T-2748-85
Stelco Inc., Ramsay McDonald, Brian Arthur,
Jean Menard, Claude Veronneau, Douglas Wood-
ward et Reginald Clayton (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada, Commission sur les
pratiques restrictives du commerce, Richard B.
Holden et Michael P. O'Farrell, directeur des
enquêtes et recherches (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: STELCO INC. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 30 janvier 1986; 19 mars 1987;
Ottawa, 10 août 1987.
Coalitions — L'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions est-il incompatible avec les libertés garanties par
l'art. 7 de la Charte? — Enquête fondée sur l'art. 8 pour
déterminer si la société vendait de l'acier d'armature à un prix
inférieur à celui auquel il était vendu aux concurrents — Une
ordonnance enjoignait aux dirigeants de la société de témoi-
gner sous serment — La procédure prévue par la loi répond-
elle aux exigences de la justice fondamentale? — Le membre
de la Commission qui ordonne l'interrogatoire est-il inapte à
remplir cette fonction parce qu'il n'est pas un arbitre impar
tial? — Caractère adéquat du droit d'être représenté par un
avocat — Droit à la protection contre l'auto-incrimination —
Les fonctions de la Commission sont administratives — Pou-
voirs de nature judiciaire conférés par l'art. 17 à un juge de la
Cour fédérale, d'une cour supérieure ou d'une cour de comté
— Les procédures n'établissent aucun droit, ni imposent
aucune obligation — Le droit de ne pas être forcé à témoigner
est limité aux enquêtes policières et aux procès — Les procé-
dures ne sont pas de celles qui exigent la protection contre
l'auto-incrimination accordée à une personne inculpée d'une
infraction — Ni le directeur ni la Commission n'ont le pouvoir
d'intenter des poursuites pénales — L'art. 17 de la Loi ne viole
ni l'art. 7 de la Charte ni les principes de justice fondamentale.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions — La procédure répond-elle aux exigences de la
justice fondamentale? — Un membre de la Commission qui
peut ordonner l'interrogatoire est-il inapte à remplir cette
fonction parce qu'il n'est pas un arbitre impartial? — Carac-
tère adéquat du droit d'être représenté par un avocat — Il n'y
a pas violation de l'art. 7 de la Charte car les procédures sont
administratives et non judiciaires et n'établissent aucun droit
— L'art. 7 de la Charte prévoit le droit à la protection contre
l'auto-incrimination — S'agit-il d'un droit résiduaire qui
s'ajoute aux droits spécifiquement reconnus par les art. 11 et
13? — Le droit de ne pas être forcé à témoigner est limité aux
enquêtes policières et aux procès — Les procédures que prévoit
l'art. 17 de la Loi ne sont pas de celles qui exigent la
protection contre l'auto-incrimination accordée à une personne
inculpée d'une infraction — Ni le directeur ni la Commission
n'ont le pouvoir d'intenter des poursuites pénales.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Demande
visant à obtenir des ordonnances de certiorari et de prohibition
dans une action en vue d'obtenir un jugement déclarant que
l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est
incompatible avec les garanties que prévoit l'art. 7 de la
Charte — On a ordonné aux dirigeants de la société qui fait
l'objet d'une enquête de témoigner sous serment — La procé-
dure prévue par la Loi répond-elle aux exigences de la justice
fondamentale? — Le membre de la Commission qui peut
ordonner l'interrogatoire est-il inapte à remplir cette fonction
parce qu'il n'est pas un arbitre impartial? — Caractère adé-
quat du droit d'être représenté par un avocat — Les fonctions
de la Commission sont administratives et non judiciaires
Les procédures n'établissent aucun droit — Il n'y a pas
violation du droit à la protection contre l'auto-incrimination
— Demande rejetée.
Il s'agit d'une demande visant à obtenir une ordonnance de
certiorari annulant les ordonnances rendues en application de
l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et
une ordonnance de prohibition interdisant aux défendeurs de
procéder aux audiences prévues à l'article 17. Aux termes de
l'article 17, qui permet l'interrogatoire sous serment d'une
personne, les requérants ont été informés qu'une enquête en
vertu de l'article 8 avait été entreprise pour déterminer s'il
existait des preuves selon lesquelles Stelco Inc. avait commis un
acte criminel en violation de l'alinéa 34(1)a). On a ordonné aux
requérants, qui occupaient des postes de gestion au sein de la
société requérante, de comparaître et de témoigner sous ser-
ment. On les a informé qu'ils avaient le droit d'être représentés
par un avocat. Les requérants font valoir que le pouvoir de les
contraindre à témoigner constitue une atteinte à leur droit de
ne pas s'incriminer et contrevient à l'article 7 de la Charte. Ils
soutiennent en outre que la procédure prévue par la Loi ne
répond pas aux exigences de la justice fondamentale en ce qui a
trait au droit d'être représenté par un avocat. Ils prétendent que
le membre de la Commission qui peut ordonner l'interrogatoire
de toute personne n'est pas un arbitre impartial et qu'il est donc
inapte à remplir cette fonction.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Le raisonnement, dans l'arrêt Southam, en vertu duquel on
conclut à l'inconstitutionnalité du pouvoir que prévoit l'article
10 d'ordonner une perquisition et une saisie ne s'applique pas et
n'appuie pas l'argument voulant que le membre de la Commis
sion ne soit pas un arbitre impartial. Le pouvoir de contraindre
une personne à témoigner constitue une partie essentielle des
devoirs d'enquête imposés à la Commission et constitue simple-
ment un acte administratif. Le paragraphe 17(3) réserve
expressément les pouvoirs d'exécution et de sanction à un juge
de la Cour fédérale, d'une cour supérieure ou d'une cour de
comté.
