A-329-85
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Canamerican Auto Lease and Rental Limited
(exerçant ses activités sous la dénomination
sociale de «Hertz») et Hertz Canada Limited
(exerçant ses activités sous la dénomination
sociale de «Hertz») (intimées) (demanderesses)
RÉPERTORIÉ: CANAMERICAN AUTO LEASE AND RENTAL LTD. C.
CANADA
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone—
Ottawa, 21, 22 et 23 janvier; 17 mars 1987.
Couronne — Contrats — Responsabilité — Appel interjeté
d'un jugement de la Division de première instance concluant
que l'appelante devait payer aux intimées des dommages-inté-
rêts pour bris de contrat — Transports Canada a effectué un
appel d'offres relativement à la fourniture de services de
location d'automobiles dans les aéroports — Tilden avait la
qualité requise pour présenter des soumissions dans deux
catégories différentes — Hertz a préparé sa soumission en se
fondant sur des déclarations et sur une clause relative à
l'adjudication figurant dans les Conditions selon lesquelles la
soumission présentée dans la catégorie ouverte devait être
acceptée si elle était supérieure à la soumission présentée dans
la catégorie domestique — La soumission moins élevée a été
acceptée — Une action alléguant bris de contrat a été entamée
— Le juge de première instance a eu raison de conclure que
l'appel d'offres avait créé un contrat préliminaire ayant con
duit à la conclusion du contrat définitif — L'arrêt R. du chef
de l'Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction
(Eastern) Ltd., [19811 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267 a été
correctement appliqué — La disposition de la procédure d'ad-
judication prévoyant expressément que l'adjudication se ferait
en fonction de l'offre la plus élevée d'un soumissionnaire n'est
pas subordonnée à la clause générale selon laquelle le minis-
tère «n'est tenu de retenir aucune soumission» — L'exposé de
principe et les conditions présentées par écrit ne faisaient pas
qu'énoncer des politiques — Le processus d'appel d'offres a
été conçu de façon que les aspirants concessionnaires partici-
pent à un concours en échange d'un engagement de l'appelante
à apprécier les soumissions d'une manière conforme aux con
ditions de l'appel d'offres et à offrir aux adjudicataires la
possibilité de conclure un contrat de location.
Couronne — Contrats — Dommages-intérêts — Caractère
éloigné et montant — Appel interjeté d'un jugement de la
Division de première instance accordant aux intimées des
dommages-intérêts équivalant au montant supplémentaire
qu'elles ont offert — Le critère relatif au préjudice trop
éloigné est le même pour une réclamation fondée sur la
responsabilité délictuelle que pour une réclamation fondée sur
la responsabilité contractuelle — Le juge de première instance
a eu raison de s'appuyer sur l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v.
Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.) — Le contrat ne garantissait
pas à l'intimée qu'elle pourrait exploiter son commerce à
l'aéroport libre de toute concurrence mais prévoyait simple-
ment l'observation de certaines règles relatives à la sélection
des soumissions — Le montant de la réparation ne doit tenir
compte que des dommages-intérêts raisonnablement prévisi-
bles.• Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341 — L'offre d'un
montant supplémentaire était raisonnablement prévisible —
La perte de profits n'était pas raisonnablement prévisible
puisqu'aucune garantie que la concurrente de l'intimée serait
exclue de l'aéroport n'avait été donnée.
Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première
instance concluant que l'appelante devait payer des dommages-
intérêts aux intimées pour bris de contrat. Transports Canada a
lancé un appel d'offres relativement à la fourniture de services
de location d'automobiles dans les aéroports. Les soumissions
pouvaient être présentées dans trois catégories différentes.
Tilden avait la qualité requise pour présenter des soumissions à
la fois dans la catégorie domestique et dans la catégorie
ouverte. Lors de la préparation de son offre financière, Hertz
s'est fondée sur les déclarations de Transports Canada selon
lesquelles, dans l'hypothèse où un soumissionnaire présenterait
des offres dans deux catégories différentes, sa soumission la
plus élevée présentée dans la catégorie ouverte serait acceptée,
et la procédure d'adjudication des Conditions prévoyait expres-
sément que telle serait la règle suivie. Toutefois, dans un
mémoire subséquent, il a été dit que, si l'application des seules
considérations d'ordre financier risquait d'avantager indûment
une société donnée, le comité d'évaluation se fonderait sur la
stipulation de l'appel d'offres qui porte: «Le Ministère ne
retiendra pas nécessairement l'offre la plus élevée et il n'est
tenu de retenir aucune soumission». Hertz a préparé sa soumis-
sion en tenant pour acquis qu'elle ne pouvait pas se permettre
d'être exclue des aéroports. Elle devait présenter une offre
supérieure à celle d'Avis. Transports Canada a accepté la plus
basse des soumissions de Tilden (c'est-à-dire celle présentée
dans la catégorie domestique). Hertz a entamé une action
fondée sur la rupture de contrat et le délit civil. Le juge de
première instance a conclu à une rupture de contrat et lui a
adjugé des dommages-intérêts. Les questions en litige sont
celles de savoir 1) s'il y a eu rupture de contrat; 2) si les
dommages subis étaient trop éloignés; et 3) si le juge de
première instance s'est trompé dans son appréciation du mon-
tant des dommages-intérêts.
Arrêt: l'appel et l'appel incident devraient être rejetés.
Le juge de première instance a eu raison de suivre l'arrêt Ron
Engineering pour conclure que l'appel d'offres en l'espèce avait
créé un contrat préliminaire conduisant à la conclusion d'un
contrat définitif. L'industrie a été invitée à présenter des sou-
missions en fonction de conditions très précises. Le contrat de
soumission est intervenu au moment où la demanderesse a
présenté sa soumission et son acompte, la présentation de la
soumission et d'un acompte non remboursable constituant la
contrepartie. Elle a alors conclu à une rupture de contrat en se
fondant sur la clause relative à la procédure d'adjudication des
conditions de l'offre ainsi que sur les déclarations faites par les
représentants de la Couronne lors des réunions d'information.
Le juge de première instance a rejeté l'argument de l'appelante
fondé sur la clause stipulant que le ministère «n'est tenu de
retenir aucune soumission». Le fait d'accorder la prépondérance
à cette clause des Conditions annulerait la clause relative à la
procédure d'adjudication, qui prévoit qu'un soumissionnaire
réussissant dans plus d'une catégorie ne se verra attribuer qu'un
seul comptoir et que «l'adjudication se fera en fonction de
l'offre la plus élevée dudit soumissionnaire.» Le document de
l'appel d'offres prévoit également une règle régissant de façon
expresse et précise le sort des diverses soumissions d'un même
soumissionnaire. Il ne devrait pas être présumé qu'une règle
précise comme celle-là est subordonnée à une règle générale
dont l'applicabilité est incertaine et qui la contredit. Il existe un
contrat tenant du contrat A de l'arrêt Ron Engineering. Les
conditions de ce contrat se trouvent énoncées dans les Politiques
et Conditions.
Le juge de première instance a correctement appliqué les
principes de la responsabilité contractuelle en rejetant la pré-
tention que les Conditions constituaient de simples énoncés de
politique. Elle a conclu que tout le processus de l'appel d'offres
avait pour but d'obliger les aspirants concessionnaires à concou-
rir pour des comptoirs dans les aéroports. Les obligations de
l'appelante consistaient en un engagement à apprécier les sou-
missions d'une manière conforme aux conditions de l'appel
d'offres et, conformément à ces mêmes conditions, à offrir aux
adjudicataires la possibilité de conclure un contrat de location.
Les observations du juge de première instance concernant des
déclarations inexactes faites par négligence semblent constituer
une remarque incidente. Toutefois, le montant des dommages-
intérêts alloué, comme le critère relatif à l'éloignement des
dommages, seront les mêmes si la présente affaire est considé-
rée comme une rupture de contrat que si elle est considérée
comme mettant en jeu la responsabilité délictuelle.
Le juge de première instance ne s'est pas trompé en se
fondant sur l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976]
Q.B. 801 (C.A.) pour adjuger des dommages-intérêts équiva-
lents au montant supplémentaire offert par les intimées. La
perte de profits n'aurait été recouvrable que si le contrat avait
comporté une garantie que le commerce pourrait être exploité
libre de toute concurrence sur les lieux de l'aéroport. Le contrat
prévoyait simplement l'observation de certaines règles relatives
à la sélection des soumissions qui seraient retenues et, comme
Hertz a subi un préjudice à la suite du non respect de cette
condition, le quantum de ce préjudice devrait se limiter au
montant excédentaire proposé à la suite de la rupture du
contrat.
