T-1564-86
Francine Streeting (demanderesse)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Sa
Majesté la Reine (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: STREETING C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Reed—
Ottawa, 17 et 22 février 1988.
Fonction publique — Fin d'emploi — La demanderesse a
fait parvenir une lettre par messager, révoquant sa démission
antérieure, le même jour où la lettre d'acceptation de la
démission a été postée — La démission a-t-elle été acceptée
avant d'être révoquée? — Sens de l'expression »à compter du
jour» à l'art. 26 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique — Le mot «accepte» à l'art. 26 exige-t-il que l'on
communique l'acceptation? — Application des principes géné-
raux du droit des obligations ou du principe de la nomination
des fonctionnaires à titre amovible — La démission a été
acceptée avant que la révocation ne soit reçue — L'utilisation
d'un service de messagerie par la demanderesse ne permet pas
de déduire qu'il s'agissait du mode de communication obliga-
toire excluant l'envoi d'une réponse par la poste.
Il s'agit d'une demande pour faire trancher une question de
droit. La demanderesse travaillait pour la Commission de l'em-
ploi et de l'immigration. Le 1e" avril 1985, elle a fait parvenir
par messager une lettre de démission, en date du 29 mars 1985,
démission qui prenait effet le 28 mars 1985. Le 3 avril 1985,
une lettre a été postée à la demanderesse, accusant réception de
sa démission. Le même jour, la demanderesse a adressé, par
messager, une seconde lettre, manifestant son désir de révoquer
sa démission. Elle a été reçue peu après que la lettre accusant
réception de sa démission ait été postée. L'article 26 de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique prévoit qu'«un employé
peut démissionner ... en donnant ... un avis écrit de son
intention de démissionner. Cet employé cesse de l'être à comp-
ter du jour où le sous-chef accepte, par écrit, sa démission». Il
s'agit de décider si la lettre de démission a été acceptée avant
qu'elle ne soit retirée.
La demanderesse plaide que l'article 26 accorde à un
employé une journée complète au cours de laquelle une démis-
sion acceptée peut être révoquée. Cet argument est fondé sur
les mots »cet employé cesse de l'être à compter du jour où le
sous-chef accepte, par écrit, sa démission». On affirme qu'une
personne perd son statut d'employé à la fin de cette journée. La
demanderesse allègue également que, par analogie au droit des
obligations, le terme «accepte» à l'article 26 exige la communi
cation à l'employé de l'acceptation et qu'elle n'a pas eu lieu
parce qu'il n'y a eu aucune communication réelle ou implicite
de l'acceptation. Les défendeurs allèguent que le principe selon
lequel un fonctionnaire est nommé à titre amovible implique la
règle selon laquelle la charge d'un fonctionnaire ne peut pren-
dre fin qu'avec le consentement de la Couronne. Il s'ensuit que
l'obligation de vérifier si une démission a été acceptée incombe
à l'employé.
Jugement: la lettre d'accusé de réception de la démission
constitue une acceptation de la lettre de démission de la
demanderesse.
L'article 26 traite de deux facettes distinctes d'une démis-
sion: (1) les conditions de validité d'une démission et l'accepta-
tion de cette dernière et (2) la date à compter de laquelle un
employé démissionnaire cesse d'être un employé. L'expression
«à compter du jour» ne se rapporte qu'au deuxième volet et dans
le seul cas où la lettre de démission ou l'acceptation de celle-ci
ne porte pas de date indiquant la fin de la relation de travail.
Dans un tel cas, la relation cessera à compter du jour où la
démission sera acceptée.
Les règles concernant la nomination à titre amovible des
fonctionnaires de la Couronne ne sont pas pertinentes en l'es-
pèce. La capacité de démissionner d'un employé est la même,
qu'il soit ou non un fonctionnaire. Les principes généraux du
droit des obligations s'appliquent à l'interprétation des condi
tions d'emploi des fonctionnaires.
