T-2273-86
Jacques Noël (requérant)
c.
Administration de pilotage des Grands Lacs Ltée.
(intimée)
et
Dominion Marine Association and its Constituent
Members (tierce-partie)
RÉPERTORIÉ: NOËL c. ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES
GRANDS LACS LTÉE
Division de première instance, juge Dubé—Mont-
réal, 20 octobre; Ottawa, 29 octobre 1987.
Accès à l'information — Demande de divulgation des noms
de capitaines non assujettis au pilotage obligatoire en vertu du
Règlement — Divulgation qui ne révèle aucun renseignement
personnel, c.-à-d. aucun antécédent professionnel, si ce n'est le
fait que dix voyages d'aller, requis par le Règlement, ont été
effectués — Les propriétaires de navires ne se sont pas acquit-
tés de l'obligation de prouver l'existence du caractère confi-
dentiel des renseignements de tiers et de son maintien —
Examen des conséquences de la divulgation pour le gouverne-
ment et les propriétaires de navires — La liste des noms n'est
pas confidentielle — La Loi vise à donner l'accès aux docu
ments — Les exceptions à ce droit sont précises et limitées.
Droit maritime — Pilotage — Demande sous le régime de la
Loi sur l'accès à l'information en vue d'obtenir les noms des
capitaines et officiers de pont non assujettis au pilotage obli-
gatoire — La divulgation révèle-t-elle des renseignements
personnels, c.-à-d. des antécédents professionnels? — Les
renseignements de tiers sont-ils de nature confidentielle, com-
merciale? — Fin visée par la Loi sur le pilotage — L'exemp-
tion de pilotage ne soustrait pas les propriétaires de navires à
la Loi sur l'accès à l'information — Demande accueillie.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — Demande de
divulgation identifiant le requérant comme Fédération, quoi-
que signée par le requérant à l'instance, Jacques Noël — Les
procédures légales sont intentées au nom de Jacques Noël —
Conférences préliminaires donnant lieu à des ordonnances où
le nom de Noël apparaît à titre de requérant — Trop tard pour
s'opposer à la qualité pour agir de la Fédération.
Il s'agit d'une demande présentée sous le régime de la Loi sur
l'accès à l'information en vue d'obtenir les noms des capitaines
et des officiers de pont qui ne sont pas assujettis au pilotage
obligatoire sur les Grands Lacs en vertu de la disposition
4(1)c)(iii)(C) du Règlement de pilotage des Grands lacs. Cette
disposition prévoit une exception à la règle selon laquelle les
navires d'un certain tonnage sont assujettis au pilotage obliga-
toire lorsque le capitaine ou l'officier de pont possède un
certificat délivré par le propriétaire du navire et qui atteste qu'il
a effectué dix voyages d'aller dans la zone de pilotage au cours
d'une certaine période. Le Commissaire à l'information a
décidé que la divulgation des noms révélerait des renseigne-
ments personnels, en particulier les antécédents professionnels
des individus (c'est-à-dire que l'individu avait effectué au moins
dix voyages d'aller). L'association des propriétaires de navires,
tierce-partie, s'est opposée à la divulgation en vertu de l'alinéa
20(1)b) de la Loi pour le motif qu'il s'agissait de renseigne-
ments de nature confidentielle et commerciale qui sont traités
comme tels de façon constante.
À l'audition, l'avocat de la tierce-partie a soulevé l'objection
selon laquelle la Fédération des pilotes ne pouvait obtenir un
redressement sous le régime de la Loi parce qu'elle n'était ni un
citoyen canadien ni un résident permanent.
Jugement: La demande devrait être accueillie.
Le nom d'un individu ne constitue pas un renseignement
personnel à moins que la divulgation du nom ne révèle des
renseignements personnels à son sujet. L'Administration pour-
rait tout simplement procéder au prélèvement prévu à l'article
25 et ne fournir que les noms des individus en question, sans
autres détails. La divulgation des noms ne révèle aucun antécé-
dent professionnel, si ce n'est le fait que les individus en
question ont effectué au moins dix voyages dans la zone de
pilotage.
