T-2332-85
Iscar Limited et Iscar Tools Inc. (demanderesses)
c.
Karl Hertel GmbH, Karl Hertel GmbH Verkaufs
KG et Hertel Carbide Canada, Inc. (défenderes-
ses)
RÉPERTORIÉ: ISCAR LTD. C. KARL HERTEL GMBH
Division de première instance, protonotaire-chef
adjoint Giles—Toronto, 21 septembre et 3 novem-
bre 1987.
Pratique — Suspension d'instance — Action en violation
d'un droit d'auteur — Les défenderesses prétendent que la
mesure législative en cours, soit (le projet de loi C-60) annu-
lera rétroactivement la cause d'action — Répercussions de la
législation en cours sur l'affaire en instance — Le projet de loi
C-60 ne s'applique pas précisément aux actions en instance —
Les lois rétroactives et rétrospectives annulant les droits acquis
sont interprétées restrictivement lorsqu'elles sont silencieuses
ou ambiguës quant à la mesure dans laquelle elles sont
rétroactives ou rétrospectives — La loi en question n'indique
pas clairement qu'elle entendait protéger des personnes qui, à
moins qu'un litige ne soit engagé, auraient été protégées — Le
projet de loi C-60 vise à protéger, à l'avenir, les parties
défenderesses dans les actions en violation du droit d'auteur —
Requête rejetée.
Interprétation des lois — Requête visant à suspendre une
action en violation d'un droit d'auteur — Les défenderesses
prétendent que le projet de loi en cours annulera rétroactive-
ment la cause d'action — Les lois rétroactives et rétrospectives
annulant les droits acquis sont interprétées restrictivement
lorsqu'elles sont silencieuses ou ambiguës quant à la mesure
dans laquelle elles sont rétroactives ou rétrospectives — La loi
en question n'indique pas clairement qu'elle entendait protéger
les personnes qui, à moins qu'un litige ne soit engagé, auraient
été protégées — Le projet de loi en cours vise à protéger, à
l'avenir, les parties à un litige — Requête rejetée.
Droit d'auteur — Contrefaçon — Requête visant à suspen-
dre une action en violation d'un droit d'auteur pour le motif
que le projet de loi en cours annulera la cause d'action —
Répercussions de la législation en cours sur l'affaire en ins
tance — Requête rejetée — Le projet de loi C-60 n'indique pas
clairement qu'il entendait protéger des personnes qui, à moins
qu'un litige ne soit engagé, auraient été protégées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art.
46.
Projet de loi C-60, Loi modifiant la Loi sur le droit
d'auteur et apportant des modifications connexes et
corrélatives, 2e session, 33e législature, 35-36 Elizabeth
II, 1986-87, art. 11, 24.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
National Real Estate and Finance Co., Ld. v. Hassan,
[1939] 2 K.B. 61 (C.A.); Hutchinson v. Jauncey, [1950]
1 K.B. 574 (C.A.); Remon v. City of London Real
Property Co., [1921] 1 K.B. 49 (C.A.).
DOCTRINE
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed.
Toronto: Butterworths, 1983.
Craies on Statute Law, 7th ed. S. G. G. Edgar, London:
Sweet & Maxwell Limited, 1971.
Maxwell on The Interpretation of Statutes, 12th ed. P.
St. J. Langan, London: Sweet & Maxwell Limited,
1969.
AVOCATS:
Gunars Gaikis pour les demanderesses.
Roger T. Hughes, c.r. pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Toronto, pour les demande-
resses.
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE PROTONOTAIRE-CHEF ADJOINT GILES: Les
défenderesses cherchent par leur requête à obtenir
une suspension de la présente action en violation
d'un droit d'auteur pour le motif que le projet de
loi C-60 a été soumis à la Chambre des communes
et que son adoption éventuelle aurait pour effet
d'empêcher rétroactivement l'exercice d'un droit
d'auteur semblable à celui qui aurait été violé.
L'avocat des défenderesses prétend que le
recours à des interrogatoires coûteux et la tenue
éventuelle d'un procès feront perdre beaucoup de
temps et entraîneront des dépenses inutiles si le
projet de loi est adopté dans sa forme actuelle,
étant donné qu'en vertu de l'article 24 du projet de
loi, la mesure législative en question a un effet
rétroactif et/ou rétrospectif. Il ajoute que l'action a
tranquillement suivi son cours et qu'advenant un
délai, le préjudice causé aux demanderesses sera
négligeable. L'avocat de ces dernières n'admet pas
que le projet de loi entraînerait l'effet envisagé par
les défenderesses et il soutient que la réclamation
des demanderesses a une portée beaucoup plus
étendue que celle d'une action en violation du droit
d'auteur qui pourrait être visée par le projet de loi.
