T-2756-83
Rans Construction (1966) Ltd., Joseph Rans,
Lucilie Rans, Malcolm Rans, John Miazga
(demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: RANS CONSTRUCTION (1966) LTD. c. CANADA
Division de première instance, juge Dubé—
Saskatoon, 29 septembre; Ottawa, 14 octobre
1987.
Pratique — Autorité de la chose jugée — Requête pour
rejet des poursuites parce qu'elles sont futiles, vexatoires et un
abus des procédures de la Cour — Les demandeurs ont été
condamnés pour fraude fiscale — Actions civiles en vue de
faire annuler ou réduire les avis de nouvelle cotisation —
Requête rejetée même s'il y a identité des parties et que les
procédures pénales sont finales — Les condamnations pronon-
cées dans des poursuites pénales constituent une fin de non
recevoir dans des poursuites civiles portant sur le même objet
— La question qui est censée donner lieu à la fin de non-rece-
voir doit avoir été fondamentale à la décision à laquelle on est
arrivé — La question soulevée dans les actions civiles de savoir
si les sommes avaient été gagnées par les actionnaires n'était
pas essentielle au maintien des condamnations lors des pour-
suites pénales — Des nouvelles questions touchant la triple
imposition et certaines sommes qui n'ont pas fait l'objet de
poursuites pénales sont soulevées.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Actions
en vue de faire annuler ou réduire les avis de nouvelle cotisa-
tion — Les demandeurs ont auparavant été condamnés pour
fraude fiscale — Requête rejetée — La cause ne jouit pas de
l'autorité de la chose jugée — Des questions différentes ont été
tranchées lors des poursuites pénales — La principale question
dans les actions civiles de savoir si les sommes ont été gagnées
par les actionnaires n'était pas essentielle au maintien des
condamnations pénales — Comme les actions ont été réunies et
que l'une d'elles a été exclue de la requête, le procès aura lieu
de toute manière.
Pratique — Parties — La Couronne agissait en qualité de
procureur général dans les poursuites pénales et en qualité de
ministre du Revenu national dans les poursuites civiles —
Mêmes parties — La Couronne est indivisible.
Impôt sur le revenu — Nouvelle cotisation — Actions en vue
de faire annuler ou réduire — La question principale est de
savoir si les sommes ont été gagnées par les actionnaires
Les condamnations pénales pour fraude fiscale ne constituent
pas une fin de non recevoir aux actions civiles car les questions
soulevées sont différentes.
Il s'agit d'une demande visant à obtenir une ordonnance
rejetant les poursuites des demandeurs parce qu'elles sont
scandaleuses, futiles, vexatoires et qu'elles constituent un abus
des procédures de la Cour car ces litiges sont chose jugée. Les
demandeurs ont été poursuivis et condamnés pour fraude fis-
cale. Les déclarations concluent à l'annulation ou à la réduction
des avis de nouvelle cotisation.
Jugement: la requête est rejetée.
Les trois éléments fondamentaux du principe de la chose
jugée sont: (1) identité des parties, (2) identité de l'objet du
litige et (3) que la décision rendue antérieurement soit
définitive.
On reconnaît que les poursuites pénales ne sont pas suscepti-
bles d'appel. Même si dans l'action précédente la Reine agissait
en qualité de procureur général du Canada alors que dans
l'espèce elle agit en qualité de ministre du Revenu national, il y
a identité des parties. L'institution que représente la Reine est
indivisible et cette qualité est la même tant en matière civile
que pénale.
La jurisprudence a clairement établi que les points en litige
décidés d'une manière définitive par les cours de juridiction
pénale ne peuvent être soulevés de nouveau devant les tribu-
naux civils, en autant qu'il s'agisse des mêmes questions. Pour
déterminer s'il s'agit des mêmes questions, la question qui est
censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été
fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé. La question
principale dans l'action civile de savoir si les sommes ont été
attribuées aux actionnaires n'était pas essentielle au maintien
des condamnations pénales. Également, plusieurs points ont été
soulevés dans les actions civiles qui n'ont pas été examinés dans
les procédures pénales. Toutes les sommes en litige en l'espèce
n'ont pas fait l'objet de poursuites criminelles. La question de la
triple imposition n'a pas non plus été tranchée dans les poursui-
tes pénales.
