T-1334-86
DRG Inc. (requérante)
c.
Datafile limited et Registraire des droits d'auteur
(intimés)
RÉPERTORIE: DRG INC. C. DATAFILE LTD.
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 21 octobre; Ottawa, 20 novembre 1987.
Droit d'auteur — Demande de radiation des enregistrements
d'étiquettes avec code de couleurs utilisées dans un système de
classement pour repérer facilement les dossiers et les erreurs
de classement — Les étiquettes sont-elles des «œuvres artisti-
ques»? — L'intention de l'auteur est non pertinente — Distinc
tion faite avec les arrêts portant sur les œuvres artistiques
dues à des artisans et les œuvres d'art architecturales
L'expression «œuvre artistique» n'est qu'une description géné-
rale des œuvres énumérées dans l'article — Les étiquettes sont
considérées comme des «gravures» — Elles ne sont pas sim-
plement destinées à une fin utilitaire — C'est le dessin graphi-
que et non le système de classement qui fait l'objet du droit
d'auteur — Les étiquettes sont l'ceuvre originale de l'auteur et
ne reproduisent pas l'ceuvre d'un autre — Le critère de l'origi-
nalité s'applique aux /) brevets et aux 2) modifications
majeures apportées à des œuvres originales — La requérante
ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir que l'intimé n'est
pas l'auteur de l'ceuvre — La divulgation d'une idée dans un
brevet ne peut empêcher qu'une œuvre soit protégée par un
droit d'auteur lorsque celle-ci utilise l'idée.
Dessins industriels — Le dessin graphique des étiquettes
avec code de couleurs utilisées dans un système de classement
fait l'objet d'un droit d'auteur — Le dessin peut, prima facie,
faire l'objet d'un enregistrement en vertu de la Loi sur les
dessins industriels — Plus de 50 copies sont destinées à être
fabriquées par un procédé industriel multiple — Le fait que la
couleur soit un élément essentiel du dessin n'empêche pas son
enregistrement — L'ornementation signifie que le dessin doit
se rapporter à l'apparence de l'article — L'embellissement est
superflu — Le dessin n'est pas seulement fonctionnel —
D'autres dessins pourraient être utilisés — Le dessin est
suffisamment original pour être enregistré — L'art. 46 de la
Loi sur le droit d'auteur empêche l'enregistrement d'un droit
d'auteur.
Il s'agit d'une demande de radiation des enregistrements d'un
droit d'auteur sur des étiquettes avec code de couleurs. Une
certaine couleur apparaissait à l'arrière-plan des chiffres 0 à 9.
La même suite de couleurs était utilisée à l'arrière-plan des
lettres de l'alphabet, mais répétée deux fois (avec un signe
distinctif marquant la deuxième utilisation) pour couvrir les 26
lettres de l'alphabet. La suite de couleurs correspondait généra-
lement au spectre de l'arc-en-ciel avec des tons alternants (pâle,
foncé). Les étiquettes étaient collées sur un dossier et repliées
sur le bord de celui-ci pour ainsi en faciliter le repérage et les
erreurs de classement. Un caractère ordinaire et un mode
d'impression inversé avaient été utilisés pour les chiffres et les
lettres (les lettres et les chiffres étaient en blanc mais la lettre
ou le chiffre, selon le cas, était souligné d'un trait noir). Il
s'agissait de savoir si le dessin pouvait être protégé par un droit
d'auteur, enregistré en vertu de la Loi sur les dessins indus-
triels et par conséquent, non protégé selon l'article 46 de la Loi
sur le droit d'auteur.
Jugement: la requête devrait être accueillie et l'enregistre-
ment radié.
En plus de prétendre que le dessin ne possédait pas les
caractéristiques d'une oeuvre artistique, la requérante soutenait
que le premier critère était l'intention de l'auteur. Puisque
l'artiste n'avait pas eu l'intention de créer une oeuvre d'art, le
dessin n'était pas une oeuvre artistique et ne pouvait donc être
protégée par un droit d'auteur. Les décisions citées à l'appui de
cet argument portaient sur des oeuvres artistiques dues à des
artisans et la loi britannique sur le droit d'auteur, laquelle
établit une distinction entre ces œuvres et les autres types
d'oeuvres artistiques. Dans la loi canadienne, les «oeuvres artisti-
ques» comprennent les oeuvres artistiques dues à des artisans.
La requérante se trompe lorsqu'elle accorde au qualificatif
«artistique» le même sens selon qu'il s'agisse d'«oeuvres artisti-
ques» ou d'«oeuvres artistiques dues à des artisans». Les tribu-
naux ne devraient pas avoir à évaluer ce qui est artistique
puisqu'il s'agit d'une décision subjective. La catégorie générale
des «oeuvres artistiques» n'a pas à satisfaire à un critère du
caractère «artistique» ou n'exige pas une évaluation de l'inten-
tion de l'auteur. L'expression «oeuvre artistique» n'est employée
qu'à titre de description générale des oeuvres mentionnées dans
l'article. Il s'agit d'une description générale des oeuvres qui
acquièrent un sens par un moyen visuel par opposition aux
oeuvres littéraires, musicales ou d'expression dramatique. Si le
dessin graphique de l'intimée n'était pas visé par la catégorie
expressément énumérée des «gravures», il était visé par la
catégorie générale des oeuvres artistiques analogues à la gra-
vure. Dans les deux cas, il n'était pas nécessaire d'évaluer le
caractère «artistique». Le critère de l'intention est non seule-
ment difficile à appliquer mais il n'est pas nécessaire lorsqu'il
s'agit d'oeuvres telles les dessins ou les photographies, la seule
intention pouvant être de constater un événement. Les étiquet-
tes sont un dessin graphique reproduit par un procédé d'impri-
merie. Elles constituent une oeuvre artistique et aucune qualité
d'originalité supérieure à celles des oeuvres littéraires bénéfi-
ciant d'un droit d'auteur n'est requise.
Quant à l'argument que les étiquettes n'étaient que de sim-
ples outils pour introduire un système de classement avec code
de couleurs et qu'elles ne pouvaient faire l'objet d'un droit
d'auteur, c'était le dessin qui faisait l'objet d'un droit d'auteur
et non le système de classement. Le dessin de l'étiquette a été
conçu pour remplir un rôle utilitaire mais cela ne l'empêchait
pas de constituer une «oeuvre artistique» ou d'être protégé par
un droit d'auteur. Plusieurs éléments mentionnés spécifique-
ment dans la Loi sur le droit d'auteur peuvent être destinés
essentiellement à remplir un rôle utilitaire: cartes, graphiques,
photographies, etc.
La requérante a prétendu que l'oeuvre n'est pas suffisamment
originale parce qu'elle n'apporte aucun changement majeur à
l'art existant. Le seul critère applicable à l'originalité est de
déterminer si l'oeuvre constitue une production originale de
l'auteur et non une copie d'une autre oeuvre. Les étiquettes ont
satisfait à ce critère. L'oeuvre provient de l'auteur dans le sens
où elle découle de sa grande expérience. Il ne faut pas confon-
dre le critère applicable à l'originalité en matière de brevets et
en matière de droits d'auteur. L'arrêt Rediffusion, dans lequel
il a été décidé que «un simple choix est insuffisant», est restreint
au contexte dans lequel il s'inscrit et d'ailleurs, l'espèce pré-
sente plus qu'un simple choix. L'exigence selon laquelle les
additions et les améliorations doivent être importantes ne s'ap-
plique que lorsque l'auteur apporte des modifications à une
oeuvre originale.
