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A-737-86
Bell Canada (appelante) c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes (intimé)
RÉPERTORIÉ: BELL CANADA c. CANADA (CONSEIL DE IA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIEN- NES)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges- sen—Montréal, 21 et 22 mai; Ottawa, 10 juillet 1987.
Télécommunications Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) Compétence Appel est interjeté d'une ordonnance du CRTC qui prescrivait à Bell Canada (Bell) de donner à ses abonnés un crédit forfaitaire de 206 millions de dollars Le CRTC a accordé une majoration tarifaire provisoire à Bell en 1984 mais a suspendu cette majoration en 1985 étant donné l'amélioration de son rendement financier Il a ensuite conclu que Bell avait réalisé des revenus excédentaires en 1985 et en 1986 Appel accueilli Le CRTC n'avait pas la compétence voulue pour prononcer l'ordonnance attaquée La Loi sur les che- mins de fer n'habilite le CRTC qu'à approuver, suspendre ou rejeter les tarifs et les taxes L'obligation faite à Bell de ne réclamer que les taxes préalablement approuvées ne l'expose pas à une ordonnance ne fixant pas des taxes et des tarifs L'art. 321(5) de la Loi sur les chemins de fer, qui accorde au CRTC le pouvoir de rendre des ordonnnances relativement à toute question ayant trait au trafic, aux taxes et aux tarifs, ne fait que définir des pouvoirs dans le contexte de la Loi et ne crée point de nouveaux pouvoirs fondamentaux L'ordon- nance visée a trait aux profits et aux revenus, non aux taxes et aux tarifs Une décision déclare qu'une commission des services publics n'a pas l'autorité voulue pour traiter d'un excédent ou d'une insuffisance de revenus Le CRTC n'a pas compétence pour ordonner une réduction rétroactive des taxes Le pouvoir de modifier des taux prévu à l'art. 63 de la Loi nationale sur les transports n'implique pas le pouvoir de les modifier rétroactivement Le terme «modifier» est neutre en ce qui concerne le pouvoir d'agir rétroactivement Le pouvoir prévu à l'art. 57(2) de la Loi nationale sur les transports de rendre des ordonnances provisoires et de porter à plus tard la décision définitive est distingué du pouvoir prévu aux art. 57(1) et 63 de rendre des ordonnances statuant de façon définitive sur une question donnée Le rôle de réglementation du CRTC ne s'étend à l'avenir que dans la mesure prévue à l'art. 320(2) de la Loi sur les chemins de fer, qui parle des taxes »que peut» exiger une compagnie.
Interprétation des lois L'art. 63 de la Loi nationale sur les transports confère à la Commission le pouvoir de «reviser, rescinder, changer ou modifier» toute ordonnance Le pou- voir de modifier ses ordonnances n'implique pas celui de modifier des tarifs rétroactivement Le terme «modifier» est neutre en ce qui concerne le pouvoir d'agir rétroactivement Le Parlement, en adoptant l'art. 63, n'entendait pas investir le
Conseil du pouvoir de réduire à néant les droits créés par son ordonnance originale L'art. 57(2) donne à la Commission le pouvoir de rendre «tout d'abord, au lieu d'une ordonnance définitive», une ordonnance provisoire L'art. 57, qui a un caractère général, est destiné à s'appliquer à toutes les ordon- nances et décisions de la Commission canadienne des trans ports et du CRTC L'art. 57(2) n'entend pas statuer de façon définitive sur une demande, ce qui n'est pas le cas de l'ordon- nance fondée sur l'art. 57(1) ou sur l'art. 63 Le mot «provisoire» signifie «entre temps» Il existe une présomp- tion selon laquelle un texte législatif n'a pas d'effet rétroactif.
Appel est interjeté d'une décision du CRTC prescrivant à Bell Canada d'accorder à ses abonnés un crédit forfaitaire de 206 millions de dollars représentant les revenus excédentaires qu'elle aurait réalisés pour les années 1985 et 1986. En mai 1984, la demande de majoration tarifaire de Bell a été refusée, mais en décembre, le Conseil lui a accordé une majoration tarifaire provisoire de 2 %. En avril 1985, le CRTC a refusé d'approuver cette augmentation de façon définitive et a décidé de reporter l'examen de la question jusqu'à une audience en 1986. En août 1985, devant l'amélioration du rendement finan cier de Bell, le Conseil a prescrit à celle-ci de suspendre les majorations tarifaires provisoires. Bien que Bell ait cherché à retirer sa requête visant une majoration tarifaire générale, le CRTC a décidé de procéder à un examen du taux de rendement approprié de Bell, puisque cette question n'avait pas été exami née dans le cadre d'une audience avec comparution depuis 1981. Cette audience a conduit à la décision contestée en l'espèce. Le Conseil a examiné la question de savoir quel taux de rendement de l'avoir moyen des détenteurs d'actions ordinai- res pouvait être autorisé, et a décidé que Bell avait réalisé un revenu excédentaire de 206 millions de dollars en 1985 et 1986. Il a alors prescrit un taux de réduction devant entrer en vigueur le 1" janvier 1987. En ce qui a trait aux années 1985 et 1986, il a ordonné à Bell de donner un crédit forfaitaire à ses abonnés inscrits. Le litige consiste à savoir si le Conseil était investi par la loi du pouvoir de rendre une telle ordonnance. L'appelante prétend que la Commission n'est habilitée qu'à prescrire des taxes. L'intimé a, en réponse à cet argument, proposé deux manières opposées d'aborder la question: (1) le Conseil n'est pas seulement habilité à prescrire des taxes; (2) l'ordonnance prescrivant le crédit forfaitaire doit être uniquement considérée comme un moyen de donner effet à une détermination de tarif pour une période déjà écoulée.
Arrêt (le juge Hugessen dissident): l'appel devrait être accueilli. Le Conseil n'avait pas compétence pour rendre l'or- donnance contestée.
Le juge Marceau: 1. L'argument que le Conseil n'est pas seulement habilité à prescrire des taxes est fondé sur le statut juridique résultant à Bell du fait qu'elle dispense un service public dont les travaux ont été déclarés être à l'avantage général du Canada ainsi que sur le rôle dévolu au Conseil d'empêcher Bell d'abuser de la situation privilégiée découlant de son monopole. L'intimé s'est appuyé sur l'alinéa 46(1)b) de la Loi nationale sur les transports, qui confère à la Commission les pouvoirs généraux de rendre «des ordonnances ou établir des règlements ... pour assurer l'exécution de la Loi sur les chemins de fer» ainsi que sur le paragraphe 321(5) de la Loi sur les chemins de fer qui habilite la Commission à émettre des ordonnances au sujet de tout ce qui a trait au trafic, aux taxes et aux tarifs. Afin de réglementer la nature et la qualité des
services fournis, le CRTC doit être investi d'un pouvoir de supervision et de réglementation qui dépasse la fixation de tarifs et de taxes. Cependant, en ce qui concerne les tarifs et les taxes, la Loi n'habilite point le Conseil à faire plus que les approuver, les suspendre ou les rejeter. Pour ce qui est des tarifs et des taxes, la seule obligation de Bell est de ne réclamer que les taxes préalablement approuvées, et l'existence d'une telle obligation ne saurait exposer Bell à une ordonnance qui ne fixe d'aucune manière des tarifs ou des taxes. Le paragraphe 321(5) n'entendait point dire autre chose, son objet étant de définir des pouvoirs dans le seul contexte de la Loi sur les chemins de fer. Le pouvoir général de rendre des ordonnances pour assurer l'application d'une autre loi ne crée pas de nouveaux pouvoirs fondamentaux. L'ordonnance contestée a trait aux profits et aux revenus. Le seul fait que la source principale de ces profits et revenus ait été les droits pour services rendus établis confor- mément aux tarifs approuvés par le Conseil n'implique pas qu'ils aient «trait au trafic, aux taxes et aux tarifs». L'arrêt Calgary (City) & Home Oil Co. v. Madison Natural Gas Co. & Br. American Utilities Ltd. (1959), 19 D.L.R. (2d) 655 (C.S. Alb.) appuie la proposition qu'une commission des services publics comme le Conseil n'a pas l'autorité pour traiter d'un excédent ou d'une insuffisance de revenus.
2. Le second argument est que la décision constitue fonda- mentalement un «rejet» des taxes pour les années 1985 et 1986 et a pour effet véritable de leur substituer un «tarif satisfaisant pour le Conseil» conformément à l'alinéa 321(4)b) de la Loi sur les chemins de fer. Ce raisonnement confond le but et la nature véritable de la décision. Cette distinction est essentielle lorsque la question litigieuse consiste à savoir si le Conseil avait la compétence requise pour rendre l'ordonnance effectivement rendue. La nature véritable d'un ordre se trouve dans le com- mandement qu'il contient, commandement qui peut être identi- fié en déterminant la façon dont l'ordre visé peut être mis à exécution. La question qui se pose devient alors celle de savoir si le Conseil avait la compétence nécessaire pour ordonner une réduction rétroactive des taxes.
Il a été prétendu que le pouvoir conféré au Conseil à l'article 63 de la Loi nationale sur les transports de »reviser, rescinder, changer ou modifier ses ordonnances» implique le pouvoir d'agir rétroactivement. Cette prétention s'appuyait sur le para- graphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports, qui habilite le CRTC à rendre une ordonnance provisoire «au lieu d'une ordonnance définitive» et à porter à plus tard sa décision définitive. Il a été soutenu que ce pouvoir statutaire expressé- ment conféré comporte celui de corriger rétroactivement ce qui a été ordonné dans l'intervalle. Le pouvoir de modifier n'impli- que cependant pas le pouvoir de donner à une telle modification un effet rétroactif. Le terme «modifier» est neutre en ce qui concerne le pouvoir d'agir rétroactivement. En adoptant l'arti- cle 63 de la Loi nationale sur les transports, le Parlement n'entendait pas investir le CRTC du pouvoir de réduire à néant—par opposition à protéger—les droits créés par son ordonnance originale.
Il a été soutenu que, pour donner un objet véritable au paragraphe 57(2), l'ordonnance provisoire dont il y est question devait recevoir un sens autre que celui d'une simple ordonnance temporaire puisque le pouvoir de rendre une ordonnance qui n'aura d'effet que pour un temps limité est déjà prévu au paragraphe 57(1) et à l'article 63 de la même loi. Une ordon- nance rendue conformément au paragraphe 57(1) et à l'article
63 statue de façon définitive sur une demande alors que ce n'est pas le cas pour l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe 57(2), comme l'indiquent les mots «au lieu d'une ordonnance définitive» figurant au paragraphe 57(2). L'article 57 s'appli- que à toutes les ordonnances de la Commission canadienne des transports et du CRTC, et ne s'applique pas spécifiquement aux ordonnances établissant des tarifs et des taxes. Le terme «provisoire» en lui-même ne suggère rien de plus à l'esprit que «entre temps». Le pouvoir de rendre une ordonnance provisoire n'implique pas celui de rendre une ordonnance définitive régis- sant différemment la période visée par l'ordonnance initiale.
Plusieurs décisions ont été citées dans lesquelles le pouvoir de prendre des mesures ayant un effet rétroactif a été admis afin d'éviter que le requérant subisse un préjudice en raison du temps requis pour l'approbation de sa demande. Le Conseil n'est toutefois pas investi du pouvoir de rejeter rétroactivement des taux qu'il a déjà approuvés. La présomption selon laquelle un texte législatif n'a pas d'effet rétroactif est prise en considé- ration dans l'adoption d'un tel point de vue.
Le Parlement n'a pas eu l'intention de confier au CRTC un rôle de réglementation qui s'étendrait autant au passé qu'à l'avenir. L'autorité du Conseil s'exerce sur les taxes que peut exiger une compagnie (paragraphe 320(2) de la Loi sur les chemins de fer). Ce sont ces taxes qui sont soumises à l'agré- ment du Conseil, et la seule obligation qui incombe à Bell est de limiter ses redevances aux taxes qui ont été approuvées.