L'acceptation de la démission d'un employé exige plus que la
simple signature d'un écrit à cet effet, quoiqu'un employé n'a
pas à recevoir un avis de l'acceptation avant que cette dernière
ne soit en vigueur. Toutefois, il n'était pas nécessaire de décider
à quel moment exactement le sous-chef est réputé avoir
«accepté» dans tous les cas une démission, ni quelle doit être la
nature de la «communication» de ladite acceptation. En l'es-
pèce, la lettre d'acceptation a été signée par le sous-chef et mise
en dehors de son contrôle de la retirer avant que la lettre de
révocation ne soit reçue. L'acceptation de la démission de la
demanderesse a eu lieu avant la réception de la lettre de
révocation.
L'application des règles de la common law concernant la
communication par voie postale mènerait à la même conclusion.
Étant donné la proximité géographique des parties, l'utilisation
de la poste et celle d'un service de messagerie sont des moyens
de communication essentiellement équivalents. L'utilisation
d'un service de messagerie par la demanderesse ne permet pas
de déduire qu'il s'agissait du mode de communication obliga-
toire excluant l'envoi d'une réponse par la poste.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32, art. 24, 26.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
474.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Reg. y. Cuming (1887), 19 Q. B. D. 13; Marks y. The
Commonwealth (1964), 111 C.L.R. 549 (Aust. H.C.);
O'Day v. The Commonwealth (1964), 111 C.L.R. 599
(Aust. H.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Friesen c. Le Conseil du Trésor, [1979] C.R.T.F.P.,
dossier 166-2-6159 (Norman); Association canadienne
du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84
(C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Lafleur c. Le Conseil du Trésor, [1976] C.R.T.F.P.,
dossier 166-2-2413 (Simmons); Phillips c. La Reine,
[1977] 1 C.F. 756 (l" inst.); deMercado c. La Reine et
autre, T-2588-83, juge Cattanach, jugement en date du
19 mars 1984, lte inst., non publié; Evans c. Canada
(gouvernement du) (1986), 4 F.T.R. 247 (lie inst.); Fla-
nagan (H). c. La Reine et autre, [1987] 2 C.T.C. 167
(C.A.F.).
DOCTRINE
Brown, Donald J. and Beatty, David M., Canadian
Labour Arbitration, Agincourt: Canada Law Book
Limited, 1977.
Cheshire and Fifoot's Law of Contract, 10th ed. M. P.
Furmston, London: Butterworths, 1981.
Christie, Innis M., Employment Law in Canada,
Toronto: Butterworths, 1980.
Waddams, S. M., The Law of Contracts, 2d ed., Toronto:
Canada Law Book Limited, 1984.
AVOCATS:
Timothy G. M. Hadwen pour la demande-
resse.
Dogan D. Akman pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Cavalluzzo, Hayes & Lennon, Toronto, pour
la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Il s'agit de déterminer en l'es-
pèce si une lettre de démission écrite par la deman-
deresse a été acceptée avant qu'elle ne soit retirée.
L'acticle 26 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique, S.R.C. 1970, chap. P-32 régit la
situation:
26. Un employé peut démissionner de la Fonction publique
en donnant au sous-chef un avis écrit de son intention de
démissionner. Cet employé cesse de l'être à compter du jour où
le sous-chef accepte, par écrit, sa démission.
Faits
Cette cause a été instruite sur la base d'un
exposé conjoint des faits que voici.
La demanderesse, Francine Streeting, a commencé
à travailler pour la Commission de l'emploi et de
l'immigration Canada en mai 1981.
En novembre 1982, Michel Monette était respon-
sable du travail de Streeting, à titre de gestion-
naire de succursale. Il relevait de Lionel Carrière,
le gestionnaire du bureau métropolitain de la
Commission à Ottawa.
En tout temps pertinent, Carrière avait légalement
l'autorité et le pouvoir du «sous-chef» pour recevoir
et accepter les démissions des employés de la
Commission, conformément à l'article 26 de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique.
Le 1" avril 1985, Streeting a fait parvenir par
messager, au bureau de Vanier, une lettre adressée
à Monette en date du 29 mars 1985, dans laquelle
elle démissionnait de son poste au sein de la Com
mission, démission qui prenait effet le 28 mars
1985.
Le lei avril 1985, Monette a fait suivre la lettre de
démission au bureau du personnel de la Commis
sion à Ottawa et leur a donné les directives
suivantes:
[TRADUCTION] À la demande de l'employée, veuillez agir
immédiatement.
À son tour, le bureau du personnel a fait parvenir
la lettre de démission à Carrière.
