T-2533-87
Gail Horii (demanderesse)
c.
Réal LeBlanc, en sa qualité de commissaire du
Service correctionnel et Rodger B. Brock, en sa
qualité de directeur de l'établissement Mission, à
Mission (Colombie-Britannique), et T. A. Jones et
Blaine Hadden, en leur qualité de membres du
conseil régional de transfèrement de la région
Pacifique du Service correctionnel (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: HORII C. CANADA (COMMISSAIRE AUX SERVICES
CORRECTIONNELS)
Division de première instance, juge Reed—
Vancouver, 2 décembre; Ottawa, 8 décembre
1987.
Pénitenciers — Une détenue cherche à éviter un transfere-
ment du pavillon médical de l'établissement Mission, une
prison pour hommes, à sécurité moyenne, en C.-B., à la prison
pour femmes à Kingston (Ontario) — Le mari de la détenue est
en C.-B., et il souffre de troubles cardiaques sérieux — La
détenue souhaite être incarcérée en C.-B. afin d'aider son mari
à se rétablir — Il n'y a pas de prison pour femmes en C.-B. —
Ce fait constitue-t-il une discrimination sexuelle, en violation
de l'art. 15 de la Charte? — Appartient-il aux tribunaux de
dire aux autorités correctionnelles comment elles doivent
administrer une prison? — Les détenus n'ont pas le droit de
choisir l'institution — Les tribunaux contrôleront les décisions
de transferement en cas de violation des garanties prévues par
la Charte — On conteste ici non pas une loi fédérale mais des
usages administratifs — Ces usages sont tributaires de la
disponibilité des installations — Il n'est pas évident que le
droit invoqué par la demanderesse d'être incarcérée dans sa
propre province découle de la Charte — S'il y a violation de
l'art. 15 de la Charte, les autorités auront besoin d'un certain
délai pour remédier à la situation — Injonction refusée, vu le
manque de preuve.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à l'éga-
lité — Action en jugement déclaratoire que l'omission d'avoir
un établissement fédéral ou de prévoir d'autres dispositions
pour l'incarcération des femmes en Colombie-Britannique
constitue une mesure de discrimation sexuelle, en violation de
l'art. 15 de la Charte — Demande d'injonction interlocutoire
en vue d'empêcher le transferement des locaux temporaires
qu'elle occupe au pavillon médical d'une institution pénale
pour hommes en C.-B. vers la prison pour femmes à Kingston
(Ontario) — Le mari est gravement malade en C.-B. — À
court terme, la balance des inconvénients penche en faveur de
la demanderesse — Question sérieuse à trancher — L'injonc-
tion interlocutoire ayant un effet d'exemption ne peut être
prise dans les affaires intéressant la Charte — On ne peut
prédire qu'il y aura une multitude d'injonctions individuelles
du même genre — Accorder l'injonction prolongerait de façon
indéfinie une situation temporaire, ce qui aurait pour effet de
modifier, non de maintenir le statu quo — Pas de droit évident
d'être incarcéré dans sa propre province découlant de la Charte
— Preuve insuffisante quant aux besoins réels et à la disponi-
bilité d'autres lieux d'incarcération dans la province —
injonction refusée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 15, 24.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
DÉCISIONS CITÉES:
Cline c. Reynett et al., ordonnance en date du 18 mars
1981, Cour fédérale, Division de première instance,
T-894-81; Butler c. La Reine et autre (1983), 5 C.C.C.
(3d) 356 (C.F. l' inst.); Gould c. Procureur général du
Canada et autre, [1984] 2 R.C.S. 124, confirmant [1984]
1 C.F. 1133 (C.A.); Pacific Trollers Association c. Pro-
cureur général du Canada, [1984] 1 C.F. 846 (1" inst.);
Arctic Offshore Limited c. Ministre du Revenu national
(1986), 5 F.T.R. 300 (C.F. 1"° inst.); Morgentaler et al. v.
Ackroyd et al. (1983), 42 O.R. (2d) 659 (H.C.); Re:
Anaskan and The Queen (1977), 15 O.R. (2d) 515
(C.A.); Bruce c. Yeomans, [1980] I C.F. 583 (1' inst.);
Re Hay et Commission nationale des libérations condi-
tionnelles et autre (1985), 21 C.C.C. (3d) 408; 13
Admin. L.R. 17 (C.F. 1" inst.); Collin c. Lussier, [1983]
1 C.F. 218 (1" inst.).
AVOCATS:
T. E. La Liberte, pour la demanderesse.
George C. Carruthers, pour les défendeurs.
