A-132-87
Procureur général du Canada (requérant)
c.
David J. Vincer (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. VINCER
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Stone—St.
John's (Terre-Neuve), 1" septembre; Ottawa, Pr
décembre 1987.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Un comité ad
hoc constitué en vertu de la Loi de 1973 sur les allocations
familiales pour réviser le rejet d'une demande présentée par un
père pour obtenir la moitié des allocations familiales a con
testé la constitutionnalité de certaines dispositions législatives
— Décision annulée — Le comité n'est pas un tribunal même
s'il est investi du pouvoir de trancher l'affaire de façon défini-
tive — Il ne fait que surveiller le système administratif — Le
comité reçoit sa compétence de la Loi, non de la Charte — La
Loi ne confère pas le pouvoir de verser des allocations ainsi
que le demandait l'intimé — L'interprétation donnée au terme
«court» de la version anglaise de l'art. 24 de la Charte dans Re
Nash and The Queen est désapprouvée — Il n'existe pas de
différence entre le fait de déclarer que les dispositions législa-
tives visées sont inconstitutionnelles et le fait de se former une
telle opinion et d'agir sur le fondement de celle-ci — Bien que
le pouvoir du comité ne fasse l'objet d'aucune limitation
expresse, il existe des restrictions inhérentes à la Constitution
qui confirent de façon exclusive au pouvoir judiciaire la
compétence d'apprécier la légalité des dispositions législatives.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours —
Un comité de révision constitué en vertu de la Loi de 1973 sur
les allocations familiales n'est pas une «court of competent
jurisdiction» («tribunal compétent») au sens de l'art. 24 de la
Charte — C'est la Loi, non la Charte, qui confère sa compé-
tence au comité — L'interprétation donnée au terme «court.
de la version anglaise de l'art. 24 de la Charte dans Re Nash
and The Queen est désapprouvée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — La distinction établie par la Loi de 1973 sur les
allocations familiales et son Règlement entre les hommes et les
femmes n'est pas discriminatoire — Elle est justifiée par
l'existence d'un écart entre les revenus des époux et ceux des
épouses.
Interprétation des lois — Législation bilingue — Interpré-
tation du terme «court» de la version anglaise de l'art. 24 de la
Charte — L'utilisation du terme «tribunal» dans la version
française confère-t-il un sens large au terme «court» de la
version anglaise? — La décision Re Nash and The Queen, dans
laquelle un comité disciplinaire interne a été considéré comme
une «court of competent jurisdiction., est désapprouvée — Le
sens attribué à un terme donné dans une version ne devrait pas
excéder la portée du terme correspondant dans l'autre version.
La présente demande vise l'annulation d'une décision d'un
comité de révision établi conformément à la Loi de 1973 sur les
allocations familiales. Suivant une entente de séparation, l'in-
timé et sa femme ont la garde conjointe de leurs enfants, qui
résident pendant un temps égal avec chacun des parents. La
demande de l'intimé sollicitant la moitié des allocations fami-
liales a été refusée par le Ministère. Le comité de révision a
rendu une décision en faveur de l'intimé sur le fondement que
la Loi et le Règlement contrevenaient à la Charte. La question
en litige est celle de savoir si un tribunal administratif établi
comme instance ultime au sein d'un processus administratif a le
droit, lorsqu'il examine une demande, de mettre en doute la
constitutionnalité des dispositions législatives qu'il a pour
mandat d'appliquer.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Le juge Marceau: Le statut du comité de révision n'est pas
celui d'un tribunal. Il a été soutenu que le comité de révision,
étant pleinement habilité et possédant toute l'autorité voulue
pour trancher l'affaire en dernier ressort, était, aux fins de
l'interprétation et de la mise en application des droits et libertés
garantis par la Constitution, une «court of competent jurisdic
tion» («tribunal compétent») au sens donné à cette expression
dans la version anglaise de l'article 24 de la Charte, où le mot
«court» serait utilisé dans un sens large, comme en ferait foi sa
traduction par le terme «tribunal» dans la version française de
cet article. La Charte ne confère par elle-même aucune compé-
tence à quelque cour ou tribunal que ce soit. La compétence
d'un organisme statutaire doit être définie par une loi et doit
s'étendre à l'objet de la demande, aux parties intéressées et au
redressement sollicité. Les allocations familiales doivent être
versées à la mère à moins que celle-ci ne soit morte ou que le
père ait la garde de l'enfant. En conséquence, la Loi ne confère
pas le pouvoir de verser les allocations ainsi que le demandait
l'intimé. Le raisonnement suivi dans Re Nash and The Queen,
une décision de la Cour provinciale de Terre-Neuve statuant
qu'un comité disciplinaire interne constituait une «court of
competent jurisdiction» («tribunal compétent») au sens de l'ar-
ticle 24 de la Charte, ne peut être approuvée. Dans cette
décision, un sens large a été donné au terme «court» de la
version anglaise de l'article 24 la lumière de l'emploi des
termes «un tribunal» dans la version française de cet article.
