T-1778-83
Fulvia Acciaroli, Ezio Acciaroli, Iva Acciaroli et
Elaine Acciaroli (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
T-1779-83
Emidio Masi, Rita Masi, Raymond Masi et Louis
Masi (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ACCIAROLI c. CANADA
Division de première instance, juge Martin—
Hamilton, 2, 3, 4, 5 et 6 novembre 1987; Ottawa,
31 mars 1988.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Nuisance
Construction et mise en service de l'agrandissement d'un aéro-
port à proximité de propriétés résidentielles — Le bruit, la
poussière, la saleté, les odeurs désagréables, le changement du
milieu et les inconvénients dus à la fermeture d'une route
conduisant à la ville sont-ils des nuisances ouvrant droit à une
poursuite civile?
Couronne — Responsabilité délictuelle — Atteinte préjudi-
ciable en l'absence d'emprise — Construction et mise en ser
vice de l'agrandissement d'un aéroport à proximité de proprié-
tés résidentielles — Pas de recours pour atteinte préjudiciable
si la loi ne le prévoit pas expressément ou implicitement.
En raison d'une demande croissante, l'aéroport municipal de
Hamilton a dû être agrandi et on y a construit une nouvelle
tour, une piste plus longue et d'autres voies de circulation.
Commencés en 1983, les travaux étaient pour la plupart ache-
vés en juillet 1985. La nouvelle piste n'a pas été mise en service
avant le mois de mai 1986. Les demandeurs habitent à Ancas-
ter, dans la municipalité régionale de Hamilton -Wentworth.
Avant l'agrandissement, la résidence des Acciaroli était située à
500 m de la limite la plus proche de l'aéroport et à 900 m de la
piste la plus rapprochée. Après l'agrandissement, les distances
étaient, respectivement, de 9 m et de 360 m. Quant à la
résidence des Masi, elle se trouvait avant l'agrandissement à
400 m de la limite la plus proche et à 750 m de la piste la plus
rapprochée. Par la suite, les distances étaient, respectivement,
de 500 m et de 950 m. De plus, la route la plus directe menant
à Hamilton a été fermée à la circulation, forçant les deman-
deurs à faire un détour de 6 km pour se rendre au centre-ville.
Les demandeurs ont intenté un recours en nuisance pour les
dommages causés par la construction et la mise en service de
l'agrandissement de l'aéroport ou, subsidiairement, pour
atteinte préjudiciable à leur bien-fonds en raison de la construc
tion et de l'utilisation projetée de cet agrandissement sur les
terrains expropriés adjacents ou situés à proximité.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
La réclamation fondée sur le délit de nuisance vise toutes les
nuisances ouvrant droit à une poursuite civile, y compris toute
nuisance résultant de l'exploitation de l'aéroport. Mais en
l'espèce, les nuisances dont les demandeurs se plaignent—
augmentation du bruit, de la poussière et de la saleté pendant la
construction, changement de caractère du milieu, perte d'accès
en raison de la fermeture de la route, augmentation du bruit,
des vibrations et des odeurs désagréables provenant des aéro-
nefs—ne sont pas des nuisances ouvrant droit à une poursuite
civile. Même en admettant qu'il s'agit bien de nuisances,
celles-ci résultaient de la construction de l'aéroport, autorisée
par la loi, laquelle légalise les actes dont les demandeurs se
plaignent et empêche donc tout recours civil. En outre, même si
le bruit émanant de l'exploitation de l'aéroport constituait bel
et bien une nuisance ouvrant droit à une action, la défenderesse
n'en serait aucunement responsable puisque ce n'est pas d'elle
que relève l'exploitation des installations. Enfin, les études sur
l'impact du bruit qu'a menées Transport Canada à l'aéroport et
aux domiciles des demandeurs, suivant des critères largement
acceptés, ont révélé que le niveau de perturbation sonore avait
en fait diminué à la résidence des Masi, alors qu'il n'avait
augmenté que de façon marginale à celle des Acciaroli. Une
augmentation aussi faible ne constitue pas une nuisance.
Le recours pour atteinte préjudiciable est limité aux domma-
ges résultant de la construction de l'aéroport, et non de son
exploitation. Toutefois, ce recours doit également être rejeté:
des dommages-intérêts n'auraient pu être accordés à ce chapi-
tre que si le droit à l'indemnisation découlait d'une loi, ce qui
n'est aucunement le cas en l'espèce. Certes, l'article 17 de la
Loi sur la Cour fédérale, vise les demandes pour atteinte
défavorable, mais il s'agit d'une disposition de nature purement
juridictionnelle. Bien qu'il ait pu en être autrement dans les lois
antérieures, l'ensemble des règles régissant l'indemnisation et la
détermination de la valeur des biens-fonds sont maintenant
contenues dans la Loi sur l'expropriation, laquelle ne prévoit
aucune indemnisation pour atteinte préjudiciable. L'arrêt de la
Cour suprême, Imperia! Oil Ltd. c. La Reine, ne constitue pas
un précédent en faveur des demandeurs. Il porte plutôt que le
propriétaire foncier dont le bien-fonds a subi une atteinte
préjudiciable à cause de la construction d'un ouvrage public a
droit à une indemnisation dans la mesure où l'intention du
législateur d'accorder ce dédommagement ressort de la loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de la cour de l'Échiquier, S.R.C. 1927, chap. 34, art.
19.
Loi des expropriations, S.R.C. 1927, chap. 64, art. 23.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 17.
Loi sur l'Administration de la voie maritime du Saint-
Laurent, S.R.C. 1952, chap. 242, par. 18(3).
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. 3, art. 3.
Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1952,
chap. 193.
Loi sur les expropriations, S.R.C. 1952, chap. 106, art.
23.
Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap.
16, art. 23, 24.
The Lands Clauses Consolidation Act, 1845, 8 & 9 Vict.,
chap. 18, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Queen v. Loiselle, [1962] R.C.S. 624; St. Pierre et
al. v. Ministry of Transportation and Communications
(1983), 28 L.C.R. 1 (C.A. Ont.); St-Pierre c. Ontario
(Ministre des Transports et Communications), [1987] 1
R.C.S. 906; (1987), 75 N.R. 291; Walker et al, v.
Pioneer Construction Co. (1967) Ltd. (1975), 8 O.R. (2d)
35 (H.C.); The King v. MacArthur (1904), 34 R.C.S.
570; The King v. Carrières De Beauport (1915), 17
R.C.E. 414; Sisters of Charity of Rockingham v. The
King, [1922] 2 A. C. 315; 67 D.L.R. 209; [1922] 3
W.W.R. 33 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Hagel and Hagel v. Municipal District of Yellowknife
and Board of Trustees for Yellowknife and Board of
Trustees for Yellowknife Public School District No. 1
(1962), 35 D.L.R. (2d) 110 (C.A.T.N.-O.); Toronto
Transportation Commission v. Village of Swansea,
[1935] R.C.S. 455; [1935] 3 D.L.R. 619; Prentice v. City
of Sault Ste. Marie, [1928] R.C.S. 309; [1928] 3 D.L.R.
564; Forster v. City of Medicine Hat (1913), 9 D.L.R.
555 (C.S. Alta.); Windsor (City of) v. Larson et al.
(1980), 20 L.C.R. 344 (C. div. de l'Ont.); The King v.
Lawson & Sons Ltd., [1948] 3 D.L.R. 334 (C. de l'E.);
The King v. Woods Mfg. Co. Ltd., [1949] R.C.É. 9;
Jolliffe v. Exeter Co'rpn., [1967] 1 W.L.R. 350 (Q.B.D.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Imperial Oil Ltd. c. La Reine, [1974] S.C.R. 623;
(1973), 35 D.L.R. (3d) 73.
AVOCATS:
Roger D. Yachetti, c.r. et Aldo P. Berlingieri
pour les demandeurs.
Charlotte A. Bell et Marlene Thomas pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Yachetti, Lanza & Restivo, Hamilton, pour
les demandeurs.
Le sous-procureur du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARTIN: Les deux demandeurs en
l'espèce, les familles Acciaroli et Masi, ont intenté
des actions en nuisance contre la défenderesse pour
les dommages causés par la construction et la mise
en service de l'agrandissement de l'aéroport muni-
cipal de Hamilton ou, subsidiairement, pour
atteinte préjudiciable à leur bien-fonds en raison
de la construction et de l'utilisation projetée de cet
agrandissement sur les terrains expropriés adja-
cents ou situés à proximité.
Les enfants de Fulvia et Ezio Acciaroli, Iva et
Elaine, sont inscrits comme demandeurs dans le
dossier portant le numéro de greffe T-1778-83, et
il en est de même pour les enfants de Emidio et
Rita Masi, Raymond et Louis, dans le dossier n°
T-1779-83. L'avocat des deux familles a indiqué,
dans ses plaidoiries écrites, qu'il y avait désiste-
ment quant aux demandes portées en leur nom. La
Cour l'a autorisé, sans adjudication de dépens. Les
demandeurs restants sont donc les deux couples,
propriétaires réels des biens-fonds auxquels les
activités de la défenderesse ont présumément causé
un dommage ou une atteinte préjudiciable.
Les deux couples sont d'origine italienne. Nés et
élevés dans un milieu rural en Italie, ils ont immi-
gré dans la région de Hamilton au milieu des
années 1950. Jusqu'aux années 1970, ils ont vécu
dans la ville même de Hamilton. En 1970, les
Acciaroli ont fait l'acquisition d'un terrain vacant
d'une superficie de 10,124 acres à Ancaster, loca-
lité faisant partie de la municipalité régionale de
Hamilton -Wentworth. Ils y ont fait construire leur
maison, qui porte le numéro civique 1208, chemin
Glancaster, du côté est du chemin.
