A-69-86
Debora Bhatnager (appelante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIE: BHATNAGER C. CANADA (MINISTRE DE L'EM-
PLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Hugessen—
Toronto, 7 décembre 1987; Ottawa, 8 janvier
1988.
Pratique — Signification — L'ordonnance visant la produc
tion d'un dossier concernant un visa n'a pas été exécutée —
Appel interjeté contre le jugement de première instance qui
déclarait les ministres non coupables d'outrage au tribunal
d'après les règles de la common law qui exigent la significa
tion à personne si l'on veut par la suite invoquer cette signifi
cation pour affirmer que la partie a pris connaissance de
l'ordonnance — Les intimés sont représentés par un avocat —
Copie de l'ordonnance a été signifiée à l'avocat — Appel
accueilli — Le juge de première instance a commis une erreur
en appliquant les règles de la common law — Les Règles de la
Cour fédérale constituent un code complet des modalités de la
notification des ordonnances de la Cour — Les Règles n'exi-
gent pas la signification à personne des ordonnances — Le
prononcé de l'ordonnance en audience publique en présence de
l'avocat des parties visées et la signification subséquente de
l'ordonnance satisfont pleinement aux Règles — La présomp-
tion qu'il y a eu signification valable ne peut être réfutée car il
n'existe aucune preuve que le solicitor des intimés n'était pas
autorisé à agir pour eux — Il faut éviter de ne pouvoir s'en
remettre aux Règles en ce qui concerne la signification faite
aux solicitors.
Pratique — Outrage au tribunal — Ordonnance enjoignant
la production du dossier relatif au visa — Le dossier n'a pas
été produit dans les délais prescrits — Le juge de première
instance a statué que »les personnes qui ont agi pour le
compte» des ministres n'ont exécuté ni la lettre ni l'esprit de
l'ordonnance — Les directives n'ont pas été données au nom
des ministres comme l'exigeait l'ordonnance — La Cour d'ap-
pel est autorisée, en vertu de l'art. 52 de la Loi sur la Cour
fédérale, à rendre le jugement que la Division de première
instance aurait dü rendre — Les actes dont les ministres sont
responsables sont des actes de désobéissance — L'affaire est
renvoyée au juge de première instance pour qu'il impose une
peine.
Il s'agit d'un appel contre le jugement qui déclarait les
intimés non coupables d'outrage au tribunal. Dans le cadre des
procédures visant à obtenir un bref de mandamus pour enjoin-
dre au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de donner suite
à la demande de résidence permanente de son mari, l'appelante
a demandé la protection du dossier relatif au visa. La demande
de bref de mandamus a été ajournée sur consentement, et le
juge en chef adjoint a ordonné aux intimés de produire le
dossier pour permettre à l'appelante de compléter le contre-
interrogatoire d'un agent d'immigration avant l'audition de la
demande le 3 septembre 1985. Le 19 août, l'avocat des intimés
a reçu signification de l'ordonnance de production. La seule
initiative visant à obtenir le dossier auprès du Haut-commissa
riat à New Delhi (Inde), a été prise par la Commission de
l'emploi et de l'immigration du Canada bien que le dossier ait
relevé du ministère des Affaires extérieures et que celui-ci ait
été nommé dans l'ordonnance du juge en chef adjoint qui lui a
enjoint de produire le dossier. Le 29 août, le dossier original
n'était pas encore parvenu à Toronto, aussi a-t-on procédé au
contre-interrogatoire à l'aide de la photocopie du dossier. Il est
cependant vite devenu évident qu'il manquait des documents.
Le dossier complet est arrivé à Toronto le 30 août 1985. Une
ordonnance de justification a été prononcée contre les intimés
en raison de leur défaut de produire le dossier concerné confor-
mément à l'ordonnance du juge en chef adjoint. Les intimés ont
été déclarés non coupables d'outrage au tribunal. Il a été statué
que des affidavits des préposés des ministres intimés étaient
inadmissibles comme preuve par ouï-dire de la connaissance
qu'avaient les intimés de l'ordonnance de la Cour. Le juge de
première instance a aussi rejeté comme preuve par ouï-dire des
copies de télex et le bordereau de l'expédition du dossier
d'Ottawa à Toronto, statuant qu'ils ne pouvaient être admis en
preuve à titre de pièces commerciales puisque les exigences de
l'article 28 de la Loi sur la preuve au Canada n'avaient pas été
respectées.
Les questions en litige consistent à savoir si la signification à
l'avocat des intimés de l'ordonnance portant production du
dossier constitue un avis suffisant aux fins de la Règle 355 pour
permettre de déclarer les intimés coupables d'outrage au tribu
nal, et si tel est le cas, les intimés sont-ils coupables d'outrage
au tribunal.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Les deux intimés étaient représentés par un avocat tout au
long des procédures, et ce dernier était habilité à agir pour leur
compte. Les Règles n'exigent pas la signification à personne
d'une ordonnance de production. Normalement, la signification
au procureur inscrit au dossier conformément à la Règle 308
suffirait. Toutefois, le juge de première instance s'en est remis
aux règles de la common law pour statuer que l'ordonnance
doit être signifiée personnellement à la partie si l'on veut par la
suite pouvoir invoquer cette signification pour affirmer que la
partie avait pris connaissance de l'ordonnance à laquelle elle est
accusée d'avoir contrevenu. Le juge de première instance a
commis une erreur de s'en remettre aux règles de la common
law quand les Règles de la Cour fédérale fournissent un code
complet des modalités propres à la notification des ordonnances
de la Cour. Il a été entièrement satisfait aux Règles concernées,
de sorte que le prononcé de l'ordonnance en séance publique en
présence du représentant dûment autorisé des intimés, et la
signification subséquente de l'ordonnance au représentant,
constituaient un avis donné aux intimés tout autant que s'ils
avaient été personnellement présents et que l'ordonnance leur
avait été signifiée. Pour pouvoir réfuter la présomption qu'ils
ont eu notification valable de l'ordonnance vu la présence de
leur solicitor inscrit au dossier et la signification qui lui a été
faite de ce document, les intimés devraient absolument démon-
trer que le solicitor n'était autorisé ni en fait ni en droit à agir
pour leur compte. Or, les intimés ont laissé entendre et conti-
nuent à laisser entendre que leur avocat est autorisé à agir en
leur nom. Les règles ordinaires du mandat aussi bien que
l'autorisation que donnent les Règles au solicitor d'agir pour
ses clients et de recevoir signification d'une ordonnance pour
eux suffisent à constituer un avis suffisant de l'ordonnance aux
intimés. Si ce n'était pas le cas, les parties ne pourraient pas se
fier aux Règles pour signifier validement des jugements et des
ordonnances aux solicitors inscrits aux dossiers, ce qui discrédi-
terait les Règles de la Cour.