De plus, si le Conseil pouvait se prononcer pour le passé et pour l'avenir, tous les efforts consacrés à l'approbation des taux à l'aide de prévisions ne serviraient à rien. Le paragraphe 321(1) porte que toutes les taxes doivent être justes et raisonna- bles. Le législateur, pour atteindre son but, a institué un régime particulier qui peut faire défaut, bien que rarement, à l'avan- tage soit de Bell soit des consommateurs.
Le juge Pratte: Le CRTC n'a pas le pouvoir de forcer Bell à se départir de revenus qu'elle a gagnés en chargeant les prix approuvés par le Conseil. Il ne pouvait non plus approuver des tarifs à la condition que la compagnie de téléphone concernée doive plus tard effectuer un remboursement à ses clients si ces tarifs étaient trop élevés. Les seuls prix qu'il puisse approuver sont ceux qu'il juge, à ce moment-là, être justes et raisonnables.
Une décision provisoire ne peut être modifiée rétroactive- ment. C'est tout simplement une décision temporaire qui ne tranche pas de façon définitive le litige dont le tribunal est saisi.
L'article 63 n'autorise pas la Commission à modifier rétroac- tivement ses décisions antérieures. Une décision qui modifie une décision antérieure rétroactivement fait plus que modifier cette décision antérieure. Elle ordonne que cette modification soit censée avoir été faite à une date antérieure à celle elle a réellement été faite. Un tribunal à qui on a conféré le simple pouvoir de rescinder et de modifier ses décisions n'a pas le pouvoir de les modifier rétroactivement. Cette opinion ne con- tredit pas l'arrêt Bakery and Confectionery Workers Interna tional Union of America, Local No. 468 et al. v. White Lunch Ltd. et al., [1966] R.C.S. 282. Les trois ordonnances du Labour Relations Board provincial dont il était question dans cette espèce n'avaient pas été modifiées rétroactivement puis- qu'il n'était pas prévu que les changements apportés aux trois ordonnances seraient censés avoir été apportés à une date antérieure à celle des ordonnances modificatrices. Les ordon- nances modificatrices avaient un «effet rétroactif» parce qu'elles
avaient eu pour résultat que le nouvel employeur se trouvait lié par des décisions prises par le passé. Le mot «rétroactif» était alors utilisé dans un sens très particulier. La Cour suprême n'a pas jugé que le pouvoir conféré à un tribunal de modifier ses décisions comprenait celui de prescrire que les modifications qu'il ordonnait seraient censées avoir été faites antérieurement à la date de l'ordonnance modificatrice.
Le juge Hugessen (dissident): La C.A.C.-B., interprétant un autre régime de réglementation dans l'affaire Re Eurocan Pulp & Paper Co. Ltd. and British Columbia Energy Commission et al., a conclu à l'existence du pouvoir de fixer des tarifs rétroac- tivement. Dans l'arrêt Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et autres, [1981] 2 R.C.S. 437, cette décision a été citée sans qu'aucune réserve n'y soit apportée.
Le pouvoir du Conseil découle directement du fait que son ordonnance était une ordonnance provisoire fondée sur le para- graphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports. Le para- graphe 57(1) confère au Conseil le pouvoir de rendre des ordonnances assujetties à des conditions suspensives ou résolu- toires. Le paragraphe 57(2) ajoute aux pouvoirs déjà conférés au Conseil. Une ordonnance provisoire ne peut toutefois être simplement une ordonnance susceptible d'une révision subsé- quente du Conseil puisque toutes les ordonnances fixant des tarifs peuvent, même du mouvement du Conseil lui-même, être révisées. Il ne peut s'agir que d'une ordonnance qui dispose pour l'avenir, comme toutes les ordonnances relatives aux tarifs, mais à l'égard de laquelle le Conseil se réserve la faculté de donner «de plus amples instructions» qui pourront s'appli- quer rétroactivement à la date elle a été rendue. L'argument voulant que même si le Conseil avait le pouvoir de réviser son ordonnance provisoire, il ne pouvait la réviser qu'en ce qui concernait la majoration de 2 %, ne pouvait être accepté. Lorsqu'un tarif est majoré de façon provisoire, le tarif majoré tout entier devient provisoire et susceptible de révision.
Dès lors que le Conseil avait décidé que les tarifs exigés en 1985 et en 1986 n'étaient pas justes et raisonnables et qu'il avait évalué le montant des revenus excédentaires, il était tenu de trouver une solution juste et pratique. La manière dont les taux sont révisés est une «question administrative» qu'il convient de laisser trancher par le Conseil.
L'ordonnance du Conseil a trait aux tarifs et aux taxes. À ce titre, elle a été rendue par le Conseil dans l'exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe 321(5) de la Loi sur les chemins de fer d'émettre des ordonnances au sujet de tout ce qui a trait aux taxes et aux tarifs en toute autre matière non expressément prévue.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte à l'effet d'incorporer la Compagnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1880, chap. 67, art. 46 (mod. par S.C. 1882, chap. 95, art. 4).
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, art. 45(2) (mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 18), 46(1), 48 (mod., idem), 57, 58, 63, 64 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65).
Loi sur le conseil de radiodiffusion et des télécommu- nications canadiennes, S.C. 1974-75-76, chap. 49.
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art. 320(2) (mod. par S.R.C. 1970 (1°' Supp.), chap. 35, art. 2), (3),(6), 321(1),(2) (mod., idem, art. 3), (4),(5).
Règles de procédure du CRTC en matière de télécom- munications, DORS/79-554.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Calgary (City) & Home Oil Co. v. Madison Natural Gas Co. & Br. American Utilities Ltd. (1959), 19 D.L.R. (2d) 655 (C.S. Alb.); R. v. Board of Commissoners of Public Utilities (N.B.) Ex parte Moncton Utility Gas Ltd. (1966), 60 D.L.R. (2d) 703 (C.S.N.-B.).
DÉCISIONS DISTINGUÉES:
Bakery and Confectionery Workers International Union of America, Local No. 468 et al. v. White Lunch Ltd. et al., [1966] R.C.S. 282; 56 D.L.R. (2d) 193; confirmant R. v. B.C. Labour Relations Board, Ex parte White Lunch Ltd. (1965), 51 D.L.R. (2d) 72 (C.A.C.-B.); Re Coseka Resources Ltd. and Saratoga Processing Co. Ltd. et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 705 (C.A. Alb.); Re Eurocan Pulp & Paper Co. Ltd. and British Columbia Energy Commission et al. (1978), 87 D.L.R. (3d) 727 (C.A.C.-B.); Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et autres, [1981] 2 R.C.S. 437; United States v. New York Central R. Co., 73 L. ed. 619 (1929 S.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Young v. Adams, [1898] A.C. 469 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Algar v. Middlesex County Council. In the matter of the Local Government Superannuation Act, 1937, and 1939, [1945] 2 All E. R. 243 (K.B.D.); Edmonton, City of et al. v. Northwestern Utilities Limited, [1961] R.C.S. 392.
DOCTRINE
Coté, Pierre-André. Interprétation des lois. Cowansville (Qué.): Les Éditions Yvon Blais Inc., 1982.
Romaniuk, Bohdan et Hudson N. Janisch. «Competition in Telecommunications: Who Polices the Transition?» (1986), 18 Ottawa L.R. 561.
AVOCATS:
Louise Martin, c.r. et Gérald R. Tremblay pour Bell Canada.
Janet Yale pour l'Association des consomma- teurs du Canada.
Raynold Langlois, c.r., Greg van Koughnett et Lisa de Wilde pour le Conseil de la radio- diffusion et des télécommunications canadien- nes.
Michael Ryan pour Télécommunications CNCP.
Graham R. Garton pour le procureur général du Canada.
Michel Robert, c.r., Andrew Roman et Pierre-Paul Lavoie pour l'Organisation natio- nale anti -pauvreté.
Ken Engelhart pour l'Alliance canadienne des télécommunications de l'entreprise.
PROCUREURS:
Clarkson, Tétrault, Montréal, pour Bell Canada.
Janet Yale, avocat général, Association des consommateurs du Canada, Ottawa, pour l'Association des consommateurs du Canada. Raynold Langlois, c.r., Greg van Koughnett et Lisa de Wilde, avocats, CRTC, Ottawa, pour le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
Michael Ryan, avocat, contentieux du Cana- dien Pacifique, Toronto, pour Télécommuni- cations CNCP.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Michel Robert, c.r., Andrew Roman et Pierre-Paul Lavoie, avocats, Centre de recherche sur l'intérêt public, Ottawa, pour l'Organisation nationale anti -pauvreté.
Kenneth G. Engelhart, avocat général, Toronto, pour l'Alliance canadienne des télé- communications de l'entreprise.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord avec mon collègue Marceau et veux seulement ajouter quel- ques observations.
En apparence, l'ordonnance rendue par la Com mission le 14 octobre 1986 qui ordonne à l'appe- lante d'accorder à ses abonnés inscrits à cette date un crédit forfaitaire de 206 000 000 $ n'est pas rétroactive. En effet, elle ordonne simplement que l'on fasse quelque chose dans l'avenir. Si l'ordon- nance attaquée est, pour ce motif, considérée comme n'ayant pas eu d'effet rétroactif, elle sem- blerait, à première vue, être autorisée par le para- graphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports [S.R.C. 1970, chap. N-17]'. La Commission a
' Ce paragraphe se lit comme suit: 57. ...
(2) La Commission peut rendre, tout d'abord, au lieu d'une ordonnance définitive, une ordonnance provisoire, et se réserver la faculté de donner de plus amples instructions soit à une audition ajournée de l'affaire, soit sur une nouvelle requête.
clairement prononcé des ordonnances provisoires en vertu de ce paragraphe prescrivant le prix que l'appelante pouvait charger après le 1" janvier 1985 et elle s'est apparemment réservé la faculté de donner de plus amples instructions à ce sujet. La décision attaquée serait une de ces plus amples instructions. La faille dans ce raisonnement, c'est que les plus amples instructions qui peuvent être données en vertu du paragraphe 57(2) doivent être des directives que la Commission est par ailleurs habilitée à donner et qu'elle aurait eu le pouvoir de donner au moment elle a rendu l'ordonnance provisoire. Or la Commission, à mon avis, n'a pas le pouvoir de forcer une compagnie de téléphone à se départir d'une partie des revenus qu'elle a gagnés en chargeant à ses clients les prix approu- vés ou fixés par la Commission. Elle n'aurait pas le pouvoir, non plus, d'approuver ou de prescrire des tarifs de téléphone à la condition que la compagnie de téléphone concernée doive plus tard effectuer un remboursement à ses clients si, à ce moment-là, ces tarifs apparaissent avoir été trop élevés. Les seuls prix et tarifs que la Commission puisse approuver ou prescrire, par ordonnance provisoire ou définitive, sont ceux que la Commission juge, à ce moment-là, être justes et raisonnables.
Si on considère que la décision attaquée, malgré les apparences, est rétroactive parce que, en réa- lité, elle a pour effet de modifier les ordonnances provisoires rétroactivement à la date à laquelle elles ont été prononcées, la question se soulève de savoir si la Commission, qui pouvait clairement modifier les ordonnances provisoires, avait le pou- voir de le faire rétroactivement. On a prétendu que ce pouvoir découle du paragraphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports, qui autorise la Com mission à rendre des ordonnances provisoires, et de l'article 63 qui confère à la Commission le pouvoir de «reviser, rescinder, changer ou modifier ses ordonnances ou décisions».
Les intimés invoquent la décision de la Cour d'appel de l'Alberta dans Re Coseka Resources Ltd. and Saratoga Processing Co. Ltd. et al. 2 à l'appui de leur prétention que les ordonnances provisoires qui peuvent être rendues en vertu du paragraphe 57(2) sont des ordonnances que la Commission peut rescinder ou modifier rétroacti- vement. Comme monsieur le juge Marceau, je ne
2 (1981), 126 D.L.R. (3d) 705 (C.A. Alb.).
suis pas d'accord avec les motifs donnés à l'appui de cette décision. À mon avis, une ordonnance provisoire n'en est pas une qui puisse être rescindée ou modifiée rétroactivement par le tribunal qui l'a prononcée; c'est tout simplement une décision tem- poraire qui ne tranche pas de façon définitive le litige dont le tribunal est saisi.