La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Irvine c. Canada
(Commission sur les pratiques restrictives du commerce) a
statué que compte tenu de la nature des procédures que prévoit
l'article 17, des conséquences possibles et des garanties prévues
par la Loi, l'équité n'exigeait pas l'entière participation des
avocats aux audiences. La justice fondamentale n'exige pas en
l'espèce le droit à l'assistance d'un avocat applicable aux procé-
dures judiciaires car les procédures que prévoit l'article 17
n'établissent aucun droit, ni imposent aucune obligation, se
déroulent à huis clos et donnent lieu tout au plus à un exposé
des éléments de preuve devant la Commission. Cette décision
règle l'argument des requérants selon lequel le droit limité
d'être représenté par un avocat que prévoit la Loi ne répond pas
aux exigences de la justice fondamentale.
Le raisonnement de l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. et al.
v. Director of Investigation and Research et al. s'applique à
l'argument des requérants concernant l'auto-incrimination. Le
droit de ne pas être forcé à témoigner est ((limité aux enquêtes
policières et autres» de même qu'aux procédures judiciaires.
Dans toutes les autres poursuites, la protection contre l'auto-
incrimination ne permet pas à un témoin de refuser de répondre
aux questions mais lui donne seulement l'assurance que les
réponses ne pourront pas être invoquées contre lui dans une
procédure criminelle ultérieure. Ce droit est prévu par l'article
5 de la Loi sur la preuve au Canada et par le paragraphe 20(2)
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Ces procédu-
res n'exigent pas la protection contre l'auto-incrimination. On
ne détermine pas les droits des parties quant au fond. Le
paragraphe 20(2) constitue une protection adéquate contre
l'auto-incrimination. Le privilège accordé contre l'auto-incrimi
nation ne permet pas aux témoins de refuser de comparaître. Ils
sont adéquatement protégés contre l'utilisation ultérieure des
témoignages incriminants par l'article 5 de la Loi sur la preuve
au Canada, par le paragraphe 20(2) de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions ainsi que par l'article 13 de la
Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et liberté, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 11, 13.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970,
chap. C-23, art. 8 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap.
76, art. 3), 15, 17, 20, 20(2), 27, 34(1)a).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 5.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restricti-
ves du commerce), [1987] I R.C.S. 181; Thomson News
papers Ltd. et al. v. Director of Investigation and
Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257 (C.A.); confir-
mant (1986), 54 O.R. (2d) 143 (H.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. L. Crain Inc. et al. v. Couture and Restrictive Trade
Practices Commission et al. (1983), 10 C.C.C. (3d) 119
(B.R. Sask.).
DÉCISION CITÉE:
Transpacific Tours Ltd. et al. v. Director of Investigation
& Research, Combines Investigation Act (1985), 8
C.P.R. (3d) 325 (C.S.C.-B.).
AVOCATS:
C. S. Goldman et N. Finkelstein pour les
demandeurs.
J. F. Rook, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour les
demandeurs.
Holden, Murdoch & Finlay, Toronto, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Les
demandeurs ont engagé une action visant à obtenir
certains redressements dont un jugement déclarant
que l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, (la Loi)
est incompatible avec les droits et libertés garantis
par la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] (la Charte) et
qu'il est en conséquence inopérant. Par avis de
requête déposé le 16 décembre 1985, les deman-
deurs (requérants) sollicitent:
(i) une ordonnance de certiorari annulant les
ordonnances rendues en application de l'article
17 de la Loi, le 18 novembre 1985, par le
défendeur Richard B. Holden de la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce à la
suite de la demande ex parte du défendeur
Michael P. O'Farrell, directeur des enquêtes et
recherches nommé en vertu de la Loi.
(ii) une ordonnance de prohibition interdisant
aux défendeurs, la Commission sur les pratiques
restrictives du commerce, Richard B. Holden et
Michael P. O'Farrell, directeur des enquêtes et
recherches de procéder aux audiences prévues
par l'une ou l'autre des ordonnances rendues en
application de l'article 17 de la Loi.
Cette affaire a été instruite pour la première fois
à Toronto (Ontario) les 17 et 30 janvier 1986. Des
arguments écrits ont ensuite été déposés les 25 juin
et 3 juillet et des plaidoiries additionnelles ont été
entendues le 19 mars 1987.