Puisque toutes les actions ont été réunies et que l'une de ces
actions a été exclue de la requête en radiation, le procès aura
lieu de toute manière. Toutes ces questions sont interreliées au
point d'être inséparables.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 3a), 15(1)(b) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art.
8), 18(1)a), 239(1)d).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
419(1)c),).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Carl Zeiss-Stiftung v. Rayner and Keeler, Ltd. (No. 2),
[1966] 2 All E.R. 536 (H.L.); Theodore v. Duncan,
[ 1919] A.C. 696 (P.C.); Demeter v. British Pacific Life
Insurance Co. and two other actions (1984), 13 D.L.R.
(4th) 318 (C.A. Ont.); Hunter v. Chief Constable of the
West Midlands Police, [1982] A.C. 529 (H.L.); German
v. Major (1985), 39 Alta. L.R. (2d) 270 (C.A.); Angle c.
M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d)
544; Spens v Inland Revenue Comrs, [ 1970] 3 All ER
295 (Ch.D.).
AVOCATS:
Peter Foley, c.r. et William A. Grieve pour les
demandeurs.
Norman A. Chalmers, c.r. pour la défende-
resse.
PROCUREURS:
Gauley & Co., Saskatoon (Saskatchewan),
pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada, pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: La présente demande entendue
à Saskatoon (Saskatchewan) le 29 septembre
1987, vise à obtenir une ordonnance rejetant les
poursuites intentées par les demandeurs (à l'excep-
tion de celle concernant les années d'imposition
1975 et 1976 du demandeur John Miazga) parce
qu'elles sont scandaleuses, futiles, vexatoires et
qu'elles constituent un emploi abusif des procédu-
res de la Cour au sens de la Règle 419(1)c) et j)
[Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663],
et en outre parce que ces litiges sont chose jugée,
ayant déjà fait l'objet d'une instruction au terme
de laquelle les demandeurs ont été condamnés
devant les cours de juridiction pénale de la
Saskatchewan.
Il est admis que les demandeurs ont été poursui-
vis sous dix-sept chefs de fraude fiscale et condam-
nés le 28 octobre 1980 par le juge en chef Boychuk
de la Cour provinciale de la Saskatchewan sous les
chefs d'accusation 1, 2, 3, 8, 10 et 14, les princi-
paux chefs d'accusation de fraude fiscale. (Les
autres chefs ont été regroupés sous les six chefs
d'accusation en question et ils ont fait l'objet d'une
suspension d'instance.) En appel, les condamna-
tions ont été confirmées le 3 mai 1982 par le juge
Gerein de la Cour du Banc de la Reine de la
Saskatchewan et sa décision a également été con-
firmée par la Cour d'appel de la Saskatchewan. La
permission d'interjeter appel de cette dernière
décision a été refusée par la Cour suprême du
Canada le 25 janvier 1983 [[1983] 1 R.C.S. xii].
La demanderesse Rans Construction (1966)
Ltd., est une société qui, à toutes les époques en
cause, exploitait dans l'Ouest canadien une entre-
prise de canalisation d'eau et de construction
d'égouts. Les autres demandeurs, Joseph Rans,
Lucille Rans, Malcolm Rans et John Miazga sont
les actionnaires de ladite société.
Les diverses déclarations produites par chacun
des demandeurs dans des actions distinctes (et qui
sont maintenant réunies à la suite d'une ordon-
nance de la Cour en vue du procès) concluent à
l'annulation, dans chaque cas, des avis de nouvelle
cotisation ainsi qu'au remboursement des intérêts
sur l'impôt additionnel et de l'amende qu'ils ont
versés sous le régime de la Loi de l'impôt sur le
revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] du Canada et
de la Loi de l'impôt sur le revenu de la province.
Les demandeurs réclament en outre les montants
versés à titre d'impôts à Revenu Canada ainsi que
les autres versements effectués pour le compte des
membres de la famille (et du demandeur Frank
Pscheida), y compris l'intérêt sur ces sommes.
Les déclarations concluent en outre à une ordon-
nance portant que les nouvelles cotisations de tous
les demandeurs excluent l'impôt et les autres rete-
nues versés directement à la défenderesse pour le
compte des membres de la famille.