Quant à l'article 63, il ne me paraît pas autori- ser la Commission à modifier rétroactivement ses décisions antérieures. La rétroactivité est une fic tion juridique. C'est une fiction parce que, en réalité, une cause qui n'existe pas ne peut produire d'effets. Il s'ensuit qu'une décision qui modifie une décision antérieure rétroactivement fait beaucoup plus que modifier cette décision antérieure puis- que, en plus, elle ordonne que cette modification soit censée avoir été faite à une date antérieure à celle elle a réellement été faite. Pour ce motif, je suis d'avis qu'un tribunal à qui on a conféré le simple pouvoir de rescinder et modifier ses déci- sions n'a pas le pouvoir de les modifier rétroactive- ment. Cette opinion peut sembler contredire la décision de la Cour suprême du Canada dans Bakery and Confectionery Workers International Union of America, Local No. 468 et al. v. White Lunch Ltd. et al. 3 . Cette contradiction, cependant, n'est qu'apparente. Dans cette affaire, il s'agissait du Labour Relations Board de la Colombie-Bri- tannique qui possédait, en vertu de sa loi constitu- tive, le pouvoir de [TRADUCTION] «reconsidérer ... modifier ou annuler» ses décisions. Ce Board avait modifié trois de ses décisions en substituant le nom de White Lunch Ltd. au nom de l'em- ployeur qui y était nommé. Ces trois décisions ainsi amendées étaient une ordonnance d'accrédi- tation, une ordonnance enjoignant à l'employeur de cesser d'intimider ses employés et une ordon- nance intimant à l'employeur de réintégrer deux employés dans leurs fonctions. Il est manifeste, à la lecture de la décision prononcée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans la même affaire', que ces trois ordonnances du Board n'avaient pas été modifiées rétroactivement puis- que les ordonnances modificatrices ne prévoyaient pas que les changements apportés aux trois ordon- nances seraient censés avoir été apportés à une
3 [1966] R.C.S. 282.
° R. v. B.C. Labour Relations Board, Ex parte White Lunch
Ltd. (1965), 51 D.L.R. (2d) 72.
date antérieure à celle des ordonnances modifica- trices. La prétention soumise à la Cour en cette affaire, c'était que les ordonnances modificatrices avaient ce que l'on appelait un effet rétroactif parce qu'elles avaient pour résultat que le nouvel employeur se trouvait lié par des décisions prises dans le passé dans des instances auxquelles il n'avait pas été partie. Le mot (rétroactif» était alors utilisé dans un sens très particulier et lorsque la Cour suprême a rejeté cette prétention et jugé que le pouvoir de modifier les décisions antérieures qui avait été conféré au Board comprenait celui de les modifier rétroactivement, elle l'utilisait dans le même sens. En d'autres mots, la Cour suprême, dans cette affaire, n'a jamais jugé que le pouvoir conféré à un tribunal de modifier ses décisions comprenait, en plus du pouvoir de modifier ces décisions, celui de prescrire que les modifications qu'il ordonnait seraient censées avoir été faites antérieurement à la date de l'ordonnance modifi- catrice.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Le 14 octobre 1986, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes (CRTC ou «le Conseil»), rendait une décision (décision Télécom CRTC 86-17) dans laquelle il ordonnait notamment à Bell Canada («Bell» ou «la Compagnie»), d'accorder à ses abon- nés inscrits un crédit forfaitaire de 206 millions de dollars, représentant des revenus excédentaires que la Compagnie avait, selon lui, réalisés au cours des années 1985 et 1986. Le présent appel, que Bell a formé après avoir obtenu de cette Cour l'autorisa- tion prévue à l'article 64 de la Loi nationale sur les transports [mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65], s'en prend à cette ordonnance. Bell prétend que le Conseil n'avait pas la compé- tence requise pour prononcer une telle directive. Son point de vue est appuyé partiellement par Télécommunications CNCP, mais tous les nom- breux autres intervenants contestent le bien-fondé de cet appel. Bien qu'un bref exposé des faits suffirait à nous permettre d'analyser et de trancher
la question en litige, car elle est purement une question de droit, l'appréciation complète de cer- tains des arguments qui ont été soulevés et devront ainsi être examinés exige peut-être un exposé plus exhaustif du contexte dans lequel cette question s'est posée.
Avant d'en venir à cet exposé, toutefois, je pren- drai le temps de citer les principales dispositions législatives qui confèrent au Conseil son autorité sur Bell. Plusieurs dispositions sont en cause et certaines devront être analysées plus profondément plus loin dans le cadre des présents motifs, mais je pense qu'une lecture attentive de l'ensemble bros- sera un tableau général susceptible d'être fort utile. Ces dispositions figurent dans la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2 ainsi que dans la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17.
La Loi sur les chemins de fer contient des dispositions particulières régissant les télégraphes et les téléphones; parmi celles-ci, les paragraphes 320(2) [mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 35, art. 2], (3),(6), 321(1),(2) [mod., idem, art. 3],
(4) et (5) doivent être cités:
320... .
(2) Nonobstant les dispositions de toute autre loi, toutes les taxes de télégraphe et de téléphone que peut exiger une compa- gnie, à l'exception des taxes exigées, pour la transmission de messages destinés à être captés d'une façon générale par le public, par une compagnie titulaire d'une licence en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, sont subordonnées à l'agrément de la Commission, qui peut les reviser à sa discrétion.
(3) La compagnie doit déposer au bureau de la Commission les tarifs des taxes de télégraphe ou de téléphone à exiger, et ces tarifs doivent être, sous le rapport de la forme, du format et du modèle, ainsi que des renseignements et des détails qu'ils doivent contenir, tels qu'à toute époque la Commission prescrit par voie de règlement ou dans un cas particulier; et, à moins d'avoir obtenu le consentement de la Commission, la compagnie ne doit pas exiger, et n'a pas le droit d'exiger, de taxe de télégraphe ou de téléphone lorsque le tarif n'en a pas été ainsi déposé ou que la Commission l'a rejeté. Toutefois, une compa- gnie qui, avant le 1er mai 1908, percevait des taxes de télégra- phe ou de téléphone, peut, sans ce dépôt et cet agrément, pendant une période que permet la Commission, exiger les taxes de télégraphe ou de téléphone qu'elle était, immédiate- ment avant ladite date, autorisée par la loi à exiger, à moins que la Commission n'ait rejeté ou ne rejette ces taxes.
(6) La Commission peut, par règlement ou autrement, déter- miner et prescrire de quelle manière et dans quelle forme un tarif ou les tarifs des taxes de télégraphe ou de téléphone doivent être publiés ou tenus à la portée du public.
321. (I) Toutes les taxes doivent être justes et raisonnables et doivent toujours, dans des circonstances et conditions sensi- blement analogues, en ce qui concerne tout le trafic du même type suivant le même parcours, être imposées de la même façon à toutes personnes au même taux.
(2) Une compagnie ne doit pas, en ce qui concerne les taxes ou en ce qui concerne tous services ou installations fournis par elle à titre de compagnie de télégraphe ou de téléphone,
a) établir de discrimination injuste contre une personne ou une compagnie;
b) instaurer ou accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable à l'égard ou en faveur d'une certaine per- sonne ou d'une certaine compagnie ou d'un certain type de trafic, à quelque point de vue que ce soit; ou
c) faire subir à une certaine personne, une certaine compa- gnie ou un certain type de trafic un désavantage ou préjudice indu ou déraisonnable, à quelque point de vue que ce soit;
et, lorsqu'il est démontré que la compagnie établit une discrimi nation ou accorde une préférence ou un avantage, il incombe à la compagnie de prouver que cette discrimination n'est pas injuste ou que cette préférence n'est pas indue et déraisonnable.
(4) La Commission peut
a) suspendre ou différer l'application de tout tarif de taxes ou toute partie de celui-ci qui, à son avis, peut être contraire aux dispositions de l'article 320 ou du présent article; et
b) rejeter tout tarif de taxes ou toute partie de celui-ci qu'elle considère être contraire aux dispositions de l'article 320 ou du présent article, et sommer la compagnie d'y substituer un tarif satisfaisant pour la Commission ou pres- crire d'autres taxes en remplacement de toutes taxes ainsi rejetées.
(5) En toute autre matière non expressément prévue par le présent article, la Commission peut émettre des ordonnances au sujet de tout ce qui a trait au trafic, aux taxes et aux tarifs, ou à l'un d'eux.
Bien que la Loi nationale sur les transports n'ait aucune disposition particulière ayant trait aux télégraphes et aux téléphones, la Partie IV de cette Loi, qui comprend les articles 45 à 64 et a pour titre COMPÉTENCE GÉNÉRALE [du Conseil] EN MATIÈRE DE CHEMINS DE FER, a toujours été considérée comme s'étendant à toutes les questions visées dans la Loi sur les chemins de fer: le paragraphe 45(2) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 18], le paragraphe 46(1), les articles 48 [mod., idem], 57, 58 et 63 ainsi que le paragraphe 64(1) de cette Loi doivent être cités:
45... .
(2) La Commission peut ordonner et prescrire à toute com- pagnie ou personne de faire immédiatement, ou dans tel délai ou à telle époque qu'elle fixe, et de telle manière qu'elle prescrit, en tant qu'il n'y a rien d'incompatible avec la Loi sur les chemins de fer, toute action ou chose que cette compagnie ou personne est, ou peut être, tenue de faire sous le régime de la Loi sur les chemins de fer ou de la loi spéciale. La Commission
peut aussi défendre l'accomplissement ou la continuation de toute action ou chose contraire à la Loi sur les chemins de fer ou à la loi spéciale; et elle a, aux fins de la présente Partie et de la Loi sur les chemins de fer, pleine juridiction pour entendre et juger toute question tant de droit que de fait.
46. (1) La Commission peut rendre des ordonnances ou établir des règlements
a) à l'égard de toute affaire, action ou chose que la Loi sur les chemins de fer ou la loi spéciale autorise, prescrit ou défend;
b) en termes généraux, pour assurer l'exécution de la Loi sur les chemins de fer; et
c) pour exercer toute juridiction qui lui est conférée par toute autre loi du Parlement du Canada.
48. La Commission peut, de son propre mouvement, ou doit, à la demande du Ministre, instruire, entendre et juger toute affaire ou question qu'elle peut, en vertu de la présente Partie ou de la Loi sur les chemins de fer, instruire, entendre et juger sur une demande ou sur une plainte, et, à cet égard, elle a les mêmes pouvoirs que la présente loi lui confère pour statuer sur une demande ou sur une plainte.
57. (1) La Commission peut, dans toute ordonnance, pres- crire que cette ordonnance ou l'une de ses parties ou disposi tions, entrera en vigueur à une date ultérieure ou lorsque surviendront des éventualités, des événements ou des circons- tances spécifiées dans cette ordonnance, ou lors de l'accomplis- sement, au gré de la Commission ou d'une personne désignée par la Commission, des conditions qu'elle impose à quelque partie intéressée; et elle peut prescrire que la totalité ou quelque partie de cette ordonnance soit exécutoire durant une période déterminée, ou jusqu'à ce que se produise un événement spécifié.
(2) La Commission peut rendre, tout d'abord, au lieu d'une ordonnance définitive, une ordonnance provisoire, et se réserver la faculté de donner de plus amples instructions soit à une audition ajournée de l'affaire, soit sur une nouvelle requête.
58. Sur toute requête présentée à la Commission, cette der- nière peut rendre une ordonnance accordant cette requête en totalité ou en partie seulement, ou accorder un redressement plus étendu ou tout autre redressement de griefs, en sus ou au lieu de celui qui a été demandé, selon que la chose lui paraît juste et convenable, aussi amplement à tous égards que si la requête eût été faite pour obtenir ce redressement partiel, différent ou plus étendu.
63. La Commission peut reviser, rescinder, changer ou modi fier ses ordonnances ou décisions, ou peut entendre à nouveau une demande qui lui est faite, avant de rendre sa décision.
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa- gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission, que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica-
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les parties.
Le contexte factuel maintenant.
