T-1958-87
Samuel, Son & Co., Limited et W. Grant Brayley
(requérants)
c.
Commission sur les pratiques restrictives du com
merce et Directeur des enquêtes et recherches (la
Loi sur la concurrence) (intimés)
RÉPERTORIÉ: SAMUEL, SON & CO., LTD. c. CANADA (COMMIS-
SION SUR LES PRATIQUES RESTRICTIVES DU COMMERCE)
Division de première instance, juge Reed—
Ottawa, 10 et 13 novembre 1987.
Coalitions — Enquête sur l'acier laminé lancée en 1981 —
Ordonnance demandant au requérant de venir déposer en vertu
de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions —
Ajournement des audiences et reprise de l'enquête en 1987
Requête visant à donner accès aux documents sur lesquels
l'ordonnance en vertu de l'art. 17 était fondée — Même si une
décision de rendre une ordonnance en vertu de l'art. 17 est
sujette à un contrôle judiciaire qui permette de vérifier l'appli-
cation des principes d'équité et de justice fondamentale, il ne
s'agit pas d'un cas où la Cour doit exercer son pouvoir
discrétionnaire en faveur des requérants — Les requérants ne
subissent aucun préjudice — L'art. 17 répond aux garanties de
procédure qui découlent de l'art. 7 de la Charte — La
nouvelle Loi sur la concurrence a modifié la situation.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Requête visant à donner accès aux documents sur
lesquels l'ordonnance décernée en vertu de l'art. 17 était fondée
— La décision de rendre une ordonnance en vertu de l'art. 17
est sujette à un contrôle judiciaire qui permette de vérifier
l'application des principes d'équité et de justice fondamentale
— Requête rejetée — Les requêrants ne subissent aucun
préjudice du fait qu'ils ne peuvent étudier les documents; ils
connaissent la nature de l'enquête — La décision du président
n'était pas arbitraire — L'art. 17 répond aux garanties de
procédure qui découlent de l'art. 7 de la Charte.
Il s'agit d'une requête en vue d'obtenir une ordonnance visant
à contraindre les intimés à divulguer tous les documents dépo-
sés à l'appui d'une ordonnance décernée conformément à l'arti-
cle 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Une
enquête sur l'acier laminé a été lancée en 1981. Une ordon-
nance a été decernée en vertu de l'article 17 demandant au
requérant Brayley de venir déposer. Les audiences ont été
ajournées jusqu'en 1987, alors que la Cour suprême a jugé dans
l'arrêt Irvine que la procédure suivie par le fonctionnaire
chargé de l'audition ne dérogeait pas aux principes de justice
naturelle ou d'équité. L'avis de requête ayant lancé la présente
action visait à donner accès aux documents sur lesquels l'ordon-
nance de venir déposer décernée en 1981 était fondée. La
Commission a infirmé l'ordonnance de 1981 et décerné une
nouvelle ordonnance. L'avis de requête a été modifié de façon à
obtenir l'accès aux documents sur lesquels les deux ordonnances
étaient fondées. On a fait valoir que les renseignements recher-
chés étaient nécessaires pour contester la validité de l'ordon-
nance décernée en vertu de l'article 17. Les requérants soutien-
nent que les ordonnances décernées en vertu de l'article 17 sont
discrétionnaires et donc, que les principes d'équité et, par voie
de conséquence, les principes de justice fondamentale prévus
par l'article 7 de la Charte s'appliquent. Ils affirment de plus
que l'article 7 exige une procédure de garantie grâce à l'autori-
sation préalable qui entraînerait la communication des docu
ments en question. Les intimés soutiennent que la décision de
décerner une ordonnance en vertu de l'article 17 est de nature
purement administrative et qu'elle échappe à tout contrôle
judiciaire.
Jugement: la requête est rejetée.
Les requérants ne peuvent avoir accès aux documents sur
lesquels la première ordonnance était fondée puisque cette
dernière a été annulée.
La décision de rendre une ordonnance en vertu de l'article 17
est sujette à un contrôle judiciaire qui permette de vérifier
l'application des principes d'équité et de justice fondamentale
en vertu de la Charte. Cette conclusion est appuyée par l'argu-
ment des intimés selon lequel les ordonnances sont contestables
si elles ont été rendues à une fin impropre, montrant que ces
ordonnances sont assujetties au contrôle d'une cour supérieure.