Les demandeurs font valoir aux termes de leurs
déclarations qu'en retenant les sommes susmen-
tionnées, Revenu Canada les soumettait à une
triple imposition frappant les membres de la
famille, les actionnaires et la société. Il est bon de
souligner que ce n'est pas la totalité des sommes
mentionnées dans les déclarations qui ont fait l'ob-
jet des poursuites pénales.
Le principe de la chose jugée repose sur trois
éléments fondamentaux: il faut qu'il y ait identité
des parties, identité de l'objet du litige et que la
décision rendue antérieurement soit définitive'.
(Les demandeurs reconnaissent que les poursuites
pénales ne sont pas susceptibles d'appel.)
En ce qui concerne la première condition, les
demandeurs font valoir que les parties en cause
dans les poursuites pénales ne sont pas les mêmes
que celles dans les poursuites civiles: dans l'action
précédente, la Reine agissait en qualité de procu-
reur général du Canada alors que dans les présen-
tes poursuites civiles, la Couronne est représentée
par Sa Majesté la Reine agissant en qualité de
ministre du Revenu national. À mon avis, cet
argument est insoutenable. L'institution que repré-
' Carl Zeiss-Stiftung v. Rayner and Keeler, Ltd. (No. 2),
[1966] 2 All E.R. 536 (H.L.), à la p. 550.
sente la Reine est indivisible et cette qualité est la
même tant en matière civile que pénale'.
Il existe une certaine jurisprudence selon
laquelle les condamnations prononcées dans des
poursuites pénales constituent une fin de non rece-
voir dans des poursuites civiles portant sur le
même objet. Dans l'arrêt Demeter v. British Paci
fic Life Insurance Co. and two other actions', une
décision rendue en 1984 par la Cour d'appel de
l'Ontario, le demandeur avait intenté une action
fondée sur trois polices d'assurance-vie couvrant la
vie de son épouse, après avoir été déclaré coupable
du meurtre de cette dernière. La Cour a jugé qu'il
était manifeste que le demandeur cherchait à
débattre de nouveau la question même qui avait
été tranchée en sa défaveur au terme de son procès
criminel. La condamnation du demandeur équiva-
lait à une preuve prima facie de sa responsabilité
civile: recourir à une instance civile pour contester
indirectement la condamnation criminelle en l'ab-
sence d'une nouvelle preuve ou d'une preuve de
fraude ou de collusion, constitue un abus de
procédure.
Dans l'arrêt Hunter v. Chief Constable of the
West Midlands Police 4 , la Chambre des lords a
jugé que lorsqu'une décision finale a été rendue
par une cour compétente de juridiction pénale, la
règle générale d'intérêt public veut que le fait
d'intenter une poursuite civile pour contester indi-
rectement ladite décision constitue un recours
abusif à des procédures judiciaires. La Cour a
également décidé que la nouvelle preuve que le
demandeur cherchait à produire au soutien de sa
poursuite civile était loin de satisfaire au critère
applicable lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu
de faire une exception à cette règle générale, qui
est de savoir si la nouvelle preuve modifie totale-
ment l'aspect du dossier. Il s'agissait d'une affaire
de voies de fait qui auraient été commises par la
police après une condamnation pour meurtre.
2 La défenderesse cite le vicomte Haldane dans l'arrêt Theo-
dore v. Duncan, [1919] A.C. 696 (P.C.) (à la p. 706): [TRA-
DUCTION] «La Couronne est une et indivisible dans toutes les
parties de l'Empire et, dans les états qui s'autogouvernent, elle
agit conformément à l'initiative et aux conseils de ses propres
ministres dans ces États».
3 (1984), 13 D.L.R. (4th) 318 (C.A. Ont.).
° [1982] A.C. 529 (H.L.).
Dans l'arrêt German v. Majors, une décision
rendue en 1985 par la Cour d'appel de l'Alberta
dans un cas de poursuite abusive, le juge de pre-
mière instance et un juge d'appel ont conclu qu'il y
avait dans les procédures pénales une preuve
prima facie établissant l'existence de motifs rai-
sonnables et probables d'intenter une poursuite. La
Cour a radié la réclamation intentée contre le
défendeur pour le motif qu'il n'y avait aucun doute
que l'action du demandeur était irrémédiablement
vouée à l'échec. Le juge Kerans de la Cour d'appel
a dit à la page 282:
[TRADUCTION] Les autres motifs de German ne sont rien
d'autre qu'une répétition des arguments présentés lors de son
instruction pénale et qui n'avaient pas vraiment été acceptés,
ainsi que je l'ai fait remarquer.
