T-449-87
Glaxo Canada Inc. (demanderesse)
c.
Ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social, Procureur général du Canada et Apotex
Inc. (défendeurs)
et
Novopharm Limited (intervenante)
RÉPERTORIÉ: GLAXO CANADA INC. c. CANADA (MINISTRE DE
LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÉTRE SOCIAL)
Division de première instance, juge Rouleau—
Toronto, 27, 28, 29 mai, 3 et 4 juin; Ottawa, 22
septembre 1987.
Aliments et drogues — La défenderesse a déposé une pré-
sentation de drogue nouvelle — Un avis de conformité a été
délivré — La demanderesse, une concurrente, sollicite une
injonction interlocutoire — Elle allègue que ses données confi-
dentielles ont été irrégulièrement utilisées, que les obligations
résultant d'un rapport de confiance auquel elle était partie
n'ont pas été respectées, que le Règlement a été appliqué de
manière inégale et incohérente et que la vérification de l'inno-
cuité de la drogue de la défenderesse a été omise — Demande
rejetée — La demanderesse n'a pas la qualité voulue pour agir
— La demande a pour seul objet d'empêcher la concurrence —
Une personne n'a aucun droit de s'immiscer dans un acte
officiel ayant des répercussions sur un concurrent — La vali-
dité de la Loi ou de son Règlement d'application n'est pas
contestée — Les allégations de la demanderesse ne sont pas
appuyées par la preuve.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — La demande-
resse recherche une injonction interlocutoire interdisant la
vente du médicament d'une concurrente — Le procureur géné-
ral est la personne habilitée à agir comme demandeur lors-
qu'un préjudice est causé au public en général — La délivrance
d'un avis de conformité à une concurrente par le ministre n'a
pas porté atteinte aux droits reconnus par la loi à la demande-
resse — Pour que la qualité pour agir dans l'intérêt public soit
reconnue à un particulier, les questions soulevées doivent être
réglables par voie de justice et le demandeur doit établir qu'il
possède un intérêt particulier et subira un dommage spécial —
L'espèce ne présente aucune question réglable par voie de
justice — Demande rejetée.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Injonctions —
Un fabricant de médicaments sollicite une interdiction au
ministre d'accorder des avis de conformité à ses concurrents —
Ce fabricant allègue que le ministre a manqué aux obligations
résultant d'un rapport de confiance, a appliqué le Règlement
de façon incohérente et inégale, et a fait défaut de s'assurer de
l'innocuité du médicament de son concurrent — Une partie n'a
pas qualité pour solliciter une injonction ressortissant au droit
public dans le cas où ses propres droits légaux ne sont pas
touchés et où elle ne subit aucun dommage spécial — Consi-
dérant la nature des responsabilités confiées au ministre par la
législation, l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ne peut
faire l'objet d'une révision judiciaire que s'il a été arbitraire ou
illégal — La demanderesse n'a établi ni une forte apparence de
droit ni un préjudice irréparable — L'injonction interlocutoire
est refusée.
La demanderesse Glaxo vend un médicament développé à
partir de la Ranitidine sous le nom commercial «Zantac».
Plusieurs fabricants avaient obtenu des licences obligatoires
relativement à la Ranitidine. La défenderesse Apotex a déposé
une présentation de drogue nouvelle relativement à la Raniti-
dine, et un avis de conformité lui a été délivré. Glaxo sollicite
une injonction interlocutoire interdisant au ministre de la Santé
nationale et du Bien-être social: (1) de délivrer des avis de
conformité aux fabricants de Ranitidine; (2) d'utiliser les don-
nées confidentielles de la demanderesse; (3) de permettre à
Apotex de vendre le médicament Apo-Ranitidine. L'injonction
recherchée par Glaxo interdirait également à Apotex de vendre
ce médicament.
La demanderesse prétend qu'une partie importante des don-
nées figurant dans la présentation de drogue nouvelle de la
défenderesse était constituée de données confidentielles fournies
par la demanderesse et auxquelles Apotex n'avait pas accès. Le
ministre n'aurait pas respecté les obligations résultant du rap
port de confiance qu'il entretient avec Glaxo, aurait appliqué le
Règlement de façon incohérente et inégale, et aurait manqué à
son obligation de s'assurer de l'innocuité du médicament Apo-
Ranitidine. La demanderesse, en conséquence, perdrait les
droits de propriété qu'elle détient relativement à ses données et
deviendrait moins compétitive.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La demanderesse n'a pas la qualité voulue pour intenter la
présente action. Il est loisible à une personne de protéger ses
propres intérêts; il appartient au procureur général de solliciter
un redressement lorsqu'un préjudice est subi par le public en
général. Un particulier ne peut solliciter une injonction ressor-
tissant au droit public que si l'atteinte au droit public visé
touche également un de ses droits individuels ou lui cause un
préjudice particulier.
Glaxo n'a présenté la demande en l'espèce que pour faire
obstacle à la concurrence. La décision du ministre d'accorder à
Apotex un avis de conformité n'a pas préjudicié aux droits
légaux de la demanderesse. Glaxo n'avait pas le droit de
s'immiscer dans un acte officiel ayant des répercussions sur un
concurrent à seule fin d'empêcher celui-ci d'obtenir quelque
avantage.
Bien que la Cour soit investie d'un pouvoir discrétionnaire lui
permettant de reconnaître à une partie la qualité pour agir dans
l'intérêt public, l'action intentée doit soulever des questions
réglables par voie de justice dans lesquelles le demandeur a un
intérêt véritable. La partie qui prétend avoir qualité pour
contester certaines mesures administratives dans l'intérêt public
doit établir qu'elle possède un intérêt particulier dans ces
dernières et subit un dommage spécial à cause d'elles. La
crainte de la demanderesse que la santé et la sécurité publiques
ne soient mises en péril est une crainte partagée par le public en
général. Son intérêt est uniquement de nature économique.
Aucune question réglable par voie de justice n'était soulevée.
La validité de la Loi ou du Règlement n'était pas contestée. La
demanderesse recherche plutôt l'examen du bien-fondé d'une
décision réglementaire avec laquelle elle est en désaccord.
Considérant la nature des responsabilités prévues dans la légis-
lation, il était clair que la Cour ne pouvait intervenir relative-
ment à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre aussi
longtemps que ce pouvoir n'avait pas été exercé de façon
arbitraire ou illégale.
Les allégations de Glaxo suivant lesquelles le ministre avait
irrégulièrement utilisé ses données et avait manqué de s'assurer
de l'innocuité du médicament de la défenderesse étaient fondées
sur des conjectures. Aucune preuve n'avait été faite d'une
utilisation non autorisée des données ou d'une discrimination
consistant à exiger davantage de renseignements de la deman-
deresse que de la défenderesse.
Il existait d'autres motifs pour lesquels l'injonction interlocu-
toire devait être refusée. La demanderesse n'avait pas établi
une forte apparence de droit; elle n'avait pas non plus établi
qu'elle subirait un préjudice irréparable puisque tous les dom-
mages qu'elle subirait pourraient être évalués en fonction des
ventes du médicament de la défenderesse.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, chap. F-27.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10.
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41 (mod.
par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 64).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
La compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c.
Le ministre du Revenu national (N° 1), [1976] 2 C.F. 500
(C.A.); Finlay c. Canada (Ministre des Finances),
[1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 71 N.R. 338; Boulis c.
Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immimgration,
[1974] R.C.S. 875.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rosenberg et al. v. Grand River Conservation Authority
et al. (1976), 12 O.R. (2d) 496 (C.A.); Re Pim and
Minister of the Environment et al. (1978), 23 O.R. (2d)
45 (H.C.J.); Attorney -General for Ontario v. Grabar-
chuk et al. (1976), 67 D.L.R. (3d) 31 (H.C.J. de l'Ont.);
Thorson c. Procureur général du Canada et autres,
[1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c.
McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; Ministre de la Justice du
Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575;
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396; [1975] 1 All ER 504 (H.L.); Pfizer Canada Inc. c.
Ministre de la Santé et du Bien-être social et autre
(1986), 12 C.P.R. (3d) 438 (C.A.F.); Apotex Inc. c.
Canada (procureur général), [1986] 2 C.F. 233; 9 C.P.R.
(3d) 193 (1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Astra Pharmaceuticals Canada Ltd. et autres c. Apotex
Inc. (1984), 1 C.P.R. (3d) 513 (C.F. 1" inst.); Pfizer
Canada Inc. c. Procureur général du Canada et autre
(1986), 8 C.P.R. (3d) 532 (C.F. lre inst.); Apple Compu
ter Inc. et autre c. Macintosh Computers Ltd. et autres
(1985), 3 C.P.R. (3d) 34 (C.F. 1" inst.); Syntex Inc. c.
Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012; 1 C.P.R. (3d) 145
(C.A.); Wyeth Ltd. c. Novopharm Ltd. (1985), 7 C.P.R.
(3d) 399 (C.F. lre inst.).
AVOCATS:
John P. G. Bell et J. Martin Peters pour la
demanderesse.
Marlene I. Thomas pour les défendeurs le
ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social et le procureur général du Canada.
Harry B. Radomski pour la défenderesse
Apotex Inc.
W. A. Kelly, c.r., pour l'intervenante Novo-
pharm Ltd.
PROCUREURS:
Shibley, Righton & McCutcheon, Toronto,
pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs le ministre de la Santé natio-
nale et du Bien-être social et le procureur
général du Canada.
Goodman & Goodman, Toronto, pour la
défenderesse Apotex Inc.
Fasken & Calvin, Toronto, pour l'interve-
nante Novopharm Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Il s'agit d'une requête par
laquelle la demanderesse sollicite la délivrance
d'une injonction interlocutoire conformément aux
dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10 et ses modifications ainsi
que de la Loi des aliments et drogues, S.R.C.
1970, chap. F-27 et ses règlements d'application
ainsi que leurs modifications, visant à:
[TRADUCTION] a) interdire au ministre défendeur
i) d'accorder un avis de conformité aux fabricants de la
drogue Ranitidine,
ii) d'utiliser de quelque manière des renseignements ou des
données confidentiels appartenant à la demanderesse;
b) interdire au ministre défendeur de continuer de permettre
à la défenderesse Apotex Inc. de vendre, d'annoncer pour la
vente ou de commercialiser de quelque manière son médica-
ment Apo-Ranitidine sur le fondement de son avis de
conformité;
c) interdire à la défenderesse Apotex Inc. de vendre, d'an-
noncer pour la vente ou de commercialiser de quelque
manière son médicament Apo-Ranitidine sur le fondement de
son avis de conformité.
La présente affaire concerne le processus selon
lequel les nouvelles drogues sont approuvées pour
les fins de leur fabrication et de leur vente au
Canada. La Protection de la santé est une direc
tion générale du ministère de la Santé nationale et
du Bien-être social. Cette direction générale a
notamment le devoir et l'obligation d'analyser les
présentations de drogues nouvelles faites par les
fabricants de produits pharmaceutiques en vue de
l'obtention de l'avis de conformité prévu à la Loi
des aliments et drogues et à ses règlements d'ap-
plication. Le ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social est responsable de l'application de
la Loi ainsi que des règlements et a l'obligation de
superviser les activités de la direction générale de
la Protection de la santé ainsi que l'application des
règlements régissant les présentations de drogues
nouvelles.
Avant de pouvoir vendre un nouveau médica-
ment au Canada, les sociétés pharmaceutiques doi-
vent obtenir un avis de conformité de la direction
générale de la Protection de la santé. À cette fin,
elles doivent déposer devant la direction générale
une présentation de drogue nouvelle comprenant
une vaste documentation, notamment une mono-
graphie du produit, en conformité avec le Règle-
ment. L'objet principal du Règlement est d'assurer
que toute drogue nouvelle satisfait à des normes de
sécurité rigoureuses visant à protéger le public
canadien. Lorsqu'il conclut, au terme de son
examen, que la présentation de la drogue nouvelle
respecte les normes édictées, le ministre a l'obliga-
tion de délivrer un avis de conformité en applica
tion du Règlement.
La demanderesse Glaxo Canada Inc. est une
filiale d'une société pharmaceutique multinatio-
nale appelée Glaxo, située au Royaume-Uni.
Glaxo fabrique, vend et annonce pour la vente des
produits pharmaceutiques à travers le Canada. Un
des principaux produits pharmaceutiques de la
demanderesse est un médicament développé à
partir de la Ranitidine, qu'elle a commercialisé et
vendu au Canada depuis 1982 sous le nom com
mercial «Zantac». Ce médicament est principale-
ment utilisé pour inhiber la sécrétion d'acide gas-
trique et de pepsine dans l'estomac humain et est
prescrit par les médecins pour soulager la douleur,
favoriser la guérison des ulcères et contrôler certai-
nes maladies telles les ulcères duodénaux ainsi que
les ulcères bénins de l'estomac et réduire la récur-
rence des ulcères.
Afin de vendre Zantac et de l'annoncer pour la
vente au Canada, la demanderesse a soumis une
présentation de drogue nouvelle à la direction
générale de la Protection de la santé. Un avis de
conformité a été délivré par le ministre le 26
novembre 1981. Le 19 juin 1986, le ministre a
délivré un second avis de conformité à la demande-
resse relativement au supplément qu'elle a ajouté à
sa présentation de drogue nouvelle visant Zantac;
ce supplément modifiait la monographie soumise
par la demanderesse relativement au produit
Zantac.
L'article 41 de la Loi sur les brevets, S.R.C.
1970, chap. P-4, et ses modifications [S.R.C. 1970
(2 e Supp.), chap. 10, art. 64], établit la procédure
suivant laquelle une société pharmaceutique peut
obtenir une licence obligatoire permettant la fabri
cation et la commercialisation d'un médicament
génériquement équivalent à un autre, à la condi
tion de payer une redevance au breveté. Le para-
graphe 41(4) de la Loi prévoit que le commissaire
des brevets, saisi d'une demande de délivrance de
licence relativement à un brevet ayant trait à des
médicaments ou à la préparation ou à la produc
tion de médicaments, doit accorder la licence
demandée à moins d'avoir de bonnes raisons de ne
pas le faire.
En s'appuyant sur les dispositions susmention-
nées de la Loi sur les brevets, Novopharm Ltd.,
Genpharm Inc., Medichem Inc., Frank W. Horner
Inc. et Apotex Inc. ont toutes obtenu ou demandé
des licences obligatoires relativement à la Raniti-
dine. La défenderesse Apotex Inc. a déposé auprès
du ministre une présentation de drogue nouvelle
visant la vente ainsi que l'annonce pour la vente de
la Ranitidine, et un avis de conformité lui a été
délivré le 23 février 1987.