Au cours de la matinée du 3 avril 1985, le bureau
du personnel a envoyé un télex au siège de la
Commission, paie et avantages sociaux (région de
l'Ontario) à Willowdale (Ontario) demandant que
Streeting soit [TRADUCTION] «rayée de la liste des
employés».
Le 3 avril 1985, après 11 h, Carrière a signé une
lettre adressée à Streeting, accusant réception de
sa démission et lui souhaitant bon succès dans ses
activités futures. La lettre disait:
[TRADUCTION] J'accuse réception de votre lettre de démission
en date du 29 mars 1985; votre emploi a pris fin le 28 mars
1985.
Je voudrais vous remercier sincèrement de votre collaboration
et des bons et loyaux services que vous avez fournis à la
Commission.
Je voudrais également profiter de l'occasion pour vous souhai-
ter bon succès dans vos nouvelles activités.
Carrière a déposé cette lettre dans le panier du
courrier à expédier de sa secrétaire avant 13 h le 3
avril 1985. La lettre a été ramassée entre 14 h et
15 h par un employé de la Commission qui l'a
livrée, avec le reste du courrier, au bureau de poste
avant le dépôt de 15 h.
Le 3 avril 1985, Streeting a écrit à Monette,
demandant que sa démission soit retirée. A 13 h 57
le même jour, elle a appelé un messager pour faire
remettre la lettre à Monette. La lettre a été ramas-
sée à 14 h 21 et livrée au bureau de la Commission
à 15 h. Elle fut remise à Monette, à son bureau, à
15 h 10.
Article 26—«cesse de l'être à compter du jour
où...»
Le procureur de la demanderesse allègue que la
lettre d'acceptation signée par M. Carrière était
sans effet car elle ne faisait pas suite à une lettre
de démission non révoquée. Il ajoute que l'article
26 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que accorde «un jour de grâce» à l'employé pour
retirer sa démission. Cet argument se fonde sur
l'hypothèse que le principe sous-jacent à l'article
26 est de faire en sorte que les employés ne
démissionnent pas brusquement. Le procureur cite
une décision rendue par la Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique dans
l'affaire Friesen c. Le Conseil du Trésor, [1979]
C.R.T.F.P., dossier n° 166-2-6159 (Norman). À la
page 14 de cette décision, on reprend un extrait
d'une autre décision de la C.R.T.F.P.:
La décision de démissionner doit être une démarche rationnelle
et réfléchie et ne peut être considérée comme reflétant le désir
réel de l'employé si celui-ci a pris cette décision dans un
moment d'impétuosité aberrante.
À la page 13 de la décision Friesen, on cite un
extrait de l'ouvrage de Brown and Beatty intitulé
Canadian Labour Arbitration:
[TRADUCTION] ... l'acte de démission comprenne l'intention
subjective de quitter son emploi et une certaine conduite objec
tive qui se traduit par une tentative de mettre à effet cette
intention.
Le procureur de la demanderesse prétend donc
que l'article 26 vise à donner à un employé la
journée complète au cours de laquelle sa démission
a été acceptée pour la retirer. Cette interprétation
est fondée sur le libellé de l'article 26: «cet
employé cesse de l'être à compter du jour où le
sous-chef accepte, par écrit, sa démission». Il
affirme qu'une personne perd son statut d'employé
comme tel à la fin de cette journée et qu'en
conséquence, l'employé bénéficie à dessein d'une
occasion de retirer sa démission jusqu'à la fin de la
journée. En l'espèce, la démission a été révoquée
avant la fin de la journée où la lettre d'acceptation
de cette démission a été signée, soit le 3 avril 1985.
Ce n'est pas ainsi que j'interprète l'article 26. Je
concède que cet article n'est pas bien rédigé. À
mon avis cependant, iP traite de deux facettes
distinctes d'une démission: (1) les conditions de
validité d'une démission et de l'acceptation de
cette dernière (il faut que ce soit par écrit); (2) la
date à compter dé laquelle un employé démission-
naire cesse d'être un employé. L'expression «à
compter du jour» ne se rapporte, à mon avis, qu'au
deuxième volet. Je ne pense pas qu'il s'agisse de
l'heure ou de la date à compter de laquelle la
démission ou l'acceptation entre en vigueur.
