T-1634-86
Watt & Scott Inc. (demanderesse)
c.
Chantry Shipping S.A., le navire Antje Schulte,
son exploitante Atlantic Marine Limited et toute
autre personne ayant un droit sur ledit navire,
Burlington Northern Railroad Company, Atlantic
and Gulf Stevedores of Alabama et Container
Services International Inc. (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: WATT & SCOTT INC. C. CHANTRY SHIPPING S.A.
Division de première instance, juge Joyal—Mont-
réal, 26 janvier; Ottawa, 4 juin 1987.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Cargaison transportée par bateau du Brésil aux
États-Unis et de là, par chemin de fer jusqu'au Canada — Les
marchandises étaient avariées lors de leur arrivée à destination
— Compétence de la Cour pour connaître d'une action en
matière de négligence intentée contre une compagnie ferro-
viaire — L'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale confère
compétence à la Cour en matière d'ouvrages s'étendant au-
delà des limites d'une province — La Loi sur les chemins de
fer constitue un ensemble de règles de droit fédérales qui
constitue le fondement de l'attribution légale de compétence
Cette compétence ne fait pas «par ailleurs l'objet d'une attri
bution spéciale» à la Commission canadienne des transports —
La Cour n'a pas à se prononcer pour l'instant sur la question
de savoir si elle a compétence en vertu de l'art. 22(2)1) de la
Loi sur la Cour fédérale pour connaître de la demande intentée
contre les propriétaires du navire.
Chemins de fer — Cargaison transportée par chemin de fer
des É.-U. au Canada après être arrivée du Brésil par bateau
— Marchandises avariées — Compétence de la Cour pour
connaître d'une action en matière de négligence intentée contre
une compagnie ferroviaire — La compétence sur le transport
international de marchandises par rail satisfait aux critères
énoncés dans l'arrêt ITO—International — L'art. 262(/)c) de
la Loi sur les chemins de fer impose une obligation de soin à
une compagnie ferroviaire — La Commission canadienne des
transports n'a pas compétence en ce qui concerne cette obliga
tion — Droit d'action conféré par l'art. 262(7) à quiconque a
été lésé.
Droit maritime — Transport de marchandises — Cargaison
transportée par bateau et par rail — Elle était avariée lors de
son arrivée à destination — Action intentée contre les proprié-
taires du navire — L'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale
habilite la Cour à connaître d'une demande relative au trans
port à bord d'un navire de marchandises couvertes par un
connaissement direct — La question de savoir si l'expression
«en transit» jusqu'à la destination finale indique qu'il s'agit
d'un connaissement direct est une question de preuve qui doit
être tranchée au procès.
Pratique — Signification — Propriétaires du navire pour-
suivis par suite de dommages causés à la cargaison — Argu-
ments défendables — Enquête justifiée — La question du
forum conveniens a été tranchée — Confirmation de l'ordon-
nance de signification ex juris.
Une cargaison de noix a été expédiée du Brésil à bord du
navire défendeur à destination des États-Unis où elle a été
déchargée et de là, elle a été transportée par rail jusqu'à
Winnipeg (Manitoba) par la compagnie ferroviaire défende-
resse. Une fois la cargaison arrivée à Winnipeg, on a constaté la
présence d'aflatoxine, une toxine cancérogène. Un certificat
indiquant l'absence d'aflatoxine a été délivré au moment où la
cargaison a quitté le Brésil. La demanderesse a intenté une
action en dommages-intérêts notamment contre les propriétai-
res du navire, la compagnie d'acconage qui a déchargé la
cargaison aux États-Unis et la compagnie ferroviaire qui l'a
transportée à Winnipeg. La compagnie ferroviaire a demandé
la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle
afin de soulever une objection quant à la compétence de la
Cour. Elle prétend que la Cour n'a ni la compétence ratione
materiae ni la compétence ratione personae en ce qui la
concerne. Les propriétaires du navire demandent l'annulation
de l'ordonnance de signification ex juris pour le motif que la
demanderesse ne dispose pas d'arguments défendables en ce qui
les concerne, que le préjudice allégué a été commis à l'extérieur
de la juridiction de la Cour et que la demanderesse n'a pas
réussi à déterminer le tribunal qui convient (forum conveniens).
Jugement: la Cour a compétence pour connaître de l'action
intentée par la demanderesse contre la compagnie ferroviaire.
L'ordonnance de signification ex juris doit être confirmée.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la
Division de première instance une compétence concurrente en
première instance dans tous les cas où une demande de redres-
sement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada en
matière «d'ouvrages et entreprises ... s'étendant au-delà des
limites d'une province, sauf dans la mesure où cette compétence
a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale». L'alinéa
92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit expressé-
ment que le fédéral a compétence en matière de chemins de fer
s'étendant au-delà des limites d'une province. Le transport de
marchandises par un chemin de fer interprovincial ou interna
tional est régi par la Loi sur les chemins de fer et réglementé
par la Commission canadienne des transports. La compétence
de la Cour fédérale sur le transport international de marchandi-
ses par rail satisfait donc aux critères énoncés par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt ITO—International: (1) il y a
attribution de compétence par une loi, c'est-à-dire l'article 23
de la Loi sur la Cour fédérale; (2) il existe un ensemble de
règles de droit fédérales, soit la Loi sur les chemins de fer, qui
constitue le fondement de l'attribution légale de compétence;
(3) la loi invoquée dans l'affaire est visée par l'expression «loi
du Canada» qui figure à l'article 101 de la Loi constitutionnelle
de 1867.
L'article 262 de la Loi sur les chemins de fer revêt un intérêt
particulier en ce qui concerne les deux derniers critères men-
tionnés. La demanderesse prétend essentiellement que la com-
pagnie ferroviaire n'a pas fait preuve du soin et de la diligence
voulus. L'alinéa 262(1 )c) de la Loi sur les chemins de fer
impose à une compagnie ferroviaire une obligation légale en
vertu de laquelle elle doit faire preuve de soin et de diligence
lorsqu'elle reçoit, transporte et livre des marchandises et effets.
