T-2618-85
Chef Bernard Ominayak, chef de la bande
indienne de Lubicon Lake de Little Buffalo Lake
(Alberta), en son nom et au nom de tous les
membres de la bande indienne de Lubicon Lake et
Bande indienne de Lubicon Lake, groupe d'In-
diens reconnu sous le régime de la Loi sur les
Indiens, de Lubicon Lake et Little Buffalo Lake
(Alberta) (demandeurs)
c.
Honorable William McKnight, ministre des Affai-
res indiennes et du Nord canadien et La Reine du
chef du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: OMINAYAK C. CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES
INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)
Division de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 3 et 24 mars 1987.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Mandamus
— Requête visant à faire radier une déclaration demandant un
jugement déclaratoire et un bref de mandamus enjoignant aux
défendeurs de fournir des fonds aux demandeurs pour les
procédures qu'ils ont engagées — La requête n'est accueillie
qu'en ce qui concerne le bref de mandamus — Un bref de
mandamus ne peut être accordé contre Sa Majesté sous ce nom
— Un bref de mandamus peut être décerné contre un fonction-
naire du gouvernement s'il est automatiquement tenu par la loi
d'exercer une fonction déterminée lorsque se produisent des
événements précis, créant ainsi un devoir dont il doit s'acquit-
ter à l'égard d'une personne déterminable et pour l'exercice
duquel il ne jouit d'aucune discrétion — La déclaration ne
révèle pas l'existence d'un tel devoir — Elle mentionne les
responsabilités générales existant sous le régime de la loi
constituant le ministère et l'obligation imposée à la Couronne
par le droit fédéral, y compris le droit statutaire et la common
law — !l est allégué dans les plaidoiries que le ministre a, en
son contrôle, suffisamment de crédits pour aider les deman-
deurs, mais non qu'il est tenu par la loi de leur fournir des
fonds — Les dispositions relatives au financement figurant
dans la Loi de crédits et le Budget sont discrétionnaires.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation —
Demande visant à faire radier la déclaration pour le motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action — Décla-
ration visant à obtenir un jugement déclarant que les défen-
deurs sont légalement tenus de fournir des fonds aux deman-
deurs pour les procédures légales qu'ils ont engagées et un bref
de mandamus obligeant le ministre et Sa Majesté à verser
cette somme — Demande rejetée et demande de bref de
mandamus radiée — Une première requête visant à obtenir un
bref de mandamus a été rejetée parce qu'une telle question
doit être jugée sur présentation d'une déclaration et l'autorisa-
tion de s'adresser à la Cour pour que soient écourtés les délais
impartis pour l'échange des plaidoiries n'empêche pas la Cour
de décider que la déclaration ne révèle aucune cause raisonna-
ble d'action — Un bref de mandamus ne peut être accordé
contre Sa Majesté sous ce nom — La déclaration ne révèle
aucun devoir précis pour le ministre de financer les procédures
légales en l'espèce — Il n'y a pas lieu à mandamus contre le
ministre — Il existe certains doutes quant aux autres ques
tions en litige qui sont toutefois complexes — On ne peut
affirmer qu'il est si évident que l'action visant à obtenir un
jugement déclaratoire doive échouer qu'il faudrait radier la
déclaration — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règle 419(1)a).
Peuples autochtones — Requête visant à faire radier une
déclaration sollicitant un jugement déclarant que les défen-
deurs sont tenus de financer les procédures légales engagées
par les demandeurs et un bref de mandamus les obligeant à
s'acquitter de cette obligation — Diverses actions ont été
intentées pour faire reconnaître les droits des demandeurs sur
certaines terres — La demande de mandamus seulement est
radiée — Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6.
Couronne — Pratique — Un bref de mandamus ne peut être
accordé contre la Couronne sous ce nom: Reg. v. Lords Com
missioners of the Treasury (1872), 7 Q.B. 387.
Il s'agit d'une demande visant à faire radier la déclaration
pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac-
tion. La déclaration vise à obtenir un jugement déclarant que
les défendeurs sont légalement tenus de financer les procédures
légales engagées par les demandeurs, et un bref de mandamus
obligeant à la fois le ministre et Sa Majesté à verser cette
somme. Les demandeurs ont engagé des procédures devant
diverses cours afin de faire reconnaître leurs droits sur certaines
terres. Leur dettes s'élèvent à plus de I 400 000 $ et ils pré-
voient avoir besoin d'une somme additionnelle de 2 000 000 $.