En 1969, les Masi ont acheté un terrain vacant
de 2,79 acres à Glanbrook, sur le même chemin,
mais à environ 500 600 mètres plus au sud, du
côté ouest. Ils y ont fait construire une maison en
1974 et y ont emménagé en décembre de l'année
suivante. Leur adresse civique est le 1691, chemin
Glancaster.
Le chemin Glancaster est situé dans l'axe nord-
sud. Son extrémité nord donnait, à l'époque où les
demandeurs ont acquis leur terrain et construit
leur maison, sur la route 53 qui mène au centre-
ville de Hamilton. Ce chemin sert de limite entre
les localités de Ancaster, à l'est, et Glanbrook, à
l'ouest. Ainsi, tout en habitant sur le même
chemin, les Acciaroli habitent Ancaster et les
Masi, Glanbrook.
Au moment de l'achat de leur propriété à cet
endroit, les Acciaroli et les Masi connaissaient
l'existence de l'aéroport et savaient qu'il y aurait
une certaine circulation aérienne dans le voisinage.
Ils ont déclaré avoir eu l'impression qu'il ne s'agis-
sait que d'un petit aéroport servant d'école de
pilotage. Selon Mme Acciaroli, il y avait seulement
de petits appareils qui volaient aux alentours, ce
qui ne l'a pas inquiété. De 1970, date de leur
emménagement, jusqu'à l'ouverture de la nouvelle
piste en 1986, elle a affirmé ne pas avoir été gênée
par le bruit des avions. Les Masi ont témoigné
dans le même sens, à savoir qu'ils ne s'étaient pas
souciés du bruit avant le début des opérations
aériennes sur la nouvelle piste, en 1986. M. Masi a
déclaré n'avoir aperçu jusque là que l'avion-école.
Malgré la proximité de l'aéroport, les deman-
deurs ont décrit leur coin comme un endroit calme
à la campagne. Leur témoignage est digne de foi
en ce qui concerne leur intention de s'installer dans
un milieu rural, au chemin Glancaster, dans la
mesure toutefois où l'on peut qualifier de rural un
environnement situé en bordure d'un aéroport
d'envergure modeste qui dessert la municipalité
régionale de Hamilton -Wentworth.
À l'époque où les parties ont fait l'acquisition de
leur terrain respectif sur le chemin Glancaster,
l'aéroport municipal de Hamilton se trouvait à
l'ouest. Comme l'indique la pièce 2, la résidence
des Acciaroli était située à 500 m de la limite la
plus proche de l'aéroport et à 900 m de la piste la
plus rapprochée. Quant à celle des Masi, elle se
trouvait à 400 m de la plus proche limite et à
750 m de la piste la plus rapprochée. De chez eux,
les demandeurs ne pouvaient pas apercevoir les
pistes, mais seulement quelques bâtiments et
structures.
On peut voir dans ce même document qu'après
l'agrandissement de l'aéroport et l'ajout d'une
piste au nord des installations existantes, la maison
des Masi s'est retrouvée à 500 m de la nouvelle
limite nord, et à 950 m de la nouvelle piste. Celle
des Acciaroli n'était plus qu'à 9 m de la limite et à
360 m de la piste.
Cette nouvelle piste, située dans l'axe est-ouest,
a une longueur de 2 400 m. Avant l'agrandisse-
ment, l'aérodrome ne comptait que deux pistes,
l'une dans l'axe est-ouest, mesurant 1 500 m, et
l'autre, orientée à peu près nord-sud et mesurant
1 800 m. Il ressort donc que les deux résidences
étaient, avant 1986, assez proches de l'aéroport et
de ses deux premières pistes.
Les demandeurs allèguent que les conditions de
vie dont ils jouissaient dans leur environnement
calme et rural se sont dégradées radicalement
après 1986 en raison de l'augmentation du bruit,
des émanations et des vibrations résultant de l'ex-
ploitation de la nouvelle piste. Cette plainte est, à
mon avis, exagérée.
Avant 1986, l'aéroport était bien davantage
qu'une école d'où décollait à l'occasion un petit
avion à hélice. Selon le témoignage de M. Joseph
Brister, administrateur général du projet d'agran-
dissement, on y voyait déjà plusieurs types d'aéro-
nefs, dont des Boeing 737 de la compagnie Nor-
dair qui a offert, de 1979 1982, un service
régulier d'environ huit vols quotidiens.
En outre, d'après le témoignage de M. N. M.
Standen sur les questions acoustiques (que nous
examinerons en détail ci-après), le niveau de gêne
causée par le bruit ne s'est accru que de façon
marginale et imperceptible dans le secteur de la
résidence des Acciaroli, entre 1981 et 1987.
D'après lui, le niveau de gêne a en fait diminué
pendant la même période aux environs de la
maison des Masi.
Dans ce dernier cas, l'exagération est particuliè-
rement évidente puisque leur résidence, aupara-
vant située à environ 400 m de l'extrémité ouest de
la piste est-ouest, au sud de l'aéroport, est mainte-
nant située à plus de deux fois cette distance par
rapport à la nouvelle piste est-ouest, au nord, où
les aéronefs ont été dirigés dès son achèvement en
1985.
Avant l'ouverture de cette piste, la résidence de
la famille Masi se trouvait également à 400 m de
distance de l'extrémité ouest de la première piste
est-ouest et presqu'en ligne directe avec elle, de
sorte que les appareils prenant leur envol vers
l'ouest la survolaient quasi immédiatement. Le
déroutement de ces vols vers la nouvelle piste au
nord devait nécessairement réduire d'autant le
niveau d'agression sonore. Il n'est donc pas surpre-
nant que le niveau mesuré en 1986-87 la rési-
dence des Masi ait été inférieur aux niveaux
précédents.
Cependant, les demandeurs ne se plaignent pas
uniquement de la gêne que leur cause l'exploita-
tion de la nouvelle piste. Voici, en résumé, les
motifs de plainte de la famille Acciaroli:
a) augmentation du bruit, de la poussière et de
la saleté provenant de la machinerie qui se
trouve sur le chantier lui-même;
b) augmentation du bruit, de la poussière et de
la saleté provenant des lourds camions qui
vont et viennent sur le chantier;
c) dérangements causés chez eux par des per-
sonnes venant demander la direction à
prendre et, à une occasion, par des person-
nes impliquées dans un accident;
d) violation du droit de propriété par les
ouvriers et les camions;
e) attaque de leurs chiens par un renard
enragé;
f) grande visibilité de la nouvelle piste, ainsi
que des nouveaux bâtiments de services
généraux, clôtures, tours, voies d'accès et
panneaux de signalisation;
g) perte importante d'accès en raison de la
fermeture de routes;
h) changement de caractère du milieu qui,
d'un cadre serein et pastoral, est passé
après l'agrandissement à un cadre quasi
industriel;
i) le fait que leur bien-fonds, bordé à l'est et
au nord par l'aéroport agrandi, se retrouve
maintenant enclavé sur le chemin Glancas-
ter;
j) augmentation du bruit, des vibrations et des
odeurs désagréables, en raison des aéronefs
utilisant les nouvelles installations aéropor-
tuaires, de jour comme de nuit;
k) changement de la vocation de l'aéroport
laissant présager un accroissement des
inconvénients;
1) impact psychologique de la présence maté-
rielle de l'aéroport sur les résidents et les
acheteurs éventuels, que la nouvelle piste
soit utilisée ou non.
Les plaintes des Masi sont identiques, à l'excep-
tion des alinéas c), d) et e).
La source de toutes ces plaintes est l'agrandisse-
ment de l'aéroport municipal de Hamilton. Selon
M. Brister, un comité ad hoc de citoyens avait été
mis sur pied dès 1974 pour étudier la possibilité
d'un agrandissement. Une vingtaine de rapports
ont été présentés entre 1974 et 1978 et environ
vingt emplacements possibles ont été envisagés. En
1978, le ministre des Transports a annoncé l'appui
du gouvernement fédéral à un projet d'aéroport
régional. Toujours selon M. Brister, le plan origi
nal prévoyait un budget d'agrandissement de 100
millions de dollars, mais au 3 juin 1982, jour de
l'approbation officielle, ce montant était réduit à
49 millions.
Responsable de la construction, M. Brister
l'était également de l'acquisition des biens-fonds
nécessaires à l'agrandissement des installations. À
cet égard, son mandat se limitait à faire unique-
ment l'acquisition des terrains requis pour l'agran-
dissement matériel de l'aéroport, et non des biens-
fonds susceptibles d'être touchés par les activités
sur la nouvelle piste. Il a affirmé que l'appropria-
tion des biens-fonds des Masi et des Acciaroli
n'était aucunement prévue, pas plus dans le cadre
du premier plan de 100 millions de dollars que
dans celui de 49 millions.
Une section d'environ 600 m du chemin Glan-
caster, immédiatement au nord de la propriété des
Acciaroli, a été acquise pour permettre la cons
truction de la piste dans l'axe est-ouest. Le chemin
a donc été coupé et fermé à la circulation en juillet
1983, peu après le début des travaux. Les deman-
deurs ont dès lors été forcés d'emprunter une route
moins directe pour se rendre au centre-ville de
Hamilton, le trajet étant ainsi allongé d'environ six
kilomètres.
Des travaux de déblaiement, de clôturage et de
drainage ont été effectués en 1983. Le transport du
matériel était limité au chantier de la nouvelle
piste où l'on procédait au nivellement de la partie
centrale, plus élevée, par rapport aux deux extré-
mités. Il n'y avait donc pas continuellement à cette
époque, sur le chemin Glancaster, de circulation
lourde attribuable à la construction. M. Brister
affirme que l'été 1983 a été pluvieux et qu'il n'y a
pas eu de problème de poussière. Il confirme que
Mme Acciaroli s'est plainte à ce moment de la
fermeture du chemin, du bruit, de la poussière et
de l'attaque de ses chiens par un renard. A ce
sujet, il n'a pas voulu, comme elle le lui demandait,
construire d'enclos pour les chiens. D'après lui, la
principale plainte de M me Acciaroli portait sur la
fermeture du chemin.