PROCUREURS:
La Liberte, Hundert, Vancouver, pour la de-
manderesse.
Le sous-procureur général du Canada, pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse introduit une
requête en injonction visant à interdire au commis-
saire du Service correctionnel, au directeur de
l'établissement Mission et aux autres défendeurs
de la transférer de l'établissement Mission en
Colombie-Britannique à la prison de femmes de
Kingston (Ontario).
L'époux de la demanderesse est gravement
malade. Il a eu une crise cardiaque le 15 septem-
bre 1987, une autre le 12 octobre 1987, un arrêt
du coeur le 26 octobre 1987 et une nouvelle crise le
14 novembre 1987. Les défendeurs ne contestent
pas la gravité de son cas. Ils ne contestent pas non
plus l'affirmation de la demanderesse, selon
laquelle sa présence en Colombie-Britannique, en
un lieu suffisamment proche pour lui permettre de
visiter son mari, pourrait contribuer au rétablisse-
ment de celui-ci.
La demanderesse avait été convaincue de meur-
tre au second degré en mai 1986, et fut initiale-
ment incarcérée à la prison de femmes de Lake-
side, qui fait partie du Centre correctionnel
régional de la basse Colombie-Britannique à Bur-
naby. En août 1986, elle fut transférée à la prison
de femmes de Kingston. Il appert qu'il n'y a aucun
pénitencier fédéral pour femmes en Colombie-Bri-
tannique.
Le 29 octobre 1987, la demanderesse fut trans-
férée de nouveau en Colombie-Britannique, à l'éta-
blissement Mission, car pendant son séjour à
Kingston, elle avait demandé à plusieurs reprises à
être renvoyée en Colombie-Britannique, où elle
serait plus près de son mari. Le transfèrement
d'octobre eut lieu après qu'elle eut accusé récep-
tion, en y apposant sa signature, d'une lettre, dont
l'objet était expressément:
[TRADUCTION] ... de confirmer que le Service correctionnel
du Canada est disposé à vous transférer à l'établissement
Mission pour une période de 30 jours, au terme de laquelle des
dispositions seront prises pour vous retransférer à la prison de
femmes en Ontario.
La lettre prévoit diverses conditions de bonne con-
duite pendant les 30 jours (engagement de ne pas
faire la grève de la faim, de coopérer avec le
personnel administratif pour le transfèrement et de
ne rien faire pour retarder son retour à Kingston
au terme de la période de 30 jours).
L'établissement Mission est une prison à sécu-
rité moyenne pour hommes. La demanderesse était
logée au pavillon médical de l'établissement. Les
défendeurs ne contestent pas l'affirmation de la
demanderesse, selon laquelle elle n'est pas un
risque de sécurité et, à part les efforts qu'elle a
faits pour rester en Colombie-Britannique, sa con-
duite a été exemplaire. Les mesures qu'elle a prises
pour faire pression sur les autorités responsables
afin de retourner et de rester en Colombie-Britan-
nique consistaient en diverses grèves de la faim
pendant son séjour à Kingston et, maintenant, en
une menace de résistance passive, à savoir qu'elle
resterait assise et qu'on devrait l'emporter de force
si on voulait la renvoyer à Kingston.
Le 30 novembre 1987, le directeur régional du
Service correctionnel du Canada pour la région
Pacifique signa le mandat portant transfèrement
de la demanderesse à Kingston. Celle-ci a déposé
une demande en jugement déclarant que l'omission
par les défendeurs d'avoir un établissement fédéral
ou de prévoir d'autres dispositions pour l'incarcé-
ration des femmes en Colombie-Britannique cons-
tituait une mesure de discrimination sexuelle, en
violation de l'article 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Pareilles installations sont prévues pour les
hommes dans chaque province. Aussi ces derniers
peuvent-ils être incarcérés près de leur famille,
alors que ce n'est pas le cas pour les femmes.