Il ajoute que non seulement ses clientes subiraient
de sérieux inconvénients mais qu'elles ne pour-
raient pas non plus exercer leurs droits existants si
leur action était suspendue jusqu'à l'adoption du
projet de loi, si adoption il y avait et si celui-ci
touchait effectivement les droits de ses clientes.
Les avocats des deux parties ont attiré mon
attention sur un certain nombre de causes où des
suspensions d'instance ont été accordées, mais
aucune d'entre elles ne traitait d'une suspension
d'instance accordée en attendant l'adoption d'un
projet de loi par une législature. À mon avis, la
première question litigieuse à trancher en l'espèce
est de savoir si l'adoption du projet de loi peut
porter atteinte au droit des demanderesses au
redressement qu'elles sollicitent.
L'article 11 du projet de loi abroge l'article 46
de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap.
C-30] et le remplace par ce qui suit:
46. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent
article et à l'article 46.1.
«dessin» Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques
visuelles d'un objet fini, notamment en ce qui touche la
forme, l'agencement, l'effet extérieur et les éléments
décoratifs.
«fonction utilitaire» Fonction d'un objet autre que celle de
support d'un produit artistique ou littéraire.
«objet» Tout ce qui est réalisé à la main ou à l'aide d'un outil ou
d'une machine.
«objet utilitaire» Objet remplissant une fonction utilitaire, y
compris tout modèle ou maquette de celui-ci.
(2) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur sur un
dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une oeuvre dont le
dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin
qui ne diffère pas sensiblement, en réalisant l'objet ou toute
reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait
d'accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un
acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que
l'objet, de par l'autorisation du titulaire—au Canada ou à
l'étranger—remplisse l'une des conditions suivantes:
a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires;
b) sans être fait à la main, comporter un motif répété et être
divisé en longueurs ou pièces utilisables pour des articles
textiles, des revêtements ou des vêtements;
c) s'agissant d'une planche, d'une gravure ou d'un moule,
servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires.
(3) Le paragraphe (2) ne s'applique pas au droit d'auteur
sur une oeuvre artistique utilisée à l'une des fins suivantes:
a) cartes, affiches décoratives, tabliers de jeux, calendriers,
timbres, décalques ou tous autres imprimés de nature princi-
palement artistique ou littéraire;
b) marques de commerce ou étiquettes;
c) oeuvres artistiques appliquées sur les emballages;
d) oeuvres d'art architecturales;
e) autres oeuvres ou objets que le gouverneur en conseil peut
désigner par règlement.
46.1 Ne constitue pas une violation du droit d'auteur sur une
oeuvre le fait:
a) de conférer à un objet utilitaire des caractéristiques de
celui-ci résultant uniquement de sa fonction utilitaire;
b) de faire, à partir seulement d'un objet utilitaire, une
reproduction graphique ou matérielle des caractéristiques de
celui-ci qui résultent uniquement de sa fonction utilitaire;
c) d'accomplir, avec un objet visé à l'alinéa a) ou avec une
reproduction visée à l'alinéa b), un acte réservé exclusive-
ment au titulaire du droit;
d) d'utiliser tout principe ou méthode de réalisation de
l'ceuvre.
L'article 24 du projet de loi susmentionné porte:
24. Le paragraphe 46(1) et l'article 46.1 de la Loi sur le
droit d'auteur, édictés par l'article 11, s'appliquent à toute
prétendue violation du droit d'auteur, même quand elle survient
avant l'entrée en vigueur de cet article.
Il est bon de noter que l'article 24 ne contient
aucune disposition s'appliquant précisément aux
poursuites en cours. Les tribunaux ont interprété
restrictivement les lois rétroactives et rétrospecti-
ves qui annulent des droits acquis, lorsque ces lois
étaient silencieuses ou ambiguës quant à la mesure
dans laquelle elles devaient être rétroactives ou
rétrospectives. À supposer qu'en redéfinissant le
mot violation aux fins de la Loi sur le droit
d'auteur, la loi refuse effectivement à une per-
sonne étrangère à un litige et qui se trouve dans la
position des demanderesses, le droit d'intenter une
action en violation du droit d'auteur, quelles
seraient les conséquences de ladite loi sur le litige
en cours?