Les faits en l'espèce ne sont pas contestés. Tous
les requérants occupent un poste de gestion au sein
de la société Stelco Inc. Les ordonnances en date
du 18 novembre 1985 ont été rendues par l'intimé
Holden en sa qualité de vice-président de la Com
mission sur les pratiques restrictives du commerce,
par suite de la demande ex parte présentée par le
directeur en vertu de l'article 17 de la Loi. Les
ordonnances en question informaient les requé-
rants que le directeur des enquêtes et recherches
avait entrepris en vertu de l'article 8 [mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 3] de la Loi une
enquête pour déterminer s'il existait des preuves
selon lesquelles Stelco Inc., avait commis un acte
criminel en violation de l'alinéa 34(1)a) de la Loi
en vendant à la société Armature L & V Ltée, de
l'acier d'armature de qualité et de quantité similai-
res, mais à un prix inférieur à celui vendu aux
acheteurs concurrents du marché québécois. Les
ordonnances précisaient que tous les requérants
devaient se présenter à une date fixe devant M.
Holden ou la personne désignée par celui-ci afin de
témoigner sous serment relativement à l'enquête.
Dans une lettre du directeur jointe aux ordonnan-
ces, on attirait l'attention des requérants sur les
articles 17, 20 et 27 de la Loi; on les informait en
outre, que chacun d'eux devait être interrogé sous
serment, que leur conduite faisait l'objet d'une
enquête sous le régime de la Loi et qu'ils avaient le
droit d'être représentés par un avocat au cours de
l'interrogatoire en question. On informait égale-
ment la requérante Stelco Inc. que sa conduite
faisait l'objet d'une enquête en vertu de la Loi au
cours de l'interrogatoire des requérants et qu'elle
pouvait, en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi,
demander à un membre de la Commission la per
mission d'être représentée par un avocat. Les inter-
rogatoires sous serment devaient commencer le 21
janvier 1986.
La question à trancher au sujet de la présente
demande est de savoir si les ordonnances rendues
par le vice-président de la Commission en vertu du
paragraphe 17 (1) de la Loi violent ou nient les
droits et libertés garantis par l'article 7 de la
Charte. Avant d'analyser l'article 17, il serait bon
de noter que la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions a été remplacée par la Loi sur la con-
currence, S.C. 1986, chap. 26. Bien que l'article 17
ait été sensiblement modifié, les procédures enga
gées en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions continuent d'être régies par les dis
positions de cette loi.
Les dispositions légales pertinentes sont l'art. 8
les paragraphes 15(1), 17(1),(2) et (3) et l'alinéa
34(1)a) de la Loi qui prévoient ce qui suit:
8. Le directeur doit,
a) sur une demande faite en vertu de l'article 7,
b) chaque fois qu'il a des raisons de croire
(i) qu'une personne a violé ou transgressé une ordonnance
rendue en application des articles 29, 29.1 ou 30,
(ii) qu'il existe des motifs permettant à la Commission de
rendre une ordonnance en vertu de la Partie IV.1, ou
(iii) qu'on a commis ou qu'on est sur le point de commet-
tre une infraction visée par la Partie V ou l'article 46.1, ou
c) chaque fois que le Ministre lui ordonne de déterminer au
moyen d'une enquête si l'un quelconque des faits visés aux
sous-alinéas b)(i) à (iii) existent,
faire étudier toutes questions qui, d'après lui, nécessitent une
enquête en vue de déterminer les faits.
15. (1) Le directeur peut, à toute étape d'une enquête et en
plus ou au lieu de la continuer, remettre tous dossiers, rapports
ou preuve au procureur général du Canada pour examen sur la
question de savoir si l'on a commis ou si l'on est sur le point de
commettre une infraction à la présente loi, et pour toutes
mesures qu'il plait au procureur général du Canada de prendre.
17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa propre
initiative, un membre de la Commission peut ordonner que
toute personne résidant ou présente au Canada soit interrogée
sous serment devant lui ou devant toute autre personne
nommée à cette fin par l'ordonnance de ce membre, ou produise
à ce membre ou à cette autre personne des livres, documents,
archives ou autres pièces, et peut rendre les ordonnances qu'il
estime propres à assurer la comparution et l'interrogatoire de ce
témoin et la production par ce dernier de livres, documents,
archives ou autres pièces, et il peut autrement exercer, en vue
de l'exécution de ces ordonnances ou de la punition pour défaut
de s'y conformer, les pleins pouvoirs exercés par toute cour
supérieure au Canada quant à l'exécution des brefs d'assigna-
tion ou à la punition en cas de défaut de s'y conformer.
(2) Toute personne assignée sous le régime du paragraphe
(1) est habile à agir comme témoin et peut être contrainte à
rendre témoignage.
(3) Un membre de la Commission ne doit pas exercer le
pouvoir d'infliger une peine à quelque personne en vertu de la
présente loi, pour désobéissance ou autrement, à moins que, sur
requête de ce membre, un juge de la Cour fédérale du Canada
ou d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, n'ait certifié,
comme un tel juge peut le faire, que ce pouvoir peut être exercé
en la matière révélée dans la requête, et que ce membre n'ait
donné à cette personne un avis de vingt-quatre heures de
l'audition de la requête ou tel avis plus court que le juge
estimera raisonnable.
34. (1) Toute personne qui, s'adonnant à une entreprise,
a) est partie intéressée ou contribue, ou aide, à une vente qui
établit, à sa connaissance, directement ou indirectement, une
distinction à l'encontre de concurrents d'un acheteur d'arti-
cles de ladite personne en ce qu'un escompte, un rabais, une
remise, une concession de prix ou un autre avantage est
accordé à l'acheteur au-delà et en sus de tout escompte,
rabais, remise, concession de prix ou autre avantage accessi
ble à ces concurrents au moment où les articles sont vendus
audit acheteur, à l'égard d'une vente d'articles de qualité et
de quantité similaires;
est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonne-
ment de deux ans.
