T-2725-84
Lennox Industries (Canada) Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: LENNOX INDUSTRIES (CANADA) LTD. c. CANADA
Division de première instance, juge Reed—Cal-
gary, 16 décembre 1986; Ottawa, 5 janvier 1987.
Equity — Droit de suite — Demande de recouvrement de
l'argent volé par un employé — La Couronne réclame l'impôt
dû sur les fonds volés — Priorités — Les fonds volés qui se
trouvent entre les mains du voleur demeurent la propriété de la
victime — L'argent volé est grevé d'une fiducie — Le véritable
propriétaire peut exercer un droit de suite et recouvrer cet
argent, â moins qu'un acheteur ne l'ait acquis de bonne foi et à
titre onéreux sans être avisé du vol — On peut également
recouvrer les fruits» du bien volé — Lorsque les fonds
détournés se mêlent aux fonds de l'auteur d'un dommage, et
qu'une somme d'argent est retirée de ces fonds mélangés,
l'auteur du dommage est censé avoir d'abord retiré ses propres
fonds — La théorie du droit de suite s'applique en l'espèce —
Jugement déclarant que la demanderesse a droit aux fonds et
aux bénéfices provenant de l'argent qu'on lui avait volé.
Couronne — Prérogatives — Priorité — Action intentée par
la demanderesse pour recouvrer l'argent qu'on lui avait volé et
action intentée par la Couronne pour recouvrer l'impôt dû sur
les fonds volés — Application de la théorie du droit de suite
— La demanderesse a droit aux bénéfices provenant des fonds
volés — Le droit de prérogative de la Couronne lui accorde la
priorité de paiement à l'égard des autres biens — Dettes de
rang égal — Les réclamations respectives sont non garanties
— Les deux parties sont des créanciers saisissants — La
créance de la Couronne ne résulte pas d'une opération com-
merciale ordinaire.
Impôt sur le revenu — Recouvrement — Priorité parmi les
créanciers — Recouvrement des fonds du voleur réclamé par
la demanderesse pour l'argent volé et par la Couronne pour
l'impôt dû sur lesdits fonds — Application de la théorie du
droit de suite — La demanderesse a droit aux bénéfices
provenant des fonds volés, mais non à une quote-part des
autres biens — Dettes de rang égal — Les réclamations
respectives découlent du statut de créanciers saisissants des
parties — Réclamations non garanties.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Action intentée par la demanderesse pour recou-
vrer l'argent volé et action intentée par la Couronne pour
recouvrer l'impôt impayé dû sur cet argent — La réclamation
de priorité de la Couronne ne va pas â l'encontre des droits
prévus à l'art. 15 — Quoi qu'il en soit, l'art. 15 ne s'applique
pas, puisque les événéments en cause sont survenus avant
l'entrée en vigueur de cette disposition — Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15, 32(1).
La demanderesse réclame le recouvrement de l'argent qu'un
ancien employé lui avait volé. La Couronne cherche à recouvrer
l'impôt dû sur les fonds volés, à titre de revenu entre les mains
de l'employé. Les fonds déposés dans le compte d'épargne de
l'employé ont été saisis pour payer une partie de l'impôt. La
résidence de l'employé et deux automobiles ont en fin de
compte été vendues, et le produit de la vente a été placé dans un
compte de fiducie portant intérêt en attendant l'issue du présent
litige.
La demanderesse conclut à un jugement déclarant qu'elle a
droit aux fonds et aux bénéfices provenant de l'argent volé, et à
une quote-part, égale à celle de la Couronne, sur les autres
biens. À l'appui de sa position, elle soutient que, en tant que
prérogative, le droit de la Couronne à la priorité va à l'encontre
de l'article 15 de la Charte, qu'une partie de l'actif en question
lui appartient en vertu de la théorie du droit de suite et que les
sommes dues à la demanderesse et à la Couronne ne sont pas
«de rang égal».
Jugement: La réclamation de la demanderesse relative aux
sommes à recouvrer en vertu de la théorie du droit de suite
devrait être accueillie. Sa prétention à une quote-part des
autres biens devrait être rejetée.
L'article 15 de la Charte vise à faire en sorte que la loi traite
les personnes égales de façon égale. Dans une action en recou-
vrement d'impôt, la Couronne représente tous les contribuables,
tous les citoyens qui tirent avantage de la dépense des recettes
fiscales ainsi perçues. En tant que créancière, la Couronne est
dans une situation différente de celle d'un particulier. L'argu-
ment de la demanderesse selon lequel la réclamation de priorité
de la Couronne constitue une distinction équivalant à une
discrimination, échoue. Quoi qu'il en soit, l'article 15 ne s'appli-
que pas, puisque les événements qui ont donné lieu aux deman-
des sont survenus avant l'entrée en vigueur de cette disposition,
qui n'a pas d'effet rétroactif.