Les travaux ont été arrêtés en novembre et n'ont
pas repris avant le mois de mai 1984. C'est à ce
moment que des camions venant du sud ont com-
mencé à emprunter le chemin Glancaster pour
acheminer au chantier des matériaux granuleux.
Au plus fort des travaux, les camions sont passés
280 fois (140 fois chargés et 140 fois à vide)
devant la résidence des couples Acciaroli et Masi.
M. Brister a eu recours à six camions-citernes à
eau pour réduire la poussière. Il a cependant admis
que malgré ses efforts, le temps sec accompagné de
grands vents a rendu la situation insupportable à
quelques reprises et qu'il a reçu des plaintes de
résidents incommodés, de par le vent, jusqu'à un
mille de distance.
Les travaux ont de nouveau été arrêtés au mois
de novembre 1984 pour reprendre en mai suivant.
En juillet, la nouvelle piste de 2 400 m, de même
que ses voies de circulation, étaient pavées. Même
si les matériaux nécessaires à la construction de la
nouvelle tour continuaient à être acheminés par
camion sur le chemin Glancaster, la circulation
était considérablement moins lourde qu'à la saison
précédente, d'autant plus que la fermeture du
chemin avait rendu impossible le trafic de transit.
Selon M. Henry Merling, président du comité
du conseil régional sur l'aéroport, les travaux
étaient pour la plupart achevés au mois de juillet
1985, même si la nouvelle piste n'a pas été utilisée
avant le mois de mai 1986.
M. Brister a par ailleurs présenté en preuve les
baux (pièces 37 et 38) conclus entre le gouverne-
ment fédéral et la municipalité régionale de
Hamilton -Wentworth, en vertu desquels la gestion
et la supervision de l'aéroport ont été confiées à la
municipalité pour une période d'environ 50 ans, à
partir du ler septembre 1985. La municipalité
régionale nomme le directeur de l'aéroport à qui
incombe la responsabilité de contrôler l'ensemble
du trafic aérien, y compris la désignation des pistes
à mesures spéciales antibruit et la détermination
des heures du jour pendant lesquelles les atterrissa-
ges et les décollages sont interdits sur certaines
pistes.
Les demandeurs fondent en l'espèce leur récla-
mation sur le délit de nuisance ou, subsidiaire-
ment, sur le principe de l'indemnisation pour
atteinte préjudiciable à un bien. S'ils réussissent
sur le premier moyen, ils peuvent alors réclamer
des dommages-intérêts pour toutes les nuisances
ouvrant droit à une poursuite civile, y compris
toute nuisance résultant de l'exploitation de l'aéro-
port. Cependant, s'ils ne peuvent réussir au motif
que les nuisances en cause résultent de l'applica-
tion de la loi, ils ne pourront réclamer dans ce cas
qu'une indemnisation pour atteinte préjudiciable.
Les règles régissant les demandes d'indemnisa-
tion pour atteinte préjudiciable lorsque, comme en
l'espèce, on ne s'est approprié aucun bien-fonds,
sont établies par le juge Abbott dans l'arrêt The
Queen v. Loiselle, [1962] R.C.S. 624:
a) le dommage doit résulter d'un acte légalisé
par les pouvoirs que la loi confère à la
personne qui exécute cet acte;
b) le dommage doit être tel qu'il aurait pu
faire l'objet d'une action en common law,
n'eussent été les pouvoirs conférés par la
loi;
c) le dommage doit être un préjudice au bien-
fonds lui-même, ce ne doit pas être un
préjudice personnel ou commercial;
d) le dommage doit être occasionné par la
construction d'un ouvrage public, et non
par son utilisation.
Il en ressort, l'avocat de la demande l'ayant du
reste admis, que s'ils ne peuvent avoir gain de
cause que sur la réclamation subsidiaire, les
demandeurs ne pourront recouvrer que les domma-
ges résultant de la construction de l'aéroport et
non de son exploitation ou utilisation.
Mis à part le recours en indemnisation pour
atteinte préjudiciable, dont la portée est plus res-
treinte, les demandeurs réclament également à ce
chapitre des dommages pour les nuisances subies,
c'est-à-dire pour celles qui auraient pu faire l'objet
d'une action, n'eussent été les pouvoirs conférés
par la loi.
En plus d'être limités quant aux dommages
pouvant faire l'objet d'une demande d'indemnisa-
tion pour atteinte préjudiciable, les demandeurs
font face à une autre difficulté: ils doivent fonder
leurs recours sur une disposition législative. En
effet, le droit à l'indemnisation ne découle pas, en
pareils cas, de la common law, mais de la loi. A
défaut d'une telle disposition, le droit d'être indem-
nisé pour les dommages à un bien-fonds, résultant
des nuisances autorisées par la loi, n'existe pas.
(St. Pierre et al v. Ministry of Transportation and
Communications (1983), 28 L.C.R. 1 (C.A. Ont.),
le juge Weatherston, à la page 3.)
En l'espèce, donc, les demandeurs doivent éta-
blir l'existence de nuisances susceptibles de pour-
suite en responsabilité civile délictuelle. Si la Cou-
ronne fait valoir avec succès en défense qu'elle a
agi en vertu d'un pouvoir conféré par la loi, les
demandeurs doivent alors alléguer une disposition
législative prévoyant une indemnisation pour les
dommages ainsi causés. Si cette disposition prévoit
un dédommagement pour les atteintes préjudicia-
bles à un bien-fonds qui n'a pas fait l'objet d'une
expropriation, les demandeurs auront alors droit à
des dommages-intérêts, mais dans la mesure seule-
ment où la nuisance résulte de la construction de
l'ouvrage et non de son exploitation.
À mon avis, les actions des demandeurs doivent
être rejetées. D'une part, plusieurs des plaintes
qu'ils ont formulées ne constituent pas des nuisan
ces donnant ouverture à une poursuite civile.
Même en admettant qu'il s'agit bien de nuisances,
celles-ci résultent de la construction d'un aéroport,
autorisée par la loi, laquelle légalise du même coup
les actes dont les demandeurs se plaignent et qui,
autrement, pourraient faire l'objet d'une poursuite
civile.
D'autre part, aucune disposition législative ne
prévoyant l'indemnisation pour atteinte préjudicia-
ble à un bien-fonds, les demandeurs ne peuvent
établir leur droit à un dédommagement à ce titre.
En outre, même si le bruit émanant de l'exploita-
tion de l'aéroport après 1985 constituait bel et bien
une nuisance ouvrant droit à une action, la défen-
deresse ne serait aucunement responsable de cette
nuisance puisque ce n'est pas d'elle que relève
l'exploitation des installations.
Examinons pour commencer les trois motifs de
plainte que les Acciaroli ont été les seuls à avan-
cer: le dérangement causé par les gens qui viennent
s'informer de la direction à suivre, la violation du
droit de propriété par les ouvriers et les camions et
enfin l'attaque de leurs chiens par un renard
enragé. À mon avis, il n'y a pas là d'entrave
substantielle à l'usage par les Acciaroli de leur
bien-fonds. Le fait que des gens aient, à l'occasion,
frappé à leur porte pour s'enquérir de la direction
à prendre, et qu'ils aient été réveillés une fois en
pleine nuit à cause d'un accident automobile, ne
saurait de quelque manière constituer une nui
sance ouvrant droit à une action civile; je ne puis
davantage invoquer de précédent en ce qui con-
cerne le renard enragé. De toute façon, les dom-
mages présumément subis à cette occasion sont
trop éloignés. Il était en effet impossible à la
défenderesse de prévoir que les travaux de cons
truction pouvaient être la cause de l'attaque des
chiens des Acciaroli par un renard atteint de la
rage.
Bien que les Acciaroli allèguent violation de leur
droit de propriété pendant la période de la cons
truction, je ne me souviens pas qu'on ait présenté
de preuve à l'appui de cette prétention, ni que
l'avocat de la famille ait attiré mon attention à ce
sujet au cours du débat. Il ne fait pas de doute,
cependant, la limite nord dé la propriété des
Acciaroli jouxtant la limitant sud de l'aéroport,
qu'un certain nombre d'intrusions soient survenues
lors de l'érection de la clôture séparant les deux
biens-fonds. A mon avis, ces intrusions sont insi-
gnifiantes et ne constituent pas une nuisance.
À l'exception des trois plaintes dont nous venons
de parler, toutes les autres sont communes aux
deux familles. Pour faciliter la compréhension, on
peut les ranger dans quatre catégories:
(i) Bruit et poussière pendant la construc-
tion—plaintes a) et b).
(ii) Changement de vue et perte d'agré-
ment—plaintes f), h), i) et 1).
(iii) Troubles découlant de la fermeture du
chemin Glancaster—plainte g).
(iv) Augmentation du bruit, des vibrations et
des odeurs causées par l'exploitation de
l'aéroport, et perspective d'un accroisse-
ment de ces inconvénients—plaintes j) et
k).
En ce qui concerne le bruit et la poussière
pendant la période de construction, les demandeurs
ont mis en preuve le fait qu'ils devaient nettoyer
leur résidence plus souvent et que les camionneurs
admiraient bruyamment leurs filles à l'occasion.
D'après le témoignage, auquel j'ajoute foi, du
directeur du projet, Joseph Brister, il n'y avait pas
de problème de poussière en 1983 et la plus grosse
partie du transport par camion était terminée au
mois de juillet 1985. M. Brister a admis que le
problème s'est posé à quelques reprises au cours de
la saison de 1984. J'estime toutefois qu'il a pris les
mesures raisonnables pour remédier à la situation
en utilisant des camions-citernes à eau.