Dans sa déclaration, la demanderesse soutient
que les données figurant dans la présentation de
drogue nouvelle qu'elle a soumise au ministre ont
été fournies étant entendu qu'elles ne seraient
utilisées que pour les fins de l'évaluation de la
présentation de drogue nouvelle de la demande-
resse, et pour aucune autre fin sans sa permission.
En conséquence, la demanderesse soutient qu'il
existe entre elle et le ministre un rapport de con-
fiance relativement aux données en question ainsi
qu'aux connaissances pouvant en être tirées.
La demanderesse soutient que la présentation de
drogue nouvelle déposée par Apotex aurait dû
comprendre le même genre de données que celles
que comprenait sa propre présentation. Toutefois,
la demanderesse soutient qu'une partie très impor-
tante des données que le Règlement obligeait
Apotex à soumettre était constituée de données
confidentielles de la demanderesse et n'était pas
accessible à Apotex. En conséquence, en délivrant
un avis de conformité à Apotex alors que sa pré-
sentation de drogue nouvelle était incomplète, le
ministre a appliqué le Règlement d'une manière
inégale et incompatible avec la méthode et la
norme utilisées dans l'évaluation de la présentation
de nouvelle drogue de la demanderesse. La deman-
deresse soutient que le ministre n'a pas respecté
son obligation d'appliquer le Règlement d'une
manière équitable, égale et cohérente. De plus, la
demanderesse soutient que le ministre a manqué à
son obligation de s'assurer de l'innocuité de la
drogue nouvelle d'Apotex et de sa conformité avec
le Règlement.
La demanderesse soutient également que, en
utilisant les données de la demanderesse pour ana
lyser et évaluer la présentation de drogue nouvelle
d'Apotex, le ministre n'a pas respecté les obliga
tions découlant du rapport de confiance qu'il
entretenait avec la demanderesse.
La demanderesse prétend que, à la suite de la
délivrance d'un avis de conformité à Apotex, elle
perdra les droits de propriété qu'elle détient relati-
vement à ses données et que, en conséquence, elle
deviendra moins compétitive.
En résumé, la demanderesse soutient dans sa
déclaration que le ministre, en traitant de la pré-
sentation de drogue nouvelle d'Apotex, a:
[TRADUCTION] (a) manqué de s'assurer que le Règlement
était appliqué de façon équitable et cohérente;
(b) manqué de s'assurer que le caractère confidentiel des
données de la demanderesse soit respecté;
(c) manqué de s'assurer que la présentation de drogue nou-
velle d'Apotex satisfaisait aux exigences du Règlement.
La demanderesse, dans sa déclaration, sollicite
contre les défendeurs les redressements suivants:
[TRADUCTION] (a) un jugement déclaratoire portant que le
ministre a manqué à son devoir fiduciaire envers Glaxo et
qu'il a manqué aux obligations que lui fixe la Loi en déli-
vrant un avis de conformité à Apotex ainsi qu'en appliquant
le Règlement à l'égard de Glaxo d'une manière inéquitable,
incohérente et discriminatoire;
(b) un bref de prohibition interdisant au ministre d'utiliser
toute donnée de Glaxo ou toute connaissance tirée de telle
donnée dans l'analyse des présentations de drogues nouvelles;
(c) un bref de mandamus obligeant le ministre d'une part, à
révoquer l'avis de conformité délivré à Apotex pour le médi-
cament Ranitidine de manière à remplir les obligations que
lui fixe la Loi de protéger la santé et de sauvegarder la
sécurité publique canadienne et d'autre part, à remplir ses
obligations envers Glaxo en respectant le caractère confiden-
tiel des renseignements qu'elle a fournis;
(d) une injonction interdisant au ministre:
(i) de délivrer des avis de conformité relatifs à la Raniti-
dine jusqu'à ce que le Règlement ait été respecté;
(ii) de continuer de permettre à Apotex de vendre ou
d'annoncer son médicament Ranitidine ou d'entreprendre
toute autre action en s'autorisant de son avis de
conformité;
(iii) d'utiliser les données de Glaxo ou les connaissances
tirées de celle-ci dans l'analyse des présentations de dro-
gues nouvelles d'autres sociétés;
(iv) de divulguer les données de Glaxo à d'autres sociétés;
(e) une injonction empêchant l'intimée Apotex de vendre ou
d'annoncer pour la vente son médicament en cause et interdi-
sant notamment à cette société de prendre ou de remplir
toute commande relative audit médicament et de le fabri-
quer, l'expédier ou le manutentionner;
(f) des dommages-intérêts fondés sur:
(i) le fait que le ministre, en utilisant les données de Glaxo,
n'a pas respecté leur caractère confidentiel;
(ii) le fait que le ministre a manqué aux obligations que lui
imposait la loi et a appliqué le Règlement de façon inéqui-
table et discriminatoire.
Avant d'entamer l'examen des arguments pré-
sentés par la demanderesse à l'appui de sa
demande d'injonction interlocutoire et l'étude des
arguments contraires des défendeurs, j'ai l'inten-
tion de déterminer si la demanderesse a la qualité
voulue ou le locus standi pour intenter les présen-
tes procédures. Les défendeurs soutiennent que la
décision du ministre d'accorder un avis de confor-
mité à la défenderesse Apotex Inc. ne touchant pas
directement la demanderesse, celle-ci n'a pas la
qualité voulue pour l'attaquer. Cette prétention est
fondée sur le postulat selon lequel une partie n'a
pas la qualité requise pour contester une décision
administrative du gouvernement lorsque ses droits
reconnus par la loi ou ses intérêts ne peuvent être
considérés comme ayant été touchés de façon
directe par cette décision. En conséquence, une
partie doit, pour établir qu'elle a la qualité requise
pour intenter une action, démontrer qu'elle pos-
sède un intérêt légal direct, par opposition à un
intérêt purement économique, dans la question en
litige. Les défendeurs soutiennent que la demande-
resse ne possède pas, en l'espèce, un intérêt légal
direct dans la décision prise par le ministre relati-
vement à la défenderesse Apotex Inc. et qu'elle ne
possède pas un intérêt légal direct lui permettant
de solliciter la révision de la décision prise par le
ministre relativement aux autres sociétés ou de
participer à cette décision; l'objet recherché par la
demanderesse, c'est-à-dire le maintien de son
monopole, est à caractère purement économique et
ne saurait être assimilé à un intérêt légal.
La demanderesse prétend qu'une fois délivré un
avis de conformité, un concurrent de la personne
ayant obtenu cet avis a, à première vue, pleine-
ment le droit d'entamer une action recherchant la
révision de la décision ainsi que de l'acte du minis-
tre. En conséquence, un recours légal s'offre à la
demanderesse lui permettant de solliciter l'inter-
vention de cette Cour si elle est d'opinion que l'avis
de conformité a été délivré illégalement à la défen-
deresse Apotex. La demanderesse cite à l'appui de
cette proposition la décision prononcée par la Cour
d'appel fédérale dans l'affaire La compagnie
Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c. Le
ministre du Revenu national (N° 1), [1976] 2 C.F.