Jugement: la demande est rejetée et la demande de bref de
mandamus est radiée.
Le juge Rouleau a rejeté une requête visant à obtenir un bref
de mandamus obligeant le ministre à fournir des fonds aux
demandeurs pour les procédures légales qu'ils avaient engagées
pour le motif qu'une telle affaire devait être jugée sur présenta-
tion d'une déclaration. Il a toutefois autorisé les demandeurs à
s'adresser à la Cour pour demander que soient écourtés les
délais prévus dans les Règles relativement à l'échange des
plaidoiries. Ces directives n'empêchent pas la Cour de décider
que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
C'est également évident parce que malgré le rejet de leur
requête en mandamus, les demandeurs ont quand même cher-
ché à obtenir un bref de mandamus dans leur déclaration.
Un bref de mandamus ne peut être accordé contre Sa
Majesté sous ce nom: Reg. v. Lords Commissioners of the
Treasury (1872), 7 Q.B. 387. Par conséquent, il n'y aura pas
lieu à mandamus contre Sa Majesté la Reine du chef du
Canada. Un bref de mandamus peut être décerné contre un
fonctionnaire du gouvernement s'il est automatiquement tenu
par la loi d'exercer une fonction déterminée lorsque se produi-
sent des événements précis, une telle obligation créant un devoir
dont il doit s'acquitter à l'égard d'une personne déterminable et
pour l'exercice duquel il ne jouit d'aucune discrétion mais est
plutôt responsable devant la Couronne ou le Parlement. La
déclaration ne révèle aucun devoir précis de ce genre. Pour ce
qui est d'une obligation légale, la déclaration ne mentionne que
les responsabilités générales du ministre sous le régime de la loi
constituant son ministère et l'obligation fiduciaire imposée à la
Couronne par le «droit fédéral, y compris le droit statutaire et
la common law», à l'égard des demandeurs. Ni la Loi de crédits
ni le Budget de l'année financière courante n'énoncent claire-
ment l'obligation pour le ministre de financer des litiges lorsque
se produisent des faits comme ceux dont il est question en
l'espèce. Ces dispositions relatives au financement sont mani-
festement discrétionnaires.
Il n'y a pas lieu de radier les autres dispositions de la
déclaration. La Cour ne devrait pas radier des demandes, sauf
dans les cas «évidents»: Procureur général du Canada c. Inuit
Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735. Il n'est pas
si évident que les demandeurs ne peuvent avoir gain de cause
dans leur action visant à obtenir un jugement déclaratoire que
leur déclaration devrait être radiée. Il peut exister des doutes
sérieux quant à leur revendication. Il est possible qu'ils ne
puissent avoir gain de cause dans leurs revendications fondées
sur la Charte et la Déclaration canadienne des droits que s'ils
réussissent à montrer que l'obligation fiduciaire des défendeurs
comprend celle de fournir des fonds. La question de savoir s'il
est possible ou non de déduire de ce principe l'existence d'une
obligation générale pour la Couronne à titre de fiduciaire de
fournir à demande des fonds pour les actions intentées, est fort
complexe et demeure pour l'instant sans réponse.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Succession
Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (1'» inst.); Omi-
nayak c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien), ordonnance en date du 12 décembre
1985, Cour fédérale, Division de première instance,
T-2618-85, encore inédite.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335; Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 58
N.R. 241 (C.A.); Bande indienne de Lubicon Lake (La) c.
R., [1981] 2 C.F. 317 (1fe inst.); confirmée par 13 D.L.R.
(4th) 159 (C.A.F.); Ominayak v. Norcen Energy Resour
ces Ltd. (1983), 29 Alta. L.R. (2d) 151 (B.R.); confirmée
par [1985] 3 W.W.R. 193; [1985] 1 R.C.S. xi; (1985), 58
N.R. 122.
DÉCISIONS CITÉES:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; Minister of Finance of British
Columbia v. The King, [1935] R.C.S. 278; [1935] 3
D.L.R. 316; Grand Council of the Crees (of Quebec) c.
R., [1982] 1 C.F. 599; (1981), 124 D.L.R. (3d) 574
(C.A.); Reg. v. Lords Commissioners of the Treasury
(1872), 7 Q.B. 387.
AVOCATS:
James A. O'Reilly et Mark G. Peacock pour
les demandeurs.