Un employé peut donner sa démission en indi-
quant qu'il a l'intention de quitter son emploi à
une date ultérieure (p.ex. à la fin du mois). Il peut
aussi donner sa démission et indiquer qu'il a aban-
donné son statut d'employé à compter d'une date
antérieure (en l'espèce, tant la lettre de démission
que l'acceptation de celle-ci précisaient que l'em-
ploi est censé avoir pris fin le 28 mars 1985). A
mon avis, l'article 26 qui fait mention de «à comp-
ter du jour» traite de la situation où une lettre de
démission ou l'acceptation de celle-ci ne porte pas
de date indiquant la fin de la relation de travail.
Dans un tel cas, la relation cessera à compter du
jour où la démission sera acceptée. Ces termes
n'ont rien à voir avec la date ou l'heure à compter
de laquelle une démission est acceptée (p.ex. la fin,
le début ou le milieu de la journée où l'acceptation
est donnée par écrit).
Article 26—Communication de l'acceptation
Le second argument du procureur de la deman-
deresse est que le mot «accepte» figurant à l'article
26 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que exige que l'on communique l'acceptation à
l'employé. Il prétend qu'un sous-chef qui a signé
un écrit ayant pour but d'accepter la démission
mais ne l'a pas envoyé ou n'en a pas autrement
communiqué la teneur à l'employé, ne peut être
réputé avoir accepté sa démission. Un parallèle est
établi avec les règles régissant le droit des obliga
tions. Je cite un extrait de l'ouvrage de Cheshire
and Fifoot intitulé Law of Contract (10e éd.,
1981), à la page 32:
[TRADUCTION] La preuve d'une offre de s'engager légalement
à des conditions précises doit être suivie du dépôt d'une preuve
permettant aux tribunaux de déduire que le destinataire avait
l'intention d'accepter cette offre. II faut insister pour dire que
l'expression «offre et acceptation», même si elle a été consacrée
par les tribunaux depuis un siècle et demi, ne doit pas être
utilisée comme un talisman, révélant, par une espèce de code
secret, l'existence d'un contrat. Il serait ridicule de présumer
que les hommes d'affaires rédigent leurs communications
comme un crédo ou réduisent leurs négociations à des espèces
d'interrogatoires formulés comme l'était la stipulatio chez les
Romains. Les règles que les juges ont élaborées en s'inspirant
des principes de l'offre et de l'acceptation ne sont ni de la
logique rigide ni une inspiration émanant de la justice naturelle.
Elles ne sont que des présomptions, tirées de l'expérience, qui
seront appliquées en autant qu'elles servent ultimement à éta-
blir le phénomène d'entente et l'application de ces règles peut
être observée sous deux angles, a) le fait de l'acceptation et b)
la communication de l'acceptation.
On a cité des décisions de la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique,
Lafleur c. Le Conseil du Trésor, [1976]
C.R.T.F.P., dossier n° 166-2-2413 (Simmons) et
Friesen (déjà citée), qui ont interprété l'article 26
à la lumière des principes généraux du droit des
obligations concernant l'offre et l'acceptation.