Dans l'interprétaton de dispositions législatives bilingues, un
terme donné ne saurait recevoir une signification qui ne con-
viendrait pas au terme correspondant dans l'autre version. Le
fait que les termes anglais «court» et «tribunal» ont acquis une
signification qui ne correspond pas à celle normalement attri-
buée aux termes français «cour» et «tribunal» n'a peut-être pas
été pris en considération.
Il n'existe pas de différence entre le fait de déclarer que les
dispositions législatives visées sont inconstitutionnelles et le fait
de se former une telle opinion et d'agir sur le fondement de
celle-ci.
Finalement, bien que le comité ne se voit imposer aucune
restriction expresse au sujet des questions qu'il peut examiner
lorsqu'il tranche les affaires qui ont été portées devant lui, il
existe certaines restrictions inhérentes à notre Constitution qui
n'ont pas besoin d'être énoncées expressément dès qu'elles
s'appliquent. Une de ces restrictions veut que le contrôle de la
validité juridique des dispositions législatives soit exclusivement
réservée au pouvoir judiciaire. Il est parfois difficile de détermi-
ner si un tribunal particulier s'est vu attribuer un tel statut,
mais le comité de révision ne possède aucun des attributs d'un
organisme judiciaire.
Le juge Stone: Le mandat du comité de révision est limité
par la Loi et le Règlement à la révision d'une décision selon
laquelle aucune allocation n'est payable. Il n'est pas habilité à
décider si les droits inscrits dans la Charte ont été violés, ou à
accorder un redressement en vertu du paragraphe 24(1). L'ar-
rêt Zwarich c. Canada (Procureur général) peut être distingué
en ce que la qualité de juge ou d'ancien juge était une condition
de la nomination du juge-arbitre statuant sur une question de
droit dans cette affaire. En l'espèce, les membres du comité de
révision ne possèdent aucune qualité particulière leur permet-
tant de trancher une question juridique d'une importance aussi
fondamentale.
Le juge Pratte (motifs concourants): Bien que la Loi et le
Règlement établissent une distinction entre les hommes et les
femmes, ils ne créent pas de discrimination puisque cette
distinction est justifiée par l'existence d'un écart évident entre
les revenus des époux et ceux des épouses.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15, 24.
Constabulary Act, R.S.N. 1970, chap. 58.
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72,
chap. 48, art. 92(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 158, art. 55), (1.1) (mod. par S.C. 1976-77,
chap. 54, art. 55), (1.2) (mod., idem), (1.3) (mod.,
idem), (1.4) (mod., idem), 96 (mod., idem, art. 56).
Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74,
chap. 44, art. 7(1), 15 (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 53).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2,
art. 8(2).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
Règlement sur les allocations familiales, C.R.C., chap.
642, art. 9(1), 17, 19(1), 23(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Re Nash and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 490
(C.P.T.-N.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Law c. Solliciteur général du Canada, [1985] 1 C.F. 62
(C.A.); Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3
C.F. 253 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney General v British Broadcasting Corpn, [1980] 3
All ER 161 (H.L.); Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S.
863; Moore v. B.C. (Govt.) (1986), 4 B.C.L.R. (2d) 247
(C.S.); Théberge (J.R.) Liée v. Syndicat National des
Employés de l'Aluminum d'Arvida Inc. et al., [1966]
R.C.S. 378.
DOCTR IN E
Pépin, Gilles. »La compétence des cours inférieurs et des
tribunaux administratifs de stériliser, pour cause d'in-
validité ou d'ineffectivité, les textes législatifs et régle-
mentaires qu'ils ont mission d'appliquer» (1987), 47 R.
du B. 509.
AVOCATS:
Bruce S. Russel pour le requérant.
Gregory W. Dickie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
White, Ottenheimer & Green, St. John's
(Terre-Neuve), pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (motifs concordants quant au
résultat): Comme mes collègues le juge Marceau
et le juge Stone, mais pour un motif différent,
j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28
[Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10] en l'espèce et j'annulerais la décision du
comité de révision.
Bien que je reconnaisse la force du raisonnement
tenu par mes collègues, je ne suis pas prêt à
concéder que j'ai eu tort de dire, dans l'arrêt
Zwarich c. Canada (Procureur général)', que tous
les tribunaux peuvent non seulement interpréter les
dispositions des lois qu'ils doivent appliquer mais
encore déterminer si ces dispositions sont valides
sur le plan constitutionnel. Je n'ai toutefois pas à
discuter de ce problème pour les fins de la présente
espèce, étant d'avis que le comité de révision s'est
trompé en décidant que le paragraphe 7(1) de la
Loi de 1973 sur les allocations familiales [S.C.
1 [1987] 3 C.F. 253 (C.A.).
1973-74, chap. 44] et l'alinéa 9(1)b) du Règlement
[Règlement sur les allocations familiales, C.R.C.,
chap. 6421 2 violaient l'article 15 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.U.)].
