avec ses
nouvelles fonctions. Le comité d'appel aurait dû se demander si
l'irrégularité qu'invoquait la requérante (le défaut d'évaluer
l'aptitude des candidats à remplir l'une des fonctions rattachées
au poste) avait eu pour effet de faire échec au principe de la
sélection au mérite. Un tel défaut ne vicie le résultat du
concours que si la réponse est affirmative.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, annexe I.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32, art. 10, 21.
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C.
1980-81-82-83, chap. I 11, annexe Il.
AVOCATS:
Jean Gaudreau et John G. O'Connor pour la
requérante.
Jean-Marc Aubry pour l'intimé.
PROCUREURS:
Gaudreau, Vaillancourt & St-Pierre, Qué-
bec, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Direction des appels, Commission de la
Fonction publique, pour le Comité d'appel de
la Commission de la Fonction publique.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Cette demande faite en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] est dirigée à
l'encontre d'une décision d'un comité d'appel
établi par la Commission de la Fonction publique
qui a rejeté un appel interjeté par la requérante
suivant l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32].
Au mois de juillet 1986, la Commission de la
Fonction publique annonçait qu'un concours res-
treint aurait bientôt lieu pour remplir le poste de
«coordonnateur de solutions de problèmes» au
ministère du Revenu Canada—Impôt à Québec.
L'avis donnait la description suivante des fonctions
que comportait ce poste:
Administre et coordonne le programme de solution de problè-
mes de façon à s'assurer que les plaintes et les problèmes des
particuliers et des corporations sont réglés rapidement. Identifie
les tendances manifestes et les lacunes du système ou des
procédures qui provoquent ou amplifient les problèmes, en fait
rapport à la direction du bureau régional et du Bureau princi
pal et recommande des trains de mesures visant à corriger ces
lacunes. Effectue des recherches et des enquêtes au sujet des
allégations des contribuables et des médias d'information con-
cernant le traitement injuste ou inapproprié des contribuables
par le Ministère et recommande un train de mesures visant à
résoudre de tels problèmes. Coordonne le traitement de la
correspondance du Ministre, des demandes de renseignements
hautement prioritaires des députés et d'autres personnes qui
sont acheminées au bureau de district. Assume entièrement la
responsabilité du bureau de district touchant la réception et la
coordination du traitement des demandes de renseignements
faites en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi
sur la protection des renseignements personnels. Exécute d'au-
tres fonctions. [C'est moi qui souligne.]
Cette description était extraite d'un document plus
considérable qui donnait la description détaillée
des fonctions rattachées au poste de «coordonna-
teur de solutions de problèmes». Ce document, en
outre, indiquait que les fonctions de ce poste relati
ves aux demandes faites en vertu de la Loi sur
l'accès à l'information [S.C. 1980-81-82-83, chap.
111, annexe I] et de la Loi sur la protection des
renseignements personnels [S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, annexe II] représentaient 5 pour cent
seulement des fonctions du poste; il précisait, en
outre, que le titulaire du poste devait, entre autres,
... bien connaître les lois fiscales ainsi que les dispositions de la
loi ayant trait à la production des renseignements exigés, au
recouvrement de l'impôt, à l'imposition des pénalités, aux fonc-
tions du Ministère relativement à l'établissement de cotisations,
aux retenues à la source et aussi les différents aspects des
procédures judiciaires auxquelles le Ministère peut recourir;
connaître la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la
protection des renseignements personnels et les procédures
connexes.
La requérante se présenta à ce concours. Le
mérite des candidats fut évalué par un comité de
sélection qui conclut que huit des candidats étaient
qualifiés pour remplir le poste et que la plus
qualifiée de ces huit candidats était une dame
Moissan. Le nom de la requérante apparaissait au
troisième rang, derrière celui de madame Moissan.
La requérante en appela donc de la nomination
de madame Moissan suivant l'article 21 de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique. Son appel
fut rejeté. De là cette demande faite en vertu de
l'article 28.
L'avocat de la requérante n'a soulevé devant
nous qu'un seul moyen, savoir que le comité d'ap-
pel avait erré en droit en jugeant que le comité de
sélection n'était pas obligé, en évaluant le mérite
des candidats, d'évaluer leur aptitude à remplir
toutes les fonctions du poste.