Parallèlement à l'action en jugement déclara-
toire, la demanderesse recherche une injonction et
tout autre remède qu'elle pourrait invoquer par
application de l'article 24 de la Charte. Les défen-
deurs reconnaissent qu'elle a soulevé une impor-
tante question au regard de la Charte. L'avocat
des défendeurs craint notamment que le fait d'ac-
corder la requête en injonction de la demanderesse
reviendrait à lui accorder un remède permanent vu
le nombre d'années qui se passeraient avant que la
question issue de la Charte ne soit tranchée en
dernier ressort par la Cour suprême.
Si on met en balance les inconvénients de part et
d'autre, il est constant qu'à court terme tout au
moins, elle penche en faveur de la demanderesse.
Son époux est gravement malade. Les défendeurs
admettent que la présence de la demanderesse en
ces lieux lui est médicalement bénéfique. Faute de
raisons impératives, l'obliger à retourner mainte-
nant à Kingston semble vraiment très dur. Les
motifs invoqués par les défendeurs figurent comme
suit dans l'affidavit de M. McGregor:
[TRADUCTION] Le fonctionnement du pavillon médical de
l'établissement Mission a dû être modifié pour répondre au cas
spécial que représente GAIL HORII. Comme il était prévu que ce
serait un séjour temporaire, les dispositions spéciales relatives à
sa surveillance étaient prises sur une base quotidienne. Ce
pavillon n'est pas prévu pour les soins de longue durée, et
l'établissement Mission n'a pas le personnel nécessaire pour
assurer une surveillance permanente. Toute prolongation du
séjour de GAIL HORII aura des répercussions profondes sur le
fonctionnement de l'établissement à sécurité moyenne Mission
dans son ensemble.
L'avocat des défendeurs m'a appris que la
moitié à peu près des détenues originaires de la
Colombie-Britannique, qui auraient dû être incar-
cérées dans des établissements fédéraux, sont en
fait détenues en Colombie-Britannique par suite
d'arrangements pris avec les établissements provin-
ciaux. Les placements de ce genre sont fonction du
nombre de places disponibles dans ces établisse-
ments. Par ailleurs, il fait savoir que le renvoi à
Kingston ne signifie pas que la demanderesse ne
serait pas ramenée par la suite en Colombie-Bri-
tannique pour un séjour temporaire, si les autorités
responsables le jugeaient indiqué. Par conséquent,
je ne saurais conclure qu'il existe des raisons pres-
santes d'une urgence telle que les défendeurs doi-
vent absolument transférer la demanderesse. D'un
autre côté, sa présence continue à Mission consti-
tue manifestement un fardeau sur le plan adminis-
tratif. Je pense qu'on peut conclure raisonnable-
ment des faits de la cause que les défendeurs ont
décidé de transférer la demanderesse pour démon-
trer qu'ils en ont le pouvoir. Les preuves adminis-
trées ne font certainement ressortir aucun fait qui
établisse un besoin pressant en la matière.
Voici les principaux arguments soutenus par
l'avocat des défendeurs: (1) il n'appartient pas aux
tribunaux de dire aux autorités correctionnelles
comment elles doivent administrer une prison, cf.
Cline c. Reynett et al. (ordonnance en date du 18
mars 1981, de la Cour fédérale, Division de pre-
mière instance, numéro du greffe: T-894-81);
Butler c. La Reine et autre (1983), 5 C.C.C. (3d)
356 (C.F. l ie inst.); (2) faire droit à la requête en
injonction interlocutoire de la demanderesse
revient en fait à lui reconnaître le droit qu'elle dit
tenir de la Charte avant que ce droit n'ait été
établi, cf. Gould c. Procureur général du Canada
et autre, [1984] 2 R.C.S. 124, confirmant [1984]
1 C.F. 1133 (C.A.); Pacific Trollers Association c.
Procureur général du Canada, [1984] 1 C.F. 846
(ire inst.); et Arctic Offshore Limited c. Ministre
du Revenu national (1986), 5 F.T.R. 300 (C.F. ire
inst.) qui mentionne Morgentaler et al. v. Ackroyd
et al. (1983), 42 O.R. (2d) 659 (H.C.), à la page
668; (3) dans l'état actuel des choses, les autorités
carcérales sont investies du pouvoir absolu de déci-
der en quel lieu un détenu sera incarcéré et, en
l'espèce, la demanderesse a été ramenée en Colom-
bie-Britannique étant expressément entendu que ce
serait pour un séjour de 30 jours seulement et qu'à
la fin de cette période, elle coopérerait avec les
autorités pour son retour à Kingston.