Le second argument de la demanderesse repose sur le prin-
cipe que les marchandises volées qui se trouvent entre les mains
d'un voleur, ou les fonds qu'un fiduciaire a détournés, demeu-
rent la propriété de la personne victime du vol. L'argent volé est
grevé d'une fiducie, et le véritable propriétaire peut recouvrer
cet argent, à moins qu'un acheteur ne l'ait acquis de bonne foi
et à titre onéreux, sans être avisé du vol ou de la fraude. Les
bénéfices découlant du bien volé peuvent également être recou-
vrés. Lorsque les fonds détournés ou les bénéfices qui en
découlent se mêlent aux fonds de l'auteur d'un dommage, et
qu'une somme d'argent est retirée de ces fonds mélangés,
l'auteur du dommage est censé avoir d'abord retiré ses propres
fonds (c'est le principe selon lequel ce qui est entré le premier
est censé être sorti le premier). Appliquant ces principes, il y a
lieu de rendre un jugement déclarant que la demanderesse a
droit, en tant que propriétaire, aux sommes provenant de
l'argent qu'on lui avait volé.
L'argument de la demanderesse selon lequel sa réclamation
et celle de la Couronne ne sont pas des créances de même rang,
et qu'elle devrait avoir droit à une quote-part, égale à celle de la
Couronne, sur les autres biens a été rejeté. La réclamation de la
demanderesse (pour la remise des fonds ou l'octroi de domma-
ges-intérêts pour détournement) et celle de la Couronne (pour
l'impôt impayé) étaient toutes deux non garanties—excepté
l'argent appartenant à la demanderesse en vertu de la théorie
du droit de suite. Toutes les deux réclamations découlent du
statut de créanciers saisissants des parties. De plus, la créance
de la Couronne n'est pas une créance qui résulte d'une opéra-
tion commerciale ou industrielle ordinaire. Puisque les deux
réclamations sont de même rang, la prérogative de la Couronne
entre en jeu, ce qui lui accorde la priorité aux fins du paiement.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Household Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur
général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 423; (1979), 29
N.R. 174 (sub nom. MacCulloch & Co. Ltd. et autres c.
Procureur général du Canada); Smith, Kline & French
Laboratories Limited c. Procureur général du Canada,
[1986] 1 C.F. 274; 7 C.P.R. (3d) 145 (1"° inst.); confirmé
[1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Banque Belge v Hambrouck,
[1921] 1 K.B. 321 (C.A.); B.C. Teachers' Credit Union v.
Betterly (1975), 61 D.L.R. (3d) 755 (C.S.C.-B); Nelson
v. Larholt, [1947] 2 All E.R. 751 (K.B.D.); Re Kolari
(1981), 36 O.R. (2d) 473 (C. dist.).
DÉCISIONS CITÉES:
Minister of National Revenue v. Eldridge, Olva Diana,
[1965] 1 R.C.E. 758; (1964), 64 DTC 5338; The Queen
v. Poynton (1972), 72 DTC 6329 (C.A. Ont.); The Queen
v. Bank of Nova Scotia (1885), I 1 R.C.S. 1; Re Marten;
Re Royal Bank of Canada and The Queen in right of
Canada (1981), 130 D.L.R. (3d) 607 (C. div. Ont.);
Wright v. Canada (Attorney General), C. dist. Ont. juge-
ment en date du 6 octobre 1986, dossier n° 3356, non
encore publié; Surrey Credit Union v. Mendonca et al.
(1985), 19 C.R.R. 230 (C.S.C.-B.); Law Society of
Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357;
(1984), 53 N.R. 169; Hunter et autres c. Southam Inc.,_
[1984] 2 R.C.S. 145; (1985), 55 N.R. 241; R. c. Big M
Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985),
58 N.R. 81; Re Blackhawk Downs, Inc. and Arnold et
al., [1973] 3 O.R. 729 (H.C.); In re Hallett's Estate
(1878), 13 Ch. D. 696 (C.A.); In re Oatway, [1903] 2
Ch. 356; Re Henley & Co. (1878), 9 Ch. D. 469 (C.A.);
City of Toronto, and Toronto Electric Commissioners v.
Wade, [1931] O.R. 470 (C.S.); The Queen v. Workmen's
Compensation Board and City of Edmonton (1962), 36
D.L.R. (2d) 166 (C.S. Alb.); confirmé (1963), 42
W.W.R. 226 (C.A. Alb.).
AVOCATS:
James Lebo et Allan Fradsham pour la
demanderesse.
Larry Huculak pour la défenderesse.
PROCUREURS:
MacKimmie Matthews, Calgary, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: En l'espèce, il s'agit d'une
action intentée par une personne pour recouvrer
l'argent qu'on lui avait volé, et d'une action inten-
tée par la Couronne pour recouvrer l'impôt dû sur
les fonds volés, à titre de revenu entre les mains du
voleur. Les deux actions visent l'actif de Mathew
N. Hasiuk, la personne qui a été déclarée coupable
du vol en question. L'argent provenant de la réali-
sation de son actif ne suffit pas pour acquitter ces
deux réclamations.
Mathew N. Hasiuk a travaillé pour la demande-
resse de 1956 à 1982. Au cours de son emploi, il a
volé à la demanderesse la somme de
1 064 386,79 $ pour laquelle celle-ci a obtenu un
jugement en date du 27 juin 1983. Un jugement
portant intérêt sur l'argent volé auquel s'ajoutaient
les dépens a été rendu le 6 septembre 1985 pour la
somme de 1 107 999,83 $. Ces deux jugements
accordaient ainsi à la demanderesse une somme
totale de 2 172 386,62 $.
Le 14 janvier 1983, le ministre du Revenu natio
nal avait établi des cotisations contre Mathew N.
Hasiuk pour les années 1976 à 1981 inclusivement.