Également, lorsqu'un membre de la Commission sur les prati-
ques restrictives du commerce prononce ces ordonnances, il le
fait en vertu d'un pouvoir discrétionnaire.
Quant à la portée des principes d'équité et de justice fonda-
mentale, les précédents jurisprudentiels cités pour faire valoir
que le requérant a le droit de connaître la nature de ces
documents afin de contester la validité de l'ordonnance ont été
distingués en ce qu'ils traitent du droit de contre-interroger sur
les affidavits appuyant les demandes pour faire décerner des
mandats de perquisition.
Le fait que l'ordonnance rendue en vertu de l'article 17 soit
«ex parte» et sur «demande» ne signifie pas nécessairement que
l'ordonnance doit toujours être présentée pour permettre à la
partie à l'encontre de qui l'ordonnance a été prononcée de
répondre.
Même si, en l'espèce, il y a eu atteinte aux principes de
l'équité, je ne jugerai pas opportun d'exercer mon pouvoir
discrétionnaire pour accorder l'ordonnance demandée. Les
requérants ne subissent aucun préjudice du fait qu'ils ne peu-
vent pas étudier les documents en cause. Ils connaissaient la
nature de l'enquête; en fait, elle était déjà commencée. La
décision du président n'est pas arbitraire et elle n'a pas été prise
sans qu'il ne se soit demandé s'il existait des motifs raisonna-
bles d'ordonner aux requérants de comparaître.
Sur la question de décider s'il fallait une procédure d'autori-
sation préalable, la décision dans Stelco Inc. c. Canada (procu-
reur général) fait autorité quant à la conclusion que la procé-
dure prescrite par l'article 17 répond aux exigences de la justice
fondamentale. Si l'enquête était menée en vertu de la nouvelle
Loi sur la concurrence, vu les modifications apportées à l'article
10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, les
requérants auraient droit au recours qu'ils demandent. Toute-
fois, une modification législative ne peut être considérée comme
le reflet de l'état du droit avant la modification.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 8.
Loi constituant le Tribunal de la concurrence et modi-
fiant la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et
la Loi sur les banques et apportant des modifications
corrélatives à d'autres lois, S.C. 1986, chap. 26,
art. 67.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970,
chap. C-23, art. 10 (mod. par S.C. 1986, chap. 26, art.
24), 17, 32 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76 art.
14).
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod.
par S.C. 1986, chap. 26, art. 19), art. 9.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Stelco Inc. c. Canada (Procureur général), jugement en
date du 22 octobre 1987, Division d'appel de la Cour
fédérale, A-728-87, encore inédit.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Butler Manufacturing Co. (Canada) Ltd. and Minis
ter of National Revenue (1983), 42 O.R. (2d) 784 (C.S.);
Corr (T.A.) et al. v. The Queen, [1987] 1 C.T.C. 148
(C.S. Ont.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restricti-
ves du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; Hunter et autres
c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th)
641; Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of
Investigation & Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257
(C.A.); Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608; (1983), 81
C.P.R. (2d) 1 (C.A.); Stelco Inc. c. Canada (Procureur
général), [1988] 1 C.F. 510 (l'° inst.); Yri-York Ltd. c.
Canada (Procureur général), [1988] 2 C.F. 537
(1'e inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Re Directeur des enquêtes et recherches et Commission
sur les pratiques restrictives du commerce et autres
(1985), 18 D.L.R. (4th) 750 (C.A.F.); Commission sur
les pratiques restrictives du commerce et autres c. Direc-
teur des enquêtes et recherches, Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions (1983), 145 D.L.R. (3d) 540 (C.F. 1"
inst.); A. G. Sask. et al. v. Boychuk et al., [1977] 5
W.W.R. 750 (C.A. Sask.); Tribune Newspaper Co. v. Ft.
Frances Pulp & Paper Co., Re Macklin, [1932] 4 D.L.R.
179 (C.A. Man.); Rex v. Baines, [1909] 1 K.B. 258.
AVOCATS:
William J. Miller pour les requérants.
Personne n'a comparu pour l'intimée la Com
mission sur les pratiques restrictives du
commerce.