Pour régler ce point litigieux, j'ai dû consulter
un certain nombre d'arrêts que les avocats
n'avaient pas cités. Il existe une jurisprudence
abondante où l'on a examiné les conséquences des
lois rétrospectives et rétroactives. Plusieurs de ces
arrêts ont été cités dans Craies on Statute Law, 7e
édition, par S. G. G. Edgar, Sweet & Maxwell
Limited, London, 1971 (principalement au chapi-
tre 16 intitulé: COMMENCEMENT AND DURATION
OF EFFECT OF STATUTES) de même que dans de
nombreux ouvrages du professeur Elmer A. Dried-
ger où il a traité de cette question. Ses recherches
approfondies sur ce sujet semblent avoir été depuis
peu regroupées dans la deuxième édition de son
ouvrage intitulé: Construction of Statutes, Butter-
worths, Toronto, 1983. Les arrêts et les commen-
taires y afférents des auteurs n'établissent pas de
règle absolue et semblent indiquer que la jurispru
dence la plus récente n'est que le début d'une
nouvelle approche en matière de lois rétroactives et
rétrospectives. Il existe comparativement peu de
cas où l'on traite précisément de l'interprétation
des lois apparemment rétroactives ou rétrospecti-
ves lorsqu'un litige est en cours. Aux pages 220 et
221 de l'ouvrage Maxwell on The Interpretation
of Statutes, 12e édition, P. St. J. Langan, Sweet &
Maxwell, London, 1969, on trouve le passage
suivant:
[TRADUCTION] En général, lorsqu'il y a modification du
droit positif alors qu'une action est en cours, les droits des
parties sont déterminés conformément à la loi en vigueur au
moment où l'action a été intentée, sauf si la nouvelle loi indique
clairement une intention de modifier ces droits.
La raison pour laquelle cette restriction a été
apportée ressort clairement de la phrase suivante
qui figure à la page 221:
[TRADUCTION] Mais si une loi vise nécessairement à modi
fier les droits des parties dans des actions en cours, la cour est
tenue de respecter l'intention du législateur et d'appliquer la loi
telle qu'elle existe au moment du jugement, même s'il n'est pas
fait expressément mention des causes pendantes.
Dans les causes citées par Maxwell, National
Real Estate and Finance Co., Ld. v. Hassan,
[1939] 2 K.B. 61 (C.A.); Hutchinson v. Jauncey,
[1950] 1 K.B. 574 (C.A.) et Remon v. City of
London Real Property Co., [1921] 1 K.B. 49
(C.A.), cette dernière cause étant citée dans la
précédente, la législation examinée visait à proté-
ger une catégorie de personnes déterminées,
c'est-à-dire des personnes qui occupaient des
locaux à titre de locataires ou d'anciens locataires.
Le fait que des personnes occupant des locaux ne
sont plus considérées comme des locataires parce
que leur bail a pris fin avant l'entrée en vigueur de
la Loi ne les prive pas de leur droit d'être protégées
par la Loi, puisqu'il est évident que ces personnes
faisaient partie de la catégorie de celles que la Loi
visait à protéger. Il n'y a pas en l'espèce d'indica-
tion précise que la loi entendait protéger des per-
sonnes qui, à moins que ne survienne un événe-
ment, savoir, le commencement d'un litige,
auraient été protégées. La modification de la Loi
sur le droit d'auteur vise, semble-t-il, à protéger
des personnes qui pourraient éventuellement être
constituées parties défenderesses dans des actions
en violation du droit d'auteur. Je conclus donc que
l'adoption éventuelle du projet de loi n'aurait
aucun effet sur la responsabilité des défenderesses
relativement aux dommages-intérêts découlant de
précédentes violations reprochées. Si le projet de
loi était promulgué, il pourrait porter atteinte à
l'injonction dont les demanderesses pourraient se
prévaloir. Il s'agit là d'une question qui doit être
tranchée par le juge de première instance si les
demanderesses ont gain de cause lors du procès. Si
le projet de loi était promulgué dans sa forme
actuelle, il n'entraînerait pas l'extinction totale des
droits des demanderesses et pourrait tout au plus
porter atteinte au droit qu'elles ont de demander
une injonction. Je ne vois donc aucune raison de
suspendre la présente action en attendant la fin du
débat portant sur le projet de loi.
Il appartient au juge de première instance de
statuer sur les dépens de la présente requête.
ORDONNANCE
La requête est rejetée. Le juge de première
instance devra statuer sur les dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.