Le montant total de ces cotisations, y compris les
pénalités et l'intérêt, s'élevait à 702 183,25 $. Les
cotisations portaient sur un revenu d'entreprise
non déclaré de M. Hasiuk (c.-à-d. l'argent volé à
la demanderesse) et sur un gain en capital non
déclaré en 1981 découlant de la vente d'un bien
immeuble. Le montant de la cotisation prélevé au
titre de revenu d'entreprise non déclaré s'élevait à
676 827,22 $ et celui imposable au titre de gain en
capital non déclaré, à 25 356,03 $.
Le 18 janvier 1983, le ministère du Revenu
national a obtenu à l'encontre de Mathew Hasiuk
un bref ordonnant le paiement de la somme de
509 667,10 $. En conséquence une somme de
354 096,35 $ inscrite dans le compte d'épargne de
Hasiuk à la Banque de Commerce Canadienne
Impériale (58e Avenue, S.E., Calgary) a été payée
au ministère du Revenu national le 25 janvier 1983
en réponse à une demande formelle à des tiers qui
avait été signifiée à cette banque. En outre, des
versements effectués en vertu de ce qu'on appelle
l'hypothèque Mosco, que M. Hasiuk détenait à
titre de créancier hypothécaire, ont été faits à
l'ordre du Ministère, en réponse à une demande
formelle à des tiers signifiée aux débiteurs hypo-
thécaires. Bien que les sommes prélevées dan$ le
compte d'épargne et sur les paiements hypothécai-
res Mosco aient servi à régler les impôts dûs,
Hasiuk devait encore au Ministère, en date du 30
juin 1986, la somme de 115 914,78 $ à titre d'im-
pôt, plus 303 481,54 $ à titre d'intérêt et de pénali-
tés. L'intérêt sur les impôts impayés continue de
courir. La résidence de Hasiuk à Calgary, ainsi
que ses deux voitures, ont subséquemment été
vendues en 1985, et le produit de ces ventes a été
placé dans un compte de fiducie portant intérêt en
attendant l'issue du présent litige.
La demanderesse sollicite un jugement déclarant
qu'elle a droit: à une grande partie de l'argent saisi
dans le compte d'épargne de Hasiuk, qui lui appar-
tient à elle seule, et à une quote-part du reste de
l'argent saisi dans ce compte; aux versements
échus et à échoir en vertu de l'hypothèque Mosco;
à 50 % du produit de la vente des deux voitures et
à une quote-part du reste de ce produit; et à une
quote-part du produit de la vente de la résidence
de Calgary.
L'argument de la Couronne est simple. Les
fonds volés à la demanderesse par M. Hasiuk
constituent un revenu entre les mains de ce dernier
et sont donc imposables. Il est bien établi que les
bénéfices obtenus ou acquis frauduleusement par
suite d'une opération illicite ou d'une entreprise
illégale sont assujettis à l'impôt: Minister of
National Revenue v. Eldridge, Olva Diana, [1965]
1 R.C.É. 758; (1964), 64 DTC 5338; The Queen v.
Poynton (1972), 72 DTC 6329 (C.A. Ont.). Il est
également établi que, en raison de son droit de
prérogative, la Couronne a priorité en ce qui con-
cerne les sommes qui lui sont dûes: The Queen v.
Bank of Nova Scotia (1885), 11 R.C.S. 1; Re
Marten; Re Royal Bank of Canada and The
Queen in right of Canada (1981), 130 D.L.R. (3d)
607 (C. div. Ont.); Household Realty Corporation
Ltd. et autre c. Procureur général du Canada,
[1980] 1 R.C.S. 423; (1979), 29 N.R. 174 [sub
nom. MacCulloch & Co. Ltd. et autres c. Procu-
reur général du Canada]. La Couronne est en
droit de recouvrer intégralement ses créances, s'il
en est, et elle a priorité sur les créances détenues
par des particuliers. Je cite le passage suivant de la
décision rendue au nom de la Cour suprême par le
juge Ritchie dans l'affaire Household Realty aux
pages 426 et 427 R.C.S.; 178 N.R.:
Je suis persuadé que lorsqu'une dette ou une réclamation due
à Sa Majesté vient en concurrence avec la dette ou la réclama-
tion d'un sujet et qu'elles sont «de rang égal», celle de Sa
Majesté prévaut ...
La demanderesse invoque les motifs suivants:
(1) quels qu'aient pu être les droits de prérogative
de la Couronne en common law, la promulgation
de l'article 15 de la Charte canadienne des droits
et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] a fait
perdre à la Couronne la priorité énoncée ci-dessus
concernant le paiement des dettes; (2) quoi qu'il en
soit, une partie de l'actif en question lui appartient
en vertu de la théorie du droit de suite (doctrine of
tracing) sans que la Couronne puisse y prétendre;
et (3) en l'espèce, les sommes dues à la demande-
resse et à la Couronne ne sont pas de «rang égal».
L'article 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés
Pour ce qui est du premier argument, on a cité
la décision rendue par la Cour de district de
l'Ontario dans l'affaire Wright v. Canada (Attor-
ney General) (décision non publiée en date du 6
octobre 1986, dossier numéro 3356), où la Cour a
indiqué que, en tant que prérogative, le droit de la
Couronne à la priorité était nul de prime abord. Le
paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi rédigé:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
La Cour ontarienne a statué que la Charte devait
évidemment s'appliquer au champ d'activité du
gouvernement:
32. (1) La présente charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous
les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui
concernent le territoire du Yukon et les territoires du
Nord-Ouest;
b) à la législature et au gouverment de chaque province, pour
tous les domaines relevant de cette législature.