Il incombe à ceux qui refusent de donner les renseignements
(les propriétaires de navires) de prouver que ceux-ci sont de
nature confidentielle et qu'ils ont été traités comme tels de
façon constante par l'Association. Une simple affirmation à cet
égard ne suffit pas. Il faut s'interroger également sur les
conséquences de la divulgation. La révélation des noms ne
compromettrait pas la capacité du gouvernement d'obtenir les
renseignements en question puisque la Loi le veut. Ce sont les
renseignements que les propriétaires de navires doivent divul-
guer s'ils veulent bénéficier de l'exemption. Les propriétaires de
navires n'ont pas prouvé que la divulgation de ces renseigne-
ments nuirait à leur compétitivité. L'exception prévue à la
disposition 4(1)c)(iii)(C) vise les navires, et non les individus,
bien que les propriétaires de navires délivrent les certificats à
des individus. Ainsi donc, les individus n'ont pas automatique-
ment le droit de transporter leurs certificats sur un autre
navire. En dernier lieu, les renseignements étaient disponibles
pour tous ceux qui pouvaient visiblement identifier les capi-
taines ou officiers de pont à bord des navires en question.
L'application des quatre critères adoptés par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Slavutych c. Baker et autres
démontre que la liste des noms n'est pas confidentielle: 1) les
noms n'ont pas été transmis confidentiellement avec l'assurance
qu'ils ne seraient pas divulgués 2) le caractère confidentiel
n'était pas essentiel au maintien des relations entre les parties
puisque la communication des noms est exigée par la loi 3) les
parties n'étaient pas tenues de maintenir des relations assidues
4) la divulgation des communications ne causerait pas un
préjudice permanent. Tout préjudice que la divulgation pour-
rait causer ne l'emporterait pas sur l'avantage d'une juste
décision, qui doit refléter l'objet de la Loi, à savoir l'élargisse-
ment de l'accès aux documents de l'Administration. Les seules
exceptions indispensables au droit d'accès doivent être précises
et limitées. La Loi sur le pilotage vise à assurer la sécurité de la
navigation, et non à protéger les intérêts commerciaux des
armateurs. L'exemption favorise les propriétaires mais ne les
soustrait pas à la Loi sur l'accès à l'information.
L'objection technique quant au statut de la Fédération des
pilotes ne saurait être retenue. Bien que le nom de la Fédéra-
tion ait figuré à titre de requérante dans la boîte se trouvant sur
la formule de demande, c'est Jacques Noël qui a signé la
déclaration portant qu'il avait la qualité de citoyen et de
résident permanent. Son nom est apparu à titre de requérant
dans les ordonnances auxquelles ont abouti deux conférences
préliminaires. L'objection constituait un argument de dernière
heure qui n'avait pas auparavant été soulevé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111 (annexe I), art. 2, 4, 19(1), 20(1)b),c),d), 25,
48, 49.
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C.
1980-81-82-83, chap. 111 (annexe II), art. 3.
Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, chap. 52, art. 12,
14(1)c), 16.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
Règlement de pilotage des Grands lacs, C.R.C., chap.
1266, art. 4(1)c)(iii)(C) (mod. par DORS/83-256, art.
1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et
du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (1" inst.); National
Parks and Conservation Ass'n v. Morton, 498 F.2d 765
(D.C. Cir. 1974); Ivanhoe Citrus Ass'n v. Handley, 612
F.Supp. 1560 (D.C.D.C. 1985); Getman v. N. L. R. B.,
450 F.2d 670 (D.C. Cir. 1971); Slavutych c. Baker et
autres, [1976] 1 R.C.S. 254.
DÉCISION EXAMINÉE:
Great Lakes Pilotage Authority Ltd. c. Misener Shipping
Ltd., [1987] 2 C.F. 431 (l'° inst.).
DOCTRINE
Wigmore on Evidence, vol. 8, 3rd ed., John T. McNaugh-
ton, Boston: Little, Brown and Company, 1961.