Il est clair que les dispositions en cause établis-
sent une distinction entre les femmes et les
hommes: elles sont nettement plus favorables aux
femmes qu'aux hommes. Toutefois, pour qu'il soit
contrevenu à l'article 15, il est nécessaire que la
distinction établie soit injuste et déraisonnable;
sinon, il n'y a point de discrimination. Ce n'est pas
le cas en l'espèce puisque les statistiques déposées
par le requérant établissent que la distinction entre
les femmes et les hommes qui est faite dans les
dispositions en cause est entièrement justifiée par
l'existence d'un écart évident entre les revenus des
époux et ceux des épouses.
Pour ce motif, j'accueillerais la demande fondée
sur l'article 28, j'annulerais la décision attaquée et
je renverrais la question devant le comité pour
qu'il en soit décidé en tenant pour acquis que le
paragraphe 7(1) de la Loi de 1973 sur les alloca
tions familiales ainsi que l'alinéa 9(1)b) du Règle-
ment sur les allocations familiales ont été valide-
ment édictés.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: La décision attaquée par la
présente demande fondée sur l'article 28 a été
rendue par un comité de révision établi conformé-
ment à la Loi de 1973 sur les allocations familia-
les, S.C. 1973-74, chap. 44 (la Loi) et au Règle-
2 7. (1) Lorsque le versement d'une allocation familiale est
approuvé, celle-ci doit être versée, de la manière et aux époques
prescrites, au parent de sexe féminin, le cas échéant, ou au
parent ou autre personne ou à l'organisme qui est autorisé à la
recevoir par les règlements ou en vertu de ceux-ci.
9. (1) Lorsque le versement d'une allocation familiale est
approuvé, le versement doit être effectué au parent de sexe
masculin
a) s'il n'y a pas de parent de sexe féminin; ou
b) si les parents vivent séparés de corps et de biens et que le
parent de sexe masculin a la garde de l'enfant.
ment édicté en vertu de celle-ci. Un tel comité de
révision est un tribunal devant lequel une personne
dont la demande d'allocations a été rejetée par des
fonctionnaires du ministère de la Santé nationale
et du Bien-être social (le Ministère) peut interjeter
appel pour obtenir un redressement. Composé de
trois membres ne possédant aucune qualification
particulière (un de ceux-ci est sélectionné par le
directeur régional concerné du Ministère, un autre
est choisi par le requérant et le troisième, le prési-
dent, est nommé par les deux autres membres), ce
comité est habilité à confirmer ou à modifier
(vary) ainsi qu'à infirmer ou à modifier (amend)
la décision portée en appel'.
Les faits qui ont conduit à la décision attaquée
sont assez simples et peuvent s'énoncer briève-
ment. L'intimé s'est séparé de sa femme en février
1985. Cette séparation était régie par une entente
prévoyant que les deux enfants à charge du
ménage seraient placés sous la garde et l'autorité
conjointe des deux époux. Il était convenu que les
enfants résideraient pendant un temps égal avec
chacun des parents. Invoquant la charge qu'il avait
L'article pertinent de la Loi de 1973 sur les allocations
familiales est son article 15 [mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 53], tandis que les dispositions pertinentes du
Règlement édicté en vue de l'application de cette Loi en sont
l'article 17 et le paragraphe 19(1). Ces dispositions législatives
sont ainsi libellées:
15. Une personne, un ministère, département, organisme
ou établissement, qui n'est pas satisfait d'une décision rendue
en vertu de la présente loi selon laquelle aucune allocation ne
leur est payable, peut interjeter appel de la décision devant
un tribunal qui doit être créé et fonctionner conformément
aux règlements; le tribunal peut confirmer ou modifier la
décision ainsi rendue et, sur une demande que lui présente la
personne, le ministère, le département, l'organisme ou l'éta-
blissement ou le Ministre et qui s'appuie sur une preuve qui
n'a pas été examinée auparavant, infirmer ou modifier toute
décision qu'il a rendue.
17. Lorsque le directeur régional reçoit un avis d'appel
conformément à l'article 16, il doit créer un tribunal formé
a) d'un membre nommé par le directeur régional;
b) d'un membre nommé par l'appelant; et
c) d'un membre nommé par les membres désignés en vertu
des alinéas a) et b).
19. (1) Lorsque le directeur régional et l'appelant ont
chacun nommé un membre au comité de révision, le secré-
taire doit demander aux deux membres désignés d'en
nommer un troisième qui présidera le comité de révision.
ainsi assumée, l'intimé a déposé auprès du Minis-
tère une demande sollicitant la moitié des mon-
tants payables en vertu des dispositions de la Loi à
l'égard des deux enfants. Cette demande a été
rejetée au motif qu'une allocation familiale n'est
pas divisible et est normalement payable à la mère,
le paragraphe 7(1) de la Loi ainsi que l'article 9 du
Règlement ne rendant le père susceptible de deve-
nir allocataire que dans des circonstances excep-
tionnelles et très précises. Ces dispositions portent:
7. (1) Lorsque le versement d'une allocation familiale est
approuvé, celle-ci doit être versée, de la manière et aux époques
prescrites, au parent de sexe féminin, le cas échéant, ou au
parent ou autre personne ou à l'organisme qui est autorisé à la
recevoir par les règlements ou en vertu de ceux-ci.