Le paragraphe 262(7) confère un droit d'action à quiconque a
été lésé par le refus de la compagnie de se conformer aux
exigences de l'article. Même si certaines dispositions de l'article
262 exigent une décision préalable de la Commission cana-
dienne des transports avant qu'une action en dommages-inté-
rêts puisse être intentée, la Commission n'a pas compétence
pour ce qui est de l'obligation imposée par l'alinéa 262(1)c). Il
s'ensuit que les mots figurant à la fin de l'article 23, qui
limitent la compétence de la Cour sur les ouvrages s'étendant
au-delà des limites d'une province lorsque cette compétence «a
par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale», ne s'appli-
quent pas.
Il est trop tôt pour déterminer si la Cour a compétence selon
l'alinéa 22(2)j) de la Loi sur la Cour fédérale pour connaître
de l'action intentée par la demanderesse contre les propriétaires
du navire. L'alinéa 22(2)j) confère à la Division de première
instance compétence sur des catégories de sujets concernant le
droit maritime et notamment sur «toute demande relative au
transport à bord d'un navire de marchandises couvertes par un
connaissement direct». La question de savoir si l'expression «en
transit à destination de Winnipeg» qui figure au connaissement
prouve l'intention de conclure un connaissement direct est une
question de preuve qui devrait être tranchée au procès.
La Cour n'a pas à se limiter aux éléments de preuve disponi-
bles au moment où l'ordonnance ex juris a été prononcée: elle
peut examiner tous les éléments de preuve disponibles qui se
sont accumulés dans l'intervalle. La demanderesse a soumis des
arguments défendables en ce qui concerne les propriétaires du
navire. Les affidavits versés en preuve relativement à l'état de
la cargaison avant son chargement et à son état au moment de
son déchargement à Winnipeg justifient le genre d'enquête à
laquelle la demanderesse prie la Cour de procéder. La question
du forum conveniens a été tranchée. En l'absence de tout
élément de preuve fourni à cet égard par les défendeurs, la
Cour ne peut que spéculer sur ce qui pourrait constituer un
tribunal compétent.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice I1, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
92(10), 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 22(1),(2)f).
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art.
262.
Railway Act, R.S.B.C. 1948, chap. 285, art. 203(1)c).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anglophoto Ltd. c. Le Ikaros, [1974] I C.F. 327 (C.A.);
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Price &
Pierce International Inc. and Sohn c. Finland Steamship
Co. Ltd., Ship Antares et Chase International (Holdings)
Inc. (1983), 46 N.R. 372 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cliffe v. Hull & Netherlands Steam Ship Co. (1921), 6
L1. L. Rep. 136 (C.A.); Kiist c. Canadian Pacific Rail
way Co., [1982] 1 C.F. 361; (1981), 37 N.R. 91 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway
Co., [1959] R.C.S. 271.
DÉCISIONS CITÉES:
La Compagnie Robert Simpson Montréal Ltée c. Ham-
burg-Amerika Linie Norddeutscher, [1973] C.F. 1356
(C.A.); Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada,
[1979] 2 C.F. 575 (C.A.).
DOCTRINE
Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13th ed. by R. Colin-
vaux. London: Stevens & Sons, 1982.
Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 12th ed. by R. Colin-
vaux. London: Stevens & Sons, 1971.
AVOCATS:
Rui M. Fernandes pour la demanderesse.
C. Turianskyj pour Burlington Northern
Railroad, défenderesse.
David Colford pour Chantry Shipping S.A.,
défenderesse.
PROCUREURS:
Beard, Winter, Gordon, Toronto, pour la
demanderesse.
Kieran & Guay, Montréal, pour Burlington
Northern Railroad, défenderesse.
Brisset Bishop Davidson, Montréal, pour
Chantry Shipping S.A., défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE .LOYAL: La Cour est saisie de deux
questions interlocutoires qui soulèvent des points
intéressants.
FAITS
Les points litigieux concernent essentiellement
une action intentée pour les dommages causés à
une cargaison de noix du Brésil. La demanderesse
Watt & Scott a commandé à la compagnie Ciex
Comercio Industria E Exportacao Ltda. au Brésil
quelque 1 920 lourds sacs contenant de telles noix
et ayant une valeur d'environ 43 000 $ (US). Les
noix devaient être livrées à Winnipeg (Manitoba).
Il était toutefois nécessaire de vérifier avant l'expé-
dition de la cargaison la présence d'aflatoxine, une
toxine cancérogène que l'on trouve dans les noix.
Le test s'est avéré négatif et un certificat à cet
effet a été délivré suivant les règles.
La cargaison a quitté le Brésil aux environs
du 11 juin 1985, à bord du navire Antje Schulte
qui appartient conjointement aux défenderesses
Chantry Shipping S.A. et Atlantic Marine Limi
ted et est exploité par celles-ci. Deux connaisse-
ments portant les numéros 11 et 12 et datés du 2
juin 1985 font foi du contrat de transport.
Le navire a quitté le Brésil à destination de
Mobile (Alabama) où la cargaison de noix a été
déchargée et expédiée par chemin de fer par l'in-
termédiaire de la Burlington Northern Railroad
Company.
Une fois la cargaison arrivée à Winnipeg, on a
constaté la présence d'aflatoxines. La demande-
resse a pris des mesures pour atténuer ses domma-
ges de sorte qu'elle a vendu la cargaison au prix
réduit de 14 000 $ (US) et intenté une action en
recouvrement de sa perte. Elle a estimé sa perte à
environ 65 000 $ (CAN), y compris les coûts de
transport et les autres dépenses.
L'action a été intentée devant cette Cour le 11
juillet 1986 contre le navire Antje Schulte ainsi
que ses propriétaires et exploitantes Chantry Ship
ping S.A. et Atlantic Marine Limited et ce, con-
jointement. Les autres défenderesses étaient
Atlantic and Gulf Stevedores of Alabama qui a
déchargé la cargaison à Mobile, Container Servi
ces International Inc. qui a transporté la cargaison
des quais jusqu'au chemin de fer et finalement,
Burlington Northern qui a transporté la cargaison
jusqu'à Winnipeg, sa destination.