De l'aveu même de M. Brister, le temps sec et
venteux a eu raison de ses efforts à quelques
occasions au cours de la période s'étendant des
mois de mai à novembre 1984. Il ne fait bien sûr
aucun doute que les demandeurs, tout comme les
autres résidents du chemin le long duquel les
matériaux granuleux destinés à la piste étaient
transportés, ont été dérangés et exaspérés par le
bruit et la poussière. Leurs troubles n'ont été
cependant que de courte durée et n'ont causé
aucune dévalorisation permanente de leur bien-
fonds. À mon avis, ces ennuis n'ont pas dépassé ce
à quoi on pouvait raisonnablement s'attendre dans
les circonstances.
Il est inévitable que ceux qui habitent à proxi-
mité d'un chantier de construction aient à subir
certains troubles de jouissance. En l'espèce, les
troubles n'ont été que temporaires et sont restés
dans des limites raisonnables, compte tenu de
l'ampleur du projet. J'estime par conséquent qu'ils
n'équivalent pas à une nuisance ouvrant droit à
une poursuite et que les demandeurs ne sont pas
recevables à réclamer des dommages-intérêts de la
défenderesse à l'égard des plaintes formulées aux
alinéas a) et b).
Dans l'arrêt récent St. Pierre c. Ontario (Minis-
tre des Transports et Communications), [1987] 1
R.C.S. 906; (1987), 75 N.R. 291, le juge McIntyre
de la Cour suprême du Canada a jugé que la perte
de vue ou d'agrément, ou encore la modification de
la nature des environs, ne pouvaient constituer une
nuisance ouvrant droit à une poursuite.
Dans cette affaire, une route à quatre voies avait
été construite à 32 pieds au plus de la fenêtre de la
chambre à coucher des demandeurs, tout le long
de la limite est de leur bien-fonds. La tranquillité
totale dont ils jouissaient auparavant avait du
même coup disparu.
Voici comment le juge McIntyre a abordé le
litige [aux pages 914 et 916 R.C.S.; 300 et 302
N.R.]:
La seule question à trancher est alors de savoir si la construc
tion de la route, qui a entraîné des dommages au bien des
appelants, ouvre droit à une poursuite en common law.
Une action visant à recouvrer des dommages-intérêts dans les
circonstances de l'espèce ne peut avoir comme fondement que le
délit de nuisance.
Je partage l'opinion de la Cour d'appel que ce dont les appe-
lants se plaignent en l'espèce est la perte de perspective ou de
vue. Il y a également la perte d'intimité, mais la plainte porte
essentiellement qu'ils habitaient avant dans un site rural avec
une perspective agréable et qu'ils font maintenant face, sur au
moins un côté de leur bien-fonds, à une route moderne. Il s'agit
d'une réclamation pour perte d'agrément. Il est probablement
exact que l'utilisation de la route constituera un élément pertur-
bateur, mais c'est un type de dommage dont on ne peut tenir
compte. La réclamation est limitée à la perte occasionnée par la
construction.
Depuis le début, les tribunaux ont systématiquement jugé
qu'il ne peut y avoir d'indemnisation pour perte de perspective
Mis à part le fait que l'aéroport est un ouvrage
public, l'affaire St. Pierre constitue un précédent à
l'appui de la position selon laquelle le fait que les
installations aéroportuaires aient changé la vue ou
la nature des environs, ou aient affecté psychologi-
quement les demandeurs n'équivaut pas une nui
sance ouvrant droit à une poursuite.
Dans l'arrêt Walker et al v. Pioneer Construc
tion Co. (1967) Ltd. (1975), 8 O.R. (2d) 35
(H.C.), le juge Morden a exprimé la même idée en
des termes différents. Rejetant la réclamation en
nuisance que les demandeurs avaient présentée
contre l'exploitant d'une gravière dont l'apparence
désagréable choquait la vue, le juge a souligné à la
page 39:
[TRADUCTION] Quels que soient les faits, je ne crois pas que le
défendeur ait envers les demandeurs le devoir de préserver pour
leur bénéfice l'apparence de son bien-fonds ...
Il ne fait pas de doute qu'aux yeux des deman-
deurs, et probablement aussi de la plupart des
gens, leur résidence aurait eu une plus grande
valeur, n'eût été la proximité de la nouvelle piste et
ce, sans parler du tout de son exploitation. La vue
d'une piste asphaltée, de tours de contrôle, de
pylônes radio et de clôtures à mailles losangées est
certainement moins désirable que celle d'un paisi-
ble paysage champêtre. Cependant, se plaindre du
passage de l'une à l'autre revient à réclamer une
indemnisation pour perte d'agrément, de perspec
tive ou de vue que le droit ne permet pas, même s'il
en résulte une diminution de la valeur du bien qui
a subi le dommage. C'est pourquoi j'en viens à la
conclusion que les demandeurs sont irrecevables à
réclamer des dommages-intérêts de la défenderesse
au titre des motifs énoncés aux alinéas f), h), i) et
1).
Une des principales plaintes des demandeurs se
rapporte à la fermeture du chemin Glancaster et
aux répercussions de cette situation sur eux-mêmes
ainsi que sur leur bien-fonds. Comme je l'ai déjà
indiqué, ce chemin a été coupé par la construction
de la nouvelle piste au nord des deux propriétés.
Auparavant, c'était la route normale qu'emprun-
taient les demandeurs pour se rendre au centre-
ville de Hamilton. Ils doivent dorénavant faire un
détour qui allonge le trajet d'environ six kilomètres
ou de dix à quinze minutes.
L'accès des demandeurs au chemin Glancaster
n'a jamais été entravé par la fermeture de ce
dernier par suite de l'agrandissement de l'aéroport,
c'est-à-dire qu'il n'y a eu aucun effet sur leur droit
ou leur capacité d'accéder au chemin ou la facilité
avec laquelle ils peuvent le faire. Ce qu'ils considè-
rent comme une nuisance, c'est de ne plus pouvoir
emprunter leur passage habituel sur le chemin
Glancaster en direction nord. À cet égard, la fer-
meture de la route leur porte atteinte au même
titre que tout conducteur voulant y circuler du sud
au nord. Tous sont forcés de faire un détour.
Voici ce qu'a déclaré le juge Nesbitt dans l'arrêt
The King v. MacArthur (1904), 34 R.C.S. 570,
aux pages 576 et 577, propos de la possibilité
d'indemnisation dans de telles circonstances:
[TRADUCTION] On n'a jamais voulu que, lorsque la construc
tion d'ouvrages autorisés par des lois du Parlement porte
atteinte à la valeur sentimentale de biens dans les environs, tous
les propriétaires puissent réclamer des dommages-intérêts.
Dans la plupart de nos grandes villes, les valeurs changent
continuellement en raison de travaux d'amélioration publics
nécessaires et si, quoiqu'on ne s'approprie aucun bien-fonds,
chaque propriétaire foncier de la localité pouvait, en raison de
la modification de la nature des environs ou de certaines routes
utiles, réclamer une indemnisation en raison d'une chute suppo
sée de la valeur marchande antérieure des propriétés dans les
environs, il deviendrait pratiquement impossible d'obtenir ce
type d'amélioration.
Le juge Audette en est arrivé à une conclusion
semblable dans l'arrêt The King v. Carrières De
Beauport (1915), 17 Ex.C.R. 414, la page 428:
[TRADUCTION] À l'époque de l'expropriation, ces rues
étaient à vocation publique, les défendeurs n'y ayant aucun
droit foncier ou fief d'aucune sorte, mais jouissant simplement
du privilège collectif d'y circuler, sans plus. Par conséquent, le
droit dont on allègue l'entrave doit être considéré comme un
droit commun au public en général et pour la violation duquel il
n'existe au bénéfice de l'individu, même plus gravement atteint
que les autres sujets de la Couronne, aucun recours en indemni-
sation. Archibald v. The Queen (3 Can. Ex. 251; 23 R.C.S. du
Can. 147); The King v. MacArthur (34 R.C.S. du Can. 570).
L'avocat des demandeurs a cité quatre arrêts à
l'appui de sa prétention selon laquelle l'entrave au
droit d'accès d'un individu à son bien-fonds et à
partir de celui-ci constitue une nuisance ouvrant
droit à une poursuite: Hagel and Hagel v. Munici
pal District of Yellowknife and Board of Trustees
for Yellowknife and Board of Trustees for Yel-
lowknife Public School District No. 1 (1962), 35
D.L.R. (2d) 110 (C.A.T.N.-O.); Toronto Trans
portation Commission v. Village of Swansea,
[1935] R.C.S. 455; [1935] 3 D.L.R. 619; Prentice
v. City of Sault Ste. Marie, [1928] R.C.S. 309;
[1928] 3 D.L.R. 564, le juge Duff, aux pages 318
R.C.S.; 570 D.L.R. et Forster v. City of Medicine
Hat (1913), 9 D.L.R. 555 (C.S. Alta.). Je partage
toutefois l'avis de l'avocat de la défenderesse qui a
fait valoir qu'à l'exception de l'arrêt Prentice v.
City of Sault Ste. Marie, précité, non pertinent à
l'espèce, les autres affaires portent plutôt sur le
droit d'accès et de sortie des demandeurs que sur
le type d'entrave dont on se plaint dans la présente
espèce.
L'avocat des demandeurs s'appuie, entre autres,
sur les arrêts The Queen v. Loiselle, [1962] R.C.S.
624, et Windsor (City of) v. Larson et al. (1980),
20 L.C.R. 344 (C. div. de l'Ont.), pour prétendre
qu'il doit y avoir indemnisation pour la perte d'ac-
cès par opposition à la simple entrave à l'entrée et
à la sortie. Dans l'affaire Loiselle, la station-ser
vice du plaignant s'était retrouvée à l'extrémité
d'une impasse par suite du détournement d'une
route en raison de la construction de la Voie
maritime du St-Laurent. Dans l'affaire Larson,
une bande médiane de béton avait été érigée au
milieu de la route qui passait devant le, motel du
plaignant, en réduisant ainsi l'accès considérable-
ment, ce qui avait entraîné une diminution de sa
valeur.