La jurisprudence a donc clairement établi le
principe selon lequel les points en litige décidés
d'une manière définitive par les cours de juridic-
tion pénale ne peuvent pas être soulevés de nou-
veau devant les tribunaux civils, en autant qu'il
s'agisse des mêmes questions. Cela nous amène à
la deuxième et dernière condition pour invoquer le
principe de l'autorité de la chose jugée, soit l'iden-
tité de l'objet du litige.
Pour déterminer si les questions qui ont été
tranchées lors des procédures pénales sont de nou-
veau soulevées dans les poursuites civiles, il faut
cerner les points sur lesquels la Cour a correcte-
ment statué pour prononcer les condamnations
pénales. Dans un arrêt de la Cour suprême Angle
c. M.R.N. 6 , le juge Dickson [tel était alors son
titre] formule la question en ces termes:
Est-ce que la question à être décidée en l'espèce ... est la
même que celle que l'on a débattue dans l'affaire antérieure? Si
elle ne l'est pas, il n'y a pas de fin de non-recevoir. Il ne suffira
pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou inci-
dente dans l'affaire antérieure ou qu'elle doive être inférée du
jugement par raisonnement ... La question qui est censée
donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été «fondamentale
à la décision à laquelle on est arrivé» dans l'affaire antérieure
Le juge Dickson poursuit en citant un extrait
d'une décision de la Cour d'Angleterre Spens v
Inland Revenue Comrs 7 :
5 (1985), 39 Alta. L.R. (2d) 270 (C.A.).
6 [1975] 2 R.C.S. 248, aux p. 254-255; (1974), 47 D.L.R.
(3d) 544, aux p. 555-556.
7 [1970] 3 All ER 295 (Ch.D.), à la p. 301.
[TRADUCTION] ... si la décision sur laquelle on cherche à
fonder la fin de non-recevoir a été »si fondamentale à la
décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut
valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira».
Au début de l'audience, l'avocat des demandeurs
a déposé un tableau qui énumérait les montants en
litige dans les diverses accusations criminelles et
ceux mentionnés dans les procédures civiles, et il
appert que plusieurs sommes importantes récla-
mées dans les actions civiles n'étaient pas compri
ses dans les accusations criminelles. À titre
d'exemple, les accusations criminelles portées
contre Rans Construction (1966) Ltd. couvrent
la somme de 145 753,66 $ alors que dans la
poursuite civile, il est question d'un montant de
314 481,16 $. Évidemment, une ordonnance de
radiation n'aurait aucun effet sur les montants
réclamés dans les actions civiles et qui n'étaient
pas visés par les poursuites pénales. Les exclusions
faites par le procureur de la Couronne dans la
présente requête relativement aux années d'imposi-
tion 1975 et 1976 du demandeur John Miazga ne
seraient pas non plus touchées par la radiation
demandée par la défenderesse.
Toutefois, le principal argument de l'avocat des
demandeurs est plus subtil et un peu plus com-
plexe. Voici la façon dont je le comprends.
Les accusations de fraude fiscale qui ont abouti
à la condamnation des demandeurs étaient fondées
sur les infractions prévues à l'alinéa 239(1)d) de la
Loi de l'impôt sur le revenu qui prévoit:
239. (1) Toute personne qui
d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté
d'éluder l'observation de la présente loi ou le paiement d'un
impôt établi en vertu de cette loi ...
est coupable d'une infraction et, en plus de toute autre peine
prévue par ailleurs, est passible, sur déclaration sommaire de
culpabilité ...
Les divers chefs d'accusation précisent que les
demandeurs ont gonflé les sommes dans le but de
bénéficier d'une déduction conformément à l'ali-
néa 18(1)a) de la Loi qui énonce:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure où elle a
été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un
revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un
revenu aux biens ou à l'entreprise;
Selon l'affidavit déposé par le procureur de la
Couronne, les poursuites pour fraude fiscale inten-
tées contre les demandeurs ont soulevé les ques
tions suivantes: les redressements de fin d'exercice
pour les salaires dus aux membres de la famille
étaient-ils des dépenses légitimes ou des déductions
de la société et ces montants avaient-ils été attri-
bués aux actionnaires au sens de l'alinéa 15(1)b)
de la Loi de l'impôt sur le revenu [mod. par S.C.