500, dans laquelle le juge Le Dain a dit, aux pages
509 et 510:
On peut admettre que, dans certains contextes, une situation de
concurrence confère le droit de contester l'action administrative
par un certiorari pour annuler, par exemple, l'attribution d'une
licence pour excès de compétence ...
La présente affaire ne soulève pas la question des limites d'un
pouvoir légal. Il s'agit tout au plus d'une question d'interpréta-
tion administrative nécessaire à l'application de la loi en
vigueur. En fait l'acte incriminé dans la présente affaire ne
prête pas à contestation ... Il ne s'agit pas d'une décision visant
les droits ou obligations individuels ... Il n'y a aucune obliga
tion d'agir de façon judiciaire ou impartiale au sens procédural
de ces termes ... il n'existe pas d'obligation publique dont les
appellantes auraient le droit de demander l'exécution.
La demanderesse soutient qu'il est de droit
établi qu'un membre d'une industrie réglementée
a, à première vue, le droit de s'opposer à des actes
officiels illégaux ou excédant la compétence de
leur auteur, et de faire obstacle à de tels actes ainsi
qu'à la concurrence non autorisée ou illégale qui
en découle.
De façon générale, dans les affaires ressortissant
au droit administratif, il est rare que soit soulevée
la question de savoir si le requérant a la qualité ou
le locus standi pour solliciter un redressement. La
locution locus standi s'entend comme désignant la
capacité juridique requise pour contester un acte
ou une décision. La majorité des demandes de
révision judiciaire sont présentées par la partie
directement visée par le décideur—tel est le cas,
par exemple, lorsqu'une licence est refusée, lors-
qu'un bien-fonds est exproprié ou lorsqu'une
somme d'argent n'est pas payée. La question du
locus standi se pose toutefois lorsque l'on s'éloigne
de cette catégorie; tel est le cas, par exemple,
lorsque sont en jeu les intérêts du propriétaire d'un
bien-fonds qui prévoit une diminution importante
de l'agrément de sa propriété à la suite d'une
décision administrative permettant la construction
d'un gratte-ciel ou lorsque, comme en l'espèce,
entrent en jeu les intérêts des concurrents.
La règle traditionnelle veut qu'il soit loisible à
une personne de protéger ses propres intérêts sans
qu'elle puisse toutefois défendre les intérêts du
public en général ni intenter une action ayant pour
objet d'empêcher la violation d'un droit public. Il a
toujours été considéré qu'il appartient au procu-
reur général, et non aux particuliers, de se faire le
défenseur de l'intérêt public. Dans l'affaire Rosen-
berg et al. v. Grand River Conservation Authority
et al. (1976), 12 O.R. (2d) 496 (C.A.), ainsi que
dans l'affaire Re Pim and Minister of the Envi
ronment et al. (1978), 23 O.R. (2d) 45 (H.C.J.), il
a été conclu que le procureur général est la partie
devant défendre l'intérêt public, soit de son propre
chef soit relativement à une autre personne. En
conséquence, les particuliers ne peuvent entamer
des poursuites relativement à des questions concer-
nant des atteintes à l'intérêt public que s'ils ont
eux-mêmes subi des dommages ou ont subi des
dommages supérieurs à ceux qu'a subi le public en
général. Le procureur général a communément été
reconnu comme ayant toujours compétence pour
contester un acte administratif illicite ou une
mesure législative inconstitutionnelle. Dans l'af-
faire Attorney -General for Ontario v. Grabarchuk
et al. (1976), 67 D.L.R. (3d) 31 (H.C.J. de
l'Ont.), le juge Reid a déclaré, à la page 36:
[TRADUCTION] II existe de nombreux précédents en Angle-
terre et en Australie pour appuyer la proposition que le procu-
reur général, en qualité de protecteur des droits publics et de
l'intérêt public, peut obtenir une injonction lorsque les disposi
tions d'une loi publique se trouvent bafouées. Tel est le cas
nonobstant le fait que (a) la loi elle-même puisse prévoir un
autre genre de pénalité, et (b) les autres recours possibles
n'aient pas tous été épuisés. Le rôle du procureur général de
gardien de l'intérêt public est le même en Angleterre, en
Australie et au Canada. Cette conclusion ressort clairement des
décisions suivantes, par exemple: Public Accountants Council v.
Premier Trust Co., [1964] 1 O.R. 386; 42 D.L.R. (2d) 411, et
Cowan v. Canadian Broadcasting Corp., [ 1966] 2 O.R. 309; 56
D.L.R. (3d) 578. Dans cette dernière affaire, M. le juge
Schroeder a dit au nom de la Cour d'appel [aux pages 314
O.R.; 583 D.L.R.]:
Selon notre droit, le procureur général est le représentant
légal des intérêts d'ordre public dont est investie la Cou-
ronne; il doit, en sa qualité de fonctionnaire de la Couronne,
en assurer le respect.
Une partie aura la qualité requise pour deman-
der une injonction dans une affaire ressortissant au
droit public lorsqu'une atteinte à un droit public
touche également un de ses droits individuels ou à
défaut de cela, lui cause un préjudice particulier.
Lorsque le préjudice résultant d'un acte illicite vise
le public en général, un particulier n'a pas la
qualité voulue pour demander une injonction qui
empêcherait l'acte illicite d'être posé. Je le répète,
ce rôle est dévolu au procureur général qui, repré-
sentant le public en général, voit à la protection de
l'intérêt public en s'assurant qu'il n'y a pas abus
des pouvoirs conférés par les lois et que les devoirs
que celles-ci imposent ne sont pas violés.
En conséquence, la demanderesse, pour être apte
à contester la décision du ministre, doit établir
qu'il a été porté directement atteinte à ses droits
reconnus par la loi ou à quelque autre intérêt lui
appartenant. Je ne suis pas convaincu que la
demanderesse a satisfait à l'un ou à l'autre de ces
critères. Il me semble que la demanderesse n'a
présenté la demande en l'espèce que pour faire
obstacle à la concurrence dans un marché où,
jusqu'à la date de la délivrance de l'avis de confor-
mité à la défenderesse Apotex Inc. par le ministre,
elle a, à toutes fins pratiques, joui d'un monopole.
Je suis d'accord avec les défendeurs pour dire que
cet intérêt de la demanderesse ne se traduit pas en
un droit ou en un intérêt suffisant pour lui conférer
la qualité requise pour intenter la présente action.
Dans l'arrêt La compagnie Rothmans de Pall
Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu
national (N° 1), précité, le juge Le Dain a déclaré,
aux pages 509 et 510:
Une personne ne devrait cependant pas, à mon avis, avoir le
droit d'intervenir dans une action administrative concernant un
concurrent dans le seul but d'empêcher le concurrent d'obtenir
un avantage, notamment lorsque la personne se plaint d'une
action dont elle peut elle-même librement tirer parti. Ce genre
d'intérêt semble avoir été clairement rejeté dans l'affaire
Regina c. Commissioners of Customs and Excise [1970] 1
W.L.R. 450 (quoiqu'il s'agisse d'une affaire de mandamus),
dans laquelle le juge en chef lord Parker déclarait [à la page
456]: [TRADUCTION] 0En second lieu, il me semble en tout cas
que l'intérêt ou le motif à l'origine de cette demande est un
motif que je qualifierais de motif caché, visant à nuire aux
affaires des autres et rien de plus.» Il faut garder à l'esprit
l'intérêt public lorsqu'on exerce le pouvoir discrétionnaire judi-
ciaire visant à reconnaître la qualité pour agir dans une relation
de concurrence.