La requérante ne s'est pas acquittée de son obligation de
prouver que l'intimée n'était pas l'auteur de l'oeuvre.
La requérante a prétendu que l'utilisation relevait du
domaine public parce que le dessin avait été divulgué dans des
brevets antérieurement. La divulgation d'une idée dans un
brevet n'empêche pas une œuvre d'être protégée par un droit
d'auteur lorsque celle-ci utilise l'idée mais qu'elle peut valable-
ment en soi faire l'objet d'un droit d'auteur. Ce n'est pas l'idée
mais la forme de l'expression qui est protégée par un droit
d'auteur.
Le paragraphe 46(1) de la Loi sur le droit d'auteur prévoit
que la Loi ne s'applique pas aux dessins susceptibles d'être
enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels. Le
dessin de l'intimée pouvait prima facie faire l'objet d'un enre-
gistrement en vertu de cette Loi, car plus de 50 copies étaient
destinées à être fabriquées et le modèle devait être reproduit
par un procédé industriel multiple. Le fait que la couleur
constitue un élément essentiel du dessin n'empêche pas celui-ci
d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels.
L'intimée a soutenu que le dessin ne pouvait être enregistré
parce qu'il ne se rapportait pas à ]'«ornementation» d'un article,
c'est-à-dire à son attrait. On a prétendu q::e le dessin représen-
tait une forme visuelle destinée à transmettre un message; qu'il
n'a pas été créé pour l'ornementation. Le terme ornementation
signifie seulement que le dessin doit se rapporter à l'apparence
d'un article. L'obligation d'un dessin de rendre l'article plus
attrayant ne signifie pas que les tribunaux doivent en examiner
la valeur. Cependant, si le caractère attrayant devait être
évalué en l'espèce, le succès commercial des étiquettes en serait
la preuve.
Le dessin des étiquettes n'a pas seulement une fonction
utilitaire dans le sens où ce dessin est le seul qui puisse être
conçu pour remplir cette fonction. Bien que l'usage auquel les
étiquettes sont destinées établisse plus ou moins les limites
quant à leur taille, leur forme, etc., leur fonction ne détermine
pas le dessin dans son ensemble. Plusieurs types de dessins
auraient pu être utilisés.
Le dessin de l'intimée était suffisamment original pour être
enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels. Par
conséquent, l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur s'appli-
quait et l'enregistrement doit être radié.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. II, chap. 74 (R.-U.).
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2,
46.
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8.
Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap.
964, Règle 11.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cimon Limited et al. v. Bench Made Furniture Corpn. et
al., [1965] 1 R.C.E. 811; (1964), 30 Fox Pat. C. 77;
Rotex Ltd. v. Pik Mills Ltd. and Milne and Phillips
(1966), 48 C.P.R. 277 (C. de l'E.); Bayliner Marine
Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986] 3 C.F. 421; 10 C.P.R.
(3d) 289 (C.A.); Re Application for Industrial Design
Registration by Robin R. Byran (1977), 56 C.P.R. (2d)
134 (Comm. d'appel des brevets); P.B. Cow & Coy. Ld. v.
Cannon Rubber Manufacturers Ld., [1959] R.P.C. 240
(Ch.D.); Carr-Harris Products Ltd. v. Reliance Products
Ltd. (1969), 58 C.P.R. 62 (C. de I'E.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Burke & Margot Burke, Ld. v. Spicers Dress Designs,
[1936] Ch. 400; Merlet and Another v. Mothercare plc,
[1986] R.P.C. 115 (Ch.D.); Hensher (George) Ltd. v.
Restawile Upholstery (Lancs.) Ltd., [1975] R.P.C. 31
(H.L.); Hay & Hay Construction Co. v. Sloan et al.
(1957), 27 C.P.R. 132 (H.C. Ont.); Hollinrake v. Trus-
well, [1894] 3 Ch. 420 (C.A.); Cuisenaire v. South West
Imports Limited, [1969] R.C.S. 208; (1968), 57 C.P.R.
76; conf. [1968] 1 R.C.E. 493; (1967), 54 C.P.R. 1;
Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion, Inc.,
[1954] R.C.E. 382; 20 C.P.R. 75; Thomas v. Turner
(1886), 33 Ch.D. 292 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Chabot v. Davies, [1936] 3 All E. R. 221 (Ch.D.);
University of London Press v. University Tutorial Press,
[1916] 2 Ch. 601 (Ch.D.); Secretary of State for War v.
Cope (1919), 36 R.P.C. 273 (Ch.D.).
AUTEURS CITÉS
Fox, Harold G. The Canadian Law of Copyright and
Industrial Designs, 2nd ed. Toronto: The Carswell
Company Limited, 1967.
Russell-Clarke on Copyright in Industrial Designs, 5th
ed. M. Fysh, London: Sweet & Maxwell, 1974.
AVOCATS:
R. Scott Joliffe et Neil R. Belmore pour la
requérante.
Douglas Johnson, c.r. et Frank Farfan pour
l'intimée Datafile Limited.
PROCUREURS:
Gowling and Henderson, Toronto, pour la
requérante.
MacBeth and Johnson, Toronto, pour l'inti-
mée Datafile Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: Le litige en l'espèce est de
déterminer si les étiquettes enregistrées par l'inti-
mée conformément à la Loi sur le droit d'auteur,
S.R.C. 1970, chap. C-30, peuvent vraiment faire
l'objet d'un droit d'auteur. La requérante demande
la radiation de ces enregistrements.
Les enregistrements en question portent les
numéros 333977, [TRADUCTION] «Une série d'éti-
quettes numériques avec code de couleurs compor-
tant les chiffres 0 à 9» et 333976, [TRADUCTION]
«Une série d'étiquettes avec code de couleurs com-
portant les lettres A à Z de l'alphabet pour utilisa
tion dans des systèmes de classement avec code de
couleurs». Les séries d'étiquettes ont été enregis-
trées comme oeuvres artistiques le 30 mai 1984. Le
6 septembre 1976 est indiqué comme première
date de publication.
Bien que l'enregistrement du droit d'auteur
fasse apparaître les étiquettes sous la forme d'une
série (chaque étiquette portant un numéro suit la
précédente dans l'ordre numérique et chaque éti-
quette portant une lettre suit la précédente dans
l'ordre alphabétique), celles-ci ne sont ni vendues
ni utilisées de cette façon. Elles sont vendues sous
forme de rouleaux ou de feuilles, chaque rouleau
ou chaque feuille ne comportant que des étiquettes
relatives à un seul nombre ou à une seule lettre.
Les étiquettes sont destinées à être fixées sur les
dossiers afin de les repérer facilement et d'identi-
fier toute erreur de classement. Ces fonctions sont
assurées par la couleur des étiquettes. Les couleurs
suivantes se trouvent à l'arrière-plan des chiffres
indiqués: rouge pâle — 0; rouge foncé — 1; orange
pâle — 2; orange foncé — 3; vert pâle — 4; vert
foncé — 5; bleu pâle — 6; magenta foncé — 7;
magenta pâle — 8; brun foncé — 9. Cette même
suite de couleurs est utilisée en arrière-plan des
lettres de l'alphabet (par ex.: rouge pâle — A; rouge
foncé — B; etc.). Les étiquettes précédentes (égale-
ment conçues par M. Barber, l'auteur du dessin
faisant l'objet du litige) faisaient état d'une suite
de couleurs semblable, mais en raison du plus
grand nombre de lettres (26) que de chiffres (10),
la série de couleurs devait être répétée trois fois,
un signe distinctif (une barre ou bande) marquant
les deuxième et troisième utilisations.