Peter A. Vita, c.r., pour l'intimé le Directeur
des enquêtes et recherches.
PROCUREURS:
Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer,
Ottawa, pour les requérants.
Personne n'a comparu pour l'intimée la Com
mission sur les pratiques restrictives du
commerce.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé le Directeur des enquêtes et recher-
ches.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les requérants présentent une
requête en vue d'obtenir une ordonnance visant à
contraindre les intimés à divulguer tous les docu
ments déposés à l'appui d'une ordonnance décer-
née conformément à l'article 17 de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970,
chap. C-23, modifiée. L'article 17 dispose qu'un
membre de la Commission sur les pratiques res-
trictives du commerce, soit sur les instances du
Directeur des enquêtes et recherches, soit de sa
propre initiative, peut ordonner que toute personne
soit interrogée sous serment ou produise des docu
ments'. L'ordonnance que prévoit l'article 17 en
17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa propre
initiative, un membre de la Commission peut ordonner que
toute personne résidant ou présente au Canada soit interrogée
sous serment devant lui ou devant toute autre personne
nommée à cette fin par l'ordonnance de ce membre, ou produise
à ce membre ou à cette autre personne des livres, documents,
archives ou autres pièces, et peut rendre les ordonnances qu'il
estime propres à assurer la comparution et l'interrogatoire de ce
témoin et la production par ce dernier de livres, documents,
archives ou autres pièces, et il peut autrement exercer, en vue
de l'exécution de ces ordonnances ou de la punition pour défaut
de s'y conformer, les pleins pouvoirs exercés par toute cour
supérieure au Canada quant à l'exécution des brefs d'assigna-
tion ou à la punition en cas de défaut de s'y conformer.
(2) Toute personne assignée sous le régime du paragraphe
(1) est habile à agir comme témoin et peut être contrainte à
rendre témoignage.
(Suite à la page suivante)
cause impose au requérant M. W. G. Brayley de
témoigner à propos d'une enquête relative à la
production, à la fabrication, à l'achat, à la vente et
à la fourniture d'acier laminé, d'acier en plaques,
d'acier en barres et d'acier de construction et
d'autres produits connexes. L'enquête est faite en
vertu de l'article 32 [mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 76, art. 14] de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions, qui rend coupable d'un acte
criminel toute personne qui complote, se coalise ou
se concerte avec une autre pour empêcher ou
diminuer indûment la concurrencez.
L'enquête sur l'acier laminé a été lancée à l'ini-
tiative du directeur à la Commission en janvier
1981. Une ordonnance a été décernée au requérant
le 2 février 1981 pour lui demander de venir
déposer. Les auditions d'enquête ont commencé en
mars 1981. (Les auditions visaient non seulement
(Suite de la page précédente)
(3) Un membre de la Commission ne doit pas exercer le
pouvoir d'infliger une peine à quelque personne en vertu de la
présente loi, pour désobéissance ou autrement, à moins que, sur
requête de ce membre, un juge de la Cour fédérale du Canada
ou d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, n'ait certifié,
comme un tel juge peut le faire, que ce pouvoir peut être exercé
en la matière révélée dans la requête, et que ce membre n'ait
donné à cette personne un avis de vingt-quatre heures de
l'audition de la requête ou tel avis plus court que le juge
estimera raisonnable.
(4) Tous les livres, pièces, archives ou autres documents
produits volontairement ou en conformité d'une ordonnance
rendue sous le régime du paragraphe (1) doivent, dans les
trente jours, être livrés au directeur, lequel, par la suite, sera
responsable de leur garde et devra, dans les soixante jours après
les avoir reçus, en remettre l'original ou une copie à la personne
de qui ils ont été reçus.
2 Le paragraphe 32(1) dispose:
32. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un
emprisonnement de cinq ans ou d'une amende d'un million de
dollars, ou de l'une et l'autre peine, toute personne qui
complote, se coalise, se concerte ou s'entend avec une autre
a) pour limiter indûment les facilités de transport, de
production, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage
ou de négoce d'un produit quelconque;
b) pour empêcher, limiter ou diminuer, indûment, la fabri
cation ou production d'un produit ou pour en élever dérai-
sonnablement le prix;
c) pour empêcher ou diminuer indûment la concurrence
dans la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente,
l'entreposage, la location, le transport ou la fourniture d'un
produit, ou dans le prix d'assurance sur les personnes ou
les biens; ou
d) pour restreindre ou compromettre, indûment de quelque
autre façon la concurrence.
le requérant, mais aussi vingt-huit autres témoins.)