Les requérants prétendent que les ordonnances
rendues aux termes de l'article 17 de la Loi contre-
viennent à l'article 7 de la Charte qui dispose:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Ils font valoir que les ordonnances en question
contreviennent à cet article de deux façons: en
premier lieu, le pouvoir de contraindre les requé-
rants à témoigner constitue une atteinte à leur
droit de ne pas s'incriminer et en second lieu, la
procédure prévue par la Loi ne répond pas aux
exigences de la justice fondamentale. Je vais tout
d'abord traiter de l'argument relatif à la procé-
dure, qui comporte deux volets:
a) Les requérants prétendent que le membre de
la Commission qui peut ordonner l'interroga-
toire de toute personne n'est pas un arbitre
impartial et qu'il est donc inapte à remplir cette
fonction.
b) Le droit d'être représenté par un avocat, qui
est reconnu par l'article 20 de la Loi ne protège
pas suffisamment les droits des requérants au
cours du déroulement d'une audience prévue à
l'art. 17.
En ce qui concerne le premier volet, les requé-
rants se fondent sur l'arrêt de la Cour suprême du
Canada Hunter et autres c. Southam Inc., [1984]
2 R.C.S. 145. Dans cette affaire, M. le juge Dick-
son (maintenant juge en chef) a examiné la ques
tion relative au pouvoir d'un commissaire d'ordon-
ner une perquisition et une saisie en vertu de
l'article 10 de la Loi. Il a conclu que l'article en
question était inconstitutionnel pour les motifs sui-
vants que l'on trouve à la page 164:
À mon avis, l'attribution à la Commission ou à ses membres
de pouvoirs d'enquête importants a pour effet d'empêcher le
membre de la Commission d'agir de façon judiciaire lorsqu'il
autorise une fouille, une perquisition ou une saisie en vertu du
par. 10(3). Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en doute
l'honnêteté ou la bonne foi de la Commission ou de ses mem-
bres. C'est là plutôt une conclusion que la nature administrative
des devoirs d'enquête de la Commission (qui a comme points de
référence appropriés l'intérêt public et l'application efficace de
la Loi) cadre mal avec la neutralité et l'impartialité nécessaires
pour évaluer si la preuve révèle qu'on a atteint un point où les
droits du particulier doivent constitutionnellement céder le pas
à ceux de l'État. Un membre de la CPRC qui examine l'oppor-
tunité de procéder à une perquisition en vertu de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions est touché par la maxime nemo
judex in sua causa. Il ne peut tout simplement pas être l'arbitre
impartial nécessaire pour accorder une autorisation valable.
Les requérants prétendent que ce raisonnement
devrait s'appliquer au pouvoir que possède le com-
missaire en vertu de l'article 17 de contraindre
toute personne à témoigner. Je ne partage pas ce
point de vue. Le pouvoir d'ordonner un interroga-
toire sous serment est essentiellement et intime-
ment lié aux devoirs d'enquête imposés à la Com
mission. Sans ce pouvoir, aucune enquête
convenable ne pourrait avoir lieu. Dans l'extrait
précité, le juge Dickson reconnaît expressément «la
nature administrative des devoirs d'enquête de la
Commission». Rien ne permet de conclure que l'un
des éléments liés à ces devoirs, c'est-à-dire le fait
d'ordonner des interrogatoires, est autre chose
qu'un acte administratif. On ne peut certainement
pas prétendre que les considérations qui, selon le
juge Dickson, s'appliquent à l'accomplissement des
devoirs de la Commission, empêchent un de ses
membre d'exercer normalement le pouvoir conféré
par l'article 17.
L'avocat des requérants fait également mention
des pouvoirs d'exécution et de sanction en cas de
désobéissance et il prétend que, comme ces pou-
voirs sont semblables à ceux d'une cour supérieure,
ils confèrent aux commissaires un pouvoir judi-
ciaire. Mais en interprétant le paragraphe 17(3),
j'arrive exactement à la conclusion contraire. Ces
pouvoirs de nature judiciaire conférés par l'article
en question sont expressément réservés à un juge
de la Cour fédérale, d'une cour supérieure ou
d'une cour de comté, et les commissaires ne peu-
vent les exercer avant d'en avoir fait la demande à
un tribunal. Les fonctions attribuées aux intimés
en vertu dudit article conservent un caractère
essentiellement administratif.
J'ajouterais que le caractère administratif de la
décision qui fait l'objet d'un examen en l'espèce
règle également la question de la compétence attri-
buée à cette Cour en vertu de l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10]. Puisque les décisions de nature adminis
trative sont expressément exclues de la compétence
de la Cour d'appel sous le régime de l'article 28 de
la loi précitée, rien ne m'empêche d'entendre la
présente demande.
Le deuxième argument des requérants relatif à
la procédure repose sur le droit d'être représenté
par un avocat et sur le degré de protection qui est
accordé à ce droit en vertu de la Loi. Le paragra-
phe 20(1) de la Loi qui limite le droit d'être
représenté par un avocat prévoit ce qui suit:
20. (1) Un membre de la Commission peut permettre à
toute personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête, et
doit permettre à quiconque est personnellement interrogé sous
serment d'être représenté par un avocat.