Pour comprendre cet argument et la façon dont
le comité d'appel en a disposé, il faut savoir,
d'abord, que les fonctions relatives aux demandes
de renseignements faites en vertu de la Loi sur
l'accès à l'information et de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels avaient été
rattachées au poste qui nous intéresse depuis peu
de temps. Dans une note adressée le 25 juin 1986 à
tous les directeurs de bureaux de district, le sous-
ministre adjoint du ministère du Revenu natio-
nal—Impôt soulignait d'abord que les descriptions
de tâches des postes faisant partie de la Division
des affaires publiques (le poste de coordonnateur
de solutions de problèmes fait partie de cette Divi
sion) avaient été modifiées au mois de février
précédent et comptaient maintenant deux nouvel-
les fonctions: les demandes de protection des ren-
seignements personnels et d'accès à l'information
et la correspondance ministérielle; il poursuivait
ainsi:
Ces fonctions, pour lesquelles on prévoit une formation adé-
quate, seront incorporées aux divisions des affaires publiques
des bureaux de district au cours des huit prochains mois.
Toutefois, si les conseillers de l'accès à l'information et de la
protection des renseignements personnels ont à se démettre de
ces fonctions, celles-ci seront aussitôt transférées aux affaires
publiques.
On prévoyait donc devoir donner à tous les
coordonnateurs de solutions de problèmes une for
mation qui leur permette de remplir leurs nouvel-
les fonctions. C'est pourquoi, probablement, le
ministère, en préparant à l'intention du comité de
sélection un document énumérant les qualités et
connaissances que devait posséder un coordonna-
teur de solutions de problèmes, omit d'indiquer
qu'un coordonnateur devait connaître la Loi sur
l'accès à l'information et la Loi sur la protection
des renseignements personnels. Cela, avec le résul-
tat que le comité de sélection, en examinant les
divers candidats, ne s'enquit aucunement de leurs
connaissances en ce domaine.
L'argument que la requérante a fait valoir
devant le comité d'appel, c'est donc que la nomina
tion de madame Moissan au poste de coordonna-
teur de solutions de problèmes n'avait pas été faite
«selon une sélection établie au mérite» parce que,
lors du concours, le comité de sélection n'avait pas
évalué l'aptitude des candidats à remplir toutes les
fonctions du poste qu'il fallait combler.
Le comité d'appel a rejeté cet argument. Voici
comment il s'est exprimé sur ce point après avoir
résumé l'argument de la requérante:
Selon le ministère, rien n'obligeait d'évaluer les candidats en
regard de toutes les fonctions d'un poste et il revenait au
ministère de choisir les critères de sélection. De plus, la fonction
en cause n'avait pas encore été rattachée au poste et il était
prévu que le titulaire du poste reçoive la formation nécessaire
en vue de ce rattachement.
A mon avis, c'est mal comprendre le rôle du jury de sélection
que de prétendre qu'il aurait da évaluer les candidats en regard
de la fonction en cause. Comme l'ont déjà relevé divers arrêts
de la cour fédérale, il appartient à la gestion de déterminer les
critères de sélection à utiliser pour une opération de dotation
donnée et le comité d'appel n'a pas compétence pour se pronon-
cer sur la justesse de la détermination faite. Quant au jury de
sélection, son rôle c'est seulement d'évaluer les candidats en
regard des critères de sélection déjà préétablis par la gestion et
généralement énumérés sur ce qui est appelé l'énoncé des
qualités, et c'est seulement le fait de mal exercer ce rôle qui
peut donner lieu à l'intervention du comité d'appel. Comme en
l'espèce la gestion n'avait pas établi de critère de sélection
ayant trait à la fonction en cause, le jury de sélection ne pouvait
donc pas évaluer les candidats en regard d'un tel critère, ni le
comité d'appel conclure qu'il avait mal exercé son rôle.
C'est dans ce passage de la décision du comité
d'appel que l'avocat de la requérante voit une
erreur de droit. Le principe de la sélection au
mérite, dit-il, exige que le candidat qui est le plus
apte à remplir le poste soit choisi. Or, on ne peut
déterminer l'aptitude de divers candidats à remplir
un poste donné sans évaluer leur aptitude à remplir
toutes les fonctions du poste dont il s'agit. La
procédure suivie par le comité de sélection était
donc viciée et incompatible avec le principe de la
sélection au mérite.
À cela l'avocat de l'intimé a répliqué que, au
moment du concours, les nouvelles fonctions relati-
ves à l'administration de la Loi sur l'accès â
l'information et de la Loi sur la protection des
renseignements personnels n'avaient pas encore été
ajoutées au poste de coordonnateur de solutions de
problèmes; il a aussi affirmé que, de toute façon,
rien n'obligeait le comité de sélection à évaluer les
candidats en regard de toutes et chacune des fonc-
tions du poste à combler.