En ce qui concerne le premier argument, il est
vrai que les tribunaux ont tendance à respecter les
décisions prises par les autorités correctionnelles,
par les motifs invoqués dans la jurisprudence citée.
De même, les détenus n'ont pas le droit d'être
incarcérés dans tel ou tel établissement plutôt que
tel autre, bien qu'à mon avis, il y ait des avantages
reconnus, sur le plan pénologique, à incarcérer un
détenu dans un établissement à proximité de sa
famille. Parmi les décisions qui statuent qu'il
n'existe aucun «droit» pour un détenu d'être incar-
céré dans un établissement particulier, on peut
citer: Re: Anaskan and The Queen (1977), 15
O.R. (2d) 515 (C.A.); Bruce c. Yeomans, [1980] 1
C.F. 583 (1 « inst.).
La non-ingérence dont les tribunaux ont fait
traditionnellement preuve envers les décisions des
autorités correctionnelles n'a cependant plus cours
à la suite des décisions postérieures à la Charte,
lesquelles ont fait ressortir la volonté de contrôler
certaines décisions de transfèrement, tout au moins
en cas de violation des garanties prévues par l'arti-
cle 7 de la Charte. Voir Re Hay et Commission
nationale des libérations conditionnelles et autre
(1985), 21 C.C.C. (3d) 408; 13 Admin. L.R. 17
(C.F. 1 inst.); Collin c. Lussier, [1983] 1 C.F.
218 (1« inst.).
En ce qui concerne le deuxième argument, il est
vrai que par l'arrêt Gould, la Cour suprême a jugé
qu'il n'y avait pas lieu à injonction interlocutoire
dans les affaires intéressant la Charte, mais on
peut trouver une explication plus détaillée des
règles applicables dans un arrêt plus récent, Mani-
toba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Dans cet arrêt, le juge
Beetz, prononçant les motifs retenus par la Cour,
décide que l'application littérale du principe de la
présomption de validité constitutionnelle aux affai-
res intéressant la Charte va à l'encontre du «carac-
tère innovateur et évolutif» de cette dernière (voir
à la page 122). Il distingue les injonctions interlo-
cutoires rendues dans les affaires intéressant la
Charte et qui ont un effet «suspensif», et celles qui
ont un effet d'«exemption». Une injonction a un
effet suspensif quand elle interdit à une autorité
publique l'application générale des dispositions
contestées d'une loi. Elle a un effet d'«exemption»
quand elle lui interdit d'appliquer les dispositions
contestées à l'égard d'une partie en litige. En
second lieu, certaines injonctions d'exemption peu-
vent avoir un effet suspensif si le précédent créé en
la matière pourrait ouvrir la voie à une multitude
d'injonctions individuelles du même genre. Le juge
Beetz se prononce en ces termes aux pages 147 et
148:
Dans un cas comme l'affaire Morgentaler ... accorder à un
médecin une exemption temporaire de l'application des disposi
tions du Code criminel rend pratiquement impossible de la
refuser à d'autres médecins ...
Cela dit, j'estime avec égards que le juge Linden pose un
critère trop sévère quand il dit dans la décision Morgentaler,
précitée, que ce n'est que dans des cas «exceptionnels» ou
«rares» que les tribunaux accorderont une injonction interlocu-
toire. À mon sens, le critère est trop sévère, du moins dans les
cas d'exemption lorsque les dispositions attaquées revêtent la
forme de règlements applicables à un nombre relativement
restreint de personnes et lorsqu'aucun préjudice appréciable
n'est subi par le public ...
D'un autre côté, dans les cas de suspension, lorsque les
dispositions contestées sont de portée large et générale et
touchent un grand nombre de personnes, l'intérêt public com-
mande normalement davantage le respect de la législation
existante. Il se peut bien que le critère susmentionné qu'a
formulé le juge Linden dans l'affaire Morgentaler, précitée,
convienne mieux à ce type de cas ...
Et encore à la page 149:
En bref, je conclus que, lorsque l'autorité d'un organisme
chargé de l'application de la loi fait l'objet d'une attaque fondée
sur la Constitution, aucune injonction interlocutoire ni aucune
suspension d'instance ne devrait être prononcée pour empêcher
cet organisme de remplir ses obligations envers le public, à
moins que l'intérêt public ne soit pris en considération et ne
reçoive l'importance qu'il mérite dans l'appréciation de la
prépondérance des inconvénients.