I. G. Whitehall, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Byers, Casgrain, Montréal, pour les deman-
deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: La présente demande vise à
faire radier la déclaration, modifiée le 27 novem-
bre 1986 dans l'action susmentionnée, parce
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable
d'action.
Un bref rappel des faits ayant donné lieu à la
présente action nous permet de constater que les
demandeurs ainsi que d'autres parties ont intenté
en avril 1980 une action devant cette Cour contre
la Couronne du chef du Canada, la Couronne du
chef de l'Alberta ainsi qu'un certain nombre de
sociétés pétrolières afin d'obtenir des jugements
déclaratoires portant qu'ils possédaient certains
droits ancestraux relativement à une vaste région
du Nord de l'Alberta, y compris les droits miniers
sur ces terres, un jugement déclaratoire portant
que toute cession par la Couronne du chef de
l'Alberta des droits sur les hydrocarbures de ces
terres est inconstitutionnelle et nulle, un jugement
déclaratoire portant que les demandeurs n'ont pas
renoncé à leurs droits par le Traité numéro 8 de
1899, une ordonnance enjoignant aux défendeurs à
l'action de verser aux demandeurs des redevances
sur les revenus tirés de tous les hydrocarbures
extraits pendant une certaine période ainsi que
tous les revenus obtenus de baux, etc. consentis
pour ces hydrocarbures et, subsidiairement, de
payer aux demandeurs une indemnité d'un milliard
de dollars; des jugements déclaratoires portant que
la Couronne du chef du Canada et la Couronne du
chef de l'Alberta contreviennent à leurs obligations
légales et constitutionnelles et leur enjoignant de
prendre les mesures nécessaires pour permettre à
la Couronne du chef du Canada de remplir ses
obligations.
Ladite action a été intentée devant cette Cour
qui, le 19 novembre 1980 [Bande indienne de
Lubicon Lake (La) c. R., [1982] 1 C.F. 317]
(décision confirmée en appel le 5 mai 1981 [13
D.L.R. (4th) 159]), l'a rejetée à l'égard de tous les
défendeurs sauf Sa Majesté la Reine du chef du
Canada, pour le motif qu'elle n'avait pas compé-
tence en ce qui concerne les autres défendeurs.
Cette action est pour le reste toujours pendante
devant cette Cour.
En février 1982, les demandeurs et d'autres
parties ont intenté une action devant la Cour du
Banc de la Reine de l'Alberta contre Sa Majesté la
Reine du chef de l'Alberta et un certain nombre de
sociétés pétrolières afin de faire valoir leurs droits
ancestraux ou issus de traités à l'égard des mêmes
questions. Ils ont cherché à obtenir une injonction
provisoire de la Cour du Banc de la Reine de
l'Alberta (Ominayak v. Norcen Energy Resources
Ltd. (1983), 29 Alta. L.R. (2d) 151) qui la leur a
refusée, cette décision étant confirmée par la Cour
d'appel de l'Alberta ([1985] 3 W.W.R. 193) et
l'autorisation d'appel étant refusée par la Cour
suprême du Canada ([1985] 1 R.C.S. xi; (1985),
58 N.R. 122).
En novembre 1985, les demandeurs se sont
adressés à cette Cour afin d'obtenir un bref de
mandamus obligeant le ministre des Affaires
indiennes de l'époque, l'honorable David Crombie,
... à fournir immédiatement aux requérants une subvention,
une avance ou un prêt, soit un total de 2 250 000 $, destinés à
l'acquittement des dettes qu'ils ont contractées à l'égard des
procédures judiciaires, et des dettes à venir ...
C'est dire qu'ils ont cherché à obtenir des fonds
pour les autres procédures engagées devant cette
Cour et devant la Cour du Banc de la Reine de
l'Alberta. Le juge Rouleau de cette Cour a rejeté
leur requête le 12 décembre 1985 [Ominayak c.