La suite des événements et des décisions qui doivent être notés est relativement longue et les citations, pour plus de précisions, seront nombreu- ses. Les faits ne sont cependant pas réellement complexes, et leur succession, bien que les dates en cause doivent être notées avec soin, est facile à suivre.
Jusqu'au 4 août 1982, les tarifs imposés par Bell pour ses services avaient toujours été approuvés par le Conseil ainsi que l'exigent les dispositions législatives en cause. La dernière décision rendue à cet égard avait été la décision Télécom CRTC 81-15, en date du 28 septembre 1981, qui faisait suite à une requête sollicitant une majoration tari- faire générale déposée par Bell quelques mois plus tôt. Le 5 août 1982, le gouverneur en conseil, en vue de donner effet au programme de restriction du Gouvernement, adoptait sous l'égide du para- graphe 64(1) de la Loi nationale sur les trans ports, un décret (C.P. 1982-2350) majorant tous les tarifs approuvés l'année précédente de 6 % à compter du ler septembre 1982 et d'un autre 5 % à compter du le' septembre 1983.
Le 28 mars 1984, Bell présentait au Conseil une demande de majoration de certains de ses taux en prétendant agir sous le régime de la Partie VII des Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications [DORS/79-554] au motif que la procédure normale, mais plus compliquée, prévue à la Partie III pour les requêtes en majora- tion tarifaire générale n'était pas applicable, étant donné que ses tarifs se trouvaient encore régis par le décret de 1982. Le 22 mai 1984, le Conseil rejetait cette requête de Bell dans la décision Télécom CRTC 84-15, qui se terminait par les paragraphes suivants:
Compte tenu de ce qui précède, la requête de Bell est rejetée.
Le Conseil reconnaît que, en 1985 et au-delà, en l'absence de redressement tarifaire, la position financière de la compagnie pourrait se détériorer. À cet égard, le Conseil serait disposé à tenir une audience publique portant sur une telle requête à l'automne de 1985 si la compagnie juge nécessaire de déposer une requête en majoration tarifaire générale en vertu de la partie III des Règles.
Si Bell estimait nécessaire d'obtenir une majoration tarifaire devant entrer en vigueur plus tôt en 1985 que ne le permettrait
cet échéancier, elle pourrait, il va sans dire, demander un redressement provisoire de ses tarifs. Le cas échéant, et Bell jugeant trop restrictive, compte tenu du calendrier des audien ces du Conseil, la méthode que celui-ci utilise pour déterminer s'il y a lieu d'agréer une requête en majoration tarifaire provi- soire, il lui serait loisible de proposer des solutions de rechange aux fins d'étude par le Conseil.
Le 4 septembre 1984, Bell, conformément aux directives du Conseil, soumettait une demande de majoration tarifaire provisoire d'environ 3,6 % devant entrer en vigueur le ler janvier 1985, qu'elle entendait faire suivre d'une requête en majoration générale à être déposée le 4 juin 1985. Le 19 décembre 1984, le Conseil accueillait en partie la requête, approuvant une majoration tarifaire pro- visoire de 2 %; sa décision (décision Télécom CRTC 84-28) se terminait par les dispositions suivantes:
Compte tenu des facteurs susmentionnés, le Conseil a jugé qu'une majoration tarifaire provisoire de 2 % pour tous les services pour lesquels des hausses tarifaires sont demandées par la compagnie dans la requête provisoire convient pour l'instant. Cette augmentation devrait générer des recettes additionnelles de 65 millions de dollars entre le la janvier 1985 et le 31 décembre 1985. Pour lui permettre d'examiner les besoins en matière de revenus de la compagnie pour 1985 à l'audience publique qui aura lieu à l'automne de 1985, le Conseil ordonne à Bell de déposer sa requête en majoration tarifaire générale du 4 juin 1985 sur la base de deux années témoin, soit 1985 et 1986.
Le Conseil ordonne à Bell de déposer sans tarder des tarifs révisés, devant entrer en vigueur le 1" janvier 1985, aux fins de la mise en vigueur des tarifs approuvés dans la présente décision.
Dans une lettre au Conseil en date du 20 mars 1985, Bell demandait que sa requête en majoration tarifaire générale prévue pour le 4 juin 1985 soit reportée au 10 février 1986, mais suggérait cepen- dant que la majoration tarifaire intérimaire en vigueur depuis janvier soit approuvée immédiate- ment de façon définitive. Par avis (CRTC Avis public Télécom 1985-30, en date du 16 avril 1985), le Conseil se rendait à la demande de remise mais refusait l'approbation définitive sug- gérée en s'exprimant comme suit:
Pour ce qui est de la demande de Bell Canada visant à faire approuver définitivement les majorations tarifaires provisoires de 2 %, le Conseil estime qu'il ne convient pas d'accorder son approbation définitive à des majorations tarifaires générales provisoires sans plus de processus et il a, par conséquent, décidé de ne pas étudier la question pour le moment, mais d'examiner les majorations provisoires de 1985 au cours de l'audience de 1986.
Compte tenu de la tendance à l'amélioration du rendement financier de la compagnie, le Conseil lui ordonne de plus ce qui suit:
Bell Canada présentera au Conseil, pour le reste de 1985, et ce 30 jours après la fin de chaque mois à compter d'avril 1985, des prévisions des revenus et dépenses pour une année complète, sur une base réglementée pour l'année 1985, ainsi que des ratios financiers estimatifs, y compris le taux de rendement régle- menté de l'avoir des détenteurs d'actions ordinaires.
Le Conseil surveillera le rendement financier de la compagnie pour 1985, afin d'établir s'il y a lieu ou non de prendre d'autres mesures de tarification.
Le 19 juillet 1985, le Conseil invitait Bell à lui expliquer pourquoi, étant donné l'amélioration de son rendement financier, [TRADUCTION] < span> majorations provisoires de 2 % accordées dans la décision 84-28 ne devraient pas être suspendues à compter du ler septembre 1985». Bell, dans sa réponse, s'employa à soutenir qu'une telle suspen sion ne serait pas justifiée, mais le Conseil ne l'entendit pas ainsi. Le 14 août 1985, la décision Télécom CRTC 85-18 statuait:
Compte tenu de la tendance à l'amélioration du rendement financier de Bell, le Conseil est convaincu que la compagnie n'a plus besoin des majorations provisoires de 2 % consenties dans la décision 84-28, afin d'éviter une grave détérioration de sa situation financière en 1985. En conséquence, il est ordonné à Bell de déposer sans délai des révisions tarifaires devant entrer en vigueur le 1" septembre 1985, qui suspendent ces majorations.
Pour en arriver à sa décision, le Conseil a estimé que, si les tarifs provisoires avaient été en vigueur toute l'année, la compa- gnie obtiendrait un RAO* d'environ 14,5 % en 1985, soit un rendement bien au-dessus du taux de 13,7 % qui avait été considéré comme étant convenable pour l'établissement des majorations tarifaires provisoires de 2 %. Le Conseil a égale- ment prévu que le coefficient de couverture de l'intérêt serait d'environ 3,9, ce qui serait supérieur au coefficient réel de 1984 qui s'établissait à 3,8. Ces estimations ne sont pas sensiblement différentes des prévisions courantes des résultats de Bell pour 1985.
Le Conseil rendra sa décision définitive pour ce qui est des besoins en matière de revenus de Bell pour l'année 1985 dans le cadre de l'instance portant sur des majorations tarifaires géné- rales qui devrait débuter par le dépôt d'une requête, le 10 février 1986.
* RAO: taux de rendement de l'avoir moyen des détenteurs d'actions ordinaires.
Le 31 octobre 1985, Bell informait le Conseil qu'elle avait décidé de ne pas déposer sa requête visant une majoration tarifaire générale et le priait, en conséquence, de retirer les directives sur la procédure données dans l'avis public Télécom 1985-30. Le Conseil répondait à cette demande
dans le cadre de l'avis public Télécom 1985-85, en date du 23 décembre 1985, il était notamment déclaré:
Le Conseil constate que le taux de rendement approprié de Bell n'a pas été examiné dans le cadre d'une audience avec compa- rution depuis l'instance qui a abouti à la décision Télécom CRTC 81-15 du 20 septembre 1981 intitulée Bell Canada— Majoration tarifaire générale (la décision 81-15). Le Conseil estime qu'étant donné les prévisions actuelles de Bell, il con- viendrait d'examiner le coût des capitaux propres de la compa- gnie pour les années 1985, 1986 et 1987 à l'occasion de l'audience devant avoir lieu en 1986. Cet examen permettrait d'étudier les conditions financières et économiques qui ont changé depuis la décision 81-15 ainsi que les répercussions de la réorganisation de, Bell sur son taux de rendement. Le Conseil note que d'autres questions résultant de la réorganisation pour- raient également faire l'objet d'un examen lors de l'audience de 1986.
Le Conseil conclut donc que le calendrier annoncé dans les Directives sur la procédure modifiées telles qu'énoncées dans l'avis public 1985-30 tient toujours, à l'exception des articles 5 et 6 qui seront ainsi libellés:
Le Conseil ordonne à Bell de déposer, le 10 février 1986, le dossier des pièces justificatives numérotées tel que prévu à l'alinéa 38(1)b) des Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications, pour étudier les années témoins 1985, 1986 et 1987. Dans cette instance, le Conseil rendra une décision définitive au sujet des besoins en matière de revenus pour les années 1985, 1986 et 1987 et, établira une marge acceptable pour le RAO de Bell pour les années 1986 et 1987. Dans ce contexte, il est ordonné à Bell de déposer, dans sa présentation du 10 février 1986, des renseignements appropriés sur le coût de l'avoir des détenteurs d'actions ordinaires et les besoins en matière de revenus de la compagnie, y compris les résultats financiers de 1985 ainsi que les prévisions pour 1986 et 1987.
Comme on pouvait s'y attendre, l'audience s'avéra fort longue et fort compliquée. Elle se poursuivit du 2 juin au 16 juillet 1986. Plus de 300 personnes avaient déposé des interventions et bon nombre d'entre elles y participèrent ou s'y firent représenter. Non seulement était-il nécessaire d'étudier à fond la situation financière de la Com- pagnie mais plusieurs questions incidentes ou accessoires devaient être examinées. Après délibé- rations, le Conseil rendait sa décision le 14 octobre 1986. C'est cette décision, dont le numéro est CRTC 86-17, qui est contestée ici.
La décision n'est pas attaquée dans sa totalité cependant, mais seule cette partie de la décision, facile à résumer, qui ordonne à Bell de donner un crédit forfaitaire à ses abonnés inscrits. Le Conseil exprime tout d'abord son opinion sur le taux de
rendement de l'avoir moyen des détenteurs d'ac- tions ordinaires (RAO) qui aurait pu être autorisé pour les années 1985, 1986 et 1987; ii écrit:
Compte tenu de toute la preuve dont il était saisi, le Conseil a conclu que, pour les années témoins 1986 et 1987, le taux de RAO autorisé de Bell doit être de l'ordre de 12,25 % à 13,25 %.
Pour ce qui est de l'année témoin 1985, le Conseil estime que le coût des capitaux a été plus élevé cette année-là. En consé- quence, il a jugé que le taux de RAO autorisé pour 1985 aurait été de l'ordre de 12,75 % à 13,75 %.
Le Conseil a utilisé le point médian de la marge, soit 12,75 %, aux fins de l'établissement des besoins en revenus de la compa- gnie pour 1987. Étant donné que la majorité de l'année témoin 1986 et toute l'année témoin 1985 sont choses du passé, le Conseil estime qu'il est juste et raisonnable d'utiliser l'échelon supérieur de la marge pour chaque année, soit 13,25 % pour 1986 et 13,75 % pour 1985, pour établir les besoins en revenus respectifs.