Les requérants soutiennent que cette disposition
est insuffisante parce qu'elle les prive
a) du droit d'être assistés de leur avocat pen
dant toute la durée des audiences portant sur
l'objet de l'enquête prévue à l'article 17 de la
Loi;
b) du droit d'être interrogés par leur propre
avocat lorsqu'ils sont cités comme témoins au
cours des interrogatoires prévus à l'article 17 de
la Loi; et
c) du droit permettant à leur avocat de contre-
interroger d'autres témoins cités au cours des
interrogatoires prévus à l'article 17 de la Loi.
Ces objections précises ont donné lieu à une
contestation de la Loi en question devant la Cour
suprême du Canada plus tôt au cours de la pré-
sente année. Dans l'arrêt Irvine c. Canada (Com-
mission sur les pratiques restrictives du com
merce), [1987] 1 R.C.S. 181, la Cour a examiné
un certain nombre de décisions rendues au cours
des audiences tenues conformément à l'article 17
de la Loi. Plusieurs de ces décisions portaient sur
le rôle que les avocats des témoins ont pu jouer au
cours de ces audiences et les trois questions liti-
gieuses soulevées en l'espèce ont fait l'objet d'un
examen approfondi. La Cour a examiné la nature
des procédures, les conséquences possibles et les
garanties prévues par la Loi et, compte tenu des
circonstances de l'espèce, elle a statué que l'équité
n'exigeait pas l'entière participation des avocats
aux audiences. Le juge Estey a déclaré ce qui suit
aux pages 231 235:
Compte tenu des différences importantes qui existent, tant
sur le plan des faits que sur celui du droit, entre une enquête
publique tenue sous le régime de The Public Inquiries Act et
une procédure d'enquête qui, en l'espèce, se déroule entière-
ment à huis clos et qui, généralement, n'entraîne pas systémati-
quement un préjudice, une poursuite ou une dépossession, la
jurisprudence portant sur les enquêtes publiques n'est guère
utile pour ce qui est de résoudre les points litigieux dont nous
sommes saisis.
Il découle de l'analyse qui précède que ni le par. 20(1) de la
Loi ni le principe de l'équité ne confèrent aux appelants le droit
de contre-interroger les témoins à l'enquête. L'équité est une
notion souple et son contenu varie selon la nature de l'enquête
et les conséquences qu'elle peut avoir pour les individus en
cause. Les caractéristiques de la procédure, la nature du rap
port qui en résulte et sa diffusion publique, et les sanctions qui
s'ensuivront lorsque les événements qui suivent le rapport seront
enclenchés, détermineront l'étendue du droit à l'assistance d'un
avocat et, lorsqu'un avocat est autorisé sans plus par la Loi, le
rôle de cet avocat. L'organisme d'enquête doit être maître de sa
propre procédure. Lorsque cet organisme détient des pouvoirs
décisionnels, des considérations différentes entrent en scène. La
preuve qui pèse contre la personne qui fait l'objet de l'enquête
doit lui être communiquée. C'est ce que prévoit la Loi à chaque
étape de l'enquête.
La présente instance n'a pas atteint le stade où, pour repren-
dre les termes de lord Wilberforce dans l'arrêt Wiseman v.
Borneman, [1971] A.C. 297, la p. 317, [TRADUCTION] «il est
nécessaire de considérer la procédure dans son contexte et de se
demander si elle ne joue pas injustement contre le contribuable,
au point où les tribunaux se doivent de suppléer à l'omission du
législateur». Les tribunaux judiciaires doivent, dans l'exercice
de ce pouvoir discrétionnaire, toujours demeurer conscients du
danger qu'il y a de surcharger et de compliquer indûment le
processus d'enquête sur l'application de la loi. Lorsque ce
processus, à l'état embryonnaire, consiste à rassembler des
matériaux bruts pour étude ultérieure, les tribunaux ne sont pas
enclins à intervenir. Lorsque, par ailleurs, l'organisme qui
procède à l'enquête dispose de pouvoirs de statuer, dans un sens
définitif ou en ce sens qu'un effet préjudiciable peut en résulter
pour l'individu, les tribunaux sont plus enclins à intervenir. En
l'espèce, il suffisait que l'officier enquêteur autorise toutes les
parties à être représentées par des avocats en mesure de s'oppo-
ser aux irrégularités de l'interrogatoire et de réinterroger leurs
clients pour clarifier le témoignage donné et s'assurer qu'un
tableau complet de la situation était tracé par les témoins qu'ils
représentaient.
Dans l'arrêt Irvine, la Cour suprême n'a pas
voulu se prononcer sur la contestation de ces dispo
sitions fondée sur l'article 7 de la Charte, mais à
mon avis, le raisonnement s'applique directement à
l'espèce. La décision selon laquelle les procédures
en l'espèce n'établissent aucun droit, ni imposent
aucune obligation, se déroulent à huis clos et don-
nent lieu tout au plus à un exposé des éléments de
preuve devant la Commission, règle le point liti-
gieux fondé sur l'article 7. La justice fondamentale
n'exige pas le droit à l'assistance d'un avocat appli
cable aux procédures judiciaires.