AVOCATS:
Jean Leduc et Nathalie Bédard pour le
requérant.
Laurent Fortier pour l'intimée.
Philippe C. Vachon pour la tierce-partie.
PROCUREURS:
Desjardins, Ducharme, Desjardins & Bour-
que, Montréal, pour le requérant.
Stikeman, Elliott, Montréal, pour l'intimée.
McMaster, Meighen, Montréal, pour la
tierce-partie.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE DuBÉ: Le requérant, ancien président
et membre de la Fédération des pilotes du Saint-
Laurent et des Grands Lacs («la Fédération»), s'est
vu refuser certaines informations par l'intimée,
l'Administration de pilotage des Grands Lacs,
Ltée («l'Administration») et par la suite a porté
plainte auprès du Commissaire à l'information
lequel a rejeté ladite plainte.
En l'espèce, le requérant désire obtenir les noms
des capitaines et officiers de pont non assujettis au
pilotage obligatoire sur les Grands Lacs en vertu
de l'exception prévue à la disposition
4(1)(c)(iii)(C) du Règlement de pilotage des
Grands lacs' («la disposition»), lequel se lit comme
suit:
4. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est assujetti au pilo-
tage obligatoire tout navire d'une jauge brute de plus de 300
tonneaux, sauf
c) un navire
(iii) qui est sous le commandement d'un capitaine ou d'un
officier de pont
(C) qui possède un certificat délivré par le propriétaire
du navire au cours des 12 dernier mois, qui atteste que le
capitaine ou l'officier de pont a effectué dans la zone de
pilotage obligatoire où le navire navigue, au moins 10
voyages d'aller au cours des trois années précédant la
date du certificat; ...
Il faut retenir au départ que l'objet de la Loi sur
l'accès à l'information 2 («la Loi»), tel que défini
au paragraphe 2, est «d'élargir l'accès aux docu
ments de l'administration fédérale en consacrant le
principe du droit du public à leur communication,
les exceptions indispensables à ce droit étant préci-
ses et limitées». De plus, le paragraphe 48 de la Loi
stipule que «la charge d'établir le bien-fondé du
refus de communication totale ou partielle d'un
document incombe à l'institution fédérale concer-
née».
' C.R.C., chap. 1266 (mod. par DORS/83-256, art. 1).
2 S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe I), article 2.
Il est opportun également de noter que la Loi
sur le pilotage 3 établit des administrations de pilo-
tage dont l'objet, tel que prévu à l'article 12, est de
gérer un service de pilotage efficace dans la région
indiquée «pour la sécurité de la navigation». A
cette fin, une administration peut établir des règle-
ments généraux établissant des zones de pilotage
obligatoire, et tel que stipulé à l'alinéa 14(1)(c),
«prescrivant les circonstances dans lesquelles il
peut y avoir dispense du pilotage obligatoire».
L'article 16 prévoit que, sauf dispositions contrai-
res, nul n'assurera la conduite d'un navire à l'inté-
rieur d'une zone de pilotage obligatoire s'il n'est un
pilote breveté ou «un membre régulier de l'effectif
du navire qui est titulaire d'un certificat de pilo-
tage pour cette zone». C'est donc en vertu de ces
dispositions que le sous-alinéa précité a été établi
pour exempter certains individus certifiés et qu'en
conséquence certains navires sont soustraits du
pilotage obligatoire sur les Grands Lacs. Le requé-
rant veut connaître les noms de ces individus.
Dans sa lettre au requérant en date du 4 avril
1986 le Commissaire adjoint à l'information («le
Commissaire») présente les motifs pour lesquels il
a rejeté la plainte du requérant, lesquels sont basés
sur le paragraphe 19(1) et les alinéas 20(1) (b),(c)
et (d) de la Loi. Le paragraphe 19(1) se lit comme
suit:
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une
institution fédérale est tenu de refuser la communication de
documents contenant les renseignements personnels visés à
l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels.
Il est donc utile de reproduire immédiatement
l'article 3 de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels [S.C. 1980-81-82-83, chap.