1977-78, chap. 1, art. 8]. Ledit alinéa prévoit:
15. (1) Lorsque, au cours d'une année d'imposition,
b) des capitaux ou des biens d'une corporation ont été
attribués, de quelque manière que ce soit, à un actionnaire ou
doivent servir à son profit, ou
le montant ou la valeur de celles-ci, sauf dans la mesure où il
est réputé constituer un dividende aux termes de l'article 84, est
à inclure dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année.
L'affidavit poursuit en disant que les questions
ci-dessus ont longuement été discutées dans les
motifs du jugement de première instance et dans
l'arrêt de la Cour du Banc de la Reine en appel.
Les demandeurs soutiennent que la conclusion
selon laquelle les montants ont été attribués aux
actionnaires n'était pas nécessaire pour justifier la
condamnation: les cours de juridiction pénale
n'avaient qu'à décider si les sommes avaient été
reçues par les actionnaires et si ces derniers les
avaient déclarées comme revenu. Les demandeurs
plaident que la conclusion selon laquelle les
sommes ont été reçues par les actionnaires aurait
dû être fondée sur l'article 3 de la Loi de l'impôt
sur le revenu qui prévoit:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,
aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année,
déterminé selon les règles suivantes:
a) en calculant le total des sommes qui constituent chacune
le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en
capital imposable résultant de la disposition d'un bien), dont
la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, y
compris, sans restreindre la portée générale de ce qui pré-
cède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et
bien. [C'est moi qui souligne.]
Autrement dit, les demandeurs prétendent que
les sommes reçues par les actionnaires, et attri-
buées à eux suivant la décision de la Cour,
auraient dû relever de l'alinéa 3a), soit parce
qu'elles faisaient partie du revenu du contribuable
pour l'année soit parce qu'il s'agissait de l'un des
exemples énumérés dans ce paragraphe, et à tout
le moins sous la rubrique «entreprise».
Le procureur des demandeurs soumet de plus
que les cours de juridiction criminelle ont jugé que
l'omission d'inclure ce revenu était contraire à
l'article 15 (l'article portant sur l'attribution) et
qu'elles ont tiré les trois conclusions suivantes:
1. L'argent a été reçu par les actionnaires;
2. Il n'a pas été gagné par les actionnaires; et
3. Il aurait dû être déclaré dans le revenu des actionnaires.
Les demandeurs allèguent que la deuxième con
clusion (revenu non gagné) était tout à fait inutile
pour justifier la condamnation. Il suffisait en effet
de conclure que les sommes avaient été reçues par
les actionnaires et que ces derniers auraient dû les
déclarer dans leur revenu.
En d'autres mots, les demandeurs prétendent
qu'en concluant à l'attribution, les cours criminel-
les ont en fait tranché une question qui, de leur
propre aveu, ne leur avait pas été posée. Le juge
Gerein de la Cour du Banc de la Reine dit dans
son jugement, à la page 48:
[TRADUCTION] Pour statuer sur la culpabilité ou l'innocence
des accusés, le juge de première instance n'avait qu'à décider
s'il y avait eu fraude. Il n'avait pas à se préoccuper de l'impôt
évité et il n'a pas été saisi de la question de savoir si l'impôt a
été payé plus d'une fois sur le même revenu. Cette question doit
être tranchée par une autre instance.
En conséquence, les demandeurs allèguent que
la question de savoir si les sommes en l'espèce
avaient été gagnées par les actionnaires alors qu'ils
travaillaient pour la compagnie n'était pas essen-
tielle pour les fins des procédures pénales. La
question fondamentale qui a été tranchée par les
cours criminelles était que ces sommes n'avaient
pas été gagnées par les membres de la famille. Il
n'y a aucune preuve que les sommes n'ont pas été
gagnées par les actionnaires alors qu'ils travail-
laient pour la compagnie.