Le juge de première instance a eu raison de conclure que les
dommages subis n'étaient pas trop éloignés. Le montant des
dommages-intérêts subis doit être limité aux dommages-intérêts
raisonnablement prévisibles. Si le critère énoncé dans l'affaire
Hadley v. Baxendale est appliqué, il était raisonnablement
prévisible que les intimés, voulant s'assurer qu'elles ne seraient
pas exclues des aéroports, augmenteraient leur offre pour parer
à une telle éventualité. Transports Canada aurait dû prévoir
que le montant supplémentaire de loyer payé par les intimées
afin de «se protéger», convaincues qu'elles étaient que Trans
ports Canada respecterait les conditions du contrat, constitue-
rait une conséquence vraisemblable ou probable de leur défaut
d'observer ces conditions.
La perte de profits due au fait qu'Avis n'a pas été exclue de
l'aéroport n'était pas raisonnablement prévisible. Il n'a pas été
promis aux intimées qu'Avis serait exclue de l'aéroport. En
conséquence, les demanderesses ne devraient pas avoir le droit
d'être indemnisées pour la perte des profits auxquels elles
s'attendaient dans l'éventualité de l'exclusion d'Avis de l'aéro-
port. La preuve présentée lors du procès appuie la conclusion
que Transports Canada ne pouvait raisonnablement prévoir
l'exclusion d'Avis de l'aéroport à l'époque où les offres ont été
soumises. Ce ministère ne savait pas quel montant serait offert.
Il n'a été satisfait ni au critère objectif ni au critère subjectif
énoncés dans l'affaire Hadley v. Baxendale. Ni l'arrêt Heron II
ni l'arrêt Parsons n'ont modifié le critère classique formulé
dans l'arrêt Hadley v. Baxendale.
Le juge Stone: Le juge de première instance a établi une
analogie entre le fondement des dommages-intérêts adjugés
dans l'affaire Esso Petroleum et sa propre décision d'accorder à
la demanderesse le montant qu'elle avait offert en trop. L'on
peut atteindre le même résultat en se fondant sur les principes
juridiques reconnus qui régissent le recouvrement des domma-
ges-intérêts consécutifs à la rupture d'un contrat. Étant donné
qu'il était possible de présenter des soumissions dans deux
catégories et que, dans l'hypothèse où chacune des deux offres
présentées par un même soumissionnaire dans deux catégories
différentes seraient retenues, l'offre la plus élevée serait choisie,
il était raisonnable de prévoir que Tilden présenterait une offre
plus élevée dans la catégorie ouverte, où la concurrence était
plus forte. Certaines décisions récentes indiquent qu'un deman-
deur peut réclamer soit une indemnité proportionnelle à son
expectative (les profits perdus), soit une indemnité proportion-
nelle à l'influence des stipulations non respectées (le montant
offert en trop). L'influence des stipulations non respectées
ouvre droit à indemnisation car la perte visée découle de la
rupture du contrat. Ce montant a été payé en sus de celui qu'il
en aurait réellement coûté pour obtenir un comptoir de location
d'automobiles de la catégorie ouverte, sur la foi de la clause
relative à l'adjudication. Le préjudice subi par Hertz peut être
redressé en indemnisant celle-ci de sa perte dans le cadre des
principes reconnus régissant des contrats. Le préjudice lié à
l'expectative n'est pas compensable. Hertz ne prétend pas que
la rupture de ce contrat lui a fait perdre certains des profits
qu'elle aurait dû réaliser grâce au contrat définitif mais que,
dans la conjoncture résultant de cette rupture, elle se trouve
empêchée de réaliser les profits additionnels qui lui viendraient
d'une partie de l'achalandage d'Avis. Une telle perte de profits,
si l'on applique le critère énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxen-
dale, est trop éloignée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron Engineering &
Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; 119
D.L.R. (3d) 267; H. Parsons (Livestock) Ltd. v. Uttley
Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791; [1978] 1 All ER
525 (C.A.); Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976]
Q.B. 801 (C.A.); R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1
C.F. 129 (C.A.); Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341.
DÉCISION EXAMINÉE:
C. Czarnikow Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350 (H.L.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
V.K. Mason Construction Ltd. c. Banque de Nouvelle-
Écosse et autres, [1985] 1 R.C.S. 271; 16 D.L.R. (4th)
598; Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General
Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633; Sunshine
Vacation Villas Ltd. v. Governor and Company of
Adventurers of England Trading into Hudson's Bay
(1984), 13 D.L.R. (4th) 93 (C.A.C.-B.); Cullinane v.
British .Rema. Manufacturing Co. Ld., [1954] 1 Q.B.
292 (C.A.); Anglia Television Ltd. v. Reed, [1972] 1
Q.B. 60 (C.A.); Bowlay Logging Ltd. v. Domtar Ltd.,
[1978] 4 W.W.R. 105 (C.S.C.-B.); Orvold, Orvold,
Orvold and R.E.G. Holdings Ltd. v. Turbo Resources
Ltd. (1984), 33 Sask. R. 96 (B.R.); C.C.C. Films
(London) Ltd. v. Impact Quadrant Films Ltd., [1985]
Q.B. 16; Victoria Laundry (Windsor), Ld. v. Newman
Industries, Ld. Coulson & Co., Ld. (Third Parties),
[1949] 2 K.B. 528 (C.A.).
AVOCATS:
Derek Aylen, c.r. et D. J. Rennie pour l'appe-
lante (défenderesse).
Raymond D. LeMoyne et Georges R. Thibo-
deau pour les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Doheny, Mackenzie, Montréal, pour les inti-
mées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté d'un juge-
ment de la Division de première instance [juge-
ment en date du 4 mars 1985, T-4780-76, non
publié] concluant que l'appelante devait payer aux
intimées des dommages-intérêts d'un montant de
232 500 $ relativement à l'attribution, en 1976, de
concessions de location d'automobiles dans les neuf
principaux aéroports du Canada'. Un appel inci
dent est ' également interjeté par les intimées
(demanderesses) à l'encontre des conclusions tirées
par le juge de première instance concernant la
question des dommages-intérêts. Les deux intimées
étaient, à tous les moments pertinents, des filiales
canadiennes de Hertz Corporation of New York
City (que nous appellerons Hertz). Au cours des
années 1976 1979, Hertz exerçait des activités de
location de voitures dans les aéroports canadiens.
Elle agissait par l'intermédiaire de franchisés aux
aéroports de Halifax, d'Ottawa, de Winnipeg ainsi
Halifax, Montréal-Dorval, Montréal-Mirabel, Ottawa,
Toronto, Winnipeg, Edmonton, Calgary et Vancouver.
que d'Edmonton et par l'entremise de ses propres
employés aux aéroports de Montréal—Dorval et de
Montréal—Mirabel ainsi qu'aux aéroports de
Toronto, Calgary et Vancouver. À l'occasion, les
comptoirs exploités par des franchisés, lorsqu'ils
changeaient de mains, étaient temporairement
exploités par les employés de Hertz. L'action en
dommages-intérêts intentée par Hertz se fondait
essentiellement sur la prétention que, si le minis-
tère des Transports (que nous appellerons Trans
ports Canada) avait attribué les neuf concessions
en cause de la manière dont Hertz affirme qu'il
avait promis de le faire, Avis, le concurrent princi
pal de Hertz, ne se serait vu attribuer une conces
sion de location d'automobiles à aucun des neuf
aéroports internationaux principaux du Canada
pendant trois ans, ce qui aurait permis à Hertz
d'accroître ses revenus de façon importante.
LES FAITS
Le 13 juillet 1976, Transports Canada a publié
un document s'intitulant Politique sur la location
d'automobiles aux aéroports (la Politique) (dossier
d'appel, vol. 1, pages 85 96 inclusivement), un
document invitant à la présentation de soumissions
dans le cadre d'appels d'offres visant la fourniture
de services de location d'automobiles aux neuf
aéroports internationaux principaux du Canada; il
y était stipulé que de telles soumissions devaient
être présentées «par groupes», conformément à des
normes prévoyant trois groupements distincts de
comptoirs. Ces groupements étaient les suivants:
1. Les comptoirs locaux (ouverts à toute per-
sonne non associée avec un genre d'exploitation dit
réseau, étant incapable d'entrer en compétition
avec le réseau global. Les conditions mentionnées
plus loin définissent les exploitations appartenant
au genre réseau comme étant celles qui compor-
tent des sites d'exploitation dans 5 villes ou plus
dotées d'aéroports internationaux).
2. Les comptoirs domestiques (ouverts à tout
canadien ou immigrant reçu exploitant une entre-
prise de location d'automobiles dont le volume
d'affaire était canadien à plus de 50 %).
3. Les comptoirs ouverts (disponibles à tous, y
compris ceux qui n'avaient pu obtenir un comptoir
domestique ou local).