111 (annexe II)]:
3....
«renseignements personnels» Les renseignements, quels que
soient leur forme et leur support, concernant un individu
identifiable, notamment:
Suivent plusieurs alinéas dont voici les plus
pertinents:
3....
b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier
médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents profession-
nels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;
3 S.C. 1970-71-72, chap. 52.
i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres
renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule
divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet.
[Mon soulignement.]
Il est utile de se référer également à l'article 25
de la Loi qui prévoit que l'institution fédérale
ayant refusé la communication d'un document est
tenu «d'en communiquer les parties dépourvues des
renseignements en cause» au requérant. En l'es-
pèce, cette disposition pourrait donc autoriser
l'Administration à refuser certains renseignements
confidentiels tout en l'obligeant à fournir les noms
des individus, s'il est déterminé que la seule publi
cation des noms, expurgés des autres renseigne-
ments, n'affecte pas la confidentialité des autres
renseignements.
Dans un premier temps, le Commissaire prétend
que les renseignements demandés sont confiden-
tiels en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi et des
définitions prévues à l'article 3 de la Loi sur la
protection des renseignements personnels vu que,
selon lui, la liste des capitaines et officiers de pont
renferme des renseignements personnels relative-
ment aux individus concernés, plus particulière-
ment des informations relatives à leurs antécédents
professionnels, et que la seule divulgation de leurs
noms révélerait des renseignements à leur sujet.
Le Commissaire souligne que ces individus ne
sont pas des employés du gouvernement et qu'ils
ne travaillent pas en vertu d'un contrat auprès
d'une institution gouvernementale. Leurs noms
sont communiqués à l'Administration par lettres
de la part des propriétaires des navires, lesquelles
contiennent plus que le nom de chaque individu.
Elles comprennent également l'occupation, le nom
de l'employeur, le nom du navire et le fait qu'il a
complété au moins 10 voyages, donc des antécé-
dents professionnels.
Cette première préoccupation de la part du
Commissaire ne me paraît pas tellement valable.
Le nom d'un individu ne constitue pas un rensei-
gnement personnel, à moins que, tel que prévu à
l'alinéa 3i) de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels, la seule divulgation du nom
révélerait des renseignements (personnels) à son
sujet. En l'espèce, l'Administration pourrait tout
simplement procéder au prélèvement prévu à l'arti-
cle 25 de la Loi et ne fournir que les noms des
individus en question, sans autres détails. Il en
résulterait, évidemment, que les porteurs de ces
noms sont des capitaines ou des officiers de pont
qui répondent aux exigences de la disposition.
Cette seule divulgation ne révèle aucun antécédent
professionnel, si ce n'est le fait que les individus en
question ont effectué au moins 10 voyages dans la
zone de pilotage des Grands Lacs au cours des
trois années en question.
La deuxième objection à la communication des
renseignements demandés, en réalité l'objection
fondamentale posée par la tierce-partie, l'associa-
tion des propriétaires des navires, (l'«Association»),
est à l'effet que ces renseignements constituent des
renseignements de tiers et que le responsable d'une
institution fédérale est tenu en vertu de l'alinéa
20(1) (b) de la Loi de refuser la communication
d'un document contenant des renseignements s'ils
sont de nature confidentielle et sont traités comme
tels. La disposition se lit comme suit:
20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu,
sous réserve des autres dispositions du présent article, de refu-
ser la communication de documents contenant:
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques
ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers,
qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme
tels de façon constante par ce tiers; [Mon soulignement.]
Il ne peut s'agir ici, bien sûr, de renseignements
financiers, scientifiques ou techniques. L'Associa-
tion allègue qu'il s'agit ici de renseignements com-
merciaux. Il est constant que ces renseignements
ont été fournis par l'Association. Il reste à prouver,
cependant, et le fardeau de la preuve incombe à
ceux qui refusent de donner les renseignements,
que les renseignements en question sont non seule-
ment de nature confidentielle, mais qu'ils ont été
traités comme tels de façon constante par
l'Association.