Après avoir statué sur les arguments relatifs à la
procédure, j'aborde maintenant l'épineuse question
du droit à la protection contre l'auto-incrimina
tion. Les avocats des requérants font valoir que
puisque la conduite de leurs clients fait l'objet
d'une enquête, on ne peut forcer ceux-ci à témoi-
gner conformément à l'article 17 sans enfreindre
les droits qui leur sont conférés par l'article 7 de la
Charte. A l'appui de cet argument ils invoquent la
décision rendue par le juge Scheibel dans l'affaire
R. L. Crain Inc. et al. v. Couture and Restrictive
Trade Practices Commission et al. (1983), 10
C.C.C. (3d) 119 (B.R. Sask.). Dans cette cause, le
juge a décidé qu'en plus des droits spécifiquement
reconnus par l'alinéa 11c) et l'article 13 de la
Charte concernant la protection contre l'auto-
incrimination, l'article 7 accorde un droit rési-
duaire à cet effet. Après avoir examiné la jurispru
dence sur la question de l'auto-incrimination, juris
prudence antérieure à l'adoption de la Charte, le
juge Scheibel conclut à la page 155 de son
jugement:
[TRADUCTION] ... à mon avis, l'art. 17 peut constituer une
étape essentielle dans le cas où une poursuite pénale serait
intentée contre un suspect. L'enquête a pour effet immédiat que
la preuve est renvoyée au procureur général du Canada en
vertu de l'art. 15(1), ou qu'un rapport est soumis au ministre
sous le régime de l'art. 19(1). Dans l'un ou l'autre cas, la
preuve recueillie peut constituer l'élément de base d'une pour-
suite pénale subséquente.
Je conclus que la procédure autorisée par l'art. 17 de la Loi
nous ramène tout droit à nos premières préoccupations qui sont
à l'origine de la question du privilège de ne pas s'incriminer.
Cette procédure permet de contraindre arbitrairement toute
personne à participer à la poursuite dont elle fait l'objet.
J'estime en outre qu'il n'existe aucun élément contraignant
qui justifie le résultat visé par l'art. 17. L'intérêt public pour
une saine concurrence n'est pas contraignant au point de l'em-
porter sur cette grave atteinte au droit à la liberté et à la
sécurité. En fait, le public a intérêt à ne pas permettre cette
forme d'auto-incrimination obligatoire.
On est cependant arrivé à la conclusion contraire
dans l'affaire Transpacific Tours Ltd. et al. v.
Director of Investigation & Research, Combines
Investigation Act (1985), 8 C.P.R. (3d) 325
(C.S.C.-B.) et plus récemment dans l'affaire
Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of
Investigation and Research et al. (1986), 54 O.R.
(2d) 143 (H.C.) (la question relative à l'auto-incri
mination a été confirmée dans (1986), 57 O.R.
(2d) 257 (C.A.), et la permission d'interjeter appel
devant la Cour suprême du Canada a été accordée
le 25 juin 1987).
Puisque les faits pertinents dans l'affaire Thom-
son sont identiques à ceux présentement examinés
et que la décision dans ladite affaire a été rendue
le 3 juin 1986, après la date de la première
audience en l'espèce, j'ai ordonné aux avocats de
me soumettre leurs arguments par écrit concernant
l'application de cette cause. L'avocat des requé-
rants a tenté de me convaincre que le juge Holland
s'est trompé dans l'affaire Thomson en appliquant
les différentes interprétations judiciaires de la
Déclaration canadienne des droits en interprétant
la Charte, et en concluant que les droits prévus
aux articles 11 et 13 de la Charte sont les seuls qui
permettent d'établir les limites de la protection
contre l'auto-incrimination, dont on peut se préva-
loir au Canada. La Cour d'appel de l'Ontario s'est
penchée sur ces arguments lorsqu'elle a statué sur
l'appel interjeté du jugement prononcé par le juge
Holland ((1986), 57 O.R. (2d) 257). A la page
261 de cette décision, le juge Grange a déclaré au
nom de la Cour d'appel:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'art. 7, je suis tout à fait
d'accord avec la décision et les motifs prononcés par le juge J.
Holland. Même si nous devons maintenant reconnaître que les
dispositions des art. 8 à 14 de la Charte ne sont que des
exemples particuliers des droits plus généraux énoncés à l'art. 7
(voir le Renvoi relatif au paragraphe 94(2) de la Motor Vehicle
Act (1985), 24 D.L.R. (4th) 536, 23 C.C.C. (3d) 289, [1985] 2
R.C.S. 486, et surtout les commentaires du juge Lamer à la p.
549 D.L.R., p. 301 et 302 C.C.C., p. 502 et 503 R.C.S.),
j'estime néanmoins que les seuls droits maintenant reconnus par
notre système de droit en matière de protection contre l'auto-
incrimination figurent aux art. 11c) et 13 de la Charte qui
prévoient notamment que tout inculpé a le droit de ne pas être
contraint de témoigner contre lui-même dans les poursuites
intentées contre lui et que chacun a droit à ce qu'aucun
témoignage incriminant ne soit utilisé pour l'incriminer dans
des poursuites ultérieures.