La série d'étiquettes pour laquelle un droit d'au-
teur est actuellement demandé diffère des précé-
dentes. M. Barber a modifié la_suite de couleurs (il
l'a étendue) de sorte qu'il suffit de l'utiliser deux
fois pour couvrir les 26 lettres de l'alphabet. La
modification a pris la forme suivante: le jaune
(pour les lettres E et Q) a été inséré après l'orange
foncé (pour les lettres D et P); le brun pâle (pour
les lettres L et X) a été ajouté à la fin de la suite,
après le brun foncé (pour les lettres K et W); le
blanc et le gris servent respectivement d'arrière-
plan pour les lettres Y et Z. Il convient de souli-
gner que la suite de couleurs choisie correspond au
spectre de l'arc-en-ciel (rouge, orange, vert, bleu,
magenta) avec des tons alternants (pâle, foncé).
Les étiquettes, tant celles visées par les enregistre-
ments que les précédentes conçues par M. Barber,
ont été délibérément conçues de cette façon. Selon
M. Barber, il était plus facile de se rappeler cette
suite de couleurs prismatiques qu'un agencement
de couleurs plus arbitraire.
Les étiquettes sont destinées à être collées sur un
dossier et repliées sur le bord de celui-ci. Ainsi,
dans un système de classement ouvert, les couleurs
apparaissant sur le bord du dossier permettent
d'identifier facilement les lettres ou les chiffres du
dossier et toute erreur de classement. Les lettres et
les chiffres sont d'une taille et d'une forme qui
permettent facilement à quelqu'un de repérer un
dossier. M. Barber a choisi un caractère ordinaire
pour les lettres et les chiffres et un mode d'impres-
sion inversé (c.-à-d.: les lettres et les chiffres sont
en blanc). Le chiffre ou la lettre, selon le cas, était
ensuite souligné d'un trait noir. L'étiquette était
donc plus claire et plus facile à reconnaître que
dans le cas des étiquettes précédentes. Son témoin
expert, (Mme Karen Okada), a décrit avec conci-
sion l'effet visuel provoqué par les étiquettes:
[TRADUCTION] Une étiquette conçue par Datafile ... transmet
son message numérique par l'intermédiaire de modes (la cou-
leur -et le chiffre lui-même) qui se fusionnent pour ne former
qu'une représentation. L'agencement est tel que l'ceil aperçoit
immédiatement le chiffre. La couleur ne masque pas le chiffre
et en même temps le chiffre ne nuit pas à la couleur.
La requérante demande la radiation de l'enre-
gistrement pour les motifs suivants: (1) le dessin
ne peut faire l'objet d'un droit d'auteur puisqu'il
ne possède pas les caractéristiques d'une oeuvre
artistique; (2) le dessin ne peut faire l'objet d'un
droit d'auteur puisqu'il s'agit essentiellement d'un
outil fonctionnel; (3) l'ceuvre n'est pas suffisam-
ment originale puisqu'elle n'apporte aucun change-
ment majeur à l'article existant; (4) l'auteur men-
tionné n'est pas l'auteur de l'oeuvre; (5) l'«ceuvre» a
fait l'objet de brevets antérieurs et a donc été
rendue publique; (6) le dessin peut être enregistré
sous le régime de la Loi sur les dessins industriels,
S.R.C. 1970, chap. I-8, et ne peut donc être pro-
tégé par un droit d'auteur en raison de l'applica-
tion de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur.
Je me prononcerai d'abord sur l'argument selon
lequel l'ceuvre ne peut faire l'objet d'un droit
d'auteur parce qu'elle ne possède pas les caracté-
ristiques d'une «oeuvre artistique». A l'appui de cet
argument, le passage suivant est tiré de la décision
Burke & Margot Burke, Ld. v. Spicers Dress
Designs, [ 1936] Ch. 400, à la page 408:
[TRADUCTION] ... la signification du terme «artistique»,
comme l'indique l'Oxford English Dictionary, se rapporte à un
artiste. Le même dictionnaire définit l'artiste comme étant:
«Celui qui pratique l'un des beaux-arts dont l'objectif est
essentiellement de mettre en relief les sentiments esthétiques
par la perfection de l'exécution d'une création ou d'une
représentation.»
La requérante propose que des critères comme les
suivants soient appliqués: (1) l'ceuvre visée est-elle
une œuvre d'art? (2) l'artiste avait-il l'intention
réelle de créer une oeuvre d'art? (3) une partie
importante du public apprécierait-elle véritable-
ment l'objet pour son apparence et en tirerait-elle
une satisfaction intellectuelle ou affective? Les
décisions suivantes sont citées à l'appui de ces
propositions: Merlet and Another v. Mothercare
plc, [1986] R.P.C. 115 (Ch.D.) et Hensher
(George) Ltd. v. Restawile Upholstery (Lancs.)
Ltd., [1975] R.P.C. 31 (H.L.). Selon l'avocat,
l'application de critères mentionnés plus haut n'en-
traîne pas l'obligation de décider si l'oeuvre pos-
sède ou non une valeur artistique. Il prétend que la
question de la valeur n'est pas pertinente mais que
le critère principal devant être appliqué est l'inten-
tion de l'artiste. Il prétend donc qu'en l'espèce
l'auteur de l'ceuvre avait l'intention de créer un
objet utilitaire et non une œuvre d'art et que, par
conséquent, l'oeuvre produite n'est pas une oeuvre
artistique et ne devrait pas être protégée par un
droit d'auteur.
Cet argument me donne beaucoup de mal. Pre-
mièrement, les décisions Burke, Merlet et Hensher
précitées portent sur des oeuvres artistiques dues à
des artisans et ne concernent que la législation du
Royaume-Uni sur le droit d'auteur. Deux de ces
décisions, Merlet et Hensher, portent sur le para-
graphe 3(1) de la Copyright Act, 1956 [4 & 5
Eliz. II, chap. 74 (R.-U.)] du Royaume-Uni. Ce
paragraphe précise clairement que le critère appli
cable aux oeuvres artistiques dues à des artisans est
différent de celui applicable aux autres oeuvres
artistiques visées par la loi:
[TRADUCTION] 3.—(1) Dans la présente loi, «oeuvre artisti-
que» désigne l'une ou l'autre des oeuvres suivantes,—
a) la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure et la
photographie, sans égard à leur valeur artistique;
b) les oeuvres architecturales, qu'il s'agisse des édifices ou
des plans de ceux-ci;
c) les œuvres artistiques dues à des artisans qui ne sont pas
visées par les alinéas précédents. [C'est moi qui
souligne.]
La disposition de la loi canadienne applicable est
évidemment rédigée en d'autres termes (elle s'ins-
pire du texte précédant celui du Royaume-Uni de
1957):
2....
«oeuvre artistique» comprend les oeuvres de peinture, de dessin,
de sculpture et les œuvres artistiques dues à des artisans,
ainsi que les oeuvres d'art architecturales, les gravures et
photographies;
Il ressort des remarques incidentes de la décision
Burke que les tribunaux peuvent être obligés de
décider si une oeuvre est «artistique» en regard des
oeuvres artistiques dues à des artisans, mais le
fondement de cette décision repose sur la pater-
nité. En l'espèce, le tribunal a refusé de reconnaî-
tre un droit d'auteur au premier créateur de la
robe en question puisque, dans les faits, celui-ci
n'était pas l'auteur du modèle, mais l'avait repro-
duit à partir d'un modèle original dessiné par un
tiers.