Canada (ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien, T-2618-85, encore inédit] pour le
motif qu'un bref de mandamus n'était pas le
recours approprié et qu'une telle affaire devait être
jugée sur présentation d'une déclaration. Les
demandeurs ont alors déposé une déclaration
devant cette Cour le 15 avril 1986 afin d'obtenir
un jugement déclaratoire ainsi qu'un bref de man-
damus portant que les défendeurs sont tenus de
leur fournir aune subvention, une avance ou un
prêt» totalisant 2 250 000 $ et afin qu'il soit
ordonné à l'honorable David Crombie de verser
cette somme. Il faut noter que contrairement à, ce
qui avait été le cas pour la demande de bref de
mandamus, Sa Majesté la Reine du chef du
Canada a été constituée défenderesse dans cette
procédure. Cette déclaration a été considérable-
ment modifiée le 27 novembre 1986 et m'a ensuite
été présentée sous cette forme modifiée. Le redres-
sement demandé reste toujours un jugement décla-
ratoire portant que les défendeurs sont légalement
tenus de fournir «une subvention, une avance ou un
prêt» aux demandeurs pour leur permettre de con-
tinuer les diverses procédures qu'ils ont engagées,
et un bref de mandamus obligeant à la fois l'actuel
ministre, l'honorable William McKnight, et Sa
Majesté à verser cette somme qui est maintenant
passée de 2 250 000 $ à 3 400 000 $. Le paragra-
phe 26 de la déclaration, que je dois présumer
exact aux fins des présentes, porte que le montant
des dettes contractées jusqu'à maintenant par les
demandeurs dans ces diverses procédures est supé-
rieur à 1 400 000 $ et que ceux-ci prévoient avoir
besoin d'une somme additionnelle de 2 000 000 $
pour poursuivre leurs actions.
Alors que les demandeurs en l'espèce ne com-
prennent que le chef et les membres de la bande
indienne de Lubicon Lake et la bande elle-même
qui est désignée comme «un groupe d'Indiens
[reconnu] sous le régime de la Loi sur les Indiens»,
l'action originale devant cette Cour portant le
numéro de greffe T-2048-80, a été intentée non
seulement au nom de la bande mais aussi au nom
de «tous les membres ... de la communauté crise
[sic] de Little Buffalo Lake», et la déclaration
indique que dans cette affaire environ la moitié des
particuliers demandeurs ne sont pas inscrits sui-
vant la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap.
I-6], mais sont d'origine crie. L'action dont a été
saisie la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a
été intentée notamment au nom
[TRADUCTION] des 150 membres de la bande indienne de
Lubicon Lake et des 100 autres membres autochtones de la
communauté crie de Little Buffalo Lake
ainsi qu'un nom de certains particuliers. L'impor-
tance que peuvent avoir les modifications appor-
tées à la composition des demandeurs d'une affaire
à une autre est une question qui devra être exami
née plus tard, mais il faut remarquer que le droit à
l'obtention de fonds du trésor fédéral pour la pour-
suite des deux autres affaires n'est revendiqué en
l'espèce qu'au nom de certains des demandeurs qui
étaient parties dans ces deux autres affaires.
On peut également souligner que les revendica-
tions présentées au nom des demandeurs dans les
autres actions sont quelque peu différentes; elles
portent notamment que les ancêtres des deman-
deurs n'étaient pas parties au Traité n° 8 et que,
par conséquent, leurs droits ancestraux ne sont pas
éteints ou, subsidiairement, que s'ils y ont été
parties, ils n'ont pas encore reçu les terres qui
devaient leur être réservées conformément audit
traité.
Avant d'examiner le fond de la requête, je vou-
drais régler un point qui a été soulevé par les
avocats des demandeurs-intimés: ils prétendent
que le juge Rouleau, après avoir examiné dans le
cadre de la demande de bref de mandamus la
question de savoir si les demandeurs avaient une
cause raisonnable d'action, a statué que tel était le
cas. Cet argument reposait sur l'ordonnance du
juge des requêtes qui a autorisé les requérants à
s'adresser au juge soussigné pour demander que soient écourtés
les délais prévus dans les Règles relativement à l'échange des
plaidoiries et à la conduite des interrogatoires préalables et des
contre-interrogatoires sur affidavits.
Dans son ordonnance, le juge Rouleau a également
autorisé les parties à présenter une demande unila-
térale visant à obtenir la fixation d'une date spé-
ciale pour la tenue de l'instruction.
Je ne crois pas que ces directives empêchent la
Cour, après le dépôt d'une déclaration, de décider
que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable
d'action. Il n'est pas nécessaire que j'examine le
fondement ou la portée de l'autorisation de modi
fier les procédures en une déclaration, accordée
après le rejet d'une requête en mandamus. Mais
j'estime qu'il est évident que cela n'écarte pas
toute possibilité de constester la déclaration, une
fois que sa portée est comprise, pour le motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac-
tion. C'est également évident parce que malgré le
rejet de leur requête en mandamus pour le motif
qu'il ne s'agissait pas du recours approprié, les
demandeurs ont quand même cherché dans leur
déclaration à obtenir un bref de mandamus
comme mesure de redressement.