Nous n'avons au Canada aucune règle de droit récente
permettant à un témoin de ne pas s'incriminer par son propre
témoignage. Depuis 1893, tout au moins, lorsque la Loi sur la
preuve au Canada a été modifiée [1893, chap. 31, art. 5] pour
introduire le texte actuel de l'art. 5 [S.R.C. 1970, chap. E-10]
notre système prévoit que les témoins sont tenus de répondre
aux questions qui leur sont correctement posées, sous réserve
toutefois des protections que l'on trouve maintenant à l'art. 13
de la Charte, y compris celle accordée à un inculpé de ne pas
être contraint de témoigner dans toute poursuite intentée contre
lui (art. 11c) de la Charte). Mais une fois que celui-ci témoi-
gne, il n'est pas mieux protégé que tout autre témoin. J'adopte,
sous réserve naturellement des modifications qui s'imposent à la
suite de l'adoption de la Charte, la conclusion suivante du
professeur E. Ratushny dans son ouvrage intitulé: «Self-Incri
mination in the Canadian Criminal Process» (1979), la p. 92:
Il est évident que le privilège contre l'auto-incrimination, tel
qu'il existe aujourd'hui au Canada, est un concept très étroit.
Il décrit simplement deux règles particulières en matière de
procédure et de témoignages; l'impossibilité de contraindre
un accusé à témoigner dans son propre procès et la protection
de l'article 5(2) contre l'usage du témoignage d'une personne
dans des poursuites ultérieures. Il n'existe pas de principe
général qui puisse être invoqué pour atteindre un résultat
précis dans un cas particulier.
Dans le Renvoi relatif à l'article 94 de la Motor Vehicle Act,
p. 577 D.L.R., p. 302 C.C.C., p. 503 R.C.S., le juge Lamer a
déclaré ce qui suit: «des principes de justice fondamentale se
trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système
juridique». L'un de ces préceptes a souvent été mentionné
comme étant le droit de ne rien dire—voir à titre d'exemple
l'affaire R. v. Esposito (1985), 24 C.C.C. (3d) 88, 53 O.R.
(3d) 356, 49 C.R. (3d) 193, dans laquelle le juge Martin de la
Cour d'appel a déclaré aux p. 94 C.C.C. et 362 O.R.: «dans le
processus pénal, le droit en question produit ses effets tant à
l'étape de l'enquête qu'à celle du procès». A mon avis, ce droit
est limité aux enquêtes policières et autres de même qu'aux
procédures judiciaires elles-mêmes. Les dossiers des Commis
sions royales fédérales (et même provinciales) contiennent de
nombreux exemples d'enquêtes liées à des infractions pénales
de portée générale ou particulière et dans lesquelles des sus
pects ont été tenus de témoigner. Les restrictions formulées
relativement à certains types d'enquêtes dans les arrêts Di brio
et Fontaine c. Gardien de la prison commune de Montréal et
Brunet et autres (1976), 73 D.L.R. (3d) 491, 33 C.C.C. (2d)
289, [1978] 1 R.C.S. 152 et P.G. du Québec et Keable c. P.G.
du Canada et autres (1978), 90 D.L.R. (3d) 161, 43 C.C.C.
(2d), [1979] 1 R.C.S. 218, découlent du fait que ces enquêtes
relevaient des provinces et que la loi provinciale applicable en
matière d'enquête ne pouvait empiéter sur la compétence du
gouvernement fédéral en matière de procédure et de droit
pénal. Comme l'a déclaré le juge Estey dans l'affaire Keable
aux p. 193 D.L.R., 81 C.C.C. et 258 R.C.S.:
Un des principaux bastions du droit criminel est le droit de
l'accusé de se taire. En termes pratiques, tant que ce droit
n'est pas modifié par le Parlement, il ne peut être diminué,
tronqué ni altéré par une province. [C'est moi qui souligne.]
Après avoir examiné la question de la validité de
l'article 17, le juge Grange conclut à la page 263:
[TRADUCTION] Le fait que les dispositions susmentionnées
ont été jugées valides avant l'adoption de la Charte n'empêche
évidemment pas la contestation fondée en l'espèce sur
l'article 7, mais cela indique bien que l'obligation de témoigner
en matière d'enquêtes sur les coalitions existait depuis fort
longtemps. Je ne peux pas conclure que cette obligation entre
en conflit avec les principes de justice fondamentale tels que
nous les connaissons depuis tant d'années surtout lorsqu'on
tient compte de la protection accordée à un témoin par l'article
5 de la Loi sur la preuve au Canada et de celle qui est
maintenant prévue par l'article 13 de la Charte.
Il s'ensuit que j'accepte les conclusions de l'affaire Haywood
Securities Inc. v. Inter-Tech Resource Group Inc. (1985), 24
D.L.R. (4th) 724, 68 B.C.L.R. 145, [1986] 2 W.W.R. 289 et
de l'affaire Transpacific Tours Ltd. et al. v. Director of
Investigation & Research et al. (1985), 8 C.P.R. (3d) 325, 25
D.L.R. (4th) 202, 24 C.C.C. (3d) 103. En toute déférence, je
ne souscris pas à la décision rendue par la Cour du Banc de la
Reine de la Saskatchewan dans l'affaire R.L. Crain Inc. et al.
v. Couture and Restrictive Trade Practices Commission et al.