Le 21 juillet 1976, Transports Canada a publié un
document intitulé [TRADUCTION] «Conditions du
bail relatif aux concessions d'exploitation de comp-
toirs de location d'automobiles» (les Conditions),
(dossier d'appel, vol. 1, pages 95 à 106 inclusive-
ment). Conformément à la procédure énoncée dans
les Conditions, les appels d'offres relatifs à l'attri-
bution des concessions se sont déroulés en deux
étapes: en premier lieu, les intéressés devaient
soumettre certains renseignements concernant leur
société, présenter une offre ayant trait à l'exploita-
tion de la concession, établir leur capacité d'obte-
nir la couverture nécessaire en matière d'assurance
et fournir tous les autres documents nécessaires
pour démontrer qu'ils pouvaient remplir les exi-
gences d'admissibilité; ensuite, les personnes ayant
présenté une soumission et satisfait aux critères
d'admissibilité dans le cadre de la première étape
étaient invitées à faire des offres financières. Les
soumissionnaires retenus lors de la seconde étape
concluaient alors une entente avec Transports
Canada relativement à la période s'étendant du 1"
novembre 1976 au 31 décembre 1979.
Aux fins de l'appel et de l'appel incident en
l'espèce, seules les offres de cinq sociétés doivent
être examinées: Budget, Tilden, Avis, l'intimée
Canamerican (qui a été vendue à Hertz en 1977)
et Host. Il a été reconnu que, à tous les moments
pertinents, ces cinq sociétés détenaient les pourcen-
tages suivants du marché canadien de la location
d'automobiles: Budget-29 %; Tilden -25 %;
Avis-20 %; Canamerican-20 %; et Host, un très
faible pourcentage. Il semble avoir été de connais-
sance générale dans cette industrie que, de ces cinq
soumissionnaires, seules Tilden et Host avaient la
qualité requise pour présenter des soumissions
aussi bien à l'égard de la catégorie domestique que
de la catégorie ouverte. Afin de parfaire l'offre
financière qu'elles présenteraient dans le cadre de
la seconde étape, les intimées, se prévalant de
l'invitation écrite faite par M. Russell O'Neill,
Directeur de la commercialisation des aéroports
pour Transports Canada, ont convenu d'une ren-
contre avec des fonctionnaires de Transports
Canada. Cette rencontre a eu lieu à Ottawa le 22
juillet 1976. Ainsi que l'a noté le juge de première
instance, il était connu de Hertz ainsi que du reste
des locuteurs d'automobiles que Tilden pouvait
concourir à la fois dans la catégorie domestique et
dans la catégorie ouverte tandis que les trois autres
concurrents exploitant traditionnellement des con
cessions dans les aéroports (Hertz, Avis et Budget)
ne pouvaient concourir que dans la catégorie
ouverte. Compte tenu de la position respective de
ces quatre sociétés sur le marché des aéroports, on
savait également que Tilden pouvait se permettre
d'offrir davantage que Hertz et Avis dans la caté-
gorie ouverte. En conséquence, il était important
pour Hertz d'apprendre de Transports Canada ce
qui arriverait si Tilden soumissionnait à la fois
dans la catégorie ouverte et dans la catégorie
domestique. Plus particulièrement, Hertz avait
besoin de savoir ce qui arriverait si Tilden présen-
tait une soumission plus élevée dans la catégorie
ouverte que dans la catégorie domestique. Il sem-
blait évident que Hertz ou Avis se verrait écartée
des aéroports si on décidait de retenir la soumis-
sion de Tilden dans la catégorie ouverte. La veille
de la réunion prévue pour le 22 juillet 1976, Trans
ports Canada a publié les conditions susmention-
nées.
J'estime nécessaire de citer, à ce point, les passa
ges des Politiques et des Conditions qui concernent
directement les questions en l'espèce:
[TRADUCTION] I. LES POLITIQUES
But (dossier d'appel, vol. 1, page 86)
Ces politiques permettront la compétition à l'industrie d'une
façon équitable en ce qui touche les exploitations de location
d'automobiles dans les aéroports, tout en procurant un revenu
optimum à Transports Canada.
Politiques (dossier d'appel, vol. 1, page 86)
Toute personne (propriétaire, association, corporation) peut
chercher à obtenir l'accès aux marchés de la location d'automo-
biles dans les aéroports après avoir rencontré les exigences
d'admissibilité. L'accès aux aéroports sera accordé par voie de
soumissions publiques pour une durée d'occupation définie, aux
personnes ayant fait les offres financières les plus élevées, le
tout sujet à une offre minimum de base ...
Offres financières les plus élevées (dossier d'appel, vol. 1, page
89)
Les soumissionnaires seront requis d'offrir un pourcentage de
leurs ventes brutes et une garantie annuelle minimale pour le
droit et le privilège d'accès aux marchés de la location d'auto-
mobiles dans les aéroports. L'adjudication se fera sur la base
des offres les plus élevées faites à Transports Canada par les
soumissionnaires qualifiés.
Commodités (dossier d'appel, vol. 1, page 94)
L'espace à comptoir dans l'aérogare sera loué aux conces-
sionnaires de location d'automobiles pour la durée de leur
contrat d'accès avec choix d'emplacement d'après le classement
de leur offre, i.e. le mieux offrant pour l'accès aura le premier
choix, le second aura le second choix et ainsi de suite ...
H. LES CONDITIONS
Introduction (dossier d'appel, vol. 1, page 97)
Toute personne (propriétaire, association, corporation) peut
rechercher l'accès aux marchés de la location d'automobiles
dans les aéroports après avoir satisfait aux exigences d'admissi-
bilité. L'accès aux aéroports pour une durée de trois ans sera
accordé par voie d'adjudication aux soumissionnaires qui font
les offres les plus élevées, une offre minimale de base étant
toutefois prévue ...
Offres financières les plus élevées (dossier d'appel, vol. 1, page
98)
Les soumissionnaires devront offrir un pourcentage de leurs
ventes brutes et une garantie annuelle minimale pour le droit et
le privilège d'accès aux marchés de la location d'automobiles
dans les aéroports. Le soumissionnaire retenu devra verser le
pourcentage offert ou la garantie minimale, selon le plus élevé
de ces montants.
Il y aura une offre minimum de base relativement à l'offre de
pourcentage sur le revenu brut:
(a) principaux aéroports internationaux 10 %
(b) tous les autres aéroports 5 %
Adjudication (dossier d'appel, vol. 1, page 98)
Lorsqu'un soumissionnaire réussit dans plus d'une catégorie,
un seul comptoir sera attribué et l'adjudication se fera en
fonction de l'offre la plus élevée dudit soumissionnaire ...
Administration—Principaux aéroports internationaux (dossier
d'appel, vol. 1, page 100)
Les exploitants ayant la qualité requise pour soumissionner
relativement aux «comptoirs domestiques» peuvent soumettre
des offres soit pour l'ensemble des principaux aéroports interna-
tionaux, soit aéroport par aéroport, ou les deux. Ils peuvent
également soumettre des offres pour les comptoirs ouverts ...
Commodités (dossier d'appel, vol. 1, page 100)
Les comptoirs dans les aérogares seront loués aux concession-
naires de location d'automobiles pour la durée de leur contrat,
le choix des emplacements étant fonction des offres reçues, i.e.
le premier choix allant au mieux offrant et ainsi de suite ...
Dépôt de garantie (dossier d'appel, vol. 1, page 102)
Les offres présentées dans le cadre de la seconde étape seront
rejetées à moins qu'elles ne soient accompagnées d'un dépôt de
garantie d'un montant équivalent aux droits des trois (3)
premiers mois, établi en fonction de la garantie minimale
applicable la plus élevée ... Le dépôt de garantie du soumis-
sionnaire retenu sera conservé par le Ministère et imputé aux
droits afférents à la première année d'exploitation de la
concession.
Ce dépôt correspondra soit à l'offre la plus élevée pour un
réseau, soit à la somme des offres visant les aéroports séparé-
ment, selon le montant le plus élevé. Ce dépôt doit être calculé
à partir des garanties minimales et représenter les droits de
trois (3) mois pour chaque offre soumise ...
Soumissions (dossier d'appel, vol. 1, page 102)
Un seul comptoir par dénomination sociale sera accordé dans
chaque aéroport. Dans son examen des soumissions le Ministère
s'arrêtera à la capacité du soumissionnaire d'exploiter la con
cession de location d'automobiles conformément aux exigences
des présentes. Le Ministère ne retiendra pas nécessairement
l'offre la plus élevée et il n'est tenu de retenir aucune soumis-
sion ...
Je reviens maintenant à l'exposé des faits de
l'espèce et plus particulièrement à la réunion qui
s'est tenue à Ottawa le 22 juillet 1976 entre six
représentants de Hertz et trois fonctionnaires de
Transports Canada; le juge de première instance a
résumé avec soin les dépositions de témoins des
deux parties faisant état de ce qui était ressorti de
cette rencontre (dossier d'appel, vol. 1, pages 29 à
32). Elle s'est expressément référée aux déposi-
tions de Richard et Kennedy, qui y assistaient en
qualité de représentants de Hertz. Ils ont tous
deux soulevé la question susmentionnée de savoir
quel sort serait réservé à une offre de Tilden si
celle-ci soumettait des offres à la fois dans la
catégorie ouverte et dans la catégorie domestique,
et, de plus, quelle décision serait prise si l'offre
présentée par Tilden dans la catégorie ouverte
était plus élevée que son offre dans la catégorie
domestique. Tous deux ont déclaré que les fonc-
tionnaires de Transports Canada et, en particulier,
O'Neill, avaient répondu que l'offre plus élevée
présentée dans la catégorie ouverte serait acceptée
puisque les stipulations relatives à l'Adjudication
(dossier d'appel, vol. 1, page 98) précitées le pré-
voient expressément. Le juge de première instance,
après avoir résumé les dépositions de Kennedy et
Richard, a déclaré (dossier d'appel, vol. 1, page
31):
Je n'ai aucune raison de douter de la véracité du témoignage de
Kennedy ou de Richard.