Il faut se souvenir que les actions engagées devant la Cour
fédérale peuvent être prises dans toutes les parties du pays. Les
Règles ont été promulguées pour obvier aux problèmes que pose
la géographie lorsqu'il s'agit de signifier une ordonnance à un
ministre très occupé dans les délais que peut impartir ce
document. Prétendre le contraire, ce serait permettre aux avo-
cats de protéger leurs clients contre de possibles citations pour
outrage en les tenant dans l'ignorance, non seulement de l'exis-
tence des jugements et ordonnances prononcés contre eux, mais
encore des conséquences auxquelles ils s'exposent s'ils ne s'y
conforment pas.
Le juge de première instance a, à bon droit, déclaré inadmis-
sibles les affidavits des préposés des ministres intimés quant à
la connaissance de l'ordonnance qu'avaient leurs ministres res-
pectifs. C'est aussi à bon droit qu'il a refusé d'ajourner les
procédures afin de permettre aux intimés de compléter leur
preuve. Après avoir arrêté un moyen de défense à opposer à la
requête de justification, les intimés ne doivent pas, après l'échec
de ce moyen, être autorisés à présenter un autre moyen de
défense à l'encontre de cette requête.
La Cour d'appel était autorisée à rendre jugement en vertu
de l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale. Si l'on se fonde
sur les conclusions du juge de première instance que les person-
nes qui ont agi pour le compte des intimés n'ont exécuté ni la
lettre ni l'esprit de l'ordonnance, les actes dont les ministres
étaient responsables étaient des actes de désobéissance.
L'affaire devrait être renvoyée au juge de première instance
pour qu'il impose une peine, car ce sujet n'a pas été soulevé
devant la Cour.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 52.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
2(1), 300(1),(3), 308, 311, 337(8), 355(4).
AVOCATS:
Clayton C. Ruby et Michael Code pour
l'appelante.
John E. Thompson et Michael W. Duffy pour
les intimés.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Appel est interjeté du jugement
par lequel le juge Strayer de la Division de pre-
mière instance [[19861 2 C.F. 3] a déclaré les
intimés non coupables d'outrage au tribunal relati-
vement au prétendu défaut d'obtempérer à l'ordon-
nance de la Division de première instance enjoi-
gnant la production d'un dossier ou de la copie
d'un dossier concernant l'appelante et son mari,
qui se trouvait en la possession du Haut-commissa
riat du Canada à New Delhi (Inde). Pour statuer
sur l'appel, les faits s'imposent, et certains d'entre
eux étant contestés, il est nécessaire de les exami
ner d'une façon quelque peu détaillée.
LES FAITS
Le 25 juin 1980, l'appelante, une citoyenne
canadienne vivant au Canada, a épousé Ajay Kant
Bhatnager, citoyen de l'Inde. M. Bhatnager est
retourné en Inde et, en juillet 1980, l'appelante a
parrainé la demande de statut de résident perma
nent présentée par son mari. Selon la preuve, la
première offre de parrainage n'a pas été envoyée
au Haut-commissariat du Canada à New Delhi.
Par la suite, l'appelante a soumis une deuxième
offre de parrainage en mars 1981.
Le 5 juin 1985 ou vers cette date, l'appelante a
déposé un avis de requête devant la Division de
première instance [[1985] 2 C.F. 315], sollicitant
un bref de mandamus enjoignant au ministre de
l'Emploi et de l'Immigration de donner suite à la
demande de résidence permanente présentée par
M. Bhatnager. Sur consentement, l'audition de la
requête, dont la présentation était prévue pour le
10 juin 1985, a été remise au 17 juillet 1985 et, de
nouveau, toujours sur consentement, au 3 septem-
bre 1985, pour que le débat sur cette requête ait
lieu en même temps que celui sur des affaires
connexes.
En avril ou en mars 1985, l'avocate de l'appe-
lante a informé les procureurs de l'intimé qu'elle
avait l'intention d'intenter les procédures de man-
damus. Par la suite, soit le 2 et le 30 mai 1985, le
Centre d'immigration Canada de l'ouest de
Toronto a envoyé des télex au bureau des visas de
New Delhi pour demander que le dossier des visas
soit envoyé à Toronto. En réponse au premier
télex, dont une copie a été envoyée au ministère
des Affaires extérieures, le bureau des visas a
répondu que, compte tenu de la demande de man-
damus pendante, le dossier serait transmis à
Toronto. D'après la preuve, il faut de dix à qua-
torze jours pour qu'un dossier soit reçu au Canada
par valise diplomatique. En l'espèce, le dossier
n'est pas arrivé dans ce délai.
Le 11 juillet 1985, au contre-interrogatoire con
duit par l'avocate de l'appelante sur l'affidavit de
Lou Ditosto, agent d'immigration, ladite avocate a
demandé la production du dossier des visas concer-
nant M. Bhatnager. L'affidavit de M. Ditosto
avait été déposé en réponse à la demande de
mandamus formulée par l'appelante. Puisque M.
Ditosto n'a pas pu répondre à plusieurs des ques
tions qu'on lui avait posées sans consulter le dos
sier, l'avocate de l'appelante a demandé que le
contre-interrogatoire soit remis à plus tard pour
qu'on ait le temps de produire le dossier et pour
que M. Ditosto l'examine. Par la suite, l'audition
de la demande de mandamus a été ajournée à une
séance spéciale de la Cour, soit le 3 septembre
1985, sur consentement, afin que le débat sur cette
requête ait lieu en même temps que celui sur
d'autres affaires soulevant les mêmes questions.
Le 16 juillet 1985 ou vers cette date, Jean
Brisson, un agent chargé du cas, au service de la
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada à Ottawa, a reçu de Yvonne Beaupré une
note de service lui demandant d'obtenir le dossier
de l'appelante, lequel se trouvait à New Delhi. Par
télex, M. Brisson a exigé le dossier «immédiate-
ment» et il a demandé au bureau de New Delhi de
conserver une photocopie du dossier pour ses pro-
pres besoins.