Des objections ont été soulevées à l'encontre de la
procédure suivie par le fonctionnaire chargé de
l'audition. Les audiences ont été ajournées pour
permettre aux parties de contester la validité de
cette procédure. La Cour suprême a récemment
jugé que la procédure adoptée était valide (c'est-à-
dire qu'elle ne dérogeait pas aux principes de
justice naturelle ou d'équité): Irvine c. Canada
(Commission sur les pratiques restrictives du
commerce), [1987] 1 R.C.S. 181. Suite à la déci-
sion de la Cour suprême, avis de la reprise de
l'enquête a été donné aux requérants.
Les requérants ont déposé un avis de requête en
date du 21 septembre 1987, ce qui a lancé la
présente action. L'avis de requête visait à donner
accès aux documents sur lesquels l'ordonnance de
la Commission du 2 février 1981 était fondée. Le 6
octobre 1987, la Commission a infirmé l'ordon-
nance du 2 février 1981 et décerné une nouvelle
ordonnance qui entrait en vigueur le 6 octobre
1987. Il n'est pas contesté que la Commission jouit
de l'autorité nécessaire pour annuler l'ordonnance
et la réformer, en dépit des modifications récentes
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
La Loi constituant le Tribunal de la concurrence
et modifiant la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions et la Loi sur les banques et apportant
des modifications corrélatives à d'autres lois, S.C.
1986, chap. 26, dispose :
67. (1) Indépendamment des autres dispositions de la pré-
sente loi, les membres de la Commission sur les pratiques
restrictives du commerce nommés en application de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions (ci-après appelés «mem-
bres» et «Commission») sont, tant que le présent paragraphe a
effet, maintenus en poste et peuvent continuer d'exercer les
pouvoirs et fonctions qui leur étaient confiés à ce titre avant
l'entrée en vigueur de la présente loi dans la mesure exclusive-
ment où il leur faut donner suite à une enquête, à une procé-
dure ou à une affaire commencée en application de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions ou de toute autre loi du
Parlement avant l'entrée en vigueur du présent article.
(2) Aux fins d'une enquête, d'une procédure ou de toute
autre affaire visée au paragraphe (1), la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions ou toute autre loi du Parlement
modifiée par la présente loi s'applique sans tenir compte de
l'entrée en vigueur de la présente loi.
Après l'annulation de l'ordonnance du 2 février
1981 et la délivrance d'une nouvelle ordonnance, le
6 octobre 1987, les requérants ont modifié leur avis
de requête de façon à obtenir l'accès aux docu
ments sur lesquels à la fois l'ordonnance du 2
février 1981 et celle du 6 octobre 1987 étaient
fondées. Les requérants soutiennent qu'ils
devraient avoir le droit de voir les deux séries de
documents parce que les deux ordonnances consti
tuent essentiellement une seule et même transac
tion. Je ne suis pas de cet avis. Si les requérants
ont le droit d'obtenir des documents, il ne peut
s'agir que des documents sur lesquels l'ordonnance
du 6 octobre était fondée. Comme la précédente
ordonnance a été annulée, elle n'est plus
pertinente.
Les requérants cherchent à obtenir les rensei-
gnements parce qu'ils désirent, disent-ils, contester
la validité de l'ordonnance rendue en vertu de
l'article 17, laquelle impose à M. Brayley de se
présenter pour déposer. A cette fin, il est soutenu
qu'il est nécessaire de savoir sur quels documents
le président de la Commission a fondé sa décision
pour ordonner à M. Brayley de se présenter.
J'estime qu'il est nécessaire, avant tout, de
placer la demande des requérants dans le contexte
de la jurisprudence récente. La Cour suprême dans
Hunter et autres , c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S.