Et, à la page 14 de sa décision, la Cour ontarienne
a jugé que le droit de la Couronne à la priorité
revêtait un caractère nettement discriminatoire:
[TRADUCTION] La priorité de la Couronne touche inéluctable-
ment et de façon radicalement discriminatoire les droits de la
requérante ...
La demanderesse reconnaît tout d'abord qu'elle
rencontre des difficultés en voulant invoquer
l'article 15. Elle est une société, et il ressort de la
jurisprudence dominante que seules les personnes
physiques peuvent profiter des garanties accordées
par l'article 15: Smith, Kline & French Laborato
ries Limited c. Procureur général du Canada,
[1986] 1 C.F. 274, à la page 316; 7 C.P.R. (3d)
145 (ire inst.), à la page 192; Surrey Credit Union
v. Mendonca et al. (1985), 19 C.R.R. 230
(C.S.C.-B.), à la page 232. L'avocat de la deman-
deresse soutient que si on veut interpréter l'article
15 libéralement et de façon à atteindre une fin, le
mot «personne» doit inclure les sociétés qui sont des
personnes aux yeux de la loi. À l'appui de cet
argument, la demanderesse cite les passages habi-
tuels exigeant que l'on interprète la Charte libéra-
lement et de façon à atteindre une fin: Law Society
of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S.
357, à la page 366; (1984), 53 N.R. 169, à la page
180; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2
R.C.S. 145, aux pages 155 et 156; (1985), 55 N.R.
241, aux pages 247 et 248; R. c. Big M Drug Mart
Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, aux pages 343
et 344; (1985), 58 N.R. 81, la page 112. J'estime
qu'il n'est pas nécessaire de trancher ce point parce
que, de toute façon, je ne pense pas que l'argument
fondé sur l'article 15 soit valable.
L'article 15 vise à faire en sorte que la loi
s'applique aux particuliers et aux groupes de parti-
culiers (comprenant ou excluant les sociétés selon
ce que la jurisprudence finira par décider) indé-
pendamment de toutes distinctions arbitraires. Les
distinctions ou différences établies par la loi ne
constituent pas toutes des cas de discrimination.
Les priorités prévues pour le paiement de dettes
peuvent être établies selon plusieurs critères, p. ex.
le temps (une dette contractée la première crée un
privilège de premier rang); le salaire (prend rang
avant les autres types de dettes). Ces distinctions
ne constituent pas de la discrimination, bien qu'el-
les désavantagent manifestement les personnes
occupant un rang inférieur. Mais en quoi consiste
la discrimination alléguée en l'espèce? C'est que la
Couronne, en tant que créancière, bénéficie d'un
traitement de faveur aux dépens de particuliers. Je
ne saurais conclure qu'il s'agit là de discrimina-
tion. L'article 15 vise à faire en sorte que la loi
traite les personnes égales de façon égale. Dans
une action en recouvrement d'impôt, la Couronne
représente tous les contribuables, ou, dans les faits,
tous les citoyens qui tirent avantage de la dépense
des recettes fiscales ainsi perçues. En tant que
créancière, la Couronne est dans une situation
différente de celle d'un particulier. Ainsi que l'a
fait remarquer la Cour d'appel dans la récente
affaire Smith, Kline & French Laboratories Ltd.
c. Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359,
à la page 366:
Au niveau le plus fondamental, le droit à l'égalité que
garantit l'article 15 ne peut être que le droit de ceux qui sont
dans une situation analogue de recevoir un traitement
analogue.
Je ne saurais placer la Couronne dans la même
situation que celle de la demanderesse. Je ne pense
pas que la priorité de la Couronne en l'espèce
constitue une distinction ou une inégalité à
laquelle l'article 15 devait s'appliquer. Il pourrait
en être autrement si la Couronne avait exercé des
activités commerciales et contracté des dettes
comme le ferait un citoyen ordinaire. Mais lors-
qu'elle recouvre des sommes au titre d'impôt sur le
revenu, la Couronne n'agit pas comme le ferait un
particulier, elle agit en tant que gouvernement.
La question de savoir si la priorité accordée à
titre de prérogative relève d'une politique sociale
bonne ou «juste» est une question différente. Je
note, par exemple, que plusieurs études ont recom-
mandé l'abolition de cette priorité: Insolvency Law
and Practice, Report of the Review Committee
(Cmnd. 8558, 1982); Report on The Crown as
Creditor: Priorities and Privileges (1982), rédigé
par la Commission de réforme du droit de la
Colombie-Britannique; Faillite et Insolvabilité:
Rapport du comité d'étude sur la législation en
matière de faillite et d'insolvabilité (Canada
1970) où l'on peut lire [à la page 124]:
On pourrait même soutenir que le gouvernement devrait pren-
dre rang après les créanciers ordinaires, vu que le trésor public
est, en fait, mieux placé que quiconque pour assumer les
inévitables pertes.
En même temps, d'autres prétendent que la Cou-
ronne devrait au moins bénéficier d'une priorité
limitée: Report on The Enforcement of Judgment
Debts and Related Matters [Partie 5] (1983), aux
pages 59 et suiv., rédigé par la Commission de
réforme du droit de l'Ontario.