La demanderesse a par la suite signifié sa décla-
ration à Burlington Northern qui possède des éta-
blissements à Winnipeg et à Montréal. Elle a
également demandé à cette Cour l'autorisation
d'effectuer une signification ex juris à tous les
autres défendeurs, autorisation qui lui a été accor-
dée le 8 septembre 1986.
Le moment venu, Burlington Northern a
demandé la permission de déposer un acte de
comparution conditionnelle aux fins de soulever
une objection quant à la compétence de la Cour.
Au même moment, Chantry Shipping et Atlantic
Marine ont présenté des requêtes visant à faire
annuler l'ordonnance de signification ex juris à
leur endroit pour le motif que la demanderesse ne
disposait pas d'arguments défendables en ce qui les
concernait, que le préjudice allégué a été commis à
l'extérieur de la juridiction de la Cour et que
l'obligation de déterminer le tribunal qui convient
(forum conveniens) n'a pas été remplie.
Tous ces points litigieux qui ont finalement été
plaidés en même temps suscitent un débat intéres-
sant. Ils soulèvent des questions de droit et de fait
alors même qu'une décision judiciaire sur ceux-ci
risque de créer l'équivoque au lieu d'apporter une
solution claire ne laissant subsister aucun doute.
La contestation par Burlington Northern de la
compétence de la Cour fédérale concerne d'une
part le droit maritime fédéral et d'autre part, la
compétence de la Cour fédérale sur les chemins de
fer. Je dois tout d'abord examiner cette question
avant de me prononcer ensuite sur celle de la
signification ex juris.
COMPÉTENCE DE LA COUR
Avant d'analyser la jurisprudence portant sur ce
sujet épineux, examinons la preuve qui m'a été
soumise.
(1) La preuve
Le contrat de transport des noix du Brésil figure
dans deux connaissements portant les numéros 11
et 12 respectivement. Le connaissement n° 11 con-
cerne quelque 1 841 sacs de noix et indique
Manaus (Brésil) comme lieu de chargement et
Mobile (Alabama) comme lieu de destination. On
trouve toutefois sur le recto de ce document la
mention suivante: [TRADUCTION] «En transit à
destination de Winnipeg au Manitoba (Canada)».
Le connaissement n° 12 concerne quelque 80 sacs
de noix et indique les mêmes lieux de chargement
et de destination. Ce document ne mentionne tou-
tefois pas que la destination finale de la cargaison
est Winnipeg.
On trouve également une feuille de route du fret
portant le n° lA et émanant de Burlington Nor
thern, qui se rapporte à la même cargaison et
indique que la destination de celle-ci est Winnipeg
au Manitoba (Canada). Il y est noté que ladite
cargaison était transportée à travers les Etats-Unis
sans être dédouanée.
La preuve documentaire produite révèle que la
cargaison a été inspectée les 30 et 31 mai 1985
afin de déceler la présence d'aflatoxine, que le
certificat de congé a été délivré le 8 juin 1985, que
les connaissements ont été délivrés le 2 juin 1985,
que la cargaison a été expédiée à bord du navire
Antje Schulte le 12 juin 1985 et est arrivée à
Mobile le 5 juillet 1985. La cargaison a été entre-
posée jusqu'au 16 juillet 1985, date à laquelle la
compagnie de manutention l'a livrée à Burlington
Northern, et elle est finalement arrivée à Winni-
peg le 30 juillet 1985. Environ deux mois se sont
écoulés entre la date de l'inspection et celle de la
livraison.
(2) L'argumentation de la demanderesse
En quelques mots, la demanderesse désire savoir
ce qui est arrivé à ses noix qui, même si on n'a
apparemment pas découvert la présence d'afla-
toxine le 30 mai 1985, étaient avariées lorsqu'elles
sont arrivées à Winnipeg. Elle ignore comment et
où le dommage a été causé et qui en est responsa-
ble. Dans son affidavit, l'avocat de la demande-
resse affirme que sa preuve repose sur les principes
applicables en matière de négligence et que sa
cliente a le droit d'invoquer la doctrine res ipsa
loquitur.
(3) L'argumentation de Burlington Northern
Dans un affidavit, l'avocat de Burlington Nor
thern affirme que la Cour fédérale n'a ni la com-
pétence ratione materiae ni la compétence ratione
personae en ce qui concerne sa cliente. Il déclare
dans un affidavit subséquent que, compte tenu des
allégations figurant dans la déclaration de la
demanderesse et de son analyse des connaisse-
ments, le litige mettant en cause Burlington Nor
thern se limite au transport des marchandises de
Mobile (Alabama) à Winnipeg. Il soutient que la
demanderesse n'a pas fourni d'éléments de preuve
indiquant que la Cour fédérale a compétence sur
cette question.
(4) Conclusions
Le pouvoir manifeste de la Cour fédérale de
connaître des réclamations relatives à des cargai-
sons découle de l'article 22 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
Le paragraphe 22(1) prévoit:
22. (1) La Division de première instance a compétence con-
currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement,
dans tous les cas où une demande de redressement est faite en
vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada
en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la
mesure où cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une
attribution spéciale.
Le paragraphe 22(2) porte que, sans restreindre
la généralité du paragraphe 22(1) et pour plus de
certitude, la Division de première instance de la
Cour fédérale a compétence sur quelque 19 caté-
gories de sujets concernant le droit maritime et
notamment, à l'alinéa 22(2)f) sur:
22. (2) ...
f) toute demande née d'une convention relative au transport
à bord d'un navire de marchandises couvertes par un connais-
sement direct ou pour lesquelles on a l'intention d'établir un
connaissement direct, pour la perte ou l'avarie de marchandi-
ses survenue à quelque moment ou en quelque lieu en cours
de route; [C'est moi qui souligne.]