Le 17 juillet 1985, à la présentation de la
demande de mandamus qui avait été ajournée,
l'avocat du ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, intimé, a avisé le juge en chef adjoint que
New Delhi avait envoyé le dossier et qu'il serait
inutile d'ordonner sa production à ce moment. Le
juge en chef adjoint a déclaré qu'il tenait à ce que
la livraison du dossier soit accélérée.
Le 22 juillet 1985, M. Brisson a reçu du bureau
de New Delhi un télex en date du 19 juillet 1985
qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Si vous consultez le dossier de l'administration
centrale, vous aurez une documentation volumineuse et compli-
quée plus l'état actuel des choses, que voici: l'affaire a été
rouverte le 6 février 1984, par suite de la décision Robbins et
du retrait des répondants de l'appel du rejet en raison du
mariage de convenance.
2. La vérification des antécédents avec l'agent de liaison a
commencé, et au 3 juillet 1985, il n'y a pas de casier judiciaire
à cet égard. Entre-temps, nous avons trouvé que le sujet avait
fourni des renseignements frauduleux dans la formule IMM8.
Nous avons voulu refuser en vertu du paragraphe 9(3) de la Loi
pour le défaut de fournir des renseignements dignes de con-
fiance qui nous permettraient de procéder à une vérification
significative des antécédents comme l'exigent les alinéas
19(l)E)F) et G) de la Loi. Étant donné que l'affaire a pris de
l'ampleur, nous avons demandé à l'administration centrale de
nous donner des directives les 1" avril, 16 mai et 17 juin.
3. Étant donné que, au 3 juillet 85, le sujet ne fait l'objet
d'aucun casier judiciaire, le traitement de l'affaire pourrait être
repris en attendant la directive de l'administration centrale,
laquelle directive ne nous est pas encore parvenue. En consé-
quence, l'affaire est pendante en attendant l'approbation d'un
rejet.
4. Selon votre directive, notre dossier sera transmis.
Puisque le dossier n'était pas arrivé le 8 août
1985, M. Brisson a envoyé un autre télex au
bureau de New Delhi. Il a demandé que le dossier
soit livré dans l'espace d'une semaine; il a égale-
ment demandé les raisons pour lesquelles le bureau
de New Delhi avait délivré, le 25 juillet 1985, un
permis du ministre à M. Bhatnager plutôt qu'un
visa d'immigration. Il a rappelé aux autorités de
New Delhi que la Cour était toujours saisie de
l'affaire malgré la délivrance du permis.
M. Brisson a de nouveau envoyé un télex à New
Delhi puisque le dossier n'était pas arrivé le 14
août 1985, faisant savoir que [TRADUCTION] «la
situation exigeait une attention immédiate». Le
même jour, le chef de M. Brisson, M. Labelle, a
également envoyé un télex demandant que New
Delhi réponde avant 8 h 30 le jour suivant.
Le 15 août 1985, l'appelante a saisi la Division
de première instance d'une requête en ordonnance
portant production du dossier et, également, cons-
tituant le secrétaire d'État aux Affaires extérieures
partie intimée parce que les agents des visas d'ou-
tre-mer relèvent de ce dernier.
À la présentation de la requête le 15 août 1985,
M. Thompson du ministère de la Justice a com-
paru en qualité d'avocat des intimés. Selon lui, il
avait l'impression que le dossier était en passe
d'arriver de New Delhi, ce qui fait qu'aucune
ordonnance n'était requise. Le juge en chef adjoint
a toutefois convenu avec l'avocate de l'appelante
qu'une ordonnance s'imposait pour s'assurer de la
production du dossier pour compléter un contre-
interrogatoire de M. Ditosto à temps en vue de
l'audition du 3 septembre 1985. L'avocate de l'ap-
pelante a préparé un projet d'ordonnance à l'inten-
tion du bureau du greffe, et M. Thompson l'a
approuvé quant à la forme. L'ordonnance se lit
notamment:
[TRADUCTION] ET QUE le Secrétaire d'État aux Affaires exté-
rieures soit constitué partie intimée;
ET QUE les intimés ordonnent à leurs fonctionnaires de remettre
à Lou Ditosto, un agent d'immigration des intimés, l'original ou
une copie du dossier concernant la requérante, Debora Bhatna-
ger, et son mari, Ajay Kant Bhatnager, qui se trouve en la
possession du Haut-commissariat du Canada à New Delhi
(Inde), afin de permettre à la requérante de compléter son
contre-interrogatoire sur les affidavits déposés en l'espèce, et ce,
sans délai et à temps pour l'audition de cette affaire prévue
pour le 3 septembre 1985.
Le 15 août 1985, M. Brisson a reçu du conseiller
juridique de la Commission de l'emploi et de l'im-
migration du Canada une note de service relative à
l'ordonnance du juge en chef adjoint, laquelle note
de service se lit notamment:
[TRADUCTION] [La Cour a ordonné] la production du dossier
immédiatement et il est recommandé de veiller à ce que cette
affaire soit traitée de façon quelque peu urgente pour éviter que
le ministre se trouve à être coupable d'outrage au tribunal pour
n'avoir pas produit le dossier.
M. Brisson a par la suite envoyé le télex suivant
à New Delhi:
[TRADUCTION] Si le dossier n'est pas produit à la prochaine
audience prévue pour le 3 septembre, lui [Secrétaire d'Etat aux
Affaires extérieures] et le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion pourraient être cités à comparaître pour outrage au tribu
nal. Veuillez vous assurer que ce dossier est expédié par la
prochaine valise diplomatique qui doit arriver ici mardi pro-
chain le 20 août.