145; 11 D.L.R. (4th) 641, a jugé que l'article 10
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
transgressait l'article 8 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
L'article 10 a été interprété comme une disposition
autorisant des perquisitions et saisies abusives
parce qu'il ne prévoyait pas de mécanisme d'auto-
risation préalable qui suffise à assurer que les
perquisitions ou les saisies autorisées par cet article
ne soient pas arbitraires, c'est-à-dire que, selon
l'interprétation qui en a été donnée, il devrait
exister une procédure légale permettant de garan-
tir qu'il existe des motifs raisonnables pour autori-
ser l'entrée dans les lieux et les perquisitions.
Il est manifeste que, d'après l'affaire Hunter, on
peut assimiler à une perquisition ou à une saisie
une ordonnance décernée en vertu de l'article 17,
qui impose à quelqu'un de se présenter à une
audience pour y produire des documents; il existe
un rapport entre une perquisition dans les locaux
d'une personne (et la saisie de documents dans ces
locaux), d'une part, et l'obligation faite à une
personne de se présenter dans un certain lieu pour
présenter des documents et les y déposer. Cette
question a été traitée dans le jugement Thomson
Newspapers Ltd. et al v. Director of Investigation
& Research et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257
(C.A.). Dans cette affaire, la Cour d'appel de
l'Ontario a jugé que les ordonnances décernées en
vertu de l'article 17 ne différaient en rien des
subpoenas duces tecum qui peuvent être décernés
au civil comme au criminel, sans qu'il ne soit
obligatoire d'évaluer leur caractère raisonnable et
les intérêts divergents des parties. (L'arrêt Thom-
son est actuellement en appel devant la Cour
suprême du Canada.) Dans l'arrêt Thomson, la
Cour d'appel de l'Ontario a cité une décision anté-
rieure de la Cour d'appel fédérale: Ziegler c.
Hunter, [1984] 2 C.F. 608; (1983), 81 C.P.R. (2d)
1. Dans l'affaire Ziegler, tant M. le juge Le Dain
que M. le juge Hugessen ont assimilé l'ordonnance
décernée en vertu de l'article 17 un subpoena
duces tecum. Ils ont cité une jurisprudence améri-
caine selon laquelle les subpoenas en cause
devraient être considérés comme très différents des
perquisitions et des saisies.
La question a, de nouveau été traitée par la
Cour d'appel fédérale dans Stelco Inc. c. Canada
(Procureur général) (jugement en date du 22 octo-
bre 1987, n° du greffe A-728-87, encore inédit). La
Cour d'appel a réitéré le raisonnement de la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'affaire Thomson. Ces
affaires portent sur la question de savoir si les
ordonnances décernées en vertu de l'article 17
devraient être considérées comme des perquisitions
ou des saisies et, par conséquent, comme assujet-
ties à l'article 8 de la Charte. Elles rejettent cette
interprétation.
La jurisprudence susmentionnée traite aussi
d'une autre question. Bien qu'une ordonnance
décernée en vertu de l'article 17 puisse être assimi-
lée à un subpoena duces tecum, il existe une
différence importante. Un subpoena duces tecum
ordinaire, au civil ou au criminel, est décerné dans
le contexte d'un véritable procès où les parties ont
été identifiées (dans une affaire criminelle, une
personne a été accusée), et la situation de fait et
les conséquences juridiques qui doivent en découler
sont connues. Dans le cas d'une ordonnance décer-
née en vertu de l'article 17, cependant, l'ordon-
nance impose aux personnes qui peuvent, par la
suite, être accusées d'une infraction criminelle de
venir faire une déposition avant que l'accusation
soit prononcée; et ces personnes peuvent être accu
sées à la suite de leur déposition. Les affaires
susmentionnées (la Cour d'appel de l'Ontario dans
l'affaire Thomson et les décisions de la Cour d'ap-
pel fédérale, à la fois, dans Ziegler et Stelco) ont
établi que cette procédure ne portait pas atteinte
au droit de ne pas s'incriminer soi-même. C'est
dire qu'il n'y a pas transgression de l'alinéa 11c)
de la Charte et que les garanties normales de la
Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap.
E-10] s'appliquent pour empêcher que le témoi-
gnage rendu par le témoin lui soit préjudiciable
dans une action subséquente.