Si je comprends bien les arguments de l'avocat,
l'«oeuvre artistique» visée par la loi canadienne sur
le droit d'auteur doit revêtir un caractère «artisti-
que» (c.-à-d. qu'il faut examiner l'intention de
l'auteur et déterminer s'il avait l'intention de créer
une oeuvre d'art). S'il en est autrement, l'avocat
prétendrait alors à titre de règle générale que les
oeuvres artistiques non énumérées, c.-à-d. celles
qui ne peuvent être appelées des peintures, des
dessins, des sculptures, des gravures ou des photo-
graphies, doivent à tout le moins répondre à ce
critère. (Les oeuvres artistiques dues à des artisans
et les oeuvres d'art architecturales seraient égale-
ment visées par la catégorie d'oeuvres qui doit
répondre à ce critère en raison des termes de la
Loi.)
Par conséquent, l'avocat soutient que ou bien
toute la catégorie d'oeuvres artistiques doit répon-
dre au critère du caractère «artistique» et les éti-
quettes de l'intimée n'y répondent pas, ou bien les
oeuvres artistiques non énumérées (ainsi que les
catégories énumérées d'oeuvres artistiques dues à
un artisan et d'oeuvres architecturales) doivent
répondre à ce critère et l'oeuvre de l'intimée s'ins-
crit dans la catégorie non énumérée. Dans les deux
cas, l'avocat soutient que les oeuvres ne répondent
pas au caractère «artistique». Il convient de souli-
gner que cet argument s'appuie sur une conception
de la définition d'«oeuvre artistique» contenue dans
la Loi selon laquelle les peintures, les dessins, les
sculptures, les gravures et les photographies sont
réputés artistiques, mais selon laquelle le caractère
«artistique» des autres types d'oeuvres doit être
établi. Il est évident que ces arguments s'appuient
sur l'hypothèse que le qualificatif «artistique», tel
qu'il s'applique à l'ensemble de la catégorie de
l'«oeuvre artistique», est utilisé dans le même sens
que dans l'expression «oeuvres artistiques dues à
des artisans».
Demander aux tribunaux de décider ce qui est
«artistique», qu'il ne s'agisse que d'oeuvres artisti-
ques dues à un artisan, d'oeuvres architecturales et
d'oeuvres non énumérées, ou d'oeuvres comprises
dans la catégorie plus large de l'«oeuvre artistique»,
ne s'avère pas une solution souhaitable. Par exem-
ple, je constate que la tentative de la Chambre des
lords d'agir ainsi dans l'affaire Hensher portant
sur une oeuvre artistique due à un artisan a conduit
aux résultats qui peuvent se résumer ainsi. Selon
lord Reid, un objet est artistique si une partie
importante du public l'admire et l'apprécie vérita-
blement pour son apparence et en tire une satisfac
tion ou un plaisir sur les plans intellectuel ou
affectif (page 54). Selon lord Morris of Borth -Y-
Gest, les aspects distinctifs du dessin et l'habileté
de l'exécution ou les caractéristiques distinctives
de la forme et du fini ne rendraient pas une oeuvre
artistique sans [TRADUCTION] «l'apport d'un élé-
ment additionnel et différent»; l'objet doit être jugé
en tant que tel, sans égard à l'opinion du créateur
ou du propriétaire éventuel; il faut se poser la
question [TRADUCTION] «l'oeuvre possède-t-elle un
caractère ou une valeur artistique?» et le tribunal
devrait s'appuyer sur le témoignage d'un expert
(page 57). Selon le vicomte Dilhorne, il faut accor-
der aux termes de l'expression «oeuvres artistiques
dues à des artisans» leur sens ordinaire et le juge
devrait s'appuyer sur le témoignage d'un expert,
mais il ne suffit pas qu'une partie du public juge
l'oeuvre artistique (page 62). Selon lord Simon, le
critère de la valeur artistique n'est pas pertinent
pour déterminer l'existence d'une oeuvre artistique
due à un artisan; il faut plutôt savoir si l'ceuvre est
la création d'un artisan et, pour ce faire, l'opinion
d'experts (c.-à-d. d'autres artisans) est nécessaire
(page 69). Selon lord Kilbrandon, le premier cri-
tère est l'intention du créateur de créer une oeuvre
d'art et non la réaction du public (page 71). Il a
également ajouté qu'en tenant compte des deux
décisions des instances inférieures, de l'opinion des
avocats des parties et des cinq arrêts de la Cham-
bre des lords, neuf critères portant sur ce que
signifie le terme «artistique» et comment décider
qu'une œuvre l'est avaient été rejetés.
La décision Hay & Hay Construction Co. v.
Sloan et al. (1957), 27 C.P.R. 132 (H.C. Ont.)
constitue un autre exemple où le tribunal a tenté
de définir le terme «artistique» ou plutôt «ceuvre
d'art» dans le domaine de l'architecture. En l'es-
pèce, le tribunal a conclu qu'il n'avait pas à déci-
der si l'édifice était beau ou laid sur le plan
esthétique mais qu'il devait plutôt tenir compte de
l'intention du créateur. Le tribunal a déclaré que
s'il y avait une intention de créer quelque chose de
beau ou de ravissant et qu'il existait une originalité
au sens de la décision Chabot v. Davies, [1936] 3
All E. R. 221 (Ch.D.), l'édifice pouvait faire l'ob-
jet d'un droit d'auteur.
En examinant maintenant la définition d'«oeuvre
artistique» contenue à l'article 2 de la Loi sur le
droit d'auteur, je m'abstiens de décider si les
tribunaux doivent se prononcer sur le caractère
«artistique» des oeuvres architecturales ou des
oeuvres artistiques dues à des artisans. Il n'est pas
nécessaire de se prononcer sur cette question bien
qu'il faille souligner que la Loi canadienne reflète
la Loi de 1911 du Royaume-Uni où la jurispru-
dence semblait l'exiger. De plus, le tribunal, dans
la décision Hay, précitée, a partagé cet avis et s'est
efforcé de trouver un critère approprié.
Même si les oeuvres architecturales et les oeuvres
artistiques dues à des artisans doivent être évaluées
en fonction d'un critère relatif au caractère «artis-
tique» (établi dans les décisions Hensher, Merlet
ou Hay), je refuse de soumettre la catégorie géné-
rale des oeuvres artistiques à ce critère. Je refuse
d'accorder au terme «artistique» le même sens
selon qu'il s'agisse d'«oeuvres artistiques» ou d'«ceu-
vres artistiques dues à des artisans», c'est-à-dire de
décider si, dans le dernier cas, le caractère «artisti-
que» doit être déterminé selon les décisions Hens-
her, Merlet ou Hay. À mon avis, l'expression
«oeuvre artistique» n'est employée qu'à titre de
description générale des oeuvres qui suivent. Il
s'agit d'une description générale des oeuvres qui
acquièrent un sens par un moyen visuel par opposi
tion aux oeuvres littéraires, musicales, ou d'expres-
sion dramatique.
En ce qui concerne maintenant les dessins d'éti-
quettes de l'intimée, j'estime d'abord qu'ils sont
compris dans la catégorie des oeuvres énumérées
dans la définition d'oeuvres artistiques. Ils s'insè-
rent dans la catégorie des «gravures»; selon l'article
2, ce terme comprend:
2....
... les gravures à l'eau-forte, les lithographies, les gravures sur
bois, les estampes et autres oeuvres similaires, à l'exclusion des
photographies; [C'est moi qui souligne.]