Il n'est pas étonnant que la demanderesse, se
trouvant en concurrence avec la défenderesse
Apotex Inc., soit intéressée par la décision du
ministre d'accorder à Apotex un avis de confor-
mité. J'estime néanmoins qu'un tel intérêt ne cons-
titue pas un intérêt légal. La décision du ministre
d'accorder à Apotex un avis de conformité n'a en
aucune façon modifié les droits légaux de la
demanderesse et ne lui a imposé aucune obligation
légale. Ainsi que nous l'avons déjà dit, une concur-
rente comme la demanderesse n'a pas le droit
d'intervenir dans un acte officiel touchant un autre
concurrent à seule fin d'empêcher celui-ci d'obte-
nir quelque avantage. Je suis d'avis que la décision
du ministre de délivrer un avis de conformité à la
défenderesse Apotex Inc. a pour la demanderesse
des conséquences trop indirectes, éloignées ou con-
jecturales pour lui conférer la qualité d'agir selon
la règle générale. La demanderesse doit donc invo-
quer une qualité pour agir essentiellement axée sur
un intérêt public.
La demanderesse prétend que, indépendamment
de sa qualité pour agir fondée sur la violation de
ses droits individuels, elle possède la qualité
requise pour intenter son action parce que:
[TRADUCTION] (a) elle possède dans la légalité des actes du
ministre et du ministère relatifs à la délivrance d'un avis de
conformité à Apotex un intérêt personnel suffisant pour que
l'on puisse dire qu'elle a la qualité requise en général pour
demander un jugement déclaratoire ou une injonction pour
contester l'exercice d'un pouvoir conféré par une loi;
(b) cette Cour possède un pouvoir discrétionnaire supplémen-
taire lui permettant de reconnaître la qualité pour agir dans
l'intérêt public dans les circonstances de la présente espèce;
(c) à la lumière des faits de la présente espèce, un tel pouvoir
discrétionnaire devrait être exercé en faveur de la
demanderesse.
Il a nettement été établi par la Cour suprême du
Canada que cette Cour est investie d'un pouvoir
discrétionnaire lui permettant de reconnaître à une
partie la qualité pour agir dans l'intérêt public
dans certaines circonstances bien délimitées. Dans
l'arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances),
[1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 71 N.R. 338, la Cour
devait décider si un particulier possédait la qualité
requise pour demander un jugement déclarant que
certains paiements effectués sur le fonds du revenu
consolidé étaient illégaux pour le motif qu'ils
n'avaient pas été faits conformément à l'autorisa-
tion conférée par la loi applicable. Plus précisé-
ment, il s'agissait de savoir si on devait reconnaître
à un bénéficiaire de l'assistance provinciale qui
prétendait être lésé par certaines dispositions de la
loi provinciale régissant cette assistance la qualité
pour demander un jugement déclaratoire portant
que la contribution du gouvernement fédéral au
coût de cette assistance, versée au gouvernement
provincial conformément au Régime d'assistance
publique du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-1, était
illégale parce que contraire à l'autorisation donnée
par le Régime.
Le juge Le Dain, prononçant les motifs de la
Cour, a conclu que, pour répondre à ces questions,
il fallait se demander si la Cour avait le pouvoir
discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir
à une partie voulant faire valoir en justice un droit
ou un intérêt purement public, une qualité qui,
traditionnellement, a appartenu au procureur
général. Plus précisément, il fallait rechercher si la
conception de la qualité pour agir dans l'intérêt
public qui ressortait des arrêts Thorson c. Procu-
reur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S.
138; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil,
[1976] 2 R.C.S. 265; et Ministre de la Justice du
Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575,
décidant des affaires dans lesquelles était contestée
la constitutionnalité de certaines dispositions légis-
latives, s'appliquait à une contestation, pour des
motifs autres que constitutionnels, dirigée contre le
pouvoir de prendre des mesures administratives
que confère la loi.
La Cour suprême a conclu que l'intimé n'avait
pas un intérêt suffisamment direct et personnel
dans la légalité des versements fédéraux au titre du
partage des frais pour qu'on puisse dire qu'il avait
la qualité requise en général pour demander, sans
le consentement du procureur général, un juge-
ment déclaratoire ou une injonction pour contester
l'exercice d'un pouvoir conféré par la loi. La Cour
était toutefois d'avis que la qualité pour intenter
l'action en question dans l'intérêt public était une
question ressortissant à son pouvoir discrétionnaire
et devait être reconnue à l'intimé. La conception
de la qualité pour agir dans l'intérêt public qui se
dégage des décisions rendues par la Cour suprême
dans les affaires Thorson, McNeil et Borowski, où
il y avait contestation de la constitutionnalité ou de
l'effet d'un texte de loi, a été étendue à une action
en jugement déclaratoire, sans contestation de
constitutionnalité, à l'égard du pouvoir que confère
la loi de faire des dépenses publiques ou d'accom-
plir quelque autre action administrative. L'intimé
a satisfait à tous les critères énoncés dans les arrêts
Thorson, McNeil et Borowski relativement à
l'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de
reconnaître la qualité pour agir dans . l'intérêt
public, puisque son action soulevait des questions
réglables par voie de justice, que ces questions
concernaient un vrai litige et que l'intimé avait un
intérêt véritable dans celles-ci. En conséquence, la
Cour a reconnu à l'intimé la qualité pour deman-
der aussi bien une injonction qu'un jugement
déclaratoire.
Selon mon opinion, la demanderesse en l'espèce
ne satisfait pas aux exigences énoncées dans l'arrêt
Finlay (précité) relativement à la qualité requise
pour contester, dans l'intérêt public, la décision du
ministre de délivrer un avis de conformité à la
défenderesse Apotex Inc. La partie qui prétend
avoir qualité pour contester la validité de certaines
procédures administratives dans l'intérêt public
doit établir qu'elle possède un intérêt particulier
dans les dispositions législatives en cause et que les
actes illégaux contestés lui causeront un dommage
spécial. Une partie dont les droits légaux ne sont
pas touchés ou qui recherche simplement l'exécu-
tion de droits publics ne se verra point accorder la
qualité lui permettant de solliciter un jugement
déclaratoire ou une injonction. Cette règle de droit
a été énoncée par le juge Le Dain dans l'arrêt
Finlay (précité) aux pages 620 et 621 R.C.S.; 353
et 354 N.R.:
Dans l'affaire Australian Conservation Foundation, précitée,
où la Haute Cour d'Australie a appliqué la règle de l'arrêt
Boyce pour refuser qualité pour agir dans l'intérêt public et
contester la validité de certaines procédures administratives
exigeant un exposé des répercussions environnementales, le juge
Gibbs fait, à la p. 268, les observations suivantes sur le sens des
termes «dommage spécial qui lui est propre» de l'arrêt Boyce:
[TRADUCTION] Certes la règle générale est claire, mais la
formulation des exceptions qu'en donne le juge Buckley dans
l'affaire Boyce y Paddington Borough Council n'est pas
parfaitement satisfaisante. Et même, les termes qu'il a utili-
sés sont susceptibles d'être mal interprétés. Son allusion à un
«dommage spécial» ne saurait être limitée au seul dommage
réellement pécuniaire et les termes «qui lui est propre» ne
signifient pas que le demandeur, et nul autre, doit avoir subi
ce dommage. L'expression «dommage spécial qui lui est
propre», à mon avis, devrait être considérée comme équiva-
lant, quant à son sens, à «avoir un intérêt particulier dans
l'objet de la demande».