On peut se demander en vertu de cet alinéa si
l'expression «en transit à destination de Winnipeg»
qui figure au connaissement n° 11 suffit pour
prouver l'intention de conclure un connaissement
direct. La règle générale est énoncée dans Carver's
Carriage by Sea, vol. 1, 13 e éd. par R. Colinvaux.
Londres: Stevens & Sons, 1982, où l'auteur établit
à la page 374 une distinction entre un contrat de
transport qui se termine par un transbordement et
où le transporteur contractant, une fois la cargai-
son déchargée du navire, n'agit qu'à titre de man-
dataire du propriétaire de la cargaison lorsqu'il
prend les mesures nécessaires pour l'expédition de
celle-ci, et un contrat de transport où il est prévu
que celui-ci reste en vigueur jusqu'à la destination
finale malgré les transbordements. Comme le dit
l'auteur, [TRADUCTION] «Il entre dans une catégo-
rie ou l'autre selon l'interprétation que l'on fait du
connaissement.»
En l'espèce, il n'est pas possible à ce stade-ci de
chercher à interpréter le connaissement n° 11 ni de
connaître l'intention qui pourrait ressortir dudit
document. Comme la Cour d'appel fédérale l'a
décidé dans une affaire analogue, Anglophoto Ltd.
c. Le Ikaros, [1974] 1 C.F. 327, il s'agit d'une
question de preuve qui devrait être tranchée au
procès. La Cour devait déterminer dans cette
affaire si, lorsqu'elle a pris réception des marchan-
dises, la compagnie de manutention agissait en
tant que mandataire du propriétaire du navire ou
en tant que mandataire du consignataire des mar-
chandises. La Cour d'appel a statué que les faits
dont elle avait été saisie à la suite d'une requête
relative à la compétence n'étaient pas suffisants
pour lui permettre de se prononcer en droit.
Je fais face à une situation semblable et je
devrais refuser de poursuivre mon enquête. Il n'est
pas possible à ce stade des procédures de trancher
de manière définitive la question de la compétence
de la Cour. En d'autres termes, la preuve relative
au sens du connaissement n° 11 n'est pas suffisam-
ment claire pour que je doive statuer dans un sens
ou dans l'autre et décider si elle fournit les élé-
ments nécessaires qui permettraient à la Cour
d'exercer la compétence qui lui est conférée par
l'alinéa 22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale. Je
devrais laisser cette tâche au juge du procès.
Je dois également citer l'arrêt récent ITO—
International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, où
la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la
compétence de la Cour fédérale en matière de
droit maritime canadien. S'exprimant au nom de
la majorité de la Cour, le juge McIntyre fait une
analyse remarquable des événements historiques
qui ont précédé la création du droit maritime au
Canada et il conclut que cet ensemble de règles de
droit fédérales comprend maintenant les, principes
de common law applicables en matière de respon-
sabilité délictuelle, de contrat et de dépôt et que
ces règles sont uniformes partout au Canada. Il ne
fait aucun doute qu'une telle déclaration semble
empiéter sur les ensembles de règles de droit qui
sont du ressort exclusif des provinces, mais si je
comprends bien les propos du juge McIntyre, elle
ne rend pas moins valide l'application de ces prin-
cipes qui constituent des éléments essentiels per-
mettant de trancher les poursuites en matière
maritime; lesdits principes entrent donc dans le
champ de compétence du fédéral et relèvent, évi-
demment, de la compétence de la Cour fédérale.
La Cour suprême du Canada a réaffirmé que la
compétence de la Cour fédérale est fonction (1) de
l'attribution de compétence par le Parlement, (2)
de l'existence d'un ensemble de règles de droit
fédérales qui est essentiel à la solution du litige et
constitue le fondement de l'attribution légale de
compétence et, (3) du fait que la loi sous-jacente
est visée par l'expression «une loi du Canada»
employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle
de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)].
En statuant dans l'arrêt ITO—International
Terminal Operators que la Cour fédérale avait
compétence sur une compagnie de manutention et
d'acconnage, la Cour suprême a conclu que la
nature maritime de toute espèce est fonction: (1)
du fait que les activités d'acconnage se déroulent à
proximité de la mer, (2) du rapport entre les
activités de l'acconier et le contrat de transport
maritime, et (3) du fait qu'il s'agit en l'espèce d'un
entreposage à court terme à l'intérieur de la zone
portuaire, en attendant la livraison finale par l'ac-
conier. Ces conditions étant remplies, la Cour
suprême a statué que le droit maritime s'appliquait
et que la Cour fédérale était habilitée à connaître
de l'affaire.
Généralement parlant, la Cour d'appel fédérale
a tiré la même conclusion dans l'arrêt La Compa-
gnie Robert Simpson Montréal Liée c. Hamburg-
Amerika Linie Norddeutscher, [1973] C.F. 1356.
Elle a statué que le déchargement des marchandi-
ses par les acconiers après une traversée et leur
remise au consignataire constituaient des activités
essentielles au transport de marchandises par voie
maritime. Elle a conclu qu'elle était compétente en
se fondant sur le paragraphe 91(10) de la Loi
constitutionnelle de 1867, «la navigation et les
expéditions par eau (shipping)» et sur le paragra-
phe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
À mon avis, le véritable élément nouveau dans
l'arrêt ITO—International Terminal Operators est
que la Cour a conclu que l'ensemble des règles de
droit constituant le droit maritime canadien com-
prend certains principes de common law qui ont
préséance sur les dispositions législatives provincia-
les en cas de conflit.
La Cour suprême a néanmoins étendu la portée
du droit maritime aux obligations et responsabili-
tés des compagnies d'acconnage en tenant compte
de la proximité des activités d'acconnage, du lien
étroit existant entre elles et le contrat de transport
et de la courte durée de l'entreposage. Il faut donc
se demander si ces critères peuvent être appliqués
en ce qui concerne le transport des marchandises
par Burlington Northern de Mobile à Winnipeg.