Elle a poursuivi en faisant état des dépositions des
fonctionnaires de Transports Canada ayant assisté
aux réunions. Selon moi, le mieux qu'on puisse
dire de ces témoignages est qu'ils sont équivoques
et peu utiles. Les témoins ne semblent pas se
rappeler que cette question précise ait été soulevée.
Quoi qu'il en soit, le juge de première instance a
accepté les dépositions de Kennedy et Richard
relativement à cette question. J'estime qu'elle avait
clairement le droit de le faire et qu'une Cour
d'appel ne devrait pas modifier cette conclusion.
Le 3 août 1976, une réunion finale d'informa-
tion a été tenue pour les locateurs d'automobiles
dans les bureaux de Transports Canada à Ottawa.
Le procès-verbal de cette réunion révèle, entre
autres, que:
[TRADUCTION] 1. Les fonctionnaires de Transports Canada
ont dit qu'un soumissionnaire qualifié pour présenter une offre
dans les catégories ouverte et domestique qui soumettrait des
offres égales dans ces deux catégories se verrait accorder le
comptoir domestique; et
2. la soumission la plus élevée pour chaque comptoir serait
retenue.
Entre le 7 et le 10 août 1976, Transports Canada a
remis à tous les soumissionnaires intéressés un
mémoire qui se voulait un résumé des questions et
des réponses formulées lors des diverses réunions
d'information. Une de ces questions était la ques
tion fondamentale en l'espèce: lorsqu'un soumis-
sionnaire est admissible à exploiter plus d'un
groupe de comptoirs, comment décidera-t-on quel
groupe lui attribuer? La réponse figurant dans le
mémoire de Transports Canada est la suivante:
[TRADUCTION] On tiendra compte surtout de considérations
d'ordre financier. Toutefois, si l'application de ce seul critère
risquait d'avantager indûment une société donnée, le comité
d'évaluation se fonderait sur la stipulation de l'appel d'offres
qui porte: «Le Ministère ne retiendra pas nécessairement l'offre
la plus élevée et il n'est tenu de retenir aucune soumission.»
Les dirigeants de Hertz ont alors rédigé leur
soumission en partant du postulat selon lequel leur
société ne pouvait se permettre d'être exclue des
aéroports. Hertz ne croyant pas qu'Avis tenterait
de renchérir sur Tilden, elle devrait présenter une
offre supérieure à celle de Tilden pour être sûre de
l'emporter sur Avis. Pour ces motifs, et sachant
que Tilden présenterait une soumission plus élevée
dans la catégorie ouverte que dans la catégorie
domestique (la compétition étant plus forte dans la
catégorie ouverte), Hertz a soumis une offre légè-
rement supérieure à 2.8 millons de dollars.
Les soumissions ont été ouvertes à Ottawa le 1 °r
octobre 1976. Celles-ci comprenaient les offres
suivantes:
MINIMUM PERCENTAGE OFFERS
COUNTERS BIDDERS GUARANTEE YEAR 1 % YEAR 2 % YEAR 3 %
Open 1. BUDGET $3,097,200.00 10.54 10.54 10.54
Open 2. HERTZ $2,809,002.00 11.00 11.00 11.00
Open 3. TILDEN $2,523,000.00 10.00 10.00 10.00
Open 4. HOST $2,496,000.00 14.57 14.71 15.05
Open 5. AVIS $2,433,200.00 10.00 10.00 10.00
(others bidding in the open category of an airport by airport basis were companies such as Holiday, Amleco, Compact
Rent-A-Car, Nashu-U Drive.)
Domestic 1. HOST $2,496,000.00 14.57 14.71 15.15
Domestic 2. TILDEN $2,305,300.00 10.00 10.00 10.00
(others bidding in the domestic category on an airport-by-airport basis were companies such as Holiday, Rent Rite, Pacific
Atlantic Rentals, Compact Rent-A-Car, Ottawa-Ford.)
SOUMIS- MINIMUM POURCENTAGE OFFERT
COMPTOIRS SIONNAIRES GARANTI I" ANNÉE 2` ANNÉE 3` ANNÉE
Ouvert 1. BUDGET 3 097 200 $ 10,54 10,54 10,54
Ouvert 2. HERTZ 2 809 002 $ 11,00 11,00 11,00
Ouvert 3. TILDEN 2 523 000 $ 10,00 10,00 10,00
Ouvert 4. HOST 2 496 000 $ 14,57 14,71 15,05
Ouvert 5. AVIS 2 433 200 $ 10,00 10,00 10,00
(Parmi les sociétés qui, dans la catégorie ouverte, ont fait une soumission distincte pour chaque aéroport figurent: Holiday,
Amleco, Compact Rent-A-Car et Nashu-U Drive.)
Domestique 1. HOST 2 496 000 $ 14,57 14,71 15,15
Domestique 2. TILDEN 2 305 300 $ 10,00 10,00 10,00
(Parmi les sociétés qui, dans la catégorie domestique, ont fait une soumission distincte pour chaque aéroport figurent: Holiday,
Rent Rite, Pacific Atlantic Rentals, Compact Rent-A-Car, Ottawa Ford.)
Le ministère des Transports a alors . accepté la
plus basse des offres de Tilden (c'est-à-dire celle
présentée dans la catégorie domestique) afin de
maximiser ses revenus. La logique sous-tendant
cette décision était la suivante: l'acceptation de
l'offre présentée par Tilden dans la catégorie
ouverte aurait exclu Avis des aéroports et entraîné
l'adjudication à Holiday du second comptoir
domestique. Toutefois, les revenus perdus en raison
de l'exclusion de Avis des aéroports ne pourraient
pas être compensés par la différence entre l'offre
présentée par Tilden dans la catégorie ouverte et
son offre, moins importante, visant les comptoirs
domestiques ainsi que par l'offre plutôt basse de
Holiday. Hertz a entamé la présente action devant
la Division de première instance le 6 décembre
1976 pour réclamer des dommages-intérêts pour
rupture de contrat et délit civil. Elle a également
signé le contrat de location prescrit le 7 février
1977 et effectué tous les paiements stipulés par ce
contrat. Hertz a toutefois effectué ces paiements
en se réservant le droit de poursuivre son action en
dommages-intérêts.
LES CONCLUSIONS TIRÉES PAR LE JUGE DE
PREMIÈRE INSTANCE SUR LA QUESTION DE LA
RESPONSABILITÉ
Le juge de première instance a conclu que l'ap-
pel d'offres en l'espèce comportait les éléments
nécessaires à la création d'un contrat préliminaire
ou initial conduisant à la conclusion du contrat
définitif. À cet égard, elle a suivi la décision
rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire R. du chef de l'Ontario et autre c. Ron
Engineering & Construction (Eastern) Ltd.,
[1981] 1 R.C.S. 111; 119 D.L.R. (3d) 267. Elle a
cité avec approbation le passage des motifs du juge
Estey dans lequel, énonçant l'opinion de la Cour, il
a appelé ce premier contrat le contrat A pour le
distinguer du contrat d'entreprise qui, dans cette
espèce, était né avec l'acceptation de l'offre. Le
juge Estey a appelé le contrat d'entreprise en
question le contrat B. Selon lui, le contrat A était
un «... contrat unilatéral qui découle de la présen-
tation d'une soumission en réponse à l'appel d'of-
fres aux conditions susmentionnées ...» (aux pages
119 R.C.S.; 272 D.L.R.). Le juge Estey a pour-
suivi en déclarant (aux pages 122 et 123 R.C.S.;
275 D.L.R.):
La condition principale du contrat A est l'irrévocabilité de
l'offre, et la condition qui en découle est l'obligation pour les
deux parties de former un autre contrat (le contrat B) dès
l'acceptation de la soumission.