Dans l'arrêt Borowski, précité, le juge en chef Laskin, dissi
dent, se réfère à la règle générale, à la p. 578: «À moins que la
loi elle-même ne permette à un citoyen ou un contribuable de
contester sa portée, son application ou sa validité, la politique
dominante veut que celui qui conteste la loi établisse quant à
l'application de la loi, qu'il a un intérêt particulier plus grand
que l'intérêt général de chaque individu dans un groupe donné.»
J'estime que la demanderesse n'a pas établi que
les actions du ministre lui causeront quelque préju-
dice extraordinaire. La crainte que la santé et la
sécurité publiques ne soient mises en péril par la
délivrance d'un avis de conformité à la défende-
resse Apotex Inc. est un souci que la demanderesse
partage avec le public en général mais n'est pas un
intérêt particulier ou exclusif à la demanderesse
satisfaisant au critère régissant la qualité pour agir
dans l'intérêt public.
De plus, les questions soulevées dans le cadre de
cette instance ne peuvent être réglées par voie de
justice. J'estime qu'aucune question de droit n'a
été soulevée par la demanderesse, qui recherche
plutôt l'examen, par cette Cour, du bien-fondé de
la décision réglementaire du ministre et conteste le
caractère suffisant de la preuve présentée devant le
ministre avant sa décision de délivrer un avis de
conformité à la défenderesse Apotex Inc.
La demanderesse demande en fait à cette Cour
de réviser les conclusions des fonctionnaires du
ministre à qui était confiée la responsabilité d'exa-
miner la présentation de drogue nouvelle d'Apotex
et de faire les recommandations qui ont conduit à
la délivrance de l'avis de conformité à Apotex.
Non seulement la demanderesse me demande-
t-elle d'examiner ces conclusions, mais encore vou-
drait-elle que la Cour substitue sa propre opinion à
celle du ministre. Je crois que cela va sans dire que
cette Cour n'est pas en mesure de substituer sa
propre opinion à celle des experts techniques
employés par le ministre, et je considère qu'une
telle décision serait incompatible avec le rôle qui
lui est dévolu.
Comme il a été dit plus tôt, le seul intérêt
véritable de la demanderesse dans la question sou-
levée en l'espèce est purement relié à la concur
rence ou est de nature strictement économique.
En conséquence, je conclus que la demanderesse
n'a pas la qualité voulue pour intenter la présente
action. Bien que cette conclusion suffirait à tran-
cher la question soulevée, j'ai l'intention de traiter
brièvement des autres questions soulevées dans
l'éventualité où la conclusion que j'ai prise relati-
vement à cette première question serait rejetée.
La demanderesse prétend que, conformément à
la décision prononcée par la Chambre des lords
dans l'affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon
Ltd., [1975] A.C. 396; [1975] 1 All ER 504, il
sera satisfait au critère relatif à l'obtention d'une
injonction interlocutoire si la partie demanderesse
établit les points suivants: 1) la question à trancher
est sérieuse; 2) la partie demanderesse, pendant
l'instance, risque de subir un préjudice ne pouvant
être compensé ou auquel il ne pourra être remédié
que par une injonction interlocutoire, c'est-à-dire
que la partie demanderesse risque de subir un
préjudice irréparable; 3) la balance des inconvé-
nients penche en faveur de la partie demanderesse;
et 4) l'injonction préservera le statu quo.
La demanderesse soutient que les faits de l'es-
pèce établissent clairement que plusieurs questions
sérieuses doivent être tranchées. En premier lieu se
poserait la question du risque sérieux que fait
courir au public canadien le défaut illicite du
ministre d'exiger de la défenderesse Apotex Inc. le
respect du Règlement, l'innocuité et l'efficacité du
médicament Apotex n'ayant par conséquent pas
été contrôlées. La seconde question aurait trait au
traitement discriminatoire subi par la demande-
resse parce que le ministre n'aurait pas appliqué le
Règlement de manière égale, équitable et cohé-
rente dans son appréciation de la présentation de
drogue nouvelle de la défenderesse Apotex. Le
troisième point soulevé par la demanderesse tient à
la violation, par le ministre, du caractère confiden-
tiel des données fournies par la demanderesse lors-
qu'il aurait utilisé illicitement ces données pour
apprécier la présentation de drogue nouvelle de la
défenderesse Apotex Inc. et pour décider de lui
accorder un avis de conformité. Pour terminer, la
demanderesse allègue que le ministre n'était pas
habilité à accorder un avis de conformité à la
défenderesse Apotex, qu'Apotex aurait vendu son
médicament sans que son innocuité ou son effica-
cité aient été contrôlées conformément au Règle-
ment, et que la vente de tels médicaments aurait
des répercussions directes sur la réputation de la
demanderesse et de son médicament Zantac.
La demanderesse prétend également que, à
défaut par cette Cour d'accorder une injonction
interlocutoire, elle subira un préjudice irréparable
ne pouvant être compensé par des dommages-inté-
rêts. La demanderesse plaide à cet égard que la
principale considération de la Cour doit être la
sécurité des personnes auxquelles est destiné ce
médicament et que le public canadien subit un
risque important aussi longtemps que le médica-
ment de la défenderesse Apotex se trouve fabriqué
et vendu sans que son innocuité et son efficacité
aient été établies et contrôlées par le ministre
conformément au Règlement. Le public associera
inextricablement tout préjudice qu'il pourra subir
à la demanderesse et à son médicament Zantac,
dont la réputation est établie depuis longtemps. La
demanderesse prétend que la commercialisation du
médicament de la défenderesse Apotex, alors que
son innocuité n'a pas été établie et contrôlée con-
formément au Règlement, entraînera une perte de
confiance du public dans le médicament de la
demanderesse et, en conséquence, nuira à la répu-
tation de Glaxo.
La demanderesse, à l'appui de sa demande d'in-
jonction interlocutoire, soutient que la balance des
inconvénients penche en sa faveur plutôt qu'en
faveur de la défenderesse Apotex Inc. puisque la
réputation d'innocuité et d'efficacité de son médi-
cament est établie depuis longtemps sur le marché.
Le médicament de la défenderesse, d'autre part,
n'est apparu et n'a été commercialisé au Canada
que depuis peu. Dans l'éventualité où, à cause du
défaut du ministre de contrôler l'innocuité et l'effi-
cacité du médicament de la défenderesse, des
membres du public canadien à qui celui-ci serait
prescrit y réagiraient mal, le médicament de la
demanderesse serait directement et immédiate-
ment touché. La demanderesse soutient que la
protection du public canadien, qui exige que seuls
des médicaments non nuisibles soient vendus et
annoncés pour la vente au Canada, doit primer sur
tout préjudice à court terme que pourrait causer à
la défenderesse Apotex l'interruption de la vente
de son médicament jusqu'à ce que son innocuité ait
été pleinement établie conformément au Règle-
ment.