Ce télex a donné lieu à la réponse suivante
également par télex, le 16 août 1985:
[TRADUCTION] Par suite de la conversation téléphonique entre
Davis et Numan le 16 août, j'ai examiné le dossier et j'ai été
supris qu'Emploi et Immigration Ottawa semble ne pas savoir
qu'un permis du ministre visant à faciliter une admission rapide
en attendant des examens médicaux avait été délivré au sujet le
27 juillet 1985 et envoyé par la poste le même jour ... Le
dossier devait avoir été transmis à Ottawa par valise diplomati-
que la semaine dernière mais son envoi a été retardé en raison
de la réception de nouveaux documents. Le dossier doit être
renvoyé par la vase diplomatique d'aujourd'hui. Il est intéres-
sant de noter qu'on a donné d'autres détails sur les derniers
documents, et nous croyons entièrement aux lettres dignes de
foi de notre informatrice inconnue. Elle nous informe que le
sujet a reçu un permis et que le frère du sujet au Canada lui a
conseillé de ne pas l'utiliser mais de rester pour compléter les
examens médicaux ici afin qu'un visa puisse être obtenu. Ils
craignent que s'il entre au Canada muni d'un permis, sa
«femme», qui tient manifestement à en finir avec ce mariage de
convenance parce qu'elle vit actuellement avec un ami qu'elle
désire épouser, ne divorce avec le sujet avant qu'il n'obtienne un
droit d'établissement. S'il fait des démarches auprès de nous
pour subir des examens médicaux, nous vous en informerons et
nous vous demanderons ainsi qu'aux personnes mentionnées
sous la rubrique «information» de noter qu'un autre retard
serait son propre fait.
Nous reconnaissons que la décision de la cour pèse sur vous et
nous nous y conformons donc, mais nous ne saurions insister
trop énergiquement sur notre sentiment qu'il s'agit d'un
mariage de convenance. Nous espérons que si le sujet demande
à parrainer sa femme et ses enfants indiens dans un an ou deux,
la CEIC serait disposée à prendre la mesure d'application
appropriée.
Le 19 août 1985, des représentants de l'avocate
de l'appelante ont en personne signifié à l'avocat
des intimés, M. Duffy du ministère de la Justice,
une copie de l'ordonnance du juge en chef adjoint.
M. Duffy a informé le représentant qu'il était déjà
au courant de l'ordonnance et qu'il en avait reçu
une copie du greffe. Il a accepté la signification au
nom des intimés.
N'ayant pas reçu le dossier le 20 août, M.
Brisson en a informé M. Labelle, son chef, et il a
envoyé un autre télex à New Delhi dont voici le
libellé:
[TRADUCTION] Notre première demande du 17 juillet visant à
obtenir le dossier Bhatnager et nos télex subséquents n'ont pas
accéléré sa livraison bien qu'il soit clair que nous en avions
besoin de façon urgente en vue d'une défense à une action
judiciaire. On nous a maintenant informé que le dossier n'était
pas arrivé à Ottawa mais pourrait l'être le 27 août. L'audition
tenue par la Cour fédérale est prévue pour le 3 septembre à
Toronto, ce qui donne à la Justice pas plus de deux (2) jours
francs pour préparer des arguments à l'appui de votre action.
De plus, la requérante désire peut-être procéder à un contre-
interrogatoire au sujet de l'affidavit qui avait été déposé pour la
Commission. Le 15 août, la Cour n'a pas semblé impressionnée
par notre façon de traiter de la présente affaire, ce qui fait qu'il
est difficile pour nous de demander d'autres délais en raison de
notre production tardive du dossier. Nous ne connaissons pas la
procédure que vous suivez pour envoyer des dossiers ici, mais,
jusqu'à maintenant, sauf le présent cas, ils nous sont prompte-
ment parvenus après notre demande. Puisque votre télex du 16
août nous a amené à croire que le dossier arriverait cette
semaine, nous nous demandons pourquoi cela ne s'est pas
produit. Veuillez donner des explications. Nous voudrions que
vous confirmiez que le rapport demandé par OPAS relative-
ment à la délivrance d'un permis plutôt que d'un visa figure
dans le dossier. Si aucun n'a été envoyé, veuillez en envoyer un
par télex immédiatement.
Le 21 août, M. Brisson a envoyé un autre télex à
New Delhi pour demander qu'une copie du dossier
soit envoyée par messagerie internationale com-
merciale avec un service de livraison de `48 heures.
Le bureau de New Delhi a répondu par télex qu'il
enverrait sa seule copie du dossier par courrier le
soir du 22 août 1985.
En résumé, il est juste de dire que pendant cette
période, bien que le dossier ait relevé du ministère
des Affaires extérieures, M. Brisson n'a fait que
s'enquérir auprès de la salle du courrier. Le minis-
tère des Affaires extérieures n'a pas pris l'initiative
d'obtenir le dossier à temps pour les contre-interro-
gatoires, laissant l'initiative entièrement à l'Immi-
gration et ce, en dépit du fait qu'il a reçu des
copies des télex et qu'il a été nommé dans l'ordon-
nance du juge en chef adjoint qui lui a enjoint de
produire le dossier.
Le 25 août, l'avocat des intimés a téléphoné à
l'avocate de l'appelante et il l'a informée que son
dossier n'était pas arrivé mais qu'il était attendu
au plus tard le 29 août, la date fixée pour la
poursuite du contre-interrogatoire de M. Ditosto.
Une copie du dossier de New Delhi est arrivée le
27 août 1985 au bureau régional du ministère de la
Justice, à Toronto. Le dossier original est arrivé à
Ottawa le 28 août 1985. M. Brisson a, le même
jour, expédié le dossier par autobus à l'avocat des
intimés à Toronto.
Le 29 août 1985, le dossier original n'était pas
encore parvenu à Toronto pour le contre-interroga-
toire de Mme A. Zografos, que les intimés avaient
substituée à M. Ditosto. On a procédé au contre-
interrogatoire à l'aide de la photocopie du dossier,
mais il est vite devenu évident qu'il ne s'agissait
pas d'une copie complète et certaines questions
posées par l'avocate de l'appelante ont dû rester
sans réponse. L'avocate de l'appelante n'a pas
demandé un ajournement.
M. Duffy a reçu le dossier original et complet à
Toronto le 30 août 1985. Il a alors appelé l'avocate
de l'appelante pour discuter avec elle du contenu
du dossier. Celle-ci n'a pas cherché à reprendre
son contre-interrogatoire de Mme Zografos faute de
temps pour le recommencer, et pour obtenir des
transcriptions et se préparer pour l'audition tenue
le mardi, 3 septembre 1985.
Le 3 septembre 1985, le juge Strayer a entendu
la demande de bref de mandamus. A l'audition,
l'avocate de l'appelante a demandé qu'une ordon-
nance de justification soit prononcée contre les
intimés en raison de leur défaut de produire le
dossier concerné conformément à l'ordonnance
rendue par le juge en chef adjoint le 15 août 1985.