9. (1) Lorsque le versement d'une allocation familiale est
approuvé, le versement doit être effectué au parent de sexe
masculin
a) s'il n'y a pas de parent de sexe féminin; ou
b) si les parents vivent séparés de corps et de biens et que le
parent de sexe masculin a la garde de l'enfant.
En ce qui a trait à la décision attaquée elle-
même, une décision qui a été rendue par le comité
de révision établi à la demande de l'intimé pour
examiner sa réclamation, elle a été énoncée de
façon assez succincte dans un texte qu'il vaut la
peine de citer intégralement. Elle était rédigée
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] DÉCISION ET MOTIFS DE DÉCISION
DU COMITÉ DE RÉVISION
Le comité de révision donne gain de cause à M. David Vincer
pour les motifs suivants:
Le paragraphe 7(1) de la Loi sur les allocations familiales,
chapitre 44, S.C. 1973 ainsi que le paragraphe 9(1) du
Règlement sur les allocations familiales apparaissent contre-
venir à la Charte canadienne des droits ainsi qu'à l'article 2
et aux paragraphes 3(1) et 63(1) de la Loi canadienne sur les
droits de la personne, chapitre 33, S.C. 1976-77.
Le comité de révision recommande que le paragraphe 7(1) de la
Loi de 1973 sur les allocations familiales ainsi que le paragra-
phe 9(1) du Règlement sur les allocations familiales soient
révisées afin que des dispositions appropriées puissent être
arrêtées pour régir l'affaire mettant en cause M. Vincer ainsi
que les affaires similaires qui pourront, de temps à autre, se
présenter.
Libellée comme elle l'était, la décision qui pré-
cède présentait, à sa lecture même, un problème
évident quant à sa forme et à son caractère. L'on
était en droit de se demander si elle constituait en
fait une véritable décision assujettie à l'examen de
la Cour. Les avocats des deux parties ont toutefois
exhorté la Cour à conclure de la présence du
membre de phrase [TRADUCTION] «le comité de
révision donne gain de cause à [l'intimé]» à l'exis-
tence d'une intention du comité de statuer de façon
définitive sur l'appel qui lui était soumis, et ils ont
demandé à la Cour d'interpréter les motifs de cette
décision finale comme une conclusion que le para-
graphe 7(1) de la Loi et l'article 9 du Règlement
[TRADUCTION] «contrevenaient» à la Charte cana-
dienne des droits et libertés 4 . Cette façon de voir
soulevait cependant une nouvelle difficulté: le
comité de révision avait-il le droit de conclure qu'il
était contrevenu à la Charte et, sur le fondement
de cette seule conclusion, de donner gain de cause
à l'intimé et d'ordonner que sa demande soit
accueillie?
Les avocats, dans leurs observations écrites,
n'ont même pas effleuré la possibilité que le comité
ait pu ne pas être compétent à prendre la conclu
sion qu'il a prise. Tous deux avaient tenu pour
acquis que cette question avait été tranchée par
des décisions récentes, un point de vue qui a été
soutenu fermement par l'avocat de l'intimé mais
partiellement abandonné par l'avocat du requérant
dans les observations écrites supplémentaires qu'ils
ont plus tard soumises avec la permission de la
Cour. Les décisions récentes que les avocats consi-
déraient comme ayant réglé les difficultés soule-
vées étaient les suivantes: a) l'arrêt Law c. Sollici-
teur général du Canada, [1985] 1 C.F. 62, dans
lequel cette Cour a conclu que la Commission
d'appel de l'immigration constituée en vertu de la
Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77,
chap. 52] était un tribunal compétent au sens du
paragraphe 24(1) de la Charte; b) l'arrêt Zwarich
c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253,
une autre décision de cette Cour, dans laquelle il
était déclaré [à la page 255] qu'un juge-arbitre ou
4 Il devrait être ajouté, à ce point-ci, que les avocats des deux
parties, au début de la présente instance, ont également
demandé à la Cour de ne pas tenir compte de la mention de la
Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77,
chap. 33] qui est faite dans la décision précitée: ils reconnais-
saient tous deux que la Commission canadienne des droits de la
personne était le tribunal compétent à trancher une affaire
mettant en jeu la possibilité d'une violation de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne et que, en fait, cet
organisme avait déjà jugé une telle question dans un contexte
distinct mais semblable.