Question encore plus importante toutefois, existe-
t-il à part l'alinéa 22(2)f) de la Loi sur la Cour
fédérale une disposition distincte servant de fonde-
ment à la compétence de la Cour fédérale? Pour
répondre à cette question il y a lieu de réexaminer
les dispositions de la Loi.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale
accorde à la Division de première instance une
compétence concurrente en première instance dans
certains domaines précis. En voici le texte:
23. La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans
tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu
d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de
lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est
partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre-
prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà
des limites d'une province, sauf dans la mesure où cette compé-
tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale. [C'est
moi qui souligne.]
Les mots soulignés dans cet article figurent éga-
lement au paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour
fédérale. Alors que le paragraphe 22(1) traite
expressément de la navigation et de la marine
marchande, l'article 23 confère une compétence
concurrente dans d'autres domaines de compétence
fédérale, en particulier, pour les fins de l'espèce, en
matière «d'ouvrages et entreprises ... s'étendant
au-delà des limites d'une province».
La compétence législative du fédéral sur ces
ouvrages et entreprises lui est attribuée par le
paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de
1867. L'alinéa 92(10)a) prévoit expressément que
le fédéral a compétence en matière de chemins de
fer s'étendant au-delà des limites de la province. Il
est évident en l'espèce que la compagnie Burling-
ton Northern est une entreprise ferroviaire s'éten-
dant au-delà des limites du Manitoba jusqu'au
centre de l'Alabama, que le transport de marchan-
dises par un chemin de fer interprovincial ou inter
national est régi par la Loi sur les chemins de fer,
S.R.C. 1970, chap. R-2, et réglementé par la
Commission canadienne des transports. C'est dire
que la compétence de la Cour fédérale sur le
transport international de marchandises par rail
semble respecter les critères énoncés par la Cour
d'appel fédérale dans l'arrêt Bensol Customs Bro
kers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575, et
repris par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt
ITO—International Terminal Operators, c'est-à-
dire (1) une attribution de compétence par
l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, (2) un
ensemble de règles de droit fédérales qui constitue
le fondement de l'attribution légale de compétence,
soit la Loi sur les chemins de fer ainsi que la
masse de règlements adoptés par la Commission
des transports relativement au transport, aux taxes
et aux tarifs, et (3) le fait que la loi invoquée dans
l'affaire dont j'ai été saisi est visée par l'expression
«loi du Canada» qui figure à l'article 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
L'article 262 de la Loi sur les chemins de fer
revêt un intérêt particulier en ce qui concerne les
deux derniers critères susmentionnés. En voici le
libellé intégral:
262. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs,
a) fournir, au point de départ de son chemin de fer et au
point de raccordement de son chemin de fer avec d'autres, et
à tous les points d'arrêt établis à cette fin, des installations
suffisantes et convenables pour la réception et le chargement
des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être
transportés sur son chemin de fer;
b) fournir des installations suffisantes et convenables pour le
transport, le déchargement et la livraison de ces marchandi-
ses et effets;
c) sans retard, et avec le soin et la diligence voulus, recevoir,
transporter et livrer ces marchandises et effets;
d) fournir et employer tous les appareils, toutes les installa
tions et tous les moyens nécessaires à la réception, au charge-
ment, au transport, au déchargement et à la livraison de ces
marchandises et effets; et
e) fournir tel autre service, connexe au transport, habituel ou
d'usage relativement aux affaires d'une compagnie de chemin
de fer, selon que la Commission l'ordonne.
(2) Ces installations complètes et convenables comprennent
des facilités raisonnables pour le raccordement de voies latéra-
les privées ou d'embranchements privés avec un chemin de fer
possédé ou mis en service par la compagnie, et des facilités
raisonnables pour la réception, l'expédition et la livraison des
marchandises et effets entrant sur ces voies latérales et sur ces
embranchements privés ou en débouchant, ainsi que le place
ment de wagons et leur traction dans un sens ou dans un autre
sur ces voies latérales privées et sur ces embranchements privés.
(3) S'il arrive que, de l'avis de la Commission, la compagnie
ne fournit pas les installations et les commodités nécessaires, la
Commission peut ordonner à la compagnie de les fournir dans
un délai ou durant une période qu'elle juge convenable en
tenant compte de tous les intérêts légitimes; ou elle peut
interdire ou restreindre l'emploi, sur tous les chemins de fer
généralement, sur un chemin de fer déterminé ou sur un
tronçon de ce chemin de fer, de machines, locomotives, wagons,
matériel roulant, appareils, machineries ou dispositifs, ou d'une
espèce ou catégorie quelconque, non équipés selon les prescrip
tions de la présente loi ou des ordonnances rendues ou des
règlements établis par la Commission dans les limites de ses
attributions en vertu des dispositions de la présente loi.
(4) La compagnie doit recevoir ces marchandises et effets,
les transporter d'une place à l'autre et les livrer aux endroits
susdits moyennant le paiement des taxes de transport légale-
ment exigibles.
(5) Lorsque le chemin de fer d'une compagnie traverse,
touche ou approche suffisamment, de l'avis de la Commission,
une autre ligne qui transporte des voyageurs ou un courrier
postal, que cette dernière ligne relève ou non de l'autorité
législative du Parlement du Canada, la Commission peut
ordonner à la compagnie de régler le mouvement de ses trains
transportant des voyageurs ou un courrier postal, et de détermi-
ner les endroits et le temps des arrêts de ces trains de façon à
permettre raisonnablement la correspondance des voyageurs et
le transbordement du courrier postal entre son chemin de fer et
cet autre chemin de fer; et elle peut, de plus, ordonner à la
compagnie de fournir les installations et facilités convenables à
cet objet.