Après avoir observé que ce n'est pas tout appel
d'offres qui crée un contrat préliminaire ou initial,
le juge de première instance a examiné les circons-
tances de l'espèce afin de déterminer si l'appel
d'offres visé était simplement une invitation à
négocier ou constituait une offre de contrat préli-
minaire. Elle a conclu que l'appel d'offres en l'es-
pèce appartenait à cette dernière catégorie pour les
motifs suivants (dossier d'appel, vol. 1, pages 40 et
41):
Cet appel d'offres lancé aux loueurs d'automobiles assujettissait
les soumissions à des conditions très précises; en fait, la quasi-
totalité des termes du contrat définitif de location ont été repris
des conditions de l'appel d'offres. Chaque soumission était
accompagnée d'un acompte correspondant au montant que le
soumissionnaire s'attendait à payer pour les trois premiers
mois, soit 204 928 $ dans le cas des demanderesses. Si leur
soumission était retenue, cette somme ne leur serait pas rem-
boursée. Le contrat de soumission (en les mots du juge Estey, le
contrat «A») est intervenu au moment où les demanderesses ont
présenté leur soumission et leur acompte de 204 928 $, la
présentation de la soumission et de l'acompte constituant la
contrepartie. En retenant la soumission, la défenderesse a fait
aux demanderesses une offre irrévocable de conclure le contrat
«B» (ce qui peut être comparé à une option d'acheter). Le
contrat définitif de location (le contrat «B») naît sur l'accepta-
tion de l'offre irrévocable.
Elle a alors conclu à une rupture du contrat A
en se basant non seulement sur la clause relative à
l'adjudication figurant dans les conditions de l'ap-
pel d'offres précitée, mais encore sur les réponses
données à Tilden par les représentants de Trans
ports Canada lors de la réunion finale d'informa-
tion du 3 août 1976, dont nous avons déjà parlé.
L'avocat de l'appelante prétend que le juge de
première instance a mal appliqué les principes
énoncés dans l'arrêt Ron Engineering, précité, et
n'aurait pas dû conclure que l'appelante était obli
gée par contrat à l'adjudication d'une concession à
Tilden dans la catégorie ouverte. En conséquence,
il prétend que le juge de première instance s'est
trompé en concluant qu'il y avait eu rupture de
contrat de la part de l'appelante. L'appelante pré-
tend que l'appel d'offres n'obligeait pas Transports
Canada à accepter l'offre de Tilden dans la catégo-
rie ouverte parce qu'il n'obligeait Transports
Canada à accepter aucune offre à moins d'une
déclaration expresse. À l'appui de cette prétention,
l'appelante invoque certaines des dispositions des
Conditions figurant sous le sous-titre «Soumis-
sions» (dossier d'appel, vol. 1, page 102) précité,
dispositions selon lesquelles: «Le Ministère ne
retiendra pas nécessairement l'offre la plus élevée
et n'est tenu de retenir aucune soumission ...»
L'appelante s'appuie également sur le mémoire
final remis aux soumissionnaires intéressés entre le
7 et le 10 août 1976, mémoire dont nous avons
déjà parlé. Elle soutient que cette disposition, telle
qu'elle est libellée dans les Conditions et confirmée
par le mémoire remis aux soumissionnaires entre le
7 et le 10 août, devrait lier les parties puisqu'elle
n'a jamais été modifiée soit oralement, soit par
écrit, et qu'elle constitue une clause importante du
contrat conclu entre les parties. En conséquence,
l'appelante prétend qu'aucune rupture de contrat
n'a eu lieu.
Le juge de première instance a rejeté l'argument
de l'appelante fondé sur la clause stipulant que le
Ministère «n'est tenu de retenir aucune soumis-
sion». Après avoir observé que cette clause était
une «clause de style», elle a énoncé l'opinion sui-
vante (dossier d'appel, vol. 1, page 43):
Si l'argument de la défenderesse est bien fondé, la présence de
cette clause aurait pour effet de vicier tout contrat de soumis-
sion. De plus, le Ministère pourrait s'en autoriser pour choisir
d'une manière complètement arbitraire entre les soumissionnai-
res.
Je partage cette opinion. J'ajouterais que le fait
d'accorder la prépondérance à cette clause des
Conditions annulerait et rendrait complètement
dépourvue de sens la clause précitée des Condi
tions relative à l'adjudication (dossier d'appel, vol.
1, page 98). Cette clause prévoit expressément
qu'un soumissionnaire réussissant dans plus d'une
catégorie ne se verra attribuer qu'un seul comptoir
et que, dans une telle éventualité, K... l'adjudica-
tion se fera en fonction de l'offre la plus élevée
dudit soumissionnaire ...» (les soulignements sont
ajoutés). Ainsi que l'a noté le juge de première
instance (dossier d'appel, vol. 1, page 44):
... on n'a pas allégué la moindre ambiguïté dans la clause
relative à l'adjudication figurant dans les conditions de l'appel
d'offres. L'une et l'autre parties ont tenu pour acquis que l'offre
la plus élevée d'un soumissionnaire serait retenue.
Je suis d'accord avec le juge de première instance.
Je suis également d'accord avec l'avocat des inti-
mées pour dire que, en l'espèce, l'appel d'offres
établit trois catégories de soumissionnaires et
donne aux exploitants canadiens la possibilité de
soumettre des offres dans plus d'une catégorie. Ce
document prévoit également une règle régissant de
façon expresse et précise le sort des diverses sou-
missions d'un même soumissionnaire. En consé-
quence, il ne devrait pas être présumé qu'une règle
précise sur l'adjudication est subordonnée à une
règle générale dont l'applicabilité est incertaine et
qui la contredit. Je rejette donc cette prétention de
l'avocat de l'appelante.
À mon avis, pour les motifs énoncés plus haut, il
existe en l'espèce un contrat tenant du contrat A
de l'arrêt Ron Engineering, précité. Les conditions
de ce contrat doivent être tirées des Politiques et
des Conditions dont nous avons fait état plus haut.
Pour ce qui est des déclarations verbales et des
discussions du 22 juillet et du 3 août 1976, qu'elles
aient été dûment prises en considération ou qu'el-
les aient été exclues en vertu de la règle d'exclu-
sion de la preuve extrinsèque ne modifie en rien
l'issue du présent litige. Dans l'hypothèse où de
tels éléments de preuve seraient recevables, j'es-
time comme le juge de première instance qu'ils
appuient l'interprétation donnée par les intimées
au contrat. D'autre part, si de tels éléments de
preuve doivent être exclus, j'estime qu'il existe
encore un contrat exécutoire liant les parties.
Le dernier argument soumis par l'appelante au
sujet de la question de la responsabilité contrac-
tuelle est forcément présenté à défaut par la Cour
d'accepter sa prétention précédente. Cette préten-
tion est résumée de la façon suivante dans le
mémoire de l'appelante (page 29):
[TRADUCTION] L'exposé de principe ainsi que les conditions
présentées par écrit énonçaient des politiques et ne consti-
tuaient pas des promesses ou garanties ouvrant droit à une
action et liant l'appelante.
À mon avis, l'extrait précité des motifs du juge de
première instance qui figure aux pages 40 et 41 du
volume 1 du dossier d'appel répond à cet argu
ment. À la page 41, elle ajoute l'observation
suivante:
Tout le processus de l'appel d'offres avait pour but d'obliger
les aspirants concessionnaires à concourir pour des comptoirs de
location d'automobiles dans les aéroports.
Elle a également résumé les obligations de l'appe-
lante de la manière suivante (dossier d'appel, vol.
1, page 41):
... s'est engagée à apprécier les soumissions d'une manière
conforme aux conditions de l'appel d'offres et, conformément à
ces mêmes conditions, à offrir aux adjudicataires la possibilité
de conclure un contrat de location.
À mon avis, elle a appliqué correctement les prin-
cipes de la responsabilité contractuelle à la situa
tion de fait en l'espèce; je rejetterais donc cet
argument subsidiaire de l'appelante.
Outre des dommages-intérêts pour rupture de
contrat, les intimées demandent des dommages-
intérêts en alléguant des [TRADUCTION] «...
déclarations inexactes faites par négligence ou
insouciance». Le juge de première instance a dit de
ce moyen (dossier d'appel, vol. 1, page 46):
Quant au moyen fondé sur l'allégation de déclarations
inexactes faites par négligence, l'existence de telles déclarations
n'aurait été pertinente que dans l'hypothèse où il n'y avait pas
eu violation d'une condition du contrat.
Elle a poursuivi en concluant, après «... beaucoup
d'hésitation», que, «... même dans cette hypo-
thèse», ce moyen de l'intimée justifierait une déci-
sion en sa faveur. Subséquemment, aux pages 46 à
49 du volume 1 du dossier d'appel, elle s'étend sur
les motifs pour lesquels elle tire cette conclusion.
Puisque le juge de première instance a conclu
qu'il y avait eu rupture de contrat en l'espèce, je
suis d'avis que ses motifs portant sur les déclara-
tions inexactes faites par négligence constituent
une remarque incidente. Lorsque j'étudie l'ensem-
ble de ses motifs portant sur les dommages-intérêts
accordés, j'en conclus qu'elle a calculé ces domma-
ges-intérêts en fonction d'une rupture de contrat.
Quoi qu'il en soit, malgré que les dommages-
intérêts fondés sur un contrat et ceux qui sont
fondés sur un délit diffèrent sur le plan conceptuel,
le montant alloué est le même dans nombre de cas
bien que les règles auxquelles il doit être fait appel
soient différentes 2 . En matière de responsabilité
contractuelle, le but visé de prime abord est de
placer le demandeur dans la situation dans laquelle
il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté de
façon satisfaisante. En matière délictuelle, il s'agit
de placer le demandeur dans la situation dans
laquelle il se serait trouvé si le délit n'avait pas été
commis.