Le juge Strayer s'est montré d'accord et il a rendu
l'ordonnance de justification le 4 septembre 1985.
Le 15 octobre 1985, le juge a accueilli avec dépens
la demande de bref de mandamus et il a motivé
son ordonnance.
Les 5 et 6 décembre 1985, l'audition de justifi
cation a eu lieu devant le juge Strayer, au terme de
laquelle il y a eu remise du prononcé du jugement.
Par ordonnance en date du 22 janvier 1986, le
juge Strayer a statué que les intimés n'étaient pas
coupables d'outrage au tribunal. Dans ses motifs, il
a statué que deux affidavits déposés par les intimés
étaient inadmissibles comme preuve par ouï-dire
de la connaissance qu'avaient ces derniers de l'or-
donnance du juge en chef adjoint. Il a également
rejeté comme preuve par ouï-dire inadmissible des
copies des télex en provenance de New Delhi ainsi
que le bordereau de l'expédition alléguée du dos
sier par autobus d'Ottawa à Toronto. Il a statué
que ces documents ne pouvaient être admis en
preuve à titre de «pièces commerciales» puisque les
exigences procédurales de l'article 28 de la Loi sur
la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10]
n'avaient pas été respectées et que ni l'une ni
l'autre des parties n'avait renoncé à ces exigences.
LES QUESTIONS EN LITIGE
L'appelante ne soulève que deux questions liti-
gieuses relativement au jugement contesté.
Tout d'abord, on a avancé que le juge de pre-
mière instance avait commis une erreur de droit en
concluant que les intimés ne pouvaient être tenus
responsables de l'outrage commis par leurs fonc-
tionnaires et leurs délégués lorsqu'ils n'ont pas
produit le dossier réclamé, désobéissant de la sorte
à l'ordonnance rendue par le juge en chef adjoint
en date du 15 août 1985.
Deuxièmement, on a soutenu que le juge de
première instance a commis une erreur de droit en
statuant que dans les circonstances en cause, la
signification de l'ordonnance du juge en chef
adjoint à l'avocat des intimés ne constituait pas un
avis suffisant aux fins de la Règle 355 des Règles
et ordonnances générales de la Cour fédérale
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]
pour permettre de déclarer les intimés coupables
d'outrage au tribunal.
L'avocat des intimés s'est opposé à la décision
du juge de ne pas admettre en preuve une copie
des télex de New Delhi ainsi que le bordereau
attestant l'expédition du dossier d'Ottawa à
Toronto.
Je préférerais traiter du second point en
premier.
L'avis aux intimés
Comme fondement de mon raisonnement sur ce
point, je dois souligner tout d'abord qu'après avoir
étudié la preuve en détail, le juge de première
instance a tiré la conclusion suivante':
Par conséquent, je suis tenu de conclure, compte tenu de la
façon dont s'est soldée la production de ce dossier, de la preuve
concernant les directives inadéquates données par M. Brisson et
de l'absence de quelque élément de preuve établissant que des
directives auraient été données au nom du ministère qui exer-
çait le contrôle sur le dossier, qu'-aucune directive n'a été
donnée au nom des intimés de la manière requise par l'ordon-
nance du 15 août. Il n'y a pas eu non plus de suivi efficace afin
de s'assurer que le but visé par l'ordonnance était atteint.
[Soulignements ajoutés.]
Le juge s'est alors montré d'avis que «pour
qu'une personne soit tenue personnellement res-
ponsable de ses propres actes de désobéissance, elle
doit avoir eu l'occasion d'obéir à l'ordonnance en
question de la cour ou de voir à ce qu'elle soit
respectée» 2 , c'est-à-dire qu'elle doit avoir eu notifi
cation de l'ordonnance à laquelle elle aurait
désobéi.
Finalement, le juge de première instance s'est
exprimé comme suit 3 :
. je crois que d'après les principes de common law il faut en
déduire que, dans de tels cas, l'ordonnance doit être signifiée
personnellement à la partie si l'on veut par la suite pouvoir
invoquer cette signification pour affirmer que la partie avait
pris connaissance de l'ordonnance à laquelle elle est accusée
d'avoir contrevenu. Il n'est évidemment pas nécessaire de prou-
ver la signification de l'ordonnance si l'on peut par ailleurs
'Àlap.18.
2 À la p. 19.
3 À la p. 20.
établir que la personne visée en avait été informée. Cependant,
je refuse d'accepter que du seul fait que le solicitor ait connais-
sance de l'ordonnance, on puisse imputer à son client une
connaissance telle de l'ordonnance que ce dernier puisse être
trouvé coupable de l'infraction quasi criminelle d'outrage au
tribunal. J'estime qu'il serait injuste de déclarer une partie
coupable d'outrage au tribunal parce qu'elle n'a pas été infor-
mée par son solicitor qu'une conduite donnée, par ailleurs
légale, avait été interdite par le tribunal.
Il est à souligner qu'au cours des plaidoiries qui
se sont déroulées devant nous, l'avocat des intimés
a reconnu, semble-t-il pour la première fois, qu'il
n'avait informé aucun des intimés de la teneur de
l'ordonnance, qu'il ne leur en avait remis aucune
copie, pas plus qu'il ne les avait avertis, évidem-
ment, de la nécessité de s'y conformer. Il semble
extraordinaire que l'avocat ait pu, dans ces cir-
constances, continuer de représenter les intimés à
moins, naturellement, qu'il n'ait obéi à la directive
de ne pas les informer de toute ordonnance qui
serait rendue contre eux.
La Règle 311 des Règles et ordonnances généra-
les de la Cour est libellée comme suit:
Règle 311. (1) La signification d'un document, autre qu'un
document pour lequel la signification à personne est requise,
peut se faire
a) en laissant une copie du document à l'adresse aux fins de
signification de la personne à laquelle il doit être signifié;
b) en expédiant par courrier recommandé une copie du
document dans une enveloppe adressée à la personne ou à son
procureur ou solicitor, selon le cas, à son adresse aux fins de
signification (pour décider si la signification doit être faite
comme le prévoit le présent alinéa, on doit tenir compte de la
Règle 313(2)); ou
c) de telle autre façon que la Cour pourra prescrire.