(6) Pour les fins du présent article, la Commission peut
ordonner la construction ou l'exécution d'ouvrages déterminés
ou l'acquisition d'immeubles, ou que des wagons, de la force
motrice ou d'autres matériels soient attribués, distribués,
employés ou déplacés selon que le spécifie la Commission, ou
que des mesures, systèmes ou méthodes spécifiés soient adoptés
ou suivis par certaines compagnies en particulier ou par les
compagnies de chemin de fer en général, et la Commission
peut, dans une telle ordonnance, spécifier les frais maximums
qui peuvent être imposés par la compagnie ou les compagnies
en ce qui concerne toute chose ainsi ordonnée par la
Commission.
(7) Quiconque a été lésé par la négligence ou le refus de la
compagnie de se conformer aux exigences du présent article, a,
sous réserve de la présente loi, le droit d'intenter une poursuite
contre la compagnie; et la compagnie ne peut se mettre à l'abri
de cette poursuite en invoquant un avis, une condition ou une
déclaration, si le tort résulte d'une négligence ou d'une omission
de la compagnie ou de ses employés.
(8) La Commission peut édicter des règlements d'une appli
cation générale ou particulière à un chemin de fer ou à une
partie de ce chemin de fer, ou rendre une ordonnance dans tous
les cas où elle le juge à propos, imposant des frais à une
compagnie qui omet ou tarde de fournir des installations, des
appareils ou des facilités, comme il est susdit, ou de recevoir,
charger, transporter, décharger ou livrer des marchandises ou
effets, et elle peut forcer les compagnies à payer lesdits frais à
une personne lésée par cette omission ou ce retard; et toute
somme ainsi reçue par une personne est déduite des dommages-
intérêts recouvrables ou recouvrés par cette personne pour cette
omission ou ce retard; et la Commission peut, par ordonnance
ou règlement, déterminer quelles circonstances doivent exemp-
ter une compagnie du paiement de ces frais. (C'est moi qui
souligne.)
La disposition cruciale de l'article 262 se trouve
à l'alinéa 1 c) qui impose à une compagnie ferro-
viaire une obligation légale en vertu de laquelle
elle doit «sans retard, et avec le soin et la diligence
voulus, recevoir, transporter et livrer ces marchan-
dises et effets». Il est juste de dire, à mon avis, que
cette obligation légale n'est en fait que la codifica-
tion de la responsabilité imposée à tout transpor-
teur par la common law. La demanderesse prétend
essentiellement, en ce qui concerne Burlington
Northern, que cette compagnie ferroviaire n'a pas
fait preuve du soin et de la diligence voulus. Bien
que ledit article 262 n'ait pas été expressément
plaidé, il peut quand même, à ce stade des procé-
dures, s'appliquer à la question de la compétence.
Il faut également reconnaître l'importance du
paragraphe 262(7) qui confère un droit d'action à
quiconque a été lésé par la négligence ou le refus
de la compagnie de se conformer aux exigences de
l'article 262 et qui prévoit que la compagnie ne
peut se mettre à l'abri de cette action en invoquant
un avis, une condition ou une déclaration si le
dommage résulte d'une négligence ou d'une omis
sion de la compagnie ou de ses employés. Je ne
peux imaginer un droit d'action conféré par la loi
qui soit énoncé d'une façon aussi claire.
On pourrait aussi accorder beaucoup d'impor-
tance aux autres dispositions de l'article 262 sui-
vant lesquelles il peut être nécessaire d'obtenir une
décision préalable de la Commission canadienne
des transports avant d'intenter une action en dom-
mages-intérêts. Je renvoie expressément au pou-
voir conféré à la Commission par les paragraphes
262(3), (5), (6) et (8) en ce qui a trait aux
installations et aux commodités et qui lui permet
d'ordonner l'exécution de travaux précis ou le paie-
ment de surestaries. Aucune de ces dispositions ne
limite à mon avis le droit d'action conféré par
l'alinéa 262(1)c) par suite du manque de soin au
cours de la réception, du transport et de la livrai-
son des marchandises et effets.
La Cour d'appel fédérale a examiné en 1981 les
mêmes dispositions de la Loi sur les chemins de
fer dans l'arrêt Kiist c. Canadian Pacifie Railway
Co., [1982] 1 C.F. 361; (1981), 37 N.R. 91. Dans
cet arrêt, la Cour d'appel n'y est pas allée de main
morte en ce qui concerne la compétence conférée à
la Cour fédérale par l'article 23 de sa loi constitu-
tive et confirmée par la Loi sur les chemins de fer
et la Loi sur la Commission canadienne du blé.
L'un des points litigieux concernait l'application
des derniers mots de l'article 23, «sauf dans la
mesure où cette compétence a par ailleurs fait
l'objet d'une attribution spéciale». Certaines dispo
sitions de l'article 262 confèrent compétence à la
Commission canadienne des transports. J'y ai déjà
fait allusion et je conclus que la Commission n'a
pas compétence pour ce qui est de «l'obligation de
soin» imposée à une compagnie ferroviaire, con-
trairement à d'autres obligations.
Le juge Le Dain a dit aux pages 373 C.F.; 105
N.R. de l'arrêt:
Le paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer
accorde à la personne lésée «le droit d'intenter une poursuite» en
dommages-intérêts pour négligence ou refus de se conformer
aux exigences de l'article. L'expression «le droit d'intenter une
poursuite» laisse entendre qu'il s'agit d'une procédure judi-
ciaire. Cela fait contraste avec l'emploi des termes «demande»
et «plainte» pour ce qui est des procédures devant la Commis
sion sous le régime de la Loi sur les chemins de fer (voir
l'article 48 de la Loi nationale sur les transports).