Les demandeurs soutiennent que la principale
question dans les actions civiles est de savoir si
lesdites sommes ont été gagnées ou non par les
actionnaires, alors que les condamnations pénales
des actionnaires pourraient être maintenues sans
qu'il y soit nécessaire de conclure que ces sommes
leur ont été attribuées selon les termes de
l'article 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les
demandeurs prétendent qu'on peut établir une dis
tinction avec l'arrêt Demeter et les autres décisions
où on a conclu que les points en litige étaient
identiques dans les deux instances, alors qu'en
l'espèce, la question de savoir si les sommes ont été
attribuées aux actionnaires n'était pas essentielle
pour qu'on puisse conclure à leur culpabilité.
Comme il ne s'agissait pas d'une question essen-
tielle pour les fins d'un verdict de culpabilité, rien
n'obligeait les demandeurs à présenter quelque
preuve que ce soit sur cette question au cours des
procédures pénales.
En conséquence, les demandeurs soumettent
qu'en décidant que les sommes en question avaient
été attribuées aux actionnaires, les cours criminel-
les ont conclu par inadvertance non seulement que
les actionnaires ont éludé l'impôt payable sur ces
sommes mais également que Rans Construction
(1966) Ltd. n'avait pas le droit de réclamer lesdi-
tes sommes à titre de dépenses déductibles du
revenu gagné par les actionnaires. En d'autres
termes, les cours de juridiction pénale ont conclu à
l'assujettissement à l'impôt alors qu'elles n'étaient
pas habilitées à le faire.
Les demandeurs prétendent de plus que la ques
tion de déterminer si l'impôt a été payé plus d'une
fois sur le même revenu est l'un des points en litige
devant les tribunaux civils en l'espèce. Comme l'a
déclaré le juge Gerein à la page 48 de son juge-
ment, cette question n'a pas été tranchée par les
cours criminelles:
[TRADUCTION] Le juge de première instance n'a pas été saisi
de la question de savoir si l'impôt a été payé plus d'une fois sur
le même revenu. Cette question doit être tranchée par une autre
instance. [C'est moi qui souligne.]
Il faut garder à l'esprit que dans une procédure
de radiation fondée sur la Règle 419 de la Cour
fédérale, il doit être clair et évident que le deman-
deur n'a aucune cause d'action, ou comme en
l'espèce, que l'action des demandeurs est purement
et simplement futile ou vexatoire, c'est-à-dire
qu'elle soulève des questions auxquelles on a déjà
répondu dans les procédures criminelles antérieu-
res. Ce n'est pas au juge saisi de la requête à cette
étape très préliminaire des procédures de prévoir
l'issue du procès. Plusieurs points ont été soulevés
dans ces actions civiles qui n'ont pas été examinés
dans les procédures pénales.
Pour résumer, premièrement il me semble clair
que plusieurs sommes considérées à la suite d'une
nouvelle cotisation comme un revenu entre les
mains de Rans Construction (1966) Ltd. pour les
années d'imposition 1973, 1974 et 1975 n'ont pas
fait l'objet de poursuites criminelles mais sont
incluses dans les présentes actions civiles. Deuxiè-
mement, on prétend en l'espèce qu'il y a eu triple
imposition, prétention à laquelle les cours de juri-
diction pénale ont à bon droit refusé de répondre.
Troisièmement, les demandeurs réclament la
déduction de certaines sommes déjà versées au
ministère du Revenu national, question qui n'était
pas du ressort des tribunaux de juridiction pénale.
Il manque donc une des trois conditions essentiel-
les pour que le principe de l'autorité de la chose
jugée puisse être invoqué, l'objet du litige n'étant
pas le même dans les poursuites criminelles et
civiles.
Qui plus est, sur le plan pratique toutes ces
actions ont été réunies avec le consentement des
parties et l'une de ces actions (qui concerne les
années d'imposition 1975 et 1976 du demandeur
John Miazga) a été exclue de la présente requête
de la défenderesse, de sorte que le procès aura lieu
de toute manière relativement à l'imposition de
John Miazga et aux autres points qui n'ont pas été
examinés par les tribunaux criminels. Toutes ces
questions sont interreliées au point d'être insépara-
bles et refuser aux demandeurs le droit de soumet-
tre certaines d'entre elles dans les procédures civi-
les comprometterait sérieusement la présentation
de l'ensemble de leurs arguments lors du procès.
En conséquence, la présente requête est rejetée
mais dans les circonstances, les dépens suivront
l'issue de la cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.