(2) Aux fins de l'alinéa (1), si, au moment où la signification
est faite, la personne à laquelle le document doit être signifié
n'a pas d'«adresse aux fins de signification», au sens de la
définition que donne à cette expression la Règle 2(1), son
adresse aux fins de signification est censée être l'une des
suivantes:
a) dans n'importe quel cas, l'adresse professionnelle du pro-
cureur ou solicitor qui, le cas échéant, agit pour le compte de
cette personne dans la procédure au sujet de laquelle la
signification du document en question doit être faite;
b) dans le cas d'un particulier, son adresse habituelle ou sa
dernière adresse connue;
c) dans le cas de particuliers qui poursuivent ou sont pour-
suivis au nom d'une maison commerciale, le principal ou le
dernier connu des lieux d'affaires de la maison qui sont situés
dans le ressort de la Cour; ou
d) dans le cas d'une corporation, le bureau enregistré ou le
bureau principal de la corporation.
L'adresse aux fins de signification est définie à
la Règle 2(1), dont la partie pertinente est l'alinéa
c), rédigé comme suit:
Règle 2. (1) Dans les présentes Règles, à moins qu'une accep-
tion différente ne ressorte du contexte,
«adresse aux fins de signification», en ce qui concerne une
procédure, désigne
c) dans le cas d'une partie qui a un procureur ou solicitor
inscrit au dossier
(i) l'adresse professionnelle du procureur ou solicitor ins-
crit au dossier telle que l'indique le dernier document
déposé par lui pour le compte de la partie et qui porte son
adresse professionnelle, à moins que, aux termes d'un
document spécial (qui peut porter le titre «Changement
d'adresse aux fins de signification») déposé et signifié aux
parties intéressées, quelque autre adresse dans le ressort
n'ait été désignée comme étant l'adresse aux fins de signifi
cation à la partie, ou
(ii) si un tel document a été déposé, l'adresse y désignée;
La disposition prévoyant la signification d'une
ordonnance qui n'a pas été rendue en séance publi-
que, ce qui est le cas en l'espèce, est la Règle
337(8), dont voici le texte:
Règle 337. ...
(8) Lorsqu'un jugement ou une ordonnance est rendu autre-
ment qu'en séance publique, ou qu'une déclaration des conclu
sions de la Cour est faite comme l'autorise l'alinéa (2)b), le
fonctionnaire compétent du greffe doit, sans délai, en faire
parvenir une copie certifiée à toutes les parties par courrier
recommandé.
Comme nous l'avons souligné plus haut, l'ordon-
nance que le juge en chef adjoint a rendue orale-
ment le 15 août 1985 n'a pas été traitée par le
greffe de la Cour sous forme de décision écrite
avant le 19 août 1985. Le même jour, l'avocat des
intimés a reçu signification d'une copie de l'ordon-
nance. Il était naturellement présent lors du pro-
noncé oral de l'ordonnance, il avait souscrit par
écrit, le 15 août, au projet d'ordonnance quant à sa
forme, et il avait, de fait, reçu du greffe une copie
de l'ordonnance à la suite de son enregistrement.
Les seules autres Règles qu'il y a lieu de citer
sont les Règles 300(1), 300(3) et 308:
Règle 300. (1) Sous réserve de l'alinéa (2), toute personne qui
n'est pas un incapable, qu'elle poursuive en qualité de fidu-
ciaire, comprenant (trustee ou personal representative) ou de
fiduciaire à tout autre titre, peut engager et continuer une
procédure devant la Cour soit par procureur ou solicitor, soit
personnellement.
(3) Sous réserve des autres dispositions du présent alinéa,
lorsqu'une partie a fait une démarche dans une procédure au
moyen d'un document signé par un procureur ou un solicitor,
celui-ci est censé être le procureur ou solicitor de cette partie
inscrit au dossier jusqu'à ce qu'un changement soit effectué
d'une façon prévue par la présente Règle.
Règle 308. Lorsque les présentes Règles exigent de signifier un
document à une personne, il n'est nécessaire de le faire par voie
de signification à personne que si une disposition des présentes
Règles ou une ordonnance de la Cour exige expressément ce
mode de signification pour ce genre de document.
Il n'est pas contesté que les deux intimés étaient
représentés par un avocat tout au long des procé-
dures et que ce dernier était habilité à agir pour
leur compte. Il est constant qu'aucune disposition
des Règles n'exige qu'une ordonnance comme celle
qu'a rendue le juge en chef adjoint, laquelle a
donné lieu à l'ordonnance de justification du juge
Strayer, soit signifiée personnellement aux intimés,
de sorte que normalement on s'attendrait à ce que
la signification au solicitor inscrit au dossier, con-
formément à la Règle 308, soit suffisante. Par
contre, il existe, il est vrai, des règles comme la
Règle 355(4) qui portent que la signification à
personne d'un document est nécessaire".
Nonobstant ces Règles, le juge Strayer était
d'avis que:
... d'après les principes de common law ... l'ordonnance doit
être signifiée personnellement à la partie si l'on veut par la suite
pouvoir invoquer cette signification pour affirmer que la partie
avait pris connaissance de l'ordonnance à laquelle elle est
accusée d'avoir contrevenus.
Étant donné cette opinion, il est intéressant de
noter que le juge Strayer, dans l'ordonnance de
justification qu'il a prononcée le 4 octobre 1985, a
déclaré entre autres choses qu'«il est ordonné par
les présentes que les intimés qui y sont nommés se
Règle 355. .. .
(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au
tribunal commis hors de la présence du juge que s'il lui a été
signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de com-
paraître devant la Cour, au jour et à l'heure fixés pour entendre
la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas
échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite.
Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initia
tive, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à
personne, à moins qu'un autre mode de signification ne soit
autorisé pour des raisons valables. La demande d'ordonnance
de justification enjoignant d'exposer les raisons peut être pré-
sentée sans qu'il soit nécessaire de la faire signifier.
SÀlap.20.
présentent devant cette Cour en personne ou par
l'intermédiaire de leur mandataire», le juge étant
apparemment d'avis que la représentation des inti-
més par avocat constituait une raison valable, au
sens donné à cette expression par la Règle 355(4),
pour qu'ils n'aient pas à recevoir la signification à
personne, comme l'exige cette disposition.