La demanderesse soumet finalement que l'in-
jonction interlocutoire a pour objet de préserver le
statu quo, et que la défenderesse Apotex ayant à
peine entamé la commercialisation de son médica-
ment, il n'est que juste que le statu quo soit
préservé pendant l'instance en l'espèce; ne pas le
faire soumettrait la santé et la sécurité du public à
un risque sérieux et inacceptable.
En ce qui concerne le premier argument de la
demanderesse à l'appui de la délivrance d'une
injonction interlocutoire, selon lequel cette espèce
présenterait de vrais litiges, j'ai déjà dit être d'avis
que les faits de la présente espèce ne font état
d'aucune question pouvant être tranchée par voie
de justice.
Le régime législatif établi dans la Loi des ali-
ments et drogues ainsi que dans le Règlement
prévoit un mécanisme d'appréciation et de contrôle
de l'innocuité et de l'efficacité d'une nouvelle
drogue en vente au Canada. Le Règlement prévoit
une procédure selon laquelle le fabricant d'une
drogue nouvelle n'acquiert le droit de la vendre ou
de l'annoncer pour la vente qu'une fois le ministre
convaincu de la véracité des prétentions du fabri-
cant de cette drogue. Le ministre exprime sa con
viction par la délivrance d'un avis de conformité.
La décision du ministre de délivrer un tel avis est
discrétionnaire. Dans l'exercice de ce pouvoir dis-
crétionnaire, le ministre pèse les avantages pou-
vant résulter de l'usage de cette drogue ainsi que le
risque prévisible d'une mauvaise réaction à cel-
le-ci. Dans l'affaire Pfizer Canada Inc. c. Ministre
de la Santé et du Bien-être social et autre
[(1986), 12 C.P.R. (3d) 438 (C.A.F.)], la Cour a
décidé que la décision du ministre de délivrer un
avis de conformité pour une drogue donnée doit se
fonder sur des considérations de santé publique. Le
ministre, dans l'exercice de son pouvoir discrétion-
naire, apprécie les bienfaits attendus de cette
drogue et le risque prévisible d'une mauvaise réac-
tion à celle-ci. L'appréciation du ministre vise la
santé publique et constitue la mise à exécution
d'une politique sociale et économique.
Le rôle du ministre et sa responsabilité dans
l'application de la Loi ainsi que du Règlement ont
été décrits par le juge Walsh dans l'affaire Apotex
Inc. c. Canada (procureur général), [1986] 2 C.F.
233; 9 C.P.R. (3d) 193 (1re inst.), aux pages 241
C.F.; 198 C.P.R., dans les termes suivants:
Le rôle du Ministre et de son équipe d'experts techniques est
d'appliquer la Loi et le Règlement et de protéger le public, et
non pas de protéger les intérêts commerciaux et économiques
des concurrents ou même des créateurs du produit en question.
Selon mon opinion, la nature du pouvoir conféré
au ministre par la législation, la décision subjective
concernant les renseignements additionnels néces-
saires à la délivrance d'un avis de conformité,
l'exigence subjective que le ministre soit convaincu
de la conformité de la présentation de drogue
nouvelle au Règlement, l'absence dans la législa-
tion de toute exigence que les concurrents ou
autres fabricants soient parties à la procédure
prévue ainsi que le caractère scientifique de l'en-
quête relative à l'innocuité et à l'efficacité de la
drogue établissent clairement que la décision du
ministre ne peut être révisée à la demande d'un
fabricant concurrent.
Lorsque le pouvoir discrétionnaire conféré au
ministre par la législation a été exercé de bonne
foi, libre de toutes considérations non pertinentes,
et qu'il n'a point été exercé de façon arbitraire ou
illégale, cette Cour n'a pas le droit de modifier la
décision qui a été prise, même si elle aurait elle-
même exercé ce pouvoir discrétionnaire d'une
manière différente. Ainsi que l'affirme clairement
la décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Boulis c. Ministre de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration, [1974] R.C.S. 875, tel est
le critère en fonction duquel doit être apprécié
l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par
une loi.
En l'espèce, la demanderesse demande à la Cour
d'examiner le bien-fondé de la décision réglemen-
taire rendue par le ministre relativement à la
drogue nouvelle de la défenderesse Apotex Inc., et
elle invoque l'insuffisance de la preuve soumise au
ministre à l'égard de cette nouvelle drogue. La
demanderesse, à ce que je comprends, s'oppose
tout simplement à la manière dont le ministre a
exercé son pouvoir discrétionnaire. La présente
action ne conteste aucunement la validité de la Loi
ou de son Règlement d'application et n'attaque pas
le pouvoir légal ou réglementaire qui se trouve
exercé; l'action en l'espèce n'est somme toute
qu'une tentative de la demanderesse de faire révi-
ser par cette Cour une décision réglementaire qui,
à mon avis, ne concerne pas la demanderesse.
La preuve présentée par la demanderesse a trait
au bien-fondé de la décision du ministre ainsi
qu'au caractère suffisant de la preuve présentée au
ministre avant qu'il ne décide de délivrer un avis
de conformité à la défenderesse Apotex. A mon
avis, il est fort douteux que le poids et le caractère
suffisant de la preuve présentée au ministre soient
même susceptibles d'être contestés par la deman-
deresse. Quoi qu'il en soit, aucune preuve n'a été
présentée à l'appui de la prétention de la demande-
resse que le ministre n'a pas pu se convaincre de
l'innocuité et de l'efficacité de la drogue de la
défenderesse. À cet égard, la demanderesse ne
s'appuie que sur de pures conjectures. La preuve
directe et non contredite des fonctionnaires du
ministre veut que toutes les données et tous les
renseignements nécessaires aient été soumis par la
défenderesse Apotex conformément au Règlement
et que les exigences du Règlement aient été satis-
faites jusqu'à la délivrance de l'avis de conformité
indiquant l'innocuité et l'efficacité de la drogue de
la défenderesse. La demanderesse n'a présenté
aucun élément qui me conduirait à écarter la
preuve réunie par les fonctionnaires du ministère,
et elle a été incapable de la contredire ou de
l'annuler de quelque manière par ses propres élé-
ments de preuve.
Pour ce qui est de la prétention de la demande-
resse que le ministre a dû à tort utiliser les données
fournies par la demanderesse pour analyser la
présentation de drogue nouvelle de la défenderesse
Apotex, les éléments de preuve présentés à l'appui
de cette prétention ne constituent, à mon avis, rien
de plus que des conjectures dénuées de toute valeur
probante directe. La demanderesse soutient que,
comme la défenderesse Apotex n'a pu bénéficier
des ressources, de l'expertise technique ou d'une
période de temps suffisantes pour déposer une
présentation de drogue nouvelle satisfaisant aux
exigences du Règlement et permettant au ministre
de se convaincre de l'innocuité ainsi que de l'effi-
cacité de la drogue Apotex, ce dernier a dû avoir
recours aux données fournies par la demanderesse
pour constater l'innocuité de la drogue de la
défenderesse.