Les principes applicables à une requête présen-
tée en vertu de la Règle 419(1)a) [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] afin de faire
radier une action pour le motif qu'elle ne révèle
aucune cause raisonnable d'action sont bien
connus. Dans l'arrêt Procureur général du Canada
c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [ 1980] 2
R.C.S. 735, la Cour suprême a confirmé qu'il faut
tenir tous les faits allégués dans la déclaration
pour avérés et que la Cour ne doit rejeter l'action
ou radier une déclaration que «dans les cas évi-
dents» et lorsqu'il s'agit d'un «cas au-delà de tout
doute». Comme l'a dit le juge Pratte dans Succes
sion Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (ire
inst.), à la page 736, la mention dans les Règles de
cette Cour qu'il n'existe «aucune cause raisonnable
d'action» signifie que la Cour n'a pas à décider si
l'action est vraiment fondée en droit, mais simple-
ment si la réclamation du demandeur est «soute-
nue». Voir également l'arrêt Operation Dismantle
Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1
R.C.S. 441, aux pages 450 et 487.
En ce qui concerne la demande de bref de
mandamus, je suis convaincu pour des motifs sem-
blables à ceux donnés par le juge Rouleau qu'il
n'est pas possible de faire droit à une telle
demande reposant sur les arguments présentés en
l'espèce et qu'elle devrait être radiée. Il est bien
établi en droit qu'un bref de mandamus ne peut
être accordé contre Sa Majesté sous ce nom: voir
par exemple Reg. v. Lords Commissioners of the
Treasury (1872), 7 Q.B. 387, à la page 394. Par
conséquent, il n'y aura pas lieu à mandamus
contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Il
est également évident qu'un bref de mandamus
peut être décerné contre un fonctionnaire du gou-
vernement s'il est automatiquement tenu par la loi
d'exercer une fonction déterminée lorsque se pro-
duisent des événements précis, une telle obligation
créant un devoir dont il doit s'acquitter à l'égard
d'une personne déterminable et pour l'exercice
duquel il ne jouit d'aucune discrétion mais est
plutôt responsable devant la Couronne ou le Parle-
ment: voir par exemple Minister of Finance of
British Columbia v. The King, [1935] R.C.S. 278;
[1935] 3 D.L.R. 316; Le Grand Council of the
Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599;
(1981), 124 D.L.R. (3d) 574 (C.A.). La déclara-
tion en cause ne révèle aucun devoir précis de ce
genre à l'égard des demandeurs. Pour ce qui est
d'une obligation légale, la déclaration ne men-
tionne que les responsabilités générales du ministre
défendeur sous le régime de la loi constituant son
ministère et l'obligation fiduciaire imposée à la
défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du
Canada par le «droit fédéral, y compris le droit
statutaire et la common law», à l'égard des deman-
deurs. Il est allégué au paragraphe 25 de la décla-
ration que le ministre défendeur a en son pouvoir
suffisamment de crédits votés par le Parlement
pour aider financièrement les demandeurs à conti-
nuer les procédures légales qu'ils ont engagées. Il
n'y est même pas suggéré que le ministre est tenu
par la loi de remettre des sommes précises à des
Indiens ou des groupes particuliers d'Indiens qui
décident d'intenter des poursuites. Les avocats des
deux parties m'ont signalé que dans la Loi de
crédits n" 2 de 1986-87 [S.C. 1986, chap. 28], le
poste L-55 de l'annexe est décrit comme suit:
Prêts à des revendicateurs autochtones, conformément aux
conditions approuvées par le gouverneur en conseil, pour le
paiement des frais de recherches, d'élaboration et de négocia-
tions concernant les revendications .... 14 303 000 $
De même, le Budget principal des dépenses de
1986-1987 réservait une somme de 300 000 $ à
titre de «contributions à des particuliers, à des
bandes et à des associations indiennes pour le
financement de procès types». Les avocats m'ont
en outre indiqué que les demandeurs avaient effec-
tivement reçu des fonds pour les négociations con-
cernant leur revendication. Ni la Loi de crédits ni
le Budget de l'année financière courante n'énon-
cent clairement l'obligation pour le ministre défen-
deur de verser 3,4 millions de dollars ni, en fait,
toute autre somme aux demandeurs pour le finan-
cement de litiges lorsque se produisent des faits
comme ceux dont il est question en l'espèce. Les
dispositions existantes quant au financement sont
manifestement discrétionnaires, sauf que le gou-
verneur en conseil peut fixer les modalités des
prêts pour la recherche et pour la négociation. Il
n'est même pas allégué dans la déclaration que les
demandeurs ont satisfait à de telles conditions. Je
considère par conséquent que les plaidoiries ne
peuvent fonder une demande de bref de manda-
mus et je radie cette partie de la demande de
redressement.