Cela étant dit, je crois avec déférence que le
juge a commis une erreur en statuant qu'il faut
recourir aux règles de la common law pour décider
si la conclusion qu'il y a eu acte de désobéissance
doit reposer sur la signification à personne de
l'ordonnance à laquelle il aurait été contrevenu. À
mon sens, les Règles de la Cour fédérale citées plus
haut fournissent un code complet des modalités
propres à la notification des ordonnances de la
Cour. Selon la preuve, il ne fait aucun doute qu'il
a été entièrement satisfait en l'espèce aux Règles
concernées, de sorte que le prononcé de l'ordon-
nance en séance publique en présence du représen-
tant dûment autorisé des intimés, et sa significa
tion postérieure à ce dernier, constituaient un avis
donné aux intimés tout autant que s'ils avaient été
personnellement présents et que l'ordonnance leur
avait été signifiée. Pour pouvoir réfuter la pré-
somption qu'ils ont eu notification valable de l'or-
donnance vu la présence de leur solicitor inscrit au
dossier et la signification qui lui a été faite de ce
document, les intimés devraient absolument four-
nir des éléments de preuve démontrant qu'en dépit
des prétentions contraires du solicitor inscrit au
dossier, celui-ci n'était autorisé ni en fait ni en
droit à agir pour leur compte. Or, les intimés n'ont
présenté aucune preuve admissible leur permettant
d'affirmer ce qui précède, et ils n'ont pas davan-
tage soumis la preuve admissible qu'ils n'avaient
aucune connaissance de l'ordonnance en question.
Qui plus est, ils ont laissé entendre et ils conti-
nuent à laisser entendre que leur avocat est auto-
risé à agir en leur nom. Ce fait, selon les règles
ordinaires du mandat, aussi bien que l'autorisation
que donnent les Règles au solicitor d'agir pour ses
clients et de recevoir signification d'une ordon-
nance pour eux, suffisent, à mon sens, à constituer
un avis suffisant de l'ordonnance aux intimés, et
par conséquent à fournir à la Cour le fondement
nécessaire pour déterminer, selon une preuve régu-
lière, si les intimés ont désobéi à l'ordonnance
prononcée par le juge en chef adjoint le 15 août
1985.
Prétendre le contraire rendrait pour le moins
difficile le règlement rapide des litiges soumis à
cette Cour. Ainsi, dans quelles circonstances une
partie est-elle fondée à considérer comme valide la
signification des jugements et des ordonnances
effectuée, conformément aux Règles, au solicitor
inscrit au dossier de l'autre partie, et quand doit-
elle prévoir un acte de désobéissance ou une autre
éventualité qui rend préférable la signification per-
sonnelle à l'autre partie? J'imagine que si le juge
Strayer a raison, il serait prudent que les parties ne
se fient jamais aux Règles et qu'elles effectuent
toujours la signification aux parties. Une telle
optique, semble-t-il, discréditerait les Règles au
point où elles en deviendraient pratiquement risi-
bles en ce qui concerne la signification effectuée
aux solicitors.
Les conséquences d'un tel point de vue, particu-
lièrement en ce qui regarde les procédures qui se
déroulent devant cette Cour, ont une large portée
si l'on se rappelle que ces procédures peuvent être
prises et être menées par les parties et les avocats
dans toutes les parties du pays. Comment, en
pratique, un avocat en Colombie-Britannique ou à
Terre-Neuve peut-il espérer effectuer auprès d'un
ministre à Ottawa, la signification à personne
d'une ordonnance rendue dans une partie quelcon-
que de ces provinces, alors que tous savent com-
bien il est difficile, même pour ceux qui connais-
sent bien le milieu gouvernemental, d'avoir accès
auprès d'un ministre, et à plus forte raison auprès
d'un ministre souvent absent du pays, dans les
délais que peuvent imposer une telle ordonnance?
La réponse, évidemment, est que cela est impossi
ble. Sans aucun doute les Règles ont-elles été
promulguées, au moins en partie, en tenant compte
d'une telle difficulté. Prétendre le contraire, ce
serait permettre aux avocats de protéger leurs
clients contre de possibles citations pour outrage
au tribunal en les tenant dans l'ignorance, non
seulement de l'existence des jugements ou ordon-
nances prononcés contre eux, mais encore des con-
séquences auxquelles ils s'exposent s'ils ne s'y con-
forment pas. S'il est certes préférable de ne pas
surcharger les ministres de renseignements inuti-
les, il va sans dire qu'il n'est pas souhaitable que
les fonctionnaires ministériels empêchent les plai-
deurs de mettre à exécution de valides directives
judiciaires en ne les portant pas à la connaissance
de leurs ministres.
Il est également peu réaliste, me semble-t-il, de
laisser entendre qu'une partie à un litige contre un
ministre a le fardeau d'effectuer la jonction, à titre
de parties, des personnes à qui le ministre a confié
l'exécution de ses obligations.
Soit dit en passant, il est significatif que bien
que l'avocat des intimés n'ait apparemment pas
partagé son point de vue, M. Deschenes, l'avocat
de la Commission de l'emploi et de l'immigration
du Canada, était d'avis qu'il était possible, si le
dossier ministériel de New Delhi n'était pas pro-
duit sur-le-champ, que «le ministre se trouve à être
coupable d'outrage au tribunal pour n'avoir pas
produit le dossier» 6 .
En concluant comme je l'ai fait que les intimés
avaient été avisés de l'ordonnance concernée en
raison de sa signification à leur solicitor, je n'ai
pas oublié la jurisprudence et les ouvrages nom-
breux auxquels m'a référé l'avocat des intimés et
dont j'ai lu les passages pertinents, qui exposent les
règles de la common law dont parle le juge
Strayer. Certains d'entre eux affirment catégori-
quement que nul ne peut être valablement cité
pour outrage au tribunal s'il n'a reçu personnelle-
ment signification de l'ordonnance à laquelle il
aurait désobéi. Comme j'estime que les Règles de
cette Cour constituent un code complet qui régit la
signification des jugements et des ordonnances aux
solicitors à l'intention de leurs clients, ces derniers
recevant de la sorte notification de la teneur de ces
documents, la jurisprudence et les ouvrages cités
ne s'appliquent pas tous à la situation en l'espèce,
ce qui rend superflu d'en faire l'étude aux fins des
présents motifs.