Le critère relatif au préjudice trop éloigné, que
la réclamation soit fondée sur la responsabilité
délictuelle ou sur la responsabilité contractuelle,
est, en principe, le même'. Le lord juge Scarman,
dans l'arrêt H Parsons (Livestock) Ltd v Uttley
Ingham Et Co Ltd 4 , a clairement souscrit à cette
idée en déclarant: [TRADUCTION] «Je pense,
comme lui, qu'il serait absurde que le critère appli
cable au préjudice trop éloigné doive procéder d'un
principe différent selon la classification juridique
de la cause d'action ... le droit n'a pas l'absurde
prétention de distinguer entre les contrats et les
délits, sauf dans les cas où l'entente ou les rapports
de fait entre les parties l'exigent dans l'intérêt de
la justice.» Selon moi, aucun des faits et des cir-
constances de l'espèce ne justifie l'application d'un
critère ou d'une norme différent en ce qui regarde
le caractère éloigné du préjudice subi selon que la
cause d'action est considérée comme fondée sur la
responsabilité contractuelle ou délictuelle.
2 Le lecteur trouvera une opinion similaire dans les motifs
prononcés par le juge Wilson au nom de la Cour suprême du
Canada dans l'affaire V.K. Mason Construction Ltd. c. Banque
de Nouvelle-Écosse et autre, [1985] 1 R.C.S. 271, la p. 285;
16 D.L.R. (4th) 598, la p. 607.
3 Comparer à l'arrêt Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea
Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633, la
p. 673, motifs du juge Estey.
4 [1978] 1 All ER 525 (C.A.), à la p. 535.
LES CONCLUSIONS TIRÉES PAR LE JUGE DE
PREMIÈRE INSTANCE SUR LA QUESTION DES
DOMMAGES-INTÉRÊTS
Le juge de première instance a adjugé des dom-
mages-intérêts aux intimées au motif qu'elles
avaient le droit de recouvrer le montant supplé-
mentaire qu'elles ont offert en fonction de ce qu'el-
les croyaient être les conditions du contrat régis-
sant les soumissions. Ce faisant, elle s'est appuyée
sur la décision rendue par la Cour d'appel d'Angle-
terre dans l'affaire Esso Petroleum Co. Ltd. v.
Mardon, [1976] Q.B. 801. Le contrat visé dans
cette affaire, qui prévoyait l'acquisition et l'exploi-
tation d'une station service, avait été conclu sur la
foi d'une évalutation du représentant du vendeur
selon laquelle les ventes annuelles d'essence attein-
draient 200 000 gallons au cours de la troisième
année d'exploitation. Comme le chiffre des ventes
s'est révélé de beaucoup inférieur à celui qu'on
avait prévu, l'acheteur de la station service a
intenté une action en remboursement des profits
perdus. Traitant de la question des dommages-
intérêts, lord Denning, maître des rôles, a décidé
que le demandeur ne pouvait être dédommagé
pour la rupture du marché parce qu'on ne lui avait
pas promis que les ventes s'élèveraient à 200 000
gallons par année. Selon lui, il ne pouvait être
indemnisé que pour avoir été incité à passer un
contrat qui s'était révélé désastreux pour lui. Cette
indemnité serait évaluée en fonction de la perte
qu'il avait subie. Le juge de première instance a
appliqué le raisonnement tenu dans cette affaire à
l'espèce, pour conclure que les intimées devaient
recouvrer la fraction excédentaire de leur offre. A
mon avis, considérant les faits en l'espèce, elle ne
s'est pas trompée en raisonnant de la sorte. Le
contrat A ne promettait nullement à Hertz qu'elle
pourrait exploiter son commerce à l'aéroport libre
de toute concurrence de la part d'Avis. Cette
situation de fait est analogue à celle de l'affaire
Mardon, dans laquelle le contrat ne contenait
aucune garantie précise relativement au chiffre de
vente. A mon avis, les intimées n'auraient pu être
indemnisées de leurs pertes de profits en l'espèce
que si le contrat A avait prévu que Hertz échappe-
rait à une telle concurrence sur les lieux mêmes de
l'aéroport. Toutefois, comme le contrat A pré-
voyait simplement l'observation de certaines règles
relatives à la sélection des soumissions qui seraient
retenues, et comme Hertz a subi un préjudice à la
suite du non respect de cette condition, le quantum
de ce préjudice devrait se limiter au montant
excédentaire proposé à la suite de la rupture du
contrat A.
La somme de 232 500 $ a été adjugée aux inti-
mées pour compenser le surplus payé pour la con
cession. Le juge de première instance a tiré ce
montant d'un rapport préparé pour les intimées
par M. A. MacKenzie, un vérificateur comptable
et conseiller de la firme de comptables agréés
Clarkson Gordon & Co. Dans son rapport, Mac-
Kenzie a évalué à 232 500 $ la demande des inti-
mées en recouvrement de la remise excédentaire
(dossier d'appel, vol. 10, page 1349). Un énoncé
détaillé de cette demande figure à l'annexe T du
rapport (dossier d'appel, vol. 10, page 1376). M.
MacKenzie n'a pas été contre-interrogé lors du
procès relativement à l'annexe T. Ni ses conclu
sions ni sa méthodologie n'ont été contestées. 1l
semble évident que le juge de première instance a
accepté sa déposition concernant cette question.
Puisque ce témoin est hautement qualifié et que sa
déposition à cet égard n'a été attaquée ou contes-
tée d'aucune manière, j'estime que le juge de
première instance a eu raison d'accepter ce témoi-
gnage et d'apprécier en conséquence les domma-
ges-intérêts adjugés.
À l'audition du présent appel, l'avocat de l'appe-
lante a présenté à la Cour une série de calculs
visant à démontrer que les dommages-intérêts de
232 500 $ adjugés sous ce chapitre étaient exces-
sifs et que, en fait, le montant alloué aurait dû se
situer aux environs de 145 000 $. Selon moi, c'est
par voie de contre-interrogatoire, lors du procès,
que la validité de l'évaluation de M. MacKenzie
aurait dû être contestée. Il serait irrégulier qu'une
Cour d'appel reçoive des [TRADUCTION] «correc-
tions» apportées à la déposition faite par un témoin
expert crédible lors du procès, en particulier lors-
que la partie de cette déposition traitant de la
question en litige n'a été aucunement contestée.
Ainsi que l'a observé le juge Stone dans l'affaire
R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129
(C.A.), à la page 173:
Il n'appartient évidemment pas à cette Cour siégeant en
appel d'évaluer les dommages-intérêts car si elle agissait ainsi,
elle enlèverait au juge de première instance cette fonction qui
lui revient de plein droit. Il a déjà été statué à plusieurs reprises
qu'une cour d'appel ne devrait pas infirmer la décision d'un
juge de première instance quant au montant des dommages-
intérêts pour la simple raison qu'elle estime que, si elle avait été
saisie de l'affaire en première instance, elle aurait accordé une
somme inférieure ou supérieure. Pour que la cour soit justifiée
d'infirmer la décision du juge de première instance quant à son
évaluation des dommages-intérêts, il faut démontrer qu'il s'est
fondé sur un principe erroné.
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le
juge de première instance a fondé son appréciation
du montant des dommages-intérêts adjugés sur
une déposition non contestée et parfaitement crédi-
ble que le dossier ne permet pas de rejeter.
La seule question qu'il reste à trancher est celle
de savoir si le préjudice que les dommages-intérêts
accordés aux intimées visaient à compenser était
trop éloigné. Je me range sans hésitation à l'opi-
nion du juge de première instance que les domma-
ges-intérêts qu'elle a accordés aux intimés à ce
poste ne visaient pas un préjudice trop éloigné. De
plus, l'avocat des appelants ne m'a pas semblé
soulever sérieusement cette question. Ainsi qu'il a
déjà été noté, les arguments présentés par les
appelants relativement à cet aspect de l'appel prin
cipal visaient essentiellement le montant des dom-
mages-intérêts adjugés. Le montant de cette répa-
ration ne doit évidemment tenir compte que des
dommages-intérêts raisonnablement prévisibles. Le
critère classique, énoncé dans l'affaire Hadley v.
Baxendale 5 , est le suivant:
[TRADUCTION] Nous croyons que la règle équitable dans un
cas tel que celui en cause est la suivante: lorsque deux parties
ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que
l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle
qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme
celle qui découle naturellement, c'est-à-dire selon le cours
normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle
que les deux parties pouvaient raisonnablement et probable-
ment envisager, lors de la passation du contrat, comme consé-
quence probable de sa rupture.