Dans l'affaire St. Pierre (précitée), le juge
McIntyre a cité ces deux décisions en faisant le
commentaire suivant, aux pages 915 R.C.S.; 302
N.R.:
Dans les deux cas, la construction des ouvrages publics dans les
environs immédiats des biens-fonds a changé leur situation au
point de réduire grandement, sinon d'anéantir, leur valeur vu
les fins pour lesquelles on les utilisait avant la construction, et
cette construction pouvait donc être considérée comme une
nuisance.
Il a également souligné que, dans ces deux cas,
l'acte de l'autorité publique avait à tout le moins
entravé de manière importante l'utilisation réelle
que le plaignant faisait du bien, avec comme résul-
tat une diminution de sa valeur.
À mon avis cependant, la perte de la possibilité
qu'avaient les demandeurs de se rendre à leur
bien-fonds par le nord en empruntant le chemin
Glancaster n'a pas entravé de manière importante
l'utilisation réelle qu'ils faisaient de leur propriété.
C'est à des fins résidentielles qu'ils utilisaient leurs
biens. Il me semble que le fait qu'un bien-fonds,
autrefois situé dans une rue libre, se retrouve dans
une impasse ne devrait pas en réduire la valeur. Au
contraire, certains pourraient prétendre que la
baisse de la circulation causée par un tel change-
ment constituerait plutôt un facteur d'augmenta-
tion de la valeur du bien-fonds. Il est vrai, et la
preuve qu'ont soumise les demandeurs est crédible
à cet égard, que l'accès à la ville de Hamilton est
moins facile maintenant, mais il s'agit plus d'un
inconvénient personnel que d'une atteinte suscepti
ble de diminuer de façon significative la valeur des
biens des demandeurs à des fins résidentielles. Ces
derniers ne peuvent donc pas tenir la défenderesse
responsable des dommages allégués à l'alinéa g).
La dernière plainte des demandeurs porte sur
l'augmentation du bruit, des vibrations et des
odeurs causée par l'exploitation de l'aéroport. Il y
est également question d'un changement de la
nature de ce dernier faisant craindre un accroisse-
ment des inconvénients.
Pour qu'on puisse parler de nuisance à cet
égard, il doit y avoir entrave réelle au confort et à
la commodité des demandeurs. La simple perspec
tive d'une augmentation future des inconvénients
n'équivaut pas à une nuisance même si, comme
l'un des évaluateurs l'a souligné, l'existence même
de la piste, qu'elle soit utilisée ou non, aurait pu
constituer une cause majeure de la dévalorisation
présumée des biens-fonds des demandeurs.
D'après la preuve de la demande, les activités de
l'aéroport n'ont causé aucun inconvénient aux
deux familles entre les années 1970, date de leur
installation sur le chemin Glancaster, et le début
des opérations aériennes sur la piste nouvellement
construite en 1986.
Mme Acciaroli prétend en effet que c'est l'arrivée
des avions à réaction en 1987 qui a rendu la
situation intolérable, bien qu'il y ait eu quelques
vols de ce type d'appareil l'année précédente.
M. Masi affirme également que le bruit en
provenance de l'aéroport a fortement augmenté
après l'achèvement de la nouvelle piste, à tel point
qu'il croit depuis habiter au beau milieu d'un
aéroport.
Tous deux déclarent avoir entendu dire que la
circulation aérienne et partant, le bruit, les vibra
tions et les odeurs en provenance de l'aéroport
augmenteraient dans l'avenir. Ils en sont du reste
persuadés, de façon assez compréhensible.
Les demandeurs allèguent que ce sont les activi-
tés résultant de la nouvelle piste qui causent une
nuisance. Ils ne formulent en effet aucune plainte
à l'égard du bruit, des odeurs ou des vibrations
antérieurement à 1986. Ils ont tous deux présenté
une preuve selon laquelle l'endroit où ils vivent
était à cette époque rural et paisible.
L'évaluation de la gêne ou de l'irritation causée
par le bruit aux abords d'un aéroport étant forcé-
ment subjective, on a mis au point une méthode
d'une assez grande complexité permettant de
tracer des courbes de «prévision d'ambiance
sonore» (NEF). Cette technique de mesurage ne
consiste pas simplement à calculer le nombre de
décibels à un moment donné, mais également à
accorder par exemple un coefficient sonore plus
élevé aux vols qui ont lieu après minuit qu'aux vols
diurnes. Cette méthode, à certaines modifications
près, est devenue la norme au Canada et elle est
largement utilisée aux États-Unis de même que
dans plusieurs pays d'Europe.
M. Neil M. Standen, ingénieur au service de
Transports Canada, décrit ainsi dans son rapport
en date du 2 octobre 1987 la méthode utilisée:
[TRADUCTION] IMPACT DU BRUIT DES AVIONS
AÉROPORT DE HAMILTON (MT HOPE)
Il n'est pas facile d'évaluer l'impact du bruit des avions sur la
population. La sonie et le caractère du son des appareils
peuvent être mesurés ou prédits avec une certaine précision,
mais le degré de nuisance sonore (appréciation de la qualité et
de l'acceptabilité du son) dépend de la perception que les gens
peuvent avoir du son et de l'interprétation qu'ils en font.
Comme pour toute opinion, celle qu'on peut avoir de la
bruyance varie d'une personne à l'autre. De façon générale, les
lignes directrices en matière de normes antibruit sont donc
fondées sur le jugement collectif de vastes populations, de sorte
qu'elles deviennent des normes de la société. Il ne s'ensuit pas
que ces normes doivent être considérées comme acceptables
pour chaque membre de la société. Il se peut en effet que
certains individus les jugent trop élastiques alors que d'autres
les considéreront trop sévères, ou même inutiles.
En raison de cette diversité des opinions, on s'est efforcé
d'établir des critères d'acceptabilité du bruit en fonction des
normes de la société. Ces normes reflètent le degré de gêne
qu'exprime la collectivité et que les pouvoirs politiques, sensi-
bles aux doléances de leur électorat, sont prêts à tolérer. Les
recherches ont également porté sur la façon dont le bruit
engendre la gêne; on a pu ainsi, dans une certaine mesure,
prévoir la réaction des individus, par opposition à celle des
groupes plus importants, à un bruit donné.
La mise au point de ces normes sociales d'acceptabilité du bruit
des aéronefs s'est faite il y a une quinzaine d'années au Canada,
à la suite de recherches effectuées aux É.-U. et en Europe. Ce
travail a comporté deux démarches. Une première démarche
consistait à établir une méthode de calcul des niveaux sonores
propre à représenter l'indice sonore à long terme aux abords
d'un aérodrome. On a ainsi créé des programmes informatisés
renfermant des données sur le bruit mesuré et l'exécution des
vols; en insérant dans ces programmes des informations sur le
nombre et le type d'appareils utilisant un aérodrome, ainsi que
sur la configuration et l'usagé des pistes, on a pu dresser des
courbes isotoniques aux abords de cet aérodrome.
Il est important de remarquer que ces courbes ne représentent
habituellement pas les niveaux sonores réellement enregistrés
un jour spécifique. Ces modèles ne visent en effet qu'à représen-
ter le fond sonore à long terme. Les recherches effectuées à
cette époque ont montré que le fond sonore, perçu par les
résidents d'une zone donnée, était mieux représenté lorsque le
trafic aérien était plus intense que la moyenne, mais sans
atteindre le niveau le plus intense de la période étudiée. Les
courbes isotoniques ainsi obtenues par ordinateur représentent
donc une mesure statistique du fond sonore, soit à peu près
l'équivalent du niveau sonore réel durant l'une des périodes de
circulation aérienne les plus intenses.
La deuxième démarche de ce processus de mise au point des
normes de la société consistait dans l'étalonnage des courbes
sonores produites par ordinateur en termes de niveaux de gêne
ressentie par la société. Des enquêtes ont été menées dans les
zones résidentielles situées à proximité de quelques aéroports,
les attitudes exprimées à l'endroit du bruit étant inscrites sur
une échelle comportant différents niveaux de gêne. On a ensuite
reporté sur cette échelle les courbes sonores obtenues pour les
mêmes zones. On a ainsi établi une relation entre la réaction de
la collectivité et le modèle statistique du fond sonore à long
terme. Depuis ce temps, cette relation ou étalonnage n'a connu
que peu de variation.
La courbe isotonique constitue une évaluation du fond sonore à
long terme. Cette évaluation est évidemment fonction des don-
nées relatives au champ créé par le trafic aérien et à la
configuration de l'aérodrome fournies à l'ordinateur. Ainsi, la
courbe peut refléter une prévision de fond sonore pour l'avenir
si les données fournies représentent une anticipation du niveau
de trafic et de la configuration de l'aérodrome. S'il s'agit de
données actuelles ou passées, la courbe représentera alors le
fond sonore réel. Dans le programme qu'il a mis au point, le
ministère fédéral des Transports utilise, pour désigner la pre-
mière courbe, l'expression «prévision d'ambiance sonore»
(NEF) ou «projection à long terme d'ambiance sonore» (NEP).
La courbe représentant le fond sonore réel est appelée courbe
d'«ambiance sonore réelle» (ANE).