Le procureur des défendeurs affirme que les
règles générales du droit des obligations ne sont
pas applicables à l'emploi dans la Fonction publi-
que. Il ajoute qu'il s'agit de [TRADUCTION] «deux
mondes à part». Si je comprends bien cet argu
ment, c'est que historiquement, les employés de la
Couronne étaient engagés à titre amovible; voir les
décisions Phillips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756,
à la page 758 (lie inst.); deMercado c. La Reine et
autre, (N° du greffe T-2588-83, juge Cattanach,
jugement en date du 19 mars 1984, ire inst., non
publié); Association canadienne du contrôle du
trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84 (C.A.);
Evans c. Canada (gouvernement du) (1986), 4
F.T.R. 247 (lie inst.). Le procureur se fonde prin-
cipalement sur l'arrêt Association canadienne du
contrôle du trafic aérien et sur les commentaires
du juge Marceau aux pages 102 et 103:
... la difficulté ne saurait se résoudre dans le secteur public de
la même façon que dans le secteur privé. Dans le secteur privé,
la négociation collective en ce qui concerne les rapports
employeurs-employés est évidemment régie, pour l'essentiel, par
le droit statutaire, mais les lois provinciales en matière de
relations de travail ne couvrent pas tous les aspects et laissent
place pour l'addition d'éléments qui impliqueront nécessaire-
ment l'application des règles de droit commun ... Il n'est donc
pas surprenant que, dans le secteur privé, la question qui nous
intéresse ait toujours été examinée à la lumière des notions de
représentation, de mandat, de lien contractuel et traitée comme
faisant surtout intervenir les règles d'interprétation des conven
tions. Au contraire, dans le secteur public fédéral, les lois, telles
que je les comprends, ne permettent tout simplement pas
l'adjonction de tels éléments additionnels, le statut et le rôle des
parties à la négociation collective, leur autorité respective et le
caractère exécutoire de leur accord étant déterminés de façon
exclusive et péremptoire par la loi. Si tel est le cas, et il me
semble bien que ce l'est, il ne serait pas approprié, lorsqu'il
s'agit d'une convention collective mettant en cause la Fonction
publique fédérale, d'avoir recours aux notions de mandat, de
représentation ou de lien contractuel de la common law et de
s'en remettre à la seule intention des parties. La solution, si elle
n'a pas été expressément prévue, ne peut être déduite que des
principes adoptés par la législation et en fonction uniquement
du régime établi par le Parlement.
L'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique maintient expressément le principe
voulant qu'en l'absence de dispositions législatives
à l'effet contraire, un fonctionnaire est nommé à
titre amovible. On affirme que ce principe impli-
que la règle selon laquelle la charge d'un fonction-
naire ne peut prendre fin qu'avec le consentement
de la Couronne. Il s'ensuit, dit-on, que l'obligation
de vérifier si une démission a été acceptée incombe
à l'employé et qu'il n'existe aucune obligation pour
le sous-chef de communiquer son acceptation de la
démission à l'employé.
J'accepte difficilement cet argument. Je ne vois
tout simplement pas la pertinence des règles histo-
riques concernant la nomination des fonctionnaires
à titre amovible (même si elles sont codifiées à
l'article 24). Trois des décisions citées concernant
l'incapacité d'un fonctionnaire de quitter son
emploi mettent en cause des membres des forces
armées; ce sont les arrêts Reg. v. Cuming
(1887), 19 Q. B. D. 13; Marks v. The Common
wealth (1964), 111 C.L.R. 549 (Aust. H.C.);
O'Day v. The Commonwealth (1964), 111 C.L.R.
599 (Aust. H.C.). Il s'agit d'une situation tout à
fait différente de celle des fonctionnaires en géné-
ral. Qui plus est, je ne vois pas en quoi la situation
d'un fonctionnaire, quant à sa capacité à démis-
sionner, peut être différente de celle d'un employé
du secteur privé. Dans ce dernier cas, le contrat de
travail prend fin par accord mutuel (voir Christie,
Innis M., Employment Law in Canada, 1980 la
page 323), mais il n'y a pas de cessation d'emploi
avant que l'employeur n'accepte la démission
donnée par l'employé. En pratique, bien sûr, lors-
qu'un employé refuse de retourner au travail (et
n'est pas forcé de le faire par une ordonnance des
tribunaux portant exécution intégrale du contrat),
l'employeur est dans les faits obligé d'accepter sa
démission. Il est peu probable qu'un employeur,
que ce soit le secteur privé ou la Couronne, conti
nue de payer un employé qui refuse de se rendre
au travail.
Quant aux autres décisions (particulièrement
celle de l'Association canadienne du contrôle du
trafic aérien), je pense que tout ce qu'elles disent
c'est que lorsqu'il existe un code écrit, c'est le texte
de ce code qui prévaut. Ces décisions ne disent pas,
selon moi, que les principes généraux du droit des
obligations ne peuvent pas servir à interpréter les
conditions d'emploi des fonctionnaires engagés en
vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique. Par conséquent, les décisions de la Com
mission des relations de travail dans la Fonction
publique citées en l'espèce n'ont pas eu tort d'utili-
ser comme guide les principes généraux du droit
des obligations. Dans ces décisions, on a jugé que,
pour déterminer si une personne a démissionné, il
faut s'assurer qu'elle avait véritablement l'inten-
tion de le faire (contrairement par exemple, à la
situation où elle aurait été «incitée» par un supé-
rieur à poser un tel geste).