Le Conseil examine alors ses conclusions relatives aux revenus gagnés par Bell en 1985 et 1986, pour décider que la Compagnie avait réalisé un revenu excédentaire de 63 000 000 $ au cours de la pre- mière des deux années et de 143 000 000 $ au cours de l'autre, tout en estimant que, pour l'année 1987, «une réduction des besoins en revenu de l'ordre de 234 000 000 $ donnerait à la compagnie
. [le] taux de RAO» pouvant être autorisé. Le Conseil tire alors ses conclusions: en ce qui a trait à l'année 1987, il prescrit un taux de réduction devant entrer en vigueur le lei janvier 1987; en ce qui a trait aux années 1985 et 1986, ii décide comme suit;
Dans le cas des revenus excédentaires pour les années 1985 et 1986, le Conseil ordonne que les rajustements qui s'imposent soient apportés au moyen d'un crédit forfaitaire aux abonnés inscrits, à la date de la présente decision, aux services locaux suivants: résidentiel et d'affaires de ligne individuelle, de ligne à deux et à quatre abonnés; de ligne principale de PBX; de ligne centrex; de ligne perfectionnée de circonscription; du service radiotéléphonique de circonscription; du service de réseau dépendant; et du service de ligne d'accès aux services informati- ques. Le Conseil ordonne que le crédit à chaque abonné soit calculé au prorata de la somme des revenus excédentaires pour 1985 et 1986, soit 206 millions de dollars, en fonction des états de compte périodiques mensuels de l'abonné pour les services locaux spécifiés fournis à la date de la présente décision. Le Conseil ordonne de plus que le travail nécessaire pour mettre en oeuvre les directives ci-dessus soit amorcé immédiatement et que les rajustements aux états de compte soient faits le 31 janvier 1987 au plus tard. Enfin, le Conseil ordonne en outre à la compagnie de lui présenter, au plus tard le 16 février 1987, un rapport donnant le détail de la mise en oeuvre du crédit.
Cette partie de la décision Télécom CRTC 86-17 est celle qui se trouve attaquée dans le cadre du présent appel.
Tel qu'indiqué au début, la seule question qui se pose en l'espèce en est une de compétence. Le Conseil était-il investi par la loi du pouvoir d'or- donner à Bell de donner un crédit forfaitaire de 206 millions de dollars à ses abonnés inscrits? Les conclusions de fait sur lesquelles est fondée l'or- donnance, en particulier l'évaluation des besoins en revenus de Bell pour 1985 et 1986, la justesse des taux de rendement établis pour ces mêmes années et, en conséquence, l'appréciation du montant des revenus excédentaires gagnés par Bell, ne sont pas remis en cause. La question en litige est donc purement une question de droit, et c'est pourquoi j'ai pu observer qu'il n'était pas strictement néces- saire pour la considérer de procéder à un récit complet des faits et une revue de toutes les déci- sions qui ont précédé la décision finale du Conseil. Il était néanmoins crucial de placer la décision dans son contexte, afin, entre autres, de compren- dre comment, en réponse à la prétention de l'appe- lante que le Conseil est seulement habilité à pres- crire des taxes, ce qu'il n'a certainement pas fait dans l'ordonnance attaquée, l'intimé et ceux qui l'appuient ont pu tour à tour aborder la question de deux façons opposées et adopter deux raisonne- ments complètement différents. Certains admet- tent que la décision doit être considérée comme elle se présente, c'est-à-dire comme une ordon- nance prescrivant le paiement d'une somme glo- bale, mais ils prétendent que le Conseil n'est pas seulement habilité à prescrire des taxes; d'autres soutiennent que la décision doit être interprétée et que l'ordonnance de payer doit être uniquement considérée comme un moyen de donner effet à une détermination de tarifs pour une période déjà écoulée. Je suis maintenant persuadé que ni l'une ni l'autre de ces deux approches ne va au coeur du problème, mais, pour le moment, je ne traiterai des arguments que tels que soumis.
1. Ceux qui prétendent que le Conseil n'est pas seulement habilité à prescrire des taxes soulignent que Bell possède un statut juridique particulier en dispensant un service public dont les travaux ont été déclarés être à l'avantage général du Canada (article 46 de l'Acte à l'effet d'incorporer la Com- pagnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1880,
chap. 67, mod. par S.C. 1882, chap. 95, art. 4, la «Loi spéciale») et que le Conseil a pour rôle d'em- pêcher Bell d'abuser de la situation privilégiée lui résultant de son monopole. Ils parcourent les dis positions de la Loi spéciale et de la Loi sur les chemins de fer pour faire ressortir les nombreuses conditions et exigences auxquelles Bell est assujet- tie ainsi que le pouvoir étendu conféré au Conseil relativement à la supervision des opérations et des activités de la Compagnie. Ils font alors référence aux pouvoirs généraux de rendre «des ordonnances ou établir des règlements . .. pour assurer l'exécu- tion de la Loi sur les chemins de fer» conféré au Conseil par l'alinéa 46(1)b) de la Loi nationale sur les transports et, en particulier, au paragraphe 321(5) de la Loi sur les chemins de fer que, pour des fins de commodité, je cite à nouveau:
321... .
(5) En toute autre matière non expressément prévue par le présent article, la Commission peut émettre des ordonnances au sujet de tout ce qui a trait au trafic, aux taxes et aux tarifs, ou à l'un d'eux.
Selon eux, la conclusion est inéluctable: le rôle du Conseil dépasse de beaucoup la simple fixation de tarifs ou de taxes, et son pouvoir de rendre n'im- porte quelle sorte d'ordonnance, pourvu seulement que ce soit en vue d'assurer l'exécution de la Loi sur les chemins de fer et que cela reste en rapport avec les taxes et tarifs, l'habilitait clairement à rendre l'ordonnance qu'il a rendue.
Je ne partage pas cette opinion. Il ne me semble tout simplement pas qu'une telle conclusion soit inéluctable. Je reconnais volontiers que le Conseil est investi d'un pouvoir de supervision et de régle- mentation qui dépasse la fixation de tarifs et de taxes. La fixation de tarifs et de taxes ne concerne en fait qu'un seul des deux aspects de l'équation visée: celui de la rémunération que doit recevoir la Compagnie pour les services qu'elle fournit; elle n'a rien à voir avec la nature et la qualité des services fournis. Il est évident que les deux aspects doivent être contrôlés et réglementés si on veut limiter les possibilités d'abus, et l'on comprend facilement que la réglementation de la nature et de la qualité du service rendu exige un large éventail de moyens d'action pour pouvoir faire face avec suffisamment de flexibilité au vaste éventail des situations susceptibles de se présenter. Mais, en ce qui concerne les tarifs et les taxes, je ne puis trouver dans la Loi aucune disposition qui habilite-
rait le Conseil à faire plus que les approuver, les suspendre ou les rejeter. Sans doute le Conseil peut-il rendre n'importe quel genre d'ordonnance pour forcer Bell à respecter les nombreuses condi tions et exigences qui lui sont imposées par la Loi spéciale ou la Loi sur les chemins de fer ou en conformité avec elles; mais, pour ce qui est des tarifs et des taxes, la seule obligation de Bell en vertu de la loi est de ne réclamer que les taxes préalablement approuvées, et l'existence d'une telle obligation ne saurait exposer Bell à une ordonnance qui ne fixe d'aucune manière des tarifs ou des taxes. Le paragraphe 321(5), quelque imprécis que soit son libellé, ne pouvait ni n'enten- dait dire autre chose, son objet étant de définir des pouvoirs dans le seul contexte de la Loi sur les chemins de fer. Comme l'ont souligné B. Roma- niuk et H. Janisch dans leur article approfondi sur la concurrence dans le domaine des télécommuni- cations («Competition in Telecommunications: Who Polices the Transition?») ((1986), 18 Ottawa L.R. 561), ils discutent des interactions entre les dispositions de la Loi nationale sur les trans ports et celles de la Loi sur les chemins de fer la page 594]: [TRADUCTION] «Le pouvoir général de rendre des ordonnances et d'établir des règlements pour assurer l'application d'une autre loi ou pour exercer une compétence conférée par une autre loi ne peut s'interpréter comme créant de nouveaux pouvoirs fondamentaux, c'est-à-dire des pouvoirs qui ne peuvent logiquement découler de la loi initiale habilitante.» Au reste, il me serait très difficile d'admettre que l'ordonnance dont il s'agit soit, en quelque sens véritable et direct, une ordon- nance «au sujet d'une question ayant trait aux taxes et aux tarifs» ainsi que le prévoit la loi; cette ordonnance m'apparaît plutôt avoir trait aux pro fits et aux revenus. Le seul fait que la source principale de ces profits et revenus ait été les droits pour services rendus établis conformément aux tarifs approuvés par le Conseil n'implique pas qu'ils aient «trait au trafic, aux taxes et aux tarifs».
Si l'ordonnance du CRTC est prise en elle- même, il me semble évident qu'elle implique que le Conseil a l'autorité pour traiter d'un excédent ou d'une insuffisance de revenus en tant que tels, et il a été statué, il y a déjà longtemps, par la Cour suprême de l'Alberta, Division d'appel, dans l'arrêt Calgary (City) & Home Oil Co. v. Madison Natu ral Gas Co. & Br. American Utilities Ltd. (1959),
19 D.L.R. (2d) 655, qu'une commission des servi ces publics comme le Conseil ne peut prétendre avoir un tel pouvoir. Il n'est donc pas étonnant que la plupart des intervenants se soient appuyés sur- tout sur le second raisonnement.
2. Comme on l'a expliqué plus haut, ce second raisonnement se fonde sur la prémisse selon laquelle il faut donner à la décision son sens réel et considérer l'ordre de payer sous forme de crédit simplement comme un moyen de donner effet à l'établissement de taxes pour une période déjà écoulée. Le crédit «équivaut» à une réduction de taxes pour les années 1985 et 1986. On dit que la décision est fondamentalement un «rejet» des taxes imposées pour ces années et qu'elle a pour effet véritable de leur substituer «un tarif satisfaisant pour le Conseil», le tout comme l'envisage l'alinéa 321(4)b), que je cite de nouveau pour des raisons de commodité:
321... .
(4) La Commission peut
b) rejeter tout tarif de taxes ou toute partie de celui-ci. qu'elle considère être contraire aux dispositions de l'article 320 ou du présent article, et sommer la compagnie d'y substituer un tarif satisfaisant pour la Commission ou pres- crire d'autres taxes en remplacement de toutes taxes ainsi rejetées.
Il me semble y avoir confusion ici entre, d'une part, le but, l'objet, la fin ou l'intention d'une décision, et d'autre part, sa nature véritable, et je trouve que cette distinction est essentielle lorsque la question litigieuse consiste précisément à savoir si la décision contestée pouvait être rendue telle qu'elle l'a été, s'il était possible d'ordonner ce qui a été de fait ordonné. La nature véritable d'un ordre se trouve dans le commandement qu'il contient, et un bon moyen d'identifier ce commandement con- siste à déterminer la façon dont l'ordre peut être mis à exécution, détermination qui, disons-le en passant, soulève ici des questions particulièrement troublantes. Mais admettons que la prémisse soit acceptable. La question qui se pose immédiate- ment est, évidemment, de savoir si le Conseil avait la compétence nécessaire pour ordonner directe- ment ou indirectement une réduction rétroactive des taxes.
Certains voudraient que le pouvoir conféré au Conseil à l'article 63 de la Loi nationale sur les transports de «reviser, rescinder, changer ou modi-
fier ses ordonnances» implique nécessairement le pouvoir d'agir rétroactivement. À l'appui de cette thèse, on cite la décision rendue dans l'affaire Bakery and Confectionery Workers International Union of America, Local No. 468 et al. v. White Lunch Ltd. et al., [ 1966] R.C.S. 282; 56 D.L.R. (2d) 193, dans laquelle la Cour suprême du Canada a statué que le Labour Relations Board de la Colombie-Britannique, dans l'exercice de son pouvoir de révision, pouvait, par une nouvelle ordonnance, modifier rétroactivement le nom de l'employeur tel qu'il apparaissait dans une ordon- nance de certification qu'elle avait rendue anté- rieurement. Cependant, l'argument principal que tous font valoir à l'appui de la validité de la décision est tiré de l'existence de l'ordonnance provisoire, et se fonde sur le paragraphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports qui, on s'en souvient, se lit comme suit:
57....