Dans Maislin Industries Limited c. Ministre de
l'Industrie et du Commerce 4 la première décision
canadienne en la matière, le juge en chef adjoint a
traité de la confidentialité de documents. Il a dit
ceci aux pages 944 et 945:
La question à trancher en l'espèce est donc principalement
une question de fait. Il ne suffit pas que Maislin ait considéré,
comme elle l'a certainement fait, que les renseignements étaient
confidentiels quand ils ont été fournis dans le but d'obtenir du
gouvernement des garanties d'emprunts. Il faut aussi qu'ils
aient été gardés confidentiels par les deux parties et doivent
4 [1984] 1 C.F. 939 (1fe inst.).
donc évidemment ne pas avoir été divulgués d'une autre
manière ni pouvoir être obtenus de sources auxquelles le public
a accès. En dernière analyse, après avoir lu le rapport, je ne suis
pas convaincu que l'on puisse refuser la divulgation sur la base
de l'alinéa 20(1)c). Cette opinion est confirmée par les contre-
interrogatoires de MM. Alan Maislin, George E. Bennett fils et
Johnson Smith.
En d'autres mots, il n'est pas suffisant pour les
propriétaires des navires d'alléguer l'existence et le
maintien de la confidentialité des noms des indivi-
dus. Il faut également le prouver.
L'Association a déposé les affidavits de dix
représentants des propriétaires. Les affidavits,
laconiques et presque identiques, déclarent que les
noms des individus ont toujours été traités de façon
confidentielle, sans autres précisions. Par contre,
les contre-interrogatoires ont révélé que les noms
ont été tout simplement expédiés par lettre à la
poste, sans cote «confidentiel» et sans aucun indice
visible de désir ou d'expectation de confidentialité.
Quant à l'Administration, elle est demeurée silen-
cieuse à ce sujet.
De plus, il faut s'interroger sur les conséquences
de la divulgation de renseignements commerciaux.
Tel que le soulignait la Cour d'appel des États-
Unis dans l'arrêt National Parks and Conserva
tion Ass'n v. Morton', une cause citée par le juge
en chef adjoint Jérome dans l'affaire Maislin:
[TRADUCTION] En résumé, un renseignement commercial ou
financier est confidentiel aux fins de l'exemption si la commu
nication du renseignement peut avoir un ou l'autre des effets
suivants: (1) compromettre la capacité du gouvernement d'ob-
tenir à l'avenir des renseignements nécessaires; ou (2) nuire
sérieusement à la compétitivité de la personne qui a fourni le
renseignement.
Quant au premier critère, il est évident que la
révélation des noms des individus ne peut compro-
mettre en rien la capacité du gouvernement d'obte-
nir les renseignements en question, puisque la Loi
le veut et que les armateurs n'ont pas d'autre
alternative que de fournir les noms s'ils veulent
bénéficier de l'exemption pour leurs navires.
L'Association allègue que la divulgation des
noms peut affecter la compétitivité entre arma-
teurs, puisque les services de ces individus sont
recherchés. Il incombait cependant aux armateurs
de faire cette preuve. Le maigre paragraphe de
5 498 F.2d 765 (D.C. Cir. 1974), la p. 770.
chaque affidavit affecté à ce sujet n'est pas telle-
ment convaincant:
[TRADUCTION] 7. Il s'agit d'une activité commerciale en ce
sens que l'exemption du pilotage est prise en considération dans
le calcul du coût d'un voyage et du transport d'une cargaison;
De plus, il y a lieu de retenir que la disposition
ne vise pas les individus, mais bien les navires qui
tombent sous le commandement de ces individus.
La disposition spécifie que c'est le propriétaire du
navire qui délivre le certificat aux individus. La
disposition ne confère pas automatiquement aux
individus en question le droit de transporter leurs
certificats sur un autre navire. D'ailleurs, il n'y a
aucune preuve à l'effet que ces individus ont tenté
de se servir des certificats pour s'avantager
personnellement.