Je ne radierai cependant pas les autres disposi
tions de la déclaration. Je souligne qu'il ne m'ap-
partient pas de décider si les demandeurs peuvent
établir leur droit à un redressement. S'il s'agit d'un
cas «évident» (pour reprendre le terme approuvé
par la Cour suprême du Canada) où ils ne peuvent
avoir gain de cause, je dois alors radier leur décla-
ration. Mais s'il est possible qu'un juge de pre-
mière instance fasse droit à leur demande, je ne
dois pas radier ladite déclaration. Je ne peux affir-
mer qu'il est si évident que les demandeurs ne
peuvent avoir gain de cause dans leur action visant
à obtenir un jugement déclaratoire que leur décla-
ration devrait être radiée. Il n'est pas impossible
qu'ils obtiennent une forme quelconque de juge-
ment déclaratoire. Je reconnais qu'il existe des
doutes sérieux quant à leur revendication. Ils sou-
tiennent pour l'essentiel que les défendeurs ont
l'obligation fiduciaire de leur avancer l'argent
nécessaire pour tout litige qu'ils décident d'enga-
ger afin de protéger leurs droits ancestraux ou
issus de traités. Ils allèguent également que les
droits qui leur sont garantis par les articles 7 et 15
de la Charte [Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie Ide la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ont été violés
parce qu'ils ne peuvent avoir recours aux tribu-
naux en raison de leur pauvreté. Ils invoquent pour
la même raison l'alinéa la) de la Déclaration
canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice
III] et allèguent qu'ils ont été privés de leurs biens
sans que la loi soit appliquée de manière régulière.
Il me semble fort possible qu'ils ne puissent avoir
gain de cause dans leurs revendications fondées sur
la Charte et la Déclaration canadienne des droits
que s'ils réussissent à montrer que l'obligation
fiduciaire des défendeurs comprend celle de finan-
cer leurs actions. Si tel n'est pas le cas, il me
semble qu'ils sont dans la même position que tous
les autres aspirants demandeurs de notre société
qui désirent obtenir des fonds publics pour finan-
cer les actions qu'ils souhaitent intenter afin de
défendre des droits de propriété allégués.
Pour ce qui est de l'obligation fiduciaire elle-
même, les demandeurs invoquent principalement
l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Guerin et
autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335,
et accessoirement, la décision Kruger c. La Reine,
[1986] 1 C.F. 3; (1985), 58 N.R. 241 (C.A.). Il
faut souligner que ces affaires traitaient principa-
lement de l'obligation pour la Couronne d'utiliser
pour le meilleur avantage des Indiens les terres des
réserves indiennes qu'elle a obtenues par renoncia-
tion ou par suite d'une expropriation. Il reste à
déterminer s'il est possible ou non de déduire de ce
principe l'existence d'une obligation générale pour
la Couronne à titre de fiduciaire (fiduciary) ou,
dans un sens très large, à titre d'administrateur
(trustee) des titres ancestraux sur les terres dont le
fief simple appartient désormais à une province ou
à des particuliers, de fournir à demande au bénéfi-
ciaire de ces titres les fonds nécessaires pour inten-
ter des actions afin de protéger les biens en fiducie.
Si on conclut à l'existence d'une telle obligation
légale, il est également possible d'alléguer qu'elle
peut servir de fondement à la revendication des
demandeurs reposant sur l'article 35 de la Loi
constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] qui garan-
tit les droits ancestraux existants.
Étant donné la complexité de ces questions, je ne
peux affirmer qu'il est «évident» que les deman-
deurs ne possèdent aucune cause raisonnable d'ac-
tion. Je rejette par conséquent la demande en plus
de radier la demande de bref de mandamus. Les
dépens suivront le sort du litige.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.