Il convient de faire mention d'une dernière
affaire de jurisprudence. M. le juge McNair, dans
ce que j'appellerai la demande Yri-York [Yri-
York Ltd. c. Canada (Procureur général), [1988]
2 C.F. 537 (lie inst.)], a été prié de suspendre
l'enquête sur l'acier laminé jusqu'à ce que la Cour
suprême se prononce dans l'affaire Thomson. Il
n'a pas jugé opportun de le faire (T-1983-87,
ordonnance en date du 5 novembre 1987).
Le présent argument des requérants est cepen-
dant centré sur les garanties de procédure qui
découlent de l'article 7 de la Charte et qui résul-
tent, en common law, de la doctrine de l'équité. Ils
font valoir que lorsqu'une personne est contrainte
de se présenter à une enquête et de témoigner sous
la foi du serment, il s'agit d'une action de type
contraignant qui porte atteinte à la liberté indivi-
duelle. L'article 7 de la Charte dispose :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Selon les requérants, bien que la décision du
président de la Commission d'imposer au requé-
rant, Brayley, de comparaître pour témoigner
puisse être considérée comme une décision admi
nistrative et non judiciaire ou quasi judiciaire,
cette décision n'est pas automatique et n'écarte pas
non plus le pouvoir discrétionnaire, comme dans le
cas des subpoenas duces tecum délivrés par des
fonctionnaires des tribunaux. Parmi la jurispru
dence selon laquelle les ordonnances décernées en
vertu de l'article 17 sont de nature discrétionnaire,
citons : Re Directeur des enquêtes et recherches et
Commission sur les pratiques restrictives du com
merce et autres (1985), 18 D.L.R. (4th) 750
(C.A.F.); Commission sur les pratiques restricti-
ves du commerce et autres c. Directeur des enquê-
tes et recherches, Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions (1983), 145 D.L.R. (3d) 540 (C.F. 1"
inst.). En conséquence, l'avocat soutient que le
prononcé d'une ordonnance décernée en vertu de
l'article 17 constitue une décision à laquelle s'ap-
pliquent les principes de l'équité et, par voie de
conséquence, les principes de justice fondamentale
prévus par la Charte. Les principes de l'équité
varient en fonction de la nature de l'action.
J'estime que l'argument fondé sur la Charte
présenté par les requérants comporte deux aspects:
(1) une affirmation selon laquelle l'article 7
impose, dans le cas d'une ordonnance décernée en
vertu de l'article 17, une procédure de garantie
grâce à l'autorisation préalable, comme la Cour
suprême l'a établi dans le cas de Hunter c. Sou-
tham, conformément à l'article 8 sur les perquisi-
tions et saisies; et (2) qu'une partie de la procédure
d'autorisation préalable impose une évaluation par
une autorité indépendante pour voir s'il est raison-
nable, dans les circonstances, de contraindre une
personne à comparaître pour témoigner et produire
les documents. L'avocat soutiendrait que les docu
ments présentés à cette autorité indépendante
devraient être mis à la disposition de la personne
contrainte à témoigner car celle-ci a le droit de
connaître la nature des documents qui ont justifié
le prononcé d'une ordonnance. Il est prétendu, par
conséquent, que le requérant a le droit de connaî-
tre la nature des documents pour pouvoir contester
la validité de l'ordonnance.
Les intimés prétendent que (1) l'ordonnance
décernée en vertu de l'article 17 n'est pas visée par
les principes de justice naturelle, d'équité ou de
justice fondamentale; elle est de nature purement
administrative, c'est-à-dire qu'elle échappe à tout
contrôle judiciaire; (2) si l'ordonnance est sujette à
révision, la portée des principes de justice natu-
relle, d'équité et de justice fondamentale n'impose
pas d'autorisation préalable ni de divulgation des
documents en cause.
Il est juste, à mon avis, de dire à cet égard
qu'une part importante de l'inquiétude causée aux
intimés par la requête des requérants semble être
que l'ordonnance originale décernée en vertu de
l'article 17 a été rendue avant l'avènement de la
Charte des droits et avant la décision de la Cour
suprême dans Southam c. Hunter. Cette ordon-
nance a été rendue avec la présomption que les
procédures étaient complètement confidentielles, à
ce stade, et qu'il ne pouvait y avoir de divulgation
des documents produits devant la Commission.