Il a ajouté [aux pages 374-375 C.F.; 105-106
N.R.]:
Compte tenu de ce principe bien établi quant au pouvoir
d'accorder des dommages-intérêts pour violation d'une obliga
tion légale équivalente à celle prévue à l'article 262, j'estime
que, pour que ce pouvoir soit transmis à la Commission, il
faudrait une disposition expresse de la part du législateur. Une
telle disposition expresse se retrouve, par exemple, en Angle-
terre, où l'article 12 de la Railway and Canal Traffic Act, 1888
(51 & 52 Vict., c. 25), dispose que lorsque les Railway Com
missioners ont compétence pour entendre et juger toute ques
tion, [TRADUCTION] «ils peuvent, en sus ou au lieu de tout
autre redressement, accorder à une partie lésée demanderesse
des dommages-intérêts pour le préjudice qu'ils estiment que
celle-ci a subi». Je ne crois pas qu'on puisse dire, comme le juge
de première instance, que l'article 58 de la Loi nationale sur les
transports soit suffisamment explicite ou clair à ce sujet pour
avoir l'important effet de conférer à la Commission le pouvoir,
normalement dévolu aux tribunaux, d'accorder des dommages-
intérêts pour violation de l'obligation prescrite par l'article 262
de la Loi sur les chemins de fer. Tandis que l'article 262
confère expressément à la Commission diverses sortes de com-
pétence dans ses paragraphes (3),(6) et (8), il est muet quant à
la juridiction devant laquelle doit être exercé «le droit d'intenter
une poursuite» en dommages-intérêts prévu au paragraphe (7).
De plus, au paragraphe (8), il est fait une distinction entre les
«frais», que peut "imposer la Commission, et les «dommages-
intérêts», dont l'adjudication n'est pas clairement attribuée à la
Commission. A mon avis, il ne ressort pas clairement de
l'article 58 de la Loi nationale sur les transports, qui traite en
termes généraux des redressements non sollicités que peut
accorder la Commission, que le législateur ait voulu modifier
l'attribution du pouvoir d'accorder des dommages-intérêts qui
résulte implicitement des dispositions de l'article 262 de la Loi
sur les chemins de fer. J'estime donc que la Cour fédérale a
compétence pour accorder des dommages-intérêts pour viola
tion de l'obligation prévue à l'article 262. [C'est moi qui
souligne.]
Il s'agit toutefois d'une déclaration générale qui
semble établir la compétence de la Cour fédérale
sur toute inexécution d'une obligation prévue à
l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer sans
restreindre le pouvoir de la Commission de déter-
miner au préalable, par voie d'ordonnances ou
autrement, les normes de certaines des obligations
imposées par les diverses rubriques de l'article 262.
L'affaire soumise au juge Le Dain reposait sur
l'alinéa 262(1)a) qui prévoit qu'une compagnie
ferroviaire est tenue de fournir des installations
suffisantes et convenables «pour la réception et le
chargement des marchandises et effets présentés à
la compagnie pour être transportés sur son chemin
de fer». Après avoir analysé de nombreux précé-
dents relatifs aux considérations de politique qu'un
organisme administratif doit appliquer quant aux
normes des obligations, considérations qu'une cour
hésiterait grandement à examiner, il a conclu aux
pages 381 C.F.; 112 N.R.:
Par ces motifs, j'estime que la Commission s'est vue spéciale-
ment attribuer la compétence pour déterminer si les compa-
gnies ferroviaires intimées ont fourni des installations suffisan-
tes et convenables en vue du transport du grain pour la
Commission canadienne du blé pendant les campagnes agrico-
les de 1977-1978 et de 1978-1979, et qu'en l'absence d'une
décision sur ce point de la part de la Commission, la Cour
fédérale est incompétente pour connaître de l'action en domma-
ges-intérêts des appelants.
Toutefois, la réclamation dont je suis saisi
repose manifestement sur l'inexécution de l'obliga-
tion de soin imposée à une compagnie ferroviaire
par l'alinéa 262(1)c), et après avoir analysé ou
interprété l'ensemble de l'article 262, je conclus
qu'il ne s'agit pas du genre d'obligation dont avait
été saisie la Cour d'appel fédérale ni d'un cas où la
compétence conférée à la Cour fédérale par l'arti-
cle 23 de sa loi constitutive serait suspendue sinon
écartée.
Un arrêt antérieur de la Cour suprême du
Canada, Patchett & Sons Ltd. v. Pacifie Great
Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271, m'incite,
quoique indirectement, à conclure à la compétence
de la Cour fédérale pour le motif que l'inexécution
d'une obligation de soin peut donner naissance à
un droit d'action sans que la Commission ait à
déterminer au préalable quelle devrait être la
norme de soin.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a eu
l'occasion de se pencher sur l'alinéa 203(1)c) de la
Railway Act de la Colombie-Britannique,
R.S.B.C. 1948, chap. 285, dont le libellé est identi-
que à celui de l'alinéa 262(1)c) de la loi fédérale
sur les chemins de fer. Cet article prévoit le même
processus de révision ou de réglementation en ce
qui concerne certaines des obligations imposées à
une compagnie ferroviaire, le seul élément le dis-
tinguant de l'article de la loi fédérale étant que
l'autorité compétente suivant la loi est le ministre
des chemins de fer de la C.-B. plutôt que la
Commission canadienne des transports.
L'action intentée par la demanderesse dans cet
arrêt portait que la compagnie ferroviaire avait
manqué à son obligation de transporter les mar-
chandises et effets avec la diligence voulue. La
Cour suprême devait plus précisément déterminer
s'il s'agissait d'une obligation absolue ou si celle-ci
était assujettie à la règle du caractère raisonnable.
Il n'a pas été allégué que la compétence reconnue
à un tribunal de la Colombie-Britannique pour
statuer sur ce genre d'inexécution était par ailleurs
attribuée au ministre. Il semble que tout au long
des procédures, de la première instance aux appels
subséquents, il était entendu qu'un tribunal pou-
vait se prononcer sur cette question.
Je ne prétends pas que mes observations sur cet
arrêt fournissent une réponse concluante en ce qui
concerne la restriction figurant à la fin de l'article
23 de la Loi sur la Cour fédérale. À mon avis,
toutefois, la cause étaye la déclaration générale du
juge Le Dain dans l'arrêt Kiist et accrédite l'ana-
lyse que j'ai faite plus haut de l'ensemble de
l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer.