Dans une autre décision américaine, Ivanhoe
Citrus Ass'n v. Handley 6 il s'agissait de la divulga-
tion des noms de producteurs d'oranges de la part
du Ministère de l'agriculture. La Cour a trouvé
que ceux qui s'objectaient n'ont pas prouvé que la
production d'une telle liste leur causerait un dom-
mage substantiel. De plus, les noms des produc-
teurs pouvaient être obtenus simplement en visi-
tant les orangers. Je cite à la page 1566:
[TRADUCTION] Les demandeurs n'ont pas démontré que la
communication de la liste nuira sensiblement à la compétitivité
des manutentionnaires demandeurs. Les allégations de ces der-
niers quant au préjudice causé par la demande de M. Pecoso-
lido sont pour le moins conjecturales. De plus, n'importe qui
peut découvrir les noms et les adresses des producteurs (les
seuls renseignements figurant sur la liste), en visitant les oran-
geraies et par d'autres moyens évidents. Déclaration Wilson 7-9
déc.; déclaration Weisman 4-8 déc. De toute évidence, la
communication de la liste ne pourra occasionner aucun préju-
dice important aux demandeurs. Par conséquent, cette liste
n'est pas visée par l'exemption 4 de la FOIA.
En l'espèce, il est clair que le requérant Noël, ou
ses collègues pilotes, pourraient visiblement identi
fier et obtenir les noms des capitaines ou officiers
de pont à bord de navires naviguant sur les Grands
Lacs qui ne sont pas des leurs.
Dans l'affaire Getman v. N.L.R.B.', une déci-
sion d'une Cour d'appel américaine, il s'agissait
d'une action de la part de professeurs de droit
voulant obtenir du National Labor Relations
Board américain les noms et adresses des employés
6 612 F.Supp. 1560 (D.C.D.C. 1985).
7 450 F.2d 670 (D.C. Cir. 1971).
éligibles à voter à certaines élections. La Cour a
noté que les employeurs étaient légalement obligés
de fournir ces noms, lesquels étaient fournis sans
promesse de confidentialité de la part du Board, et
que ces noms ne pouvaient donc être caractérisés
comme étant des secrets commerciaux ou finan
ciers. Je cite à la page 673:
[TRADUCTION] Évidemment, une simple liste des noms et
adresses des employés, que les employeurs sont tenus en vertu
de la loi de remettre à la Commission, sans aucune promesse
expresse de confidentialité, et qui ne saurait légitimement être
caractérisée comme contenant des «secrets industriels» ou des
renseignements de caractère «financier» ou «commercial», n'est
pas exemptée de communication par l'alinéa (b)(4).
La Cour suprême du Canada dans l'affaire Sla-
vutych c. Baker et autres$ devait se pencher sur la
nature d'un document portant la cote «confiden-
tiel» et, à cette occasion, a repris quatre conditions
essentielles prises de Wigmore on Evidence pour
que des communications soient privilégiées et
qu'on ne puisse les divulguer. Je cite à la page 260:
«(1) Les communications doivent avoir été transmises confi-
dentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas
divulguées.
(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel
au maintien complet et satisfaisant des relations entre les
parties.
(3) Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon
l'opinion de la collectivité, doivent être entretenues
assidûment.
(4) Le préjudice permanent que subiraient les relations par
la divulgation des communications doit être plus considéra-
ble que l'avantage à retirer d'une juste décision."
L'application de ces quatre critères à la présente
cause démontre clairement que la liste des noms
des individus n'est pas confidentielle. Première-
ment, il n'y a aucune preuve que les noms ont été
transmis confidentiellement avec l'assurance qu'ils
ne seraient pas divulgués. Deuxièmement, le carac-
tère confidentiel n'est pas essentiel au maintien des
relations entre les parties, puisque la communica
tion des noms est exigée par la disposition. Troisiè-
mement, en l'espèce, il n'y a aucune obligation de
la part des parties de maintenir des relations assi-
dues. Quatrièmement, il n'a pas été établi que la
divulgation des communications causerait quelque
préjudice permanent que ce soit: tout préjudice qui
pourrait être supposé n'est sûrement pas plus con-
sidérable que l'avantage d'une juste décision qui,
s [1976] 1 R.C.S. 254.
en l'occurrence, doit refléter l'objet de la Loi, à
savoir l'élargissement de l'accès aux documents de
l'Administration.