Quoi qu'il en soit, je doute que l'article 15
s'applique en l'espèce. Le bref d'exécution sur
lequel la Couronne fonde sa demande a été
décerné le 18 janvier 1983. Les brefs d'exécution
qui servent de base à la réclamation de la deman-
deresse ont été décernés le 12 juillet 1983 (pour le
capital volé) et le 9 septembre 1985 (pour l'intérêt
et les dépens). L'argent déposé dans le compte
d'épargne a été saisi par la Couronne le 24 janvier
1983. Les versements hypothécaires ont été saisis à
la même date au moyen d'un avis de mise en
cause. Les voitures et la résidence ont été vendues
en 1985 (bien qu'il soit probable qu'elles aient
également fait l'objet d'une saisie effectuée par la
Couronne à la première des dates précitées). En
l'espèce, le dépôt de la déclaration a eu lieu le 16
novembre 1984. L'article 15 est entré en vigueur le
17 avril 1985. Il est bien établi que l'article 15 n'a
pas et n'était pas censé avoir un effet rétroactif.
Les événements qui ont donné lieu aux demandes
concurrentes de la demanderesse et de la défende-
resse (sauf pour ce qui est du jugement que la
demanderesse a obtenu en septembre 1985 concer-
nant l'intérêt et les dépens) sont tous survenus
avant l'entrée en vigueur de l'article 15. J'estime
donc que cet article ne s'applique pas, mais je fais
remarquer que ce point n'a pas été débattu devant
moi.
La théorie du droit de suite (doctrine of tracing)
J'aborde maintenant le second argument de la
demanderesse: certains avoirs appartiennent, en
tout cas, à la demanderesse en vertu de la théorie
du droit de suite. Le principe de base est que les
marchandises volées qui se trouvent entre les
mains d'un voleur, ou les fonds qu'un fiduciaire a
détournés, ne leur appartiennent pas; ils demeurent
la propriété de la personne victime du vol. Ce
principe est énoncé dans Underhill's Law Relating
to Trusts and Trustees, 12° éd. (1970), la page
243: [TRADUCTION] «une cour d'equity fait d'une
partie qui a obtenu des biens par fraude un fidu-
ciaire de la partie victime de la fraude». Voir
l'affaire Re Blackhawk Downs, Inc. and Arnold et
al., [1973] 3 O.R. 729 (H.C.), qui discute ce
principe.
L'argent volé ou le bien acquis par fraude est
donc grevé d'une fiducie, et le véritable proprié-
taire peut exercer un droit de suite et recouvrer cet
argent ou ce bien, à moins qu'un acheteur ne l'ait
acquis de bonne foi et à titre onéreux sans être
avisé du vol ou de la fraude. Dans l'affaire Banque
Belge v. Hambrouck, [1921] 1 K.B. 321 (C.A.),
aux pages 335 et 336, le principe est énoncé dans
les termes suivants:
[TRADUCTION] Si, selon les principes posés dans In re Hallett's
Estate, on peut affirmer que l'argent déposé à la banque ou la
denrée achetée avec cet argent, est «le produit ou le substitut de
la chose initiale», cet argent ou cette denrée est alors «de même
nature que la chose elle-même». Il découle de ces principes que,
comme l'argent versé à la banque peut être considéré comme
provenant de l'argent original, les demandeurs ont le droit, en
vertu de la common law, d'intenter une action en recouvrement
de l'argent reçu.
Et il est dit dans l'affaire B.C. Teachers' Credit
Union v. Betterly (1975), 61 D.L.R. (3d) 755
(C.S.C.-B.), à la page 758:
[TRADUCTION] Au moment où Smith a volé la somme de
45 000 $ à la demanderesse, il est devenu, par détermination de
la loi, fiduciaire de cet argent pour le compte de la
demanderesse.
Le principe relatif au droit de suite reconnu en equity est
exposé dans l'affaire Nelson et al. v. Larholt, [1947] 2 All E.R.
751, où le juge Denning a statué à la page 752 que si un bien
est soustrait à son propriétaire légitime, ce dernier peut le
recouvrer en quelque main qu'il se trouve, à moins que le
possesseur ne soit de bonne foi et ne l'ait reçu à titre onéreux
sans être avisé de l'absence d'autorisation.
Voici le passage mentionné où figurent les propos
tenus par le juge Denning dans l'affaire Nelson v.