C'est M. Standen qui a préparé les courbes
d'ambiance sonore réelle pour l'aéroport de Hamil-
ton en 1981 et 1986. Il a également préparé les
courbes d'ambiance sonore en 1987, partir des
vols réels en 1986, mais en y ajoutant les vols
nocturnes d'appareils de transport à réaction
DC8-50, effectués durant le premier semestre de
1987 et qui n'avaient pas commencé en 1986. Dans
son rapport, M. Standen a livré le résultat de ses
calculs dans les termes suivants:
[TRADUCTION] ÉVALUATION DU BRUIT DES AÉRONEFS À
L'AÉROPORT DE HAMILTON
L'évaluation des nuisances sonores relativement aux deux affai-
res impliquant l'aéroport de Hamilton (Mt Hope) a été faite à
partir de courbes d'ambiance sonore réelle. Ces courbes repré-
sentent les niveaux sonores à long terme en 1981 (avant la
construction de la piste située au nord de l'ancienne et parallèle
à celle-ci), en 1986 (dernière année pour laquelle des statisti-
ques complètes sur le trafic étaient disponibles) et en 1987
(valeurs estimatives). Celles-ci sont les mêmes qu'en 1986,
compte non tenu des vols nocturnes de DC8-50, avions de
transport à réaction, effectués durant le premier semestre de
1987 et qui n'avaient pas commencé en 1986. Quant aux
projections pour 1981, elles n'ont guère varié par rapport à
celles de la fin de la décennie précédente, en ce qui concerne
l'aéroport en question.
Les variations dans les projections à long terme entre 1981 et
1986 représentées par ces courbes montrent un accroissement
des niveaux sonores dans la plupart des zones et une atténua-
tion dans certaines autres. S'il y a eu accroissement du niveau
sonore à la résidence des Acciaroli, il n'a été que de faible
amplitude. À la résidence des Masi, la tendance. va vers une
atténuation. L'amplitude de la variation par rapport à la rési-
dence des Acciaroli se situe, d'après les courbes de projection, à
l'intérieur des limites d'incertitude propres à la méthode de
calcul, et elle devrait donc être tenue pour insignifiante. En
1987, et toujours par rapport à la résidence des Acciaroli, les
courbes montrent un autre accroissement négligeable dû aux
vols nocturnes. Le changement en 1987 par rapport à 1986 est
également faible mais statistiquement significatif, c'est-à-dire
supérieur à l'incertitude propre à la méthode_ de calcul. Par
rapport à la zone où se trouve la résidence des Masi, les
projections montrent une atténuation soutenue tout au long de
cette même période, due en grande partie au fait que les
décollages se sont faits à partir de la nouvelle piste 30R et non
plus de l'ancienne, la 30 L.
Sur les trois cartes de projections, la résidence des Acciaroli se
trouve à l'extérieur de la zone d'indice 30, donc plus éloignée de
l'aéroport que celle-ci. Fixé d'après l'étalonnage des courbes
par rapport à la réaction de la société, l'indice de bruit 30 est
considéré comme acceptable aux termes de la norme d'exposi-
tion au bruit de Transports Canada (1), de la Société cana-
dienne d'hypothèques et de logement (2) et du ministère onta-
rien du Logement (3). Il s'ensuit que, depuis 1981, la résidence
des Acciaroli s'est trouvée exposée à un indice de bruit à long
terme considéré comme acceptable selon les normes actuelles
de la société.
En 1981, la résidence des Masi était située dans une zone
d'indice entre 30 et 35 sur la carte de 1981 remise avec l'étude.
Or, d'après les normes actuelles, cette zone est également
admise à la construction résidentielle à condition que les mai-
sons y soient bien isolées acoustiquement. Depuis 1981, les
niveaux de bruit dans cette zone ont diminué, comme le mon-
trent les cartes de 1986 et 1987. Cette résidence se trouve
aujourd'hui dans une zone d'indice 30, l'intérieur des limites
d'incertitude propres à la méthode de calcul, et donc dans une
zone où l'indice de bruit est considéré comme acceptable
d'après les normes de la société.
Il est évident que, dans une certaine mesure, on
tente par cette méthode de répondre à la question
de nature juridique suivante: «À quel moment
l'exploitation d'un aéroport devient-elle une nui
sance ouvrant droit à une poursuite?» Or, la
réponse à cette question relève ultimement de cette
Cour et non des ordinateurs de Transports
Canada.
Cependant, j'estime que le rapport de M. Stan-
den peut, pour plusieurs raisons, être utile en
l'espèce. En premier lieu, il renferme une étude
approfondie du problème et donne des indications
sur le moment où, quelle que soit la norme, le fond
sonore devient inacceptable. En second lieu, la
méthodologie utilisée constitue la norme au
Canada et elle est largement acceptée ailleurs. En
dernier lieu, le rapport mesure le fond sonore réel à
l'emplacement de chacune des résidences des
demandeurs pendant une période où, de leur
propre aveu, le bruit en provenance de l'aéroport
ne les gênait aucunement, et une autre où les deux
familles se sont plaintes du caractère intolérable
du bruit.
D'après les mesures enregistrées, le niveau de
perturbation sonore a diminué à la résidence des
Masi et augmenté de façon marginale à celle des
Acciaroli. En me fondant sur ces données dont je
suis prêt à reconnaître l'exactitude, j'en viens à la
conclusion qu'à l'égard de la résidence des Masi, il
n'y a pas eu d'accroissement du niveau de pertur
bation causée par le bruit par suite de l'utilisation
de la nouvelle piste, et qu'à l'égard de la résidence
des Acciaroli, l'augmentation marginale enregis-
trée ne constitue pas une nuisance ouvrant droit à
une poursuite. Il s'ensuit donc que les demandeurs
ne peuvent pas recouvrer de dommages-intérêts de
la défenderesse pour les motifs énumérés aux ali-
néas j) et k).
Même si l'on pouvait considérer comme des
nuisances de cette catégorie les troubles résultant
des travaux d'agrandissement de l'aéroport, la fer-
meture d'une partie du chemin Glancaster et la
perte de perspective ou d'agrément, la Couronne
pourrait toujours invoquer en défense l'autorité
qu'elle a reçue du législateur pour rendre irreceva-
ble l'action des demandeurs; d'après moi, en effet,
ces nuisances, si l'on peut vraiment les considérer
comme telles, résultent de l'exécution inévitable et
raisonnable du devoir qu'impose la loi à la défen-
deresse de construire des aéroports.
C'est en vertu du devoir qui lui incombe par
application de l'article 3 de la Loi sur l'aéronauti-
que, S.R.C. 1970, chap. 3, que la défenderesse a
entrepris les travaux dont il est question en
l'espèce:
3. Il incombe au Ministre
c) de construire et maintenir tous les aérodromes et stations
ou postes d'aéronautique de l'État, y compris toutes les
installations, machines et tous les bâtiments nécessaires à
leur équipement et entretien efficaces;
Il n'y a rien eu d'arbitraire ou de capricieux
dans la façon dont a été choisi l'emplacement de
l'aéroport, ou plutôt son agrandissement. Cette
décision a au contraire été prise au terme de
plusieurs années d'études et de nombreux rapports.
Je suis convaincu que les travaux d'agrandissement
ont par la suite été exécutés de façon raisonnable,
sans négligence de la part de la Couronne et sans
que les troubles ou les inconvénients qu'ont subis
les demandeurs aient dépassé ce à quoi on peut
normalement s'attendre d'un projet de cette
ampleur.
À mon avis, les observations qu'a formulées le
juge McIntyre dans l'affaire St. Pierre, précitée,
aux pages 916 R.C.S.; 303 N.R., sont particulière-
ment pertinentes en l'espèce:
Le Ministre a le pouvoir, il en a même le devoir, de construire
des routes. Toute construction de route causera des inconvé-
nients. Parfois elle endommagera la propriété, parfois elle en
augmentera la valeur. Imputer au Ministre une responsabilité
en dommages-intérêts envers chaque propriétaire foncier dont
les intérêts de propriétaire sont lésés, uniquement à cause de la
construction d'une route sur des terrains environnants, placerait
un fardeau inadmissible sur le trésor public. Les routes sont
nécessaires: elles causent des inconvénients. Dans l'exercice
d'équilibre inhérent au droit de la nuisance, leur utilité pour le
bien public l'emporte de beaucoup sur les inconvénients et les
préjudices que subissent certains biens-fonds adjacents. Le droit
de la nuisance ne va pas jusqu'à permettre une indemnisation
en l'espèce.
Tout comme, dans cette affaire, le juge McIn-
tyre a été incapable de conclure qu'il y avait un
élément abusif dans l'utilisation par le ministre du
bien-fonds adjacent à celui des appelants pour la
construction d'une route, je ne puis en l'espèce
statuer que la défenderesse a utilisé de façon abu
sive un bien-fonds adjacent à celui des demandeurs
pour y construire un aéroport. J'en viens par con-
séquent à la même conclusion, savoir que le droit
de la nuisance ne permet pas une indemnisation
dans la présente espèce.
L'avocat des demandeurs prétend que, même si
la défense d'autorité conférée par la loi doit préva-
loir, il est néanmoins possible de réclamer des
dommages-intérêts pour atteinte préjudiciable,
dans la mesure où une loi le prévoit expressément
ou implicitement.
C'est une exigence bien établie que la réclama-
tion pour atteinte préjudiciable doit, par opposition
à l'action en nuisance de la common law, être
fondée sur une quelconque disposition législative.
Dans l'arrêt Sisters of Charity of Rockingham v.
The King, [ 1922] 2 A. C. 315, la page 322; 67
D.L.R. 209, la page 211; [1922] 3 W.W.R. 33
(P.C.), à la page 35, lord Parmoor a exprimé
l'opinion suivante:
[TRADUCTION] Aucun propriétaire foncier, dont le bien-fonds
a été exproprié à des fins publiques en vertu d'une loi, n'a droit
à une indemnisation, soit pour la valeur du bien qui a fait
l'objet de l'appropriation, soit pour les dommages survenus, au
motif que son bien-fonds a subi une «atteinte préjudiciable», à
moins qu'il ne puisse prouver que ce droit lui est conféré par la
loi.
C'est également la position qu'a adoptée le juge
Weatherston de la Cour d'appel de l'Ontario dans
l'affaire St. Pierre et al. v. Ministry of Transpor
tation and Communications (1983), 28 L.C.R. 1,
à la page 3:
[TRADUCTION] Le droit d'être indemnisé découle de la loi; il
n'existe en effet aucun recours pour les dommages causés par
l'exécution de travaux autorisés par la loi, à moins que cette loi
ou une autre ne prévoie de dispositions à cet égard ...