L'avocat laisse entendre que, bien qu'il n'existe pas
de preuve par affidavit à cet effet, le Directeur
peut avoir produit devant la Commission tous ses
dossiers d'enquêtes et non pas strictement la
preuve nécessaire à justifier la délivrance d'une
ordonnance décernée en vertu de l'article 17. On
ignore si les intimés ont produit des documents
différents à l'appui de l'ordonnance du 9 octobre.
Je dois mentionner que les intimés n'ont pas pro-
posé de mettre ces documents à la disposition des
requérants. En tout état de cause, les intimés
considèrent que la requête des requérants vise à
obtenir l'accès. à tous les dossiers d'enquête du
Directeur et n'est pas, pour une fin valable, liée
aux garanties administratives d'équité.
Je traiterai d'abord de l'argument selon lequel
une ordonnance décernée en vertu de l'article 17
échappe absolument à tout contrôle judiciaire. Je
ne pense pas que tel soit le cas. L'avocat des
intimés soutient que l'ordonnance peut seulement
être contestée comme les subpoenas le sont habi-
tuellement, c'est-à-dire devant le même organisme
qui a décerné le subpoena pour le motif que son
destinataire était une personne qui ne pouvait four-
nir de témoignage substantiel ou encore que le
subpoena avait été obtenu pour un objet indirect
ou impropre. Voir: A. G. Sask. et al. v. Boychuk et
al., [1977] 5 W.W.R. 750 (C.A. Sask.); Tribune
Newspaper Co. v. Ft. Frances Pulp & Paper Co.,
Re Macklin, [1932] 4 D.L.R. 179 (C.A. Man.);
Rex v. Baines, [1909] 1 K.B. 258. Les requérants
soutiennent qu'ils cherchent à contester l'ordon-
nance devant l'autorité qui l'a prononcée, mais
que, pour cette fin, ils doivent avoir les documents.
À mon avis, la décision de rendre une ordon-
nance en vertu de l'article 17 est sujette à un
contrôle judiciaire qui permette de vérifier l'appli-
cation des principes d'équité et de justice fonda-
mentale (en vertu de la Charte). Il me semble que
l'argument des intimés selon lequel les ordonnan-
ces sont de nature contestable, par exemple, puis-
qu'elles ont été rendues à une fin indirecte ou
impropre (motifs qui, en termes de droit adminis-
tratif, correspondent à un contrôle de l'excès de
pouvoir ou à un contrôle du caractère retors ou
arbitraire de la décision) montre que ces ordon-
nances sont assujetties au contrôle d'une cour
supérieure. J'accepte aussi l'argument selon lequel
le membre de la Commission a le pouvoir de
prononcer ces ordonnances.
Que dire alors de la portée des principes d'équité
et de justice fondamentale? Je ferai remarquer
qu'aucun précédent jurisprudentiel ne m'a été cité
qui montre que les principes classiques de common
law en matière d'équité imposent la production des
documents en cause. Re Butler Manufacturing Co.
(Canada) Ltd. and Minister of National Revenue
(1983), 42 O.R. (2d) 784 (C.S.), et Corr (T.A.) et
al. v. The Queen, [1987] 1 C.T.C. 148 (C.S. Ont.)
sont cités comme précédents pour faire valoir que
le requérant a le droit de connaître la nature de ces
documents afin de contester la validité de l'ordon-
nance. Ces décisions ne sont d'aucun secours. Elles
traitent toutes les deux de demandes présentées à
la Cour pour faire décerner un mandat de perqui-
sition, demande appuyée par des affidavits. Dans
ces jugements, il a seulement été décidé que le
contre-interrogatoire doit être permis sur les
affidavits.
L'avocat insiste sur le fait qu'à l'article 17 il est
question d'une «ordonnance ex parte» prononcée
sur «demande». Il est soutenu que ces ordonnances
doivent toujours être présentées pour permettre à
la partie à l'encontre de qui l'ordonnance a été
prononcée de répondre. Cette partie de la procé-
dure, soutient-on, comporte nécessairement l'accès
aux documents à partir desquels l'ordonnance a été
prononcée à l'origine. Il me semble que cela consti-
tue une interprétation trop libérale des termes «ex
parte» et «demande» qui figurent à l'article 17.