Larholt, [1947] 2 All E.R. 751 (K.B.D.) [à la
page 752]:
[TRADUCTION] Les principes juridiques pertinents ont beau-
coup évolué ces trente-cinq dernières années. L'argent qui
appartient à une personne est protégé par la loi. Il peut prendre
diverses formes, et consister, par exemple, en des pièces de
monnaie, bons du Trésor, liquidités à la banque, chèques ou
lettres de change; mais quelle que soit sa forme, il est protégé
par un principe uniforme. Si l'argent est soustrait à son proprié-
taire légitime, ou en fait, à son véritable propriétaire, sans son
autorisation, ce dernier peut le recouvrer en quelque main qu'il
se trouve, à moins qu'il ne se trouve en la possession d'une
personne qui le reçoit de bonne foi, moyennant contrepartie et
sans être avisée de l'absence d'autorisation. Mais la personne
qui a reçu un préavis, c'est-à-dire qui était ou aurait dû être au
courant de l'absence d'autorisation, est tenue de rembourser
l'argent même si elle l'a obtenu de bonne foi. Ce principe régit
toutes les causes publiées, par exemple les cas de fiduciaires ou
de mandataires qui ont tiré des chèques sur le compte en fiducie
ou le compte du mandant pour leurs fins personnelles, ou les cas
d'administrateurs qui ont versé les chèques de la société dans
leur propre compte. Le propriétaire légitime peut réclamer le
montant à quiconque reçoit le chèque avec préavis, mais ne
peut, bien sûr, recouvrer ce montant plus d'une fois. Ce prin-
cipe a été élaboré tant par les cours de justice que par les cours
d'equity. En equity, il se traduisait par une action visant à
suivre l'argent grevé d'une fiducie expresse ou d'une fiducie par
détermination de la loi fondée sur un lien fiduciaire. En droit, il
se traduisait par une action en recouvrement de l'argent reçu ou
en dommages-intérêts lorsqu'il y avait appropriation illicite
d'un chèque. Toutefois, il n'y a plus lieu de faire une distinction
entre la loi et l'equity. Les principes doivent maintenant être
énoncés à la lumière de leur effet combiné. Il n'est pas non plus
nécessaire d'examiner à fond les subtilités de ces anciennes
formes d'action. Les recours dépendent maintenant du fonde-
ment du droit et non de la question de savoir s'ils peuvent
s'inscrire dans un cadre particulier. Le droit en l'espèce ne
relève ni de l'equity, ni d'un contrat, ni d'un délit; il s'applique
plutôt à la catégorie importante de cas où la Cour ordonne la
restitution d'un bien lorsque la justice l'exige.
On peut recouvrer non seulement le bien volé
mais aussi les «fruits» qui en découlent: D. W. M.
Waters, Law of Trusts in Canada (Toronto,
1974), pages 339 et 340; affaire de la Banque
Belge précitée. Il en est clairement ainsi pour ce
qui est des bénéfices découlant des fonds en fiducie
détournés et des bénéfices provenant de l'utilisa-
tion de l'argent volé. Conclure autrement revien-
drait à exiger d'un voleur qu'il remette le capital
des fonds volés, mais à l'autoriser à garder les
bénéfices découlant de l'utilisation de ces fonds. Il
est également clair que lorsque les fonds détournés
ou les bénéfices qui en découlent se mêlent aux
fonds de l'auteur d'un dommage, et qu'une somme
d'argent est retirée de ces fonds mélangés, l'auteur
du dommage est censé avoir d'abord retiré ses
propres fonds (c'est le principe selon lequel ce qui
est entré le premier est censé être sorti le premier):
In re Hallett's Estate (1878), 13 Ch. D. 696
(C.A.), surtout à la page 727; In re Oatway,
[1903] 2 Ch. 356, surtout à la page 360. En
l'espèce, l'action de la demanderesse repose sur ces
principes.
Appliquant ces principes, j'estime que la deman-
deresse a démontré qu'elle a droit à une partie de
la somme de 354 096,35 $ saisie dans le compte
d'épargne de Hasiuk, sans que la Couronne puisse
y prétendre, pour la simple raison qu'elle en est la
propriétaire. Cette somme comprend: 8 000 $ pro-
venant de la vente d'une roulotte motorisée qui
avait été achetée au début avec l'argent volé à la
demanderesse; 34 522,80 $, produit découlant du
remboursement du prêt hypothécaire Mosco (j'ai
rejeté l'argument selon lequel la mensualité de
700 $, au lieu de 531,12 $, était versée sur ce
compte)—le prêt hypothécaire avait initialement
été consenti grâce à l'argent volé à la demande-
resse; 148 936,74 $, qui constitue le produit de la
vente d'un bien-fonds à Fairmont (Colombie-Bri-
tannique), l'argent volé à la demanderesse ayant
permis d'acheter ce bien-fonds et d'y construire
une maison; et 17 100 $, qui représente l'intérêt
versé à Hasiuk sur son investissement de 300 000 $
dans un magasin de vêtements (Sir Mens' Wear),
cette dernière somme ayant d'abord été volée à la
demanderesse. Les sommes dont on a ainsi établi
l'origine sont toutes des produits découlant de
l'argent volé à la demanderesse. Elles totalisent
208 559,54 $. La demanderesse a également droit
à un jugement déclarant qu'on devrait lui accorder
les versements échus et à échoir pour ce qui est du
remboursement de l'hypothèque Mosco, 50 % du
produit de la vente des deux voitures, ainsi qu'une
quote-part de l'intérêt sur ces produits puisqu'ils
ont été déposés dans un compte en fiducie. Il
ressort de la preuve qu'environ la moitié des
sommes versées par Hasiuk pour l'achat de ces
deux voitures pouvaient provenir de l'argent volé à
la demanderesse.