(2) La Commission peut rendre, tout d'abord, au lieu d'une ordonnance définitive, une ordonnance provisoire, et se réserver la faculté de donner de plus amples instructions soit à une audition ajournée de l'affaire, soit sur une nouvelle requête.
Un tel pouvoir statutaire de rendre une ordon- nance provisoire et de porter à plus tard la décision définitive comporterait nécessairement, sou- tient-on, le pouvoir de corriger rétroactivement ce qui a été ordonné dans l'intervalle. On s'appuie considérablement à cet égard sur l'arrêt Re Coseka Resources Ltd. and Saratoga Processing Co. Ltd. et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 705, dans lequel la Cour d'appel de l'Alberta a statué que l'article de la Public Utilities Board Act, R.S.A. 1970, chap. 302, qui autorise la Public Utilities Board à rendre des ordonnances provisoires, auto- risait cet organisme, en établissant «un tarif juste et raisonnable» pour l'usage d'une installation de traitement du gaz conformément à l'article 27 de The Gas Utilities Act, R.S.A. 1970, chap. 158, à rendre une ordonnance provisoire et à la remplacer plus tard par une ordonnance définitive portant des tarifs différents qui pouvaient s'appliquer même à compter de la date de la première ordonnance.
En toute déférence, ni l'un ni l'autre de ces deux arguments ne me convainc.
La Cour suprême du Nouveau-Brunswick, Divi sion d'appel, dans l'arrêt R. v. Board of Commis-
sioners of Public Utilities (N.B.) Ex parte Monc- ton Utility Gas Ltd. (1966), 60 D.L.R. (2d) 703 (C.S. N.-B.), a disposé du premier argument fondé sur le pouvoir de modifier de façon qui me semble satisfaisante. Il était allégué dans cette affaire comme ici, avec la même référence à la décision de la Cour suprême dans Bakery and Confectionery Workers, que le Board of Commissioners of Public Utilities, dans l'exercice de la faculté de modification que lui accorde l'une des dispositions de la Public Utilities Act, R.S.N.B. 1952, chap. 186, pouvait modifier des tarifs rétroactivement. Voici comment le juge en chef Bridges, qui écrivait au nom d'une cour unanime, disposa de l'argument la page 710):
[TRADUCTION] Dans l'arrêt Bakery & Confectionery Wor kers, le juge Hall, en faisant allusion aux paroles du juge d'appel Bull dans la cour inférieure [51 D.L.R. (2d) 72], a dit ce qui suit à la page 204:
Cependant, il a limité le champ de l'art. 65(3) en con- cluant que le terme «modifier» qui y figure «ne saurait servir d'excuse pour la création rétroactive d'une nouvelle unité d'employés dont le syndicat est l'agent accrédité ... ». À mon avis, cet article ne peut être interprété comme restreignant l'acception générale du mot «modifier». Voici la définition qu'en donne le Shorter Oxford English Dictionary: «faire changer; adapter à certaines conditions ou à certains besoins au moyen de modifications appropriées». Par ailleurs, je ne saurais souscrire à la thèse selon laquelle le mot «modifier» ne peut s'appliquer de façon rétroactive. Ce mot ne souffre pas d'une telle restriction de sens et nombre de cas se produiront il doit avoir un effet rétroactif. L'affaire en instance en est un exemple classique.
Il est à noter que le juge Hall ne dit pas que le verbe «changer», qui signifie la même chose que «modifier» et comprend le verbe «réduire» en ce qui concerne un tarif, devrait dans tous les cas avoir le sens qu'il lui a donné. Je ne crois pas, pour reprendre ses paroles, que le cas s'est produit il faut donner aux mots «réduire» ou «changer» l'interprétation proposée par le distribu- teur. Si la Commission a le pouvoir d'établir des tarifs rétroac- tifs en l'espèce, elle a également en raison du libellé de l'article, le pouvoir de le faire lorsqu'elle ordonne la majoration des tarifs imposés aux consommateurs, sur demande d'un distribu- teur. Dans un tel cas, des centaines d'usagers devraient payer la différence entre l'ancien et le nouveau tarif. Cela serait des plus déraisonnables. Je ne puis donner à l'article une telle interpré- tation. Je suis d'avis que ni le verbe «réduire» ni le verbe «changer» au par. 6(1) de notre Public Utilities Act devrait s'interpréter comme donnant à la Commission, lorsqu'elle fixe un tarif, le pouvoir d'ordonner qu'il soit rétroactif.
Avec déférence, je partage l'opinion du juge en chef Bridges et de la Cour d'appel du Nouveau- Brunswick en ce qui concerne la teneur de l'arrêt Bakery. Le juge Hall exprime comme suit la pro position centrale de son raisonnement: [TRADUC- TION] «À mon avis, cet article ne peut être inter-
prété comme restreignant l'acception générale du mot «modifier» . .. par ailleurs, je ne saurais sous- crire à la thèse selon laquelle le mot «modifier» ne peut s'appliquer de façon rétroactive. Ce mot ne souffre pas d'une telle restriction de sens . ». On ne peut transformer cette proposition pour y voir l'idée que le pouvoir de modifier implique en lui- même le pouvoir de le faire avec effet rétroactif. Il me semble évident que le verbe «modifier» est neutre en ce qui concerne le pouvoir d'agir rétroac- tivement, et je suis tout simplement incapable d'admettre qu'en adoptant l'article 63 de la Loi nationale sur les transports comme il l'a fait, le Parlement entendait investir le Conseil du pouvoir, non pas de protéger des droits comme l'a fait la commission des relations du travail dans l'arrêt Bakery, mais de réduire à néant des droits créés par son ordonnance originale.
L'autre argument fondé sur l'existence de l'or- donnance provisoire n'est pas, à mon sens, plus concluant. On a fait valoir que pour donner un objet véritable au paragraphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports, il fallait donner à l'ordonnance provisoire dont il y est question un sens autre que celui d'une simple ordonnance tem- poraire puisque le pouvoir de rendre une ordon- nance qui n'aura d'effet que pour un temps limité est déjà prévu au paragraphe 57 (1) et à l'article 63 de la même Loi. Cela ne m'impressionne pas. Il existe une distinction essentielle entre une ordon- nance rendue conformément au paragraphe 57(1) ou à l'article 63 et celle qui est rendue en vertu du paragraphe 57(2), à savoir que l'une entend sta- tuer de façon définitive sur une demande ou sur une question autrement soulevée alors que ce n'est pas le cas pour l'autre, et c'est cette distinction fondamentale, à mon avis, que le législateur avait à l'esprit comme l'indiquent les tout premiers mots du paragraphe 57(2): «au lieu d'une ordonnance définitive». Il ne faut pas oublier que l'article 57 de la Loi nationale sur les transports est une disposi tion de nature générale destinée à s'appliquer non pas expressément à des ordonnances établissant des tarifs et des taxes mais à toute la myriade d'ordonnances et de décisions que la Commission canadienne des transports et (en vertu des para- graphes 14(2) et (3) de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications cana- diennes, S.C. 1974-75-76, chap. 49) le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes peuvent avoir à rendre dans leurs domai- nes respectifs de réglementation. Quoi qu'il en soit, il reste que le mot «provisoire» en lui-même ne suggère rien de plus à l'esprit, si l'on s'en tient aux définitions lexicographiques, que [TRADUCTION] «entre temps», «dans l'intervalle», «pour l'instant» (voir: The Shorter Oxford English Dictionary (3e éd.); voir aussi dans Stroud's Judicial Dictionary (5e éd.), le mot «interim» et l'arrêt qui y est mentionné Algar v. Middlesex County Council. In the matter of the Local Government Superannua- tion Act, 1937, and 1939, [1945] 2 All E. R. 243 (K.B.D.)). À mon sens, le pouvoir de rendre une ordonnance provisoire n'implique nullement le pouvoir de revenir en arrière et de rendre une ordonnance définitive régissant différemment la période visée par l'ordonnance initiale.
Faut-il en conclure que je suis en désaccord avec l'arrêt Coseka? Non, je ne suis pas en désaccord avec ce jugement, bien que j'éprouve, avec la plus grande déférence, quelques réserves au sujet de certaines remarques incidentes qui se trouvent dans les motifs à l'appui de la conclusion.
Dans l'arrêt Re Eurocan Pulp & Paper Co. Ltd. and British Columbia Energy Commission et al. (1978), 87 D.L.R. (3d) 727, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a conclu que la B.C. Energy Commission avait le pouvoir de rendre certaines modifications de tarifs rétroactives à la date de la requête à laquelle elle donnait effet, malgré l'ab- sence de disposition expresse à cet effet dans la loi habilitante, la Energy Act, S.B.C. 1973, chap. 29. La partie principale des motifs du juge en chef Farris, qui se prononçait pour une Cour unanime, doit être citée (aux pages 731 et 732):
[TRADUCTION] Lorsque j'interprète la Loi dans son ensemble, j'estime que la Commission a été habilitée à donner effet aux tarifs à compter de la date de la requête, malgré l'absence de disposition expresse à cet effet dans la Loi. La décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire United States v. New York Central R. Co. (1929), 73 L. ed. 619 appuie cette conclusion. Dans cette affaire, les chemins de fer avaient déposé des requêtes le 25 février 1921 et le 30 juin 1921 en vue de la majoration de leurs tarifs postaux. Le redressement tarifaire recherché visait aussi bien des dates antérieures aux requêtes que l'avenir. La Interstate Commerce Commission a rendu des ordonnances qui établissaient des tarifs considérés justes et raisonnables pour la période postérieure au dépôt des requêtes. Les ordonnances ont été confirmées par la Cour suprême des États-Unis. Le juge Holmes, en prononçant l'opi- nion de la Cour, a dit aux p. 620 et 621:
Mais le dépôt d'une requête témoigne d'un mécontentement et exprime une demande de majoration. Protester davantage serait une formalité superflue. Si la revendication des che- mins de fer est juste, ils devraient être payés à compter du dépôt de la requête. Comme l'a dit le juge en chef Shaw, dont les paroles sont souvent citées: «Si une Cour de piedpou- dre pouvait être saisie immédiatement et sur-le-champ, le véritable principe de justice qu'il conviendrait d'appliquer à l'égard du public serait d'accorder la compension d'une main tout en abaissant la hache de l'autre.» Parks v. Boston, 15 Pick. 198, à la p. 208. De fait, l'enquête nécessaire est longue dans de tels cas—elle prend des années,—mais les compa- gnies ont le droit constitutionnel d'être indemnisées à l'égard des années ainsi employées au même titre qu'à l'égard de l'avenir. Oklahoma Natural Gas Co. v. Russell, 261 U.S. 290, à la p. 293, 67 L. ed. 659, à la p. 662, 43 Sup. Ct. Rep. 353. Cela étant, et la Interstate Commerce Commission se trouvant être le tribunal dont les chemins de fer sont justicia- bles, c'est une suite normale de sa compétence qu'elle soit libre de considérer que sa décision a été prise sans délai. Il est évident que le Congrès entendait que la Commission règle toute l'affaire sans laisser quoi que ce soit dans l'indécision, avec le risque que cela pourrait présenter pour la validité de la loi. Rien ne pourrait justifier le contretemps et les frais additionnels que représenterait une action en indemnisation pour la période couverte par les procédures devant la Com mission, alors que celle-ci a été saisie précisément de cette question et l'a réglée tout au moins à compter de ses ordon- nances. Nous sommes parfaitement conscients que quelques détails phraséologiques peuvent indiquer que le Congrès pen- sait à l'avenir. Aussi notre décision ne se fonde-t-elle pas sur une phrase particulière, mais plutôt sur le caractère logique de l'autorisation de changer les tarifs alors en existence à compter de la date du dépôt de la requête, sur l'intention manifeste de déférer tous les droits des chemins de fer à la Interstate Commerce Commission, et sur le fait que si la Commission n'a pas le pouvoir présumé, une partie des droits constitutionnels des chemins de fer resteront dans l'indéci- sion.
Jugement confirmé.
En l'espèce, il n'est pas question de droits constitutionnels; néanmoins, si la Commission n'a pas le pouvoir que l'on prétend, un service public sera privé du juste rendement de son capital engagé pendant la période écoulée entre la date de la requête visant la révision des tarifs et la date de l'ordonnance de la Commission donnant suite à cette requête. Comme en l'espèce ce laps de temps pourrait être long, il n'est pas raison- nable de présumer que la Législature souhaitait un tel résultat.