Il s'ensuit évidemment que, dans la mesure où ce recours est
prévu, c'est aux dispositions spécifiques de la loi qu'il faut se
référer pour savoir quels sont les dommages et les personnes
indemnisables.
L'avocat de la demande allègue que ce droit à
l'indemnisation pour atteinte préjudiciable, en
l'absence d'emprise, découle de l'article 17 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10] que voici:
17. (1) La Division de première instance a compétence en
première instance dans tous les cas où l'on demande contre la
Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette
compétence est exclusive.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), la
Division de première instance, sauf disposition contraire, a
compétence exclusive en première instance dans tous les cas où
la propriété, les effets ou l'argent d'une personne sont en
possession de la Couronne, dans tous les cas où la demande
découle ou est née d'un contrat passé par la Couronne ou pour
son compte et dans tous les cas où une demande peut être faite
contre la Couronne pour atteinte défavorable.
À l'appui de sa prétention, la partie demande-
resse a cité deux jugements de la Cour de l'Échi-
quier dans lesquels le président Thorson a statué
que l'ancêtre de l'article 17 de la Loi sur la Cour
fédérale, l'article 19 de la Loi de la cour de
l'Echiquier, S.R.C. 1927, chap. 34, avait créé un
droit d'action pour atteinte préjudiciable et non
pas simplement donné compétence à la Cour en
matière de réclamation en dommages-intérêts
fondée sur quelque autre loi.
Dans les arrêts The King v. Lawson & Sons,
[1948] 3 D.L.R. 334 (C. de l'E.) et The King v.
Woods Mfg. Co. Ltd., [1949] R.C.É. 9, le prési-
dent Thorson a déclaré que l'article 19 de la Loi de
la cour de l'Échiquier, aux alinéas (1) a) et b),
n'était pas seulement attributif de compétence
mais qu'il conférait également au plaignant le
droit d'être indemnisé en cas d'expropriation de
son bien-fonds ou de dommages résultant d'une
atteinte préjudiciable.
Dans l'arrêt The King v. Lawson & Sons, la
Cour a jugé que le paragraphe 19(1) constituait le
fondement à la fois du droit du plaignant à l'in-
demnisation et de la compétence du tribunal d'en-
tendre et de disposer de la réclamation. Voici
comment le président Thorson a exprimé sa posi
tion, à la page 351:
19. La cour de l'Echiquier a aussi juridiction exclusive en
première instance pour entendre et juger les matières suivantes:
a) Toute réclamation contre la Couronne pour expropriation
de biens pour des fins publiques;
b) Toute réclamation contre la Couronne pour dommages à
des propriétés causés par l'exécution de travaux publics;
[TRADUCTION] À mon avis, ces dispositions ne font pas que
donner compétence à la Cour. Elles confèrent également des
droits aux plaignants. Que le droit de recevoir une indemnité
pour expropriation ou atteinte préjudiciable découle de ces
dispositions de la Loi de la cour de l'Échiquier, et non de la Loi
des expropriations, s'explique par l'origine législative de ces
deux lois, comme nous le verrons plus loin. En outre, on
retrouve à l'article 47 de la Loi de la cour de l'Échiquier les
critères selon lesquels les réclamations faites respectivement en
vertu des alinéas 19(1)a) et b) doivent être évaluées. Sous
l'intertitre «Règles relatives à l'adjudication des réclamations»,
l'article édicte:
47. La cour, en déterminant le montant qui doit être payé à
un réclamant pour un terrain ou une propriété expropriée pour
les fins d'un ouvrage public, ou pour dommages causés à un
terrain ou à un immeuble, en estime ou établit la valeur ou le
montant à l'époque où le terrain ou la propriété a été expropriée
ou à l'époque où les dommages dont il est porté plainte ont été
causés.
[TRADUCTION] La Cour doit donc obéir à certaines directi
ves spécifiques dans l'évaluation des réclamations présentées en
vertu des alinéas 19(1)a) et b). La première de ces directives
porte qu'à l'égard d'une réclamation faite en vertu de l'alinéa
19(1)a), la Cour estime la valeur du terrain ou de l'immeuble
exproprié pour les fins d'un ouvrage public. C'est en vertu de
cette habilitation législative qu'on peut affirmer que le montant
de l'indemnité auquel le propriétaire a droit représente la valeur
du terrain ou de l'immeuble, d'après l'évaluation de la Cour. La
seconde directive porte que, dans le cas d'une réclamation pour
dommages causés à un terrain ou à un immeuble, la Cour en
établisse le montant. Tout indique que cette deuxième directive
renvoie aux réclamations présentées en vertu de l'alinéa 19(1)b)
pour dommages à des propriétés causés par l'exécution de
travaux publics.
À la page 352, le président Thorson poursuit
ainsi son raisonnement:
[TRADUCTION] Il n'y a rien dans la Loi des expropriations
qui aille à l'encontre de cette prétention. Nulle part ne figure
dans cette Loi de disposition conférant le droit d'être indemnisé
en cas d'expropriation ou prescrivant les règles à suivre, adve-
nant un désaccord, pour établir le montant de l'indemnité. Ce
vide apparent s'explique aisément: des dispositions de cette
nature étant prévues dans la Loi de la cour de l'Échiquier, il
n'est pas nécessaire qu'elles soient reprises dans la Loi des
expropriations.
Le président Thorson a réitéré sa position dans
l'arrêt Woods Mfg. Co. Ltd., précité, aux pages 13
et 14:
[TRADUCTION] La loi canadienne que la défense doit invo-
quer à l'appui de son droit d'être indemnisée pour l'expropria-
tion de ses biens n'est pas la Loi des expropriations (en vertu de
laquelle l'appropriation a eu lieu), mais la Loi de la cour de
l'Échiquier, S.R.C. 1927, chap. 34. Dans l'arrêt Thomas
Lawson & Sons Limited (précité), j'ai traité abondamment de
l'origine et de l'histoire législatives de ces deux lois et je suis
convaincu qu'il n'existe nulle part dans la Loi des expropria
tions de disposition conférant au propriétaire visé le droit d'être
indemnisé. Sans nul doute, plusieurs articles de cette dernière
Loi présument-ils l'existence d'un tel droit, mais il reste que ce
ne sont qu'aux alinéas 19a) et b) de la Loi de la cour de
l'Échiquier qu'est réellement conféré le droit d'être indemnisé
pour les biens acquis ou les dommages causés par suite de
l'application de la Loi des expropriations. Il y est en effet
disposé que:
19. La cour de l'Échiquier a aussi juridiction exclusive en
première instance pour entendre et juger les matières
suivantes:
a) Toute réclamation contre la Couronne pour expro
priation de biens pour des fins publiques;
b) Toute réclamation contre la Couronne pour domma-
ges à des propriétés causés par l'exécution de travaux
publics;
Un examen de l'origine et de l'histoire législatives de cette
disposition démontre en effet qu'en plus d'attribuer à la Cour la
compétence pour entendre et juger les demandes d'indemnisa-
tion à l'égard des biens expropriés, elle établit également le
droit de recevoir une telle indemnité, droit qui, autrement,
n'existerait pas. De plus, tandis que les alinéas 19a) et b)
confèrent ce droit au propriétaire, l'article 47 prescrit les
critères en vertu desquels le montant de l'indemnité doit être
déterminé:
47. La cour, en déterminant le montant qui doit être payé
à un réclamant pour un terrain ou une propriété expropriée
pour les fins d'un ouvrage public, ou pour dommages causés
à un terrain ou à un immeuble, en estime ou établit la valeur
ou le montant à l'époque où le terrain ou la propriété a été
expropriée ou à l'époque où les dommages dont il est porté
plainte ont été causés.
Ces deux décisions portent sur l'interprétation
de la Loi de la cour de l'Échiquier et la Loi des
expropriations, S.R.C. 1927, chap. 64. Au
moment où elles ont été rendues, la Loi des expro
priations ne contenait aucune disposition permet-
tant l'indemnisation, que ce soit en cas d'expro-
priation d'un bien-fonds ou en cas d'atteinte
préjudiciable en l'absence d'emprise. Pourtant,
certains articles de cette Loi envisageaient l'exis-
tence d'un droit de ce genre. Ainsi, il était stipulé à
l'article 23:
23. L'indemnité pécuniaire convenue ou adjugée pour tout
terrain ou immeuble acquis ou exproprié pour la construction
d'ouvrages publics, ou détérioré par ces ouvrages, tient lieu de
ce terrain ou immeuble.
Le président Thorson a souligné que la Loi des
expropriations ne contenait aucune règle pour la
détermination du montant de l'indemnité devant
être versé au propriétaire exproprié, en cas de
désaccord. Il en est venu à la conclusion que les
règles établissant le principe de l'indemnisation et
celles régissant la détermination du montant versé
n'étaient pas énoncées dans la Loi des expropria
tions au motif qu'elles l'étaient dans la Loi de la
cour de l'Échiquier. D'après son interprétation de
l'article 47 en particulier, il ressort que le proprié-
taire exproprié a droit, grâce au mécanisme de
l'indemnisation, de recouvrer un montant égal à la
valeur de son bien-fonds.
Aussi le président Thorson a-t-il estimé que les
deux lois devaient être lues ensemble. D'après lui,
l'article 23 de la Loi des expropriations est acces-
soire aux alinéas 19(1)a) et b) de la Loi de la cour
de l'Échiquier; il a également exprimé l'avis que la
procédure d'expropriation, autrefois contenue dans
une seule loi, se retrouvait maintenant en partie
dans la Loi des expropriations et en partie dans la
Loi de la cour de l'Échiquier.