Bien que des sommes autres que l'argent volé
aient été déposées dans le compte d'épargne, et que
des retraits y aient été effectués pour diverses fins
au cours de la période en question, l'application du
principe du premier entré, premier sorti permet à
la demanderesse de réclamer la première somme
de 208 559,54 $, ainsi qu'une somme additionnelle
qui représente l'intérêt produit par celle-ci dans le
compte d'épargne. L'avocat de la défenderesse ne
prétend pas sérieusement que l'origine des actifs
décrits ci-dessus n'a pas été prouvée, bien qu'il
conteste effectivement la méthode utilisée par la
demanderesse pour calculer cette portion de l'inté-
rêt produit dans le compte d'épargne qui provient
véritablement de l'argent volé. Pour ce qui est de
la part de l'intérêt dans le compte d'épargne qui
revient de plein droit à la demanderesse, je con-
viens avec la défenderesse qu'on devrait calculer
cette part en se rapportant aux dates et aux mon-
tants des différents dépôts. On devrait alors calcu-
ler l'intérêt provenant de ces sommes en se réfé-
rant au taux d'intérêt applicable, compte tenu de
ses fluctuations à compter du dépôt, et non au
pourcentage global réclamé par la demanderesse.
Créances «de rang égal"
Néanmoins, la demanderesse sollicite un juge-
ment déclarant qu'elle a droit non seulement aux
fonds et aux bénéfices découlant de ces derniers,
qui peuvent lui avoir été volés, mais aussi à une
quote-part, égale à celle de la Couronne, sur les
autres biens de Hasiuk, soit le reliquat des fonds
dans le compte d'épargne (39 500,78 $), la seconde
moitié du produit de la vente des deux voitures et
le produit de la vente de la résidence de Hasiuk.
La demanderesse prétend y avoir droit parce que
la réclamation de la Couronne et la sienne ne sont
pas des créances «de même rang»'. Je note tout
d'abord un problème soulevé par l'avocat de la
défenderesse: si la somme due à la Couronne et
celle due à la demanderesse ne sont pas de même
rang, la créance de la demanderesse ayant priorité,
celle-ci devrait alors prétendre que cette priorité
vaut pour la somme totale qui lui a été adjugée et
non simplement pour une quote-part des fonds
restants. Le fait de prétendre à une quote-part des
sommes implique que les deux réclamations sont
de même rang et, si tel est le cas, la prérogative de
la Couronne entre en jeu, comme il a été souligné,
ce qui lui accorde la priorité aux fins du paiement.
Il existe certainement une jurisprudence peu
abondante qui traite des réclamations «de même
rang». L'avocat de la demanderesse a cité l'arrêt
Household Realty Corporation Ltd. et autre c.
Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S.
423; (1979), 29 N.R. 174, où il a été statué qu'une
réclamation de la Couronne agissant à titre de
créancière saisissante, n'était pas du même rang
que les deuxièmes hypothèques d'un créancier
hypothécaire enregistrées antérieurement. La Cour
s'est prononcée en ces termes aux pages 429
R.C.S.; 180 N.R.:
A mon avis ... les deuxièmes hypothèques en cause, constituant
un droit partiel au titre de propriété, ont acquis préséance sur
des jugements en faveur de Sa Majesté obtenus et enregistrés
subséquemment contre le bien-fonds du débiteur hypothécaire,
titulaire du droit de rachat ... je conclus que la réclamation du
créancier hypothécaire est de rang plus élevé et non de rang
égal à celle de Sa Majesté .. .
L'avocat de la défenderesse soutient que, en
l'espèce, les deux réclamations sont de rang égal en
raison du statut de créanciers chirographaires de la
défenderesse et de la demanderesse: la réclamation
de la demanderesse repose sur des jugements de la
Cour du Banc de la Reine de l'Alberta ordonnant
' La réclamation de la demanderesse fondée sur l'article 15
de la Charte canadienne des droits et libertés a été examinée
ci-dessus, aux pp. 343 et suivantes.
la remise de l'argent volé ou lui accordant des
dommages-intérêts par suite du détournement, et
celle de la défenderesse découle d'un jugement de
la Cour fédérale lui octroyant une somme d'argent
par suite du non-paiement de l'impôt sur le revenu.
(Je fais remarquer que les jugements en question
du Banc de la Reine de l'Alberta n'ont pas été
déposés en preuve, ce qui fait que la Cour ne
dispose pas du texte exact de ces ordonnances.)
L'avocat de la demanderesse répond que la défen-
deresse s'en tient trop à la nature des jugements
respectifs et particulièrement au fait que leurs
créances sont toutes deux non garanties. Il soutient
que la question «de rang égal» doit être examinée
par rapport aux circonstances qui ont donné nais-
sance aux deux créances. Il cite une décision
récente de la Cour de district de l'Ontario Re
Kolari (1981), 36 O.R. (2d) 473. Dans cette
affaire, le juge Stortini a statué que, lorsque la
victime d'un vol (Canada Permanent Trust Co.),
commis par une employée (Mme Kolari), et le
ministre du Revenu national (réclamant l'impôt
impayé), prétendent tous deux avoir un droit sur le
bien du voleur, c'est la victime du vol qui a prio-
rité. Il est dit à la page 477:
[TRADUCTION] En l'espèce, la Couronne n'est pas un ache-
teur de bonne foi moyennant contrepartie et sans avoir été
informée de l'absence d'autorisation. Elle ne rivalise pas avec
des créanciers généraux, auquel cas sa prérogative prévaudrait
bien sûr. Elle rivalise avec la victime d'une escroquerie. Ses
droits ne sont pas plus étendus que ceux du contribuable faisant
l'objet d'une cotisation et qui, en l'espèce, a été déclaré coupa-
ble d'avoir volé l'argent qui est assujetti à l'impôt sur le revenu.