Au paragraphe 22 de son affidavit, M. Barber
affirme que [TRADUCTION] «chaque étiquette ..
est une gravure de couleur imprimée sur papier
blanc sous presse d'imprimerie par clichés ou gra-
vures». Ce témoignage n'a pas été contredit.
Si je fais erreur et que l'ceuvre de l'intimée, que
je qualifierais de dessin graphique, ne soit pas visée
par la catégorie expressément énumérée des «gra-
vures», je déciderais alors qu'elle est visée par la
catégorie générale des oeuvres artistiques analo
gues à la gravure. Pour les motifs qui précèdent,
j'estime que, dans les deux cas, il n'est pas néces-
saire d'évaluer le caractère «artistique» selon les
recherches entreprises par la Chambre des lords
dans la décision Hensher, ni même de l'évaluer par
renvoi à un critère plus restreint en déterminant,
comme le propose l'avocat, si l'intention de l'au-
teur au moment de la création était de créer une
oeuvre d'art. À cet égard, je souligne que le critère
de l'intention est non seulement difficile à appli-
quer mais qu'il n'est certes pas nécessaire lorsqu'il
s'agit d'oeuvres telles les dessins ou les photogra-
phies (la seule intention pouvant être de constater
un événement). L'oeuvre de l'intimée est un dessin
graphique reproduit par un procédé d'imprimerie.
A ce titre, il s'agit d'une oeuvre artistique pouvant
faire l'objet d'un droit d'auteur et aucune qualité
d'originalité supérieure à celle des oeuvres littérai-
res bénéficiant d'un droit d'auteur n'est requise:
University of London Press v. University Tutorial
Press, [1916] 2 Ch. 601 (Ch.D.), à la page 610.
Qu'en est-il de l'argument selon lequel l'oeuvre
ne peut être protégée par un droit d'auteur parce
qu'elle est essentiellement destinée à une fin utili-
taire. Les décisions Hollinrake v. Truswell, [1894]
3 Ch. 420 (C.A.) et Cuisenaire v. South West
Imports Limited, [1969] R.C.S. 208; (1968), 57
C.P.R. 76 sont citées. Dans la décision Hollinrake
v. Truswell, le tribunal a décidé que le patron
d'une manche ne pouvait faire l'objet d'un droit
d'auteur puisque les lettres ou caractères qui y
étaient apposés ne pouvaient faire l'objet d'une
publication distincte:
[TRADUCTION] ... ce n'est pas une publication complète en soi;
mais seulement une instruction qui doit être comprise et utilisée
avec l'outil ou la machine; à mon avis, cette instruction ne peut
être séparée de l'outil ou la machine dont elle fait véritablement
partie ...
Lorsque la véritable nature de l'objet est déterminée, elle
s'avère être un outil ou un instrument de mesure ...
L'appelante tente vraiment de s'approprier le monopole de sa
méthode de mesure des manches de robes sous le couvert d'une
demande de droit d'auteur en matière littéraire.
Et dans la décision Cuisenaire v. South West
Imports Limited [aux pages 211 R.C.S.; 79
C.P.R.]:
[TRADUCTION] . les réglettes ne sont qu'un moyen pratique
d'utiliser la méthode et de la présenter dans une forme concrète
aux jeunes enfants. L'oeuvre ou la production «originale»,
qu'elle soit qualifiée de littéraire, d'artistique ou de scientifique
était le livre. En voulant obtenir un droit d'auteur sur les
»réglettes» décrites dans son livre et non sur le livre lui-même,
l'appelant se heurte au principe formulé par le lord juge Davey
dans l'affaire Hollinrake v. Truswell .. .
L'avocat soutient que les étiquettes mentionnées
dans l'enregistrement du droit d'auteur de l'inti-
mée ne sont rien de plus qu'un moyen ou un outil
pour introduire un système de classement avec
code de couleurs. À ce titre, elles ne peuvent faire
l'objet d'un droit d'auteur.
Il est facile de distinguer les décisions Hollin-
rake et Cuisenaire du litige en l'espèce. La déci-
sion Hollinrake portait sur un «tableau de mesure
de manches» que le tribunal a qualifié d'instru-
ment de mesure (semblable à une règle). Le tribu
nal a déclaré que les lettres et les chiffres inscrits
sur l'instrument faisaient partie de l'instrument de
mesure et ne constituaient pas une production
littéraire. De même, dans la décision Cuisenaire, le
tribunal a déclaré que les réglettes colorées étaient
des outils pour introduire la technique d'enseigne-
ment de l'appelant mais ne pouvaient être compa
rées à une oeuvre artistique ou littéraire. Je souli-
gne que dans sa décision, [1968] 1 R.C.É. 493;
(1967), 54 C.P.R. 1, aux pages 516 R.C.É.; 23 et
24 C.P.R., le juge Noël établit une distinction
entre les réglettes et les cartes mnémotechniques
utilisées comme support éducatif à l'enseignement
de l'arithmétique. Les cartes mnémotechniques
comportaient des mots, des nombres et des dessins:
[TRADUCTION] Dans la décision précitée, les cartes consti-
tuaient cependant une oeuvre littéraire ou graphique, ce qui la
distingue de l'espèce où les réglettes de l'appelante ne peuvent
être comparées à une oeuvre artistique ou littéraire à moins
qu'on puisse affirmer qu'elles reproduisent les instructions écri-
tes contenues dans le livre de l'appelant intitulé Les nombres en
couleurs. Celui-ci contient un tableau et notamment, une série
de cercles ordinaires et colorés qui sont chiffrés et disposés sous
la forme d'un tableau. Les réglettes ne peuvent cependant
constituer un tableau puisqu'elles ne sont pas de la nature de
celui-ci ou d'une compilation et, par conséquent, ne reprodui-
sent pas les instructions écrites contenues dans son livre.
En ce qui concerne la demande d'un droit d'auteur
en matière artistique, le juge Noël a dit, aux pages
514 R.C.É.; 21 et 22 C.P.R.:
[TRADUCTION] Les réglettes sont de toute évidence des outils
et rien de plus, comme les couleurs sont des outils pour
apprendre aux enfants à peindre. Elles n'ont de sens que
lorsqu'elles sont associées à un concept qui en lui-même ne peut
faire l'objet d'un droit d'auteur.
À mon avis, une oeuvre artistique doit, dans une certaine
mesure au moins, susciter un intérêt pour le sens esthétique et
non un intérêt secondaire comme en l'espèce; cet intérêt doit
constituer un des objectifs importants de la création de ]'oeuvre.
En l'espèce, on ne prétend pas que ce sont les
étiquettes elles-mêmes qui sont l'objet du droit
d'auteur (c'est le dessin qui s'y trouve). Le droit
d'auteur n'est pas demandé pour le dossier ni pour
l'étiquette. Il est demandé pour le dessin graphi-
que. À mon avis, cette situation est semblable à
celle des cartes mnémotechniques mentionnées par
le juge Noël. Malgré les arguments contraires de
l'avocat, ce n'est pas le système de classement avec
code de couleurs qui est protégé par le droit d'au-
teur. C'est le dessin de l'étiquette. En effet, rien
n'empêche la requérante de concevoir des étiquet-
tes compatibles avec le système de classement de
l'intimée dans la mesure où elle ne reproduit pas
les étiquettes de celle-ci. À cet égard, je souligne
que plus une oeuvre protégée par un droit d'auteur
est simple, plus la copie de celle-ci doit être par-
faite pour constituer une violation de ce droit.