un conseil arbitral agissant en vertu de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72,
chap. 48] devait «non seulement interpréter les lois
et les règlements applicables mais également sta-
tuer sur la validité de leur adoption»; et c) la
décision rendue dans Re Nash and The Queen
,(1982), 70 C.C.C. (2d) 490, un jugement de la
Cour provinciale de Terre-Neuve selon lequel un
comité disciplinaire interne agissant en vertu de la
Constabulary Act [R.S.N. 1970, chap. 58] de
Terre-Neuve constituait une «court of competent
jurisdiction» au sens de la version anglaise du
paragraphe 24(1) de la Charte étant donné que la
version française du paragraphe 24(1) utilise l'ex-
pression [TRADUCTION] «"Un tribunal" ... une
expression qui a un sens beaucoup plus large que le
terme anglais "court" [et] ... est, de façon évi-
dente, suffisamment étendue pour viser un comité
disciplinaire ou tout autre organisme similaire» [à
la page 494]. Pour des motifs que j'exposerai plus
loin dans le cours de la présente analyse, je n'ac-
cepte pas l'argument que les décisions qui précè-
dent ont eu pour effet de régler la question relative
à la compétence qui est soulevée en l'espèce. Je
suggère que nous tentions tout d'abord de mieux
définir cette question pour avoir une idée plus
précise des facteurs qu'elle met réellement en jeu.
Il est clair que la difficulté à laquelle nous
faisons face est liée directement au problème
extrêmement complexe et très controversé de
l'identification des différentes instances décision-
nelles judiciaires et administratives légalement
habilitées à trancher les questions constitutionnel-
les. Il est cependant également clair que la ques
tion qui nous est posée aujourd'hui, considérant le
type du tribunal visé et la nature de la question
constitutionnelle en jeu, est fort précise et est
relativement simple.
Bien que la notion de «court of law» soit incer-
taine et ait une portée imprécise (comme la Cham-
bre des lords, dans l'arrêt Attorney General y
British Broadcasting Corpn, [1980] 3 All ER 161
a encore eu l'occasion de le rappeller), il ne vien-
drait sûrement jamais à l'esprit de quiconque d'at-
tribuer le statut de «court» à un tribunal d'appel
établi en vertu des dispositions de la Loi de 1973
sur les allocations familiales. Dans l'arrêt Law,
susmentionné, sur lequel se sont appuyés les avo-
cats, la Cour avait affaire à un tribunal permanent
auquel une loi avait conféré le statut de «cour
d'archives». La situation en l'espèce est entière-
ment différente. Nous avons affaire à un simple
comité ad hoc dont le rôle est de superviser, dans
une situation particulière, le processus administra-
tif s'inscrivant dans le mécanisme adopté par le
Parlement pour l'attribution des allocations fami-
liales.
D'autre part, la question que le comité de révi-
sion a pris sur lui-même d'examiner n'était d'au-
cune manière reliée au processus administratif et à
son respect des exigences imposées par la Charte,
et elle n'avait rien à voir avec une appréciation de
la conduite des fonctionnaires du ministère visant
à déterminer s'il y avait eu violation de la Charte
lors de la mise à effet des dispositions législatives.
Cette question visait la constitutionnalité même
des dispositions qui étaient concernées, dispositions
qui avaient été édictées non seulement par une
autorité exerçant un pouvoir délégué mais encore
directement par le Parlement lui-même et qui,
étant parfaitement valides quant à leur forme,
étaient indubitablement en vigueur s .
Ayant à l'esprit les éclaircissements qui précè-
dent, la question à être tranchée peut s'énoncer
positivement de la manière suivante: un tribunal
administratif établi comme instance ultime au sein
d'un processus administratif a-t-il le droit, lorsqu'il
examine une demande qui lui est soumise, de
mettre en doute la constitutionnalité des disposi
tions législatives qu'il a pour mandat d'appliquer?
Je dirai sans hésitation que je ne puis voir com
ment il pourrait être répondu par l'affirmative à
cette question ainsi formulée.
Il est allégué que le comité de révision était
habilité à confirmer ou à modifier toute décision
antérieure des fonctionnaires du Ministère, qu'au-
cune restriction formelle n'a été imposée à cet
organisme concernant les questions qu'il pourrait
examiner en tranchant un appel et que le comité,
pour apprécier la légitimité du rejet de la demande
d'allocations de l'intimé, devait examiner la ques-
5 Est évidemment sans importance le fait que fussent concer-
nées la suprématie de la Charte et la possibilité que les disposi
tions visées soient inopérantes (c'est-à-dire n'aient point force
de loi et ne produisent aucun effet) plutôt que la séparation des
pouvoirs et la doctrine de l'excès de compétence: la constitu-
tionnalité des dispositions visées n'en constituait pas moins la
question en jeu.
tion de savoir si un tel refus avait créé une inéga-
lité interdite par la Charte. Il est également sou-
tenu que le comité de révision, étant pleinement
habilité et possédant toute l'autorité voulue pour
trancher l'affaire en dernier ressort, était, aux fins
de l'interprétation et de la mise en application des
droits et libertés garantis par la Constitution, une
«court of competent jurisdiction» («tribunal com-
pétent») au sens de la version anglaise de l'article
24 de la Charte, où le mot «court» n'est pas utilisé
dans son sens technique habituel mais dans un sens
large, ainsi qu'il ressort de sa traduction par le
terme «tribunal» dans la version française de cet
article. Il est finalement soumis que le comité de
révision n'a pas eu l'intention de déclarer les dispo
sitions visées inconstitutionnelles, une compétence
qui, reconnaît-on, est réservée aux cours supérieu-
res; le comité, tout simplement, s'est formé une
opinion et a adopté un point de vue à cet égard,
ainsi que doit le faire tout tribunal lorsque la
décision qu'il a pour rôle de rendre l'exige, comme
le déclare l'arrêt Zwarich, susmentionné.