Malgré la portée de cette déclaration, le juge
Stortini a toutefois précisé que son jugement repo-
sait sur la théorie du droit de suite. On a invoqué
cette théorie pour statuer que le droit de la victime
du vol de réclamer le produit en question a priorité
sur celui de la Couronne. Ainsi qu'il a été souligné
ci-dessus, je suis du même avis. C'est pour cette
raison que la demanderesse à l'instance a droit à la
somme de 208 559,54 $ saisie dans le compte
d'épargne, aux produits de l'hypothèque Mosco et
à la moitié du produit de la vente des deux voitu-
res, ainsi qu'à l'intérêt qui se rapporte à chacune
de ces sommes.
Si je comprends bien, l'avocat de la demande-
resse prétend que les deux dettes en question ne
sont pas de rang égal car, lorsqu'un voleur
mélange ses fonds avec ceux qu'il a détournés, on
présume que c'est à lui de prouver la propriété de
cette partie des biens qu'il prétend ne pas avoir
détournée. Sans cela, la victime est en droit de
prétendre que les fonds mélangés sont ceux qui ont
été volés (jusqu'à concurrence de ce qui a en fait
été volé plus les bénéfices qui en découlent). Je ne
vois pas comment ce principe s'applique en l'es-
pèce. En l'espèce, il n'y a pas de confusion quant à
la question de savoir quelle partie de l'argent
déposé dans le compte d'épargne ou des autres
avoirs était de l'argent volé ou le produit de l'ar-
gent volé et quelle partie ne l'était pas. Les
sommes respectives ont été précisément détermi-
nées: il a été prouvé que certaines factures de
service public concernant la résidence de Hasiuk
peuvent avoir été payées sur le produit de l'argent
volé, mais cette preuve n'est pas suffisamment
claire pour établir qu'il y a effectivement eu un
mélange de fonds relativement au paiement des
factures de service public. En fait, même s'il y a eu
mélange à cet égard, il n'est pas certain qu'il
s'agisse d'un mélange concernant la résidence elle-
même de manière à permettre à la demanderesse
de réclamer le produit de la vente de cette
résidence.
Pour ce qui est de l'argument de la demande-
resse selon lequel les réclamations respectives
(celle de la Couronne pour l'impôt impayé et celle
de la demanderesse exigeant la remise des fonds ou
des dommages-intérêts pour détournement) ne
sont pas de rang égal, en raison de leur nature, je
note certains arrêts selon lesquels la prérogative de
la Couronne ne lui confère pas une priorité seule-
ment dans les cas de réclamations de rang égal:
Voir C. R. B. Dunlop, Creditor-Debtor Law in
Canada (1981), où il est dit à la page 450:
[TRADUCTION] ... il existe une jurisprudence affirmant caté-
goriquement que la prérogative de la Couronne lui accorde «la
préséance dans tous les cas, pour tout type de droits, lorsque le
droit de la Couronne et celui d'un sujet sont de rang égal et
viennent en concurrence».
Cela étant, je ne connais aucune jurisprudence,
et les avocats ne m'en ont cité aucune, qui fasse
une distinction entre les réclamations de la Cou-
ronne et celles de particuliers et qui déclare qu'el-
les ne sont pas de rang égal, selon l'argument
qu'invoque maintenant l'avocat de la demanderes-
set. Certains arrêts de jurisprudence portent que
des réclamations ne sont pas de rang égal si l'une
est garantie et l'autre ne l'est pas: Household
Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur
général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 423; (1979),
29 N.R. 174; City of Toronto, and Toronto Elec
tric Commissioners v. Wade, [1931] O.R. 470
(C.S.). D'autres disposent que lorsque les créances
de la Couronne résultent d'opérations commercia-
les ou industrielles ordinaires, elles ne peuvent
avoir priorité parce qu'il ne s'agit pas d'un type de
créance qui, historiquement, bénéficie de la préro-
gative de la Couronne: The Queen v. Workmen's
Compensation Board and City of Edmonton
(1962), 36 D.L.R. (2d) 166 (C.S. Alb.), confirmée
par (1963), 42 W.W.R. 226 (C.A. Alb.). Mais
aucune de ces exceptions ne se rapporte à l'espèce.
rapporte à l'espèce.
La créance de la demanderesse et celle de la
Couronne sont toutes deux non garanties (excepté
les parties de l'actif en espèces auxquelles la
demanderesse peut prétendre en vertu de la théorie
du droit de suite). Les deux réclamations ont été
produites par les parties en tant que créancières
saisissantes. La créance de la Couronne n'est pas
une créance qui résulte d'une opération commer-
ciale ou industrielle ordinaire. J'estime donc qu'il
n'y a pas lieu de déroger aux règles ordinaires, et
la prétention de la demanderesse à une quote-part
égale à celle de la Couronne est rejetée.
Bien que la demanderesse ait obtenu gain de
cause en partie, elle a droit à ses dépens de l'ac-
tion. Un jugement sera rendu dans ce sens.
Z C'est la Commission de réforme du droit de la Colombie-
Britannique qui a le mieux examiné cette distinction dans son
rapport intitulé Report on the Crown as Creditor: Priorities
and Privileges (1982), aux pp. 7 à 9, où on souligne que la
distinction semble avoir figuré pour la première fois dans
l'affaire Re Henley & Co. (1878), 9 Ch. D. 469 (C.A.), à la p.
481 concernant une distinction possible entre des créances
créées en vertu d'un contrat sous seing privé et celles résultant
d'un contrat ordinaire.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.