Il est vrai que lors de la conception des étiquet-
tes l'aspect utilitaire était un élément très impor
tant. Nul doute que leur efficacité (et le désir de la
requérante de les plagier) découle du fait que les
caractéristiques du dessin (l'équilibre, la forme, la
couleur, la taille des chiffres et des lettres, etc.), se
combinent pour créer un effet visuel particulière-
ment efficace. Je ne peux cependant affirmer que
parce que le dessin et son aspect utilitaire se
confondent (obligatoirement), le dessin ne peut
alors être protégé par un droit d'auteur. Je remar-
que que plusieurs éléments mentionnés expressé-
ment dans la Loi sur le droit d'auteur peuvent être
destinés essentiellement à remplir un rôle fonction-
nel: les cartes, les graphiques, les photographies,
les édifices architecturaux, les œuvres artistiques
dues à des artisans. Je cite lord Simon dans la
décision Hensher, à la page 68:
[TRADUCTION] Et pour un seul acheteur, les motifs peuvent
être tellement enchevêtrés qu'il est impossible d'affirmer quel a
été l'élément déclencheur de l'acquisition.
L'étiquette a été conçue pour remplir un rôle
utilitaire. Cela ne l'empêche pas de constituer une
«oeuvre artistique»» ou d'être protégée par un droit
d'auteur.
L'argument de l'avocat selon lequel l'ceuvre
n'est pas suffisamment originale puisqu'elle n'ap-
porte aucun changement majeur à l'art existant est
le suivant:
[TRADUCTION] Les étiquettes de l'intimée n'ont rien d'origi-
nal. Celles qui existaient avant la création de l'«ceuvre» de
l'intimée comportaient tous les éléments de ses étiquettes,
notamment la même taille, la même forme, les mêmes plis, le
même caractère, la même association de couleurs et de chiffres
et la même suite de couleurs «prismatiques». La seule petite
modification a trait aux étiquettes alphabétiques de l'intimée
auxquelles les couleurs jaune, brun pâle, blanc et gris ont été
ajoutées à la suite de couleurs précédente.
Il est vrai que tous les éléments des étiquettes de
l'intimée, à l'exception de la modification de la
séquence prismatique, sont présents dans les éti-
quettes antérieures. Il faut cependant regrouper
plusieurs étiquettes différentes pour retrouver tous
les éléments. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un
critère pour évaluer l'originalité que doit compor-
ter une oeuvre en matière de droits d'auteur. Il
s'agit d'un critère applicable en matière de brevets.
Dans le domaine du droit d'auteur, le critère,
comme nous l'avons mentionné précédemment, est
de déterminer si l'oeuvre constitue une production
originale de l'auteur. L'avocat prétend que, pour
obtenir un droit d'auteur, l'auteur doit avoir
démontré [TRADUCTION] «beaucoup d'habileté, de
zèle ou d'expérience» (voir Fox, The Canadian
Law of Copyright and Industrial Designs, 2 e éd.,
Toronto: The Carswell Company Limited, 1967, à
la page 4); [TRADUCTION] «un simple choix est
insuffisant pour constituer un droit d'auteur» (voir
la décision Canadian Admiral Corpn. Ltd. v.
Rediffusion, Inc., [1954] R.C.E. 382, la page
395; 20 C.P.R. 75, la page 87); [TRADUCTION]
«Si une oeuvre artistique ne représente qu'une
simple reproduction comportant quelques amélio-
rations ou modifications négligeables, il ne s'agit
pas d'une oeuvre originale, mais si les additions et
les améliorations sont importantes, il peut y avoir
un droit d'auteur» (voir Fox, supra, à la page 152).
En ce qui concerne le premier critère, nul doute
que l'oeuvre provient de l'auteur dans le sens où
elle découle de sa grande expérience. À l'égard de
l'affirmation selon laquelle «un simple choix est
insuffisant», j'estime qu'elle doit être replacée dans
le contexte de la décision Rediffusion. Selon le
fondement de la décision, la télédiffusion ne revê-
tait pas de forme matérielle fixe et, par consé-
quent, ne pouvait faire l'objet d'un droit d'auteur.
L'affirmation selon laquelle «un simple choix est
insuffisant» pour constituer un droit d'auteur s'in-
sère mal avec les autres décisions jurisprudentielles
qui ont conclu que des tableaux, des compilations
et d'autres oeuvres de même nature peuvent être
protégés par un droit d'auteur. Par conséquent,
j'estime qu'il ne s'agit pas d'un critère très utile
lorsqu'il est employé en dehors du contexte de la
décision où il s'inscrit. De plus, l'espèce présente
plus qu'un simple choix dans le sens où ce terme
est utilisé dans la décision Rediffusion.
L'exigence selon laquelle les additions et les
améliorations doivent être importantes peut s'ap-
pliquer lorsque l'auteur apporte des modifications
à une oeuvre qu'il a plagiée (par ex., des variations
sur un thème musical; des résumés d'un ouvrage
littéraire). A ce sujet, Fox cite l'arrêt Thomas v.
Turner (1886), 33 Ch.D. 292 (C.A.). Cet arrêt
porte sur le droit d'un auteur d'obtenir un droit
d'auteur non seulement sur la première édition de
son ouvrage mais également sur les deuxième et
troisième éditions, etc. Cet arrêt a été rendu sous
le régime de la Copyright Act 1842 [5 & 6 Vict.,
chap. 45] du Royaume-Uni de l'époque, laquelle
exigeait l'enregistrement du droit d'auteur préala-
blement à toute action intentée en violation de
celui-ci et prévoyait que la durée du droit d'auteur
était de 42 ans à compter de la date de la première
publication de l'ouvrage. Cet arrêt n'a aucune
application en l'espèce.
À mon avis, l'oeuvre de l'intimée répond au
critère de l'originalité qui s'applique: c'était l'oeu-
vre originale de l'auteur; ce n'était pas la reproduc
tion d'une autre oeuvre.
La requérante soutient que M. Barber, inscrit
sur l'enregistrement comme auteur de l'oeuvre, ne
l'est pas en réalité. Il soutient que l'«oeuvre» n'était
rien de plus qu'un ordre donné aux imprimeurs de
créer des étiquettes comportant certaines couleurs
en arrière-plan, certaines couleurs de chiffres et de
lettres (blanc sur fond noir) d'un certain caractère
et d'une certaine taille. Par conséquent, il n'exis-
tait aucune oeuvre «fixe» créée par M. Barber et
pour obtenir un droit d'auteur, l'auteur doit fixer
l'oeuvre sous une certaine forme matérielle. L'avo-
cat soutient que, si l'oeuvre peut faire l'objet d'un
droit d'auteur, c'est l'imprimeur qui en est
l'auteur.
Je n'accepte pas cet argument. L'intimée pos-
sède un droit d'auteur enregistré. Puisque c'est la
requérante qui a introduit la présente instance, elle
a le fardeau de la preuve. L'oeuvre a d'abord été
publiée en 1976. Si je comprends bien la preuve
(telle que l'avocat l'a présentée), même si M.
Barber ne peut retrouver tous les documents, il a
témoigné qu'il existait, à l'époque, une certaine
esquisse du dessin. Il a produit l'ordre expédié aux
imprimeurs. À la lumière de cette preuve, je ne
crois pas que la requérante s'est acquittée de son
obligation de prouver que M. Barber n'est pas
l'auteur de l'oeuvre.