Si je comprends bien l'argument du procureur
des défendeurs, l'article 26 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique et son historique nous
obligent à interpréter le mot «accepte» figurant à
cet article d'une manière très stricte. À cet égard,
il cite l'arrêt Flanagan (H.) c. La Reine et autre,
[1987] 2 C.T.C. 167 dans lequel la Cour d'appel
fédérale a jugé que «l'envoi» (utilisé dans la Loi de
l'impôt sur le revenu) ne comportait pas une obli
gation de «réception». Il mentionne aussi la défini-
tion du mot «accept» (accepte) dans le Webster's
Ninth New Collegiate Dictionary. Cette définition
assimile «accepta (accepte) à «to receive» (rece-
voir). Je note toutefois une autre définition du mot
«accept» (accepte) dans le Webster's Dictionary:
[TRADUCTION] accepte ... donner une réponse favorable à
<' une offre>
Une réponse impliquerait certainement l'obligation
de la communiquer à l'autre partie.
Le procureur de la demanderesse prétend qu'il
doit y avoir communication de l'acceptation et
qu'en l'espèce, elle n'a pas eu lieu parce que (1) il
n'y a eu aucune communication réelle à la deman-
deresse avant qu'elle ne retire sa démission; (2) il
n'y a eu aucune communication implicite de -l'ac-
ceptation car la demanderesse n'a pas fait appel au
bureau de poste comme mandataire pour recevoir
ladite aceptation (elle a utilisé un service de mes-
sagerie pour envoyer sa lettre de démission et sa
lettre de révocation). La jurisprudence relative au
mode de communication des offres et acceptations
est examinée dans Waddams, The Law of Con
tracts (2e éd., 1984), aux pages 68, 70 et 75 79 et
dans Law of Contract de Cheshire and Fifoot (10e
éd., 1981), aux pages 41 49.
Je reviens donc aux questions en l'espèce:
qu'est-ce qui constitue une acceptation («accepte»)
aux fins de l'article 26 de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique; l'acceptation a-t-elle eu lieu,
dans les faits, avant que la demanderesse ne révo-
que sa démission? À mon avis, l'acceptation de la
démission d'un employé exige plus que la simple
signature d'un écrit à cet effet. Je ne crois pas
toutefois devoir me pencher sur la question de
savoir à quel moment exactement le sous-chef est
réputé avoir «accepté» dans tous les cas une démis-
sion, ni quelle doit être la nature de la «communi-
cation» de ladite acceptation. Pour tout dire, je ne
crois pas que l'employé doive réellement recevoir
un avis de l'acceptation avant que cette dernière ne
soit en vigueur. La communication n'est pas néces-
saire aux termes des règles générales de l'offre et
de l'acceptation en droit des obligations et il me
semble qu'une telle exigence irait à l'encontre du
libellé de l'article 26 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique. On dit «accepte par écrit», et
non «communique à l'employé».
En l'espèce, une acceptation par écrit a été
signée par le sous-chef et elle a été postée avant la
réception de la révocation. Ainsi, la lettre d'accep-
tation a été signée par le sous-chef avant qu'il ne
reçoive la lettre de révocation et elle ne pouvait
plus être annulée par celui-ci. Dans ces circons-
tances, je crois que l'acceptation de la démission de
la demanderesse a eu lieu avant que la lettre de
révocation n'ait été reçue.
L'application des règles de la common law con-
cernant la communication par voie postale mène-
rait, à mon avis, à la même conclusion. Dans les
circonstances de l'espèce, (la proximité géographi-
que des parties) l'utilisation de la poste et celle
d'un service de messagerie sont des moyens de
communication essentiellement équivalents. Je ne
crois pas que l'utilisation d'un service de message-
rie par la demanderesse permet de déduire qu'il
s'agissait du mode de communication obligatoire
excluant l'envoi d'une réponse par la poste. Il est
très peu probable que la demanderesse se soit
attendue à une réponse du sous-chef par messager.
Conclusion
La réponse à la question posée conformément à
la Règle 474 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663] est la suivante:
La lettre de Carrière en date du 3 avril 1985
constitue une acceptation réelle et contraignante
de la lettre de démission de Streeting en date du
29 mars 1985.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.