Dans l'arrêt Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et autres, [1981] 2 R.C.S. 437, le juge Estey, en rendant jugement au nom de la Cour, a confirmé dans ses motifs la conclusion à laquelle en était venue la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Re Eurocan et a approuvé sans restriction les motifs du juge en chef Farris.
À mon humble avis, voilà le fondement juridique de la décision Coseka. Dans l'affaire Nova, comme
dans l'affaire Re Eurocan, comme dans l'affaire United States v. New York Central R. Co. men- tionnée par le juge en chef Farris et en outre, me semble-t-il, comme dans l'affaire Coseka, le pou- voir de prendre des mesures ayant un effet rétroac- tif a été admis afin d'éviter que le requérant subisse un préjudice en raison du temps requis pour l'approbation de sa demande.
J'admets volontiers que le Conseil puisse avoir tacitement le pouvoir de rendre une ordonnance rétroactive afin de surmonter une difficulté prati- que, sans nuire aux attentes légitimes de qui que ce soit, comme dans l'affaire Bakery and Confectio nery Workers, ou pour éviter que le requérant ou le plaignant subisse un préjudice en raison du temps mis à traiter sa demande ou sa plainte bien fondée. Mais je n'admets pas que le Conseil puisse autrement avoir le pouvoir de rejeter rétroactive- ment des taux qu'il a déjà approuvés, que ce soit au moyen d'une ordonnance provisoire ou défini- tive, ou, autrement dit, le pouvoir de rendre illégal ce qui non seulement n'était pas interdit mais était officiellement permis. Le poids de la présomption selon laquelle un texte législatif n'a pas d'effet rétroactif a influé, naturellement, sur ma position. Ainsi que le déclarait lord Watson dans l'arrêt Young v. Adams, [1898] A.C. 469 (P.C.), à la page 476, [TRADUCTION] «cela choque manifeste- ment notre sens de la justice qu'un acte qui est légal au moment il est fait, devienne illégal par la suite en vertu d'un nouveau texte législatif». Et il faut bien garder à l'esprit ce que Pierre-André Côté nous rappelle dans son traité intitulé Inter- prétation des lois en parlant de la présomption, à la page 135: «Ce qui est pour le législateur une simple présomption se présente toutefois, pour l'Administration, comme une restriction à sa com- pétence.» Mais ce qui influe également et plus spécialement sur ma position, c'est ma perception de l'économie de la loi.
J'ai signalé, avant de traiter des divers argu ments avancés en réponse à la thèse générale de l'appelante, que, présentés comme ils l'étaient, ils n'allaient pas au fond du problème. En effet, la seule véritable question soulevée, selon ma percep tion des choses, est de savoir si, pour s'assurer que les tarifs et les taxes de téléphone que peut exiger le service public soient justes et raisonnables, le Parlement a voulu accorder au Conseil un rôle de
réglementation qui s'étendrait autant au passé qu'à l'avenir. Je ne vois pas comment, à l'examen de la loi, on pourrait répondre à la question autre- ment que par la négative. L'autorité du Conseil s'exerce sur les taxes que peut exiger une compa- gnie (paragraphe 320(2) de la Loi sur les chemins de fer); ce sont ces taxes qui sont soumises à l'agrément du Conseil, et la seule obligation qui incombe à la Compagnie est de limiter ses rede- vances aux taxes qui ont été approuvées. Il est à noter qu'au paragraphe 321(1), l'obligation de s'assurer du caractère juste et raisonnable des taxes n'est pas définie comme étant imposée à la Compagnie, observation qui est d'autant plus révé- latrice lorsqu'on lit ce paragraphe de concert avec le paragraphe 321(2), qui prévoit des obligations claires et dont je reproduis le texte de nouveau pour plus de commodité:
321. (1) Toutes les taxes doivent être justes et raisonnables et doivent toujours, dans des circonstances et conditions sensi- blement analogues, en ce qui concerne tout le trafic du même type suivant le même parcours, être imposées de la même façon à toutes personnes au même taux.
(2) Une compagnie ne doit pas, en ce qui concerne les taxes ou en ce qui concerne tous services ou installations fournis par elle à titre de compagnie de télégraphe ou de téléphone
a) établir de discrimination injuste contre une personne ou une compagnie;
b) instaurer ou accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable à l'égard ou en faveur d'une certaine per- sonne ou d'une certaine compagnie ou d'un certain type de trafic, à quelque point de vue que ce soit; ou
c) faire subir à une certaine personne, une certaine compa- gnie ou un certain type de trafic un désavantage ou préjudice indu ou déraisonnable, à quelque point de vue que ce soit;
et, lorsqu'il est démontré que la compagnie établit une discrimi nation ou accorde une préférence ou un avantage, il incombe à la compagnie de prouver que cette discrimination n'est pas injuste ou que cette préférence n'est pas indue et déraisonnable.
De plus, dans la mise en application de la loi, si le Conseil pouvait, en matière de tarifs et de taxes, se prononcer pour le passé et pour l'avenir, tous les efforts consacrés à l'approbation des taux à l'aide de prévisions complexes et approfondies ne servi- raient pratiquement à rien. Le législateur aurait pu adopter un autre régime. Il existe de nombreux programmes législatifs en vertu desquels un service public établit ses propres taxes, mais une autorité publique, qui agit à la suite d'une plainte ou de sa propre initiative, peut intervenir et imposer des modifications (qui incidemment peuvent très bien être prévues comme pouvant avoir un effet rétroac- tif, au moins au temps du dépôt de la plainte). Le
juge Estey a fait des remarques intéressantes sur ces deux différentes méthodes dans les motifs qu'il a formulés dans l'affaire Nova, aux pages 450 et 451. Mais, dans sa sagesse et au nom, je suppose, de la logique, de la stabilité et d'une planification plus facile de la gestion, le législateur a choisi de ne pas suivre cette voie.
On soutient que conclure à la réalisation de bénéfices exceptionnels équivaut à conclure que les taux étaient trop élevés, donc injustes et déraison- nables, et qu'on ne peut laisser la situation sans remède sans trahir la volonté du législateur que toutes les taxes soient justes et raisonnables. Je pense que la volonté du législateur est plus com- plexe que cette proposition ne le laisse entendre. Naturellement, le législateur ne pouvait pas expri- mer plus clairement son désir que les taxes soient justes et raisonnables, mais, selon ma perception des choses, pour atteindre son but il a institué un régime particulier qui, à son avis, permettait d'ob- tenir le résultat escompté sans négliger d'autres intérêts protégés par notre système économique. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette fois-ci le régime a fait défaut à l'avantage de la Compagnie et de ses actionnaires comme il pourrait faire défaut la prochaine fois à l'avantage des consom- mateurs. D'ailleurs, le législateur a sûrement prévoir la possibilité d'échecs de ce genre, qui semblent heureusement avoir été très rares, sans doute en raison de la compétence et de l'efficacité du Conseil et de la stabilité relative de l'économie.
Il est allégué également que le Conseil pourrait être amené à refuser systématiquement d'exercer son pouvoir de rendre une ordonnance provisoire portant majoration des taux s'il ne pouvait pas par la suite annuler l'effet de l'ordonnance en cas d'erreur. Ma réponse à cette allégation est simple. Le législateur a imposé des obligations au Conseil, notamment celle d'examiner une demande d'or- donnance provisoire et d'y accéder si elle est justi- fiée. Il n'y a pas de doute que l'exécution d'une telle obligation est particulièrement difficile et doit être assujettie à des considérations très spéciales, mais la simple éventualité d'une erreur ne consti- tue pas une excuse pour refuser d'agir.
Il me reste à appliquer ces vues au présent litige et à formuler la simple conclusion à laquelle elles mènent. J'estime que l'appel est bien fondé. Le Conseil n'avait pas compétence pour ordonner à
Bell de remettre à ses abonnés inscrits un crédit de 206 millions de dollars représentant les prétendus revenus excédentaires réalisés en 1985 et 1986. La décision Télécom CRTC 86-17 devrait être annu- lée en tant que cette directive est concernée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): J'ai eu l'avan- tage de lire les motifs de jugement rédigés par mon collègue le juge Marceau. Je regrette de ne pouvoir souscrire à son opinion. Toutefois, comme il a traité de façon exhaustive des questions soulevées dans le cadre du présent appel, il m'est possible d'énoncer mes propres motifs de façon très brève.
Je commence par cinq observations qui m'appa- raissent faire état de la toile de fond du présent appel:
1. Dans sa requête en date du 4 septembre 1984, Bell a mis l'ensemble de son système de tarification en question devant le Conseil à comp- ter du 1" janvier 1985. Le Conseil aurait pu, indépendamment de son pouvoir d'intervenir de son propre mouvement pour ajuster les tarifs qu'il considère n'être plus justes ni raisonnables, s'auto- riser de cette requête pour ajuster les tarifs de Bell à compter du début de l'année 1985 à un niveau qu'il aurait considéré juste et raisonnable.
2. Par sa décision CRTC 84-28, en date du 19 décembre 1984, le Conseil a établi pour Bell des tarifs provisoires devant entrer en vigueur à comp- ter du 1" janvier 1985. Tous les tarifs de Bell en vigueur à partir de cette date étaient des tarifs provisoires.
3. Dans sa décision CRTC 86-17, en date du 14 octobre 1986, décision à l'encontre de laquelle a été formé le présent appel, le Conseil a conclu que les tarifs de Bell en vigueur depuis le ler janvier 1985 avaient produit des revenus excédant de 206 millions de dollars ceux que lui aurait procuré un taux de rendement équitable. Bell ne conteste ni cette conclusion ni sa suite logique, à savoir que les tarifs imposés au cours des années 1985 et 1986 n'étaient point justes et raisonnables.
4. Bell elle-même est en très grande partie res- ponsable de la période de plus de deux ans qui
sépare sa requête initiale de la décision faisant l'objet du présent appel. Ainsi, en mars et de nouveau en octobre 1985, Bell a sollicité tout d'abord la remise et ensuite le retrait complet de sa requête en majoration tarifaire.
5. Dans tous ses avis et ses ordonnances ayant trait à la présente question, le Conseil a établi clairement qu'il ne se prononçait pas définitive- ment au sujet des années 1985 et 1986 et de la question du taux de rendement ainsi que des besoins en matière de revenus pour ces années; il en est ainsi même pour les ordonnances rendues une fois ces années complètement ou en grande partie écoulées.
Il n'est pas nécessaire, pour les fins du présent appel, que nous tranchions la question de savoir si le Conseil était habilité à rendre une ordonnance fixant des tarifs rétroactifs à la date de la requête de Bell, même si les ordonnances du Conseil ont eu cet effet en pratique. Je soulignerais simplement que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, interprétant un autre régime de réglementation dans l'affaire Re Eurocan Pulp & Paper Co. Ltd. and British Columbia Energy Commisson et al. (1978), 87 D.L.R. (3d) 727, a conclu à l'existence de tels pouvoirs. Le juge Estey, prononçant l'opi- nion unanime de la Cour, a cité cette décision sans y établir de réserve dans l'arrêt Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petroleum Co. Ltd. et autres, [1981] 2 R.C.S. 437. J'ajouterais que je ne puis voir pourquoi un tel pouvoir, à supposer qu'il existe, devrait être considéré comme ne pou- vant être exercé qu'au seul avantage d'une entre- prise requérante de services publics. Il m'a tou- jours semblé que ce qui était bon pour une partie l'était aussi pour l'autre.
En l'espèce, le pouvoir du Conseil me semble toutefois découler directement du fait que son ordonnance du 19 décembre 1984 était une ordon- nance provisoire fondée sur le paragraphe 57(2) de la Loi nationale sur les transports'. L'ensemble de l'article 57 est ainsi libellé:
57. (1) La Commission peut, dans toute ordonnance, pres- crire que cette ordonnance ou l'une de ses parties ou disposi tions, entrera en vigueur à une date ultérieure ou lorsque surviendront des éventualités, des événements ou des circons- tances spécifiées dans cette ordonnance, ou lors de l'accomplis- sement, au gré de la Commission ou d'une personne désignée
5 S.R.C. 1970, chap. N-17.
par la Commission, des conditions qu'elle impose à quelque partie intéressée; et elle peut prescrire que la totalité ou quelque partie de cette ordonnance soit exécutoire durant une période déterminée, ou jusqu'à ce que se produise un événement spécifié.