En tout état de cause, dans la mesure où les
requérants soutiennent que les règles de l'équité (à
part tout argument fondé sur la Charte) s'appli-
quent et imposent la divulgation des documents,
question sur laquelle la Cour suprême ne s'était
délibérément pas prononcée dans l'affaire Irvine
(page 24 de la décision), il est selon moi facile de
répondre à cette demande. Même si, en l'espèce, il
y a eu atteinte aux principes de l'équité, je ne
jugerai pas opportun d'exercer mon pouvoir discré-
tionnaire pour accorder l'ordonnance demandée.
Les requérants ne subissent aucun préjudice du
fait qu'ils ne peuvent pas étudier les documents en
cause. Ils connaissent la nature de l'enquête; en
fait, elle a déjà commencé. Il n'existe aucun élé-
ment de preuve qui laisse entendre que la décision
du Président était arbitraire ou qu'elle a été prise
sans qu'il ne se soit demandé s'il existait des motifs
raisonnables d'ordonner aux requérants de compa-
raître. Il ne s'agit simplement pas d'un cas où la
Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire
en faveur des requérants.
Reste à débattre de la question plus large, à
savoir si l'article 7 de la Charte impose, dans un
cas comme l'espèce, une procédure d'autorisation
préalable, semblable à celle qui est exigée en vertu
de l'article 8 dans le cas de perquisitions et de
saisies. Il est à noter que lorsque l'article 10 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions a été
modifié [S.C. 1986, chap. 26, art. 24], en réponse
à la décision Hunter c. Southam, une procédure
d'autorisation préalable a été établie pour viser,
non seulement les perquisitions et saisies prévues à
l'article 10, mais encore les ordonnances qui
avaient été accordées précédemment en vertu de
l'article 17 (voir l'article 9 de la Loi sur la concur
rence (mod. par S.C. 1986, chap. 26, art. 19).
Ainsi, si l'enquête sur l'acier laminé était menée en
vertu de la nouvelle Loi sur la concurrence et non
pas de la Loi relative aux enquêtes sur les coali
tions, les requérants auraient droit au recours
qu'ils demandent. Il est bien établi qu'une modifi
cation législative en soi ne peut être considérée
comme le reflet, d'une manière ou d'une autre, de
l'état du droit avant la modification.
Devant moi, l'avocat a soutenu que la jurispru
dence (Hunter c. Southam, Thomson et Ziegler)
ne traitait pas de l'argument fondé sur l'article 7,
en ce qui concerne les garanties en matière de
procédure. Plus précisément, on a dit que la ques
tion de savoir si les principes de justice fondamen-
tale imposaient l'existence d'une autorisation préa-
lable dans le cadre d'une enquête comme celle de
l'espèce n'avait pas été abordée dans cette juris
prudence. Elle ne traitait que de l'argument de
l'article 8 ou de l'article 7 relativement aux ques
tions fondamentales d'équité et de ce qu'il est
convenu d'appeler de façon courante le «droit de ne
pas s'incriminer soi-même».
Je suis surpris du fait qu'aucun des avocats ne
m'a cité la décision récente de la Cour d'appel
fédérale dans Stelco Inc. c. Canada (Procureur
général) (n° du greffe: A-728-87 en date du 22
octobre 1987), ni celle de la Division de première
instance dans cette affaire, [1988] 1 C.F. 510.A la
lecture de ces décisions, il me semble que la ques
tion de l'équité en matière de procédure a été
traitée et tranchée par la Cour d'appel. Dans
l'affaire Stelco [à la page 516], le juge en chef
adjoint Jérome a été prié de déterminer si «la
procédure prévue par la Loi [article 17 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions] ne répond
pas aux exigences de la justice fondamentale». Il a
déclaré qu'elle y répondait. D'après sa décision, les
ordonnances décernées en vertu de l'article 17 sont
de nature administrative, et elles ne font donc pas
l'objet d'un contrôle judiciaire (voir pages 516 et
517 de sa décision). Bien que la Cour d'appel ait
déclaré qu'elle n'accepterait peut-être pas cette
définition (à la page 3 de sa décision), elle a
confirmé la décision qui déclarait que la procédure
décrite par la loi ne transgressait pas les principes
de justice fondamentale garantis par la Charte.
Ainsi, cette question a été tranchée par la Cour
d'appel dans un sens contraire à la thèse des
requérants.
Pour les motifs donnés, la présente demande doit
être rejetée.
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