(1983), 6 D.L.R. (4th) 478, 10 C.C.C. (3d) 119, 30 Sask. R.
191.
(Cette décision fait présentement l'objet d'un
appel devant la Cour suprême du Canada.)
Enfin, les requérants m'ont demandé d'établir
une distinction entre l'affaire Thomson et les faits
de l'espèce car dans le premier cas, seule la société
faisait l'objet d'une enquête. Ils font valoir qu'aux
termes mêmes des ordonnances contestées en l'es-
pèce, les requérants désignés individuellement sont
à la fois des témoins et des personnes dont la
conduite fait l'objet d'une enquête et partant que
la négation de leurs droits ne fait plus aucun
doute. Toutefois, le raisonnement du juge Grange
de la Cour d'appel m'amène de nouveau à conclure
différemment. Le droit de ne pas être forcé à
témoigner est, comme il le mentionne, [TRADUC-
TION] «limité aux enquêtes policières et autres» de
même qu'aux procédures judiciaires. Dans toutes
les autres poursuites, la protection contre l'auto-
incrimination ne permet pas à un témoin de refu-
ser de répondre aux questions. Cette protection lui
donne seulement l'assurance que les réponses aux
questions qui lui sont posées ne pourront pas être
invoquées contre lui dans une procédure criminelle
ultérieure. Le principe est exprimé dans l'article 5
de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970,
chap. E-10, dont voici le libellé:
5. (1) Nul témoin n'est exempté de répondre à une question
pour le motif que la réponse à cette question pourrait tendre à
l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa responsabilité dans
une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que
ce soit.
(2) Lorsque, relativement à quelque question, un témoin
s'oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait
tendre à l'incriminer ou tendre à établir sa responsabilité dans
une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que
ce soit, et si, sans la présente loi, ou sans la loi de quelque
législature provinciale, ce témoin eût été dispensé de répondre à
cette question, alors bien que ce témoin soit en vertu de la
présente loi ou d'une loi provinciale, forcé de répondre, sa
réponse ne peut pas être invoquée et n'est pas admissible à titre
de preuve contre lui dans une instruction ou procédure crimi-
nelle exercée contre lui par la suite, hors le cas de poursuite
pour parjure en rendant ce témoignage.
Ce droit est également prévu par le paragraphe
20(2) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8]
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions:
20....
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi-
gnage et de produire des livres, documents, archives ou autres
pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de la Com
mission, pour le motif que le témoignage verbal ou les docu
ments requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à l'exposer
à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoignage oral ainsi
exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette per-
sonne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite
contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en rendant un
tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de
l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel
témoignage. [Subséquemment modifié par S.C. 1985, chap. 19,
art. 187 en vigueur le 4 décembre 1985.]
Ces procédures ne sont pas de celles qui exigent
la protection contre l'auto-incrimination accordée
à toute personne inculpée d'une infraction. J'ai
déjà précisé que les pouvoirs d'enquête contestés
en l'espèce font partie d'une procédure administra
tive. On ne peut pas, à l'étape de l'enquête, déter-
miner les droits des parties quant au fond. Ni le
directeur ni la Commission n'ont le pouvoir en
vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions d'intenter des poursuites pénales contre
les requérants en se fondant sur les renseignements
obtenus au cours de l'enquête. Le directeur a des
pouvoirs restreints qui consistent à renvoyer les
éléments de preuve au procureur général du
Canada (paragraphe 15(1)) ou à soumettre un
exposé de la preuve à la Commission sur les prati-
ques restrictives du commerce conformément aux
articles 18 et 47. Dans ce dernier cas, un avis doit
être donné à toutes les personnes visées par des
allégations, qui ont alors toutes les occasions vou-
lues de se faire entendre en personne ou par un
avocat. Par la suite, la Commission transmet au
ministre le rapport de son examen des éléments de
preuve et de ses recommandations. Par consé-
quent, l'étape de l'enquête n'a pas pour objet
d'établir les droits des requérants ou de leur impo-
ser des obligations. Il n'est donc pas nécessaire
d'accorder une protection contre l'auto-incrimina
tion autre que celle qui est prévue au paragraphe
20(2) de la Loi.
Le privilège accordé contre l'auto-incrimination,
tel qu'il existe au Canada, ne permet pas aux
témoins en cause de refuser de répondre aux ques
tions qui leur sont posées au cours d'une enquête.
De toute évidence, il ne leur reconnaît pas le droit
de refuser de comparaître. Ils sont adéquatement
protégés par la Loi sur la preuve au Canada, par
le paragraphe 20(2) de la Loi relative aux enquê-
tes sur les coalitions ainsi que par l'article 13 de la
Charte contre l'utilisation ultérieure des témoigna-
ges incriminants qu'ils ont donnés. Lorsqu'on y
ajoute le droit à l'assistance d'un avocat, ces pro
tections sont plus que suffisantes, compte tenu des
faits de l'espèce.
En conséquence, je ne puis conclure que les
ordonnances en question rendues conformément au
paragraphe 17(1) de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions sont incompatibles avec les prin-
cipes de justice fondamentale ou en contradiction
avec l'article 7 de la Charte.
La demande est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.