Ainsi que l'a noté Fridman dans son ouvrage inti-
tulé The Law of Contract in Canada, (2' édition)
1986, à la page 656, le premier volet du critère
énoncé dans l'affaire Hadley Baxendale est objec-
tif [TRADUCTION] «à savoir, la conséquence dont
un homme raisonnable aurait prévu ou dû prévoir
qu'elle découlerait vraisemblablement ou proba-
blement de cette rupture». Fridman poursuit en
observant: [TRADUCTION] «Ce critère a été conçu
pour servir de critère ordinaire ou habituel et joue
effectivement ce rôle. Il est toutefois reconnu que,
exceptionnellement, dans certains cas, les domma-
ges-intérêts recouvrables peuvent dépasser la con-
séquence qu'une personne ordinaire et raisonnable
considérerait vraisemblable pour s'étendre à des
conséquences non ordinairement prévisibles,
pourvu que ces conséquences particulières aient été
prévisibles à la lumière de leur contrat particulier
5 (1854), 9 Ex. 341, la p. 354.
ainsi que des circonstances propres à ce contrat. Le
critère, dans de tels cas, est subjectif.»
À mon avis, si nous appliquons le critère énoncé
dans l'affaire Hadley v. Baxendale, le montant de
232 500 $ a été accordé à bon droit. Bien que les
intimées n'aient pas pu savoir de façon certaine
que Tilden soumissionnerait dans les deux catégo-
ries, ce qui les excluerait peut-être des aéroports,
celles-ci, en tant que personnes raisonnables,
devaient savoir que Tilden possédait les qualités et
la capacité requises pour présenter des offres rela-
tivement aux deux catégories. J'estime donc qu'il
était raisonnablement prévisible que les intimées,
voulant et devant s'assurer qu'elles ne seraient pas
exclues des aéroports—situation fort possible puis-
que Tilden pouvait présenter des offres dans deux
catégories différentes—augmenteraient leur offre
pour parer à une telle éventualité. De la même
manière, je conclus que, dans ces circonstances,
Transports Canada aurait prévu ou aurait dû pré-
voir que le montant supplémentaire de loyer payé
par les intimées afin de [TRADUCTION] «se proté-
ger», convaincus qu'elles étaient que Transports
Canada respecterait les conditions du contrat A,
constituait une conséquence vraisemblable ou pro
bable de leur défaut d'observer ces conditions.
L'APPEL INCIDENT
Les intimées (dans le cadre de l'appel principal)
ont formé un appel incident à l'encontre de la
décision du juge de première instance de ne pas
leur adjuger de dommages-intérêts en compensa
tion de leur perte de profits. Les intimées préten-
dent que cette perte de profits était prévisible.
Elles prétendent également que leur perte de pro
fits s'élevait à 930 000 $ et non à 725 000 $, mon-
tant auquel le juge de première instance a évalué
ces pertes (mais qu'il n'a pas accordé).
Si nous appliquons le premier des critères énon-
cés dans l'affaire Hadley v. Baxendale aux faits de
l'espèce, la question qui se pose est celle de savoir
si une personne raisonnable aurait su ou aurait dû
savoir, au moment où le contrat a été conclu, que
les intimées subiraient une perte de profits en
raison du fait qu'Avis n'a pas été exclue des aéro-
ports lorsque Transports Canada a retenu l'offre la
plus basse de Tilden, présentée dans la catégorie
domestique, plutôt que son offre la plus élevée, au
chef de la catégorie ouverte, et, de la sorte,
enfreint les dispositions relatives à l'adjudication
figurant aux Conditions. Selon le second critère, la
question consiste à savoir si Transports Canada,
outre ce qu'une personne raisonnable connaîtrait
ordinairement, selon le cours normal des choses,
était au courant, au moment de la conclusion du
contrat, de circonstances particulières, étrangères
au cours normal des choses et de nature à rendre
prévisibles les conséquences d'une telle rupture.
Appliquant ces critères, je ne puis conclure
qu'une personne raisonnable ou les intimées ou
même Transports Canada aurait prévu ou aurait
dû prévoir que les intimées subiraient une perte de
profits en raison de la non-exclusion d'Avis de
l'aéroport. Ainsi que l'a conclu le juge de première
instance dans un passage déjà cité: «On n'a pas
promis aux demanderesses qu'Avis serait exclue de
l'aéroport.»
En conséquence, elles ne devraient pas avoir le
droit d'être indemnisées pour la perte des profits
auxquels elles s'attendaient dans l'éventualité de
l'exclusion d'Avis de l'aéroport. Selon moi, une
telle perte de profits ne serait pas raisonnablement
prévisible. La preuve présentée lors du procès
appuie cette manière de voir. M. Gerrie, le Direc-
teur de la commercialisation des aéroports de
Transports Canada, a déposé qu'il ne s'est pas
demandé ce qui se produirait si un exploitant se
qualifiant, comme Tilden, dans deux catégories,
soumettait des offres relativement à chacune de
ces catégories. Il a dit: [TRADUCTION] «cette éven-
tualité ne nous semblait pas très probable, vu la
répartition du marché canadien à l'époque».
(Transcription, vol. 6, pages 717 et 718). M.
Gerrie s'est également vu demander s'il estimait
que les intimées s'étaient faites une idée précise sur
le mode d'adjudication des comptoirs dans l'éven-
tualité où Tilden présenterait des offres à la fois
dans la catégorie domestique et dans la catégorie
ouverte, son offre la plus élevée concernant cette
dernière catégorie. Sa réponse est la suivante
(Transcription, vol. 6, page 721):
[TRADUCTION] À ma connaissance, la manière dont le sort des
offres pourrait être déterminé n'a été discutée ni verbalement ni
par écrit. En fait, à l'époque, je crois qu'il nous aurait été très
difficile d'arrêter une décision en l'absence des données
financières.
À mon sens, il ressort clairement de cette déposi-
tion que Transports Canada ne pouvait «raisonna-
blement prévoir» l'exclusion d'Avis de l'aéroport, à
l'époque où les offres ont été soumises. À ce
moment, ce ministère ne savait pas quels montants
seraient offerts; il ne pouvait faire que des conjec
tures. J'estime donc que, en l'espèce, il n'est satis-
fait ni au critère objectif ni au critère subjectif
énoncés dans l'affaire Hadley v. Baxendale.
Lors de l'audition de l'appel, l'avocat des inti-
mées s'est appuyé sur certains passages des juge-
ments rendus par la Chambre des lords dans l'af-
faire C. Czarnikow Ltd. v. Koufos [ci-après
appelée «Heron 11»], [1969] 1 A.C. 350 ainsi que
d'une décision rendue par la Cour d'appel d'Angle-
terre dans l'affaire H Parsons (Livestock) Ltd v
Uttley Ingham Et Co Ltd, [1978] 1 All ER 525. Il
s'est particulièrement appuyé sur les remarques du
lord juge Scarman aux pages 539 à 541 des motifs
qu'il a prononcés dans l'arrêt Parsons et dans
lesquels il semble élargir le critère relatif au carac-
tère prévisible du préjudice causé. À la page 541, il
a dit:
[TRADUCTION] Compte tenu de l'état des parties au moment
du contrat, la perte d'un profit, ou d'une part du marché,
constituait-elle une possibilité sérieuse, une considération qu'ils
auraient eu à l'esprit s'ils avaient envisagé la rupture du
contrat? (Les soulignements sont ajoutés.)
Toutefois, dans un passage précédent de ses motifs
(page 535), le lord juge Scarman a dit:
[TRADUCTION] ... le genre de conséquence, la perte de profit
ou d'une part du marché ou le préjudice corporel, constituera
toujours une question de fait importante lorsqu'il s'agira de
déterminer si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, la
perte ou le préjudice corporel étaient de ceux que les parties
pouvaient raisonnablement être présumées avoir envisagés. (Les
soulignements sont ajoutés.)
Après les avoir examinés attentivement, je con-
clus que les arrêts Heron II et Parsons n'ont pas
modifié le critère classique formulé dans l'arrêt
Hadley v. Baxendale, précité. Mon opinion se
trouve renforcée par l'opinion similaire exprimée
par Fridman dans l'examen de la jurisprudence
pertinente qu'il fait aux pages 655 à 660 de son
ouvrage (que nous avons déjà cité). Il conclut à la
page 660:
[TRADUCTION] Ce qui semble clair, c'est que, en matière de
responsabilité contractuelle, le critère applicable est le critère
classique énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale ... Le
critère d'application générale approprié est celui des «consé-
quences raisonnablement prévisibles» par les parties lors de la
conclusion du contrat, que ces conséquences soient ou non plus
importantes que celles que l'on aurait raisonnablement
envisagé.
Considérant ma conclusion voulant que les dom-
mages-intérêts réclamés pour perte de profits
n'étaient pas raisonnablement prévisibles ou ne
pouvaient être raisonnablement envisagés, l'appel
incident interjeté par les intimées ne peut donc être
accueilli. En conséquence, je n'ai pas à statuer sur
leurs prétentions selon lesquelles le montant de
leur perte de profits devrait être accru.