La preuve n'appuie tout simplement pas les
allégations de la demanderesse; la défenderesse
Apotex nie fermement que des données confiden-
tielles de la demanderesse lui aient été divulguées
par le ministre et ses fonctionnaires; les déclara-
tions faites par les témoins de la Couronne dans
leurs affidavits ainsi qu'en contre-interrogatoire
veulent qu'aucune donnée confidentielle de la
demanderesse n'ait été divulguée à la défenderesse
Apotex, sauf à une occasion précise lorsque, le 16
février 1987, certaines des données de la demande-
resse ont été comparées à des données confidentiel-
les de la défenderesse Apotex. Toutefois, le témoi-
gnage sous serment des fonctionnaires du ministre
voulait que cette comparaison n'ait pas été utilisée
dans l'appréciation de la présentation de drogue
nouvelle d'Apotex. Ce témoignage a également
révélé que le personnel du ministère savait parfai-
tement bien qu'il ne devait pas utiliser les données
confidentielles d'un fabricant de drogue dans l'ap-
préciation des données d'un autre fabricant. A
nouveau, la demanderesse a-t-elle été incapable de
présenter quelque témoignage contradictoire per-
mettant de conclure que ses données confidentiel-
les avaient été utilisées par le ministre dans l'ap-
préciation de la présentation de drogue nouvelle
d'Apotex. De fait, la demanderesse n'a jamais pris
connaissance du contenu de la présentation de
drogue nouvelle d'Apotex et aucun renseignement
relatif au contenu de cette présentation ne lui a été
communiqué, directement ou indirectement. En
conséquence, je suis d'avis qu'aucun usage non
autorisé des renseignements confidentiels de la
demanderesse n'a eu lieu.
La dernière allégation de la demanderesse veut
que le ministre ait agi envers elle de manière
discriminatoire en exigeant davantage de rensei-
gnements et de données dans sa présentation de
drogue nouvelle qu'il ne l'avait fait pour la défen-
deresse Apotex. La demanderesse fonde cette
assertion sur l'allégation que les fabricants de
médicaments non brevetés ne sont pas obligés de
soumettre les données et les renseignements com-
plets requis des fabricants ayant créé les produits
en question.
Encore une fois, je ne trouve aucun élément de
preuve qui appuie un tel argument. En fait, le
témoignage des fonctionnaires du ministre veut
que des normes identiques soient appliquées à tous
les fabricants, qu'ils soient les créateurs d'un médi-
cament ou les fabricants d'un médicament non
breveté. Il est également clair que les connaissan-
ces auxquelles avait accès la défenderesse relative-
ment à la drogue Ranitidine étaient plus considé-
rables que celles qui étaient accessibles à la
demanderesse à l'époque où elle a déposé sa pré-
sentation de drogue nouvelle. En conséquence, cer-
taines données non connues ou non établies à
l'époque de la présentation de drogue nouvelle de
la demanderesse appartenaient au domaine public
au moment où la défenderesse Apotex a déposé sa
présentation de drogue nouvelle. Je suis convaincu
que toute différence ayant pu exister dans le traite-
ment accordé à la demanderesse tient aux circons-
tances qui prévalaient à l'époque, lesquelles étaient
différentes de celles dans lesquelles la présentation
de drogue nouvelle de la défenderesse a été exami
née, et non à quelque inégalité entre le traitement
accordé à la demanderesse et celui dont ont joui les
autres fabricants.
Selon mon opinion, la demanderesse n'a pas
satisfait aux exigences relatives à la délivrance
d'une injonction interlocutoire. C'est un lieu
commun que de dire que l'injonction interlocutoire
constitue un recours juridique extraordinaire et ne
doit être accordée que dans des circonstances par-
ticulières. Le critère préliminaire applicable exige
de la partie demanderesse qu'elle établisse une
forte apparence de droit. Il est vrai qu'un critère
moindre, qui exigeait de la partie demanderesse
qu'elle établisse l'existence d'un vrai litige ou d'une
cause défendable, a été appliqué par le passé.
Néanmoins, la Cour a indiqué à plusieurs occa
sions que le premier critère est applicable. Voir,
par exemple, Astra Pharmaceuticals Canada Ltd.
et autres c. Apotex Inc. (1984), 1 C.P.R. (3d) 513
(C.F. 1" inst.), à la page 517; Pfizer Canada Inc.
c. Procureur général du Canada et autre (1986), 8
C.P.R. (3d) 532 (C.F. 1« inst.), à la page 535;
Apple Computer Inc. et autre c. Macintosh Com
puters Ltd. et autres (1985), 3 C.P.R. (3d) 34
(C.F. 1" inst.), à la page 39; Syntex Inc. c. Apotex
Inc., [1984] 2 C.F. 1012; 1 C.P.R. (3d) 145
(C.A.), aux pages 1023 et 1024 C.F.; 153 et 154
C.P.R.; et Wyeth Ltd. c. Novopharm Ltd.
(1985), 7 C.P.R. (3d) 399 (C.F. 1« inst.), aux
pages 404 et 405.
Le droit que veut faire valoir la demanderesse,
pour satisfaire au critère de l'apparence de droit,
doit être si évident qu'il laisse très peu de doute sur
le sens dans lequel l'affaire serait tranchée. Lors-
qu'elle cherche à savoir s'il est satisfait à ce critère
préalable, la Cour doit étudier la nature ainsi que
la valeur probante de la preuve présentée par la
demanderesse. En l'espèce, pour les motifs que j'ai
déjà énoncés, la demanderesse n'a pas établi une
forte apparence de droit. La demanderesse ne peut
même satisfaire à la norme moindre s'appliquant à
la délivrance d'une injonction interlocutoire puis-
que, à mon avis, elle ne peut établir l'existence
d'un vrai litige ou d'une cause défendable. Comme
je l'ai déjà dit, j'entretiens des doutes sérieux sur la
qualité pour agir de la demanderesse qui lui per-
mettrait de présenter la demande en l'espèce. Quoi
qu'il en soit, la demanderesse n'a pas fourni à la
Cour une preuve probante qui appuierait ses pré-
tentions et justifierait la délivrance d'une injonc-
tion interlocutoire.
En ce qui a trait au préjudice irréparable, il
incombe à la demanderesse d'établir, au moyen
d'une preuve claire et non conjecturale, qu'un tel
préjudice ne peut être compensé par l'octroi de
dommages-intérêts. Il ne suffit point, pour obtenir
une injonction interlocutoire, que l'on établisse
simplement que le calcul du montant des domma-
ges subis est difficile. En l'espèce, la prétention de
la demanderesse qu'elle subira un préjudice irrépa-
rable est conjecturale mais, quoi qu'il en soit, tout
dommage causé à la demanderesse pourrait être
évalué en argent puisqu'il résultera tout simple-
ment de la vente du médicament de la défende-
resse Apotex; ainsi la perte de ventes subie par la
demanderesse pourra-t-elle être facilement évaluée
en fonction des ventes réalisées par la défenderesse
Apotex Inc. Toute autre prétention de la demande-
resse que la vente du médicament de la défende-
resse Apotex lui causera un préjudice irréparable
en portant de quelque façon atteinte à sa réputa-
tion est, comme je l'ai déjà déclaré, uniquement
fondée sur des conjectures.
En conséquence, la demanderesse n'ayant pas
établi à mon sens une apparence de droit et un
préjudice irréparable qui ne pourrait être com-
pensé au moyen de dommages-intérêts, la balance
des inconvénients favorise le maintien du statu quo
jusqu'au procès.
Pour les motifs qui précèdent, la demande d'in-
jonction interlocutoire de la demanderesse est
rejetée.
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