Les prétentions qui précèdent m'apparaissent
tout simplement non fondées.
Premièrement, en ce qui a trait à la prétention
selon laquelle la compétence en jeu pourrait décou-
ler directement de l'article 24 de la Charte, il
semble à présent fermement établi que la Charte
ne confère par elle-même aucune compétence à
quelque cour ou tribunal que ce soit (voir les
observations faites par les juges de la Cour
suprême, dans un contexte de droit criminel il est
vrai, dans l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1
R.C.S. 863; voir également l'arrêt Moore v. B.C.
(Govt.) (1986), 4 B.C.L.R. (2d) 247 (C.S.). À mon
sens, la compétence d'un organisme statutaire doit
être définie par une loi et doit s'étendre non seule-
ment à l'objet d'une demande et aux parties inté-
ressées mais encore au redressement sollicité, et je
ne puis voir en l'espèce où dans la loi le comité
pourrait trouver le pouvoir d'ordonner que des
allocations soient versées ainsi que le demandait
l'intimé. Et puisque l'on s'est appuyé sur l'arrêt
Nash, susmentionné, je dirai incidemment avec
déférence que je suis en désaccord avec le raison-
nement que le juge saisi de cette affaire y tient en
se fondant sur l'utilisation du terme «tribunal»
dans la version française. J'aurais en effet cru que,
dans l'interprétation de dispositions législatives
bilingues, un terme donné ne devrait normalement
pas se voir attribuer dans l'une des deux version:
une signification et une portée que ne pourrais
avoir le terme correspondant dans l'autre version
(voir le paragraphe 8(2) de la Loi sur les langues
officielle [S.R.C. 1970, chap. O-2]). De plus, il est
possible que le juge de cette espèce n'y ait pat
suffisamment pris en considération le fait que les
termes anglais «court» et «tribunal» ont acquis une
signification qui ne correspond pas à celle norma-
lement attribuée aux termes français «cour» et
«tribunal».
Deuxièmement, pour répondre à l'argument que
le comité n'a pas rendu une décision et n'a fait que
se former une opinion et adopter un point de vue.
je dirai seulement que, considérant qu'il ne s'est
pas contenté d'adopter ce point de vue dans l'abs-
trait mais a ensuite agi et rendu sa décision sur le
seul fondement de celui-ci, je suis incapable d'ap-
précier pleinement la distinction soumise. Il est
facile à comprendre qu'un tribunal validement
constitué pour exercer des fonctions à caractère
adjudicatif ait le droit de considérer et de trancher
des difficultés juridiques: un tel tribunal doit cer-
tainement interpréter les dispositions législatives
qu'il est appelé à appliquer en fonction d'un
ensemble particulier de faits. J'estime cependant
que le fait d'affirmer l'inconstitutionnalité de l'une
de ces dispositions et de juger sur ce fondement
diffère entièrement du fait de prendre une conclu
sion incidente ou accessoire sur une question de
droit 6 . Il me semble que les jugements, qu'ils
soient déclaratoires ou pas, lient d'autres personnes
que les parties dans la seule mesure où ils peuvent
avoir valeur d'autorité et ce qui alors vraiment
importe est leur ratio decidendi.
Finalement, pour en venir à la proposition que le
comité ne se voit imposer aucune restriction
expresse au sujet des questions qu'il peut examiner
lorsqu'il tranche les affaires qui ont été portées
devant lui, j'observerai qu'il existe des restrictions
inhérentes à notre Constitution qui, transcendant
toutes les lois, n'ont pas besoin d'être énoncées
expressément où et dès qu'elles s'appliquent. Et
6 Voir, sur ce point, les observations faites par le professeur
Gilles Pépin dans son récent article intitulé «La compétence des
cours inférieurs et des tribunaux administratifs de stériliser,
pour cause d'invalidité ou d'ineffectivité, les textes législatifs et
réglementaires qu'ils ont mission d'appliquer», publié dans
(1987), 47 R. du B. 509, particulièrement aux pages 529 et
suivantes.
voilà à vrai dire le motif sur lequel je me fonde
pour donner une réponse négative catégorique à la
question en litige telle que je l'ai énoncée.