À ce dernier chapitre, je me dois également de
souligner que la Loi sur le pilotage n'a pas été
promulguée dans le but principal de protéger les
intérêts commerciaux des armateurs, mais plutôt
pour assurer la sécurité de la navigation, tel que
déclaré à l'article 12 de cette Loi. C'est précisé-
ment dans ce but que le service de pilotage est
rendu obligatoire dans certaines zones désignées.
L'exception accordée par le biais de la disposition
à certains navires, ayant à bord des capitaines ou
officiers de pont affichant une expérience particu-
lière, favorise les propriétaires de ces navires mais
n'ouvre pas par ricochet une exemption permettant
à ces propriétaires de se soustraire à la Loi. Encore
une fois, il faut retenir que l'objet de cette Loi est
d'élargir l'accès aux documents et que les seules
exceptions indispensables à ce droit doivent être
précises et limitées.
D'ailleurs, dans une décision récente de cette
Cour, Great Lakes Pilotage Authority Ltd. c.
Misener Shipping Ltd. 9 , le juge Denault, qui dans
son jugement souligne l'importance de la sécurité
maritime, n'hésite pas à nommer deux individus
(les capitaines M. Armstrong et E. Grieve), les-
quels rencontraient les conditions de la disposition.
À l'audition, le procureur de la tierce-partie a
soulevé une objection technique à l'effet qu'en
vertu des dispositions prévues à l'article 4 de la Loi
seuls ont droit d'accès à l'information (a) les
citoyens canadiens ou (b) les résidents permanents
au sens de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C.
1976-77, chap. 52]. Il en conclut que la Fédération
ne répond à aucun de ces deux critères.
Effectivement, à la formule de demande en date
du 4 mars 1985 le nom de la Fédération apparaît
dans la boîte intitulée «identité du requérant». Par
contre, l'affirmation suivante est imprimée au bas
de la formule:
[TRADUCTION] J'ai droit à l'accès aux documents gouverne-
mentaux en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, et ce, en
raison de mon statut de citoyen canadien et en ma qualité de
résident permanent au sens de la Loi sur l'immigration de
1976, par un décret du gouverneur en conseil pris en vertu du
paragraphe 4(2) de la Loi sur l'accès à l'information.
9 [1987] 2 C.F. 431 (1fe inst.).
Cette déclaration est signée par le requérant
Jacques Noël. La correspondance qui suit est
adressée à Jacques Noël et répondue par lui-
même, jusqu'à l'arrivée de ses procureurs. Les
procédures légales sont intentées au nom de Jac-
ques Noël. De plus, deux conférences préliminaires
ont été tenues devant moi-même, soit le ler décem-
bre 1986 et le 2 mars 1987. Ces deux conférences
ont été coiffées de deux ordonnances où le nom de
Jacques Noël apparaît à titre de requérant.
Aucune objection n'a été soulevée au cours de ces
deux comparutions préliminaires, ni au cours de
l'instruction elle-même, excepté cet argument de
dernière heure. Il n'y a pas lieu de retenir cette
objection.
Je conclus donc, en vertu des dispositions de
l'article 49 de la Loi, au bon droit du requérant et
j'ordonne à l'intimée, l'Administration de pilotage
des Grands Lacs, de communiquer au requérant
les noms des individus qui possèdent un certificat
délivré par les propriétaires de navires, ou qui ont
été certifiés de toute autre façon par les propriétai-
res de navires conformément aux dispositions de la
disposition 4(1)(c)(iii)(C) du Règlement de pilo-
tage des Grands lacs. Dans les circonstances, j'ac-
corde les frais et dépens au requérant, payables
par la tierce-partie. L'intimée et la tierce-partie
porteront chacune leurs propres frais.
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