Contrairement à ce qu'a soutenu l'avocat de
l'intimé, il me paraît manifeste que, au moment du
concours, les nouvelles fonctions avaient déjà été
ajoutées au poste qu'il s'agissait de combler. Il
suffit de lire le mémo du sous-ministre adjoint que
j'ai cité plus haut pour s'en convaincre. -
Il me paraît inexact, aussi, de dire qu'un comité
de sélection n'a pas à évaluer les candidats en
regard de toutes les fonctions du poste à combler.
Lorsqu'un concours est tenu pour combler un
poste, le concours doit être organisé de telle façon
qu'il permette de jauger l'aptitude des candidats à
remplir ce poste-là. Or, cela ne peut se faire sans
avoir égard aux fonctions que doit accomplir le
titulaire du poste.
Il appartient,-bien sûr, aii ministère concerné de
définir les postes et les qualifications qu'il exige.
Ici, le ministère l'a fait en décrivant le poste de
coordonnateur comme comportant la tâche d'ad-
ministrer la Loi sur l'accès â l'information et la
Loi sur la protection des renseignements person-
nels et comme exigeant une bonne connaissance de
ces deux Lois. La question à laquelle il faut répon-
dre ici est celle de savoir si un ministère qui a
établi les fonctions rattachées à un poste peut, à
l'occasion d'un concours tenu pour remplir ce
poste, demander au comité de sélection chargé
d'administrer le concours de n'apprécier la valeur
des divers candidats qu'en regard de certaines des
exigences du poste. Cette question doit, bien sûr,
recevoir une réponse négative. Contrairement à ce
qu'a affirmé le comité d'appel, le rôle du comité de
sélection n'est pas seulement d'obéir aux directives
du ministère concerné. Le comité de sélection n'est
qu'un outil utilisé par la Commission de la Fonc-
tion publique pour remplir la tâche que lui impose
l'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique. Le ministère n'a pas le pouvoir de modi
fier les obligations que l'article 10 de la Loi impose
à la Commission. Ni le comité de sélection, ni la
Commission ne sont les valets des divers ministè-
res.
Ce n'est pas à dire, cependant, qu'un concours
soit irrégulier pour le seul motif qu'il n'évalue pas
directement les connaissances des candidats pour
décider de leur capacité à remplir immédiatement
toutes les fonctions du poste. Lorsqu'un comité
d'appel est saisi d'un tel grief, il doit se demander
si, dans les circonstances, le défaut d'évaluer les
candidats relativement à toutes les fonctions du
poste à combler peut se concilier avec les exigences
du principe de la sélection au mérite. Il peut en
effet arriver que l'irrégularité alléguée ne soit
qu'apparente: dans bien des cas l'aptitude d'un
candidat à remplir une fonction peut s'inférer de
son aptitude à remplir une autre fonction. Il peut
aussi arriver que les connaissances qu'exige l'ac-
complissement de certaines fonctions puissent être
facilement acquises par celui qui a l'aptitude à
remplir les autres fonctions du poste. Par exemple,
si un candidat a réussi à maîtriser une loi aussi
complexe que la Loi de l'impôt sur le revenu, il est
permis de croire qu'il pourra facilement se familia-
riser avec une autre loi plus simple. Le principe de
la sélection au mérite exige que l'on choisisse celui
qui, au moment du concours, est le plus apte à
remplir toutes les fonctions prévues à l'avis de
concours. Cela n'exclut pas que le candidat puisse
bénéficier de la période normale d'entraînement
pour se familiariser avec ses nouvelles fonctions,
laquelle en l'espèce comprenait également un cours
de formation offert aux autres fonctionnaires de la
même catégorie déjà en poste.
Il m'apparaît donc que, en l'espèce, le comité
d'appel a eu tort de rejeter la prétention de la
requérante au seul motif que le comité de sélection
n'avait qu'à suivre les directives du ministère con
cerné. Il aurait dû se demander plutôt si, dans les
circonstances, l'irrégularité qu'invoquait la requé-
rante avait eu pour effet de faire échec au principe
de la sélection au mérite.
Je casserais donc la décision attaquée et je
renverrais l'affaire au comité d'appel pour qu'il la
décide en prenant pour acquis que, lorsqu'un con-
cours est tenu pour combler un poste dans la
Fonction publique, le défaut d'évaluer l'aptitude
des candidats à remplir l'une des fonctions du
poste ne vicie le. résultat du concours que dans les
cas où, à cause de cette irrégularité, le principe de
la sélection au mérite n'a pas été respecté.
LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
LE JUGE DESJARDINS: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.