(2) La Commission peut rendre, tout d'abord, au lieu d'une ordonnance définitive, une ordonnance provisoire, et se réserver la faculté de donner de plus amples instructions soit à une audition ajournée de l'affaire, soit sur une nouvelle requête.
Au paragraphe (1), le Conseil est habilité à rendre des ordonnances que je qualifierais, en adoptant la terminologie du droit civil, d'ordon- nances assorties de termes ou d'ordonnances assu- jetties à des conditions suspensives ou résolutoires. Il est clair que le paragraphe (2), lorsqu'il parle d'«une ordonnance provisoire», vise un autre type d'ordonnance et ajoute aux pouvoirs déjà conférés au Conseil. Une ordonnance provisoire ne peut toutefois être simplement une ordonnance suscepti ble d'une révision subséquente du Conseil puisque toutes les ordonnances fixant des tarifs et des taxes peuvent, même du mouvement du Conseil lui- même, être révisées. Ainsi, lorsque le paragraphe oppose une ordonnance provisoire à une ordon- nance «définitive», cette dernière ne peut que dési- gner une ordonnance qui tranche pour le moment la question soumise au Conseil; une ordonnance fixant des tarifs qui serait rendue de façon «défini- tive», c'est-à-dire une fois pour toutes, n'est tout simplement pas possible en vertu de l'économie de la loi. Ceci étant, il me semble qu'une ordonnance provisoire ne peut être qu'une ordonnance qui dispose pour l'avenir, comme toutes les ordonnan- ces relatives aux tarifs, mais à l'égard de laquelle le Conseil se réserve la faculté de donner «de plus amples instructions» qui pourront s'appliquer rétroactivement à la date elle a été rendue.
À cet égard, je souscris entièrement à la décision unanime de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Re Coseka Resources Ltd. and Saratoga Processing Co. Ltd. et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 705. Dans cette affaire, la Cour devait interpréter l'article 52 du Public Utilities Board Act 6 , dont le libellé est essentiellement identique à celui de l'article 57 de la Loi nationale sur les transports. Avec déférence, je fais miens les propos suivants tirés du jugement prononcé par le juge d'appel Laycraft—c'était alors son titre—au nom de la Cour [aux pages 717 et 718]:
6 R.S.A. 1970, chap. 302.
[TRADUCTION] À mon avis, le par. 52(2), aux termes duquel la Commission peut «rendre une ordonnance provisoire et se réserver la faculté de donner de plus amples instructions soit à une audition ajournée de l'affaire, soit sur une nouvelle requête» (les italiques sont de moi) envisage précisément la situation qui se présente en l'espèce. Il était pratiquement impossible de fixer des taux justes et raisonnables pour le traitement du gaz de Coseka et même un chiffre approximatif aurait été hypothéti- que. Ainsi donc, plutôt que de rendre une ordonnance défini- tive, la Commission a rendu une ordonnance provisoire, et s'est réservé la faculté de donner «de plus amples instructions», ce qu'elle a maintenant fait.
À mon sens, dire qu'on ne peut substituer une ordonnance finale à une ordonnance provisoire, c'est attribuer à la Commis sion pratiquement aucun pouvoir supplémentaire en vertu de l'article 52, si ce n'est les pouvoirs de rendre des ordonnances définitives, que prévoient déjà la Gas Utilities Act et la Public Utilities Board Act. D'autres articles de la loi autorisent la Commission à établir des tarifs, par ordonnance, soit sur requête ou de sa propre initiative. Une ordonnance provisoire serait la même, et aurait le même effet, qu'une ordonnance définitive si les «plus amples instructions» qu'envisage la Loi ne comprenaient pas le pouvoir de modifier l'ordonnance provi- soire. Selon une telle interprétation de l'article, l'ordonnance «provisoire» serait «définitive» à toutes fins pratiques. La Com mission n'aurait pas à être autorisée davantage par le législa- teur à rendre une autre ordonnance «définitive» puisqu'en vertu de l'art. 27 elle peut fixer des tarifs de sa propre initiative sans autre requête à cet égard. L'objet des ordonnances provisoires est de permettre la fixation de tarifs susceptibles d'être rajustés une fois terminée l'audition de l'affaire.
On a fait valoir au cours des plaidoiries que le par. 52(2) avait simplement pour objet de permettre à la Commission de rendre une justice «approximative» tant qu'était en vigueur la mesure provisoire en attendant qu'une ordonnance définitive soit rendue. Cependant, la Commission est tenue de fixer des «tarifs justes et raisonnables» et non des «tarifs approximative- ment justes et raisonnables». J'estime que les mots «se réserver la faculté de donner de plus amples instructions» envisage des rajustements qui doivent être faits dès que la Commission est en mesure de déterminer ce que sont les tarifs justes et raisonnables.
On a également fait valoir pour Coseka que si les tarifs provisoires pouvaient être modifiés après avoir été payés, il en résulterait une grave injustice. Il ne fait aucun doute que la Commission doit considérer sérieusement ce facteur en établis- sant ce qui est juste et raisonnable, et plus le retard se prolonge, plus le problème devient sérieux. Les usagers qui doivent tenir compte du coût du service public dans leurs prix pourraient être incapables d'incorporer dans ceux-ci les rajustements éventuels. D'autres usagers qui ont pris des décisions d'ordre économique en se fondant sur un certain coût des services en question pourraient voir leurs décisions se révéler non valables. Néan- moins, tous les usagers d'un service public doivent être cons- cients que les tarifs visés dans une ordonnance provisoire sont susceptibles d'être rajustés, et ils doivent établir leur ligne de conduite en conséquence. Le temps requis est d'habitude relati- vement court, et la Commission fait de son mieux pour minimi- ser les conséquences de la rectification. En l'espèce, sans que la Commission y soit pour rien, beaucoup de temps s'est écoulé entre l'ordonnance provisoire et l'ordonnance définitive. Lors-
que les parties à une audition se rendent compte que les tarifs établis dans une ordonnance provisoire sont susceptibles de modification, elles comprennent qu'elles n'ont rien à gagner d'un retard. [C'est moi qui souligne.]
Je conclus, pour les motifs exposés, que le Con- seil avait le pouvoir, en octobre 1986, de fixer à Bell Canada des tarifs justes et raisonnables pre- nant effet à compter du premier janvier 1985, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance provisoire.
Deux questions secondaires mais non moins importantes subsistent.
Tout d'abord, on a avancé que même si le Conseil avait, comme je l'ai conclu, le pouvoir de réviser son ordonnance provisoire à compter du 1" janvier 1985, il ne pouvait la réviser que dans la mesure cette ordonnance décrétait une majora- tion de deux pour cent des tarifs en vigueur le 31 décembre 1984. Autrement dit, le Conseil qui avait décrété une majoration de deux pour cent des tarifs à compter du 1" janvier 1985, ne pouvait, en révisant son ordonnance provisoire, faire plus que de remettre les choses comme elles étaient au moment avait été rendue l'ordonnance en question.
En toute déférence, il me semble que raisonner de la sorte, c'est se méprendre sur la nature de l'ordonnance provisoire et reconnaître cette der- nière caractéristique uniquement à la majoration. C'est une erreur manifeste. Lorsqu'un tarif est majoré de façon provisoire, le tarif majoré tout entier devient provisoire et susceptible de révision en conséquence. Le nouveau tarif que Bell a déposé pour donner effet à la majoration ne com- prenait pas deux parties, soit un fondement anté- rieur au premier janvier 1985 et une majoration postérieure à cette date; il s'agissait plutôt d'un tarif complet qui tenait compte de la majoration. Tous les tarifs exigés par Bell, du 1" janvier 1985 à la date de la décision portée en appel, faisaient suite à des ordonnances provisoires du Conseil, et ils étaient entérinés par elles. En conséquence, lorsque le Conseil a révisé ces ordonnances et rendu une ordonnance définitive, il n'avait pas à s'en tenir au montant de la majoration qu'il avait accordée en janvier 1985 et annulée en septembre de la même année.
En second lieu, on fait valoir que le pouvoir du Conseil se limite strictement à l'établissement de
tarifs et à l'approbation de ceux qui sont exigés en conséquence. Ainsi donc, même si le Conseil avait le pouvoir de faire la révision des tarifs à compter du premier janvier 1985, il n'était pas habilité à ordonner à Bell de rembourser à ses abonnés les montants dont il a conclu qu'ils étaient excédentai- res. Cela est particulièrement vrai, soutient-on, parce que les abonnés qui bénéficieront du rem- boursement exigé, soit les abonnés inscrits à la date de la décision contestée, ne sont pas précisé- ment les mêmes que ceux qui ont payé les mon- tants excédentaires, et le remboursement effectué aux abonnés ne représentera pas dans tous les cas le montant exact du paiement en trop. Cet argu ment m'inspire plusieurs réflexions.
Tout d'abord, ce serait donner à Bell un bien mince réconfort que d'admettre cet argument: au lieu de devoir payer un montant fixe à un groupe déterminé et facilement identifiable d'abonnés, la compagnie aurait à faire face à une multitude de réclamations individuelles, chacune d'elles devant faire l'objet d'une vérification et il est fort possible, d'une action en justice.
Ma seconde réflexion découle de la première. Dès lors que le Conseil avait décidé que les tarifs exigés en 1985 et en 1986 n'étaient pas justes et raisonnables et qu'il avait évalué à 206 $ millions le montant des revenus excédentaires qui en avaient résulté pour Bell, il était tenu de trouver, question purement pratique, une façon juste et équitable de redresser les torts. La situation était analogue à celle qui s'était présentée à la Public Utilities Board de l'Alberta dans l'affaire Edmon- ton, City of, et al. v. Northwestern Utilities Limi ted, [1961] R.S.C. 392. Dans cette affaire, le juge Locke, en traitant de la méthode innovatrice selon laquelle la Commission se proposait de régler la question des écarts afférents aux coûts des servi ces, écarts qu'il était impossible d'évaluer avec précision, a dit ce qui suit la page 406]:
[TRADUCTION] ... l'ordonnance projetée viserait à permettre à l'entreprise de services publics d'obtenir, d'année en année, un taux de rendement s'approchant le plus possible du taux de rendement équitable mentionné à ce paragraphe; ainsi la Com mission remplirait-elle son obligation de permettre la réalisa- tion d'un tel objectif. La façon d'atteindre cette fin, dans des conditions les dépenses futures concernant l'achat de gaz ne pouvaient être appréciées de façon certaine, constituait une question administrative relevant, à mon avis, de la compétence de la Commission. Il semblerait que cet organisme ait eu l'intention d'apporter à ce problème une solution pratique qui,
selon son opinion, serait équitable tant pour l'entreprise de services que pour le consommateur.
Ces propos me semblent également s'appliquer à l'ordonnance rendue par le Conseil en l'espèce. L'on ne conteste point que Bell ait réalisé des revenus excessifs. Il a été établi que le Conseil était habilité à réviser les taux à compter du 1" janvier 1985; la façon dont il s'y prendra est une «question administrative» qu'il convient de laisser trancher par le Conseil.
Finalement, sur ce point, je soulignerais que l'ordonnance du Conseil, non quant à la forme, il est vrai, mais en substance, concerne une question ayant trait aux taxes et aux tarifs. À ce titre, elle a été rendue par le Conseil dans l'exercice des pou- voirs que lui a conféré le paragraphe 321(5) de la Loi sur les chemins de fer':
321.. .
(5) En toute autre matière non expressément prévue par le présent article, la Commission peut émettre des ordonnances au sujet de tout ce qui a trait au trafic, aux taxes et aux tarifs, ou à l'un d'eux.
Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais l'appel.
7 S.R.C. 1970, chap. R-2.
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