Je conclus par conséquent que la Cour fédérale
a compétence pour connaître d'une action intentée
contre Burlington Northern sur le fondement de
l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer et que
la clause restrictive figurant à la fin de l'article 23
de la Loi sur la Cour fédérale n'empêche pas la
Cour de statuer sur ladite action.
ORDONNANCE DE SIGNIFICATION EX JURIS
Je dois maintenant examiner ce point qui a été
soulevé par les défenderesses Chantry Shipping
S.A. et Atlantic Marine Limited. L'ordonnance
originale de signification ex juris a été prononcée
par le protonotaire-chef le 8 septembre 1986. Par
la suite, dans une ordonnance datée du 1" décem-
bre 1986, le juge Pinard a autorisé lesdites défen-
deresses à déposer des actes de comparution condi-
tionnelle afin d'interjeter appel de l'ordonnance de
signification ex juris.
La preuve de la demanderesse est exposée dans
un affidavit daté du 4 août 1986 qui fournit des
renseignements pertinents sur les deux défenderes-
ses et indique qu'elles sont résidentes de Hamilton
(Bermudes) et qu'elles n'ont aucun établissement
d'affaires officiel au Canada, sauf pour ce qui est
de leur mandataire à Montréal, March Shipping
Limited. Les faits sont exposés plus en détail dans
un deuxième et un troisième affidavits en date du
24 novembre 1986 et du 21 janvier 1987
respectivement.
Les motifs de l'appel formé par les défenderesses
contre l'ordonnance de signification ex juris qui
leur était adressée figurent dans un affidavit daté
du 27 octobre 1986 et sont les suivants: l'inexécu-
tion du contrat ou le préjudice allégués ont eu lieu
hors du ressort de la Cour et la demanderesse n'a
pas fourni la preuve que ses arguments étaient
défendables ni qu'il n'existait pas d'autre tribunal
plus compétent ou approprié pour y intenter son
action.
On a déposé pour le compte des défenderesses
un autre affidavit daté du 28 janvier 1987, auquel
était joint un rapport des experts en sinistres en
date du 13 février 1986 relativement à la perte
réclamée par la demanderesse.
Il est fort possible que les faits exposés devant le
protonotaire-chef relativement au lien contractuel
existant entre la demanderesse et les défenderes-
ses, à la divulgation par la preuve de l'existence
d'un droit d'action raisonnable ou à la question du
forum conveniens n'aient pas eu l'effet voulu. Cela
ne serait pas surprenant, car une ordonnance de
cette nature est d'abord accordée ex parte et le
moment crucial où son caractère approprié peut
être réellement vérifié est celui où le défendeur
étranger reçoit signification de l'avis de la
demande et décide d'y répondre, comme l'ont fait
les défenderesses en l'espèce.
Dans une telle situation, la Cour n'a pas à se
limiter aux éléments de preuve disponibles au
moment où l'ordonnance a été prononcée. L'affaire
Price & Pierce International Inc. and Sohn c.
Finland Steamship Co. Ltd., Ship Antares et
Chase International (Holdings) Inc. (1983), 46
N.R. 372 (C.A.F.), à la page 376, a établi le
principe suivant lequel la Cour peut examiner tous
les éléments de preuve disponibles qui se sont
accumulés dans l'intervalle.
Pour ce qui est de la question de la compétence
qui se pose en raison du fait que le contrat de
transport ne satisfait pas aux exigences de l'alinéa
22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale, j'ai déjà
affirmé que je n'avais pas à me prononcer sur ce
point à ce stade des procédures. Le connaissement
n° 11 n'est pas clair. Rien dans la preuve ne permet
de déterminer quelle était l'intention des parties en
utilisant l'expression «En transit à destination de
Winnipeg au Manitoba (Canada)». Dans l'affaire
Cliffe v. Hull & Netherlands Steam Ship Co.
(1921), 6 Ll. L. Rep. 136 (C.A.), citée à la page
172 de l'ouvrage intitulé Carver's Carriage by Sea,
vol. 1, 12e éd. par R. Colinvaux. Londres: Stevens
& Sons, 1971, la cour a statué que l'expression
[TRADUCTION] «Pour expédition de Hull ... à
Manchester» figurant dans le connaissement ne
faisait pas de celui-ci un connaissement direct et
qu'en expédiant les marchandises à partir de Hull,
les propriétaires du navire n'ont agi qu'à titre de
transitaires. Il ne s'agit toutefois pas de cette
expression en l'espèce et on ne m'a soumis aucun
élément de preuve permettant de déterminer son
sens exact.
Je dois également conclure que les arguments de
la demanderesse sont défendables. Les affidavits
versés en preuve relativement à l'état des noix du
Brésil avant leur chargement sur le Antje Schulte
et à leur état au moment de leur déchargement à
Winnipeg justifient le genre d'enquête à laquelle la
demanderesse prie la Cour de procéder. Il est
possible que la demanderesse rencontre beaucoup
d'embûches tout au long des procédures, mais il ne
faut pas l'empêcher de mettre en cause les défen-
deresses sur le navire desquelles ses noix du Brésil
ont été transportées en vertu d'un contrat de trans
port de Manaus (Brésil) à Mobile (Alabama) et de
là, par chemin de fer jusqu'à Winnipeg.
Je conclus en outre que la question du forum
conveniens a été tranchée. Les affidavits versés en
preuve par la demanderesse indiquent que onze
témoins, dont deux provenant du Brésil, ont été
cités. En l'absence de tout élément de preuve
fourni à cet égard par les défenderesses, il ne me
reste plus qu'à spéculer sur ce qui pourrait consti-
tuer un tribunal compétent.
L'ordonnance prononcée le 8 septembre 1986
par le protonotaire-chef est confirmée; toutefois, le
délai accordé aux défenderesses pour déposer leur
défense commencera à courir à compter de la date
de l'ordonnance formelle prononcée en même
temps que les présents motifs.
Les dépens suivront l'issue de l'action.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.