Bien que l'absence d'un principe rigide de sépa-
ration des pouvoirs dans notre système constitu-
tionnel ait été amplement commentée verbalement
et par écrit, je crois que personne n'a jamais douté
que chacun des trois pouvoirs d'État, le législatif,
l'exécutif et le judiciaire, possède des fonctions
exclusives. Selon ma conception, le rôle attribué au
pouvoir judiciaire de contrôler la validité juridique
des dispositions législatives édictées par le Parle-
ment et par les législatures provinciales fait partie
de ces fonctions exclusives. S'il en est ainsi c'est, à
mon avis, parce que le fondement institutionnel
même d'une société libre et démocratique comme
la nôtre, le respect de la suprématie de la loi, est
directement en jeu. Je considère inacceptable
qu'une disposition légale qui serait édictée réguliè-
rement et qui serait en vigueur et valide selon
toute apparence puisse être écartée par un autre
organisme investi d'une compétence décisionnelle
qui ne serait pas une autorité judiciaire constitu-
tionnellement habilitée à mettre en doute la vali-
dité d'une telle disposition. Permettre aux mem-
bres et aux mandataires du pouvoir exécutif de
l'État d'agir de la sorte, soit à titre de ministres
soit dans l'exercice des pouvoirs qu'ils détiennent
dans le cadre du processus administratif, indivi-
duellement ou à titre de membres du cabinet ou de
tribunaux administratifs, ce serait contrevenir
directement au concept même de démocratie. Et
certainement, en ce qui concerne cette question, il
serait indifférent que ceux-ci se limitent à [TRA-
DUCTION] «adopter un point de vue» et [TRADUC-
TION] «n'aillent pas jusqu'à rendre une décision
déclaratoire» tant qu'ils prendraient sur eux-
mêmes d'agir et d'exercer leurs fonctions sur le
fondement d'un tel point de vue.
Je suis donc d'opinion qu'une condition fonda-
mentale doit être remplie par un organisme public
investi d'une compétence décisionnelle pour qu'il
ait le droit de contester la validité d'une loi du
Parlement: il doit faire partie du pouvoir judiciaire
de l'État. Il pourra y avoir parfois de grandes
difficultés à déterminer avec certitude si un tribu
nal particulier a acquis ou s'est vu attribuer un tel
statut, surtout que le seul fait qu'un tribunal soit
appelé à exercer des fonctions adjudicatives et qu'il
ait été investi de pouvoirs judiciaires n'est à cet
égard aucunement décisif (voir ce que le juge
Fauteux (c'était alors son titre) a eu à dire sur ce
point dans l'arrêt Théberge (J.R.) Liée v. Syndicat
National des Employés de l'Aluminum d'Arvida
Inc. et al., [ 1966] R.C.S. 378, la page 382). Et
de telles difficultés peuvent se combiner à d'autres
venant des articles de la Loi constitutionnelle de
1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)] traitant du
système judiciaire qui limitent les pouvoirs des
autorités législatives de conférer à des tribunaux
ou à des cours inférieures créées par des lois la
compétence de cours supérieures. Tout cela est
cependant étranger à la difficulté que nous avons à
trancher aujourd'hui. Ainsi que nous l'avons noté
au départ, le comité de révision visé en l'espèce fait
partie du système administratif et agit à titre de
mandataire du pouvoir exécutif; il ne possède
aucun des attributs d'un organisme judiciaire.
Je conclus donc que le tribunal dont la décision
est attaquée en l'espèce n'avait pas le droit de
contester la constitutionnalité des dispositions
législatives qu'il lui était demandé d'interpréter et
d'appliquer. Dans l'exécution de son mandat,
comme toutes les autorités publiques du pays, il est
lié par la loi existante ou ce qui semble être la loi
existante aussi longtemps qu'aucune décision du
pouvoir judiciaire n'aura pas déclaré que cette loi
est inopérante ou invalide. La demande fondée sur
l'article 28 devrait donc être accordée, la décision
attaquée devrait être annulée et la question devrait
être renvoyée devant le comité de révision pour
qu'il la tranche conformément à la loi telle qu'elle
existe.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: J'ai eu l'avantage de lire le
projet des motifs de jugement rédigés par mon
collègue le juge Marceau.
Le mandat du tribunal dont la décision est
soumise à notre examen est exposé à l'article 15 de
la Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C.
1973-74, chap. 44 et ses modifications, qui est
ainsi libellé:
15. Une personne, un ministère, département, organisme ou
établissement, qui n'est pas satisfait d'une décision rendue en
vertu de la présente loi selon laquelle aucune allocation ne leur
est payable, peut interjeter appel de la décision devant un
tribunal qui doit être créé et fonctionner conformément aux
règlements; le tribunal peut confirmer ou modifier la décision
ainsi rendue et, sur une demande que lui présente la personne,
le ministère, le département, l'organisme ou l'établissement ou
le Ministre et qui s'appuie sur une preuve qui n'a pas été
examinée auparavant, infirmer ou modifier toute décision qu'il
a rendue.
Les termes utilisés dans cet article suggèrent que
le mécanisme de révision en cause a pour objet
d'assurer qu'aucune personne et qu'aucun orga-
nisme ne se voie refuser une allocation qui lui
serait par ailleurs payable en vertu de la Loi et,
inversement, qu'une telle personne ou un tel orga-
nisme ne reçoive pas une allocation qui ne lui est
pas payable. Il est prescrit au tribunal qui rend
cette décision de fonctionner «conformément aux
règlements», et le paragraphe 23(2) du Règlement
concerné porte:
23... .