Responsabilité du fait d'autrui à l'égard de l'ou-
trage au tribunal
Il n'est ni nécessaire ni souhaitable que je traite
de ce point, la seconde question soulevée en appel,
puisque je suis d'avis que la responsabilité des
intimés à l'égard de l'inobservance de l'ordonnance
de la Cour découle de la connaissance qu'en a leur
représentant dûment autorisé, de sorte que la ques
tion de savoir si se trouve engagée la responsabilité
des intimés à l'égard du fait d'autrui ne constitue
pas un point sur lequel nous devons nous prononcer
en l'espèce.
6 Voir plus haut, p. 177.
CONCLUSION
Comme il a été conclu, selon les faits de la
présente espèce, que les intimés se trouvaient régu-
lièrement devant la Cour dans l'instance de justifi
cation, il reste à présent à déterminer si, d'après la
preuve présentée, ils se sont rendus coupables d'ou-
trage au tribunal et, dans l'affirmative, quelles
dispositions il convient d'adopter à cet égard.
L'avocat de l'appelante a évidemment soutenu que
la preuve de leur culpabilité était accablante et que
la question devrait être renvoyée devant le juge de
première instance pour qu'il fixe une sentence.
L'avocat des intimés, d'autre part, a soutenu
que, dans l'hypothèse où nous conclurions que ses
clients se trouvaient régulièrement devant la Cour,
la question devrait être renvoyée devant le juge de
première instance pour être entendue à nouveau
sur le fondement, si j'ai bien compris, que l'exclu-
sion des témoignages établissant l'absence de cul-
pabilité des ministres en cause avait empêché les
intimés de bénéficier d'une audition équitable. Cet
avocat prétend que les intimés, pour établir qu'ils
ne sont pas personnellement coupables des actes de
désobéissance reprochés, devraient se voir accorder
la possibilité de présenter de nouveaux éléments de
preuve à cet effet lors d'une nouvelle audience. Je
traiterai tout d'abord de cette prétention, pour
enchaîner avec les questions qui s'ensuivront.
(a) Lors de l'audience de justification, le juge
Strayer a déclaré inadmissibles les affidavits du
chef de cabinet du ministre de l'Emploi et de
l'Immigration intimé et de l'adjoint ministériel
principal du secrétaire d'État aux Affaires exté-
rieures dans lesquels l'un et l'autre faisaient état
de la connaissance de l'ordonnance qu'avaient
leurs ministres respectifs. J'estime que le juge a eu
raison de prendre la décision qu'il a prise. Il a
également conclu qu'il serait
... injuste envers la requérante d'ajourner encore les procédu-
res afin de permettre aux avocats des intimés de compléter leur
preuve après que les affidavits constitués de ouï-dire produits
pour le compte des intimés eurent été rejetés'.
J'estime également bien fondée la conclusion
qu'il a prise à l'égard de cet argument. On nous
demande néanmoins à présent de renvoyer la ques
tion devant le juge de première instance pour la
même fin, c'est-à-dire pour permettre aux intimés
'Àlap.14.
de présenter des éléments de preuve établissant
pourquoi ils ne s'étaient pas rendus coupables
d'outrage au tribunal. A mon point de vue, les
intimés, qui ont arrêté le moyen de défense opposé
à la requête en justification, ne doivent pas, après
l'échec de celui-ci, être autorisés à présenter un
autre moyen de défense à l'encontre de cette
requête.
(b) Cette Cour est-elle habilitée à rendre juge-
ment sur cette question ou cette dernière doit-elle
être renvoyée devant la Division de première ins
tance pour être tranchée? À mon point de vue,
dans l'hypothèse où des actes de désobéissance
imputables aux intimés auraient été commis en
l'espèce, nous serions autorisés en vertu de l'article
52 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10] à rendre la décision que la
Division de première instance aurait dû rendre et
nous devrions exercer un tel pouvoir.
(c) A-t-il été désobéi à l'ordonnance en cause?
M. le juge Strayer a eu ceci à dire à ce sujet 8 :
Il n'y a évidemment aucune preuve que les intimés ont person-
nellement posé quelque geste pour se conformer à l'ordonnance.
Toutefois, j'en suis venu à la conclusion que les personnes qui
ont agi pour le compte des intimés n'ont exécuté ni la lettre ni
l'esprit de l'ordonnance. Je reconnais que dans le cadre de
procédures d'outrage au tribunal il faut interpréter strictement
l'ordonnance qui a présumément été enfreinte, puisqu'une ques
tion de culpabilité ou d'innocence est en jeu.
Finalement, pour des fins de commodité, je
reproduis à nouveau l'extrait suivant de la décision
du juge Strayer 9 :
Par conséquent, je suis tenu de conclure, compte tenu de la
façon dont s'est soldée la production de ce dossier, de la preuve
concernant les directives inadéquates données par M. Brisson et
de l'absence de quelque élément de preuve établissant que des
directives auraient été données au nom du ministère qui exer-
çait le contrôle sur le dossier, qu'aucune directive n'a été
donnée au nom des intimés de la manière requise par l'ordon-
nance du 15 août. Il n'y a pas eu non plus de suivi efficace afin
de s'assurer que le but visé par l'ordonnance était atteint.
Il ressort clairement de ces conclusions que les
actes dont j'ai trouvé les ministres responsables
tenaient de la désobéissance, car l'on ne s'est pas
conformé aux exigences des directives données
dans l'ordonnance du juge en chef adjoint, rendue
le 15 août 1985.
8Àlap.16.
9 À la p. 18.
(d) Quelle peine devrait donc être imposée?
Comme aucun des avocats agissant pour l'une et
l'autre des parties en l'espèce n'a présenté d'argu-
ment relativement à la nature de la peine qui doit
être déterminée, cette question devrait être ren-
voyée devant le juge Strayer pour que, après avoir
pris connaissance des observations pertinentes des
parties, il impose, le cas échéant, une telle peine.
En résumé, j'accueillerais l'appel et je conclurais
que les intimés ont commis un outrage au tribunal
en ne se conformant pas à l'ordonnance du juge en
chef adjoint prononcée le 15 août 1985. La ques
tion devrait être renvoyée devant le juge Strayer
pour qu'il détermine la peine appropriée. Considé-
rant les circonstances de la présente affaire, l'appe-
lante a droit à ses dépens tant aux procédures de
justification devant la Division de première ins
tance que dans son appel devant cette Cour et ce,
sur la base procureur-client.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
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