Or, depuis ces deux décisions, la Loi de la cour
de l'Échiquier, de même que la Loi des expropria
tions ont été remplacées respectivement par la Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10 et la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970
(lei Supp.), chap. 16.
Contrairement à la situation antérieure à 1970,
la nouvelle Loi sur l'expropriation contient, aux
articles 23 et 24, des règles régissant l'indemnisa-
tion et la détermination de la valeur des droits
expropriés. À mon avis, il en résulte que les dispo
sitions de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédé-
rale sont aujourd'hui de nature purement juridic-
tionnelle.
Si l'on revient maintenant au principe de départ
selon lequel le droit d'être indemnisé pour expro
priation d'un bien-fonds ou atteinte préjudiciable à
un bien doit être fondé sur une loi quelconque,
sans quoi ce droit n'existe pas, il m'est impossible
de conclure à l'existence d'un tel droit dans la Loi
sur l'expropriation actuelle dans le cas où le bien-
fonds n'a pas été morcelé par suite de l'expropria-
tion. Étant donné qu'il n'existe au bénéfice des
demandeurs aucun droit à l'indemnisation pour
atteinte préjudiciable causée par l'expropriation
d'autres biens-fonds et la construction d'ouvrages
publics sur ces derniers, leur réclamation à cet
égard doit être, en conséquence, rejetée.
On pourrait certes se demander pourquoi la
Cour fédérale se voit attribuer, en vertu du para-
graphe 17(2) de la Loi sur la Cour fédérale, la
compétence pour entendre les demandes pour
atteinte préjudiciable, si le droit d'être indemnisé
pour des dommages de cette catégorie n'est pas
prévu à la Loi sur l'expropriation. À mon avis,
cette disposition ne fait qu'accorder compétence à
la Cour dans la mesure où le droit substantif
d'intenter un recours pour atteinte préjudiciable
contre la Couronne découle soit de la Loi sur
l'expropriation et de ses modifications futures, soit
de quelque autre loi. Ainsi, le paragraphe 18(3) de
la Loi sur l'Administration de la voie maritime du
Saint-Laurent, S.R.C. 1952, chap. 242, prévoit le
droit d'être indemnisé pour atteinte préjudiciable
en cas d'absence d'emprise.
Les demandeurs se sont également appuyés sur
une comparaison de l'article 68 de The Lands
Clauses Consolidation Act, 1845, [8 & 9 Vict.,
chap. 18] du Royaume-Uni, et du paragraphe
17(2) de la Loi sur la Cour fédérale, tous deux de
nature procédurale, pour soutenir que cette der-
nière disposition conférait expressément le droit
d'être indemnisé en l'absence d'emprise.
Leur avocat a fait valoir que les tribunaux
anglais avaient, de façon constante, statué que
l'article 68, bien que procédural en apparence,
créait le droit d'être indemnisé pour atteinte préju-
diciable. Cet article dispose en partie comme suit:
[TRADUCTION] LXVIII. Dans le cas où une partie a le droit
d'être indemnisée pour l'atteinte préjudiciable qu'a subie son
bien-fonds par suite de l'exécution des travaux ... elle peut
demander que l'indemnité soit fixée par arbitrage ou ...
Il a cité l'arrêt Jolliffe v. Exeter Corpn.,
[1967] 1 W.L.R. 350 (Q.B.D.), à l'appui de sa
prétention, mais à mon avis cette décision n'est pas
favorable à la demande. En effet, à la page 355, le
juge Lawton en est venu à la conclusion que la
responsabilité d'indemniser ceux dont la propriété
a subi une atteinte préjudiciable
[TRADUCTION] ... incombait aux défendeurs en vertu des lois
intitulées Highways Act, 1959, art. 222 et Acquisition of Land
(Authorisation Procedure) Act, 1946, dont l'effet conjugué
conduit à l'application de l'article 68 de la Lands Clauses
Consolidation Act, 1845.
Il me semble que le droit d'être indemnisé pour
atteinte préjudiciable ne résulte pas uniquement
dans cette affaire de l'application de l'article 68,
mais également de l'effet des dispositions des deux
autres lois. Et même si leur procureur avait raison
sur ce point, cela n'aiderait pas à mon avis la cause
des plaignants. Cet argument pouvait peut-être
avoir quelque pertinence avant 1970, l'époque où
le président Thorson a rendu son jugement dans les
affaires Woods Manufacturing et Lawson, préci-
tées; mais aujourd'hui, j'estime qu'il n'est plus
pertinent puisque les règles régissant l'indemnité et
la détermination du montant de celle-ci sont clai-
rement regroupées en une seule Loi sur l'expro-
priation.
L'avocat des demandeurs a également cité le
jugement de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Imperial Oil Ltd. c. La Reine, [1974]
R.C.S. 623; (1973), 35 D.L.R. (3d) 73, la page
79,à l'appui de sa prétention selon laquelle le droit
du plaignant d'être indemnisé pour atteinte préju-
diciable à son bien-fonds existe, à moins que le
législateur n'ait, de façon claire et sans équivoque,
exprimé son intention de ne pas permettre une telle
indemnisation. Dans cette affaire où il devait se
prononcer sur l'article 23 de la Loi sur les expro
priations, S.R.C. 1952, chap. 106, le juge Ritchie
y a vu l'intention manifeste du législateur d'indem-
niser un propriétaire foncier pour atteinte préjudi-
ciable causée par la construction d'un ouvrage
public. Cet article n'a pas été repris dans la Loi
sur l'expropriation actuelle.
À mon avis, cet arrêt ne constitue pas un précé-
dent à l'appui de la thèse des demandeurs. Le juge
Ritchie y a simplement fait observer qu'il n'exis-
tait pas dans la Loi sur les expropriations ou dans
la Loi sur la protection des eaux navigables,
S.R.C. 1952, chap. 193, de disposition exprimant
clairement l'intention du législateur de permettre
que le bien-fonds du demandeur puisse être défa-
vorablement atteint sans indemnisation; il a souli-
gné qu'il ressortait en revanche clairement de l'ar-
ticle 23 de la Loi sur les expropriations que le
demandeur avait le droit de recevoir une indemnité
en cas d'atteinte préjudiciable causée par la cons
truction d'un ouvrage public.
Tout ce que signifie cet arrêt, ce me semble,
c'est que le propriétaire foncier dont le bien-fonds
a subi une atteinte préjudiciable à cause de la
construction d'un ouvrage public a droit à une
indemnisation dans la mesure où l'intention du
législateur d'accorder ce dédommagement ressort
de la loi. Le fait que la Cour n'a pu trouver dans la
Loi sur les expropriations l'intention du législa-
teur de ne pas accorder d'indemnité dans de telles
circonstances n'a servi qu'à étayer son interpréta-
tion de l'article 23 de cette Loi.
Il est de plus évident que la prétention de l'avo-
cat des demandeurs est contraire au principe qu'a
établi lord Parmoor dans l'arrêt Sisters of Charity
of Rockingham, évoqué plus haut, et que les tribu-
naux canadiens ont constamment suivi par la suite,
comme vient d'ailleurs de le faire la Cour d'appel
de l'Ontario dans l'affaire St. Pierre, précitée,
confirmée en appel par la Cour suprême du
Canada. À mon avis, ce principe est toujours
valable et s'applique dans la présente espèce: le
législateur n'ayant édicté aucune disposition per-
mettant l'indemnisation pour atteinte préjudiciable
en l'absence d'emprise, les demandeurs ne peuvent
avoir gain de cause à ce titre contre la
défenderesse.
J'éprouve beaucoup de sympathie envers les
demandeurs, particulièrement les Acciaroli. Leur
bien, tout comme celui des St. Pierre, a subi une
atteinte défavorable par suite de l'agrandissement
de l'aéroport. La vue dont ils jouissent maintenant
est moins agréable et ils sont davantage suscepti-
bles, quoique de façon marginale, d'être troublés
dans leur jouissance qu'avant l'ouverture de la
nouvelle piste. Mmc Acciaroli souhaiterait que sa
résidence soit expropriée, de sorte qu'elle puisse
déménager loin de l'aéroport. Aujourd'hui que son
regard se porte sur les tours de contrôle et la
nouvelle piste, la vue ou le bruit d'un avion ravi-
vent en elle le sentiment d'avoir été victime d'une
grave injustice. Dans les circonstances, il n'est pas
étonnant qu'elle croit en toute sincérité que le fond
sonore a fortement augmenté et qu'il a même
atteint un seuil intolérable. Qui plus est, je n'aurais
pas de mal à penser que son opinion serait la même
si le niveau sonore avait en réalité diminué.
De même, M. Acciaroli, de toute évidence très
attaché à ce qu'il considérait comme un endroit
rural et paisible, fait maintenant face chaque fois
qu'il sort de chez lui à une clôture à mailles
losangées et à une piste. Dans son esprit, la défen-
deresse a détruit, sans l'en dédommager, la vue, la
perspective et l'ambiance dont il jouissait aupara-
vant. Dans les circonstances, je ne m'étonne pas
qu'il soit troublé par tout ce qui concerne
l'aéroport.
Il suffit d'ailleurs de jeter un coup d'oeil sur la
pièce 2 pour se rendre compte que le bien-fonds
des Acciaroli s'avance maintenant dans l'aéroport.
On peut comprendre aisément leurs troubles de
jouissance et leur désir de voir leur propriété
expropriée. Cependant, tout en compatissant à l'in-
fortune des Acciaroli, et dans une moindre mesure,
à celle des Masi, je ne puis en venir à la conclusion
qu'ils ont droit de réclamer des dommages-intérêts
de la défenderesse à l'égard des plaintes qu'ils ont
formulées.
Bien que la défenderesse ait gain de cause en
l'espèce, il ne me semble pas approprié de lui
adjuger les dépens dans les circonstances. En con-
séquence, je suis d'avis de rejeter les actions des
demandeurs contre la défenderesse, sans adjudica
tion de dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.