Qu'en est-il maintenant de l'argument selon
lequel l'utilisation d'une suite de couleurs prismati-
ques pour repérer les dossiers relève du domaine
public parce qu'elle a été divulguée dans deux
brevets déposés par M. Barber. Les deux brevets
en question sont les suivants: le brevet canadien n°
843183 intitulé [TRADUCTION] «Répertoire d'indi-
cateurs de système de classement et méthode de
production», dont la date de demande est le 7 juin
1966 et le brevet canadien n° 925764 intitulé [TRA-
DUCTION] «Répertoire d'indicateurs alphabétiques
avec code de couleurs», dont la date de demande
est le ler mai 1970. Les deux brevets portent sur
une méthode de classement et d'impression de
cartes comportant des couleurs et des chiffres et
devant être apposées sur des dossiers pour les
repérer. Comme je l'ai signalé à l'avocat à l'au-
dience, je n'accorde pas beaucoup de poids à cet
argument. Je ne vois pas pourquoi la divulgation
d'une idée dans un brevet (l'utilisation d'une suite
de couleurs prismatiques) peut empêcher qu'une
oeuvre soit protégée par un droit d'auteur lorsque
celle-ci utilise l'idée mais constitue en soi l'objet
d'un droit d'auteur. L'idée ne peut être protégée
par un droit d'auteur. C'est la forme de l'expres-
sion qui peut l'être. Le fait que l'idée de la suite de
couleurs prismatiques soit utilisée dans la création
de cette forme d'expression ne confère pas de droit
d'auteur à l'égard de l'idée ni n'empêche que le
dessin créé à partir de celle-ci fasse l'objet d'un
droit d'auteur.
Il est maintenant nécessaire d'examiner le para-
graphe 46(1) de la Loi sur le droit d'auteur qui
représente l'obstacle le plus sérieux pour l'intimée.
Ce paragraphe prévoit:
46. (1) La présente loi ne s'applique pas aux dessins suscep-
tibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins
industriels, à l'exception des dessins qui, tout en pouvant être
enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas
destinés à servir de modèles ou d'échantillons, pour être multi-
pliés par un procédé industriel quelconque.
Le dessin de l'intimée peut, prima facie, faire
l'objet d'un enregistrement en vertu de la Loi sur
les dessins industriels [S.R.C. 1970, chap. I-8].
Plus de 50 copies sont destinées à être fabriquées
et le modèle doit être reproduit par un procédé
industriel multiple. L'intimée soutient que le
dessin de l'étiquette ne peut être enregistré sous le
régime de cette Loi parce que (1) la couleur
constitue un élément essentiel du dessin et la cou-
leur ne peut en soi faire l'objet d'un dessin indus-
triel; (2) l'assortiment des étiquettes ne possède
pas une apparence fixe puisqu'il s'agit d'une col
lection d'étiquettes et la série ne répond pas aux
conditions du paragraphe 11(2) des Règles régis-
sant les dessins industriels [C.R.C., chap. 964]
parce que toutes les étiquettes ne comportent pas
«le même dessin avec ou sans modification»; (3) les
dessins industriels sont destinés à ornementer un
article et, par conséquent, ils ont pour fonction de
rendre l'apparence de l'article plus attrayante; (4)
un dessin industriel doit avoir un niveau d'origina-
lité supérieur à une oeuvre visée par un droit
d'auteur et ce niveau d'originalité n'existe pas en
l'espèce.
En ce qui concerne l'argument selon lequel la
couleur ne peut faire l'objet d'un dessin industriel,
l'avocat de l'intimée cite les auteurs Fysh, M.,
Russell-Clarke on Copyright in Industrial
Designs, 5 » éd. (1974) et Fox, (précité) à la page
660. L'avocat de la requérante cite les décisions
Rotex Ltd. v. Pik Mills Ltd. and Milne and
Phillips (1966), 48 C.P.R. 277 (C. de l'É.) et
Secretary of State for War v. Cope (1919), 36
R.P.C. 273 (Ch.D.) à titre d'exemples de décisions
dans lesquelles la couleur faisait partie du dessin.
J'ai lu la doctrine et la jurisprudence citées et
j'estime que le droit est correctement exposé dans
l'édition Fysh de Russell-Clarke, à la page 32:
[TRADUCTION] Le vérificateur-adjoint soulignait dans sa
décision portant sur l'Associated Colour Printers' Application
que si la couleur faisait partie des éléments dont il fallait
normalement tenir compte en tant que partie du dessin, il serait
pratiquement impossible d'assurer une réelle protection au
dessin d'un échantillon parce qu'il serait nécessaire d'enregis-
trer toutes les combinaisons possibles de couleurs de l'échantil-
lon. Autrement, les concurrents pourraient utiliser l'échantillon
avec des couleurs qui ne figurent pas dans l'enregistrement sans
encourir de risques. Il semblerait alors que la couleur doive,
prima facie, être ignorée. En d'autres termes, de simples diffé-
rences de couleurs peuvent être considérées comme des «varian-
tes commerciales» qui ne modifient pas l'identité du dessin.
Cependant, dans certaines situations exceptionnelles (par ex.,
un foulard de soie chiné), il est possible que les couleurs et leur
agencement fassent partie du dessin, surtout si la demande fait
ressortir cet aspect.
Il est faux d'affirmer que la couleur ne peut
jamais constituer un élément important d'un dessin
industriel. Dans certains dessins, comme dans l'af-
faire Rotex où le juge en chef Thurlow devait se
prononcer sur un tissu écossais, la couleur repré-
sente un élément essentiel. Ce n'est pas parce que
la couleur constitue un élément important du
dessin de l'intimée que la Loi sur les dessins
industriels ne peut accorder une protection adé-
quate à celui-ci.
Je ne saisis pas le deuxième argument de l'inti-
mée quant au motif pour lequel le dessin des
étiquettes ne peut être enregistré en vertu de la Loi
sur les dessins industriels. À mon avis, le paragra-
phe 11(2) des Règles ne s'applique pas en l'espèce:
11. (1) Un dessin est censé servir de modèle ou d'échantillon
destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque au
sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur,
a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit
dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles
dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être
reproduit, ne forment ensemble qu'un seul assortiment tel
qu'il est défini au paragraphe (2); et
b) lorsque le dessin doit être appliqué à
(i) des tentures de papier peint,
(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou
vendus à la mesure ou à la pièce,
(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à
la mesure ou à la pièce, et
(iv) de la dentelle qui n'est pas faite à la main.
(2) Aux fins du présent paragraphe, «assortiment» signifie
un groupe d'articles du même genre généralement mis en vente
ensemble, ou destinés à servir ensemble, tous portant le même
dessin sans modification ou, si modification il y a, sans que
l'article en souffre dans sa nature ou sans que son identité en
soit modifiée d'une manière appréciable.
L'objectif du paragraphe 11(2), examiné conjoin-
tement avec le paragraphe 11(1), est d'éviter que
des articles qui forment un assortiment soient pris
individuellement et constituent plus de 50 articles.
Par exemple, un ensemble de pièces de jeu de
dames ne sera pas visé par le paragraphe 11(1) des
Règles à moins que 50 ensembles ne soient
fabriqués.
L'intimée soutient que le dessin ne peut être
enregistré puisque celui-ci ne se rapporte pas à
l'«ornementation» d'un article. Cet argument s'ap-
puie sur la décision du président Jackett dans
l'arrêt Cimon Limited et al. v. Bench Made Furni
ture Corpn. et al., [1965] 1 R.C.É. 811; (1964), 30
Fox Pat. C. 77, particulièrement aux pages 831
R.C.É.; 95 Fox Pat. C.:
[TRADUCTION] Le genre de dessin enregistrable est donc celui
qui est «appliqué» à «d'ornementation» d'un article. Il doit donc
se rapporter à l'apparence de l'article ou d'une de ses parties,
car l'ornementation concerne l'aspect extérieur. Il doit avoir
pour but de rendre l'article plus attrayant, car c'est le but
même de tout ornement. Il ne peut s'agir d'un élément détermi-
nant de la nature même de l'article (par opposition au simple
aspect extérieur) ou de la méthode applicable à sa fabrication.