CONCLUSION
Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais
l'appel principal avec dépens. Je rejetterais égale-
ment l'appel incident avec dépens.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: M. le juge Heald ayant déjà
fait un exposé complet des faits de la présente
affaire, il n'est pas nécessaire de les répéter. Je
souscris à ses, motifs et j'ai peu à y ajouter. Je me
contenterai de faire quelques observations sur l'ad-
judication, par le juge de première instance, des
frais de concession payés en trop à la suite de
l'appel d'offres et sur la perte de profits dont il a
été fait état à la suite de la rupture de ce que M. le
juge Heald qualifie de contrat préliminaire ou
initial conduisant à la formation du contrat
définitif.
Pour déterminer le montant des dommages-inté-
rêts à adjuger, le juge de première instance s'est
appuyée sur la décision rendue par la Cour d'appel
d'Angleterre dans l'affaire Esso Petroleum Co.
Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801. Dans cette
affaire, il a été statué que le débit annuel possible
d'une de ses stations-service cité par la défende-
resse avait incité le demandeur à la louer. Cette
déclaration était totalement inexacte. La Cour
d'appel a conclu que la défenderesse était respon-
sable à la fois sur le plan contractuel et sur le plan
délictuel du préjudice subi par le demandeur puis-
que la déclaration visée constituait à la fois une
garantie et une déclaration inexacte faite par
négligence. On a évité d'établir une distinction
entre les dommages-intérêts accordés sous les dif-
férents postes en interprétant la garantie en ques
tion non comme une promesse que le débit d'es-
sence annuel atteindrait un certain nombre de
gallons mais comme une garantie que le calcul
avait été effectué avec diligence. Ainsi, l'étendue
de la garantie et celle de la responsabilité délic-
tuelle de la défenderesse étant corrélatives, le
demandeur avait le droit de recouvrer des domma-
ges-intérêts qui l'établiraient dans la situation dans
laquelle il se serait trouvé n'eût-il pas participé au
contrat (motifs de lord Denning, maître des rôles,
à la page 821). Il s'est vu adjuger le montant de sa
perte de capital ainsi que le montant du découvert
qui lui avait été consenti dans l'exploitation de son
commerce. Sa demande concernant un manque à
gagner n'a pas été accueillie parce qu'on a consi-
déré ce manque pratiquement impossible à établir
(motifs de lord juge Ormrod, à la page 829). Si je
comprends bien, le manque à gagner désigne l'ar-
gent que le demandeur aurait gagné s'il n'avait pas
participé au contrat plutôt que la perte, due à la
rupture du contrat, des profits qu'il aurait réalisés
dans l'exploitation du commerce visé (voir Sun
shine Vacation Villas Ltd. v. Governor and Com
pany of Adventurers of England Trading into
Hudson's Bay (1984), 13 D.L.R. (4th) 93
(C.A.C.-B.), aux pages 99 à 102). Dans la pré-
sente affaire, le juge de première instance a établi
une analogie entre le fondement des dommages-
intérêts adjugés dans l'affaire Esso Petroleum et
sa propre décision d'accorder à la demanderesse le
montant qu'elle a offert en trop. Bien que je ne sois
pas en désaccord avec elle à cet égard, je crois que
nous pouvons atteindre le même résultat en nous
fondant sur les principes juridiques reconnus qui
régissent le recouvrement des dommages-intérêts
consécutifs à la rupture d'un contrat.
Je tiens à souligner deux caractéristiques impor-
tantes des règles fondamentales qui s'appliquaient
à l'adjudication des comptoirs en vertu des condi
tions de l'appel d'offres. Tout d'abord, ces règles
permettaient à Tilden de soumissionner à la fois
dans la catégorie ouverte et dans la catégorie
domestique et, en second lieu, elles prévoyaient
que, dans l'hypothèse où chacune des deux offres
présentées par un même soumissionnaire dans
deux catégories différentes seraient retenues, l'of-
fre la plus élevée serait choisie. Comme les quatre
grands locateurs d'automobile, savoir Budget,
Hertz, Tilden et Avis, se disputeraient les trois
comptoirs disponibles dans la catégorie ouverte, il
était évident que la concurrence serait plus forte
dans cette catégorie. Cela étant, je crois qu'il était
raisonnable de prévoir (ainsi que Hertz l'a fait)
que Tilden présenterait une offre plus élevée dans
cette dernière catégorie que dans la catégorie
domestique. Afin de s'assurer qu'elle aurait un
comptoir dans les aéroports, Hertz s'est efforcée de
renchérir sur Tilden afin de ne pas risquer d'être
exclue des aéroports en voyant son offre surpassée
par celle d'Avis.
Hertz demande à la Cour de lui accorder soit
une indemnité proportionnelle à son expectative
(les profits perdus), soit une indemnité proportion-
nelle à l'influence des stipulations non respectées
(le montant offert en trop). Certaines décisions
récentes indiquent que le demandeur peut, selon
les circonstances, demander à la Cour de lui accor-
der l'une ou l'autre de ces indemnités. (Voir les
arrêts: Cullinane v. British «Rema» Manufactu
ring Co. Ld., [1954] 1 Q.B. 292 (C.A.), à la page
303; Anglia Television Ltd. v. Reed, [1972] 1 Q.B.
60 (C.A.), à la page 64; Bowlay Logging Ltd. v.
Domtar Ltd., [1978] 4 W.W.R. 105 (C.S.C.-B.),
aux pages 113 et 114; Sunshine Vacation Villas
Ltd. v. Governor and Company of Adventurers of
England Trading into Hudson's Bay, précité;
Orvold, Orvold, Orvold and R.E.G. Holdings Ltd.
v. Turbo Resources Ltd. (1984), 33 Sask. R. 96
(B.R.), à la page 102; C.C.C. Films (London) Ltd.
v. Impact Quadrant Films Ltd., [1985] Q.B. 16, à
la page 32.) Selon moi, l'influence des stipulations
non respectées ouvre droit à indemnisation car le
montant offert en trop me semble constituer une
perte découlant de la rupture du contrat. Ce mon-
tant, en sus de celui qu'il en aurait réellement
coûté pour obtenir un comptoir de location d'auto-
mobiles de la catégorie ouverte, a été payé sur la
foi de la clause relative à l'adjudication. Le préju-
dice subi par Hertz peut être redressé en indemni-
sant celle-ci de sa perte, un redressement qui peut
s'effectuer dans le cadre des principes reconnus
régissant les contrats (Hadley v. Baxendale
(1854), 9 Ex. 341; Victoria Laundry (Windsor),
Ld. v. Newman Industries Ld. Coulson & Co., Ld.
(Third Parties), [1949] 2 K.B. 528 (C.A.); C.
Czarnikow Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350
(H.L.); voir également H. Parsons (Livestock)
Ltd. v. Uttley Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791
(C.A.) et Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil
& General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S.
633.)
Je suis d'accord pour dire que le préjudice lié à
l'expectative n'est pas compensable. Le contrat
préliminaire ou initial est né lorsque Hertz a pré-
senté son offre conformément aux conditions de
l'appel d'offres. L'appelante a violé son contrat en
ne se conformant pas à la clause relative à l'adju-
dication figurant dans l'appel d'offres. Je ne consi-
dère pas que le déroulement des faits de l'espèce
correspond au scénario classique de la rupture de
contrat, qui met en jeu un unique contrat, deux
parties et une perte de profits résultant directe-
ment de cette rupture. Certains facteurs sont parti-
culiers à la situation actuelle. En l'espèce, nous
sommes en présence de nombreux doubles contrats
(initiaux et définitifs), de ruptures des contrats
initiaux, de nombreuses parties ainsi que de la
perte de profits additionnels due au maintien de la
présence d'Avis dans les aéroports. Malgré ces
ruptures, plusieurs contrats définitifs ont vu le
jour. Un de ceux-ci a attribué à Hertz un comptoir
dans les aéroports, pour la laisser ensuite se
débrouiller et faire, si elle le pouvait, un profit.
Hertz ne prétend pas que la rupture de ce contrat
lui a fait perdre certains des profits qu'elle aurait
dû réaliser grâce au contrat définitif mais que,
dans la conjoncture résultant de cette rupture,
Hertz se trouve empêchée de réaliser les profits
additionnels qui lui viendraient d'une partie de
l'achalandage d'Avis. Je suis d'accord pour dire
que la perte de tels profits ne peut être compensée
parce que ce préjudice, si nous appliquons le cri-
tère énoncé dans l'arrêt Hadley v. Baxendale, est
trop éloigné.
En conclusion, je ne vois aucun motif nous
justifiant de modifier l'appréciation des domma-
ges-intérêts faite par le juge de première instance.
Bien qu'elle se soit fondée sur le principe énoncé
dans l'arrêt Esso Petroleum, je suis d'avis que les
dommages-intérêts accordés sont également recou-
vrables selon les principes juridiques classiques qui
régissent l'attribution des dommages-intérêts dans
le cadre de la rupture de contrat. Pour les motifs
énoncés par M. le juge Heald ainsi que pour les
motifs additionnels que je viens de prononcer, je
déciderais de l'appel et de l'appel incident ainsi
qu'il le propose.
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