Ce qui est en cause en l'espèce, ce n'est pas une
loi fédérale d'application générale, mais des usages
administratifs d'autorités correctionnelles, usages
dont il est constant qu'ils sont tributaires de la
disponibilité des installations matérielles. L'avocat
des défendeurs s'inquiète de ce que, la demande-
resse eût-elle gain de cause, toutes les autres
femmes qui sont incarcérées hors leur propre pro
vince auraient droit à une injonction opérant leur
transfèrement dans cette dernière pour leur incar-
cération, situation qui, soutient-il, serait impossible
sur le plan administratif. Rien dans le dossier ne
permet de savoir combien de personnes seraient
dans cette situation ni si celle-ci serait impossible
sur le plan administratif. L'avocat de la demande-
resse m'a informée qu'en ce qui concerne la
Colombie-Britannique, il y a 17 femmes originai-
res de la province qui sont incarcérées à l'extérieur
(c'est-à-dire à Kingston). Par ailleurs, le facteur
crucial qui fait pencher la balance nettement en
faveur de la demanderesse est l'état de santé de
son époux. Il est probable que ce facteur ne joue
pas en faveur d'un grand nombre d'autres déte-
nues, qui ne pourraient donc invoquer la balance
des inconvénients en leur faveur.
Qu'en est-il de l'argument concernant le statu
quo? La demanderesse a été temporairement
transférée à Mission par suite de considérations
humanitaires; des dispositions spéciales ont été
prises pour la loger dans le pavillon médical d'une
prison à sécurité moyenne pour hommes, avec
engagement de sa part de coopérer avec les autori-
tés responsables lorsqu'il s'agirait de la retransfé-
rer à Kingston, et de ne rien faire pour retarder ce
retransfert. Dans un sens, elle n'avait pas d'autre
choix que de signer cet engagement, faute de quoi
elle aurait dû rester à Kingston. Cependant, cet
engagement et le fait qu'elle a été logée par des
dispositions spéciales d'urgence, prévues seulement
pour un court séjour, revêtent tous deux une
importance particulière en l'espèce. En cas d'in-
jonction interlocutoire, les autorités correctionnel-
les responsables seraient obligées de proroger sur
une période plus longue, voire indéfinie, des dispo
sitions qu'elles avaient prises pour faire face à une
situation d'urgence mais temporaire. Les injonc-
tions interlocutoires ont pour objet de maintenir le
statu quo. Je ne suis pas convaincue qu'une injonc-
tion interlocutoire rendue en l'espèce pourrait être
interprétée comme maintenant le statu quo, et non
pas comme remplaçant ce statu quo par autre
chose.
Quoi qu'il en soit, le facteur le plus important à
mes yeux est la nature du droit que la demande-
resse dit tenir de la Charte. Il ne ressort pas d'une
lecture de la Charte que le droit invoqué par la
demanderesse (à savoir celui d'être incarcérée dans
sa propre province) découle manifestement de ce
texte. Ce cas est l'un des cas visés par le juge Beetz
dans l'arrêt Metropolitan Stores, et qu'un juge des
référés ne saurait trancher sans avoir entendu
témoignages et argumentations exhaustives. Voilà
une intéressante question que de savoir si le
manque de pénitenciers pour femmes dans leur
province d'origine constitue une mesure de discri
mination sexuelle, d'autant plus que la différence
de traitement tient à ce qu'il y a toujours eu
beaucoup moins de femmes que d'hommes détenus
en prison. Qui plus est, si ce manque d'installations
constitue effectivement une mesure discriminatoire
aux yeux de la loi, et par conséquent une infraction
à l'article 15, ce cas est l'un de ceux où le remède
qu'imposerait probablement la cour fixerait un
certain délai pour les autorités de remédier à la
situation. Pareil remède dépendrait évidemment
des preuves administrées sur ce qu'il faut faire et
sur la disponibilité d'autres formes d'incarcération
possibles dans la province. Nulle preuve de ce
genre n'a été produite dans cette requête. J'en
conclus qu'il n'y a pas lieu d'exercer les pouvoirs
discrétionnaires de la Cour pour rendre une injonc-
tion interlocutoire en faveur de la demanderesse.
Par ces motifs, la requête de la demanderesse
sera rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.