En d'autres termes, le dessin ne peut créer un droit de mono-
pole sur «un produit» ou «une méthode» ... [C'est moi qui
souligne.]
Il convient de souligner que dans l'extrait précé-
dent, le président Jackett a placé les termes «l'or-
nementation» et «appliqué» entre guillemets. Et ce
probablement parce que, interprétés dans un con-
texte différent, ces termes peuvent signifier que,
pour qu'un dessin soit qualifié comme tel, il doit
apporter un embellissement superflu à l'article ou
quelque chose devant y être «apposé». Il n'en est
certes pas ainsi selon la décision du président
Jackett. C'était la forme d'un divan qui faisait
l'objet du litige dans cette affaire. La forme faisait
partie intégrante de l'article. Le président Jackett
a déclaré que les conditions d'être «appliqué» à
«l'ornementation» signifiaient seulement que le
dessin devait se rapporter à l'apparence d'un arti
cle. Si l'on examine le genre de dessins habituelle-
ment protégés par la Loi sur les dessins indus-
triels, tels les patrons pour tissus et la dentelle si le
dessin fait partie intégrante de l'article, les termes
«l'ornementation» et «appliqué» ne peuvent certes
pas avoir une signification plus importante que
celle que le président Jackett leur a attribuée. De
plus, il s'agit de l'interprétation que la Cour d'ap-
pel fédérale a retenue récemment dans l'arrêt
Bayliner Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986]
3 C.F. 421, aux pages 431-432; 10 C.P.R. (3d)
289, la page 296. Le juge Mahoney a écrit:
À mon avis, la coque et la superstructure d'un bateau de
plaisance ont pour fonction de fournir une plate-forme flottante
à l'intérieur de laquelle et sur laquelle peuvent être installés les
instruments indispensables ou les accessoires requis par le
conducteur du bateau. Leur forme générale peut en grande
partie être dictée par des considérations fonctionnelles; toute-
fois, les détails de cette forme qui servent par exemple à
distinguer l'aspect extérieur d'un runabout de 16 pieds et demi
d'un autre, sont essentiellement ornementaux. De tels détails
auront pour effet de rendre ce runabout plus attrayant qu'un
autre. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, qu'un dessin «ornemente» un article
ne signifie rien de plus que «distinguer l'aspect
extérieur» de cet article.
En l'espèce, le dessin représente une forme
visuelle destinée à transmettre un message; le
dessin est fonctionnel; il est simple. Par consé-
quent, on prétend que le dessin n'a pas été créé
pour l'ornementation; en effet, cela nuirait à son
efficacité. Comme nous l'avons déjà souligné, le
terme «ornementation» employé par le président
Jackett dans la décision Cimon et par le juge
Mahoney dans l'arrêt Doral Boats signifie seule-
ment que le dessin doit se rapporter à l'apparence
de l'article. La simplicité fonctionnelle d'un dessin
n'est pas un obstacle à l'enregistrement. D'ailleurs,
je ne crois pas que l'obligation d'un dessin de
«rendre l'article plus attrayant» signifie que les
tribunaux doivent examiner la valeur du dessin. Le
juge Mahoney a parlé des détails de la forme
comme étant les éléments qui rendraient le runa
bout plus attrayant aux yeux du spectateur. Si
j'avais à me prononcer sur le caractère attrayant
des étiquettes de l'intimée, je soulignerais leur très
grand succès commercial. Il me semble que cela
établit leur caractère attrayant.
De plus, je signalerais que le dessin des étiquet-
tes n'a pas seulement une fonction utilitaire dans le
sens où ce dessin est le seul qui puisse être conçu
pour remplir cette fonction. Dans la décision Re
Application for Industrial Design Registration by
Robin R. Byran (1977), 56 C.P.R. (2d) 134, la
Commission d'appel des brevets et le commissaire
des brevets ont déclaré à la page 138:
[TRADUCTION] ... un dessin d'un instrument utilitaire peut
être enregistré s'il n'englobe pas toutes les formes possibles
d'exécution de cette fonction et s'il répond à l'objectif supplé-
mentaire de créer un intérêt visuel facilement identifiable aux
yeux du spectateur.
Pour en arriver à cette conclusion, le commissaire
s'est notamment appuyé sur la décision P.B. Cow
& Coy. Ld. v. Cannon Rubber Manufacturers Ld.,
[1959] R.P.C. 240 (Ch.D.). Il s'agissait de déter-
miner si la surface striée d'une bouillotte (laquelle
permettait de diffuser de la chaleur mais conférait
également à la bouillotte une apparence particu-
lière) pouvait être enregistrée comme dessin indus-
triel. L'auteur de la décision a déclaré à la page
244 que le dessin pouvait être enregistré comme
dessin industriel. L'auteur de la décision a déclaré
à la page 244 que le dessin pouvait être enregistré
puisqu'il était [TRADUCTION] «impossible d'affir-
mer que le dessin en cause est d'une nature telle-
ment vaste qu'il englobe toutes les formes possibles
de la surface d'une bouillotte dont les parties
élevées de dimension précise sont séparées par des
enfoncements de dimension précise» (c.-à-d. qu'une
bouillotte pourrait également comporter des sail-
lies circulaires ou des stries en sens inverse, etc.).
Dans la décision Carr -Harris Products Ltd. v.
Reliance Products Ltd. (1969), 58 C.P.R. 62 (C.
de l'E.), le juge Cattanach a conclu que le dessin
d'un piquet de tente pouvait être enregistré. Il a dit
à la page 82:
[TRADUCTION] Bien que l'utilité établisse plus ou moins les
limites des changements de forme, je ne crois pas que l'utilisa-
tion et la fonction d'un piquet de tente ait déterminé la forme
du dessin de la demanderesse dans son ensemble ...
En l'espèce, bien que l'usage auquel les étiquettes
sont destinées établisse plus ou moins des limites
quant à leur taille, leur forme, etc., leur fonction
ne détermine pas le dessin dans son ensemble.
Plusieurs types de dessins pourraient être utilisées.
Il s'agit maintenant d'examiner le dernier argu
ment selon lequel l'oeuvre de l'intimée ne peut être
enregistrée en vertu de la Loi sur les dessins
industriels parce qu'elle ne témoigne pas d'une
originalité suffisante. L'avocat est à cet égard
enfermé dans un dilemne puisqu'il a dû présenter
une preuve au soutien de l'argument selon lequel le
dessin faisait preuve d'originalité et d'une valeur
artistique importante. Cette preuve a été présentée
concernant l'argument que les oeuvres artistiques
devaient répondre à un critère plus sévère que celui
qui est applicable au droit d'auteur en matière
littéraire. Pour éviter l'application de la Loi sur les
dessins industriels et de l'article 46 de la Loi sur
le droit d'auteur, il devient nécessaire de plaider
en même temps l'absence d'originalité. Quoi qu'il
en soit, il suffit d'affirmer qu'à mon avis le dessin
de l'intimée est suffisamment original pour être
enregistré en vertu de la Loi sur les dessins indus-
triels. Par conséquent l'article 46 de la Loi sur le
droit d'auteur s'applique et l'enregistrement doit
être radié.
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