(2) La décision d'un comité de révision peut, conformément à
la Loi, confirmer ou modifier toute décision antérieure concer-
nant la teneur de l'appel. [C'est moi qui souligne.]
Ces dispositions, à ce qu'il semble, limitent l'éten-
due du mandat du tribunal à la révision, dans le
cadre d'un appel, d'une «décision ... selon laquelle
aucune allocation ... [n']est payable» en vertu de
la Loi. Ce faisant, le comité de révision peut
confirmer ou modifier (vary) et même, dans cer-
taines circonstances, infirmer ou modifier (amend)
cette décision.
Selon mon opinion, le mandat du tribunal en
cause ne l'habilite aucunement à décider si des
droits enchâssés dans la Charte ont été violés ou
niés ou si les dispositions législatives en jeu entrent
en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de
la personne, S.C. 1976-77, chap. 33. En particu-
lier, il est remarquablement dépourvu de tout pou-
voir d'accorder un redressement en vertu du para-
graphe 24(1) de la Charte'. Au contraire, le
mandat de ce tribunal se limite à déterminer, sur
le fondement de la Loi telle qu'elle se trouve
rédigée, si une allocation est légalement payable eu
' 24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
égard à la preuve présentée et aux prétentions
soumises. À mon avis, il n'est pas habilité à statuer
sur la validité, du point de vue constitutionnel ou
d'un autre point de vue, de la Loi et des
règlements.
Je ne crois pas non plus que la décision pronon-
cée par cette Cour dans l'affaire Zwarich c.
Canada (Procureur général) [[1987] 3 C.F. 253]
tranche la question en litige. Selon mon interpréta-
tion de ce jugement, le litige relatif à la Charte
visé dans cette affaire mettait en jeu une «question
de droit» 8 soulevée à bon droit pour être décidée
par un juge-arbitre que sa qualité de juge ou'
d'ancien juge habilitait à être nommé ou choisi
pour exercer de telles fonctions 9 . Ces circonstances
96. Le juge-arbitre peut trancher toute question de droit ou
de fait pour statuer sur un appel interjeté en vertu de l'article
95; il peut rejeter l'appel, rendre la décision que le conseil
arbitral aurait dû rendre, renvoyer l'affaire au conseil arbitral
pour nouvelle audition et nouvelle décision conformément aux
directives qu'il juge appropriées, confirmer, infirmer ou modi
fier totalement ou partiellement la décision du conseil arbitral.
[Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap.
48 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 56).]
9 92. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer, parmi les
juges de la Cour fédérale du Canada, autant de juges-arbitres
qu'il l'estime nécessaire aux fins de la présente loi et, sous
réserve des dispositions de cette dernière, il peut, par règlement,
déterminer leur compétence. [Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, (mod. par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 158, art. 55).]
(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.3), tout juge ou ancien
juge d'une cour supérieure, de comté ou de district au Canada
peut, sur demande faite par le juge-arbitre en chef avec l'appro-
bation du gouverneur en conseil, exercer les fonctions d'un
juge-arbitre et détient, dans l'exercice desdites fonctions, tous
les pouvoirs d'un juge-arbitre. [Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48 (mod. par S.C. 1976-77,
chap. 54, art. 55).]
(1.2) La demande visée au paragraphe (1.1) ne peut être
faite à un juge d'une cour d'une province sans le consentement
du juge en chef ou du premier juge de ladite cour, ou du
procureur général de la province.
(1.3) Le gouverneur en conseil peut approuver les demandes
faites en vertu du paragraphe (1.1), soit d'une manière géné-
rale, soit pour des périodes et des fins déterminées; il peut
limiter le nombre de personnes pouvant exercer les fonctions
visées au présent article.
(1.4) Toute personne agissant en qualité de juge-arbitre en
vertu du paragraphe (1.1) reçoit, pendant la période où il
exerce lesdites fonctions, le traitement accordé par la Loi sur
les juges aux juges de la Cour fédérale du Canada autres que le
juge en chef et le juge en chef adjoint, moins le montant que
ladite loi lui alloue par ailleurs pour ladite période; elle reçoit
également les frais de voyage accordés aux juges en vertu de
ladite loi.
sont très éloignées de celles de la présente espèce,
où un pouvoir étendu comme celui-là n'est point
conféré et où les membres du tribunal visé ne
possèdent aucune qualité particulière leur permet-
tant de trancher une question juridique d'une
importance aussi fondamentale.
Je déciderais donc de la demande en l'espèce
ainsi que le propose mon collègue le juge Marceau.
Dans les circonstances, je préfère m'en tenir aux
opinions que j'ai déjà exprimées et laisser pour le
moment indécise la question de savoir quelle signi
fication doit être donnée au mot «court» («tribu-
nal») de l'expression «court of competent jurisdic
tion» («tribunal compétent») dans le cadre d'une
instance civile.
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